Rudolf STEINER DU SENS DE LA VIE Deux Conférences des Bagneux, par Villeneuve-sur-Allier (Allier) 23 et 24 Mai 1912 Du courage des combattants, Du sang des batailles, Des souffrances de la séparation, Lèvera une moisson spirituelle Si des âmes, conscientes du but, Tournent leur regard vers l’Esprit. RUDOLF STEINER. DU SENS DE LA VIE Deux conférences de Rudolf Steiner traduites en français avec l’autorisation de Mme Marie Steiner, d’après une sténographie non revue par l’auteur. — Tous droits réservés. I « Quel est le sens de la vie ? » Telle est la question que je voudrais examiner avec vous, au cours de ces deux conférences. La fréquence, l’insistance avec laquelle cette question est posée, prouve qu’elle est de celles qui préoccupent au plus haut point les esprits. Avant d’y répondre, il faut que nous établissions les bases sur lesquelles pourront s’édifier les connaissances qui, bien que seulement esquissées ici, nous permettront de la résoudre. Que nous considérions le monde extérieur accessible à nos sens, ou que nous nous tournions vers notre monde intérieur, nous nous lu-lirions partout à une même énigme angois- snnlc cl <|ili paraît insoluble. Tous les êtres de la nature naissent et meu- K-III. Chaque année, au printemps, la terre, fécondée par les forces du soleil et de l’univers, fait éclore les plantes, qui verdoient et bourgeonnent et dont l’été mûrit les fruits. Quand vient l’automne, nous voyons ces plantes se flétrir. Quelques-unes d’entre elles subsistent, il est vrai, pendant de longues années, certains arbres, par exemple. Mais, bien qu’ils nous survivent, nous savons qu’ils n’échapperont pas à la mort; ils disparaîtront et tomberont dans ce qui constitue, au sein de la grande nature, le règne de l’inanimé. Nous n’ignorons pas non plus que la naissance et la mort régissent jusqu’aux grands phénomènes de la création. Les continents euxmêmes, sur lesquels se développent aujourd’hui les différentes civilisations, n’existaient pas, nous le sa- vons, à des époques antérieures. Ils ont surgi •ni cours des temps et nous ne pouvons douter qu’ils s’effondreront un jour. Ainsi, où que nous regardions, partout autour de nous, nous retrouvons ces deux grands phénomènes de la naissance et de la mort, dans le règne végétal comme dans le règne minéral, et dans le règne animal. A tout moment, quelque chose apparaît ou disparaît « - autour de nous. Quelle est la signification de toutes ces naissances et de toutes ces morts ? Tournons-nous vers l’être humain et considérons notre propre existence au cours des années écoulées : là encore nous retrouvons la naissance et la mort. Nous songeons à notre jeunesse; la voici disparue, seul son souvenir persiste. Avec angoisse, nous nous demandons ce qui est résulté des actes que nous avons accomplis. Certes, l’essentiel est que nous ayons progressé un tant soit peu en les accomplissant; qu’ils nous aient rendus plus sages. En général, ce n’est qu’après avoir accompli un acte que nous comprenons comment nous aurions dû agir et que nous aurions pu faire mieux. Mais il est trop tard, nous ne pouvons revenir en arrière. En sorte que nous insérons véritablement dans notre vie toutes les fautes que nous avons commises. Or c’est précisément par nos fautes, par nos erreurs, que nous acquérons nos plus précieuses expériences. Une question se pose donc pour nous, et il semble bien que ce ne soient ni les perceptions de nos sens, ni les données de notre intelligence qui nous permettront d’y répondre. A l’heure actuelle, la position de 7 - l’homme devant le monde est telle que ce monde éveille en lui une question angoissante, primordiale: o Quel esl le sens de la vie ?» Et une seconde cpieslion, non moins troublante : «Pourquoi lev (Mrcs humains participent-ils de cette vie, d'une manière qui leur est particulière ?» Il existe une ancienne tradition hébraïque, fort intéressante. Elle prouve qu’en ces temps reculés, on avait conscience que ces deux «l andes questions ne se posent pas à l’homme seul, mais encore à' d’autres êtres. Voici cette très instructive légende : Les Elohim allaient se mettre à l’œuvre pour créer l’homme à leur image, quand ceux (|ii’on appelle les anges serviteurs des Elohim, autrement dit certains esprits d’un ordre inférieur au leur, posèrent à Javeh ou Jéhovah la question suivante : « Pourquoi faut-il que les hommes soient créés à l’image et à la ressemblance de Dieu ?» — Alors, nous rapporte la légende, Javeh rassembla les plantes et les animaux qui existaient avant ([lie l’homme ne fût apparu sous sa forme terrestre et il réunit également les anges serviteurs, c’est-à-dire ceux qui lui obéissent directement. Il leur montra les plantes et les animaux et il leur demanda de les lui nommer. Mais les anges en ignoraient les noms. Alors ............. lut créé, tel qu’il était avant le péché originel. ICI Javeh rassembla à nouveau les anges, les animaux et les plantes. Et, en présence des anges, il dit à l’homme de nommer les animaux qu’il ferait défiler devant lui. Et voici que l’homme sut dire le nom de chacun d’eux et celui de H — toutes les plantes. Enfin Jéhovah demanda à l’homme : « Quel est ton propre nom ? » Et l’homme répondit : « Mon nom sera Adam ». (Le mot Adam se rattache à « adama » et signifie : fait de limon terrestre.) «Et comment dois-je être nommé?» interrogea Jéhovah. L’homme répondit : « Tu dois être nommé Adonaï, tu es le maître de tous les êtres créés sur la terre. » Les anges pressentirent alors pourquoi l’homme avait dû apparaître sur la terre. Les traditions religieuses expriment souvent sous des formes très simples les énigmes les plus importantes de la vie. La difficulté n’en subsiste pas moins pour nous, car il faut savoir pénétrer cette simplicité pour atteindre le sens caché. Alors, de grandes connaissances et une profonde science se dévoilent dans ces légendes. Il nous suffisait, pour le moment, d’évoquer celle-ci. Nos deux conféi'ences répondront aux questions qu’elle suscite. Vous n’ignorez pas qu’il est une religion de l’Orient où le problème du sens et de la valeur de la vie a revêtu une forme grandiose. Vous connaissez tous l’histoire du Bouddha fuyant le palais où l’avait placé sa naissance, et ' ,/ ■ ■ découvrant les réalités de la vie qui lui étaient restées dissimulées, au cours de cette incarnation. Profondément bouleversé, il prononce cette sentence : « La vie est souffrance, » — qui se décompose, vous le savez, dans les quatre propositions suivantes : « Naître, c’est souffrir; être malade, c’est souffrir; vieillir, c’est souffrir; mourir, c’est souffrir », — auxquelles il faut encore en ajouter trois autres : « Etre uni à ceux qu’on n’aime pas, c’est souffrir; être séparé de ceux qu’on aime, c’est souffrir; ne pas 9 - atteindre le but qu’on poursuit, c’est souffrir». Vous savez aussi que pour cette religion, le sens de la vie s’exprime en ces termes : « La mort et la souffrance ne prennent un sens que lorsqu’elles sont vaincues, lorsqu’elles se dépassent elles-mêmes ». A vrai dire, toutes les religions et toutes les philosophies sont des tentatives pour répondre à la question du sens de la vie. Nous ne l’aborderons pas ici sous sa forme abstraite et philosophique. Nous chercherons plutôt à mettre en relief quelques-unes des manifestations de la vie, en nous servant de la connaissance occulte. Nous essaierons de les comprendre et de voir si l’occultisme, en pénétrant plus profondément dans les choses, nous fournit des éléments utiles à la solution du grave problême qui nous occupe. Reprenons la question à un point que nous avons déjà effleuré et considérons la naissance et la mort au sein du règne végétal. Chaque année, au printemps, nous voyons surgir les plantes de la terre, nous les voyons germer et fleurir et nous en éprouvons de la joie, car nous sentons que toute notre existence est liée à celle du monde végétal, sans lequel nous ne saurions subsister. En automne, par contre, cette nature, dont notre être participe jusqu’à un certain point, retombe dans la mort. Nous pourrions être tentés de comparer la vie végétale à notre propre vie. Si nous nous contentions d’une observation superficielle, il nous serait facile, en effet, de comparer l’éclosion printanière de la nature à notre réveil matinal, par exemple; et l’automne, l’époque où les plantes se fanent, au soir, quand nous nous endormons. Mais ce ne serait là qu’un point de vue tout à fait superficiel et qui ne tiendrait pas compte des faits que nous révèlent les connaissances même les plus élémentaires de 10 — l’occultisme. \y< ) Que se passe-t-il, en effet, en nous, au moment où nous nous endormons ? Nous savons que notre corps astral et notre moi abandonnent alors notre corps physique et notre corps éthérique pour vivre, jusqu’au moment de notre réveil, dans un monde spirituel, où ils puisent de nouvelles forces. Or, ce ne sont pas seulement notre corps astral et notre moi, mais également notre corps physique et notre corps éthérique qui se réparent, en quelque sorte, durant la nuit, tandis qu’ils reposent, séparés des autres principes de notre être. Lorsque le clairvoyant observe depuis son moi, le corps astral, le corps éthérique et le corps physique, il reconnaît les dégâts occasionnés en eux pendant le jour, et il voit que la fatigue en est l’expression. En somme, toute notre vie consciente du jour, si on la considère par rapport à la conscience humaine en général et dans sa relation avec les corps physique et éthérique, est une sorte de processus destructif de ces corps, qui a pour effet la fatigue. Au cours de la nuit, tout ce qui a été détruit en nous est restauré. Observons ce qui se passe dans nos corps physique et éthérique, au moment où notre corps astral et notre moi les quittent. Nous constaterons qu’ils laissent derrière eux comme un champ dévasté. Mais dès que la sépara- îion s’est effectuée, les corps abandonnés commencent à se reconstituer. Leurs foi'ces propres entrent en jeu et il semble que tout fleurisse, que tout bourgeonne, comme si une végétation entière naissait de ce sol dévasté. PI 11 — la nuit s’avance, plus le sommeil se prolonge, et plus cette végétation grandit et se développe. Puis, quand vient le matin et que le corps astral et le moi réintègrent les corps physique et éthérique, le phénomène inverse a lieu, et c’est comme si se fanaient et se desséchaient toutes les plantes. En d’autres termes, pour le moi et le corps astral qui les observent du sein du monde spirituel, le corps physique et le corps éthérique sont, le soir, au moment où ils s’endorment, le théâtre d’un phénomène analogue à celui du printemps au sein de la grande nature. Ainsi, si nous approfondissions notre comparaison, c’est, en vérité, le moment où nous nous endormons, où nous nous livrons au sommeil de la nuit, que nous nous rapprocherions du printemps, tandis que nous percevrions l’analogie entre l’automne et le réveil, à l’instant où notre corps astral et notre moi se réunissent à nouveau aux principes inférieurs de notre être. Cette comparaison-ci est conforme à la réalité, et non point la première, qui reste superficielle. Pour nous, le printemps correspond au sommeil et l’automne au réveil. Voyons, à présent, ce que découvre l’occultiste éclairé d’une véritable clairvoyance spirituelle, lorsqu’il observe le cours annuel de la nature. Les résultats de son investigation nous prouvent à quel point nous devons nous méfier des analogies purement apparentes et rechercher le sens profond des choses. Le clairvoyant découvre, en effet, que si, outre son corps physique et 12— son corps éthérique, l’homme a encore un corps astral et un moi, la terre, elle aussi, possède un principe spirituel. Elle est également un corps, un vaste corps. Ne tenir compte que de celui-ci est aussi faux pour la terre que pour l’homme. Nous ne nous ferons d’elle une idée exacte que si nous la considérons comme le corps d’entités spirituelles, au même titre que le corps de l’homme est l’organe d’un esprit. Il y a, cependant, une différence : Chez l’homme, les corps physique et éthérique sont régis par un seul être, par un principe psycho-spirituel unique. Au contraire, une multitude d’esprits animent, à première vue, le corps de la terre. Ce qui est unité chez l’homme est multiplicité pour la terre. C’est là une différence essentielle, par ailleurs la ressemblance est complète. Il apparaît au regard du clairvoyant qu’au printemps, au moment où les plantes germent et éclosent, les Esprits de la terre quittent celle- ci. Ils ne s’en éloignent cependant pas complètement, comme c’est le cas des principes spirituels de l’homme, pendant son sommeil. Les Esprits de la terre se déplacent. Lorsque l’été 13 - commence au nord, ils émigrent vers l’hémisphère sud. Il n’en est pas moins vrai que l’occultiste, qui vit dans une région déterminée de la terre, les voit s’éloigner au printemps, il les voit s’élever dans le vaste univers et non point se déplacer simplement vers l’autre hémisphère. Pour lui, l’impression est la même que lorsqu’il voit le corps astral et le moi quitter le corps physique et le corps éthérique de l’homme qui s’endort. (1). En hiver, par contre, lorsque la terre est recouverte de neige et de glace, ces forces sont unies à elle. Elles lui sont rendues en automne. Et la terre présente alors réellement une sorte de soi-conscience semblable à celle de l’homme. Pendant l’été, son principe spirituel ignore ce qui se passe dans l’univers qui l’entoure; mais, en hiver, l’Esprit de la terre le sait, de même que l’homme qui veille voit et sait ce qui se passe autour de lui. Ainsi l’analogie est parfaite, mais elle est exactement à l’inverse de celle qu’un point de vue superficiel serait tenté d’établir. Sans doute, si nous prenons en considéra- (1) Voir Rudolf Steiner : «Les Fêtes Cardinales». Ed. de lu Science spirituelle. tion tous les côtés de la question, nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu’au moment où commence l’éclosion printanière, les Esprits de la terre quittent la planète. En effet, d’autres esprits, plus puissants, entrent en activité dès que la végétation commence à — 1!> s’animer. Ils semblent surgir des profondeurs cachées de la terre. C’est pourquoi les mythologies anciennes distinguaient les dieux d’en haut et les dieux d’en bas. Par dieux d’en haut, ils ne désignaient que ceux qui s’éloignent au printemps et reviennent en automne. Les autres, plus puissants, plus anciens, étaient mis par les Grecs au nombre des dieux « Chtoni- ques». Ce sont ceux qui s’élèvent en été, au moment où s’épanouit la nature, et qui se replongent dans la terre quand arrive l’hiver et que les Esprits de la terre proprement dits s’unissent à elle comme à leur corps. Tels sont les faits. Mais je voudrais, à présent, attirer votre attention sur une pensée (jue font naître l’étude de la nature et l’investigation occulte, et qui est d’une immense importance pour la vie humaine. Tout ce qui précède prouve, n’est-il pas vrai, que l’homme est bien réellement une image de la grande entité terrestre ellemême. Nous avons reconnu la correspondance qui existe entre l’éclo- sion printanière du règne végétal et le moment où l’homme s’endort. Or, il est essentiel de connaître cette correspondance, lorsqu’on veut établir les rapports que les plantes possèdent avec le corps humain et la signification qu’elles ont pour lui. C’est, il faut le dire, un fait réel d’observation : l’homme qui s’endort offre au regard du clairvoyant averti l’image d’une véritable germination, d’une éclosion, d’une floraison, dont son corps physique et son corps éthérique deviennent le théâtre. Et le voyant reconnaît que l’homme est, en vérité, un arbre, ou plutôt un jardin dans lequel poussent des plantes. En étudiant occultement ce phénomène, il se rend compte de la correspondance qui existe entre l’éclosion, l’épanouissement intérieurs de l’être humain et ces phénomènes dans la nature. Imaginez les conséquences que ces connaissances pourront avoir dans l’avenir, lorsque la Science spirituelle qui, de nos jours, est encore trop souvent considérée comme une simple absurdité, sera appliquée à la vie et rendue féconde. Supposez, par exemple, un homme malade. Au moment où il s’endort, et où commence le déploiement végétal des forces du corps physique et du corps éthérique, le clairvoyant qui l’observe voit quelles sont les espèces de plantes qui lui manquent. Quand, sur un point quelconque de la terre, on constate l’absence complète d’une espèce végétale, on sait qu’il faut en incriminer la nature du sol. Il en est de même pour l’homme endormi. Si l’on constate en lui l’absence de certaines espèces végétales, on peut y remédier en cherchant dans la nature les plantes qui lui manquent et en lui en donnant le suc sous forme diététique ou 17 — médicinale, selon le cas. Voilà comment, par la nature intime de leurs forces, on peut établir le rapport réel du remède avec la maladie. Ceci est un exemple de l’influence que l’Antroposophie, la Science spirituelle, auront sur la vie dans l’avenir. Mais ce mouvement n’est encore qu’à son début. Par cette comparaison, je vous ai donné comme une sorte de « pensée de la nature », touchant certains rapports intérieurs de l’homme avec ce monde qui l’environne, dont il fait partie lui-même et avec lequel son être entier est en relation. Transportons-nous maintenant dans le domaine spirituel, Mais je voudrais tout d’abord attirer votre attention sur un point très important : Lorsque l’Anthroposophie se propose d’étu- dier l’évolution de l’humanité à l’aide de la Science spirituelle, et de déchiffrer le sens de l’existence, elle n’a, a priori, aucune prédilection pour une confession ou pour une philoso 18— phie quelconque. Nous considérons qu’il est essentiel de revenir sur les étapes anciennes, sur le développement que l’humanité suivit et les étapes qu’elle a traversées, après que la catastrophe atlantéenne eût ravagé la terre. La première grande civilisation qui succéda à cette catastrophe fut celle de l’Inde antique. Nous avons déjà parlé ici de cette civilisation, et nous avons montré qu’elle fut si haute, que même les Védas, ou traditions écrites parvenues jusqu’à nous, n’en sont qu’un faible écho. L’antique sagesse qui fleurit à cette époque ne peut, à vrai dire, être retrouvée que dans la chronique akashique (1). L’humanité n’a jamais connu depuis lors la hauteur spirituelle qu’elle atteignit alors. Aux époques suivantes incombait une tâche toute différente. Nous savons qu’il se fit, à partir de la première civilisation, une descente qui s’est continuée jusqu’à notre époque. Mais nous n’ignorons pas non plus qu’elle doit être suivie d’une renaissance et que la Science spirituelle a pour mission de préparer celle-ci. Dans la septième et dernière civilisation post- ( I ) Ou Chronique de l’Akasha, expression qui sert à désigner l'cnHcmble des traces que laissent dans le monde spirituel I I I I I H les événements qui sont vécus ou réfléchis dans la notiNcience. — N. D. L. E. allantéenne, il se produira comme une sorte de rénovation de l’antique et sainte culture hindoue. C’est ainsi que nous n’accordons aucune préférence à une conception religieuse particulière; nous appliquons à toutes la même mesure : nous nous efforçons d’en com19 — prendre le caractère et nous cherchons en elle, le noyau de vérité qu’elles renferment. Or, ce qui nous importe, c’est précisément de saisir le caractère essentiel et particulier de chacune d’elles. Considérées à ce point de vue, elles témoignent de deux tendances fondamentales bien distinctes. Certaines religions et philosophies présentent, en effet, un caractère plus nettement oriental, d’autres, au contraire, sont plus imprégnées de culture occidentale. Essayons d’approfondir cette différence, elle nous fournira certaines données capables de nous éclairer sur le sens de la vie. Les anciens possédaient une connaissance que nous reconquérons aujourd’hui à grand peine, c’est celle du «retour à l’existence». Pour la mentalité orientale, je le répète, cette conception est toute spontanée, toute naturelle; elle s’élève en quelque sorte des profondeurs même de la vie, et il est facile de constater à quel point elle domine encore aujourd’hui loute la vie de l'Orient. Considérez, par exemple, le sentiment de l’Oriental à l’égard de ses Bodliisatvas et de ses Bouddhas. Il ne tend guère à accorder une importance spéciale à tel être particulier, revêtu d’un certain nom, et à en faire la puissance dirigeante de l’évolution humaine. Pour lui, il est infiniment plus important de poursuivre l’individualité à travers ses vies successives. D’après les Orientaux, il y aurait un certain nombre de Bodhisatvas, hautes Entités d’essence humaine, qui se seraient élevés peu à peu jusqu’à un degré supérieur d’évolution. Un être qui a traversé un grand nombre d’incarnations et qui est devenu Bodhisatva, comme ce fut le cas pour Gautama, le fils du roi Sudhodhana, 20— s’élève encore pour devenir Bouddha. Ainsi, la désignation de Bouddha n’appartient pas à un seul être, à Gautama. Elle s’applique à tous ceux qui, après avoir traversé de nombreuses incarnations, sont devenus d’abord Bodhisatva, pour atteindre ensuite la dignité supérieure, qui est précisément celle de Bouddha. Le nom de Bouddha est un terme générique, qui désigne une dignité humaine et présuppose un principe psychospirituel, ayant passé par un grand nombre d’incarnations. Sur ce point, le Brahmanisme concorde entièrement avec le Bouddhisme. Toute l’importance est donnée par ces deux religions au principe individuel qui se mani- fcste à travers des personnalités différentes, don! l’intérêt est secondaire. En effet, que le Bouddhiste dise : Le Bodhisatva est destiné à s’élever à la plus haute dignité à laquelle puisse aspirer l’être humain, il l’atteindra lorsqu’il aura traversé un grand nombre d’incarnations, et cette dignité suprême est celle de Bouddha; — ou que le Brahma dise : « Les Bodhisatvas sont, en effet, des êtres d’une haute évolution, qui s’élèveront encore pour devenir Bouddha; mais ils descendent des Avatars, ou individualités spirituelles supérieures » ; le résultat est le même. La considération du principe spirituel imprègne également ces deux conceptions orientales. Tournons-nous, à présent, vers l’Occident et cherchons ce qui lui donne son caractère de grandeur et de puissance. C’est dans l’antique conception hébraïque qu’il nous apparaîtra avec le plus de profondeur. Cette religion s’est, en effet, concentrée sur la considération de l’élément personnel. 21 — Que nous parlions de Platon, de Socrate, de MichelArtge, de Charlemagne ou de tout autre homme, c’est toujours leur personnalité que nous avons en vue, nous relatons leur vie, vie circonscrite et déterminée, nous cherchons ce qu’ils ont apporté à l’humanité. En Occident, nous ne nous attachons pas au courant de vie 22— qui se transmet d’une personnalité à l’autre. Car la mission de la culture occidentale a été précisément de concentrer toute l’attention de l’homme, pendant un certain laps de temps, sur la valeur d'une existence. Quand on parle de Bouddha, en Orient, on sait que ce ternie désigne une dignité commune à plusieurs personnalités. Par contre, quand nous prononçons le nom de Platon, par exemple, nous ne l’appliquons qu’à une seule personnalité. C’est ainsi que devait être instruit l’Occident. Il était nécessaire que le principe personnel fût mis en valeur et fût apprécié avant tout. Yenons-en à notre époque actuelle et demandonsnous quelle attitude nous devons prendre devant cette série de faits ? S’il est vrai que la culture de l’Occident devait, pendant un certain temps, élever l’humanité dans le respect de l’élément personnel, l’heure est venue, à présent, d’ajouter au principe personnel le principe individuel, « l’individualité ». Mais cette individualité que nous devons reconquérir doit être accrue et fortifiée par la mise en jeu du principe personnel. Prenons un cas particulier. Tournons-nous vers la conception hébraïque du monde, qui a précédé celle de l’Occident, et considérons un être comme le prophète Elie. Cherchons d’abord à le caractériser sous son aspect personnel. On ne songerait guère, en Occident, à le considérer sous un autre jour. Si l’on fait abstraction des détails pour ne s’attacher qu’à son caractère général, on constate qu’Elie joua un rôle important au cours de l’évolution du monde. Il fut le précurseur de l’impulsion christique. Dès le temps de Moïse, la venue de Dieu dans 23 l’homme avait été annoncée au peuple. « Moi, le Dieu qui fut, qui est et qui sera ! » C’est dans le Moi que le Dieu doit être saisi, mais l’Hébreu ne conçoit encore le moi que dans l’âme du peuple. Elie va plus loin. Il ne dit pas encore clairement que le « Moi » vit dans l’individualité humaine distincte, où il représente le plus haut principe divin; car son peuple ne pourrait le comprendre. Néanmoins, on peut dire que l’évolution fait un saut à ce moment. Sous l’influence de Moïse, on s’était bien rendu compte que le « Moi » représentait le principe supérieur de l’être, mais on ne le voyait se manifester que dans l’âme du peuple. Elie, par contre, fait déjà appel à l’âme individuelle. Cependant la nécessité d’une nouvelle impulsion se fit sentir, et un second précurseur se manifesta en la personne de JeanBaptiste. Celui-ci exprima sa mission dans une parole profonde qui recèle une grande vérité occulte. Les hommes préhistoriques avaient été doués d’une ancienne forme de clairvoyance qui leur permettait de percevoir le monde spirituel et l’action divine. Mais, avec le temps, l’humanité prit de plus en plus contact avec la matière et son regard se ferma au monde spirituel. C’est à quoi Jean- Baptiste fait allusion quand il dit : « Changez votre attitude intérieure. Ne vous tournez plus vers la conquête du monde physique, mais soyez attentifs, car voici que vient une nouvelle impulsion (Il veut dire l’impulsion du Christ.) C’est pourquoi je vous dis qu’il faut que vous cherchiez le monde spirituel au fond de vous-même, c’est là que l’esprit pénètre, avec l’impulsion du Christ. » Voilà comment Jean-Baptiste devint le précurseur du Christ. Envisageons maintenant une autre personnalité remarquable, celle du peintre Baphaël. Elle paraît étrange à qui l’observe. Comparons sa peinture à celle d’autres peintres, également de race latine, qui le suivirent, à celle du Titien par exemple. La différence de leurs œuvres est si grande qu’elle frappe même à travers des reproductions. Baphaël exprime dans sa peinture les idées chrétiennes. Il s’adresse à l’humanité européenne, aux chrétiens d’Occident. Ses œuvres sont accessibles à tous, et le deviendront de plus en plus. Les successeurs de Baphaël, par contre, ne s’adres 25 — sent qu’à la race latine, au point que les dissensions qui sont survenues dans la religion se reflètent dans leurs oeuvres. Quels sont les meilleurs tableaux de Raphaël ? Ce sont ceux qui semblent annoncer les forces contenues dans le Christianisme, ceux qui représentent l’enfant Jésus avec la Madone, qui font naître en nous le sentiment du rapport qui unit le Christ à la Vierge. Tels sont, du reste, les sujets qu’il choisit de préférence. Nous ne possédons de Raphaël aucune Crucifixion; il nous a donné, par contre, une Transfiguration. Toutes les fois qu’il lui est possible d’exprimer l’éclosion, la floraison, la manifestation, il peint avec joie, et il crée ses œuvres les plus grandes, les plus belles. A vrai dire, on peut en dire autant de l’influence qu’exercent ses œuvres. De nos jours, il est impossible, en contemplant un tableau comme la Madone Sixtine, de ne pas sentir que dans ce chef-d’œuvre s’exprime un mystère de l’existence. Et cependant, même au temps de Gœthe, on n’accordait pas encore une grande valeur à cette Madone. Lorsque Gœthe visita la Galerie de Dresde, les conservateurs lui dirent : « Nous possédons également une œuvre de Raphaël, mais elle est sans intérêt. La facture en est mauvaise. Le regard de l’enfant, l’ensemble du corps ont ?9 — quelque chose de vulgaire; et la Vierge ne vaut guère mieux. On dirait l’œuvre d’un écolier. Quant aux têtes figurées au bas du tableau, on ne saurait dire si ce sont des têtes d’anges ou d’enfants ! » Ce jugement grossier empêcha d’abord Gœthe d’apprécier cette œuvre à sa juste valeur. L’opinion devenue générale aujourd’hui ne se développa que plus tard. Mieux comprises, les œuvres de Raphaël furent reproduites et conquirent le monde. Qu’il nous suffise de rappeler ce qu’a fait l’Angleterre pour la reproduction et la diffusion des iableaux de Raphaël. Ils ne seront, cependant, vraiment appréciés que le jour où ils seront considérés à un point de vue occulte. Ainsi Raphaël nous apparaît dans ses œuvres comme l’annonciateur d’un Christianisme qui deviendra international. Le Protestantisme rationnel envisagea longtemps la Vierge comme une figure exclusivement catholique; mais aujourd’hui cette figure a pénétré partout et les hommes s’élèvent peu à peu à une conception plus occulte et à un Christianisme interconfessionnel plus élevé. Si, comme nous avons le droit de l’espérer, cette tendance s’accentue, elle secondera l’Anthroposophie. Il est très remarquable que les trois personnalités que nous venons d’examiner ont toutes joué le rôle de précurseurs du Christianisme. Considérons-les au point de vue occulte. Que trouvonsnous ? Quelque impossible que cela puisse paraître, nous trouvons qu’une seule et même âme vécut en Elie, en Jean-Baptiste et en Baphaël. Comment pouvonsnous expliquer que le peintre Baphaël soit devenu le 27 — porteur de l’individualité qui avait animé Jean-Baptiste ? Pouvons-nous nous représenter que l’âme remarquable du précurseur ait imprégné les forces qui animaient Baphaël ? L’investigation occulte qui intervient ici ne cherche point à émettre des théories, elle fuit les comparaisons superficielles de l’entendement, mais ne fait que rapporter les faits exacts et montre la place qu’ils occupent dans la vie. Que nous apprennent les biographies de Baphaël ? Les meilleures se résument en quelques mots : Baphaël est né le Vendredi-Saint de l’an 1483. Ce n’est pas sans raison qu’il est né un Vendredi-Saint. Déjà par là s’annonce Ja place spéciale qu’il occupa dans le Christianisme et se révèlent les liens profonds et significatifs qui l’attachent aux mystères chrétiens. Notons donc qu’il est né un Vendredi-Saint. Son père s’appelait Giovanni Santi. Baphaël avait onze ans quand celui-ci mourut. Il avait mis son fils en apprentissage, dès l’âge de huit ans, chez un peintre médiocre. La personna- ïité de Giovanni Santi, à qui l’observe de plus près, fait une impression étrange; et cette impression ne peut que s’accroître, lorsqu’on retrouve dans la « Chronique de l’Akasha » sa personnalité et les événements qui l’entourèrent. On constate alors que l’âme qui vivait en lui était très supérieure à ce que sa vie en laissa paraître, et l’on ne s’étonne plus qu’à sa mort 011 ait pu dire : « Un homme plein de lumière, de justice et de foi parfaite vient de mourir. » En tant qu’occultiste, on peut affirmer que le peintre qui vécut en Giovanni Santi était très supérieur à son œuvre. Les qualités extérieures, liées aux organes physiques, étaient insuffisamment développées chez cet 28- artiste. Les qualités de son âme ne purent trouver à s’exprimer entièrement; mais cette âme était réellement celle d’un grand peintre. Raphaël avait onze ans à la mort de son père. Les événements qui suivirent prouvent bien que si l’homme perd son corps au moment du trépas, les inspirations, les impulsions qu’il manifestait durant sa vie, ne continuent pas moins à agir sur le milieu auquel l’attachent des liens assez forts. L’heure viendra où l’on saura rendre la Science spirituelle féconde pour la vie. Déjà ceux pour qui elle a cessé d’être une pure théorie, pour devenir une chose vivante, s’en 29 - rendent compte. Qu’il me soit permis de faire ici une digression, avant de reprendre le problème de Raphaël. Les exemples que je donne au cours de ces conférences ne sont pas théoriques, inventés, mais au contraire toujours empruntés à la vie. Supposez que vous ayez à élever des enfants. Vous observez leurs dispositions et vous découvrez chez chacun d’eux un élément individuel. Seuls les éducateurs peuvent faire l’expérience suivante. Ils pourront constater que si l’enfant perd de bonne heure l’un de ses parents, en sorte que seul son père ou sa mère lui reste, certaines tendances qu’il ne présentait pas jusqu’à ce moment pourront apparaître en lui. L’éducateur ne peut se les expliquer, il est obligé cependant d’en tenir compte. A ce moment, il ferait bien de se souvenir de l’Anthroposophie, et de faire le raisonnement suivant : « On peut tenir pour folie pure tout ce que contiennent les ouvrages anthroposopliiques... Cependant je me garderai de le faire a priori, et j’essaierai plutôt de mettre à l’épreuve leurs enseignements. » Dans le cas présent, il ne tardera pas à se dire : « Je distingue chez cet enfant certaines forces que je trouvais déjà en lui auparavant, et d’autres forces qui me semblent nouvelles et influencent les premières. » Supposons que le père de l’enfant ait franchi le seuil de la mort; il peut se faire que l’une ou l’autre de ses facultés se manifestent maintenant chez son enfant avec une certaine acuité. Savoir reconnaître ce fait et considérer la question sous ce jour, c’est appliquer logiquement à la vie les connaissances de l’Antliroposophie. La vie prend alors un sens que nous ignorions jusqu’alors. Nous comprenons que l’être qui a franchi le seuil de la mort reste uni par ses forces intérieures à ceux auxquels il était lié durant sa vie. Si nous savions observer d’une façon plus précise, nous nous rendrions plus souvent compte des grands changements qui s’opèrent chez les enfants après la mort de leurs parents. Aujourd’hui, on néglige trop ces choses, mais un jour viendra où on les constatera. Revenons à Raphaël. Giovanni Santi mourut alors que son fils était âgé de onze ans. Pendant sa vie, il n’avait pas su, il est vrai, atteindre en peinture un haut degré de perfection, mais il conserva après sa mort sa puissante fantaisie créatrice et en imprégna l’âme de Raphaël. On ne diminue nullement celui-ci en disant que son père continua à vivre en lui et vivifia son âme. La personnalité de Raphaël ne nous en apparaît pas moins grande ni moins complète. Lorsqu’on tient compte des deux facteurs qui interviennent dans la personnalité de cet artiste, d’une part celui de la résurrection dans son âme des forces qui avaient animé Jean-Baptiste, d’autre part l’action en lui des énergies qui étaient latentes en son père, on s’explique l’apparition d’un pareil homme. Sans doute, de nos jours, 011 ne pourrait encore dire publiquement ces choses extraordinaires, mais il est probable qu’on le pourra d’ici une cinquantaine d’années, car l’évolution progresse rapidement et les idées qui régnent aujourd’hui vont à grands pas vers leur déclin. Quand on commence à approfondir ce genre de questions, on comprend que le devoir de l’Anthroposophie est de considérer tout l’ensemble de la 31 — vie sous un angle nouveau. J’ai déjà fait allusion aux principes encore inconnus <| 11 i interviendront bientôt dans le traitement des maladies. De même, 011 verra dans certains faits de la vie, en apparence merveilleux, les effets d’actes émanant du monde spirituel et d’êtres qui ont déjà franchi le seuil de la mort. Pendant que je vous parle des problèmes de la vie, laissez-moi aborder encore deux questions, dont la compréhension nous éclaire tout particulièrement sur le sens de celle-ci. La première a trait au sort réservé aux œuvres de Raphaël. Les reproductions que nous en avons ne nous montrent pas, bien entendu, ces œuvres elles-mêmes. Et, à vrai dire, quand nous contemplons la Madone qui se trouve à' Dresde, ou les tableaux qui sont à Rome, nous n’avons pas non plus devant les yeux l’œuvre véritable de Raphaël, car ces tableaux se sont détériorés au point de ne plus être ce qu’ils furent originellement. Songez à la Cène de Léonard de Vinci et vous ne vous ferez plus d’illusion sur le sort réservé à toute œuvre d’art. Vous arriverez à la triste conviction que toutes les œuvres des grands hommes sont vouées à la disparition. Quel sens, vous demanderez-vous alors, faut-il donc donner à leur création et à leur destruction ? Car, à vrai dire, il ne demeure rien de ce qu’a créé une personnalité. La seconde question sur laquelle je désire attirer votre attention est la suivante : Si l’An- thi’oposophie peut et doit nous servir aujourd’hui d’instrument pour comprendre le Christianisme (je vous ai déjà montré ce que nous entendons par Christianisme), et pour voir en 32— lui une impulsion dont les effets se manifesteront dans l’avenir, n’avons-nous pas besoin de certaines conceptions fondamentales qui nous permettent de saisir la manière dont agit cette impulsion ? Certes, nous en avons besoin, 11 est un fait remarquable, c’est que nous sommes obligés de constater aujourd’hui la nécessité pour le Christianisme d’évoluer; et pour cela l’Anthroposophie est nécessaire. Or, il a existé une personnalité qui a énoncé les vérités de la Science spirituelle sous forme de courtes sentences. Si nous étudions son œuvre, nous serons surpris d’y retrouver un grand nombre des données importantes de l’occultisme. Je veux parler du poète inspiré Novalis. Il a dépeint dans ses œuvres l’avenir du Christianisme, en se basant sur les vérités occultes que renferme le Christianisme lui- même. Or, que nous apprend l’Anthroposo- phie ? Elle nous dit que nous avons à faire ici à la même individualité qui s’était manifestée dans Raphaël, dans Jean-Baptiste, dans Elie. Nous retrouvons chez Novalis cette prévision de l’avenir du Christianisme qui caractérisa les personnalités précédentes. Voilà un fait occulte auquel ne pourrait amener aucun raisonnement logique. Réunissons les diverses images que nous avons successivement évoquées. C’est d’abord le fait tragique que toutes les œuvres créées par de grandes personnalités soient condamnées à disparaître. Raphaël, par son œuvre, fait pénétrer dans les âmes son Christianisme interconfessionnel. Cependant un pressentiment nous dit que sa création est vouée à la mort, que ses œuvres tomberont en poussière. Mais 33 — Novalis paraît, il reprend la tâche, il poursuit l’œuvre commencée, il se remet au travail. Et voici que la certitude de la disparition de l’œuvre ne nous paraît plus aussi tragique. De même que la personnalité se détruit dans ses enveloppes, de même se détruisent ses productions, mais le noyau de l’être survit et poursuit l’œuvre commencée. Nous voici ramenés à l’individualité. Ainsi, nous étant énergiquement attachés à la conception occidentale de la personnalité, la signification de l’individu nous est apparue clairement. Reconnaissons donc combien il était important que l’Orient concentre toute son attention sur le facteur individuel, sur les Bodhisatvas, par exemple, qui ont traversé de nombreuses incarnations; et que l’Occident s’applique à dégager le facteur personnel pour n’arriver qu’ensuite à la reconnaissance de l’individualité. Je suppose que beaucoup d’entre vous se diront : Que pouvons-nous faire d’autre que de croire, lorsqu’on nous rapporte un fait comme celui concernant les personnalités d’Elie, de Jean-Baptiste, de Raphaël, de Novalis ? C’est l’objection de beaucoup d’hommes. Mais de même il est vrai qu’ils ne peuvent que croire la science lorsqu’elle leur affirme, par exemple, que l’analyse spectrale donne à tel métal ou à la nébuleuse d’Orion tel spectre déterminé. Quelques hommes ont pu l’observer, mais les autres, mais la majorité, ne peut que croire. Cependant, le point essentiel, en ce qui concerne FAnthroposophie n’est nullement celui- là. L’important est de se rendre compte que si FAnthroposophie n’est aujourd’hui qu’au début de son développement, elle 34— conduira peu à peu les âmes à découvrir par ellesmêmes des faits du genre de ceux que nous venons de rapporter. A ce point de vue, FAnthroposophie arrivera rapidement à faire progresser l’évolution humaine. Je vous ai donné aujourd’hui quelques aperçus occultes sur la vie. Retenez simplement les trois points essentiels que nous avons envisagés : Nous avons vu que si l’on reconnaît les rapports de la vie avec l’esprit de la terre, on peut donner à Fart de guérir un nouvel essor, et une nouvelle direction. Nous avons constaté, en second lieu, que ce serait une erreur de croire qu’en Raphaël, n’ait agi que sa propre personnalité, et qu’il faut savoir distinguer en lui certaines forces émanant de son père; c’est ainsi seulement qu’on peut le comprendre. Il nous sera clair alors que nous ne saurons élever nos enfants que si nous sommes conscients des forces qui agissent en eux. De nos jours, on admet généralement que nous sommes environnés par une quantité de forces qui influent continuellement sur notre être : l’air, la température, l’ambiance et les autres conditions karmiques, au milieu desquelles nous vivons, et qui, cependant, n’entravent pas notre liberté. Ce sont là des facteurs dont on tient compte, dès à présent. Mais l’Anthroposophie enseignera aux hommes qu’ils sont continuellement environnés de forces spirituelles, qu’ils doivent les étudier et en tenir compte dans de nombreux cas, notamment dans les questions de santé et de maladie, d'éducation et d’existence. Je vais vous en donner un exemple : Voici une personne à qui la mort a ravi un ami. Elle s’aperçoit que 35 — certaines émotions ou certaines idées qui appartenaient à cet ami viennent à présent en elle. Nous avons parlé plus haut de l’action que les morts peuvent avoir sur les enfants. Or, cette influence peut s’exercer à tous les âges, et sans qu’il soit du tout nécessaire que nous ayons conscience de la manière dont agissent sur nous les forces émanant du monde supra-sensible. Notre état d’âme, notre manière d’agir et même parfois notre état de santé s’en trouvent modifiés. Et le champ où s’exercent les rapports entre l’être humain vivant sur le plan physique et le monde spirituel est encore bien plus vaste que nous ne pouvons l’indiquer ici. Je voudrais vous donner un simple exemple de ce que peuvent être ces rapports. Je n’ai pas inventé cet exemple, il a été fréquemment observé. Une personne s’aperçoit, à un moment donné de son existence, qu’en elle naissent des sympathies et des antipathies, qu’elle ignorait jusqu’à ce jour. Elle voit aussi certaines choses, qui lui avaient toujours paru difficiles, lui réussir sans peine. Ni elle, ni ceux qui l’entourent, ne peuvent s’expliquer ce phénomène, et aucun événement de sa vie ne le justifie. Sans doute, faut-il être disposé à observer ce genre de choses. On est alors frappé de voir la personne en question témoigner subitement de certaines connaissances, de certaines capacités qui lui manquaient totalement jusqu’alors. Si, au l'ail des enseignements de l’occultisme, on pousse plus avant son investigation, et que l’on interroge cette personne, il se peut qu’elle vous fasse des déclarations du genre de celles-ci : « Il m’arrive une chose bizarre : Depuis quelque temps, je rêve sans cesse d’une personne que je 36— n’ai jamais rencontrée. Je ne me suis jamais occupé d’elle, et 37 — cependant elle intervient constamment dans mes rêves. » Que l’on poursuive ces recherches, et l’on découvre que la personne dont la première n’a effectivement jamais eu de raison de s’occuper, est morte, et ce n’est que depuis sa mort qu’au sein du monde spirituel elle s’est rapprochée de la première. Quand elle s’en est trouvée assez près, elle s’est montrée à elle comme une figure de rêve; mais c’était ici plus qu’un rêve. Et le vivant se sent poussé par certaines impulsions qu’il ignorait auparavant et qui émanent du mort. Qu’on ne se contente donc pas de dire : Ce n’est là qu’un rêve ! Qu’on cherche plutôt à comprendre le sens de ce rêve. Car il se pourrait qu’il n’ait du rêve que l’apparence, et qu’il soit à vrai dire beaucoup plus proche de la réalité que la conscience extérieure. Quelle importance y a-t-il, en définitive, à ce qu’Edison fasse une découverte en rêve ou à l’état de veille ? L’important est que sa découverte soit réelle et utile ! De même ce qui importe, ce n’est point de savoir si une expérience a eu lieu dans un état de conscience, de rêve, ou à l’état de veille, mais d’établir si elle est réelle ou non. Rassemblons nos conclusions : Lorsqu’on se base sur les connaissances occultes, les rapports de la vie apparaissent sous un jour tout nouveau. Malgré tout leur « bon sens », les matérialistes sont, à ce point de vue, de bien curieux enfants ! En voici une preuve entre mille. Je lisais aujourd’hui, dans le train qui m'amenait ici, la brochure d’un physiologue qui dit à peu près ceci : « On ne peut pas parler d’une attention voulue de l’âme, de son application volontaire à un objet déterminé; car 38 - toute son activité dépend du fonctionnement de certaines glandes cérébrales. Et, comme ce sont les pensées qui établissent la liaison, tout dépend du fonctionnement des différentes cellules cérébrales. On ne peut pas parler d’un effort de l’âme, on ne peut que chercher si certaines relations ont ou n’ont pas été établies dans le cerveau. » Suit alors toute la théorie des cellules cérébrales et son application. Mais que devient en tout cela la logique ? Quand on s’est accoutumé à l’observation exacte des faits et que l’on envisage les solutions que ces grands enfants offrent aux problèmes du sens de la vie, on ne peut s’empêcher de faire la comparaison suivante. Supposons une personne qui vienne nous affirmer que jamais une volonté humaine n’est intervenue dans la distribution des trains à la surface de l’Europe et qu’il serait absurde de le prétendre. Il suffit, dirait cette personne, de considérer les parties composantes et le fonc 39 tionnement de toutes les locomotives pour comprendre leur marche et pour établir toutes les directions qu’elles sont susceptibles de prendre. Or, comme sur toutes les voies il y a des croisements, toutes les locomotives peuvent, en définitive, s’engager sur toutes les voies ! Si les choses se passaient vraiment ainsi, il en résulterait un tourbillonnement désordonné de tous les trains sur les voies ferrées d’Europe. On ne peut pas davantage expliquer la vie des pensées, qui a pour siège les cellules cérébrales, par la constitution de celles-ci. Il va de soi que si des hommes de science, du genre de celui dont je vous parle, assistaient à une conférence sur l’occultisme ou l’Antliroposophie, tout ce qu’ils entendraient leur paraîtrait absurde et fou. Ne ressemblent- ils pas à ceux qui seraient fermement convaincus que jamais une volonté humaine n’est intervenue dans la direction des chemins de fer européens, et que tout dépend du combustible et de l’agencement des machines ? Telle est aujourd’hui la position de l’homme devant le problème du sens de la vie. D’un côté, il lui apparaît très obscur. Mais de l’autre côté, les faits occultes s’imposent à lui. Réunissons toutes les données qui ont été exposées aujourd’hui, et, sur cette base, posons- nous cette question : « Quel est le sens de la vie, de l’existence, tout particulièrement de la vie et de l’existence humaines ? » Croire que la question du sens de la vie pourrait se formuler en ces simples termes : « Quel est le sens de la vie », et pourrait être résolue par une brève 40 — II affirmation : « Ceci ou cela est le sens de la vie », ce serait commettre une grave erreur. Jamais on n’atteindrait ainsi la signification réelle et profonde de cette question, jamais on ne ferait naître dans les esprits l’image de tout ce qui se cache derrière elle de grandiose, de majestueux, de puissant. Sans doute, pourrions-nous répondre par quelque formule abstraite. Tout ce que je vais avoir à vous dire aujourd’hui vous fera sentir combien peu satisfaisante elle serait. On pourrait dire, par exemple, que le sens de la vie réside dans le fait que des entités spirituelles, considérées par nous comme divines, amènent l’homme progressivement à coopérer à l’évolution. Imparfait au début de son développement, incapable tout d’abord de prendre part a l’édification de l’univers, il en acquerrait peu à peu le pouvoir. Voilà une réponse abstraite; en somme elle nous apprend fort peu de chose. Pour parvenir ne fût-ce qu’à pressentir la solution d’une énigme aussi grave, il nous faudra bien plutôt nous efforcer de creuser certains 41 — mystères de la vie. Et pour cela, nous nous appuierons sur les connaissances que nous avons acquises hier et nous essaierons simplement dfintensifieîr encore notre vision. Quand nous contemplons le monde qui nous entoure, nous ne pouvons pas nous contenter d’y voir naître et mourir les choses. Hier déjà, nous avons été frappés des énigmes qui nous assaillent dès que nous essayons de comprendre le sens de toutes ces naissances et de toutes ces morts. Et plus nous poussons notre analyse, plus le mystère grandit. Le phénomène de la naissance présente, en effet, luimême, certaines singularités dont le caractère tragique ne peut manquer de nous frapper, aussi longtemps que nous nous satisfaisons d’un point de vue superficiel sur ces questions. Forts des connaissances que l’observation du monde physique nous a données, jetons un regard sur l’étendue des mers, ou sur tout autre milieu tkms lequel se développe la vie. D’innombra- 1>I< s germes y naissent, mais seul un petit nom -H _ bre d’entre eux atteint la maturité. Représentez-vous la quantité de germes de poissons de différentes espèces qui se déposent chaque année au fond de la mer, qui ne deviendront jamais des êtres vivants complets, mais disparaîtront, au contraire, presqu’immédiatement. Le petit nombre seul atteindra un complet développement. Hier, nous avons constaté que tout ce qui naît est destiné à disparaître. Mais, à présent, un fait nouveau s’impose à nous : du règne illimité des possibilités sans nombre, n’aboutissent que peu de réalisations. Ainsi, le phénomène de la naissance contient déjà en luimême une énigme, puisque ce qui semble s’efforcer vers l’existence ne parvient même pas à naître complètement. Quand nous ensemençons un champ de blé ou de seigle, par exemple, ncms y voyons germer une quantité d’épis. Nous savons que chacun des grains qu’ils contiennent pourrait donner naissance à un nouvel épi. Mais combien atteindront vraiment ce but ? Songez au nombre de grains qui subissent un autre sort et ne réalisent pas leur destin naturel, qui eût été de donner naissance à leur tour à un épi ! Il en est de même dans tous les domaines de la nature. Il semble donc que, pour se réaliser dans sa forme actuelle, la vie précipite dans ce qui nous paraît être l’abîme de l’inutile, d’incalculables germes de vie. Retenons ce fait que tout ce qui vit autour de nous s’élève sur un sol fait des possibilités les plus riches, 45 — mais non réalisées, au sens ordinaire de ce mot. Et voyons là l’une des énigmes que nous propose le monde qui nous entoure. Envisageons à présent un autre côté de la question, côté que seul l’approfondissement des vérités occultes nous permet de découvrir, et qui n’en est pas moins réel. Pourquoi consi- dère-t-on parfois comme dangereuse la voie suivie par l’investigation occulte ? Parce qu’elle introduit l’homme dans un monde qu’il lui est radicalement impossible d’accepter tel qu’il se présente à lui. Supposez qu’une personne s’engage sur la voie occulte, à l’aide de certains moyens que vous connaissez et que j’ai indiqués moi-même dans le livre l’Initiation. Ayant atteint un certain degré du développement occulte, cette personne voit s’éveiller dans son âme ce que j’ai appelé 1’ « imagination ». Vous savez ce que nous entendons par là; c’est l’ensemble des images, des visions qui »’offrent à l’homme sur la voie occulte. Ces images, ces visions lui ouvrent un monde tout nouveau. Quand on poursuit réellement et avec un très grand sérieux cette voie occulte, il arrive, en effet, un moment, où le monde physique s’obscurcit et où l’on voit surgir à sa place un monde d’images mouvantes, d’impressions fluctuantes, de sons, d’odeurs, de saveurs, de lumières. Toutes ces impressions pénètrent dans le champ visuel occulte, et le voyant fait l’expérience de ce que l’on peut appeler la vision imaginative. Les images qui l’environnent de toutes parts forment le monde dans lequel vit son âme. -46- Or, ce serait une erreur très grave que de se fier à la réalité absolue de ce monde. Et c’est ici que le danger commence. Le royaume vivant des images est sans fond pour celui qui ne sait pas s’élever au-dessus de l’imagination jusqu’à «l’inspiration». Seule celle-ci nous dit vers quelle image nous tourner, de quel côté diriger notre regard occulte pour connaître la vérité. Elle nous apprend que le plus grand nombre des images qui nous entourent doivent s’anéantir. Alors seulement, de la masse de ces images, il en surgit une qui se révèle à nous comme une expression de la vérité. Ainsi le chemin occulte nous conduit dans un monde d’incalculables possibilités de visions. Mais il faut que nous poursuivions notre développement jusqu’à devenir capables de 47 - choisir parmi ces visions les seules images qui expriment une réalité spirituelle. Il n’existe pour nous aucune autre sécurité possible. S’il est vrai, direz-vous, que le développement occulte nous fait pénétrer dans un monde de visions d’une richesse infinie, comment distinguerons-nous entre les vraies et les fausses ? Donnez-nous une règle ! Aucun occultiste ne vous en donnera. Il ne pourra que vous répondre : Si vous voulez savoir discerner entre vos visions, poursuivez votre développement. Vous apprendrez alors à ne vous attacher qu’aux visions qui supportent votre regard, car celles-là sont pour vous les vraies; les autres, celles que votre regard éteint, ne sont que mirage. Or, le danger est que beaucoup de personnes se plaisent à tel point au milieu du monde d’images dont elles se trouvent environnées, qu’elles cessent de progresser, qu’elles renoncent à se développer davantage, fascinées qu’elles sont par ces visions. S’abandonner à cette béatitude, à cette débauche de visions, c’est s’interdire tout progrès vers la vérité dans le monde spirituel. Il faut, au contraire, user de tous les moyens dont on dispose pour poursuivre son travail. Alors, du sein des possibilités infinies, s’élève la réalité spirituelle véritable. Comparez les deux faits que nous venons de caractériser : D’un côté, nous avons vu le monde extérieur engendrer d’incalculables germes de vie dont il ne laisse qu’un petit nombre atteindre le but. De 48— l’autre côté, nous avons découvert le monde intérieur où nous conduit la voie de la connaissance. Un monde incommensurable de visions s’offre ici à nous, et nous sommes portés à le comparer au monde des germes sur la terre. Restreint est le nombre des visions élues, comme est restreint le nombre des germes qui arrivent à maturité. Or, il existe une correspondance très réelle entre ces deux ordres de faits; ils sont liés l’un à l’autre. Poursuivons cette idée et demandons-nous si l’on a raison de s’attrister et de se décourager devant la vie qui ne laisse éclore qu’un nombre infime des germes qu’elle renferme, qui ne les laisse naître qu’à demi au monde extérieur ? Faut-il le déplorer ? Avons-nous le droit de prétendre que le monde est en proie à une lutte inexorable entre les êtres, la lutte pour l’existence, et que seul le petit nombre y échappe, comme par hasard ? Revenons à l’exemple concret que nous avions choisi, celui d’un champ de blé, et demandons-nous ce qui arriverait si tous les grains de blé atteignaient leur but et deve- 49 — liaient à leur tour des épis ? Le monde ne serait plus possible, car les êtres qui se nourrissent de ces grains de blé ou de seigle seraient privés de cet aliment. Les hommes n’ont pu parvenir au degré actuel de leur développement que par la destruction d’autres germes, ceux dont nous venons de parler, qui n’ont pas atteint leur but, qui ont, en quelque sorte, succombé au néant, ou à ce qui semble tel, par rapport à la sphère normale de leur évolution. Cependant, il n’y a pas là raison de nous attrister, à moins de nous désintéresser complètement du monde; car, s’il nous importe qu’il demeure, il faut que les êtres — et le monde n’est composé que d’êtres — puissent se nourrir. Pour cela, il faut que d’autres êtres se sacrifient. C’est pourquoi seul un petit nombre de germes de vie atteignent leur but. Les autres suivent des voies différentes. Ils doivent le faire pour que le monde subsiste, et parce que le monde ne peut être sagement ordonné qu’ainsi. Nous sommes donc redevables du monde qui nous entoure au sacrifice de certaines entités qui renoncent à atteindre leur but. Quelle voie suivent ces entités ? Nous les retrouvons dans les autres êtres, dans les êtres qui leur sont supérieurs et dont l’existence exigea leur sacrifice. Nous relevons ici un coin du voile qui recouvre le sens si énigmatique, en apparence, de la vie, — de cette vie qui conduit certains êtres jusqu’au seuil de l’existence, pour les précipiter aussitôt dans le néant. Nous venons de reconnaître que ce phénomène 50— témoigne de la sagesse qui régit l’existence et qu’elle lui emprunte sa signification. Réfléchissons bien à tout cela et nous ne déplorerons plus l’anéantissement en apparence inutile de tant de vies. Revenons au côté spirituel de la question; et à ce que nous avons appelé le monde infini des visions. Il faut que nous nous expliquions sur ce que signifie ce monde. Il ne suffit pas, en effet, de déclarer que les images qui sombrent sont fausses et que celles qui subsistent sont vraies. Ce n’est point dans ce sens que ce monde est faux. Le prétendre serait aussi inexact que de refuser une réalité propre aux germes de vie qui, dans le monde physique, n'arrivent pas à un développement normal. Seule, nous l’avons vu, une infime portion de l’incommensurable vie spirituelle peut entrer dans les limites de notre horizon. Pourquoi cela ? C’est ce « pourquoi » qui va nous mettre sur la voie. Supposons que nous nous abandonnions à la multitude des images qui affluent dans notre âme. Supposons qu’une fois les écluses du monde spirituel ouvertes, le flux des visions nouvelles soit ininterrompu, aillent et viennent, s’élèvent comme des vagues, s’entremêlent; nous deviendrions la proie des images et des impressions qui nous environnent dans le monde spirituel. Observons une personne qui s’abandonne ainsi au monde de ses visions. Une chose nous frappe chez elle. Renonçant à tout développement ultérieur, elle se contente de ses visions et s’en tient à ce qu’elle appelle des expériences spirituelles. En effet, elle passe 51 — par des expérien ces spirituelles, pour elle ce sont des réalités... Mais voici qu’une seconde personne n’ayant pas atteint un développement supérieur à celui de la première, nous communique à son tour ses visions sur le même sujet. Celles-ci sont toutes différentes des premières, en sorte que nous nous trouvons sur le même sujet en présence de deux opinions. Nous pourrions observer des faits encore plus graves. Nous pourrions remarquer que les personnes qui se refusent à dépasser le monde des visions, émettent elles-mêmes, à différents moments, des opinions différentes sur un même sujet. Elles prétendent tantôt une chose, tantôt une autre. En général, ces visionnaires ont malheureusement mauvaise mémoire; ils oublient ce qu’ils ont raconté; aussi ne prennent-ils pas conscience de leurs contradictions. Le nombre des visions possibles est illimité. L’état actuel du moi humain sur la terre ne nous permettrait de juger de la valeur des différentes images qui entrent dans notre champ de vision qu’en nous livrant à des comparaisons sans fin. Même ainsi, nous n’arriverions à aucun résultat appréciable. Etablissons donc en principe que si le monde des visions doit, certes, être considéré comme une révélation de l’esprit, il n’a cependant, a priori, aucune valeur. Quel que soit le nombre de nos visions, elles sont des manifestations de l’esprit, certes, mais elles ne sont pas, a priori, des 52- vérités. Pour en juger, il faudrait commencer par comparer entre elles les différentes visions de chaque voyant et ensuite celles d’un grand nombre de voyants entre elles. Mais cela n’est pas possible. Et il est préférable d’acquérir plus de maîtrise en poursuivant son développement vers 1’ « inspiration ». Voici l’expérience que l’on fait alors : Dès l’instant où les hommes s’élèvent au degré de l’inspiration, leurs déclarations deviennent identiques; il n’y a plus de divergences entre eux, les données de ceux qui ont atteint ce 53 — même degré de développement sont concordantes. Envisageons l’autre côté de la question : En un certain sens, il intéresse également les phénomènes propres au monde extérieur que nous venons d’étudier. Nous avons reconnu que la destruction d’une grande partie des germes vivants est nécessaire à la subsistance du monde. Que faut-il penser des visions et des inspirations que suscite le monde spirituel? Rappelez-vous que les images qui soutiennent notre regard, celles que nous discriminons, possèdent une réalité spirituelle; elles sont plus que de simples représentations, au sens ordinaire du mot. Un fait très important vous le fera comprendre. Je vais vous expliquer le rapport qu’il y a entre les visions que nous avons su discerner et le monde, comme je vous ai expliqué le rapport entre les germes de vie réalisés et les autres. Ces derniers servent de nourriture aux premiers. Qu’en est-il des visions élues, de celles qui deviennent pour l’homme des réalités ? N’allez pas croire que le monde spirituel naisse soudain en nous, au moment où nous devenons clairvoyant, tandis qu’il n’existerait pas chez les autres humains. Ce n’est pas ainsi qu’il faut se représenter le clairvoyant; 52— il ne faut pas croire qu’en lui s’exprime une réalité spirituelle qui ferait défaut à l’âme ordinaire. Bien au contraire; en présence de deux hommes dont l’un est clairvoyant et l’autre ne l’est pas, vous devez vous dire : Ce que perçoit le clairvoyant vit, à vrai dire, dans l’un et l’autre homme; les mêmes impulsions spirituelles les animent tous deux. De même que l’existence d’une rose, par exemple, n’est pas conditionnée par la vision que nous en avons, la réalité qui vit dans l’âme des hommes ne dépend pas de la perception qu’ils en ont. Le clairvoyant ne se distingue des autres que par le fait qu’il voit ce que les autres ne voient pas. On peut donc affirmer que ce que perçoit le clairvoyant existe dans les âmes de tous les habitants de la terre. Pénétronsnous bien de cette vérité. Et passons à présent à un domaine, en apparence très éloigné de celui-ci, mais qui, en réalité, nous ramènera par une autre voie au sujet qui nous occupe. Considérons le règne animal. Il revêt autour de nous les formes les plus diverses, celles du lion, de l’ours, du loup, de la brebis, du requin, de la baleine, etc. Il ne faut pas confondre les conceptions que l’homme se fait de ces animaux avec ce qu’ils sont réellement. Il me suffit de vous rappeler ce que l’Anthroposophie entend par l’âme-groupe. Tous les lions ont une âme commune, l’âme-groupe du lion; tous les loups ont une âme-groupe, celle du loup. Sans doute, il existe des philosophes à tendance abstraite, qui prétendent que le lien unissant entre eux les animaux d’une même 55 — espèce n’est qu’un concept, et que l’essence du loup, par exemple, n’a pas dans le monde de réalité objective. Ils ont tort. Que ceux qui refusent à l’âmegroupe toute réalité objective dans le monde spirituel, réfléchissent au simple fait suivant : Il existe dans la nature certains animaux que nous appelons des loups. Supposons que l’élément psychique qui caractérise cet animal ne soit que la résultante des propriétés de la matière qui le compose. Nous savons que celle-ci se modifie continuellement. L’animal s’assimile constamment de la matière nouvelle, et rejette l’ancienne. De ce fait, la composition de sa matière est sujette à des variations. Mais, — et c’est là un fait très important, — il doit exister dans le loup quelque chose qui transforme la matière assimilée en substance loup. Supposons qu’usant de toute son ingéniosité, la science ait découvert le temps précis qu’il faut au loup pour renouveler toute la matière qui le compose. Supposons, en outre, qu’on enferme un loup pendant toute la durée de ce temps, et qu’on le nourrisse exclusivement d’agneau. Il n’aurait 56- donc absorbé que de la substance d’agneau pendant tout le temps qu’il faut à son organisme pour se renouveler. Si le loup n’était réellement composé que de la matière physique dont est formé son corps, il devrait, au bout de la période fixée, être devenu agneau ! Mais personne ne prétend que pour avoir mangé de l’agneau pendant un temps même très long, le loup pourrait se transformer lui-même en agneau. Les idées que nous nous formons sur les diverses espèces animales correspondent à des réalités, mais celles-ci sont suprasensibles par rapport aux animaux du monde physique. Cette constatation s’applique à tous les animaux. L’âme-groupe est en effet le principe de toute espèce animale. C’est par elle que tel animal est un loup, tel autre une brebis, un lion ou un tigre. Or, l’homme conçoit l’âme-groupe sous forme d’idée. Mais les idées qu’il a généralement du monde animai sont très imparfaites. Cela provient de ce qu’à son stade actuel de développement, il ne pénètre guère dans la profondeur des choses, et ne s’attache qu’à leur côté superficiel. S’il savait les pénétrer davantage, l’idée de loup ne resterait pas pour lui un simple concept abstrait, elle évoquerait en lui un état d’âme correspondant. Et, tout en concevant l’idée de loup, il éprouverait en même temps la nature de cet animal, son avidité sanguinaire; de même qu’il sentirait la patience de l’agneau au moment où il penserait à son espèce. 57 — Pourquoi ne fait-il pas aujourd’hui cette expérience ? Si l’homme ne réalise pas aujourd’hui cette expérience, c’est qu’après que se fussent exercées les influences luciférien- nes, les dieux lui interdirent d’ajouter « la •vie » à « la connaissance ». Je ne puis toucher ici que symboliquement, car cela nous entraînerait trop loin, à cet événement, mais vous lé connaissez déjà. L’homme ne devait pas goûter à «l’arbre de vie». Voilà pourquoi il ne possède que la connaissance des êtres et des choses, mais est incapable d’éprouver la vie qui se cache sous ses concepts. La possibilité ne lui en est rendue que lorsqu’il pénètre par l’occultisme dans le royaume de la vie. Il n’a pas alors seulement le concept abstrait, mais il vit dans ce qu’on pourrait appeler « l’avidité sanguinaire du loup », par exemple, ou « la patience de l’agneau ». Vous devez comprendre combien ces deux manières de connaître diffèrent. Lorsque notre âme imprègne ainsi les idées de sa substance même, tout commence à lutter en nous. Néanmoins, il faut que l’occultiste s’élève jusque-là, qu’il atteigne à l’épanouissement vivant de' ses concepts. Ceux-ci s'animent alors et une image du monde animal tout entier vit désormais en lui. La vie est plus facile pour l’homme qui n’est pas clairvoyant, direz-vous. Mais ne vous ai-je pas déjà fait remarquer qu’à ce point de vue-là, le clairvoyant ne se distingue pas d’un autre homme ? Le monde qui vit en lui vit également en l’autre; seulement le premier le perçoit et l’autre pas. Le monde dont nous parlons vit 58— réellement tout entier dans l’âme de chacun de nous, mais l’homme ordinaire ne le perçoit pas. L’influence de ce monde intérieur ne s’en exerce pas moins sur lui, elle s’élève du tréfond de son âme, elle le rend inquiet, elle le jette dans le doute, elle l’attire dans un sens ou dans l’autre, elle détermine ses instincts et ses passions. Le fait qu’une telle influence ne franchisse pas le seuil de la conscience, ne se manifeste que par des faiblesses, n’implique pas sa non-existence. Cette disposition particulière de sa nature attache l’homme au monde, elle provoque en lui certains sentiments, qui prennent possession de son âme, y luttent, donnent à ses rapports avec les êtres de la nature et les autres hommes un caractère d’une exceptionnelle gravité. S’il n’en était pas ainsi, le règne animal tel que nous le connaissons aurait, à un certain point de vue, atteint sur la terre la fin de son évolution. Tout progrès ultérieur lui serait impossible. Les âmesgroupes des animaux qui nous entourent ne pourraient pas poursuivre leur développement dans les incarnations à venir de la terre. Leur position serait bizarre. Ces âmes-groupes animales — excusez la comparaison, mais elle vous fera comprendre ma pensée, — seraient dans la situation d’un royaume d’amazones, dont l’entrée serait à jamais interdite aux hommes. Ce royaume serait condamné à s’éteindre sous sa forme humaine. Sans doute, spirituellement, il ne mourrait pas, car les âmes des amazones entreraient dans un autre domaine. Cependant, l’état d’amazone disparaîtrait. C’est ainsi que »’éteindrait l’état d’âmes- 59 — groupes animales si rien n’existait en dehors de lui. En effet, ces âmes-groupes ont besoin d’être fécondées pour franchir le cap de l’évolution terrestre, et gagner l’incarnation suivante de la terre, celle du futur Jupiter (1). Pour atteindre cette étape jupitérienne, il est nécessaire qu’elles soient fécondées par l’élément que je vous ai décrit. Cette fécon- (1) Voir : Rudolf Steiner : La Science occulte. dation aura pour conséquence dans l’avenir l’extinction des formes animales terrestres, mais elle permettra aux âmes-groupes de reparaître sur Jupiter, où elles recevront une forme adaptée à leur existence supérieure et pourront réaliser le degré suivant de leur évolution. Quelle est donc l’œuvre qui s’accomplit à travers l’homme, tandis qu’il évoque dans son esprit les formes des âmes-groupes ? Il crée ainsi les germes fécondants de ces âmes-groupes, il leur permet de poursuivre leur évolution. Ainsi le règne animal nous montre déjà que sous l’influence de sa perception extérieure, l’homme développe en lui-même certaines impulsions qui constituent des germes fécondants de l’âme-groupe animale. Ces impulsions naissent par l’effet d’une provocation extérieure. Tel n’est pas le cas des visions du clairvoyant. Celles-ci ne sont pas dues à la perception extérieure, pas même celle d’entre elles qu’il 60— élève au rang de vision élue. Elle a sa raison d’être dans le monde spirituel, et vit dans l’âme de l’homme. N’allez pas croire, surtout, que le fait qu’un petit nombre de grains de blé se développe jusqu’à l’épi, tandis que le reste est consommé, que ce fait soit sans importance pour le monde spirituel. Pendant que le grain de blé 61 — est consommé, l’élément spirituel qui lui est attaché se transmet à l’être humain. Le clairvoyant qui observe les innombrables germes de poissons contenus dans la mer, distingue ceux qui sont destinés à atteindre leur plein développement de ceux que guette l’anéantissement physique. Tandis que les premiers n’émettent de l’intérieur que de petites flammes, les seconds donnent naissance à de puissants jeux de lumière. Leur partie spirituelle est d’autant plus importante qu’ils sont destinés à moins se développer physiquement. Il en est de même des grains de blé ou de seigle livrés à la consommation. Tandis que leur partie matérielle est broyée et moulue, une force spirituelle se dégage de ces grains et remplit l’atmosphère. Le clairvoyant qui observe une personne mangeant du i»iz, par exemple, voit pendant qu’est assimilée la partie matérielle des grains, les formes spirituelles qui leur étaient unies, jaillir et former comme des courants. Ce phénomène est loin d’être simple au regard de l’occultiste, surtout quand l’aliment absorbé n’est pas végétal. Mais je ne veux pas aujourd’hui m’étendre sur ce sujet. C’est ainsi que les activités spirituelles s’allient entre elles. Tout ce qui semble s’anéantir abandonne, en réalité, au milieu, son élément spirituel. Cet élément spirituel s’unit effectivement aux visions qui prennent vie dans l’âme du clairvoyant, et forment son monde intérieur. Les visions rejetées par l’inspiration constituent un principe fécondant pour l’être spirituel issu des germes de vie qui n’ont pas atteint leur but, il leur permet de poursuivre leur -62- évolution. Par l’activité qu’il développe, notre être intérieur se trouve donc dans un rapport constant avec le monde extérieur et coopère avec lui. Ce monde extérieur serait voué à !a destruction, il cesserait de progresser, si nous ne lui apportions notre participation spirituelle. Le monde qui nous environne possède lui aussi son principe spirituel, mais il est incomplet, et représente, pour ainsi dire, une demi-spiritualité. Celle-ci ne peut se perpétuer qu’à la condition d’être fécondée par notre propre vie spirituelle. L’idée des choses qui vit dans notre esprit est loin d’être une simple reproduction abstraite de ces choses. Elle en est, au contraire, une partie intégrante. Celle-ci s’unit à leur réalité extérieure et leur permet de poursuivre leur évolution. De même qu’en magnétisme ou en électricité les courants du pôle positif et ceux du pôle négatif doivent se joindre pour qu’un effet soit produit, de même les forces qui se développent en nous, dans le inonde de l’imagination, doivent s’unir à celles qu’émettent les entités de la nature qui, en apparence, s’anéantissent. Enigmes étonnantes, mais qui s’éclairent peu à peu et qui nous montrent comment collaborent les règnes intérieur et extérieur ! Embrassons d’un regard le monde qui nous entoure et évoquons, en même temps, les visions élues qui vivent dans notre âme. Celles-ci sont seules valables pour nous, elles servent à notre développement 63 — intérieur. Les autres, par contre, celles qui s’élèvent dans le champ sans limite de notre vie visionnaire, et qui doivent disparaître, ne tombent pas dans le néant, mais dans le monde extérieur qu’elles fécondent. Les visions que nous avons sélectionnées servent à notre propre évolution, les autres nous quittent et s’unissent dans le monde qui nous entoure à la vie qui n’a pas atteint son but. De même que l’être vivant se nourrit d’êtres qui ne se sont pas réalisés dans la vie, de même notre esprit doit se nourrir de ce qu’il ne donne pas au monde extérieur pour le féconder. Ce phénomène a donc lui aussi sa raison d’être. Tout ce qui/à chaque ins 64— tant, naît au monde spirituel, mourrait, si nous ne renoncions pas à la majorité de nos visions, pour ne retenir que celles que nous désigne notre inspiration. Abordons à présent le second danger que comporte la vie imaginative. Que fait l’homme qui accepte comme vraies toutes ces visions, quels que puissent être leur afflux et leur diversité, l’homme qui se refuse à choisir les visions tfui ont seules une valeur pour lui et à en rejeter le plus grand nombre ? Que fait-il ? Spirituellement, il agit comme un homme qui, au lieu de consacrer à l’alimentation le plus grand nombre des grains de blé récoltés, les sèmerait tous. Avant peu, la terre ne suffirait plus à porter le blé, mais, par contre, les êtres y périraient faute de nourriture. L’homme qui ne veut pas renoncer à une seule de ses visions et les accepte toutes comme valables, agit de même. Et comme la terre entière serait bientôt envahie par le blé, ainsi l’âme qui ne choisit pas parmi ses visions est submergée par elles. Voilà comment nous devons diriger nos visions et comment le inonde visionnaire doit s’unir au monde extérieur, afin de permettre le progrès de l’évolution. Observons à présent l’homme lui-même. Mettons-le en présence d’un animal. Considérant l’âme-groupe, il prononce le mot : «loup». Autrement dit, ii forme dans son esprit le concept de loup, et au moment où il prononce ce mot, une image surgit en lui. Celui qui n’est pas clairvoyant ignore la substance spirituelle de cette image, il ne connaît que l’idée abstraite. Mais la 65 — vie substantielle de l’image qui naît spirituellement en lui, s’unit à l’âme-groupe et la féconde. Si l’homme ne le nommait pas, le règne animal comme tel s’éteindrait. Il en est de même du règne végétai. Or ce rôle n’appai'tient ni aux animaux ni aux anges. Ceux-ci ont d’autres tâches. A l’homme seul appartient la mission de faire naître dans la nature qu’il contemple les germes spirituels fécondants qui s’expriment dans le « nom ». Ainsi c’est l’homme qui détient toute possibilité de progrès. Et maintenant, retournons au point de départ que nous avions choisi hier. Les anges serviteurs demandèrent à Javeh ou Jéhovah pourquoi il voulait créer l’homme. Car ils n’en pouvaient comprendre la raison. Alors Jéhovah rassembla les animaux et les plantes et il demanda aux anges de les lui nommer. Mais les anges en furent incapables. D’autres tâches, avons-nous dit, leur sont réservées. Mais l’homme connut le nom des animaux et des plantes. Javeh démontra ainsi aux anges qu’il avait besoin de l’homme, puisque sans lui la création périrait. Grâce à lui, au contraire, tout ce qui avait atteint un état de stagnation, tout ce qui avait besoin d’un nouvel élan pour poursuivre l’évolution, l’a trouvé. Voilà pourquoi à la création devait être ajouté l’homme. Par lui seul, pouvaient naître les germes fécondants spirituels qui s’expriment dans le « Nom ». Ce n’est donc pas en vain qu’il est placé vivant dans la création. Imaginez l’homme disparu, les règnes 66— intermédiaires devraient renoncer à poursuivre leur développement. Leur destin serait celui d’un monde végétal qui resterait non fécondé. C’est par l’introduction de l’homme dans la vie de la terre qu’a été construit le pont qui relie le monde passé au monde à venir. C’est à l'homme qu’a été confié le principe du « Nom », qui lui permet de progresser lui-même avec toute la création. A la question du sens de la vie, nous ne nous sommes pas contentés de donner une réponse abstraite, bien que celle-ci soit contenue dans ce que nous avons dit. L’homme est devenu le collaborateur des êtres spirituels. Sa nature même l’y disposait. Son existence est nécessaire, car sans lui la création cesserait d’être. Celui qui a conscience d’y participer se sent coopérer à l’œuvre divine. Désormais, il connaît aussi la raison d’être de son monde intérieur; comme il sait pourquoi existe en dehors de lui le monde des étoiles, des nuages, des règnes de la nature et la vie spirituelle qui s’y rattache. Car maintenant il reconnaît que ces deux mondes se complètent et que l’évolution n’est possible que par leur action réciproque. En dehors de nous, dans l’espace, s’étend l’incommensurable univers. Au dedans de nous-même vit le monde de notre âme. Nous ignorons que notre vie intérieure rayonne au dehors de nous, et qu’elle s’unit à tout ce qui vit dans le monde ! Nous ne voyons pas que nous sommes nousmêmes le théâtre de cette union. En nous se trouve, pour ainsi dire, l’un des pôles, et l’autre pôle est dans le monde extérieur; de leur union naît l’évolution du monde. La raison d’être de l’homme réside dans la part qu’il prend à cette œuvre. Notre état de conscience normal nous laisse assez ignorants de ces choses. Mais à mesure que notre connaissance s’étend, nous devenons plus conscients d’être, si cette comparaison m’est permise, le lieu où le pôle positif et le pôle négatif du monde échangent leurs forces opposées et s’unissent de manière à permettre 68— l’évolution. Le monde occulte nous apprend que nous représentons le point d’équilibre de ces forces. Nous sentons que le monde spirituel et divin se concentre en nous et s’unit au monde extérieur, ces deux mondes se fécondant ainsi l’un l’autre. Savoir que nous sommes ie théâtre où s’affrontent ces forces et savoir que nous participons de leur jeu, c’est être capable de reconnaître notre rôle véritable dans la vie et de saisir pleinement le sens de notre existence. Nous ne le pouvons qu’ainsi, et c’est en pénétrant de plus en plus profondément dans la Science spirituelle que nous acquérons la pleine conscience de ces choses. Or, c’est sur cette conscience que repose la seule véritable magie. Tandis qu’il est interdit à la conscience ordinaire de connaître les forces spirituelles qui sont en l’homme et qui peuvent s’unir à celles du monde extérieur, il est permis à la conscience « magique » de les percevoir. Celui qui la possède développe volontairement en lui-même l’élément nécessaire au monde extérieur. Voilà pourquoi cette conscience exige une certaine maturité. Il faut, en effet, que les échanges entre les deux mondes ne s’effectuent pas dans le désordre, car dès que nous nous élevons à un état de conscience supérieur, notre vie intérieure devient pour nous une réalité. Elle ne nous apparaît illusoire qu’aussi longtemps que nous demeurons à l’état de conscience ordinaire. Notre destinée est de participer de la spiritualité divine. Pourquoi devons-nous le faire d’une certaine 69 — façon ? Notre vie a-t-elle un sens si nous ne sommes qu’une sorte d’appareil compensateur de forces contraires ? Celles-ci ne pourraient-elles se compenser sans notre participation ? Un raisonnement très simple va nous éclairer sur ce point. Admettons que nous ayons affaire à une masse d’énergie dont une partie réside en dedans de nous, et l’autre dehors. Notre rôle ne consiste nullement à les mettre en présence. Tout d’abord nous les maintenons séparées. Mais il dépend de nous qu’elles s’unissent. Sachons méditer cette pensée, en elle s’évoquent les plus profonds mystères. Les dieux nous offrent le monde sous l’aspect d’une dualité : en dehors de nous se trouve la réalité objective, en nous la vie de l’âme. Nous les connaissons l’une et l’autre, nous fermons le courant, nous relions les deux pôles. Ce phénomène se passe en nous, il se joue sur le théâtre de notre conscience. Or, c’est ici qu’intervient ce que nous appelons la liberté. C’est au cours de cette action que nous devenons des entités indépendantes. La construction de l’univers ne doit point demeurer pour nous un simple spectacle; nous devons, au contraire, la considérer comme une œuvre à laquelle nous sommes invités à participer. Il est vrai que la pensée que nous abordons ici est pour le monde difficile à comprendre, même sous la forme philosophique. C’est sous cette forme que j’ai essayé de la présenter, il y a de nombreuses années, dans un petit livre : Vérité et Science. J’ai essayé, dans cet ouvrage, 70— de démontrer que la perfection des sens agit la première et que la vie intérieure s’éveille à sa suite, mais que leur communion est nécessaire, que leur coopération est indispensable. C’était là l’expression philosophique de l’idée que je vous expose ici. A cette époque, je n’essayais pas encore de révéler les mystères occultes qu’elle recèle. Mais le monde ne la saisit pas, même sous sa forme philosophique. Comprenons que notre vie a un sens et quel est ce sens. Devenons des acteurs dans le drame du monde. Le monde est divisé en deux camps opposés et nous sommes placés entre eux pour amener leur union. Ne vous imaginez pas que cette œuvre ait des limites etroites. J’ai connu un auteur qui, dans l’un de ses articles, déclarait que l’évolution du monde exigeait que l’homme demeurât toujours au même point, et dans la même ignorance. Il ne serait pas convenable, d’après cet auteur, que la raison humaine parvienne à pénétrer les énigmes même les plus ordinaires de la vie. Car, une fois résolues, il ne resterait à l’homme plus rien à faire ! Il faut donc que le doute subsiste toujours, et que tout demeure imparfait. Celui qui parle ainsi ne se doute même pas que le jour où notre conscience normale actuelle aura atteint ses limites, elle aura progressé elle-même. Une nouvelle faculté se manifestera alors qui lui imposera une nouvelle tâche et, partant, un nouvel équilibre de forces. Pendant combien >!e temps ? Jusqu’au jour où l’homme sera parvenu à ressusciter en sa conscience la conscience 71 - divine. Maintenant que nous commençons à soupçonner la grandeur vraiment illimitée de l’énigme, nous pouvons nous élever jusqu’à lui donner une réponse, sachant qu’en nous prennent vie les germes fécondants d’un monde spirituel qui ne saurait progresser sans nous. Désormais, ayant élargi les bases de notre compréhension, nous pouvons nous attaquer à la question du sens de la vie et dire : Jadis régnait la conscience divine. Elle était dans son incommensurabilité. Et ce fut le commencement de l’existence. Cette conscience divine créa des images d’elle-même. En quoi ces images différaient-elles de la conscience divine elle-même ? En ce qu’elles étaient multiples, tandis que la conscience divine est une. En ce que, de plus, elles étaient vides, tandis que la conscience divine est d’une plénitude infinie; de telle sorte que les images étaient multiples, mais elles étaient vides, comme était vide le moi humain en face du moi divin riche de tout un monde. Mais ce moi devint le théâtre où s’unissent constamment les trésors divins divisés en deux camps opposés. Et tandis que dans la conscience vide s’équilibrent ainsi constamment les forces, elle s’emplit toujours davantage ellemême de ce qui, primitivement, formait le contenu de la conscience divine. Et l’évolution progresse. La conscience individuelle s’enrichit de ce qui était à l’origine contenu dans la conscience divine et le progrès s’accomplit à travers les individualités en qui 72— s’établit l’équilibre. La conscience divine a-t-elle besoin de cela pour son évolution ? Ceux qui n’ont pas encore tout à fait compris le sens de la vie, se poseront cette question. Non, la conscience divine n’a pas besoin de cela ! Elle possède tout en soi. Mais elle est généreuse. Elle accorde à un nombre illimité d’êtres tout ce qu’elle renferme en elle-même. Afin d’accéder à ces richesses, toutefois, il faut qu’ils parviennent à recréer en euxmêmes la conscience divine. Alors apparaît multiple ce qui jadis fut un à l’origine de l’évolution du monde et ce qui retourne à l’unité par la voie de la divinisation. A vrai dire, l’évolution de l’homme a toujours revêtu le caractère que je viens de décrire. Elle le possédait au temps de Saturne, comme au temps du Soleil et de la Lune. Aujourd’hui, je vdus ai montré dans quel sens elle continue à le développer sur la Terre. A l’époque de Saturne, le même processus engendra la première ébauche du corps physique et exerça en même temps une action fécondante en dehors de l’homme. A l'époque solaire, le corps éthérique s’ébaucha à son tour. Et ce processus se poursuit ainsi, toujours le même, mais en se spiritualisant de plus en plus. Dans le monde extérieur, il reste de moins en moins de choses à féconder. Dans l’avenir, à mesure que l’homme se développera davantage, la force fécondante s’exercera de plus en plus sur la vie intérieure et de moins en moins au dehors. Et l’homme finira par posséder en lui-même ce qui, à l’origine, existait au 73 - dehors de lui. Le monde extérieur deviendra le monde intérieur de l’homme. L’intériorisation, voilà l’autre côté de l’évolution. Unir le divin au monde extérieur, intérioriser celuici, tels sont les deux buts que poursuit l’évolution humaine. Les hommes deviendront de plus en plus semblables au divin et de plus en plus intérieurs. Dans la phase du futur Vulcain, enfin, toute la nature sera fécondée. Tout ce qui, aujourd’hui, est encore extérieur, sera devenu intérieur. La divinisation, c’est l’intériorisation. Voilà le but et voilà le sens de la vie. Pour comprendre ces choses, il ne faut pas amonceler dans son esprit les concepts abstraits. Il faut pénétrer dans sa réalité concrète l’idée ci-dessus exposée. Il faut à tel point s’en imprégner et en ressentir toutes les particularités, qu’en prononçant le nom d’un animal ou d’une plante, on réveille en soi une force capable d’unir le principe contenu dans le nom au germe animal ou végétal et de l’aider ainsi à poursuivre son évolution dans le monde spirituel. Nos conceptions sur l’univers ont besoin de se développer et de se perfectionner. Qu’a fait le Darwinisme, à cet égard ? Il a parlé de la lutte pour l’existence, mais il n’a pas considéré l’évolution des êtres qui paraissent vaincus et anéantis. Seuls ceux qui atteignent leur but l’ont intéressé. Or, les autres, ceux qui disparaissent, dégagent une spiritualité qui prouve que le vainqueur du combat physique n’est pas seul à se développer. Toute vie qui s’anéantit en 74— apparence, évolue rapidement. Voilà le fait important. Rien, pas même ce qui est vaincu, pas même ce qui est absorbé, n’est annihilé; tout est fécondé spirituellement, tout renaît en esprit. Que de choses ont disparu au cours de révolution de la terre et de l’homme, sans que celui-ci ait pu intervenir. Considérez toute l’évolution qui a précédé le Christianisme. Nous avons vu en quoi elle a consisté. L’homme, issu du monde spirituel, est descendu dans le monde physique. Certaines facultés qu’il possédait jadis ont disparu, comme disparaissent les germes vivants qui n’atteignent pas leur but. Du tronc de l’évolution humaine, que de branches ne voyons- nous pas se détacher et tomber dans l’abîme ! Mais, pendant que se poursuit l’évolution extérieure de la vie et de la culture humaine, et que toutes ces choses s’anéantissent en apparence. l’impulsion du Christ se développe au sein du monde spirituel. De même qu’éclôt dans l’âme humaine le germe fécondant du monde qui l’entoure, l’impulsion du Christ 75 - se développe et c’est elle qui fera renaître tout ce qui semble avoir succombé au cours de l’évolution humaine. Le Mystère du Golgotha a eu lieu. C’est la force qui vient d’en haut féconder tout ce qui a paru s’anéantir. Une transformation s’accomplit au sein des choses en apparence mortes, détachées du divin, tombées dans l’abîme. L’impulsion du Christ jaillit et les féconde ! Depuis le mystère diu Golgotha, nous assistons, au sein de l’évolution humaine, à une renaissance, à une reprise de la marche en avant; elle est due à la puissance fécondante de l’impulsion christique. C’est ainsi que nous voyons se réaliser jusque dans cet événement suprême de l’évolution humaine, la polarité dont nous avons retrouvé partout le principe. A notre époque s’épanouissent les germes de culture qui s’étaient anéantis au cours de l’ancienne civilisation égyptienne, mais qui, à vrai dire, couvaient au sein de l’évolution terrestre. L’impulsion christique les a fécondés et nous assistons à présent à une renaissance de la culture chaldéo-égyptienne. La culture qui suivra la nôtre ressuscitera de même la culture de l’ancienne Perse, lorsqu’à son tour elle aura été fécondée par l’impulsion du Christ. Dans la septième période, enfin, reparaîtra, sous une forme nouvelle, la plus antique culture hindoue, — essor spirituel suprême, issu des saints Rishis, qui sera fécondée par la force du Christ. Ainsi, dans le courant continu de l’évolution humaine, nous pouvons également distinguer deux principes opposés, celui de l’être intérieur et celui de l’être extérieur, principes que nous avons appris à connaître dans l’homme : intérieur et extérieur, principe de l’âme et principe physique, se fécondant mutuellement. L’action christique s’exerce partout. Pendant que se poursuit, d’un côté, le développement des civilisations sur la terre, le mystère du Golgotlia introduit, d’autre part, dans ce développement, l’impulsion du Christ émanant des mondes spirituels. Tel est le sens de la vie du Christ : la terre doit participer des mystères cosmiques, comme l’homme individuel doit participer des mystères divins. La polarité qui préside à l’évolution de l’homme, préside donc également à celle de la terre. Tels deux pôles contraires, se sont développés la Terre et le principe supérieur qui ne s’est uni à elle qu’au moment du mystère du Golgotha. Le Christ et la Terre sont liés l’un à l’autre. Afin de s’unir un jour, ils devaient se développer d’abord séparément, tels deux pôles. D’une façon générale, pour qu’une chose se réalise, il faut qu’elle commence par différencier ses polarités; leur réunion ultérieure amène alors un progrès dans la vie. Voilà le sens de la vie. Lorsque nous considérons ce fait, une certitude naît en nous, c’est celle de faire partie d’un monde qui ne serait point sans nous. Un profond mystique, Angelus Silesius, a prononcé jadis une étrange parole; au premier abord, elle peut paraître déconcertante: « Je sais, a-t-il dit, que sans 77 — moi aucun dieu ne peut vivre; si je me trouvais annihilé, il devrait de misère rendre l’esprit ». Les Chrétiens orthodoxes peuvent s’élever contre une semblable parole; pourtant le fait historique réel devrait les faire réfléchir. Angelus Silesius, avant même de s’être converti au Catholicisme, afin, disait-il, de se tenir sur un terrain tout à fait chrétien, était déjà un homme très pieux. Pourtant il prononça cette parole. Qui le connaît, ne peut admettre qu’elle soit le signe d’une impiété. Tout ce qui existe, avons-nous vu, est régi par un principe d’opposition, de polarité. Or, toute réunion des pôles contraires serait impossible si l’on imaginait l’homme disparu; car l’homme est au centre de tout, et il est indispensable au tout. Lorsque l’homme pense, le monde pense en lui. Il n’est que le lieu où s’assemblent les pensées. De même en est-il de son sentiment et de son vouloir. Et nous voici capables de comprendre les paroles de l’homme qui, tourné vers l’espace, s’écrie : « Le divin me remplit, le divin est le principe qui doit s’unir en moi au germe de la terre. En moi, est le sens de la vie ! » Les dieux se sont proposés certains buts. Ils ont choisi le lieu où ces buts seraient atteints. L’âme humaine est ce lieu. C’est pourquoi, pour peu qu’elle descende assez profondément en elle-même et qu’elle cherche la solution des énigmes du monde, non seulement dans les espaces infinis, mais au dedans d’elle- même, elle trouve là le lieu où les dieux accomplissent leur œuvre. L’homme participe à cette œuvre. Dans le drame intitulé : « L’épreuve de l’Ame », j’ai voulu montrer comment les dieux agissent à l’intérieur de l’homme, comment l’âme humaine réalise le sens du monde et le fait vivre en soi. Car le sens du monde prend vie dans l’homme. Quel est- il ? J’ai cherché à l’exprimer dans les paroles suivantes, paroles que l’âme se dit à elle- même : Dans ta pensée vivent des pensées cosmiques. Dans ton sentiment se trament des forces cos[miques. Dans ton vouloir œuvrent des êtres cosmiques. Perds-toi dans les pensées cosmiques. Eprouve-toi par les forces cosmiques. Crée-toi de la substance des êtres de volonté. Aux 79— lointains des mondes ne t’arrête pas en un jeu rêveur de pensées; Prends ton essor dans l’infini des espaces spirituels, et plonge jusque dans les profondeurs de ta propre âme. En te connaissant toi-même en toi, iu déchiffreras les desseins des dieux. (1). Lorsqu’on veut exprimer une vérité et non pas simplement une opinion, il faut toujours puiser aux mystères occultes. Ce fait est d’une extrême importance. C’est pourquoi on ne doit pas comparer les termes employés dans les œuvres occultes, qu’elles soient en prose ou en vers, avec ceux dont usent les autres ouvrages. L’on ne peut écrire une œuvre vraiment occulte, inspirée par les vérités cosmiques et par les mystères du (1) Ce drame n’a pas encore été publié en français. monde, qu’en laissant les pensées cosmiques s’exprimer à travers son âme, qu’en se laissant enflammer par les sentiments cosmiques, et non par ses propres sentiments, qu’en laissant les « êtres de volonté » créer en soi. L’un des rôles que doit remplir le mouvement anthroposophique est celui de nous apprendre à distinguer entre les harmonies issues des mystères cosmiques et les œuvres qu’inventent la fantaisie ou le caprice des hommes. A mesure que l’évolution progressera, l’âme apprendra à remplacer l’invention personnelle par l’éclosion d’un élément qui formera, pour ainsi dire, en elle, l’un des pôles, auquel correspondra dans l’univers un pôle spirituel. Les œuvres qui seront créées de cette manière donneront à leur tour naissance à des germes fécondants qui s’uniront à des forces spirituelles. Elles auront leur raison d’être dans le processus du monde. Le sentiment de notre responsabilité par rapport aux œuvres que nous créons se transforme complètement quand nous nous rendons compte qu’elles doivent devenir des germes fécondants et ne pas demeurer des germes stériles. C’est pourquoi elles doivent être issues des profondeurs de l’âme du monde. Comment atteindrons-nous ce but ? demanderezvous. Par la patience. Il faut tuer progressivement en nous-même tout orgueil personnel. Car celui-ci nous entraîne forcément à ne créer que des œuvres personnelles, au lieu de laisser en nous parler le divin. Comment le reconnaîtrons-nous ? Tuons tout ce qui ne vient pas de nous-mêmes, et avant toute chose toute préoccupation d’orgueil. Alors naîtra en nous la véritable polarité, alors pourront éclore dans notre âme les véritables germes fécondants. L’impatience est la plus mauvaise conseillère. C’est elle qui gâte le monde. Lorsqu’on atteint à l’état que nous venons de décrire, on reconnaît que le sens de la vie se trouve réalisé dans la fécondation de l’extérieur par l’intérieur. Mais on reconnaît clairement aussi que lorsque l’être intérieur 81 — ne remplit pas les conditions voulues, il sème dans le monde de faux germes fécondants. Il en résulte des créations avortées. Notre culture moderne est riche en avortons de ce genre. En voici un exemple : Dans tous les pays du monde s’écrivent de nos jours beaucoup d’œuvres en prose et en vers. Or, un auteur fameux du dix-huitième siècle s’écriait déjà : « Un seul pays produit de nos jours cinq fois plus de livres que n’en demanderait un tiers de la terre ! » Que dirait-il aujourd’hui ! Ces productions entourent notre civilisation actuelle d’entités spirituelles qui ne sont pas viables. Elles ne naîtraient pas si les hommes étaient plus patients. Cette patience, lorsqu’elle se développera, deviendra elle aussi une sorte de pôle dans l’âme humaine, elle empêchera de se ruer vers des productions qui ne sont que des émanations de l’orgueil el de l’égoïsme. Ne prenez pas ce que je vous dis pour uue leçon de morale, n’y voyez que l’expression d’un fait. Car c’est un fait que l’orgueil n’engendre dans nos âmes que les germes d’œuvres spirituelles avortées. Les repousser, puis peu à peu les transformer, telle sera la tâche d’un avenir encore lointain. Il appartient à l’Anthroposophie de l’accomplir. Le sens même de la vie exige, en effet, que la conception anthroposophique du monde lui soit en quelque sorte incorporée, de manière à ce que par elle la raison d’être de chaque chose soit révélée et que la vie er tière apparaisse pleine de sens. L’occultisme veut apprendre à l’homme qu’il est lié au sens de la vie et qu’en toute vérité il peut se dire : Dans ta pensée vivent les pensées cosmiques. Dans ton sentiment se trament des forces cosmiques. 83 — Dans ton vouloir œuvrent des êtres cosmiques. Perds-toi dans les pensées cosmiques. Eprouve-toi par les forces cosmiques. Crée-toi de la substance des êtres de volonté. Aux lointains des mondes ne t’arrête pas en un jeu rêveur de pensées; Prends ton essor dans l’infini des espaces spirituels, et plonge jusque dans les profondeurs de ta propre âme. En te connaissant toi-même en toi, tu déchiffreras les desseins des dieux. Voilà le sens de la vie. Voilà comment il est nécessaire que nous le comprenions. El voilà ce que j’ai voulu vous exposer en ces deux conférences. Pénétrezvous bien de ces choses, imprégnez-en votre esprit, alors les êtres qui ont atteint déjà la divinité les feront fructifier dans vos âmes. Attribuez ce que ces considérations ont pu avoir d’ardu, au fait que le destin ait voulu que nous épuisions en deux courtes conférences un sujet aussi important que celui du sens de la vie. Bien des points n’ont pu être qu’effleurés, il vous appartient de les approfondir, C’est ici encore une sorte de polarité : une certaine impulsion est donnée, il faut qu’elle soit élaborée dans la méditation. Toute notre activité commune acquérera par là un sens, une plénitude tels, qu’il établira comme un échange entre nos âmes. C’est ici l’essence de l’amour véritable; c’est ici encore un 84 - équilibre de polarités : les pensées de l’Anthroposophie n’atteignent les âmes que si elles y éveillent l’autre pôle et qu’un équi libre s’établit entre elles. Alors naît une sorte de «musique des sphères». Travaillons harmonieusement dans le monde spirituel et si nous sommes vraiment entrés dans la vie philosophique, nous serons unis. Je voudrais que notre réunion d’aujourd’hui soit comprise dans ce sens. Elle est une expression de l’esprit d’amour qui doit régner parmi nous, anthroposophes. Et l’amour qui enflamme nos âmes nous aidera à échanger nos biens spirituels. Grâce à lui, non seulement nous nous enrichirons de plus en plus, mais nous sentirons de plus en plus de courage pour accomplir l’effort spirituel. Alors l’An- throposophie deviendra la propagatrice de cet amour qui touche au plus profond de l’âme humaine et qui, ainsi, ne s’éteindra pas. Lorsque, membres de la société anthropo- sophique, nous serons obligés de nous sépa- 1er dans l’espace, notre amour demeurera et son rayonnement s’étendra des moments où le Karma nous réunit sur ceux où nous nous trouvons dispersés dans le monde physique. Et nous demeurerons unis. Le fait de nous être efforcés ensemble, à l’aide de nos meilleures facultés spirituelles, vers les hauteurs divines, nous incitera plus que toute autre chose au monde à demeurer unis par le meilleur de nos âmes. FIN 86—