Uploaded by marariudoru

00-Sens-de-le-vie-GA-155-fr

advertisement
Rudolf STEINER
DU SENS DE
LA VIE
Deux Conférences des
Bagneux, par Villeneuve-sur-Allier (Allier)
23 et 24 Mai 1912
Du courage des combattants,
Du sang des batailles,
Des souffrances de la séparation, Lèvera une
moisson spirituelle Si des âmes, conscientes du
but, Tournent leur regard vers l’Esprit.
RUDOLF STEINER.
DU SENS DE LA VIE
Deux conférences de Rudolf Steiner traduites en
français avec l’autorisation de Mme Marie Steiner,
d’après une sténographie non revue par l’auteur. — Tous
droits réservés.
I
« Quel est le sens de la vie ? » Telle est la question
que je voudrais examiner avec vous, au cours de ces
deux conférences. La fréquence, l’insistance avec
laquelle cette question est posée, prouve qu’elle est de
celles qui préoccupent au plus haut point les esprits.
Avant d’y répondre, il faut que nous établissions les
bases sur lesquelles pourront s’édifier les
connaissances qui, bien que seulement esquissées ici,
nous permettront de la résoudre.
Que nous considérions le monde extérieur
accessible à nos sens, ou que nous nous tournions vers
notre monde intérieur, nous nous lu-lirions partout à
une même énigme angois- snnlc cl <|ili paraît
insoluble.
Tous les êtres de la nature naissent et meu- K-III.
Chaque année, au printemps, la terre, fécondée par les
forces du soleil et de l’univers, fait éclore les plantes,
qui verdoient et bourgeonnent et dont l’été mûrit les
fruits. Quand vient l’automne, nous voyons ces plantes
se flétrir. Quelques-unes d’entre elles subsistent, il est
vrai, pendant de longues années, certains arbres, par
exemple. Mais, bien qu’ils nous survivent, nous savons
qu’ils n’échapperont pas à la mort; ils disparaîtront et
tomberont dans ce qui constitue, au sein de la grande
nature, le règne de l’inanimé. Nous n’ignorons pas non
plus que la naissance et la mort régissent jusqu’aux
grands phénomènes de la création. Les continents euxmêmes, sur lesquels se développent aujourd’hui les
différentes civilisations, n’existaient pas, nous le sa-
vons, à des époques antérieures. Ils ont surgi •ni cours
des temps et nous ne pouvons douter qu’ils
s’effondreront un jour.
Ainsi, où que nous regardions, partout autour de
nous, nous retrouvons ces deux grands phénomènes de
la naissance et de la mort, dans le règne végétal comme
dans le règne minéral, et dans le règne animal. A tout
moment, quelque chose apparaît ou disparaît « - autour
de nous. Quelle est la signification de toutes ces
naissances et de toutes ces morts ?
Tournons-nous vers l’être humain et considérons
notre propre existence au cours des années écoulées :
là encore nous retrouvons la naissance et la mort.
Nous songeons à notre jeunesse; la voici disparue, seul
son souvenir persiste. Avec angoisse, nous nous
demandons ce qui est résulté des actes que nous avons
accomplis. Certes, l’essentiel est que nous ayons
progressé un tant soit peu en les accomplissant; qu’ils
nous aient rendus plus sages. En général, ce n’est
qu’après avoir accompli un acte que nous comprenons
comment nous aurions dû agir et que nous aurions pu
faire mieux. Mais il est trop tard, nous ne pouvons
revenir en arrière. En sorte que nous insérons
véritablement dans notre vie toutes les fautes que
nous avons commises. Or c’est précisément par nos
fautes, par nos erreurs, que nous acquérons nos plus
précieuses expériences.
Une question se pose donc pour nous, et il semble
bien que ce ne soient ni les perceptions de nos sens, ni
les données de notre intelligence qui nous permettront
d’y répondre. A l’heure actuelle, la position de
7
-
l’homme devant le monde est telle que ce monde
éveille en lui une question angoissante, primordiale: o
Quel esl le sens de la vie ?» Et une seconde cpieslion,
non moins troublante : «Pourquoi lev (Mrcs humains
participent-ils de cette vie, d'une manière qui leur est
particulière ?»
Il existe une ancienne tradition hébraïque, fort
intéressante. Elle prouve qu’en ces temps reculés, on
avait conscience que ces deux «l andes questions ne se
posent pas à l’homme seul, mais encore à' d’autres
êtres. Voici cette très instructive légende :
Les Elohim allaient se mettre à l’œuvre pour créer
l’homme à leur image, quand ceux (|ii’on appelle les
anges serviteurs des Elohim, autrement dit certains
esprits d’un ordre inférieur au leur, posèrent à Javeh
ou Jéhovah la question suivante : « Pourquoi faut-il
que les hommes soient créés à l’image et à la
ressemblance de Dieu ?» — Alors, nous rapporte la
légende, Javeh rassembla les plantes et les animaux
qui existaient avant ([lie l’homme ne fût apparu sous
sa forme terrestre et il réunit également les anges
serviteurs, c’est-à-dire ceux qui lui obéissent directement. Il leur montra les plantes et les animaux et il
leur demanda de les lui nommer. Mais les anges en
ignoraient les noms. Alors
.............
lut créé, tel qu’il était avant le péché
originel. ICI Javeh rassembla à nouveau les anges, les
animaux et les plantes. Et, en présence des anges, il dit à l’homme de nommer les
animaux qu’il ferait défiler devant lui. Et voici que
l’homme sut dire le nom de chacun d’eux et celui de
H —
toutes les plantes. Enfin Jéhovah demanda à l’homme :
« Quel est ton propre nom ? » Et l’homme répondit : «
Mon nom sera Adam ». (Le mot Adam se rattache à «
adama » et signifie : fait de limon terrestre.) «Et
comment dois-je être nommé?» interrogea Jéhovah.
L’homme répondit : « Tu dois être nommé Adonaï, tu
es le maître de tous les êtres créés sur la terre. » Les
anges pressentirent alors pourquoi l’homme avait dû
apparaître sur la terre.
Les traditions religieuses expriment souvent sous
des formes très simples les énigmes les plus
importantes de la vie. La difficulté n’en subsiste pas
moins pour nous, car il faut savoir pénétrer cette
simplicité pour atteindre le sens caché. Alors, de
grandes connaissances et une profonde science se
dévoilent dans ces légendes. Il nous suffisait, pour le
moment, d’évoquer celle-ci. Nos deux conféi'ences répondront aux questions qu’elle suscite.
Vous n’ignorez pas qu’il est une religion de l’Orient
où le problème du sens et de la valeur de la vie a revêtu
une forme grandiose. Vous connaissez tous l’histoire
du Bouddha fuyant le palais où l’avait placé sa
naissance, et
'
,/
■
■
découvrant les réalités de la vie qui lui étaient restées
dissimulées, au cours de cette incarnation.
Profondément bouleversé, il prononce cette sentence :
« La vie est souffrance, » — qui se décompose, vous le
savez, dans les quatre propositions suivantes : «
Naître, c’est souffrir; être malade, c’est souffrir;
vieillir, c’est souffrir; mourir, c’est souffrir », — auxquelles il faut encore en ajouter trois autres :
« Etre uni à ceux qu’on n’aime pas, c’est souffrir; être
séparé de ceux qu’on aime, c’est souffrir; ne pas
9
-
atteindre le but qu’on poursuit, c’est souffrir».
Vous savez aussi que pour cette religion, le sens de
la vie s’exprime en ces termes : « La mort et la
souffrance ne prennent un sens que lorsqu’elles sont
vaincues, lorsqu’elles se dépassent elles-mêmes ».
A vrai dire, toutes les religions et toutes les
philosophies sont des tentatives pour répondre à la
question du sens de la vie. Nous ne l’aborderons pas ici
sous sa forme abstraite et philosophique. Nous
chercherons plutôt à mettre en relief quelques-unes
des manifestations de la vie, en nous servant de la
connaissance occulte. Nous essaierons de les comprendre et de voir si l’occultisme, en pénétrant plus
profondément dans les choses, nous fournit des
éléments utiles à la solution du grave problême qui nous occupe. Reprenons la question à un point que
nous avons déjà effleuré et considérons la naissance et la mort au
sein du règne végétal. Chaque année, au printemps, nous voyons
surgir les plantes de la terre, nous les voyons germer et fleurir et
nous en éprouvons de la joie, car nous sentons que toute notre
existence est liée à celle du monde végétal, sans lequel nous ne
saurions subsister. En automne, par contre, cette nature, dont
notre être participe jusqu’à un certain point, retombe dans la
mort.
Nous pourrions être tentés de comparer la vie végétale à notre
propre vie. Si nous nous contentions d’une observation
superficielle, il nous serait facile, en effet, de comparer l’éclosion
printanière de la nature à notre réveil matinal, par exemple; et
l’automne, l’époque où les plantes se fanent, au soir, quand nous
nous endormons. Mais ce ne serait là qu’un point de vue tout à
fait superficiel et qui ne tiendrait pas compte des faits que nous
révèlent les connaissances même les plus élémentaires de
10
—
l’occultisme.
\y< )
Que se passe-t-il, en effet, en nous, au moment où nous nous
endormons ? Nous savons que notre corps astral et notre moi
abandonnent alors notre corps physique et notre corps éthérique
pour vivre, jusqu’au moment de
notre réveil, dans un monde spirituel, où ils puisent de
nouvelles forces. Or, ce ne sont pas seulement notre
corps astral et notre moi, mais également notre corps
physique et notre corps éthérique qui se réparent, en
quelque sorte, durant la nuit, tandis qu’ils reposent,
séparés des autres principes de notre être.
Lorsque le clairvoyant observe depuis son moi, le
corps astral, le corps éthérique et le corps physique, il
reconnaît les dégâts occasionnés en eux pendant le
jour, et il voit que la fatigue en est l’expression. En
somme, toute notre vie consciente du jour, si on la
considère par rapport à la conscience humaine en
général et dans sa relation avec les corps physique et
éthérique, est une sorte de processus destructif de ces
corps, qui a pour effet la fatigue. Au cours de la nuit,
tout ce qui a été détruit en nous est restauré.
Observons ce qui se passe dans nos corps physique
et éthérique, au moment où notre corps astral et notre
moi les quittent. Nous constaterons qu’ils laissent
derrière eux comme un champ dévasté. Mais dès que
la sépara- îion s’est effectuée, les corps abandonnés
commencent à se reconstituer. Leurs foi'ces propres
entrent en jeu et il semble que tout fleurisse, que tout
bourgeonne, comme si une végétation entière naissait
de ce sol dévasté. PI
11
—
la nuit s’avance, plus le sommeil se prolonge, et plus
cette végétation grandit et se développe. Puis, quand
vient le matin et que le corps astral et le moi réintègrent
les corps physique et éthérique, le phénomène inverse a
lieu, et c’est comme si se fanaient et se desséchaient
toutes les plantes.
En d’autres termes, pour le moi et le corps astral qui
les observent du sein du monde spirituel, le corps
physique et le corps éthérique sont, le soir, au moment
où ils s’endorment, le théâtre d’un phénomène analogue
à celui du printemps au sein de la grande nature. Ainsi,
si nous approfondissions notre comparaison, c’est, en
vérité, le moment où nous nous endormons, où nous
nous livrons au sommeil de la nuit, que nous nous
rapprocherions du printemps, tandis que nous
percevrions l’analogie entre l’automne et le réveil, à
l’instant où notre corps astral et notre moi se réunissent
à nouveau aux principes inférieurs de notre être. Cette
comparaison-ci est conforme à la réalité, et non point la
première, qui reste superficielle. Pour nous, le
printemps correspond au sommeil et l’automne au
réveil.
Voyons, à présent, ce que découvre l’occultiste éclairé
d’une véritable clairvoyance spirituelle, lorsqu’il observe
le cours annuel de la nature. Les résultats de son
investigation nous prouvent à quel point nous devons
nous méfier des analogies purement apparentes et
rechercher le sens profond des choses. Le clairvoyant
découvre, en effet, que si, outre son corps physique et
12—
son corps éthérique, l’homme a encore un corps astral et
un moi, la terre, elle aussi, possède un principe spirituel.
Elle est également un corps, un vaste corps. Ne tenir
compte que de celui-ci est aussi faux pour la terre que
pour l’homme. Nous ne nous ferons d’elle une idée
exacte que si nous la considérons comme le corps
d’entités spirituelles, au même titre que le corps de
l’homme est l’organe d’un esprit. Il y a, cependant, une
différence : Chez l’homme, les corps physique et
éthérique sont régis par un seul être, par un principe
psycho-spirituel unique. Au contraire, une multitude
d’esprits animent, à première vue, le corps de la terre.
Ce qui est unité chez l’homme est multiplicité pour la
terre. C’est là une différence essentielle, par ailleurs la
ressemblance est complète.
Il apparaît au regard du clairvoyant qu’au printemps,
au moment où les plantes germent et éclosent, les
Esprits de la terre quittent celle- ci. Ils ne s’en éloignent
cependant pas complètement, comme c’est le cas des
principes spirituels de l’homme, pendant son sommeil.
Les Esprits de la terre se déplacent. Lorsque l’été
13
-
commence au nord, ils émigrent vers l’hémisphère
sud. Il n’en est pas moins vrai que l’occultiste, qui vit
dans une région déterminée de la terre, les voit
s’éloigner au printemps, il les voit s’élever dans le vaste
univers et non point se déplacer simplement vers l’autre
hémisphère. Pour lui, l’impression est la même que
lorsqu’il voit le corps astral et le moi quitter le corps
physique et le corps éthérique de l’homme qui s’endort.
(1).
En hiver, par contre, lorsque la terre est recouverte
de neige et de glace, ces forces sont unies à elle. Elles lui
sont rendues en automne. Et la terre présente alors
réellement une sorte de soi-conscience semblable à celle
de l’homme.
Pendant l’été, son principe spirituel ignore ce qui se
passe dans l’univers qui l’entoure; mais, en hiver,
l’Esprit de la terre le sait, de même que l’homme qui
veille voit et sait ce qui se passe autour de lui. Ainsi
l’analogie est parfaite, mais elle est exactement à
l’inverse de celle qu’un point de vue superficiel serait
tenté d’établir.
Sans doute, si nous prenons en considéra-
(1) Voir Rudolf Steiner : «Les Fêtes Cardinales». Ed. de lu Science
spirituelle.
tion tous les côtés de la question, nous ne pouvons pas
nous contenter de dire qu’au moment où commence
l’éclosion printanière, les Esprits de la terre quittent la
planète. En effet, d’autres esprits, plus puissants,
entrent en activité dès que la végétation commence à
—
1!>
s’animer. Ils semblent surgir des profondeurs cachées de
la terre. C’est pourquoi les mythologies anciennes
distinguaient les dieux d’en haut et les dieux d’en bas.
Par dieux d’en haut, ils ne désignaient que ceux qui
s’éloignent au printemps et reviennent en automne. Les
autres, plus puissants, plus anciens, étaient mis par les
Grecs au nombre des dieux « Chtoni- ques». Ce sont
ceux qui s’élèvent en été, au moment où s’épanouit la
nature, et qui se replongent dans la terre quand arrive
l’hiver et que les Esprits de la terre proprement dits
s’unissent à elle comme à leur corps.
Tels sont les faits. Mais je voudrais, à présent, attirer
votre attention sur une pensée (jue font naître l’étude de
la nature et l’investigation occulte, et qui est d’une
immense importance pour la vie humaine. Tout ce qui
précède prouve, n’est-il pas vrai, que l’homme est bien
réellement une image de la grande entité terrestre ellemême. Nous avons reconnu la correspondance qui
existe entre l’éclo- sion printanière du règne végétal et le
moment
où l’homme s’endort. Or, il est essentiel de connaître
cette correspondance, lorsqu’on veut établir les rapports
que les plantes possèdent avec le corps humain et la
signification qu’elles ont pour lui. C’est, il faut le dire, un
fait réel d’observation : l’homme qui s’endort offre au
regard du clairvoyant averti l’image d’une véritable
germination, d’une éclosion, d’une floraison, dont son
corps physique et son corps éthérique deviennent le
théâtre. Et le voyant reconnaît que l’homme est, en
vérité, un arbre, ou plutôt un jardin dans lequel
poussent des plantes. En étudiant occultement ce
phénomène, il se rend compte de la correspondance qui
existe entre l’éclosion, l’épanouissement intérieurs de
l’être humain et ces phénomènes dans la nature.
Imaginez les conséquences que ces connaissances
pourront avoir dans l’avenir, lorsque la Science spirituelle qui, de nos jours, est encore trop souvent
considérée comme une simple absurdité, sera appliquée
à la vie et rendue féconde.
Supposez, par exemple, un homme malade. Au
moment où il s’endort, et où commence le déploiement
végétal des forces du corps physique et du corps
éthérique, le clairvoyant qui l’observe voit quelles sont
les espèces de plantes qui lui manquent. Quand, sur un
point quelconque de la terre, on constate l’absence
complète d’une espèce végétale, on sait qu’il faut en
incriminer la nature du sol. Il en est de même pour
l’homme endormi. Si l’on constate en lui l’absence de
certaines espèces végétales, on peut y remédier en
cherchant dans la nature les plantes qui lui manquent et
en lui en donnant le suc sous forme diététique ou
17
—
médicinale, selon le cas. Voilà comment, par la nature
intime de leurs forces, on peut établir le rapport réel du
remède avec la maladie.
Ceci est un exemple de l’influence que l’Antroposophie, la Science spirituelle, auront sur la vie dans
l’avenir. Mais ce mouvement n’est encore qu’à son
début. Par cette comparaison, je vous ai donné comme
une sorte de « pensée de la nature », touchant certains
rapports intérieurs de l’homme avec ce monde qui
l’environne, dont il fait partie lui-même et avec lequel
son être entier est en relation.
Transportons-nous maintenant dans le domaine
spirituel, Mais je voudrais tout d’abord attirer votre
attention sur un point très important :
Lorsque l’Anthroposophie se propose d’étu- dier
l’évolution de l’humanité à l’aide de la Science
spirituelle, et de déchiffrer le sens de l’existence, elle n’a,
a priori, aucune prédilection pour une confession ou
pour une philoso
18—
phie quelconque. Nous considérons qu’il est essentiel
de revenir sur les étapes anciennes, sur le
développement que l’humanité suivit et les étapes
qu’elle a traversées, après que la catastrophe
atlantéenne eût ravagé la terre. La première grande
civilisation qui succéda à cette catastrophe fut celle de
l’Inde antique. Nous avons déjà parlé ici de cette
civilisation, et nous avons montré qu’elle fut si haute,
que même les Védas, ou traditions écrites parvenues
jusqu’à nous, n’en sont qu’un faible écho. L’antique
sagesse qui fleurit à cette époque ne peut, à vrai dire,
être retrouvée que dans la chronique akashique (1).
L’humanité n’a jamais connu depuis lors la hauteur
spirituelle qu’elle atteignit alors.
Aux époques suivantes incombait une tâche toute
différente. Nous savons qu’il se fit, à partir de la
première civilisation, une descente qui s’est continuée
jusqu’à notre époque. Mais nous n’ignorons pas non
plus qu’elle doit être suivie d’une renaissance et que la
Science spirituelle a pour mission de préparer celle-ci.
Dans la septième et dernière civilisation post-
( I ) Ou Chronique de l’Akasha, expression qui sert à désigner
l'cnHcmble des traces que laissent dans le monde spirituel I I I I I H les
événements qui sont vécus ou réfléchis dans la notiNcience. — N. D. L. E.
allantéenne, il se produira comme une sorte de
rénovation de l’antique et sainte culture hindoue. C’est
ainsi que nous n’accordons aucune préférence à une
conception religieuse particulière; nous appliquons à
toutes la même mesure : nous nous efforçons d’en com19
—
prendre le caractère et nous cherchons en elle, le noyau
de vérité qu’elles renferment. Or, ce qui nous importe,
c’est précisément de saisir le caractère essentiel et
particulier de chacune d’elles. Considérées à ce point de
vue, elles témoignent de deux tendances fondamentales
bien distinctes. Certaines religions et philosophies
présentent, en effet, un caractère plus nettement
oriental, d’autres, au contraire, sont plus imprégnées de
culture occidentale. Essayons d’approfondir cette
différence, elle nous fournira certaines données capables
de nous éclairer sur le sens de la vie.
Les anciens possédaient une connaissance que nous
reconquérons aujourd’hui à grand peine, c’est celle du
«retour à l’existence». Pour la mentalité orientale, je le
répète, cette conception est toute spontanée, toute naturelle; elle s’élève en quelque sorte des profondeurs
même de la vie, et il est facile de constater à quel point
elle domine encore aujourd’hui loute la vie de l'Orient.
Considérez, par exemple, le sentiment de l’Oriental à
l’égard de ses Bodliisatvas et de ses Bouddhas. Il ne tend
guère à accorder une importance spéciale à tel être
particulier, revêtu d’un certain nom, et à en faire la
puissance dirigeante de l’évolution humaine. Pour lui, il
est infiniment plus important de poursuivre l’individualité à travers ses vies successives.
D’après les Orientaux, il y aurait un certain nombre
de Bodhisatvas, hautes Entités d’essence humaine, qui
se seraient élevés peu à peu jusqu’à un degré supérieur
d’évolution. Un être qui a traversé un grand nombre
d’incarnations et qui est devenu Bodhisatva, comme ce
fut le cas pour Gautama, le fils du roi Sudhodhana,
20—
s’élève encore pour devenir Bouddha. Ainsi, la
désignation de Bouddha n’appartient pas à un seul être,
à Gautama. Elle s’applique à tous ceux qui, après avoir
traversé de nombreuses incarnations, sont devenus
d’abord Bodhisatva, pour atteindre ensuite la dignité
supérieure, qui est précisément celle de Bouddha. Le
nom de Bouddha est un terme générique, qui désigne
une dignité humaine et présuppose un principe psychospirituel, ayant passé par un grand nombre
d’incarnations. Sur ce point, le Brahmanisme concorde
entièrement avec le Bouddhisme. Toute l’importance est
donnée par ces deux religions au principe individuel qui
se mani- fcste à travers des personnalités différentes,
don! l’intérêt est secondaire. En effet, que le Bouddhiste
dise : Le Bodhisatva est destiné à s’élever à la plus haute
dignité à laquelle puisse aspirer l’être humain, il l’atteindra lorsqu’il aura traversé un grand nombre
d’incarnations, et cette dignité suprême est celle de
Bouddha; — ou que le Brahma dise : « Les Bodhisatvas
sont, en effet, des êtres d’une haute évolution, qui
s’élèveront encore pour devenir Bouddha; mais ils
descendent des Avatars, ou individualités spirituelles
supérieures » ; le résultat est le même. La considération
du principe spirituel imprègne également ces deux
conceptions orientales.
Tournons-nous, à présent, vers l’Occident et
cherchons ce qui lui donne son caractère de grandeur et
de puissance. C’est dans l’antique conception hébraïque
qu’il nous apparaîtra avec le plus de profondeur. Cette
religion s’est, en effet, concentrée sur la considération
de l’élément personnel.
21
—
Que nous parlions de Platon, de Socrate, de MichelArtge, de Charlemagne ou de tout autre homme, c’est
toujours leur personnalité que nous avons en vue, nous
relatons leur vie, vie circonscrite et déterminée, nous
cherchons ce qu’ils ont apporté à l’humanité. En
Occident, nous ne nous attachons pas au courant de vie
22—
qui se transmet d’une personnalité à l’autre. Car la
mission de la culture occidentale a été précisément de
concentrer toute l’attention de l’homme, pendant un
certain laps de temps, sur la valeur d'une existence.
Quand on parle de Bouddha, en Orient, on sait que ce
ternie désigne une dignité commune à plusieurs personnalités. Par contre, quand nous prononçons le nom
de Platon, par exemple, nous ne l’appliquons qu’à une
seule personnalité. C’est ainsi que devait être instruit
l’Occident. Il était nécessaire que le principe personnel
fût mis en valeur et fût apprécié avant tout.
Yenons-en à notre époque actuelle et demandonsnous quelle attitude nous devons prendre devant cette
série de faits ? S’il est vrai que la culture de l’Occident
devait, pendant un certain temps, élever l’humanité
dans le respect de l’élément personnel, l’heure est venue,
à présent, d’ajouter au principe personnel le principe
individuel, « l’individualité ». Mais cette individualité
que nous devons reconquérir doit être accrue et fortifiée
par la mise en jeu du principe personnel.
Prenons un cas particulier. Tournons-nous vers la
conception hébraïque du monde, qui a précédé celle de
l’Occident, et considérons un être comme le prophète
Elie. Cherchons d’abord à le caractériser sous son aspect
personnel. On ne songerait guère, en Occident, à le
considérer sous un autre jour. Si l’on fait abstraction des
détails pour ne s’attacher qu’à son caractère général, on
constate qu’Elie joua un rôle important au cours de
l’évolution du monde. Il fut le précurseur de l’impulsion
christique.
Dès le temps de Moïse, la venue de Dieu dans
23
l’homme avait été annoncée au peuple. « Moi, le Dieu
qui fut, qui est et qui sera ! » C’est dans le Moi que le
Dieu doit être saisi, mais l’Hébreu ne conçoit encore le
moi que dans l’âme du peuple. Elie va plus loin. Il ne dit
pas encore clairement que le « Moi » vit dans
l’individualité humaine distincte, où il représente le plus
haut principe divin; car son peuple ne pourrait le
comprendre. Néanmoins, on peut dire que l’évolution
fait un saut à ce moment. Sous l’influence de Moïse, on
s’était bien rendu compte que le « Moi » représentait le
principe supérieur de l’être, mais on ne le voyait se
manifester que dans l’âme du peuple. Elie, par contre,
fait déjà appel à l’âme individuelle. Cependant la nécessité d’une nouvelle impulsion se fit sentir, et un
second précurseur se manifesta en la personne de JeanBaptiste. Celui-ci exprima sa mission dans une parole
profonde qui recèle une grande vérité occulte. Les
hommes préhistoriques avaient été doués d’une
ancienne forme de clairvoyance qui leur permettait de
percevoir le monde spirituel et l’action divine. Mais,
avec le temps, l’humanité prit de plus en plus contact
avec la matière et son regard se ferma au monde
spirituel. C’est à quoi Jean- Baptiste fait allusion quand
il dit : « Changez votre attitude intérieure. Ne vous
tournez plus vers la conquête du monde physique, mais
soyez attentifs, car voici que vient une nouvelle
impulsion (Il veut dire l’impulsion du Christ.) C’est
pourquoi je vous dis qu’il faut que vous cherchiez le
monde spirituel au fond de vous-même, c’est là que
l’esprit pénètre, avec l’impulsion du Christ. » Voilà comment Jean-Baptiste devint le précurseur du Christ.
Envisageons maintenant une autre personnalité
remarquable, celle du peintre Baphaël. Elle paraît
étrange à qui l’observe. Comparons sa peinture à celle
d’autres peintres, également de race latine, qui le
suivirent, à celle du Titien par exemple. La différence de
leurs œuvres est si grande qu’elle frappe même à travers
des reproductions. Baphaël exprime dans sa peinture les
idées chrétiennes. Il s’adresse à l’humanité européenne,
aux chrétiens d’Occident. Ses œuvres sont accessibles à
tous, et le deviendront de plus en plus. Les successeurs
de Baphaël, par contre, ne s’adres
25
—
sent qu’à la race latine, au point que les dissensions
qui sont survenues dans la religion se reflètent dans
leurs oeuvres.
Quels sont les meilleurs tableaux de Raphaël ? Ce
sont ceux qui semblent annoncer les forces contenues
dans le Christianisme, ceux qui représentent l’enfant
Jésus avec la Madone, qui font naître en nous le
sentiment du rapport qui unit le Christ à la Vierge. Tels
sont, du reste, les sujets qu’il choisit de préférence. Nous
ne possédons de Raphaël aucune Crucifixion; il nous a
donné, par contre, une Transfiguration. Toutes les fois
qu’il lui est possible d’exprimer l’éclosion, la floraison, la
manifestation, il peint avec joie, et il crée ses œuvres les
plus grandes, les plus belles.
A vrai dire, on peut en dire autant de l’influence
qu’exercent ses œuvres. De nos jours, il est impossible,
en contemplant un tableau comme la Madone Sixtine,
de ne pas sentir que dans ce chef-d’œuvre s’exprime un
mystère de l’existence. Et cependant, même au temps de
Gœthe, on n’accordait pas encore une grande valeur à
cette Madone. Lorsque Gœthe visita la Galerie de
Dresde, les conservateurs lui dirent : « Nous possédons
également une œuvre de Raphaël, mais elle est sans
intérêt. La facture en est mauvaise. Le regard de
l’enfant, l’ensemble du corps ont
?9 —
quelque chose de vulgaire; et la Vierge ne vaut guère
mieux. On dirait l’œuvre d’un écolier. Quant aux têtes
figurées au bas du tableau, on ne saurait dire si ce sont
des têtes d’anges ou d’enfants ! » Ce jugement grossier
empêcha d’abord Gœthe d’apprécier cette œuvre à sa
juste valeur. L’opinion devenue générale aujourd’hui ne
se développa que plus tard. Mieux comprises, les œuvres
de Raphaël furent reproduites et conquirent le monde.
Qu’il nous suffise de rappeler ce qu’a fait l’Angleterre
pour la reproduction et la diffusion des iableaux de
Raphaël. Ils ne seront, cependant, vraiment appréciés
que le jour où ils seront considérés à un point de vue
occulte.
Ainsi Raphaël nous apparaît dans ses œuvres comme
l’annonciateur d’un Christianisme qui deviendra
international. Le Protestantisme rationnel envisagea
longtemps la Vierge comme une figure exclusivement
catholique; mais aujourd’hui cette figure a pénétré partout et les hommes s’élèvent peu à peu à une conception
plus occulte et à un Christianisme interconfessionnel
plus élevé. Si, comme nous avons le droit de l’espérer,
cette
tendance
s’accentue,
elle
secondera
l’Anthroposophie.
Il est très remarquable que les trois personnalités que
nous venons d’examiner ont toutes joué le rôle de
précurseurs du Christianisme.
Considérons-les au point de vue occulte. Que trouvonsnous ? Quelque impossible que cela puisse paraître,
nous trouvons qu’une seule et même âme vécut en Elie,
en Jean-Baptiste et en Baphaël. Comment pouvonsnous expliquer que le peintre Baphaël soit devenu le
27
—
porteur de l’individualité qui avait animé Jean-Baptiste
? Pouvons-nous nous représenter que l’âme
remarquable du précurseur ait imprégné les forces qui
animaient Baphaël ? L’investigation occulte qui
intervient ici ne cherche point à émettre des théories,
elle fuit les comparaisons superficielles de l’entendement, mais ne fait que rapporter les faits exacts et
montre la place qu’ils occupent dans la vie.
Que nous apprennent les biographies de Baphaël ?
Les meilleures se résument en quelques mots : Baphaël
est né le Vendredi-Saint de l’an 1483. Ce n’est pas sans
raison qu’il est né un Vendredi-Saint. Déjà par là
s’annonce Ja place spéciale qu’il occupa dans le Christianisme et se révèlent les liens profonds et significatifs qui
l’attachent aux mystères chrétiens. Notons donc qu’il est
né un Vendredi-Saint. Son père s’appelait Giovanni
Santi. Baphaël avait onze ans quand celui-ci mourut. Il
avait mis son fils en apprentissage, dès l’âge de huit ans,
chez un peintre médiocre. La personna- ïité de Giovanni
Santi, à qui l’observe de plus près, fait une impression
étrange; et cette impression ne peut que s’accroître,
lorsqu’on retrouve dans la « Chronique de l’Akasha » sa
personnalité et les événements qui l’entourèrent. On
constate alors que l’âme qui vivait en lui était très
supérieure à ce que sa vie en laissa paraître, et l’on ne
s’étonne plus qu’à sa mort 011 ait pu dire : « Un homme
plein de lumière, de justice et de foi parfaite vient de
mourir. » En tant qu’occultiste, on peut affirmer que le
peintre qui vécut en Giovanni Santi était très supérieur à
son œuvre. Les qualités extérieures, liées aux organes
physiques, étaient insuffisamment développées chez cet
28-
artiste. Les qualités de son âme ne purent trouver à
s’exprimer entièrement; mais cette âme était réellement
celle d’un grand peintre.
Raphaël avait onze ans à la mort de son père. Les
événements qui suivirent prouvent bien que si l’homme
perd son corps au moment du trépas, les inspirations,
les impulsions qu’il manifestait durant sa vie, ne continuent pas moins à agir sur le milieu auquel l’attachent
des liens assez forts.
L’heure viendra où l’on saura rendre la Science
spirituelle féconde pour la vie. Déjà ceux pour qui elle a
cessé d’être une pure théorie, pour devenir une chose
vivante, s’en
29
-
rendent compte. Qu’il me soit permis de faire ici une
digression, avant de reprendre le problème de Raphaël.
Les exemples que je donne au cours de ces conférences
ne sont pas théoriques, inventés, mais au contraire
toujours empruntés à la vie. Supposez que vous ayez à
élever des enfants. Vous observez leurs dispositions et
vous découvrez chez chacun d’eux un élément
individuel. Seuls les éducateurs peuvent faire
l’expérience suivante. Ils pourront constater que si
l’enfant perd de bonne heure l’un de ses parents, en
sorte que seul son père ou sa mère lui reste, certaines
tendances qu’il ne présentait pas jusqu’à ce moment
pourront apparaître en lui. L’éducateur ne peut se les
expliquer, il est obligé cependant d’en tenir compte. A
ce moment, il ferait bien de se souvenir de
l’Anthroposophie, et de faire le raisonnement suivant :
« On peut tenir pour folie pure tout ce que contiennent
les ouvrages anthroposopliiques... Cependant je me
garderai de le faire a priori, et j’essaierai plutôt de
mettre à l’épreuve leurs enseignements. »
Dans le cas présent, il ne tardera pas à se dire : « Je
distingue chez cet enfant certaines forces que je trouvais
déjà en lui auparavant, et d’autres forces qui me
semblent nouvelles et influencent les premières. »
Supposons que le père de l’enfant ait franchi le seuil de
la mort; il peut se faire que l’une ou l’autre de ses
facultés se manifestent maintenant chez son enfant avec
une certaine acuité. Savoir reconnaître ce fait et
considérer la question sous ce jour, c’est appliquer
logiquement à la vie les connaissances de
l’Antliroposophie. La vie prend alors un sens que nous
ignorions jusqu’alors. Nous comprenons que l’être qui a
franchi le seuil de la mort reste uni par ses forces
intérieures à ceux auxquels il était lié durant sa vie.
Si nous savions observer d’une façon plus précise,
nous nous rendrions plus souvent compte des grands
changements qui s’opèrent chez les enfants après la
mort de leurs parents. Aujourd’hui, on néglige trop ces
choses, mais un jour viendra où on les constatera.
Revenons à Raphaël. Giovanni Santi mourut alors
que son fils était âgé de onze ans. Pendant sa vie, il
n’avait pas su, il est vrai, atteindre en peinture un haut
degré de perfection, mais il conserva après sa mort sa
puissante fantaisie créatrice et en imprégna l’âme de
Raphaël. On ne diminue nullement celui-ci en disant
que son père continua à vivre en lui et vivifia son âme.
La personnalité de Raphaël ne nous en apparaît pas
moins grande ni moins complète.
Lorsqu’on tient compte des deux facteurs qui
interviennent dans la personnalité de cet artiste, d’une
part celui de la résurrection dans son âme des forces qui
avaient animé Jean-Baptiste, d’autre part l’action en lui
des énergies qui étaient latentes en son père, on
s’explique l’apparition d’un pareil homme. Sans doute,
de nos jours, 011 ne pourrait encore dire publiquement
ces choses extraordinaires, mais il est probable qu’on le
pourra d’ici une cinquantaine d’années, car l’évolution
progresse rapidement et les idées qui régnent
aujourd’hui vont à grands pas vers leur déclin.
Quand on commence à approfondir ce genre de
questions, on comprend que le devoir de
l’Anthroposophie est de considérer tout l’ensemble de la
31
—
vie sous un angle nouveau. J’ai déjà fait allusion aux
principes encore inconnus <| 11 i interviendront bientôt
dans le traitement des maladies. De même, 011 verra
dans certains faits de la vie, en apparence merveilleux,
les effets d’actes émanant du monde spirituel et d’êtres
qui ont déjà franchi le seuil de la mort.
Pendant que je vous parle des problèmes de la vie,
laissez-moi aborder encore deux questions, dont la
compréhension nous éclaire tout particulièrement sur le
sens de celle-ci.
La première a trait au sort réservé aux œuvres de
Raphaël.
Les reproductions que nous en avons ne nous
montrent pas, bien entendu, ces œuvres elles-mêmes.
Et, à vrai dire, quand nous contemplons la Madone qui
se trouve à' Dresde, ou les tableaux qui sont à Rome,
nous n’avons pas non plus devant les yeux l’œuvre
véritable de Raphaël, car ces tableaux se sont détériorés
au point de ne plus être ce qu’ils furent originellement.
Songez à la Cène de Léonard de Vinci et vous ne vous
ferez plus d’illusion sur le sort réservé à toute œuvre
d’art. Vous arriverez à la triste conviction que toutes les
œuvres des grands hommes sont vouées à la disparition.
Quel sens, vous demanderez-vous alors, faut-il donc
donner à leur création et à leur destruction ? Car, à vrai
dire, il ne demeure rien de ce qu’a créé une personnalité.
La seconde question sur laquelle je désire attirer votre
attention est la suivante : Si l’An- thi’oposophie peut et
doit nous servir aujourd’hui d’instrument pour
comprendre le Christianisme (je vous ai déjà montré ce
que nous entendons par Christianisme), et pour voir en
32—
lui une impulsion dont les effets se manifesteront dans
l’avenir, n’avons-nous pas besoin de certaines
conceptions fondamentales qui nous permettent de
saisir la manière dont agit cette impulsion ? Certes, nous
en avons besoin, 11 est un fait remarquable, c’est que
nous sommes obligés de constater aujourd’hui la nécessité pour le Christianisme d’évoluer; et pour cela
l’Anthroposophie est nécessaire.
Or, il a existé une personnalité qui a énoncé les
vérités de la Science spirituelle sous forme de courtes
sentences. Si nous étudions son œuvre, nous serons
surpris d’y retrouver un grand nombre des données
importantes de l’occultisme. Je veux parler du poète
inspiré Novalis. Il a dépeint dans ses œuvres l’avenir du
Christianisme, en se basant sur les vérités occultes que
renferme le Christianisme lui- même. Or, que nous
apprend l’Anthroposo- phie ? Elle nous dit que nous
avons à faire ici à la même individualité qui s’était
manifestée dans Raphaël, dans Jean-Baptiste, dans Elie.
Nous retrouvons chez Novalis cette prévision de l’avenir
du Christianisme qui caractérisa les personnalités
précédentes. Voilà un fait occulte auquel ne pourrait
amener aucun raisonnement logique.
Réunissons les diverses images que nous avons
successivement évoquées. C’est d’abord le fait tragique
que toutes les œuvres créées par de grandes
personnalités soient condamnées à disparaître. Raphaël,
par son œuvre, fait pénétrer dans les âmes son
Christianisme interconfessionnel. Cependant un
pressentiment nous dit que sa création est vouée à la
mort, que ses œuvres tomberont en poussière. Mais
33
—
Novalis paraît, il reprend la tâche, il poursuit l’œuvre
commencée, il se remet au travail.
Et voici que la certitude de la disparition de l’œuvre
ne nous paraît plus aussi tragique. De même que la
personnalité se détruit dans ses enveloppes, de même se
détruisent ses productions, mais le noyau de l’être survit
et poursuit l’œuvre commencée. Nous voici ramenés à
l’individualité. Ainsi, nous étant énergiquement attachés
à la conception occidentale de la personnalité, la
signification de l’individu nous est apparue clairement.
Reconnaissons donc combien il était important que
l’Orient concentre toute son attention sur le facteur
individuel, sur les Bodhisatvas, par exemple, qui ont
traversé de nombreuses incarnations; et que l’Occident
s’applique à dégager le facteur personnel pour n’arriver
qu’ensuite à la reconnaissance de l’individualité.
Je suppose que beaucoup d’entre vous se diront : Que
pouvons-nous faire d’autre que de croire, lorsqu’on nous
rapporte un fait comme celui concernant les
personnalités d’Elie, de Jean-Baptiste, de Raphaël, de
Novalis ? C’est l’objection de beaucoup d’hommes. Mais
de même il est vrai qu’ils ne peuvent que croire la
science lorsqu’elle leur affirme, par exemple, que
l’analyse spectrale donne à tel métal ou à la nébuleuse
d’Orion tel spectre déterminé. Quelques hommes ont pu
l’observer, mais les autres, mais la majorité, ne peut que
croire.
Cependant, le point essentiel, en ce qui concerne
FAnthroposophie n’est nullement celui- là. L’important
est de se rendre compte que si FAnthroposophie n’est
aujourd’hui qu’au début de son développement, elle
34—
conduira peu à peu les âmes à découvrir par ellesmêmes des faits du genre de ceux que nous venons de
rapporter. A ce point de vue, FAnthroposophie arrivera
rapidement à faire progresser l’évolution humaine.
Je vous ai donné aujourd’hui quelques aperçus
occultes sur la vie. Retenez simplement les trois points
essentiels que nous avons envisagés : Nous avons vu que
si l’on reconnaît les rapports de la vie avec l’esprit de la
terre, on peut donner à Fart de guérir un nouvel essor,
et une nouvelle direction. Nous avons constaté, en
second lieu, que ce serait une erreur de croire qu’en
Raphaël, n’ait agi que sa propre personnalité, et qu’il
faut savoir distinguer en lui certaines forces émanant de
son père; c’est ainsi seulement qu’on peut le
comprendre. Il nous sera clair alors que nous ne
saurons élever nos enfants que si nous sommes
conscients des forces qui agissent en eux.
De nos jours, on admet généralement que nous
sommes environnés par une quantité de forces qui
influent continuellement sur notre être : l’air, la
température, l’ambiance et les autres conditions
karmiques, au milieu desquelles nous vivons, et qui,
cependant, n’entravent pas notre liberté. Ce sont là des
facteurs dont on tient compte, dès à présent. Mais l’Anthroposophie enseignera aux hommes qu’ils sont
continuellement environnés de forces spirituelles, qu’ils
doivent les étudier et en tenir compte dans de nombreux
cas, notamment dans les questions de santé et de
maladie, d'éducation et d’existence.
Je vais vous en donner un exemple : Voici une
personne à qui la mort a ravi un ami. Elle s’aperçoit que
35
—
certaines émotions ou certaines idées qui appartenaient
à cet ami viennent à présent en elle. Nous avons parlé
plus haut de l’action que les morts peuvent avoir sur les
enfants. Or, cette influence peut s’exercer à tous les
âges, et sans qu’il soit du tout nécessaire que nous ayons
conscience de la manière dont agissent sur nous les
forces émanant du monde supra-sensible. Notre état
d’âme, notre manière d’agir et même parfois notre état
de santé s’en trouvent modifiés. Et le champ où
s’exercent les rapports entre l’être humain vivant sur le
plan physique et le monde spirituel est encore bien plus
vaste que nous ne pouvons l’indiquer ici.
Je voudrais vous donner un simple exemple de ce que
peuvent être ces rapports. Je n’ai pas inventé cet
exemple, il a été fréquemment observé. Une personne
s’aperçoit, à un moment donné de son existence, qu’en
elle naissent des sympathies et des antipathies, qu’elle
ignorait jusqu’à ce jour. Elle voit aussi certaines choses,
qui lui avaient toujours paru difficiles, lui réussir sans
peine. Ni elle, ni ceux qui l’entourent, ne peuvent
s’expliquer ce phénomène, et aucun événement de sa
vie ne le justifie. Sans doute, faut-il être disposé à
observer ce genre de choses. On est alors frappé de voir
la personne en question témoigner subitement de
certaines connaissances, de certaines capacités qui lui
manquaient totalement jusqu’alors. Si, au l'ail des
enseignements de l’occultisme, on pousse plus avant
son investigation, et que l’on interroge cette personne, il
se peut qu’elle vous fasse des déclarations du genre de
celles-ci : « Il m’arrive une chose bizarre : Depuis
quelque temps, je rêve sans cesse d’une personne que je
36—
n’ai jamais rencontrée. Je ne me suis jamais occupé
d’elle, et
37
—
cependant elle intervient constamment dans mes
rêves. » Que l’on poursuive ces recherches, et l’on
découvre que la personne dont la première n’a
effectivement jamais eu de raison de s’occuper, est
morte, et ce n’est que depuis sa mort qu’au sein du
monde spirituel elle s’est rapprochée de la première.
Quand elle s’en est trouvée assez près, elle s’est montrée
à elle comme une figure de rêve; mais c’était ici plus
qu’un rêve. Et le vivant se sent poussé par certaines
impulsions qu’il ignorait auparavant et qui émanent du
mort. Qu’on ne se contente donc pas de dire : Ce n’est là
qu’un rêve ! Qu’on cherche plutôt à comprendre le sens
de ce rêve. Car il se pourrait qu’il n’ait du rêve que
l’apparence, et qu’il soit à vrai dire beaucoup plus
proche de la réalité que la conscience extérieure. Quelle
importance y a-t-il, en définitive, à ce qu’Edison fasse
une découverte en rêve ou à l’état de veille ? L’important est que sa découverte soit réelle et utile ! De
même ce qui importe, ce n’est point de savoir si une
expérience a eu lieu dans un état de conscience, de rêve,
ou à l’état de veille, mais d’établir si elle est réelle ou
non.
Rassemblons nos conclusions : Lorsqu’on se base sur
les connaissances occultes, les rapports de la vie
apparaissent sous un jour tout nouveau. Malgré tout
leur « bon sens », les matérialistes sont, à ce point de
vue, de bien curieux enfants ! En voici une preuve entre
mille. Je lisais aujourd’hui, dans le train qui m'amenait
ici, la brochure d’un physiologue qui dit à peu près ceci :
« On ne peut pas parler d’une attention voulue de l’âme,
de son application volontaire à un objet déterminé; car
38
-
toute son activité dépend du fonctionnement de
certaines glandes cérébrales. Et, comme ce sont les
pensées qui établissent la liaison, tout dépend du
fonctionnement des différentes cellules cérébrales. On
ne peut pas parler d’un effort de l’âme, on ne peut que
chercher si certaines relations ont ou n’ont pas été
établies dans le cerveau. » Suit alors toute la théorie des
cellules cérébrales et son application.
Mais que devient en tout cela la logique ? Quand on
s’est accoutumé à l’observation exacte des faits et que
l’on envisage les solutions que ces grands enfants offrent
aux problèmes du sens de la vie, on ne peut s’empêcher
de faire la comparaison suivante. Supposons une
personne qui vienne nous affirmer que jamais une
volonté humaine n’est intervenue dans la distribution
des trains à la surface de l’Europe et qu’il serait absurde
de le prétendre. Il suffit, dirait cette personne, de
considérer les parties composantes et le fonc
39
tionnement de toutes les locomotives pour
comprendre leur marche et pour établir toutes les
directions qu’elles sont susceptibles de prendre. Or,
comme sur toutes les voies il y a des croisements, toutes
les locomotives peuvent, en définitive, s’engager sur
toutes les voies ! Si les choses se passaient vraiment
ainsi, il en résulterait un tourbillonnement désordonné
de tous les trains sur les voies ferrées d’Europe.
On ne peut pas davantage expliquer la vie des
pensées, qui a pour siège les cellules cérébrales, par la
constitution de celles-ci.
Il va de soi que si des hommes de science, du genre
de celui dont je vous parle, assistaient à une conférence
sur l’occultisme ou l’Antliroposophie, tout ce qu’ils
entendraient leur paraîtrait absurde et fou. Ne
ressemblent- ils pas à ceux qui seraient fermement
convaincus que jamais une volonté humaine n’est
intervenue dans la direction des chemins de fer
européens, et que tout dépend du combustible et de
l’agencement des machines ?
Telle est aujourd’hui la position de l’homme devant le
problème du sens de la vie. D’un côté, il lui apparaît très
obscur. Mais de l’autre côté, les faits occultes s’imposent
à lui. Réunissons toutes les données qui ont été exposées aujourd’hui, et, sur cette base, posons- nous
cette question : « Quel est le sens de la vie, de
l’existence, tout particulièrement de la vie et de
l’existence humaines ? »
Croire que la question du sens de la vie pourrait se
formuler en ces simples termes : « Quel est le sens de
la vie », et pourrait être résolue par une brève
40
—
II
affirmation : « Ceci ou cela est le sens de la vie », ce
serait commettre une grave erreur. Jamais on
n’atteindrait ainsi la signification réelle et profonde de
cette question, jamais on ne ferait naître dans les
esprits l’image de tout ce qui se cache derrière elle de
grandiose, de majestueux, de puissant.
Sans doute, pourrions-nous répondre par quelque
formule abstraite. Tout ce que je vais avoir à vous dire
aujourd’hui vous fera sentir combien peu satisfaisante
elle serait. On pourrait dire, par exemple, que le sens
de la vie réside dans le fait que des entités spirituelles,
considérées par nous comme divines, amènent
l’homme progressivement à coopérer à l’évolution.
Imparfait au début de son développement, incapable
tout d’abord de prendre part
a l’édification de l’univers, il en acquerrait
peu à peu le pouvoir.
Voilà une réponse abstraite; en somme elle nous
apprend fort peu de chose. Pour parvenir ne fût-ce qu’à
pressentir la solution d’une énigme aussi grave, il nous
faudra bien plutôt nous efforcer de creuser certains
41
—
mystères de la vie. Et pour cela, nous nous appuierons
sur les connaissances que nous avons acquises hier et
nous essaierons simplement dfintensifieîr encore notre
vision.
Quand nous contemplons le monde qui nous
entoure, nous ne pouvons pas nous contenter d’y voir
naître et mourir les choses. Hier déjà, nous avons été
frappés des énigmes qui nous assaillent dès que nous
essayons de comprendre le sens de toutes ces
naissances et de toutes ces morts. Et plus nous
poussons notre analyse, plus le mystère grandit. Le
phénomène de la naissance présente, en effet, luimême, certaines singularités dont le caractère tragique
ne peut manquer de nous frapper, aussi longtemps que
nous nous satisfaisons d’un point de vue superficiel sur
ces questions. Forts des connaissances que
l’observation du monde physique nous a données,
jetons un regard sur l’étendue des mers, ou sur tout
autre milieu tkms lequel se développe la vie.
D’innombra- 1>I< s germes y naissent, mais seul un
petit nom
-H _
bre d’entre eux atteint la maturité. Représentez-vous
la quantité de germes de poissons de différentes
espèces qui se déposent chaque année au fond de la
mer, qui ne deviendront jamais des êtres vivants
complets,
mais
disparaîtront,
au
contraire,
presqu’immédiatement. Le petit nombre seul atteindra
un complet développement.
Hier, nous avons constaté que tout ce qui naît est
destiné à disparaître. Mais, à présent, un fait nouveau
s’impose à nous : du règne illimité des possibilités sans
nombre, n’aboutissent que peu de réalisations. Ainsi,
le phénomène de la naissance contient déjà en luimême une énigme, puisque ce qui semble s’efforcer
vers l’existence ne parvient même pas à naître
complètement.
Quand nous ensemençons un champ de blé ou de
seigle, par exemple, ncms y voyons germer une
quantité d’épis. Nous savons que chacun des grains
qu’ils contiennent pourrait donner naissance à un
nouvel épi. Mais combien atteindront vraiment ce but ?
Songez au nombre de grains qui subissent un autre sort
et ne réalisent pas leur destin naturel, qui eût été de
donner naissance à leur tour à un épi ! Il en est de
même dans tous les domaines de la nature. Il semble
donc que, pour se réaliser dans sa forme actuelle, la vie
précipite dans ce qui nous paraît être l’abîme de
l’inutile, d’incalculables germes de vie.
Retenons ce fait que tout ce qui vit autour de nous
s’élève sur un sol fait des possibilités les plus riches,
45
—
mais non réalisées, au sens ordinaire de ce mot. Et
voyons là l’une des énigmes que nous propose le monde
qui nous entoure.
Envisageons à présent un autre côté de la question,
côté que seul l’approfondissement des vérités occultes
nous permet de découvrir, et qui n’en est pas moins
réel. Pourquoi consi- dère-t-on parfois comme
dangereuse la voie suivie par l’investigation occulte ?
Parce qu’elle introduit l’homme dans un monde qu’il
lui est radicalement impossible d’accepter tel qu’il se
présente à lui.
Supposez qu’une personne s’engage sur la voie
occulte, à l’aide de certains moyens que vous
connaissez et que j’ai indiqués moi-même dans le livre
l’Initiation. Ayant atteint un certain degré du
développement occulte, cette personne voit s’éveiller
dans son âme ce que j’ai appelé 1’ « imagination ».
Vous savez ce que nous entendons par là; c’est
l’ensemble des images, des visions qui »’offrent à
l’homme sur la voie occulte. Ces images, ces visions lui
ouvrent un monde tout nouveau. Quand on poursuit
réellement et avec un très grand sérieux cette voie
occulte, il arrive, en effet, un moment, où le monde
physique s’obscurcit et où l’on voit surgir à sa place un
monde d’images mouvantes, d’impressions fluctuantes,
de sons, d’odeurs, de saveurs, de lumières. Toutes ces
impressions pénètrent dans le champ visuel occulte, et
le voyant fait l’expérience de ce que l’on peut appeler la
vision imaginative. Les images qui l’environnent de
toutes parts forment le monde dans lequel vit son âme.
-46-
Or, ce serait une erreur très grave que de se fier à la
réalité absolue de ce monde. Et c’est ici que le danger
commence. Le royaume vivant des images est sans fond
pour celui qui ne sait pas s’élever au-dessus de
l’imagination jusqu’à «l’inspiration». Seule celle-ci
nous dit vers quelle image nous tourner, de quel côté
diriger notre regard occulte pour connaître la vérité.
Elle nous apprend que le plus grand nombre des
images qui nous entourent doivent s’anéantir. Alors
seulement, de la masse de ces images, il en surgit une
qui se révèle à nous comme une expression de la vérité.
Ainsi le chemin occulte nous conduit dans un monde
d’incalculables possibilités de visions. Mais il faut que
nous poursuivions notre développement jusqu’à
devenir capables de
47
-
choisir parmi ces visions les seules images qui
expriment une réalité spirituelle. Il n’existe pour nous
aucune autre sécurité possible.
S’il est vrai, direz-vous, que le développement
occulte nous fait pénétrer dans un monde de visions
d’une richesse infinie, comment distinguerons-nous
entre les vraies et les fausses ? Donnez-nous une règle !
Aucun occultiste ne vous en donnera. Il ne pourra que
vous répondre : Si vous voulez savoir discerner entre
vos visions, poursuivez votre développement. Vous
apprendrez alors à ne vous attacher qu’aux visions qui
supportent votre regard, car celles-là sont pour vous les
vraies; les autres, celles que votre regard éteint, ne sont
que mirage.
Or, le danger est que beaucoup de personnes se
plaisent à tel point au milieu du monde d’images dont
elles se trouvent environnées, qu’elles cessent de
progresser, qu’elles renoncent à se développer
davantage, fascinées qu’elles sont par ces visions.
S’abandonner à cette béatitude, à cette débauche de
visions, c’est s’interdire tout progrès vers la vérité dans
le monde spirituel. Il faut, au contraire, user de tous les
moyens dont on dispose pour poursuivre son travail.
Alors, du sein des possibilités infinies, s’élève la réalité
spirituelle véritable.
Comparez les deux faits que nous venons de
caractériser : D’un côté, nous avons vu le monde
extérieur engendrer d’incalculables germes de vie dont
il ne laisse qu’un petit nombre atteindre le but. De
48—
l’autre côté, nous avons découvert le monde intérieur
où nous conduit la voie de la connaissance. Un monde
incommensurable de visions s’offre ici à nous, et nous
sommes portés à le comparer au monde des germes sur
la terre. Restreint est le nombre des visions élues,
comme est restreint le nombre des germes qui arrivent
à maturité. Or, il existe une correspondance très réelle
entre ces deux ordres de faits; ils sont liés l’un à l’autre.
Poursuivons cette idée et demandons-nous si l’on a
raison de s’attrister et de se décourager devant la vie
qui ne laisse éclore qu’un nombre infime des germes
qu’elle renferme, qui ne les laisse naître qu’à demi au
monde extérieur ? Faut-il le déplorer ? Avons-nous le
droit de prétendre que le monde est en proie à une lutte
inexorable entre les êtres, la lutte pour l’existence, et
que seul le petit nombre y échappe, comme par hasard
? Revenons à l’exemple concret que nous avions choisi,
celui d’un champ de blé, et demandons-nous ce qui
arriverait si tous les grains de blé atteignaient leur but
et deve-
49
—
liaient à leur tour des épis ? Le monde ne serait plus
possible, car les êtres qui se nourrissent de ces grains
de blé ou de seigle seraient privés de cet aliment. Les
hommes n’ont pu parvenir au degré actuel de leur
développement que par la destruction d’autres germes,
ceux dont nous venons de parler, qui n’ont pas atteint
leur but, qui ont, en quelque sorte, succombé au néant,
ou à ce qui semble tel, par rapport à la sphère normale
de leur évolution.
Cependant, il n’y a pas là raison de nous attrister, à
moins de nous désintéresser complètement du monde;
car, s’il nous importe qu’il demeure, il faut que les êtres
— et le monde n’est composé que d’êtres — puissent se
nourrir. Pour cela, il faut que d’autres êtres se
sacrifient. C’est pourquoi seul un petit nombre de
germes de vie atteignent leur but. Les autres suivent
des voies différentes. Ils doivent le faire pour que le
monde subsiste, et parce que le monde ne peut être
sagement ordonné qu’ainsi.
Nous sommes donc redevables du monde qui nous
entoure au sacrifice de certaines entités qui renoncent à
atteindre leur but. Quelle voie suivent ces entités ?
Nous les retrouvons dans les autres êtres, dans les êtres
qui leur sont supérieurs et dont l’existence exigea leur
sacrifice. Nous relevons ici un coin du voile qui
recouvre le sens si énigmatique, en apparence, de la vie,
— de cette vie qui conduit certains êtres jusqu’au seuil
de l’existence, pour les précipiter aussitôt dans le
néant. Nous venons de reconnaître que ce phénomène
50—
témoigne de la sagesse qui régit l’existence et qu’elle lui
emprunte sa signification. Réfléchissons bien à tout
cela et nous ne déplorerons plus l’anéantissement en
apparence inutile de tant de vies.
Revenons au côté spirituel de la question; et à ce que
nous avons appelé le monde infini des visions. Il faut
que nous nous expliquions sur ce que signifie ce monde.
Il ne suffit pas, en effet, de déclarer que les images qui
sombrent sont fausses et que celles qui subsistent sont
vraies. Ce n’est point dans ce sens que ce monde est
faux. Le prétendre serait aussi inexact que de refuser
une réalité propre aux germes de vie qui, dans le monde
physique, n'arrivent pas à un développement normal.
Seule, nous l’avons vu, une infime portion de
l’incommensurable vie spirituelle peut entrer dans les
limites de notre horizon. Pourquoi cela ?
C’est ce « pourquoi » qui va nous mettre sur la voie.
Supposons que nous nous abandonnions à la multitude
des images qui affluent dans notre âme. Supposons
qu’une fois les écluses du monde spirituel ouvertes, le
flux des visions nouvelles soit ininterrompu, aillent et
viennent, s’élèvent comme des vagues, s’entremêlent;
nous deviendrions la proie des images et des
impressions qui nous environnent dans le monde
spirituel. Observons une personne qui s’abandonne
ainsi au monde de ses visions. Une chose nous frappe
chez elle. Renonçant à tout développement ultérieur,
elle se contente de ses visions et s’en tient à ce qu’elle
appelle des expériences spirituelles. En effet, elle passe
51
—
par des expérien ces spirituelles, pour elle ce sont des
réalités...
Mais voici qu’une seconde personne n’ayant pas
atteint un développement supérieur à celui de la
première, nous communique à son tour ses visions sur
le même sujet. Celles-ci sont toutes différentes des
premières, en sorte que nous nous trouvons sur le
même sujet en présence de deux opinions.
Nous pourrions observer des faits encore plus
graves. Nous pourrions remarquer que les personnes
qui se refusent à dépasser le monde des visions,
émettent elles-mêmes, à différents moments, des
opinions différentes sur un même sujet. Elles
prétendent tantôt une chose, tantôt une autre. En
général, ces visionnaires ont malheureusement
mauvaise mémoire; ils oublient ce qu’ils ont raconté;
aussi ne prennent-ils pas conscience de leurs
contradictions.
Le nombre des visions possibles est illimité. L’état
actuel du moi humain sur la terre ne nous permettrait
de juger de la valeur des différentes images qui entrent
dans notre champ de vision qu’en nous livrant à des
comparaisons sans fin. Même ainsi, nous n’arriverions
à aucun résultat appréciable. Etablissons donc en
principe que si le monde des visions doit, certes, être
considéré comme une révélation de l’esprit, il n’a
cependant, a priori, aucune valeur. Quel que soit le
nombre de nos visions, elles sont des manifestations
de l’esprit, certes, mais elles ne sont pas, a priori, des
52-
vérités.
Pour en juger, il faudrait commencer par comparer
entre elles les différentes visions de chaque voyant et
ensuite celles d’un grand nombre de voyants entre
elles. Mais cela n’est pas possible. Et il est préférable
d’acquérir plus de maîtrise en poursuivant son
développement vers 1’ « inspiration ».
Voici l’expérience que l’on fait alors : Dès l’instant
où les hommes s’élèvent au degré de l’inspiration, leurs
déclarations deviennent identiques; il n’y a plus de
divergences entre eux, les données de ceux qui ont
atteint ce
53
—
même degré de développement sont concordantes.
Envisageons l’autre côté de la question : En un
certain sens, il intéresse également les phénomènes
propres au monde extérieur que nous venons d’étudier.
Nous avons reconnu que la destruction d’une grande
partie des germes vivants est nécessaire à la
subsistance du monde. Que faut-il penser des visions et
des inspirations que suscite le monde spirituel?
Rappelez-vous que les images qui soutiennent notre
regard, celles que nous discriminons, possèdent une
réalité spirituelle; elles sont plus que de simples
représentations, au sens ordinaire du mot. Un fait très
important vous le fera comprendre. Je vais vous expliquer le rapport qu’il y a entre les visions que nous
avons su discerner et le monde, comme je vous ai
expliqué le rapport entre les germes de vie réalisés et
les autres. Ces derniers servent de nourriture aux
premiers. Qu’en est-il des visions élues, de celles qui
deviennent pour l’homme des réalités ?
N’allez pas croire que le monde spirituel naisse
soudain en nous, au moment où nous devenons
clairvoyant, tandis qu’il n’existerait pas chez les autres
humains. Ce n’est pas ainsi qu’il faut se représenter le
clairvoyant;
52—
il ne faut pas croire qu’en lui s’exprime une réalité
spirituelle qui ferait défaut à l’âme ordinaire. Bien au
contraire; en présence de deux hommes dont l’un est
clairvoyant et l’autre ne l’est pas, vous devez vous dire :
Ce que perçoit le clairvoyant vit, à vrai dire, dans l’un et
l’autre homme; les mêmes impulsions spirituelles les
animent tous deux. De même que l’existence d’une
rose, par exemple, n’est pas conditionnée par la vision
que nous en avons, la réalité qui vit dans l’âme des
hommes ne dépend pas de la perception qu’ils en ont.
Le clairvoyant ne se distingue des autres que par le fait
qu’il voit ce que les autres ne voient pas. On peut donc
affirmer que ce que perçoit le clairvoyant existe dans
les âmes de tous les habitants de la terre. Pénétronsnous bien de cette vérité.
Et passons à présent à un domaine, en apparence
très éloigné de celui-ci, mais qui, en réalité, nous
ramènera par une autre voie au sujet qui nous occupe.
Considérons le règne animal. Il revêt autour de nous
les formes les plus diverses, celles du lion, de l’ours, du
loup, de la brebis, du requin, de la baleine, etc. Il ne
faut pas confondre les conceptions que l’homme se fait
de ces animaux avec ce qu’ils sont réellement. Il me
suffit de vous rappeler ce que l’Anthroposophie entend par l’âme-groupe. Tous les lions ont une
âme commune, l’âme-groupe du lion; tous les loups
ont une âme-groupe, celle du loup. Sans doute, il existe
des philosophes à tendance abstraite, qui prétendent
que le lien unissant entre eux les animaux d’une même
55
—
espèce n’est qu’un concept, et que l’essence du loup,
par exemple, n’a pas dans le monde de réalité
objective. Ils ont tort. Que ceux qui refusent à l’âmegroupe toute réalité objective dans le monde spirituel,
réfléchissent au simple fait suivant : Il existe dans la
nature certains animaux que nous appelons des loups.
Supposons que l’élément psychique qui caractérise cet
animal ne soit que la résultante des propriétés de la
matière qui le compose. Nous savons que celle-ci se
modifie
continuellement.
L’animal
s’assimile
constamment de la matière nouvelle, et rejette
l’ancienne. De ce fait, la composition de sa matière est
sujette à des variations. Mais, — et c’est là un fait très
important, — il doit exister dans le loup quelque chose
qui transforme la matière assimilée en substance loup.
Supposons qu’usant de toute son ingéniosité, la science
ait découvert le temps précis qu’il faut au loup pour
renouveler toute la matière qui le compose. Supposons,
en outre, qu’on enferme un loup pendant toute la durée
de ce temps, et qu’on le nourrisse exclusivement
d’agneau. Il n’aurait
56-
donc absorbé que de la substance d’agneau pendant
tout le temps qu’il faut à son organisme pour se
renouveler. Si le loup n’était réellement composé que
de la matière physique dont est formé son corps, il
devrait, au bout de la période fixée, être devenu agneau
! Mais personne ne prétend que pour avoir mangé de
l’agneau pendant un temps même très long, le loup
pourrait se transformer lui-même en agneau. Les idées
que nous nous formons sur les diverses espèces
animales correspondent à des réalités, mais celles-ci
sont suprasensibles par rapport aux animaux du
monde physique.
Cette constatation s’applique à tous les animaux.
L’âme-groupe est en effet le principe de toute espèce
animale. C’est par elle que tel animal est un loup, tel
autre une brebis, un lion ou un tigre. Or, l’homme
conçoit l’âme-groupe sous forme d’idée. Mais les idées
qu’il a généralement du monde animai sont très
imparfaites. Cela provient de ce qu’à son stade actuel
de développement, il ne pénètre guère dans la
profondeur des choses, et ne s’attache qu’à leur côté
superficiel. S’il savait les pénétrer davantage, l’idée de
loup ne resterait pas pour lui un simple concept
abstrait, elle évoquerait en lui un état d’âme
correspondant. Et, tout en concevant l’idée de loup, il
éprouverait en même temps la nature de cet animal,
son avidité sanguinaire; de même qu’il sentirait la
patience de l’agneau au moment où il penserait à son
espèce.
57
—
Pourquoi ne fait-il pas aujourd’hui cette expérience ?
Si l’homme ne réalise pas aujourd’hui cette expérience,
c’est qu’après que se fussent exercées les influences
luciférien- nes, les dieux lui interdirent d’ajouter « la
•vie » à « la connaissance ». Je ne puis toucher ici que
symboliquement, car cela nous entraînerait trop loin, à
cet événement, mais vous lé connaissez déjà. L’homme
ne devait pas goûter à «l’arbre de vie». Voilà pourquoi
il ne possède que la connaissance des êtres et des
choses, mais est incapable d’éprouver la vie qui se
cache sous ses concepts. La possibilité ne lui en est
rendue que lorsqu’il pénètre par l’occultisme dans le
royaume de la vie. Il n’a pas alors seulement le concept
abstrait, mais il vit dans ce qu’on pourrait appeler «
l’avidité sanguinaire du loup », par exemple, ou « la
patience de l’agneau ».
Vous devez comprendre combien ces deux manières
de connaître diffèrent. Lorsque notre âme imprègne
ainsi les idées de sa substance même, tout commence à
lutter en nous. Néanmoins, il faut que l’occultiste s’élève jusque-là, qu’il atteigne à l’épanouissement vivant
de' ses concepts. Ceux-ci s'animent alors et une image
du monde animal tout entier vit désormais en lui. La
vie est plus facile pour l’homme qui n’est pas clairvoyant, direz-vous. Mais ne vous ai-je pas déjà fait
remarquer qu’à ce point de vue-là, le clairvoyant ne se
distingue pas d’un autre homme ? Le monde qui vit en
lui vit également en l’autre; seulement le premier le
perçoit et l’autre pas. Le monde dont nous parlons vit
58—
réellement tout entier dans l’âme de chacun de nous,
mais l’homme ordinaire ne le perçoit pas. L’influence
de ce monde intérieur ne s’en exerce pas moins sur lui,
elle s’élève du tréfond de son âme, elle le rend inquiet,
elle le jette dans le doute, elle l’attire dans un sens ou
dans l’autre, elle détermine ses instincts et ses
passions. Le fait qu’une telle influence ne franchisse
pas le seuil de la conscience, ne se manifeste que par
des faiblesses, n’implique pas sa non-existence. Cette
disposition particulière de sa nature attache l’homme
au monde, elle provoque en lui certains sentiments, qui
prennent possession de son âme, y luttent, donnent à
ses rapports avec les êtres de la nature et les autres
hommes un caractère d’une exceptionnelle gravité.
S’il n’en était pas ainsi, le règne animal tel
que nous le connaissons aurait, à un certain point de
vue, atteint sur la terre la fin de son évolution. Tout
progrès ultérieur lui serait impossible. Les âmesgroupes des animaux qui nous entourent ne pourraient
pas poursuivre leur développement dans les incarnations à venir de la terre. Leur position serait bizarre.
Ces âmes-groupes animales — excusez la comparaison,
mais elle vous fera comprendre ma pensée, — seraient
dans la situation d’un royaume d’amazones, dont
l’entrée serait à jamais interdite aux hommes. Ce
royaume serait condamné à s’éteindre sous sa forme
humaine. Sans doute, spirituellement, il ne mourrait
pas, car les âmes des amazones entreraient dans un
autre
domaine.
Cependant,
l’état
d’amazone
disparaîtrait. C’est ainsi que »’éteindrait l’état d’âmes-
59
—
groupes animales si rien n’existait en dehors de lui. En
effet, ces âmes-groupes ont besoin d’être fécondées
pour franchir le cap de l’évolution terrestre, et gagner
l’incarnation suivante de la terre, celle du futur Jupiter
(1).
Pour atteindre cette étape jupitérienne, il est
nécessaire qu’elles soient fécondées par l’élément que
je vous ai décrit. Cette fécon-
(1) Voir : Rudolf Steiner : La Science occulte.
dation aura pour conséquence dans l’avenir l’extinction
des formes animales terrestres, mais elle permettra aux
âmes-groupes de reparaître sur Jupiter, où elles
recevront une forme adaptée à leur existence
supérieure et pourront réaliser le degré suivant de leur
évolution.
Quelle est donc l’œuvre qui s’accomplit à travers
l’homme, tandis qu’il évoque dans son esprit les formes
des âmes-groupes ? Il crée ainsi les germes fécondants
de ces âmes-groupes, il leur permet de poursuivre leur
évolution. Ainsi le règne animal nous montre déjà que
sous l’influence de sa perception extérieure, l’homme
développe en lui-même certaines impulsions qui
constituent des germes fécondants de l’âme-groupe
animale. Ces impulsions naissent par l’effet d’une
provocation extérieure. Tel n’est pas le cas des visions
du clairvoyant. Celles-ci ne sont pas dues à la
perception extérieure, pas même celle d’entre elles qu’il
60—
élève au rang de vision élue. Elle a sa raison d’être dans
le monde spirituel, et vit dans l’âme de l’homme.
N’allez pas croire, surtout, que le fait qu’un petit
nombre de grains de blé se développe jusqu’à l’épi,
tandis que le reste est consommé, que ce fait soit sans
importance pour le monde spirituel. Pendant que le
grain de blé
61
—
est consommé, l’élément spirituel qui lui est attaché
se transmet à l’être humain. Le clairvoyant qui observe
les innombrables germes de poissons contenus dans la
mer, distingue ceux qui sont destinés à atteindre leur
plein développement de ceux que guette l’anéantissement physique. Tandis que les premiers n’émettent
de l’intérieur que de petites flammes, les seconds
donnent naissance à de puissants jeux de lumière. Leur
partie spirituelle est d’autant plus importante qu’ils
sont destinés à moins se développer physiquement. Il
en est de même des grains de blé ou de seigle livrés à la
consommation. Tandis que leur partie matérielle est
broyée et moulue, une force spirituelle se dégage de ces
grains et remplit l’atmosphère. Le clairvoyant qui observe une personne mangeant du i»iz, par exemple, voit
pendant qu’est assimilée la partie matérielle des grains,
les formes spirituelles qui leur étaient unies, jaillir et
former comme des courants. Ce phénomène est loin
d’être simple au regard de l’occultiste, surtout quand
l’aliment absorbé n’est pas végétal. Mais je ne veux pas
aujourd’hui m’étendre sur ce sujet.
C’est ainsi que les activités spirituelles s’allient entre
elles. Tout ce qui semble s’anéantir abandonne, en
réalité, au milieu, son élément spirituel.
Cet élément spirituel s’unit effectivement aux visions
qui prennent vie dans l’âme du clairvoyant, et forment
son monde intérieur. Les visions rejetées par
l’inspiration constituent un principe fécondant pour
l’être spirituel issu des germes de vie qui n’ont pas
atteint leur but, il leur permet de poursuivre leur
-62-
évolution.
Par l’activité qu’il développe, notre être intérieur se
trouve donc dans un rapport constant avec le monde
extérieur et coopère avec lui. Ce monde extérieur serait
voué à !a destruction, il cesserait de progresser, si nous
ne lui apportions notre participation spirituelle. Le
monde qui nous environne possède lui aussi son
principe spirituel, mais il est incomplet, et représente,
pour ainsi dire, une demi-spiritualité. Celle-ci ne peut
se perpétuer qu’à la condition d’être fécondée par notre
propre vie spirituelle. L’idée des choses qui vit dans
notre esprit est loin d’être une simple reproduction
abstraite de ces choses. Elle en est, au contraire, une
partie intégrante. Celle-ci s’unit à leur réalité extérieure
et leur permet de poursuivre leur évolution. De même
qu’en magnétisme ou en électricité les courants du pôle
positif et ceux du pôle négatif doivent se joindre pour
qu’un effet soit produit, de même les forces qui se développent en nous, dans le inonde de l’imagination,
doivent s’unir à celles qu’émettent les entités de la
nature qui, en apparence,
s’anéantissent.
Enigmes étonnantes, mais qui s’éclairent peu à peu
et qui nous montrent comment collaborent les règnes
intérieur et extérieur !
Embrassons d’un regard le monde qui nous entoure
et évoquons, en même temps, les visions élues qui
vivent dans notre âme. Celles-ci sont seules valables
pour nous, elles servent à notre développement
63
—
intérieur. Les autres, par contre, celles qui s’élèvent
dans le champ sans limite de notre vie visionnaire, et
qui doivent disparaître, ne tombent pas dans le néant,
mais dans le monde extérieur qu’elles fécondent. Les
visions que nous avons sélectionnées servent à notre
propre évolution, les autres nous quittent et s’unissent
dans le monde qui nous entoure à la vie qui n’a pas
atteint son but.
De même que l’être vivant se nourrit d’êtres qui ne
se sont pas réalisés dans la vie, de même notre esprit
doit se nourrir de ce qu’il ne donne pas au monde
extérieur pour le féconder. Ce phénomène a donc lui
aussi sa raison d’être. Tout ce qui/à chaque ins
64—
tant, naît au monde spirituel, mourrait, si nous ne
renoncions pas à la majorité de nos visions, pour ne
retenir que celles que nous désigne notre inspiration.
Abordons à présent le second danger que comporte
la vie imaginative. Que fait l’homme qui accepte
comme vraies toutes ces visions, quels que puissent
être leur afflux et leur diversité, l’homme qui se refuse à
choisir les visions tfui ont seules une valeur pour lui et
à en rejeter le plus grand nombre ? Que fait-il ?
Spirituellement, il agit comme un homme qui, au lieu
de consacrer à l’alimentation le plus grand nombre des
grains de blé récoltés, les sèmerait tous. Avant peu, la
terre ne suffirait plus à porter le blé, mais, par contre,
les êtres y périraient faute de nourriture. L’homme qui
ne veut pas renoncer à une seule de ses visions et les
accepte toutes comme valables, agit de même. Et
comme la terre entière serait bientôt envahie par le blé,
ainsi l’âme qui ne choisit pas parmi ses visions est
submergée par elles.
Voilà comment nous devons diriger nos visions et
comment le inonde visionnaire doit s’unir au monde
extérieur, afin de permettre le progrès de l’évolution.
Observons à présent l’homme lui-même. Mettons-le en
présence d’un animal. Considérant l’âme-groupe, il
prononce le mot : «loup». Autrement dit, ii forme dans
son esprit le concept de loup, et au moment où il
prononce ce mot, une image surgit en lui. Celui qui
n’est pas clairvoyant ignore la substance spirituelle de
cette image, il ne connaît que l’idée abstraite. Mais la
65
—
vie substantielle de l’image qui naît spirituellement en
lui, s’unit à l’âme-groupe et la féconde. Si l’homme ne
le nommait pas, le règne animal comme tel s’éteindrait.
Il en est de même du règne végétai.
Or ce rôle n’appai'tient ni aux animaux ni aux anges.
Ceux-ci ont d’autres tâches. A l’homme seul appartient
la mission de faire naître dans la nature qu’il
contemple les germes spirituels fécondants qui
s’expriment dans le « nom ». Ainsi c’est l’homme qui
détient toute possibilité de progrès.
Et maintenant, retournons au point de départ que
nous avions choisi hier. Les anges serviteurs
demandèrent à Javeh ou Jéhovah pourquoi il voulait
créer l’homme. Car ils n’en pouvaient comprendre la
raison. Alors Jéhovah rassembla les animaux et les
plantes et il demanda aux anges de les lui nommer.
Mais les anges en furent incapables. D’autres tâches,
avons-nous dit, leur sont réservées. Mais l’homme
connut le nom des animaux et des plantes. Javeh
démontra ainsi aux anges qu’il avait besoin de
l’homme, puisque sans lui la création périrait. Grâce à
lui, au contraire, tout ce qui avait atteint un état de
stagnation, tout ce qui avait besoin d’un nouvel élan
pour poursuivre l’évolution, l’a trouvé. Voilà pourquoi
à la création devait être ajouté l’homme. Par lui seul,
pouvaient naître les germes fécondants spirituels qui
s’expriment dans le « Nom ».
Ce n’est donc pas en vain qu’il est placé vivant dans
la création. Imaginez l’homme disparu, les règnes
66—
intermédiaires devraient renoncer à poursuivre leur
développement. Leur destin serait celui d’un monde
végétal qui resterait non fécondé. C’est par l’introduction de l’homme dans la vie de la terre qu’a été
construit le pont qui relie le monde passé au monde à
venir. C’est à l'homme qu’a été confié le principe du «
Nom », qui lui permet de progresser lui-même avec
toute la création.
A la question du sens de la vie, nous ne nous
sommes pas contentés de donner une réponse
abstraite, bien que celle-ci soit contenue dans ce que
nous avons dit. L’homme est devenu le collaborateur
des êtres spirituels. Sa nature même l’y disposait. Son
existence est nécessaire, car sans lui la création
cesserait d’être. Celui qui a conscience d’y participer se
sent coopérer à l’œuvre divine.
Désormais, il connaît aussi la raison d’être de son
monde intérieur; comme il sait pourquoi existe en
dehors de lui le monde des étoiles, des nuages, des
règnes de la nature et la vie spirituelle qui s’y rattache.
Car maintenant il reconnaît que ces deux mondes se
complètent et que l’évolution n’est possible que par
leur action réciproque. En dehors de nous, dans
l’espace, s’étend l’incommensurable univers. Au
dedans de nous-même vit le monde de notre âme.
Nous ignorons que notre vie intérieure rayonne au
dehors de nous, et qu’elle s’unit à tout ce qui vit dans le
monde ! Nous ne voyons pas que nous sommes nousmêmes le théâtre de cette union. En nous se trouve,
pour ainsi dire, l’un des pôles, et l’autre pôle est dans le
monde extérieur; de leur union naît l’évolution du
monde.
La raison d’être de l’homme réside dans la part qu’il
prend à cette œuvre. Notre état de conscience normal
nous laisse assez ignorants de ces choses. Mais à
mesure que notre connaissance s’étend, nous devenons
plus conscients d’être, si cette comparaison m’est
permise, le lieu où le pôle positif et le pôle négatif du
monde échangent leurs forces opposées et s’unissent
de manière à permettre
68—
l’évolution. Le monde occulte nous apprend que
nous représentons le point d’équilibre de ces forces.
Nous sentons que le monde spirituel et divin se
concentre en nous et s’unit au monde extérieur, ces
deux mondes se fécondant ainsi l’un l’autre.
Savoir que nous sommes ie théâtre où s’affrontent
ces forces et savoir que nous participons de leur jeu,
c’est être capable de reconnaître notre rôle véritable
dans la vie et de saisir pleinement le sens de notre
existence. Nous ne le pouvons qu’ainsi, et c’est en pénétrant de plus en plus profondément dans la Science
spirituelle que nous acquérons la pleine conscience de
ces choses. Or, c’est sur cette conscience que repose la
seule véritable magie. Tandis qu’il est interdit à la
conscience ordinaire de connaître les forces spirituelles
qui sont en l’homme et qui peuvent s’unir à celles du
monde extérieur, il est permis à la conscience «
magique » de les percevoir. Celui qui la possède
développe volontairement en lui-même l’élément
nécessaire au monde extérieur. Voilà pourquoi cette
conscience exige une certaine maturité. Il faut, en effet,
que les échanges entre les deux mondes ne s’effectuent
pas dans le désordre, car dès que nous nous élevons à
un état de conscience supérieur, notre vie intérieure
devient pour nous une réalité. Elle ne nous apparaît
illusoire qu’aussi longtemps que nous demeurons à
l’état de conscience ordinaire.
Notre destinée est de participer de la spiritualité
divine. Pourquoi devons-nous le faire d’une certaine
69
—
façon ? Notre vie a-t-elle un sens si nous ne sommes
qu’une sorte d’appareil compensateur de forces
contraires ? Celles-ci ne pourraient-elles se compenser
sans notre participation ? Un raisonnement très simple
va nous éclairer sur ce point. Admettons que nous
ayons affaire à une masse d’énergie dont une partie
réside en dedans de nous, et l’autre dehors. Notre rôle
ne consiste nullement à les mettre en présence. Tout
d’abord nous les maintenons séparées. Mais il dépend
de nous qu’elles s’unissent. Sachons méditer cette
pensée, en elle s’évoquent les plus profonds mystères.
Les dieux nous offrent le monde sous l’aspect d’une
dualité : en dehors de nous se trouve la réalité objective, en nous la vie de l’âme. Nous les connaissons l’une
et l’autre, nous fermons le courant, nous relions les
deux pôles. Ce phénomène se passe en nous, il se joue
sur le théâtre de notre conscience.
Or, c’est ici qu’intervient ce que nous appelons la
liberté. C’est au cours de cette action que nous
devenons des entités indépendantes.
La construction de l’univers ne doit point demeurer
pour nous un simple spectacle; nous devons, au
contraire, la considérer comme une œuvre à laquelle
nous sommes invités à participer. Il est vrai que la
pensée que nous abordons ici est pour le monde
difficile à comprendre, même sous la forme philosophique. C’est sous cette forme que j’ai essayé de la
présenter, il y a de nombreuses années, dans un petit
livre : Vérité et Science. J’ai essayé, dans cet ouvrage,
70—
de démontrer que la perfection des sens agit la
première et que la vie intérieure s’éveille à sa suite,
mais que leur communion est nécessaire, que leur coopération est indispensable. C’était là l’expression
philosophique de l’idée que je vous expose ici. A cette
époque, je n’essayais pas encore de révéler les mystères
occultes qu’elle recèle. Mais le monde ne la saisit pas,
même sous sa forme philosophique.
Comprenons que notre vie a un sens et quel est ce
sens. Devenons des acteurs dans le drame du monde.
Le monde est divisé en deux camps opposés et nous
sommes placés entre eux pour amener leur union. Ne
vous imaginez pas que cette œuvre ait des limites
etroites. J’ai connu un auteur qui, dans l’un de ses
articles, déclarait que l’évolution du monde exigeait
que l’homme demeurât toujours au même point, et
dans la même ignorance. Il ne serait pas convenable,
d’après cet auteur, que la raison humaine parvienne à
pénétrer les énigmes même les plus ordinaires de la
vie. Car, une fois résolues, il ne resterait à l’homme
plus rien à faire ! Il faut donc que le doute subsiste
toujours, et que tout demeure imparfait. Celui qui parle
ainsi ne se doute même pas que le jour où notre conscience normale actuelle aura atteint ses limites, elle
aura progressé elle-même. Une nouvelle faculté se
manifestera alors qui lui imposera une nouvelle tâche
et, partant, un nouvel équilibre de forces. Pendant
combien >!e temps ? Jusqu’au jour où l’homme sera
parvenu à ressusciter en sa conscience la conscience
71
-
divine.
Maintenant que nous commençons à soupçonner la
grandeur vraiment illimitée de l’énigme, nous pouvons
nous élever jusqu’à lui donner une réponse, sachant
qu’en nous prennent vie les germes fécondants d’un
monde spirituel qui ne saurait progresser sans nous.
Désormais, ayant élargi les bases de notre
compréhension, nous pouvons nous attaquer à la
question du sens de la vie et dire : Jadis régnait la
conscience
divine.
Elle
était
dans
son
incommensurabilité. Et ce fut le commencement de
l’existence. Cette conscience divine créa des images
d’elle-même. En quoi ces images différaient-elles de la
conscience divine elle-même ? En ce qu’elles étaient
multiples, tandis que la conscience divine est une. En
ce que, de plus, elles étaient vides, tandis que la
conscience divine est d’une plénitude infinie; de telle
sorte que les images étaient multiples, mais elles
étaient vides, comme était vide le moi humain en face
du moi divin riche de tout un monde. Mais ce moi
devint le théâtre où s’unissent constamment les trésors
divins divisés en deux camps opposés. Et tandis que
dans la conscience vide s’équilibrent ainsi constamment les forces, elle s’emplit toujours davantage ellemême de ce qui, primitivement, formait le contenu de
la conscience divine. Et l’évolution progresse. La
conscience individuelle s’enrichit de ce qui était à
l’origine contenu dans la conscience divine et le progrès s’accomplit à travers les individualités en qui
72—
s’établit l’équilibre.
La conscience divine a-t-elle besoin de cela pour son
évolution ? Ceux qui n’ont pas encore tout à fait
compris le sens de la vie, se poseront cette question.
Non, la conscience divine n’a pas besoin de cela ! Elle
possède tout en soi. Mais elle est généreuse. Elle accorde à un nombre illimité d’êtres tout ce qu’elle
renferme en elle-même. Afin d’accéder à ces richesses,
toutefois, il faut qu’ils parviennent à recréer en euxmêmes la conscience divine. Alors apparaît multiple ce
qui jadis fut un à l’origine de l’évolution du monde et ce
qui retourne à l’unité par la voie de la divinisation.
A vrai dire, l’évolution de l’homme a toujours revêtu
le caractère que je viens de décrire. Elle le possédait au
temps de Saturne, comme au temps du Soleil et de la
Lune. Aujourd’hui, je vdus ai montré dans quel sens
elle continue à le développer sur la Terre. A l’époque de
Saturne, le même processus engendra la première
ébauche du corps physique et exerça en même temps
une action fécondante en dehors de l’homme. A
l'époque solaire, le corps éthérique s’ébaucha à son
tour. Et ce processus se poursuit ainsi, toujours le
même, mais en se spiritualisant de plus en plus. Dans
le monde extérieur, il reste de moins en moins de
choses à féconder. Dans l’avenir, à mesure que
l’homme se développera davantage, la force fécondante
s’exercera de plus en plus sur la vie intérieure et de
moins en moins au dehors. Et l’homme finira par
posséder en lui-même ce qui, à l’origine, existait au
73
-
dehors de lui. Le monde extérieur deviendra le monde
intérieur de l’homme. L’intériorisation, voilà l’autre
côté de l’évolution.
Unir le divin au monde extérieur, intérioriser celuici, tels sont les deux buts que poursuit l’évolution
humaine. Les hommes deviendront de plus en plus
semblables au divin et de plus en plus intérieurs. Dans
la phase du futur Vulcain, enfin, toute la nature sera fécondée. Tout ce qui, aujourd’hui, est encore extérieur,
sera devenu intérieur. La divinisation, c’est
l’intériorisation. Voilà le but et voilà le sens de la vie.
Pour comprendre ces choses, il ne faut pas
amonceler dans son esprit les concepts abstraits. Il faut
pénétrer dans sa réalité concrète l’idée ci-dessus
exposée. Il faut à tel point s’en imprégner et en
ressentir toutes les particularités, qu’en prononçant le
nom d’un animal ou d’une plante, on réveille en soi une
force capable d’unir le principe contenu dans le nom au
germe animal ou végétal et de l’aider ainsi à poursuivre
son évolution dans le monde spirituel. Nos conceptions
sur l’univers ont besoin de se développer et de se perfectionner.
Qu’a fait le Darwinisme, à cet égard ? Il a parlé de la
lutte pour l’existence, mais il n’a pas considéré
l’évolution des êtres qui paraissent vaincus et anéantis.
Seuls ceux qui atteignent leur but l’ont intéressé. Or, les
autres, ceux qui disparaissent, dégagent une spiritualité
qui prouve que le vainqueur du combat physique n’est
pas seul à se développer. Toute vie qui s’anéantit en
74—
apparence, évolue rapidement. Voilà le fait important.
Rien, pas même ce qui est vaincu, pas même ce qui
est absorbé, n’est annihilé; tout est fécondé
spirituellement, tout renaît en esprit. Que de choses ont
disparu au cours de révolution de la terre et de
l’homme, sans que celui-ci ait pu intervenir. Considérez
toute l’évolution qui a précédé le Christianisme. Nous
avons vu en quoi elle a consisté. L’homme, issu du
monde spirituel, est descendu dans le monde physique.
Certaines facultés qu’il possédait jadis ont disparu,
comme disparaissent les germes vivants qui n’atteignent pas leur but. Du tronc de l’évolution humaine,
que de branches ne voyons- nous pas se détacher et
tomber dans l’abîme ! Mais, pendant que se poursuit
l’évolution extérieure de la vie et de la culture humaine,
et que toutes ces choses s’anéantissent en apparence.
l’impulsion du Christ se développe au sein du monde
spirituel. De même qu’éclôt dans l’âme humaine le
germe fécondant du monde qui l’entoure, l’impulsion
du Christ
75
-
se développe et c’est elle qui fera renaître tout ce qui
semble avoir succombé au cours de l’évolution
humaine.
Le Mystère du Golgotha a eu lieu. C’est la force qui
vient d’en haut féconder tout ce qui a paru s’anéantir.
Une transformation s’accomplit au sein des choses en
apparence mortes, détachées du divin, tombées dans
l’abîme. L’impulsion du Christ jaillit et les féconde !
Depuis le mystère diu Golgotha, nous assistons, au sein
de l’évolution humaine, à une renaissance, à une
reprise de la marche en avant; elle est due à la
puissance fécondante de l’impulsion christique.
C’est ainsi que nous voyons se réaliser jusque dans
cet événement suprême de l’évolution humaine, la
polarité dont nous avons retrouvé partout le principe. A
notre époque s’épanouissent les germes de culture qui
s’étaient anéantis au cours de l’ancienne civilisation
égyptienne, mais qui, à vrai dire, couvaient au sein de
l’évolution terrestre. L’impulsion christique les a
fécondés et nous assistons à présent à une renaissance
de la culture chaldéo-égyptienne. La culture qui suivra
la nôtre ressuscitera de même la culture de l’ancienne
Perse, lorsqu’à son tour elle aura été fécondée par
l’impulsion du Christ. Dans la septième période, enfin,
reparaîtra, sous une forme nouvelle, la plus antique
culture hindoue, — essor spirituel suprême, issu des
saints Rishis, qui sera fécondée par la force du Christ.
Ainsi, dans le courant continu de l’évolution
humaine, nous pouvons également distinguer deux
principes opposés, celui de l’être intérieur et celui de
l’être extérieur, principes que nous avons appris à
connaître dans l’homme : intérieur et extérieur,
principe de l’âme et principe physique, se fécondant
mutuellement. L’action christique s’exerce partout.
Pendant que se poursuit, d’un côté, le développement
des civilisations sur la terre, le mystère du Golgotlia
introduit, d’autre part, dans ce développement,
l’impulsion du Christ émanant des mondes spirituels.
Tel est le sens de la vie du Christ : la terre doit
participer des mystères cosmiques, comme l’homme
individuel doit participer des mystères divins. La
polarité qui préside à l’évolution de l’homme, préside
donc également à celle de la terre.
Tels deux pôles contraires, se sont développés la
Terre et le principe supérieur qui ne s’est uni à elle
qu’au moment du mystère du Golgotha. Le Christ et la
Terre sont liés l’un à l’autre. Afin de s’unir un jour, ils
devaient se développer d’abord séparément, tels deux
pôles. D’une façon générale, pour qu’une chose se
réalise, il faut qu’elle commence par différencier ses
polarités; leur réunion ultérieure amène alors un
progrès dans la vie. Voilà le sens de la vie.
Lorsque nous considérons ce fait, une certitude naît
en nous, c’est celle de faire partie d’un monde qui ne
serait point sans nous.
Un profond mystique, Angelus Silesius, a prononcé
jadis une étrange parole; au premier abord, elle peut
paraître déconcertante: « Je sais, a-t-il dit, que sans
77
—
moi aucun dieu ne peut vivre; si je me trouvais
annihilé, il devrait de misère rendre l’esprit ». Les
Chrétiens orthodoxes peuvent s’élever contre une
semblable parole; pourtant le fait historique réel
devrait les faire réfléchir. Angelus Silesius, avant même
de s’être converti au Catholicisme, afin, disait-il, de se
tenir sur un terrain tout à fait chrétien, était déjà un
homme très pieux. Pourtant il prononça cette parole.
Qui le connaît, ne peut admettre qu’elle soit le signe
d’une impiété. Tout ce qui existe, avons-nous vu, est
régi par un principe d’opposition, de polarité. Or, toute
réunion des pôles contraires serait impossible si l’on
imaginait l’homme disparu; car l’homme est au centre
de tout, et il est indispensable au tout.
Lorsque l’homme pense, le monde pense en lui. Il n’est
que le lieu où s’assemblent les pensées. De même en
est-il de son sentiment et de son vouloir.
Et nous voici capables de comprendre les paroles de
l’homme qui, tourné vers l’espace, s’écrie : « Le divin
me remplit, le divin est le principe qui doit s’unir en
moi au germe de la terre. En moi, est le sens de la vie !
» Les dieux se sont proposés certains buts. Ils ont
choisi le lieu où ces buts seraient atteints. L’âme
humaine est ce lieu. C’est pourquoi, pour peu qu’elle
descende assez profondément en elle-même et qu’elle
cherche la solution des énigmes du monde, non
seulement dans les espaces infinis, mais au dedans
d’elle- même, elle trouve là le lieu où les dieux accomplissent leur œuvre. L’homme participe à cette
œuvre. Dans le drame intitulé : « L’épreuve de l’Ame »,
j’ai voulu montrer comment les dieux agissent à
l’intérieur de l’homme, comment l’âme humaine réalise
le sens du monde et le fait vivre en soi. Car le sens du
monde prend vie dans l’homme. Quel est- il ? J’ai
cherché à l’exprimer dans les paroles suivantes, paroles
que l’âme se dit à elle- même :
Dans ta pensée vivent des pensées cosmiques.
Dans ton sentiment se trament des forces cos[miques.
Dans ton vouloir œuvrent des êtres cosmiques.
Perds-toi dans les pensées cosmiques.
Eprouve-toi par les forces cosmiques.
Crée-toi de la substance des êtres de volonté. Aux
79—
lointains des mondes ne t’arrête pas en un jeu rêveur
de pensées;
Prends ton essor dans l’infini des espaces spirituels, et
plonge jusque dans les profondeurs de ta propre âme.
En te connaissant toi-même en toi, iu déchiffreras les
desseins des dieux. (1).
Lorsqu’on veut exprimer une vérité et non pas
simplement une opinion, il faut toujours puiser aux
mystères occultes. Ce fait est d’une extrême
importance. C’est pourquoi on ne doit pas comparer les
termes employés dans les œuvres occultes, qu’elles
soient en prose ou en vers, avec ceux dont usent les
autres ouvrages. L’on ne peut écrire une œuvre
vraiment occulte, inspirée par les vérités cosmiques et
par les mystères du
(1) Ce drame n’a pas encore été publié en français.
monde, qu’en laissant les pensées cosmiques
s’exprimer à travers son âme, qu’en se laissant
enflammer par les sentiments cosmiques, et non par
ses propres sentiments, qu’en laissant les « êtres de
volonté » créer en soi.
L’un des rôles que doit remplir le mouvement
anthroposophique est celui de nous apprendre à
distinguer entre les harmonies issues des mystères
cosmiques et les œuvres qu’inventent la fantaisie ou le
caprice des hommes. A mesure que l’évolution
progressera, l’âme apprendra à remplacer l’invention
personnelle par l’éclosion d’un élément qui formera,
pour ainsi dire, en elle, l’un des pôles, auquel
correspondra dans l’univers un pôle spirituel. Les
œuvres qui seront créées de cette manière donneront à
leur tour naissance à des germes fécondants qui
s’uniront à des forces spirituelles. Elles auront leur
raison d’être dans le processus du monde. Le
sentiment de notre responsabilité par rapport aux
œuvres que nous créons se transforme complètement
quand nous nous rendons compte qu’elles doivent
devenir des germes fécondants et ne pas demeurer des
germes stériles. C’est pourquoi elles doivent être issues
des profondeurs de l’âme du monde.
Comment atteindrons-nous ce but ? demanderezvous. Par la patience. Il faut tuer progressivement en
nous-même tout orgueil personnel. Car celui-ci nous
entraîne forcément à ne créer que des œuvres
personnelles, au lieu de laisser en nous parler le divin.
Comment le reconnaîtrons-nous ? Tuons tout ce qui ne
vient pas de nous-mêmes, et avant toute chose toute
préoccupation d’orgueil. Alors naîtra en nous la
véritable polarité, alors pourront éclore dans notre
âme les véritables germes fécondants. L’impatience est
la plus mauvaise conseillère. C’est elle qui gâte le
monde.
Lorsqu’on atteint à l’état que nous venons de décrire,
on reconnaît que le sens de la vie se trouve réalisé dans
la fécondation de l’extérieur par l’intérieur. Mais on
reconnaît clairement aussi que lorsque l’être intérieur
81
—
ne remplit pas les conditions voulues, il sème dans le
monde de faux germes fécondants. Il en résulte des
créations avortées. Notre culture moderne est riche en
avortons de ce genre.
En voici un exemple : Dans tous les pays du monde
s’écrivent de nos jours beaucoup d’œuvres en prose et
en vers. Or, un auteur fameux du dix-huitième siècle
s’écriait déjà : « Un seul pays produit de nos jours cinq
fois plus de livres que n’en demanderait un tiers de la
terre ! » Que dirait-il aujourd’hui ! Ces productions
entourent notre civilisation actuelle d’entités
spirituelles qui ne sont pas viables. Elles ne naîtraient
pas si les hommes étaient plus patients. Cette patience,
lorsqu’elle se développera, deviendra elle aussi une
sorte de pôle dans l’âme humaine, elle empêchera de se
ruer vers des productions qui ne sont que des
émanations de l’orgueil el de l’égoïsme. Ne prenez pas
ce que je vous dis pour uue leçon de morale, n’y voyez
que l’expression d’un fait. Car c’est un fait que l’orgueil
n’engendre dans nos âmes que les germes d’œuvres
spirituelles avortées. Les repousser, puis peu à peu les
transformer, telle sera la tâche d’un avenir encore lointain. Il appartient à l’Anthroposophie de l’accomplir.
Le sens même de la vie exige, en effet, que la
conception anthroposophique du monde lui soit en
quelque sorte incorporée, de manière à ce que par elle
la raison d’être de chaque chose soit révélée et que la
vie er tière apparaisse pleine de sens. L’occultisme veut
apprendre à l’homme qu’il est lié au sens de la vie et
qu’en toute vérité il peut se dire :
Dans ta pensée vivent les pensées cosmiques.
Dans ton sentiment se trament des forces cosmiques.
83
—
Dans ton vouloir œuvrent des êtres cosmiques.
Perds-toi dans les pensées cosmiques.
Eprouve-toi par les forces cosmiques.
Crée-toi de la substance des êtres de volonté.
Aux lointains des mondes ne t’arrête pas en un jeu
rêveur de pensées;
Prends ton essor dans l’infini des espaces spirituels, et
plonge jusque dans les profondeurs de ta propre âme.
En te connaissant toi-même en toi, tu
déchiffreras les desseins des dieux.
Voilà le sens de la vie. Voilà comment il est
nécessaire que nous le comprenions. El voilà ce que j’ai
voulu vous exposer en ces deux conférences. Pénétrezvous bien de ces choses, imprégnez-en votre esprit,
alors les êtres qui ont atteint déjà la divinité les feront
fructifier dans vos âmes.
Attribuez ce que ces considérations ont pu avoir
d’ardu, au fait que le destin ait voulu que nous
épuisions en deux courtes conférences un sujet aussi
important que celui du sens de la vie. Bien des points
n’ont pu être qu’effleurés, il vous appartient de les
approfondir, C’est ici encore une sorte de polarité : une
certaine impulsion est donnée, il faut qu’elle soit
élaborée dans la méditation. Toute notre activité
commune acquérera par là un sens, une plénitude tels,
qu’il établira comme un échange entre nos âmes. C’est
ici l’essence de l’amour véritable; c’est ici encore un
84
-
équilibre de polarités : les pensées de l’Anthroposophie
n’atteignent les âmes que si elles y éveillent l’autre pôle
et qu’un équi libre s’établit entre elles. Alors naît une
sorte de «musique des sphères». Travaillons harmonieusement dans le monde spirituel et si nous
sommes vraiment entrés dans la vie philosophique,
nous serons unis.
Je voudrais que notre réunion d’aujourd’hui soit
comprise dans ce sens. Elle est une expression de
l’esprit d’amour qui doit régner parmi nous,
anthroposophes. Et l’amour qui enflamme nos âmes
nous aidera à échanger nos biens spirituels. Grâce à lui,
non seulement nous nous enrichirons de plus en plus,
mais nous sentirons de plus en plus de courage pour
accomplir l’effort spirituel. Alors l’An- throposophie
deviendra la propagatrice de cet amour qui touche au
plus profond de l’âme humaine et qui, ainsi, ne
s’éteindra pas.
Lorsque, membres de la société anthropo- sophique,
nous serons obligés de nous sépa- 1er dans l’espace,
notre amour demeurera et son rayonnement s’étendra
des moments où le Karma nous réunit sur ceux où nous
nous trouvons dispersés dans le monde physique. Et
nous demeurerons unis. Le fait de nous être efforcés
ensemble, à l’aide de nos meilleures facultés
spirituelles, vers les hauteurs divines, nous incitera
plus que toute autre chose au monde à demeurer unis
par le meilleur de nos âmes.
FIN
86—
Download