LL de l’OI n°2 : La madeleine, Du côté de chez Swann , Marcel Proust (1913) Intro : Au début du XXème siècle, à la veille de la 1ère Guerre Mondiale, l’écrivain français Marcel Proust s’illustre, issu d’une famille aisée et cultivée, il est un homme d’une santé fragile qui toute sa vie présente de graves difficultés respiratoires. Très jeune, il fréquente des salons aristocratiques où il rencontre des écrivains, ce qui lui vaut sa réputation de dilettante. C’est en 1907 qu’il écrit la suite romanesque qui lui vaut son succès intitulé A la recherche du temps perdu, publiée de 1923 à 1927. Dont le premier volume est intitulé « Du côté de chez Swann ». Notre extrait est tiré de ce premier volume, dans lequel Marcel Proust évoque de manière très poétique la dégustation d’une madeleine imbibée de thé ce qui lui permet de se remémorer un souvenir enfoui de son enfance. Lecture expressive (Problématique) : Nous pouvons désormais nous poser la question suivante « Comment Marcel Proust parvient-il à faire ressentir la magie d’un instant intense ? » Mouvements : Ce texte trace en premier lieu le portrait d’un « Personnage peu heureux » (1er mouvement) puis nous fait vivre le moment d’une « Dégustation intense » (2ème mouvement). Pour finir en nous présentant « La fin de l’expérience » (3ème mouvement) 1er mouvement : (L 1-8) « Un personnage peu heureux » L1 : Le narrateur n’a pas de souvenir de Combray mais uniquement de la difficulté qu’il avait pour s’endormir il le dit à la ligne 1 « le théâtre et le drame de mon couché » Avec l’emploi de l’imparfait, l’auteur évoque un moment révolu et fait appel à des souvenirs fort désagréables par une évocation hyperbolique L2 : Le « quand » marque une rupture / un basculement dans la vie de l’auteur car ce nouveau souvenir de la madeleine se présente comme une illumination, un souvenir plutôt détaillé et fort agréable qui s’oppose à l’idée précédente des souvenirs désagréables et flous de ses « difficultés à s’endormir » L3 : L’incise «, contre mon habitude, » marque un contraste avec le début de l’extrait qui est plutôt banal voir ennuyeux. L4 : Dans un premier temps, il refuse puis se ravise en prenant ce thé qu’il ne prend pas habituellement. Ce qui rend ce moment encore plus merveilleux car l’auteur en faisant ce choix a décidé de vivre un moment d’extase qui n’aurait dû advenir L4-5 : La madeleine est personnifiée grâce aux adjectifs « courts » et « dodus », puis elle est ensuite associée à une coquille de Saint-Jacques avec une comparaison ce qui témoigne de son plaisir à faire ces observations, il est sensible aux associations d’idées. L6 : Le narrateur a une vision pessimiste de la vie, c’est un personnage déprimé. Ce caractère est mis est mis en valeur par la double antéposition des adjectifs « morne journée » et « triste lendemain » . L’adverbe « machinalement » ou l’expression « je ne sais pourquoi » (l.4) montrent que le personnage fait cela sans envie ou but. Il est peu investi et peu émotif ce qui va créer un contraste avec le moment suivant dans lequel il va goûter à ce thé et à cette madeleine ce qui provoquera en lui de fortes émotions. L7 : Le narrateur pose le cadre avant de décrire le moment même, il prend le temps de préciser la texture du gâteau pour insister sur l’importance du moment, c’est un point de bascule qui a marqué son enfance et sa vie. 2ème mouvement : (l8 à 15) « Une dégustation intense » Proust au début de ce deuxième mouvement dilate le temps par l’écriture, il décrit un moment court, une seule gorgée de thé qui ne dure qu’un instant mais celui-ci décrit cette action avec tellement de précision que nous avons l’impression que le temps est comme figé. Il y a un contraste entre le temps qui s’écoule réellement et la longueur de la description de ce moment dans ce voyage gustatif. L8 : La rupture entre le 1er mouvement et le 2ème est marquée par un complément circonstanciel de temps « à l’instant où » et le connecteur d’opposition « mais » qui marque aussi l’opposition entre le bonheur soudainement ressentit par la dégustation de cette madeleine trempée du thé et la journée qui jusqu’à cet instant était décrite comme ennuyante ou banale « morne journée » (l.6) Le narrateur à ce moment précis touche au bonheur absolu, un surgissement venu de nulle part le transcende. L9 : « je tressaillis » le narrateur lorsqu’il goûte à ce thé et à cette madeleine perçoit un bonheur intense et immédiat. Comme un moment d’extase qui ne dure qu’un instant. L’adjectif « attentif » s’oppose de manière antithétique avec l’adverbe « machinalement » (l.6). Tout cela témoigne du pouvoir de la madeleine. « Ce qui se passait d’extraordinaire en moi » Le côté magique de la madeleine est caractérisé par l’adjectif mélioratif presque hyperbolique « extraordinaire ». « Plaisir délicieux » cette expression vient renforcer le bien-être ressentit à cet instant. Les adjectifs « envahi, isolé » placent le personnage en COD alors que le plaisir est quant à lui sujet cela renforce l’envahissement ressentit par le narrateur. La syntaxe de la phrase démontre qu’il est alors dominé par ce bonheur qu’il ne contrôle pas. L10 : « sans la notion de sa cause » Ce bonheur est inexplicable, le narrateur ne parvient pas à comprendre pourquoi il ressent une émotion si forte et ne parvient à trouver sa source en premier lieu. « Il m’avait aussitôt » Il y a un côté direct avec le mot « aussitôt » ce qui nous fait part de son étonnement. L10-11 : « vie indifférente / ses désastres inoffensifs / brièveté illusoire » Nous pouvons ensuite observer de nombreux parallélismes pour affirmer que la madeleine permet au narrateur de s’affranchir temporairement de toutes ses angoisses et de tous ses problèmes. « De la même façon qu’opère l’amour » Cette comparaison permet au lecteur une meilleure compréhension du moment mystérieux. La madeleine serait donc à l’origine de son bonheur et le narrateur serait le réceptacle de ce bonheur à travers une réification. Il se compare à un vase qui se remplit d’une essence précieuse ce qui prouve son euphorie. L12 : Le narrateur cherche ensuite à comprendre ce qui est entrain de lui arriver, pour tenter de trouver la source de ce mystérieux plaisir nous voyons cela avec l’expression « ou plutôt ». « Elle était moi » Il est tellement envoûté par ce plaisir qu’il le devient. L12-13 : Il oublie la piètre image qu’il a de lui et tous les éléments péjoratifs qui lui étaient associés à travers une énumération « J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. » Le fait qu’il ne se sente plus « mortel » démontre qu’il n’a plus peur de la mort, c’est presque comme si cette dernière ne pouvait plus l’affecter, comme s’il ne pouvait plus mourir. L13-15 : A travers de nombreuses questions rhétoriques, nous comprenons que le narrateur s’interroge sur le lien entre son passé et cette sensation provoqué par cette gorgée de thé et cette madeleine. Le verbe « venir » dans l’expression « D’où venait-elle ? » vient conforter cette idée que le narrateur se questionne beaucoup à propos de la cause de ce bonheur. Le verbe « sentir » rentre dans le domaine de l’irrationnel, ce qui montre qu’il a une intuition mais qu’il ne peut être certain à propos de la provenance de cette sensation. 3ème mouvement : (l15 à la fin) « La fin de l’expérience » Dans ce troisième mouvement le narrateur va réitérer l’action, il va boire une deuxième et troisième gorgée mais cela ne va pas aboutir, il va échouer à trouver l’origine de cette sensation de plaisir. Le présent de l’indicatif nous donne l’illusions d’assister à cette gorgée, cela renforce le suspense de l’action, l’attente d’un potentiel dénouement sur l’origine de cette joie. L16 : L’expression « rien de plus » démontre une réalité décevante, au fur et à mesure la sensation s’amenuise et cela provoque la déception du narrateur. Le plaisir provoqué par ce breuvage diminue de plus en plus, cette décroissance des sensations est symbolisée par la gradation décroissante (L16-17) L17 : Le narrateur réalise ensuite que l’effet s’estompe bien qu’il soit instantané, il fait donc le choix d’arrêter l’expérience. Le mot « breuvage » porte une connotation fantastique ce qui renvoie à l’effet produit par la boisson. Celle-ci peut être comparée à une «potion» avec un effet magique. L17-18 : Il comprend que ce n’est pas le goût du thé ou de la madeleine qui le bouleverse mais que c’est uniquement un moyen pour faire le lien avec son passé et ses souvenirs heureux qui étaient enfouis en lui et qui suscitent tant d’émotion. Conclusion : Pour conclure, Marcel Proust dans cet extrait parvient à nous faire ressentir toute la magie d’un moment intense provoqué par une gorgée de thé et un morceau de madeleine qui transforment le personnage peu heureux en un personnage comblé de bonheur. Proust parvient à nous faire comprendre que ces éléments permettent au narrateur d’avoir un léger aperçu des souvenirs heureux de son passé bien que ce dernier ne parvienne pas à trouver l’origine exacte de son euphorie car l’effet s’estompe après de multiples autres tentatives. Ouverture : Nous pouvons établir un lien entre ce texte et la nouvelle de Colette « Jour Gris » issue du recueil « Les Vrilles de la Vigne » dans laquelle elle invite le lecteur à un voyage olfactif vers son enfance provoqué par le parfum des violettes.