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volume-7135

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Volume !
La revue des musiques populaires
16 : 1 | 2019
Musique & hacking
Music & Hacking
Baptiste Bacot et Clément Canonne (dir.)
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/volume/7135
DOI : 10.4000/volume.7135
ISSN : 1950-568X
Éditeur
Association Mélanie Seteun
Édition imprimée
Date de publication : 5 décembre 2019
ISBN : 978-2-913169-60-9
ISSN : 1634-5495
Référence électronique
Baptiste Bacot et Clément Canonne (dir.), Volume !, 16 : 1 | 2019, « Musique & hacking » [En ligne], mis
en ligne le 02 janvier 2022, consulté le 28 juillet 2022. URL : https://journals.openedition.org/volume/
7135 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.7135
Tous droits réservés
INTRODUCTION DE LA PUBLICATION
Ce numéro se propose d’examiner quelques-uns des points de contacts entre musique
et hacking. Ce mouvement, d’abord étroitement lié à l’émergence des laboratoires de
computer science dans les universités américaines, touche aujourd’hui de très
nombreuses sphères de l’activité humaine, parfois sans rapport avec les technologies de
l’information et de la communication. La musique offre ainsi un espace théorique et
pratique permettant de questionner les attributs du hacking et d’en cerner les effets qui
s’observent, entre autres, dans les conceptions esthétiques ou organologiques des
musiciens, ainsi que dans leurs discours ou leurs modes d’appartenance à des
communautés musicales.
This issue examines some of the practices in which music and hacking meet. At first
closely related to the development of American computer science research laboratories,
hacking has since spread across various fields of human activity not necessarily related
to information and communications technology. Hence, music provides both a
theoretical and empirical space within which one can question hacking’s attributes, and
delineate their aesthetic and organolologic effects, but also their integration into
musicians’ discourses, or the way these musicans create musical communities and
belong to them.
Éditions
Mélanie Seteun
Musique et hacking
Dossier coordonné
par Baptiste Bacot et
Clément Canonne
Publié avec la concours de l'IRMECCEN,
EA n°7546, Université Paris 3 Sorbonne
Nouvelle
Volume! La revue des musiques populaires est une
publication semestrielle des éditions Mélanie Seteun,
fondée en 2002 par Samuel Étienne, Gérôme Guibert
et Marie-Pierre Bonniol.
Comité de Rédaction
Directeur de la publication
Emmanuel Parent (université Rennes 2)
Conseil de rédaction
Louise Barrière, Alix Bénistant, Catherine Guesde,
Gérôme Guibert, Claire Lesacher, Christophe Levaux,
Matthieu Saladin, Jedediah Sklower et Michael Spanu
Réalisation
Secrétariat de rédaction
Catherine Guesde et Cécile Verschaeve
Mise en page
Béatrice Ratréma
Graphisme de couverture
Matthieu Saladin
Comité de lecture
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Andy Bennett (Griffith University)
Christian Béthune (CIEREC, Saint-Étienne)
Hugh Dauncey (Newcastle University)
Simon Frith (university of Edinburgh)
Hervé Glevarec (CNRS)
Éric Gonzalez (université Rennes 2)
Theodore Gracyk (Minnesota State University
Moorhead)
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Christophe Pirenne (université catholique de Louvain)
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Sheila Whiteley (University of Salford) †
Masahiro Yasuda (University of Leicester)
Comité de parrainage
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Emmanuel Ethis (université d’Avignon)
Jean-Louis Fabiani (EHESS)
Philippe Gumplowicz (université Évry Val-d’Essonne/
EHESS)
Antoine Hennion (École des Mines de Paris)
Marc Jimenez (université Paris I Panthéon-Sorbonne)
Serge Lacasse (université de Laval, Québec)
David Looseley (university of Leeds)
Numa Murard (université Paris VII)
Bruno Péquignot (université Paris III-Sorbonne
nouvelle)
Philip Tagg (universities of Salford & Huddersfield)
La revue Volume! est classée par l’AERES
en 18 e section (« Arts »). Elle est indexée par
l’International Index to Music Periodicals (IIMP),
le Music Index et le Répertoire International de
Littérature Musicale (RILM).
Les articles sont disponibles sur : Cairn.info (www.
cairn.info/revue-volume.htm), OpenEdition (https://
journals.openedition.org/volume/)et la plateforme
RILM Abstracts with Full Text (http://rilm.org/
fulltext/).
Membres de l’association
Louise Barrière, Alix Benistant, Catherine Guesde,
Gérôme Guibert, Claire Lesacher, Christophe Levaux,
Emmanuel Parent, Béatrice Ratréma, Dario Rudy,
Matthieu Saladin, Jedediah Sklower, Michael Spanu
et Cécile Verschaeve.
Identité et charte graphique
Chloé Bernhardt & Justin Bihan
www.cj2b.work
Éditions Mélanie Seteun – association loi 1901
15 La Locquenais – 35 580 Guichen
www.seteun.net / editions@seteun.net
Dépôt légal : novembre 2019
ISBN : 978-2-913169-60-9
ISSN : 2117-4148
Abonnement : voir page 195
Distribution / diffusion : Les presses du réel
http://www.lespressesdureel.com/editeur.
php?id=192&menu=2
Sommaire
Musique et hacking
Dossier coordonné par Baptiste Bacot et Clément Canonne
Articles
16
7
Baptiste Bacot et Clément Canonne, Musique et
hacking : de l'éthique aux pratiques
17
Sarah Benhaïm, DIY et hacking dans la musique noise.
Une expérimentation bricoleuse du dispositif de jeu
37
Eamon Bell, Hacking Jeff Minter’s Virtual Light
Machine: Unpacking the code and community behind
an early software-based music visualizer
61
Clément Canonne, Élaborer son dispositif
d’improvisation : hacking et lutherie dans les
pratiques de l’improvisation libre
81
Marilou Polymeropoulou, Knowledge of limitations:
hacking practices and creativity ideologies in
chipmusic
1
101
David Christoffel, L’art du piratage à l’ère de la playlist
115
Nicolas Nova et François Ribac, Musi[ha]cking. Ce que
la musique fait au hacking (et inversement)
Tribune
127
Nicolas Collins, From Circuitry to Live Improvisation
(and back): Hacking One’s Way Through Contemporary
Electronic Music. An interview by Clément Cannone
Notes de lecture
136
Ewa Mazierska, Les Gillon et Tony Rigg, Popular Music
in the Post-Digital Age : Politics, Economy, Culture and
Technology, New York, Bloomsbury, 2018.
Par Loïc Riom
139
Nicolas Collins, Micro Analyses, édité et traduit de
l’anglais par Lionel Bize, Laura Daengeli, Samia Guerid,
Christian Indermuhle, Christine Ritter et Thibault
Walter, Paris, Van Dieren, coll. « Rip on/off », 2015.
Par Christophe Levaux
Sommaire
Introduction
3
142
Tetsuo Kogawa, Radio-art, UV Éditions, Paris, 2019.
Par Gabriele Stera
Hors dossier
Article
145
Marion Henry, Cultures ouvrières et musiques
populaires en Grande-Bretagne : le cas des brass
bands miniers de 1945 au milieu des années 1970
Compte rendu
161
Colloque ACEMUP, 4e édition, 12 avril 2019.
Par Eva Nicolas
Tribune
165
À propos de l’ouvrage Made in France, Studies in
Popular Music. Sous la direction de Gérôme Guibert et
Catherine Rudent, Abingdon & New York, Routledge,
2018, coll. « Routledge Global Popular Music Series ».
Par Denis-Constant Martin
Notes de lecture
176
François Ribac (ed.), Simon Frith : Une sociologie des
musiques populaires, Paris, Les presses du réel, 2018.
Par Maxim Bonin
179
Dean Vuletic, Postwar Europe and the Eurovision Song
Contest, New York, Bloomsbury, 2018 ; Karen Fricker et
Milija Gluhovic (eds.), Performing the « New » Europe.
Identities, Feelings and Politics in the Eurovision Song
Contest, Basingstoke & New York, Palgrave Macmillan,
2013.
Par Stéphane Resche
183
Sarah Baker, Catherine Strong, Lauren Istvandity et
Zelmarie Cantillon (eds.), The routledge companion
to popular music history and heritage, Abingdon &
New York, Routledge, 2018.
Par Eva Nicolas
Sommaire
187
4
José Juan Olvera Gudiño, Economías del rap en el
noreste de México. Emprendimientos y resistencias
juveniles alrededor de la música popular, Mexico,
CIESAS, 2018.
Par Michael Spanu
Biographies
190
Catalogue
194
Iconographie : Carte Blanche à Bonjour Monde
Bonjour Monde est un groupe pour la recherche
Pour les illustrations de ce numéro de Volume ! La
de procédés alternatifs dans le champ de la création gra-
revue des musiques populaires, le travail s’est fait en duo
phique. Au travers de commandes, d’ateliers et de projets
et en étapes avec, à chaque retour de balle, une altération
auto-initiés, Bonjour Monde tente de questionner les outils,
volontaire de l’information ; un “hijacking” du processus de
logiciels et matériels, de les construire et les déconstruire
création, l’emmenant progressivement vers des territoires
pour les détourner de leur fonction initiale dans une infinie
imprévus.
recherche de bruit, d’erreur et d’heureux accidents.
16
Sommaire
1
5
Par Baptiste Bacot (EHESS/IRCAM)
et Clément Canonne (IRCAM-CNRSSorbonne Université)
16
1
Par ses ramifications multiples, le
hacking a donné naissance à d’innombrables
pratiques. La figure du hacker, qui émerge à
partir des années 1960 dans les laboratoires
de computer science des universités américaines, signale le début d’un mouvement qui
allait rapidement se propager de manière
virale et protéiforme. Si le hacking est bien
lié au développement de l’informatique et
du réseau Internet, depuis les tentatives
pionnières au sein du Tech Model Railroad
Club (TMRC) du Massachussets Institute
of Technology (MIT) pour améliorer l’efficacité et la rapidité des premiers ordinateurs
de calcul (chapitre 1 de Levy, 1984) jusqu’à la
création de Wikileaks en 2006, en passant par
le mouvement open source (DiBona, Ockman &
Stone, 1999), il est aujourd’hui assez courant
d’étendre l’usage de ce concept pour décrire
de nombreuses pratiques, y compris dans
des champs indépendants des technologies
de l’information et de la communication,
1 Voir la très active communauté des « Ikea Hackers »
qui se consacre aux mille et une manières de
détourner ou d’« améliorer » les meubles de la célèbre
entreprise suédoise : http://www.ikeahackers.net (vu
le 31 juillet 2019).
Musique et hacking : de l’éthique aux pratiques
Musique et
hacking : de
l’éthique aux
pratiques
Introduction
Introduction
du jardinage à la décoration intérieure 1, en
passant par le sport, la cuisine ou la mécanique. Le hacking a donc à la fois une épaisseur historique dont on peut rendre compte
à travers le processus d’appropriation des
machines informatiques, qui débouche sur
des usages insoupçonnés de la puissance de
calcul (Thomas, 2002), en même temps qu’il a
une influence inattendue sur les conceptions
de la culture matérielle et de la structuration
sociale (Lallement, 2015).
Cet essor rapide du hacking a sans doute
été facilité par sa représentation dans la
culture populaire : il est au cœur de plusieurs longs-métrages à l’influence déterminante (citons par exemple Tron en 1982,
WarGames en 1983, Hackers en 1995 ou The
Matrix en 1999) et il devient un trope de la
littérature d’espionnage (voir par exemple
le roman de Stoll [1989]). Les médias s’emparent eux aussi volontiers des affaires liées
au hacking, qui se multiplient au début de
notre décennie. En 2011, Aaron Swartz,
un développeur, entrepreneur numérique
et « hacktiviste » né en 1986, est arrêté et
poursuivi par la justice américaine pour avoir
procédé au téléchargement massif d’articles
scientifiques via le portail JSTOR, enfreignant ainsi le Computer Fraud and Abuse Act
de 1984. Il se donne la mort en janvier 2013.
Cette même année, le lanceur d’alerte Edward
Snowden révèle que la National Security
Agency (NSA) conduit au niveau mondial
des programmes de surveillance grâce à la
collecte de données personnelles, largement
7
Baptiste Bacot et Clément Canonne
facilitée par la coopération d’agences de
renseignement gouvernementales – un récit
porté à l’écran par Oliver Stone en 2016. En
mars 2018, Christopher Wylie, un ancien
employé de Cambridge Analytica, révèle
que l’entreprise a recueilli sans leur consentement les données de dizaines de millions
d’utilisateurs du réseau social Facebook,
et qu’elles ont servi à influencer plusieurs
processus électoraux dans différents pays.
Le monde universitaire ne fait pas
exception : depuis une vingtaine d’années,
les études sur les pratiques voisines du hacking
se multiplient, et se concentrent notamment
sur les nouvelles socialités qui en découlent
(Berrebi-Hoffman, Bureau & Lallement, 2018),
les nouveaux lieux dans lesquels elles se
déploient, tels les Fab Labs (Bosqué, 2015)
ou les hackerspaces (Davies, 2017), et sur les
implications politiques qui sous-tendent ce
mouvement (Turner, 2006 ; Söderberg, 2008).
Le hacking, par la multiplicité et la diversité
de ses manifestations, a un statut ambivalent,
situé à l’intersection entre usages créatifs,
politiques et sociaux de la technologie, qui
peuvent être tantôt anxiogènes, tantôt émancipateurs. Ces attributs lui donnent une place
de choix dans les productions culturelles,
ainsi que dans les discours médiatiques et
académiques.
Musique et culture
hacker
8
Les pratiques musicales n’ont pas
échappé à la propagation fulgurante du
hacking, qui les affecte selon des modalités variées, sans d’ailleurs toucher uniquement les répertoires associés à des moyens
électroniques de production du son. Tout
comme le TMRC du MIT est avant tout
un club qui rassemble ses adhérents autour
d’une passion partagée, la dimension communautaire et socialisante est également présente parmi les hackers-musiciens. Certains
travaillent donc dans ces Fab Labs ou
hackerspaces, espaces très souvent associatifs
dans lesquels outillage et machinerie sont
à disposition, telle l’imprimante tridimensionnelle, emblème de ces tiers lieux. Il faut
signaler ici l’existence du Music Hackspace
de Londres, un lieu spécifiquement dédié à
l’expérimentation sonore et technologique 2 .
En outre, on voit fleurir depuis quelques
années, sur le modèle des hackathons – mot
valise formé à partir des termes « hacking »
et « marathon » –, des Music hack days, événements regroupant passionnés de musique
et de bricolage pour travailler en immersion
et de manière collaborative sur des projets
logiciels, instrumentaux ou audiovisuels,
comme celui qui s’est tenu à l’Ircam les 10
et 11 novembre 2017 3 . Les musiciens-bricoleurs qui sont dans l’incapacité de travailler
dans des hackerspaces peuvent tirer parti
des technologies de l’information et de la
communication en réseau pour partager
ou accéder à des catalogues descriptifs de
« hacks » sonores et musicaux 4 , sur le modèle
d’autres répertoires similaires – food hacks,
gardening hacks, etc. – visant à optimiser
la vie quotidienne, en s’appuyant très souvent sur le détournement de matériaux ou
2 http://musichackspace.org/ (vu le 31 juillet 2019).
3 http://hacking2017.ircam.fr/ (vu le 31 juillet 2019).
4 Voir par exemple https://hackaday.com/category/
musical-hacks/ (vu le 31 juillet 2019).
1
5 Pour une histoire « longue » de la question du
piratage musical, voir Cummings (2013).
Musique et hacking : de l’éthique aux pratiques
Shruti de Mutable Instruments. L’exemple
le plus significatif est sans doute celui de
l’entreprise Arduino, qui commercialise
du matériel et des logiciels « prêt-à-hacker »
permettant de créer appareils et dispositifs
numériques.
Mais la posture hacker ne porte
pas exclusivement sur la matérialité de
la musique ; elle s’étend aussi à l’accès au
savoir et aux œuvres, et s’accompagne d’une
réflexion sur le droit d’auteur et les conditions
de leur diffusion. Les pratiques de peer-to-peer
inaugurées avec Napster 5 (par l’encodage
et la dissémination qu’elles supposent) ou
de contournement des robots-copyright des
plateformes de diffusion en ligne signent ainsi
le passage « d’une culture de la distribution
marchande de biens matériels à une culture
de l’échange de biens immatériels » (Allard,
2009) en même temps qu’elles autorisent
une multitude d’appropriations créatives
(remix, mash-up, détournements, etc.) à une
échelle jusque-là inédite (Allard, 2016). Dans la
même perspective, l’open source, le Copyleft
ou les licences dites « libres » (Blondeau et
Latrive, 2000) font sauter d’une ingénieuse
manière le verrou de la propriété intellectuelle et débarrassent les œuvres de l’esprit
de leurs entraves juridiques en les rendant
reproductibles, modifiables et en autorisant
leur transmission – autant de paramètres
et de conditions qui peuvent varier selon
le type de licence. L’idée sous-jacente aux
licences de type « art libre » est que la libre
circulation du savoir a plus de répercussions
positives à grande échelle, tandis qu’une
diffusion restreinte et soumise à conditions
Introduction
16
d’objets. Comme dans les autres domaines, le
hacking musical invite à l’activité collective :
il se conjugue au pluriel et a d’autant plus de
sens qu’il est partagé, que ce soit en ligne ou
dans un lieu équipé où d’autres passionnés
se retrouvent pour échanger leurs dernières
trouvailles.
C’est sans doute dans la matérialité
de la musique que les effets du hacking s’observent le plus facilement. Entre recyclage,
détournement, DIY et hybridation technologique (de l’acoustique, de l’analogique
et du numérique, par exemple), il existe de
nombreuses façons de faire du hacking instrumental. Le microphone, l’amplificateur
et le haut-parleur sont des objets techniques
simples, qui suffisent à doter presque n’importe quel objet de qualités sonores. Par
la technique du circuit bending, de petits
appareils électroniques peuvent rapidement
devenir des instruments ; quelques outils
pour percer et découper peuvent suffire à
fabriquer la plus rudimentaire des flûtes ; le
groupement d’objets sonores hétéroclites,
avec un peu de travail, peut déboucher sur
un dispositif instrumental ; l’environnement matériel en général peut même être
instrumentalisé par certains musiciens. De
même qu’il existe des répertoires de hacks,
nombre de manuels (comme celui de Collins
[2006]) peuvent guider les apprentis-hackers dans leurs démarches de détournement
organologique, qui combinent d’ailleurs
souvent de multiples techniques. Enfin, il
nous semble particulièrement révélateur
que l’industrie des technologies musicales se
soit récemment approprié l’esprit du hacking
en proposant à la vente des synthétiseurs en
pièces détachées à monter soi-même, dans
l’esprit DIY, comme le Synth Kit de Korg
et Little Bits, le Werkstatt-01 de Moog ou le
9
Baptiste Bacot et Clément Canonne
10
sert uniquement les intérêts (financiers) d’un
petit nombre. Ce sont donc là encore les
dimensions collectives et collaboratives qui
poussent certains musiciens-développeurs
à publier en ligne leur code ou leurs productions musicales, afin que d’autres puissent se
les approprier, les modifier et les remettre
en circulation, et que d’autres encore s’en
saisissent par la suite.
Les attributs du
hacking
On l’a vu, les contextes où l’on rencontre le terme hacking sont si divers et
les usages que l’on a pu en faire ont tellement évolué au fil du temps qu’il semble
bien difficile d’en délimiter précisément
les contours. Pourtant, cette tâche apparaît
vite comme nécessaire si l’on veut pouvoir
donner un contenu – même minimal – à
l’idée de hacking et, partant, aux pratiques
de hacking musical.
Pour qu’il y ait hacking, il faut d’abord
qu’il y ait une clôture matérielle ou symbolique, technique ou juridique, qui renferme
quelque chose comme une « boîte noire ». Le
hack suppose donc toujours un acte préalable
d’ouverture, voire de transgression ou d’effraction : c’est son moment « négatif ». Mais
ce geste d’ouverture s’accompagne parallèlement d’un mouvement d’appropriation – de
la simple compréhension de l’agencement et
du fonctionnement de la « boîte noire » en
question jusqu’à son altération radicale, en
passant par son optimisation, sa duplication
et sa diffusion : c’est le moment « positif »
du hack. Le propre du hack est donc d’abord
à chercher dans cette dualité opératoire :
casser pour réparer, crocheter pour diffuser,
transgresser pour augmenter.
Ensuite, les opérations constitutives
du hack s’accompagnent typiquement d’une
certaine posture axiologique (Himanen, 2001 ;
Kirkpatrick, 2002), qui voit les hackers valoriser
un certain nombre de principes : le libre accès
(plutôt que la propriété), le partage (plutôt
que la rétention), la fabrication (plutôt que
la consommation), le recyclage (plutôt que
la mise au rebut), la transformation (plutôt
que la reproduction), ou le don réciproque
(plutôt que l’échange marchand). À bien des
égards, le hacking peut donc se lire comme
une réaction à un certain mode de structuration des échanges, aux pratiques de contrôle
qui en découlent, et au type de relation à
l’environnement technique et matériel que
cela induit.
Enfin, on peut considérer le hacking
comme étant configuré par les catégories
conceptuelles de l’informatique – l’ordinateur comme objet technique à la fois ouvert
et indéterminé ; le code comme support de
l’information ; le réseau comme structure de
communication, entre autres. De ce contact
inaugural avec le monde de l’informatique
découle une véritable ontologie du hacking,
qui entend échapper à la fois à l’opposition entre le virtuel et l’actuel – le virtuel
affleurant toujours à la surface de l’actuel
(McKenzie Wark, 2006) – et à l’opposition
entre matière et information – les objets
matériels étant toujours susceptibles d’être
ramenés à un code source.
Ces deux derniers aspects peuvent fournir des critères de délimitation contextuelle
importants des usages du concept de hacking :
si le hacking présuppose une certaine ontologie – qui est celle des sociétés de l’information – et une certaine axiologie – largement
1
Musique et hacking : de l’éthique aux pratiques
ces cas se distinguent d’un certain nombre
de pratiques voisines. On rencontrera ainsi
typiquement des formes de hacking musical
au croisement des musiques expérimentales
(qui partagent avec le hacking un goût certain
pour l’exploration bricoleuse d’instruments
ou de circuits électroniques, voir Gottschalk
[2016]), des musiques underground (qui partagent avec le hacking une même éthique
anarchisante et DIY [voir Jamet, 2015]) et
des musiques électroniques (qui partagent
avec le hacking un même rapport à la ductilité
du code musical et à la modularité des outils
de production [voir Bacot, 2017]) sans que
celles-ci ne se ramènent de manière univoque
à l’une ou l’autre de ces pratiques.
Les pratiques
musicales à la lumière
du hacking
Nous savons maintenant où chercher
le hacking musical. Mais il reste néanmoins
une question importante en suspens : peut-on
parler de hacking musical là où les acteurs des
pratiques ne s’identifient pas comme hackers,
ou ne revendiquent pas l’appartenance à la
culture hacker ? Et si oui, qu’a-t-on à gagner
à décrire ces pratiques en termes de hacking ?
Si certains des articles rassemblés dans
ce dossier portent sur des pratiques (la chipmusic examinée par Marilou Polymeropoulou)
ou des travaux (comme les projets radiophoniques du collectif P-node présentés par
David Christoffel ou le visualiseur musical
Virtual Light Machine analysé par Eamonn
Bell) qui sont très fortement liés au monde
du hacking par un certain nombre de points
Introduction
16
construite en réaction aux superstructures
du capitalisme – alors il n’est sans doute pas
pertinent de parler de hacking en dehors de
ce double contexte, à moins de vouloir diluer
à l’infini ce qui peut en faire la spécificité ou
de vouloir restreindre son application à un
simple usage métaphorique. Autrement dit,
s’il est bien légitime de partir à la recherche
des antécédents et précurseurs du hacking,
il n’est peut-être pas nécessaire de vouloir
à tout prix requalifier un certain nombre
de pratiques préexistantes en termes de
hacking ; en ce sens, les concepts de bricolage
– compris comme l’utilisation de moyens
détournés pour parvenir à une fin que l’on
s’est fixé –, d’improvisation – comprise
comme adaptation spontanée et créatrice à
l’imprévisibilité de son environnement –,
de détournement – compris comme déplacement à la fois pratique, contextuel et sémiotique – ou de braconnage – compris comme
acte de résistance des individus au sein des
sociétés de consommation – conservent
évidemment toute leur pertinence pour
qualifier les pratiques « hackantes » de l’ère
prénumérique.
Nous disposons donc maintenant de
trois critères pour caractériser le hacking :
un critère opératoire, un critère axiologique et un critère ontologique. Ces trois
critères ne fonctionnent évidemment pas
comme un ensemble de conditions nécessaires et suffisantes, qui permettraient de
départager le hacking du non-hacking ou du
pseudo-hacking ; et selon le poids que l’on
accordera à chacun d’entre eux, l’on pourra
faire un usage plus ou moins restrictif (ou au
contraire plus ou moins extensif) du concept
de hacking. Néanmoins, ces critères peuvent
nous aider à localiser plus précisément les
cas de hacking musical, et à montrer en quoi
11
Baptiste Bacot et Clément Canonne
12
de contacts directs (demoscene, cheat codes,
piratage, etc.), d’autres articles se proposent
en effet d’examiner des mondes musicaux
(la noise dans l’article de Sarah Benhaïm,
l’improvisation libre dans l’article de Clément
Canonne ou le reggae 8-bit et les microphones
des crooners dans l’article de Nicolas Nova et
François Ribac) dans lesquels la place de la
culture hacker apparaît peut-être de manière
moins évidente, ou du moins dans lesquels
la revendication de l’appartenance à cette
culture n’est pas explicite.
De manière générale, on peut certes
distinguer l’ordre des discours de l’ordre des
pratiques ; et, ce n’est évidemment pas parce
que le terme « hacking » n’apparaît pas directement dans les propos des enquêtés que leurs
pratiques sont forcément étrangères à toute
forme de hacking. En particulier, les articles
de Sarah Benhaïm et de Clément Canonne
montrent que les critères mentionnés ci-dessus pour caractériser le hacking s’avèrent
également pertinents pour décrire la pratique
des musiciens de noise ou d’improvisation
libre. Et au fond, il n’y a rien d’étonnant à
cela : ces deux courants se situent en effet à
la croisée d’un ensemble de pratiques à la fois
musicales (entre musiques expérimentales,
underground et électroniques) et politiques
(voir par exemple Saladin [2014] sur l’improvisation libre ou Benhaïm [2018] sur la noise)
qui les rendent particulièrement réceptives
à l’éthos hacker.
Plus fondamentalement, l’analyse de
ces pratiques à l’aune du hacking permet
également de mettre en évidence leur cohérence. Le concept de hacking joue ici un rôle
intégratif et permet de penser ensemble opérations instrumentales, régimes de valeurs
(éthiques comme esthétiques) et ontologies implicites, en montrant comment ces
différents aspects s’articulent au sein des
pratiques de ces musiciens. Plus encore,
l’identification au sein de ces pratiques des
traces les plus visibles de l’ethos hacker (par
exemple dans le goût pour le bricolage instrumental) peut amener l’ethnographe ou le
musicologue à partir à la recherche d’autres
éléments caractéristiques du hacking peutêtre moins immédiatement saillants. Le
hacking se fait alors outil d’analyse : ainsi, la
lecture des pratiques d’improvisation libre
à l’aune de ce concept permettra-t-elle de
mieux comprendre à quel point ces musiques
– pourtant largement acoustiques – sont
sous-tendues par l’ontologie du flux et du
réseau propre à l’électronique, qu’il s’agisse de
penser l’instrument sur le modèle d’un dispositif modulaire ou le traitement du matériau
sonore sur le modèle de l’interpolation et de
la transformation continues plutôt que sur
celui de la manipulation d’unités discrètes.
Dans la même perspective, le concept de
hacking musical peut également jouer un rôle
heuristique, en autorisant des rapprochements insoupçonnés entre des communautés
souvent considérées comme très éloignées
les unes des autres – par exemple en révélant
le substrat commun existant entre la culture
gamer et les musiques expérimentales d’inspiration rétro-technique.
Au fond, la description de certaines
pratiques musicales en termes de hacking
vient tout simplement souligner le rôle joué
par ces dernières dans les mouvements de
contestation sociale – à la fois discrète et
éparse – qui se trouvent fédérés sous la
bannière du hacking. LL de Mars, artiste
protéiforme lié au mouvement Copyleft
depuis la fin des années 1990, décrit ainsi la
manière dont les milieux militants les plus
informés sur la question du hacking se sont
hacker, tous les militants écoutaient du punk à texte. Puis
ils se sont mis au rap, parce que pour toute une classe de
militants de gauche, ça représentait un désir incapable de
s’assouvir autrement de se rapprocher des minorités les plus
offensées au quotidien par le pouvoir […] Mais aujourd’hui, ce
Remerciements
truc-là, la musique correspondante, adéquate, à une certaine
représentation de soi politique, ce n’est plus la même, elle
a bougé. On écoute beaucoup de musique expé, et on vit
autrement la musique, comme des moments de musique
justement nécessaires. En fait, c’est une retrouvaille avec
la question musicale dans les milieux politiques, et du coup
une retrouvaille avec la question musicale comme question
politique. » (entretien avec Clément Canonne et Annelies
Fryberger, 16 mars 2019)
16
1
Introduire la catégorie de hacking musical, c’est finalement réinscrire la musique
au cœur des questionnements de notre
temps : non seulement le hacking musical
vient éclairer la manière dont communautés
militantes et artistiques s’interpénètrent dans
la contestation d’une culture commerciale
Ce numéro rassemble une sélection
d’articles présentés lors du colloque international « Musique & Hacking » organisé
les 8 et 9 novembre 2017 au Musée du quai
Branly – Jacques Chirac et qui a réuni une
vingtaine de contributeurs. Ce colloque s’est
tenu dans le cadre d’un projet de recherche
soutenu par le Labex CAP associant l’Ircam, le laboratoire HT2S (CNAM) et le
Musée du quai Branly. Nous remercions
particulièrement Frédéric Keck et Anna
Gianotti Laban, pour leur aide précieuse
dans l’organisation de ce colloque, ainsi que
Guillaume Pellerin et Émilie Zawadzki,
qui ont mis sur pied le Music Hack Day venu
clôturer l’événement.
Musique et hacking : de l’éthique aux pratiques
« Quand j’ai commencé à fréquenter les milieux
et industrielle mondialisée souvent normalisante, mais encore permet-il de montrer
comment les pratiques musicales peuvent
se constituer en vecteur de diffusion de la
culture hacker auprès de publics variés, voire
contribuer à leur tour à façonner de nouvelles
communautés de hackers.
Introduction
progressivement rapprochés des musiques
expérimentales, qui donnaient à voir et à
entendre in vivo ce même ethos hacker :
13
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du savoir et la sérendipité bruitiste.
Mots-clés : musique noise / expérimentation /
DIY et hacking
dans la musique
noise. Une
expérimentation
bricoleuse du
dispositif de jeu
DIY / hacking / bricolage / électronique
Abstract: Since the genre’s birth in the 1970s, noise
music’s instrumental practices have stemmed from an alternative experimental culture. Among these practices, hacking
and DIY cultures deeply influence its performance apparatus,
while determining the learning and transmission processes
that structure noise music economically and ethically. In
DIY et hacking dans la musique noise…
Article
défend également l’autonomie des pratiques, l’accessibilité
order to appreciate the way hacking operates within this
genre, this paper will successively explore amateur practices
that craft, misuse and patch-up electronic instruments. On
the one hand, these self-taught practices contribute to a
shift from individual music skills to engineering and DIY
crafting. On the other hand, they depend on a circulation of
Par Sarah Benhaïm (CRAL/EHESS)
1
communities associated with the open source movement.
Résumé : Depuis sa genèse à la fin des années 1970,
Responding to the hacker ethics, these spaces of sharing and
la musique noise se distingue par des pratiques instru-
DIY practices have fostered an anti-consumerist approach
mentales étroitement liées à une culture d’expérimentation
that supports practical autonomy, knowledge accessibility
alternative. Parmi elles, le hacking et le DIY teintent en
and noise serendipity.
profondeur les manières de composer le dispositif de jeu
en plus de gouverner les rapports d’apprentissage et de
transmission qui structurent éthiquement et économiquement
le genre. Pour rendre compte de la manière dont intervient
le hacking dans la noise, l’article explore successivement
les pratiques amateures qui s’apparentent au bricolage, au
détournement et à la conception électronique d’instruments.
Si ces manières de faire sont empreintes d’autodidaxie et
participent à reconfigurer la figure du musicien en dépla-
Keywords: noise music / experimentation / DIY /
hacking / electronics
La musique noise se trouve, depuis ses
premières productions et improvisations
bruitistes à la fin des années 1970, étroitement
associée à un large éventail de gestes caractérisés par l’expérimentation 1 et par l’éthos
çant la compétence instrumentale conventionnelle vers le
bricolage et l’ingénierie, elles se transmettent aussi par le
biais de ressources mutualisées au sein d’ateliers ou par
l’intermédiaire d’une communauté internet associée à l’open
source. Dans ces lieux de partages et au cœur des gestes
bricoleurs se loge, en correspondance étroite à l’éthique
hacker et au précepte DIY qui structure l’éthos de la noise,
une approche anti-consumériste de l’instrumentation qui
1 On ne peut connaître l’issue de l’expérimentation
qu’au moment où on la met en œuvre : ainsi théorisée
par John Cage, l’expérimentation en musique a
souvent été envisagée comme questionnement,
à l’encontre de l’adhésion aux lois érigées par la
tradition musicale occidentale. Ce concept, pensé
selon cette figure majeure de l’histoire musicale dans
une proximité étroite à celui de l’indétermination,
Article
16
knowledge made possible by collective workshops or online
17
Sarah Benhaïm
18
du Do it Yourself (DIY). Si du point de vue de
l’expérimentation instrumentale, une filiation
esthétique plus établie peut être esquissée
dans le sillage de nombreux artistes d’avantgarde, qu’il s’agisse par exemple de Luigi
Russolo, de John Cage, de Harry Partch, de
La Monte Young ou de Christian Marclay, les
inventions et les mésusages instrumentaux
qui caractérisent la nature de son jeu et de
son instrumentation s’insèrent aussi dans
une tradition du DIY qui associe activité
manuelle créative et distanciation éthique
à l’égard des performances technologiques.
Dès ses premières occurrences, le
DIY s’inscrit en effet dans une généalogie
profondément manuelle : selon Steve
Waksman (2004), cette expression employée
dès 1912 dans des périodiques tels que
fait en réalité l’objet d’un usage pluriel. Outre les
filiations généalogiques – depuis l’expérimentation
romanesque de Zola à l’exploration de la tradition
expérimentale américaine – retracées par certains
auteurs tels que Davis Nicholls et William Brooks, une
autre version influente du concept a été popularisée
depuis la France par le biais du travail de Pierre
Schaeffer. Matthieu Saladin expose la pluralité
des approches de l’expérimentation, anciennes
comme contemporaines, questionnées dans leur
rapport ambivalent à la modernité : « […] alors
qu’une certaine tradition expérimentale réclame le
retrait de l’individu dans son projet, d’autres formes
visent l’expérience des limites, aussi bien chez
les musiciens que chez les auditeurs, ou encore
s’attachent à interroger les rapports au collectif.
Mais les ambitions de l’expérimentation se retrouvent
encore historiquement dans le vœu de troubler
les frontières entre l’art et la vie – sinon entre les
arts (dimension intermédiatique) –, d’investir les
possibilités offertes par les nouvelles technologies,
tout comme dans la volonté de questionner leur
domination et d’en exploiter les failles. » (2012 : 1012) Étroitement liée à certaines des approches ici
énoncées, l’expérimentation caractéristique de la
musique noise associe le jeu librement improvisé, la
place fondamentale consacrée au bruit ainsi que la
sérendipité provoquée par les connectiques, comme
nous l’observerons au long de cet article.
Suburban Life Magazine fait œuvre d’injonction, principalement adressée aux hommes
résidant dans les banlieues américaines au
tournant du XX e siècle, à individualiser euxmêmes leur habitat plutôt qu’à déléguer le
travail manuel aux professionnels. Pour ce
qui concerne ses origines musicales, Fabien
Hein (2012 : 49) les attribue au skiffle, ce genre
américain des années 1920-1930 empreint de
blues, de jazz et de country, qui se distingue
par des pratiques de détournement d’objets
bon marché et d’ustensiles ménagers. La
dimension bricolée de l’instrumentation s’accompagne alors, par son accessibilité, d’une
démocratisation de la pratique musicale chez
les jeunes amateurs. Mais plus célèbre est sans
doute l’appropriation du DIY par le mouvement punk dès le milieu des années 1970 :
celui-ci s’inscrit dans une entreprise globale
qui vise à acquérir une plus grande autonomie
dans les pratiques de jeu par l’incitation à
créer sans apprentissage instrumental préalable – c’est ici la simplicité des formes
musicales et l’accessibilité des instruments
fabriqués en série qui en sont le support –,
mais aussi à travers les pratiques autonomes
de production et de diffusion des concerts et
des labels. C’est au sein de cet héritage qui
encourage à travailler dans la proximité, dans
la multiplicité et dans la simplicité à l’aide de
ressources quotidiennes et accessibles, que
s’inscrivent la musique noise et les pratiques
sociales qui lui sont associées.
Dérivée d’une production musicale
étroitement liée à des milieux d’inspiration
libertaire contemporains du punk, qu’il
s’agisse de l’aspiration anarchiste des expérimentateurs de la côte Ouest états-unienne réunis dans le collectif LAFMS ou de l’approche
plus nihiliste et autonome de la musique
industrielle européenne, la noise est depuis
1
DIY et hacking dans la musique noise…
ouverte dont les sources sonores sont le plus
souvent multiples et hybrides – des synthétiseurs aux tables de mixage, des instruments
conventionnels aux objets percussifs amplifiés, des lecteurs cassettes aux loopers –, le
dispositif noise est le fruit de connectiques
personnalisées, souvent agencées à partir
de diverses pédales d’effet, qui œuvrent en
tant que médiations d’une circulation sonore
bruiteuse, transformée et amplifiée. Nous
le verrons, l’ouverture du spectre sonore
au monde des bruits implique souvent pour
les artistes de fabriquer ou détourner leurs
instruments, de jouer avec des matériaux
défectueux, obsolètes ou habituellement
déconsidérés, afin que l’environnement sonore
soit l’objet d’une circulation qui puisse inclure
des bruits conventionnellement considérés
comme parasites. À partir des résultats d’une
enquête menée auprès de praticiens et praticiennes de la scène underground parisienne,
il s’agira en définitive de proposer par le biais
de cet article une étude de ces pratiques instrumentales à la lumière de l’expérimentation
musicienne et du précepte du DIY, depuis le
bricolage individuel personnalisé aux ressorts
communautaires du « faire » électronique.
Le hacking comme
bricolage : recyclage,
détournement et
circuit-bending
Si le hacking peut renvoyer à des techniques qui mobilisent le plus souvent l’informatique et œuvrent à se concentrer sur l’exploitation des vulnérabilités, en particulier
Article
16
ses prémices marquée par un environnement
culturel qui, tout en défendant une économie
alternative basée sur une activité d’auto-organisation de concerts et d’autoproduction
discographique (Benhaïm, 2019), revendique
parallèlement une liberté d’expérimentation
bruitiste qui vise à favoriser l’expressivité
potentielle de chaque individu en brouillant
les frontières entre artistes et non-artistes.
Elle est aussi influencée par leurs pratiques
musicales qui, au-delà d’une caractérisation
immédiate par le recours au bruit, à l’improvisation et au collage sonore, se fondent sur
des bricolages instrumentaux – quand paradoxalement, le précepte DIY ne s’applique
pas à ce domaine dans le mouvement punk.
Ainsi observe-t-on dans la noise une
intrication globale des ressources créatives
et économiques qui relèvent du DIY et se
revendiquent d’une autonomie et d’une autodidaxie non sans lien avec l’éthique hacker,
qui défend pour sa part la « volonté de créer
et de partager en se défaisant des contraintes
imposées par le marché, la rentabilité, le
droit de propriété » (Lallement, 2015 : 12).
Les pratiques et les manières de faire sont
de ce point de vue le point de jonction le plus
manifeste : au sein de l’éventail des gestes
instrumentaux relatifs à l’expérimentation
bruitiste – bidouiller, détourner, bricoler,
une terminologie qui a d’ailleurs pour particularité de s’appliquer aux pratiques de
jeu autant qu’à la conception personnalisée
du dispositif instrumental – se trouve ainsi
une forme de hacking non pas pris au sens
plus restreint de « piratage » apparenté au
monde informatique, mais redéfini à l’aune
des pratiques DIY dans une optique bricoleuse, low-tech et imprégnée des principes
de recyclage et d’apprentissage autonome.
En plus de constituer une instrumentation
19
Sarah Benhaïm
Figure 1 : Dispositif instrumental d’Arnaud Rivière. © Juan Saez.
en termes de sécurité, il peut aussi être conçu
de manière plus vaste dans un cadre créatif associé à la mouvance DIY – pensons
à l’exemple populaire du « Ikea Hack ». Il
s’agit pour ce type de pratiques de bricoler
et de détourner des objets afin de leur faire
assurer d’autres fonctions que celles pour
lesquelles ils étaient destinés au départ.
Le terme français de « bidouille », consonnant avec la première acception du hacking
comme d’une expérimentation étroitement
liée au plaisir et à l’innovation, est d’ailleurs
intimement liée à la notion de bricolage. La
musique est un domaine privilégié de cette
bidouille bricoleuse, dont l’improvisateur
Arnaud Rivière 2 fournit un témoignage
détaillé.
« J’ai pas mal bricolé en cherchant un instrumentarium
adapté à ce que j’avais envie de faire […]. Je suis resté avec
cette table de mixage préparée, vu que j’avais pas les moyens
de m’offrir un synthétiseur analogique. Donc vraiment une
sorte de synthétiseur du pauvre. [...] j’ai réduit cet outillage-là
avec quelques capteurs en plus. [...] Et je suis tombé dans
une brocante sur un petit tourne-disque. [...] Aujourd’hui je
joue soit avec la batterie électronique bricolée – [...], il y a
cinq pads un peu mal foutus [...] – puis je la passe dans une
mixette numérique, donc de la distorsion numérique qui a
un grain assez particulier. […] Soit il y a le tourne-disque
qui devient un instrument complet une fois placé dans une
caisse en métal, car ça fait caisse de résonance. [...] une
fois que j’ai pété trois ou quatre fois les bras en plastique
et que je me suis construit des bras en aluminium dessus,
j’ai pu coller d’autres capteurs et faire passer le circuit différemment dans la carte de pré-amplification. […] L’électrophone avec la table de mixage me permettent de mélanger
les sources mais aussi d’avoir ces histoires de feedback.
Il y a des tiges de métal qui sont dans certains input dans
20
2 Âgé de 36 ans au moment de l’enquête, le musicien
et graphiste Arnaud Rivière est aussi co-organisateur
actif du festival Sonic Protest.
lesquels je remets de l’électricité et qui du coup permettent
une sorte de synthèse sonore abstraite ; trois capteurs ; et
j’ai un circuit de traitement qui fait de l’equalization et de la
DIY et hacking dans la musique noise…
16
1
distorsion. C’est vraiment très rudimentaire. […] Comme
d’outils et de matières –, et une probable débrouillardise,
il y a un truc électrique sur la table de mixage, je rajoutais
une capacité à “faire du neuf avec du vieux” (2010 : 7). [...]
48V en plus parce que je trouvais ça rigolo, ça faisait des
Le bricoleur est un adepte de la flexibilité fonctionnelle ; il
matières sonores. Sauf que ça a fait cramer les tables de
lit l’objet, non dans son état présent, mais dans son état
mixage et je me prenais des châtaignes dans les dents. Mais
possible. Il conserve cette chose pour qu’elle devienne,
non je n’ai pas de connaissance technique, je sais pas que
peut-être, autre chose (2010, 15). »
tel composant et tel composant on les met ensemble [...].
En termes de fabrication, je préfère prendre des trucs et les
modifier pour mon usage. Ça c’est pas compliqué, il y a pas
besoin de pré-requis technique pour y arriver. C’est plus du
bricolage que de la construction. »
Cet extrait d’entretien rend compte de
cette intrication entre expérimentation et
hacking à travers le bricolage généralisé du
dispositif, dont les éléments sont ici recyclés
et réparés par le musicien lui-même lorsqu’ils
ne sont pas tout bonnement détournés de
leur fonction première. Comme l’analysent
Odin et Thuderoz,
« “Bricoler” qualifie à la fois, et la réutilisation d’objets usagés – ou la combinaison réversible d’un stock limité
Cette capacité créative à entrevoir le
détournement des fonctionnalités d’un objet
ouvre pour la musique un univers de potentialités qui permet au bricolage d’œuvrer en
recyclage. Beaucoup d’artistes de noise privilégient l’achat de matériel d’occasion ou
parcourent les brocantes à la recherche du
moindre objet potentiellement utilisable à des
fins musicales, notamment des petits claviers
pour enfants. Une flexibilité bricoleuse qui
résonne étroitement avec le glanage, ainsi
que le souligne cette formule du musicien :
« je fais ça un peu selon ce que je trouve. » Les
ressorts de ce hacking renvoient directement
à la question de la low-tech et de l’alternative
choisie en termes de choix technologique : une
Article
Figure 2 : Dispositif instrumental d’Arnaud Rivière. © Magouka.
21
Sarah Benhaïm
22
part considérable de la genèse du dispositif
découle en effet du contournement des coûts
que suscite l’acquisition d’un synthétiseur analogique et d’une batterie. Une table de mixage
préparée devient alors le « synthétiseur du
pauvre » et les cinq pads « un peu mal foutus »
adoptent les fonctionnalités d’une batterie.
La généalogie du dispositif, qui demande de
porter attention à la construction progressive
de réponses et d’astuces aux problématiques
matérielles ainsi qu’à l’ingéniosité bricoleuse
qu’elle sous-tend, révèle une approche low-tech
qui consiste à reprendre les fonctionnalités
d’instruments industriels et professionnellement manufacturés en rendant le dispositif
unique et personnalisé. En d’autres termes, il
s’agit ici de faire preuve de capacité à innover
en expérimentant avec les objets, tour à tour
transformés, combinés, détournés et créés à
partir de rien ; une pratique qui s’apparente
aux « contournements créatifs 3 » décrits par le
sociologue Morgan Meyer (2012) au sujet de la
« biologie de garage ». Ces « façons inventives
de travailler sans matériaux conventionnels et
coûteux » (Meyer, 2012 : 319) sont en effet dans
la noise une signature puissante de l’élaboration
du dispositif de jeu, qui aspire à l’ingéniosité, à
la créativité et à l’autonomie caractéristique de
l’éthos DIY, tout en démystifiant les conventions de la pratique musicienne.
Si le détournement bricoleur des
médiums de lecture et d’enregistrement
traduit déjà l’idée d’un mésusage possible
des outils à des fins musicales, la pratique du
circuit-bending constitue elle aussi un élément
phare des musiques bruitistes en s’apparentant
au hacking à travers l’exploitation des failles
matérielles de l’objet. Elle consiste, pour
générer de nouveaux sons, à court-circuiter
des instruments électroniques de faible tension
électrique ; un matériel qui relève souvent
du hardware analogique, réputé pour être
plus aisément manipulable et intuitif pour
les novices.
Evil Moisture 4 , qui expérimente depuis
26 ans à partir d’un dispositif évolutif composé d’un bric-à-brac de machines, est l’un des
pionniers de cette pratique. Fasciné depuis
l’enfance par l’archétype du scientifique fou et
du laboratoire expérimental, son univers teinté
de gore, de monstruosité et de pornographie
s’accompagne d’une pluralité de techniques
de collage, de bandes, d’enregistrements mais
aussi de nombreuses manipulations d’interrupteurs, de switches et de circuits électroniques.
« Vraiment, je n’y connais rien là-dedans,
j’ai de la chance et c’est tout », me confie-t-il,
tandis qu’il précise avoir malgré tout tenté
d’apprendre en 1990 quelques bases en électronique à l’aide d’ouvrages spécialisés. Le
musicien Popol Gluant 5 déclare pour sa part :
3 Cette expression (« creative workarounds ») est
empruntée à Heidi Ledford.
5 Âgé de 30 ans au moment de l’enquête, Hendrik vit
de ses dessins et des minimas sociaux.
« J’ai déjà désossé un lecteur cassette, ça marchait
très bien. Juste par la position des doigts, les circuits produisaient des bruits. Avec une cassette, ça distordait le son.
J’enlevais les vis et j’ouvrais la boîte en plastique. C’étaient
des sons assez puissants, assez gras, avec du corps. [...]
Je n’ai aucune base technique. Ça m’intéresserait mais je
suis trop feignant, trop de bases techniques... Je me suis
déjà pris du jus, faut pas le sortir totalement de la carcasse,
faut pas toucher certains endroits, il faut être prudent. »
4 Anglais d’origine, Andy Bolus s’est d’abord illustré à
Londres avant d’arriver à Paris et d’occuper le célèbre
squat de La Miroiterie, actif de 2000 à 2012.
DIY et hacking dans la musique noise…
Figure 3 : Appareils bendés et DIY d’Evil Moisture. Photographies libres de droit (prises par le musicien luimême, partagées sur son site internet et communiquées ici avec son accord).
16
1
6 Il faut reconnaître l’équivocité de la notion
d’« amateur » qui, dans une qualification péjorative
pensée à l’opposé de la rigueur attachée au
professionnalisme, est souvent associée à
l’incompétence. Selon Antoine Hennion, la figure de
l’amateur entretient pourtant une réelle réflexivité sur
ses pratiques, ses goûts et ses « attachements » – un
terme utilisé pour les relations et les expériences,
qui suppose de rompre l’opposition entre ce qui
vient de l’extérieur et l’interaction en insistant sur la
capacité à co-produire (2004). Plus généralement,
le courant pragmatique de la sociologie a apporté
puissante imprègne les récits et genèses des
gestes et des dispositifs.
de nombreuses nuances à la disqualification de
l’amateur dans le sens commun, en réhabilitant
notamment le rôle actif de cette figure à travers
un « faire » qui repose sur des médiations avec des
instruments, des communautés, des confrontations
et des passions. Olivier Assouly écrit ainsi, au
sein d’un ouvrage collectif qui vise à dresser un
portrait complexe de l’amateur, entre production et
consommation : « À la différence du connaisseur qui
exerce son jugement en fonction d’une qualification
que sanctionnent expressément des connaissances,
notamment à l’instar de l’expert, l’amateur cultive
son dilettantisme. Il ne s’autorise qu’en vertu de
lui-même, au fil d’une construction du savoir qui
échapperait aux itinéraires scolaire et académique.
Il aime les objets, non pas en théorie, pas davantage
sous la forme de représentations, mais dans des
expériences répétées et différenciées qui sont autant
d’entraînements et d’exercices, voire de bricolages
[…]. » (2010 : 9-10)
Article
De nombreux liens peuvent être esquissés entre les pratiques de bricolage précédemment exposées et le circuit-bending. D’une
part, parce que se manifestent également un
recyclage massif des interrupteurs et potentiomètres utilisés, ainsi qu’une forme d’assemblage astucieux des divers boîtiers ; d’autre
part, parce qu’une dimension amateure 6
23
Sarah Benhaïm
24
Si Arnaud Rivière reconnaît à plusieurs reprises que le bricolage auquel il
procède ne suppose aucune connaissance
théorique ni aucun pré-requis technique, il
exemplifie de manière emblématique une
figure de musicien-bricoleur plus ambivalente. Contrairement à certaines représentations du sens commun qui tendent à
concevoir le hacker comme un génie expert
de techniques obscures, ce type de pratiques, commun dans les musiques noise
et improvisées, relève d’une démarche
ludique et amateure entièrement tournée
vers l’expérimentation. Cela suppose de
passer par un apprentissage composé d’erreurs, de risques mais aussi de trouvailles :
si les aventures malheureuses du musicien
avec l’électricité ont eu pour conséquence
d’abîmer le matériel et de provoquer des
décharges, elles ont dans le même temps
été la source de nouvelles sonorités, résultant d’une recherche propre à la démarche
expérimentale du musicien.
Comme le suggèrent Popol Gluant et
Evil Moisture, la « chance » semble en outre
largement intervenir dans la pratique du
circuit-bending, puisque demeure le risque
que les courts-circuits grillent l’appareil ;
mais ici aussi, l’expérience et la connaissance intuitive sont bien ce qui permet
d’identifier plus précisément les endroits
où réaliser les courts-circuits et couper les
fils. Même si la pratique n’est pas exempte
de risques, le jeu repose en effet sur une
expérimentation « hackeuse » qui fait acte, au
travers du geste, du processus de recherche
lui-même. Comme le montre par ailleurs
l’expérience de ces musiciens, qui partagent
occasionnellement leurs connaissances
à l’occasion d’ateliers, l’expérimentation
autodidacte du bricolage et de l’électricité
implique de progressivement gagner en
habileté jusqu’à intégrer des bases en électronique et des savoir-faire spécifiques.
En somme, le hacking de bricolage et de
détournement, s’il est pleinement associé
à la culture amateure revendiquée par les
musiques DIY, constitue parallèlement une
voie d’apprentissage expérimentale et autodidacte qui, nous le verrons, complexifie la
notion de compétence.
Le circuit court du
court-circuit. Le DIY
comme apprentissage
et partage des
ressources
Tandis que beaucoup procèdent par
tâtonnement lorsqu’il s’agit de modifier et
de détourner les éléments de leur dispositif,
d’autres décident de se lancer dans l’aventure
de la fabrication intégrale d’un synthétiseur
ou d’un générateur de sons. La motivation
initiale résulte souvent d’une curiosité que
suscite l’univers de l’électronique et de ses
potentialités sonores, en résonance avec l’attrait que porte la noise envers la singularité
des textures bruitistes. À la différence du
hacking bricoleur évoqué précédemment, la
fabrication DIY de machines électroniques
exige de passer par un apprentissage plus
technique et de faire usage de patience,
ce qui ne correspond pas à l’ensemble des
profils, bien que la pratique soit répandue.
Ne disposant en amont d’aucune compétence en électronique – les électroniciens
« Je me lance dans le DIY, je fais des modules pour
mon système modulaire. J’achète des circuits imprimés sur
Internet, parce que je ne suis pas assez bon électronicien,
modules sous Arduino 8, vu que ça reste basé sur une puce
programmable. » (Fusiller 9)
Cet élan en faveur de l’apprentissage
autodidacte s’inscrit dans un mouvement
contemporain et global de démocratisation
des compétences étroitement lié aux nouvelles possibilités offertes par Internet et
les technologies numériques. Patrice Flichy
(2010 : 10-11) déclare ainsi :
puis j’achète ailleurs tous les composants électroniques. Je
« La démocratisation des compétences repose
soude et je branche. Je choisis et je regarde sur Internet,
d’abord sur l’accroissement du niveau moyen de connais-
où il y a une grosse communauté DIY [...] : ils font leurs
sances (dû notamment à l’allongement de la scolarité) et sur
propres systèmes modulaires, il y en a qui ont des murs
la possibilité offerte par Internet de faire circuler les savoirs,
entiers de trucs qu’ils ont fait eux-mêmes. Et comme c’est
de livrer son opinion à un public plus vaste. L’amateur qui
une communauté DIY, ils aiment faire partager ce qu’ils ont
fait. » (Fred Nipi 7)
apparaît aujourd’hui à la faveur des techniques numériques y
DIY et hacking dans la musique noise…
et électroniciennes de formation étant rares
au sein de la scène noise, sinon absents – les
artistes font la démarche d’apprendre les
bases techniques de manière autodidacte
en consultant les ouvrages spécialisés et
les forums Internet liés à la communauté
« DIY hardware ».
ajoute la volonté d’acquérir et d’améliorer des compétences
dans tel ou tel domaine. Il ne cherche pas à se substituer à
1
l’expert professionnel ni même agir comme un profession-
base en électronique avant de commencer à bidouiller. En
nel ; il développe plutôt une « expertise ordinaire », acquise
gros, je n’avais pas touché un fer à souder depuis le collège
par l’expérience, qui lui permet de réaliser, pendant son
en cours de techno. Pour démarrer, j’ai fouillé sur Internet,
temps libre, des activités qu’il aime et qu’il a choisies […].
sur le forum Electro-Music. J’ai acheté, en 2012 ou 2013 [...]
Son expertise est acquise peu à peu, jour après jour, par la
le bouquin Homemade Electronic Music de Nicolas Collins.
pratique et l’expérience. »
J’ai la deuxième édition et ça reste une bible, de par la
concentration d’idées [...] et la pédagogie. J’ai téléchargé
des PDF et des schémas à gogo... Le pas décisif, c’est
lorsque tu achètes pour la première fois des composants
et surtout une plaque d’expérimentation sans soudure. Là
Cette « expertise ordinaire » acquise
par l’expérience est aussi tributaire de ces
alternatives à la formation scolaire et professionnelle que constituent les guides DIY, ces
tu démarres un rituel infini d’essais/erreurs au kilomètre et
tu avances petit à petit. Sans pour autant toujours savoir
comment ça fonctionne, mais bon, tant que ça te plait, c’est
accessoire. Le fait d’avoir fait de l’informatique a par contre
sûrement été utile lorsque j’ai commencé à développer des
7 Âgé de 41 ans au moment de l’enquête, Fred vit de
sa profession de technicien au CNAM.
8 Arduino est une plateforme électronique sur
laquelle se trouve un microcontrôleur programmable
en langage C++. Elle peut être utilisée pour
l’élaboration d’objets interactifs indépendants ou
être reliée à un ordinateur en communication avec
des logiciels tels que Max/MSP ou SuperCollider.
Le design matériel et le schéma des cartes sont
distribués sous licence libre.
9 Âgé de 32 ans au moment de l’enquête, Jo Tanz
est acousticien et dirige un label DIY de musique
expérimentale.
Article
16
« J’ai une formation scientifique mais je n’avais aucune
25
Sarah Benhaïm
26
« ressources pour développer l’autonomie de la
communauté et favoriser l’entraide entre ses
membres » (Hein, 2012 : 78), qui permettent aux
novices de pouvoir, s’ils le désirent, suivre des
schémas en vue de réaliser quelques modèlestypes. Internet fournit en effet un espace
ouvert où la médiation s’élabore de manière
alternative, par la mise à disposition en accès
libre des schémas nécessaires à l’élaboration
d’un instrument électronique, ainsi que par
les forums spécialisés où experts et passionnés répondent aux questions pratiques des
novices. Les internautes y vulgarisent les
fondamentaux techniques nécessaires à la
compréhension de l’électronique et expliquent
les subtilités de leurs propres réalisations.
Comme l’écrit Meyer (2012), ce modèle de
co-production du savoir permet des collaborations entre spécialistes et profanes qui
interrogent l’exclusivité de l’engagement dans
les travaux de recherche des seuls experts.
L’éthique associée à la culture DIY défend
en effet une horizontalité des savoirs et des
pratiques qui ne peut se manifester que par
l’autonomisation de l’individu, ce qui explique
l’ensemble des dispositifs mis en place par la
communauté pour encourager l’autodidaxie.
Souvent plébiscitée comme étant un lieu
démocratique d’échange de connaissances,
l’électronique DIY entretient de nombreuses
porosités avec le domaine de l’open source, en
particulier, si l’on se réfère à la définition proposée par Crémer & Gaudeul (2004), à travers
les principes non-négociables d’ouverture, de
modification, de libre circulation et distribution des biens 10 . Plus encore, ces manières de
10 Bien que cela puisse paraître paradoxal d’un
point de vue extérieur, l’éthique open source
n’est pas incompatible avec la recherche de
personnalisation individuelle de l’instrumentation,
faire ont pris une ampleur considérable avec
le mouvement open science, qui, écrit Michel
Lallement au sujet d’un laboratoire de biologie
communautaire, vise à « ouvrir la boîte noire
des savoirs » et à « travailler à la prospérité pour
tous sur la base de technologies distribuées et
décentralisées », qui doivent être modifiables
selon le besoin des utilisateurs (2015 : 390).
Il s’agit donc ici du collectif, constitué d’un
réseau communautaire poreux composé de
makers, d’artistes et de libristes, qui a pour
vocation d’encourager les initiatives individuelles qui s’inscrivent elles-mêmes et en
retour au cœur d’un réseau qui revendique ou
valorise l’éthique portée par le DIY.
En outre, les amateur-e-s de musiques
bruitistes organisent et fréquentent ponctuellement des ateliers didactiques qui visent
à transmettre savoirs et techniques pour
fabriquer des instruments ou s’initier au
circuit-bending. Le phénomène s’est notamment développé à partir des années 2010, au
moment où des initiatives parisiennes telles
que le projet Lutherie Urbaine de Thierry
Madiot ou les ateliers organisés à la librairie
Monte-en-l’Air, au squat de la Miroiterie
et au lycée autogéré ont vu le jour. Il en va
de même pour l’association BrutPop, qui
développe à l’échelle nationale des ateliers
de pratique et de création d’instruments
avec un public autiste ou en situation de
handicap psychique. La salle montreuilloise
des Instants Chavirés, spécialisée dans la
diffusion des musiques expérimentales, est
commune dans l’univers de l’électronique DIY.
La logique repose sur le fait d’apporter au plus
grand nombre des ressources techniques et
scientifiques fondamentales (plans, schémas et
modules standards) à des fins d’appropriation et
de modification, selon une visée émancipatoire
individuelle et collective.
1
« Le DIY, c’est aussi un moyen de faire des économies par rapport au prix des instruments de musique et puis
d’évoluer : donc là, un mois j’achète les circuits imprimés, un
mois les composants électroniques, puis un autre mois tous
les boutons... Ça fait une sorte de crédit ! C’est intéressant
de faire soi-même son instrument. Puis on ne dépend pas
des grands fabricants... » (Fred Nipi)
« Il faut avouer que d’un point de vue économique,
ça me semblait plus cohérent. En fait, tout me paraissait
cher en comparaison de l’usage que je risquais d’en faire.
Par exemple, ma table de mixage est une entrée de gamme
donc je n’ai eu aucun scrupule à lui faire subir très rapidement
des larsens de table. Mais si j’ai un Moog à 2 000 € dans les
mains, hors de question de risquer de cramer la bête ! Pareil
pour les modifications potentielles. Une fois qu’on s’est un
peu penché sur ce qu’il y a à l’intérieur des machines, on
s’aperçoit que la valeur réelle des composants de certains
synthétiseurs, générateurs ou effets, est bien inférieure
au prix de vente. Vraiment bien inférieure. Et ça n’est pas
toujours justifié. » (Fusiller)
Les témoignages soulignent l’intérêt
économique de la démarche DIY, qui permet
d’acheter les composants selon les besoins
réels sans la marge de bénéfices réalisée
par les grands groupes puis par les revendeurs, rendant le prix des synthétiseurs plus
Article
16
également à l’initiative de nombreux ateliers
DIY ayant donné lieu à des restitutions sous
forme d’improvisations sonores collectives
et même parfois à des créations de groupes
plus pérennes, tel que Le bruit vient de la
cuisine, à la suite des ateliers du Système B.
Si la fréquentation de fablabs ne fait que
peu partie de leurs pratiques, ces ateliers
véhiculent, à leur image, « les principes
de partage de connaissances, d’accès et de
mise en commun [qui] sont souvent compris
comme des valeurs transposables à tous les
champs de l’activité humaine » (Bosqué, 2015
: 66), dont l’univers musical ne constitue ici
qu’une variante de ce mouvement social
croissant.
Par ailleurs, l’intérêt économique de ces
initiatives, s’il ne constitue pas la première
motivation, ne doit pas être minimisé : au-delà
de la valorisation du recyclage, la fabrication
DIY d’un instrument électronique constitue
une alternative économique substantielle au
regard des solutions industrielles.
DIY et hacking dans la musique noise…
Figures 4 et 5 : Synthétiseurs DIY de Fusiller, © Sonic Protest (4 avril 2015, Centre Barbara FGO, Paris).
27
Sarah Benhaïm
accessible qu’à l’accoutumée. L’acquisition
des compétences est donc vécue à la fois
comme une réappropriation des ressources
et comme un enjeu économique considérable
qui a pour effet de limiter au maximum le
nombre d’intermédiaires. Cette démarche
anti-consumériste proche de l’idée de circuit
court résonne ainsi étroitement avec l’éthos
du DIY, puisqu’il s’agit en réalité d’encourager
les individus à autonomiser leur pratique et
à s’émanciper au maximum des transactions
et des relations de dépendance à l’égard du
marché des instruments de musique.
Singularisation et
sérendipité
du dispositif.
De nouveaux
horizons de jeu
28
En incitant les individus à confectionner et à hacker leurs instruments, le
DIY donne lieu à une pléthore de manières
de faire individualisées qui rompent avec
l’uniformité supposée de l’industrie de la
musique. Comme l’exemplifie le témoignage
précédent, la valeur matérielle des instruments est en premier lieu reconsidérée :
en utilisant du matériel bas de gamme, les
artistes peuvent les détourner de manière
plus décomplexée, ou les utiliser comme
base du travail bricoleur. Il apparaît ainsi
que le modèle de l’instrument de musique
de belle facture ou de marque réputée est ici
désacralisé au profit d’une valorisation de
l’hybridité et de l’accessibilité économique,
l’instrument-augmenté devenant le lieu même
d’expérimentations. Plus globalement, dans
un tel paradigme, les propriétés et les formes
instrumentales industrielles ne sont plus
des standards déterminants. Personnalisée
selon les aspirations musicales de chaque
artiste, la confection électronique DIY est en
effet appréhendée comme un gage de liberté
quant aux choix des effets, des textures et
des combinaisons sonores à adopter. Un
enthousiasme exprimé, par exemple, par
Aaron Dilloway dans une interview parue
dans le fanzine Special Interests, au sujet d’une
machine réalisée par l’un de ses amis.
« Je n’ai pas la capacité ni la patience de modifier
moi-même mon matériel, mais je suis assez chanceux d’avoir
quelques amis qui sont très forts dans ce genre de chose
et qui m’ont aidé à réaliser certaines de mes idées. En ce
moment mon pote Bbob Drake travaille pour moi sur un
magnétophone à bandes auquel j’ai rêvé ces dix dernières
années. J’ai élaboré des plans, discuté avec lui sur ce que
je voulais et avais besoin de faire, puis il m’a montré ce
qui était possible avec les outils avec lesquels on travaille.
Lorsque cette machine sera terminée, je serai capable de
créer le travail de bande en live le plus taré que j’ai jamais
fait. » (Aspa, 2010 : 44)
L’originalité des sons ou des fonctionnalités allant souvent de pair avec la singularité de l’instrumentarium, la perspective de
jouer avec une machine personnalisée amène
des horizons de jeu appréhendés comme
inédits, au moins en termes d’expérience
individuelle.
De plus, lorsque la relative « maîtrise »
du fonctionnement électronique permet
de réaliser des tests en dehors des schémas
prédéfinis, la fabrication autonome permet
d’obtenir un résultat souvent inattendu mais
apprécié des adeptes de l’improvisation.
où on se dirigeait au départ. On se retrouve toujours avec
des modes de jeu ou des sonorités qu’on ne cherchait pas.
[...] Après on va pas se leurrer, des professionnels ont certainement déjà découvert toutes ces pseudo-innovations
empiriques par le passé. Et ils les ont même surement souvent intégrées à leurs produits. Mais bon quand tu trouves
ça dans ton salon, tu as au moins le plaisir d’être surpris !
Et puis lorsque tu trouves un son assez sale ou un mode
de jeu ingérable, tu le conserves plus volontairement que
si tu devais rendre des comptes au PDG de Korg. Lorsque
je développe une machine, il y a aussi un moment où je me
retrouve à considérer les aspects ergonomiques. […] Est-ce
que je veux réduire la taille, pouvoir faire en sorte de faire
communiquer mes modules entre eux, fermer le design ou
le conserver plus ou moins modulable, etc. […] Donc tu te
retrouves encore face au côté aléatoire de l’amateurisme
total, contraint à des utilisations détournées ou finalement
16
1
différentes de l’idée initiale. [...] On peut dire que ça fait partie
du charme de la chose, même si parfois ces restrictions à
moitié volontaires peuvent devenir assez problématiques ou
contraignantes. [...] Et là j’avoue que fabriquer ses machines
présente un avantage non négligeable. Parce que ça reste
souvent bien plus facile de modifier ou de mettre à jour
quelque chose que l’on a développé soi-même, surtout
sous Arduino. » (Fusiller)
Ce sentiment d’émancipation à l’égard
du matériel fabriqué en masse – « pas besoin
de rendre des comptes à Korg » – tient au
libre choix de fonctionnalités qui peuvent
diverger de ceux que mettent en œuvre les
industriels, même si ces derniers, loin de
tous demeurer indifférents à ce mouvement
hacker, se sont parfois adaptés à la demande
en « ouvrant » davantage leurs machines 11.
11 Il est intéressant d’observer que ces dernières
années, un industriel comme Korg a partiellement
ouvert ses machines de façon à ce qu’elles puissent
être hackées. Tandis que ce choix pourrait à
première vue sembler paradoxal, il s’agit en réalité
de prendre acte de pratiques DIY de plus en plus
répandues pour s’insérer sur ce nouveau marché et
rattraper au vol des clients et clientes qui pourraient
définitivement se détourner des firmes commerciales.
En somme, une stratégie et des aménagements néomanagériaux qui visent à vaincre les critiques qui lui
sont adressées par une récupération des pratiques,
tout en renforçant l’accumulation capitaliste, soit
un symptôme emblématique du nouvel esprit du
capitalisme (Boltanski & Chiapello, 2011).
DIY et hacking dans la musique noise…
si on suit un plan précis, le résultat se situe [...] rarement là
La compréhension électronique et ergonomique de l’objet favorise en effet un débridage
des possibilités techniques et d’éventuelles
modifications par l’artiste selon sa propre
logique de création – la nature bruitiste
de certains sons ainsi que les modes de jeu
incontrôlables étant, dans le cas de la musique
noise, plus volontiers choisis.
Ce type d’expérimentation mené
autour des circuits imprimés, qui se nourrit
d’astuces partagées et de savoir ésotérique,
s’insère dans la continuité d’une histoire
plus vaste des pratiques sociales liées au
bricolage qu’exemplifie d’ailleurs de manière
significative le concept de « débridage » : peu
importe l’objet industriel sur lequel il s’applique et l’univers social auquel il se rapporte
– pensons par exemple au bricolage des
motos que rapporte avec passion Matthew
Crawford (2010) –, il existe une proximité
entre ces pratiques qui renvoie à une sociologie du bricolage entre soi et à l’échange
de savoir-faire. La quête d’autonomisation
individuelle, emblématique du principe du
DIY, se manifeste effectivement par le biais
d’une capacité d’action dans l’apprentissage
qui n’est pas sans lien, dans l’électronique
comme dans d’autres secteurs, avec la singularisation et l’optimisation. À l’instar
Article
« Lorsqu’on fabrique soi-même quelque chose, à part
29
Sarah Benhaïm
des adeptes des logiciels libres du monde
informatique, il existe en effet dans le DIY
électronique une disposition à l’économie
plutôt qu’une tendance à la surenchère de
consommation matérielle. Comme l’écrit
Gaël Depoorter,
« pour les libristes, l’ordinateur n’est pas une “boîte
noire enchantée” à partir de laquelle il faudrait s’adapter par
fascination et incompétence, mais bien plutôt une ressource,
un ustensile qu’il convient de modeler, paramétrer, bricoler
soi-même pour qu’il réponde à ses propres besoins. »
(2013 : 151)
30
L’idée n’est donc plus de s’adapter à
l’outil, ici l’instrument de musique, mais
d’instrumenter les ressources au service
d’une singularité musicale. Il s’agit en effet
de considérer que selon le bricolage effectué, les connexions des composants ou les
options programmées via une plateforme
de prototypage, les combinaisons et les
sonorités produites imprègnent l’univers
musical de l’artiste. Cette construction du
style fonctionne par ailleurs dans les deux
sens : il n’est pas seulement question de réaliser des machines sur mesure à l’image de
ses projections mentales, en visant quelque
résultat sonore potentiel ; un univers bruitiste
singulier s’élabore principalement à partir
de l’apprivoisement du geste et des possibilités matérielles, via le jeu expérimental sur
l’instrumentation.
L’observation des pratiques révèle que
cette appropriation des ressources ne se fait
pas toujours dans les règles de l’art (ou plutôt,
dans les règles de la science). Comme l’évoque
précisément le témoignage de Fusiller, ces
nouvelles sonorités sont tout autant anticipées
qu’elles résultent d’erreurs et de contraintes,
une conséquence réelle des limites du matériel
et du niveau de connaissance en électronique.
Les « règles » de l’électronique DIY édictées
non sans humour par Nicolas Collins ne font
d’ailleurs pas secret du caractère parfois
opaque et aléatoire de cette pratique : « de
nombreux hacks sont comme les papillons :
beaux mais éphémères » ; « en électronique
certaines choses sont réversibles avec des
résultats intéressants, mais certaines choses
sont réversibles seulement avec des résultats
irréversibles » ; ou « si ça sonne bien et que ça
ne fume pas, ne t’inquiète pas si tu ne comprends pas » (2006 : 225). À cette complexité
scientifique se juxtapose en outre l’intuitivité
de l’expérimentation. En conditionnant
le dispositif et en modifiant les modes de
jeu, les nouvelles fonctionnalités sonores
imprègnent l’expérimentation à travers un
mélange de contrôle et d’aléatoire qui participe plus largement à une conception « noise »
du dispositif. Ewa Justka 12 déclare, lors d’un
entretien retranscrit dans la revue polonaise
Glissando :
« Le domaine DIY comprend une large dose d’intuition. Sans cela, il serait très difficile de sculpter quoi que ce
soit. Le processus est souvent fondé sur le fait d’agir selon
l’intuition, qui n’est pas basée sur les schémas électroniques.
C’est souvent une chance, parce que c’est exactement ce
qu’est le bruit – une erreur, quelque chose de non désiré. À
travers les erreurs je découvre quelque chose de nouveau,
de différent. » (Citée par Lewandowska, 2014 : 143).
La musicienne met ici en lumière l’intuitivité de jeu qui découle d’une instrumentation hackée et DIY, dont la disposition
12 Ewa Justka est une musicienne polonaise qui
réside à Londres. Elle anime de nombreux ateliers sur
le DIY électronique.
DIY et hacking dans la musique noise…
16
1
aux bruits est souvent connectée à la manifestation inattendue de la conception et des
effets de l’électronique. La sérendipité se
manifeste ainsi autant sous les traits d’une
conséquence fortuite que d’une recherche
consciente, le plaisir de l’invention et de la
survenance des phénomènes sonores étant
à la fois corrélé au caractère expérimental
de la musique et à l’amateurisme qui résulte
parfois du DIY. Il convient en effet de considérer que l’indétermination induite par le
fait de ne pas être en mesure de prévoir (ou
alors de manière limitée) les sons produits
par ces bricolages, est en réalité l’une des
composantes d’un paradigme esthétique de
l’échec 13 , ainsi qu’a par exemple pu l’étudier
13 Pour un vaste panorama des musiques
développant une esthétique de l’échec à partir
de processus comme l’ennui/attente, la laideur,
l’informe et l’absurde, voir l’ouvrage Boring Formless
Caleb Kelly (2009) à partir des médiums de
lecture détournés. Si elle agissait déjà en tant
que condition possible de l’expérimentation
dans la tradition musicale d’avant-garde, elle
apparaît dans la musique noise – à l’instar
d’autres esthétiques musicales contemporaines comme le glitch – sous une forme
particulièrement radicale qui met au premier
plan les « parasites » bruitistes. En somme,
pratiques et matériau musical articulent
ici une conception intégrative du monde
sonore qui questionne ontologiquement le
bruit, en plus de mobiliser une esthétique de
l’indésirable, du rebut, du non-contrôle et de
l’inconfort qui imprègne plus globalement le
genre (Benhaïm, 2018 ; Guesde & Nadrigny,
2018 ; Hainge, 2013 ; Hegarty, 2007).
Nonsense. Experimental Music and the Aesthetics of
Failure d’Eldritch Priest (2013).
Article
Figure 6 : Créations DIY d’Ewa Justka. Photographie extraite d’une vidéo de Natalia Ambroziak
(28 août 2014).
31
Sarah Benhaïm
La fierté et le savoir
par le « faire »
Il apparaît que la fabrication autonome
du matériel est en réalité chargée d’un fort
capital symbolique à travers la valorisation de
la créativité de l’individu. Le premier intérêt
que les musiciens et musiciennes mentionnent
au sujet des pratiques DIY est le plaisir et la
fierté d’avoir réalisé un instrument à partir
de rien. Au contraire des machines standardisées, les instruments inventés portent la
singularité des individus qui les ont réalisés
et, résultant d’une recherche sonore extensive, ils s’apparentent à des œuvres d’art. À en
juger par les réactions que manifeste le public
lors des concerts de musiques bruitistes, le
matériel de jeu personnalisé suscite beaucoup
de curiosité et d’admiration, un engouement
qui doit évidemment être évalué en regard des
conventions habituelles d’instrumentation,
ainsi que le souligne Karin Weissenbrunner :
« Dans une culture envahie par des biens de consommation produits en masse et par des techniques de copier/
dispositif mais aussi, par effet de miroir, son
identité d’artiste. En effet, les technologies
constituent bel et bien une forme de signature
de l’éthos et des valeurs privilégiées que sont
ici la singularité, l’individualité et l’originalité.
Le handmade, qui porte au premier plan la
créativité individuelle, représente une alternative aux formes standardisées qu’incarnent
les technologies industrielles et les classifications organologiques conventionnelles. En
rompant avec l’ergonomie, les fonctions et
les modalités d’apprentissage codifiées qui
fondent les conventions instrumentales, ces
technologies arborent de nouvelles possibilités
qui modifient notre conception de la musique
mais aussi du « faire musique ». Lorsqu’il ne
s’agit pas d’une conception handmade mais de
pratiques de recyclage et de feedbacks, c’est
alors l’assemblage des divers éléments du
dispositif et leurs connexions qui importent :
à cette plastique sonore modulable qui signe
l’identité musicale se mêle ainsi la distinction
que vaut la reconnaissance de la créativité
de l’artiste 14 .
Outre le capital symbolique porté par
de telles réalisations, se manifeste aussi le
développement de capacités personnelles à
coller, les mouvements de recyclage et de sampling dans la
musique opposent l’individualité et l’originalité aux problèmes
de reproduction et de copie. L’électronique handmade, qui
relie le simple matériel au son, apporte un contrepoint à l’éclat
des outils technologiques conçus par la machine, tels que
les ordinateurs, les smartphones, etc. » (2015)
32
Si l’apprentissage de l’électronique DIY
implique de passer par une phase préalable
de mimétisme via l’acquisition de ressources
partagées (consultation de tutoriels standards,
utilisation de circuits déjà imprimés, etc.), il
permet aussi d’offrir rapidement de nouvelles
compétences permettant de personnaliser son
14 Chaque dispositif a son propre agencement, qui
conditionne sa propre « circulation » sonore et son
propre son, au point que la mise en cohérence de
cet ensemble est considérée comme un élément de
première importance dans le style de l’artiste. Cette
anecdote rapportée par David Novak en témoigne
parfaitement : un musicien néophyte avait, lors d’un
concert de Merzbow, filmé l’ensemble des éléments
qui composaient son matériel et leur interconnexion
spécifique, dans le but de se les procurer et de
reproduire ensuite les connectiques à l’identique ;
bien que l’usage qu’il fit du dispositif fut différent,
il fut malgré tout l’objet de fortes critiques de la
part des amateur-e-s qui reconnaissaient, dans la
machine, le « spectre de Merzbow » (Novak, 2013 :
144).
« Sérieusement, c’est un processus très complexe.
J’ai commencé par un jeu intuitif avec les composants. Plus
tard, j’ai commencé à vraiment m’intéresser au côté scientifique, c’est-à-dire à l’exploration de ce que contiennent les
16
1
composants, de ce qu’est la loi d’Ohm, de la manière dont
circule un signal dans les circuits électriques, de la façon
dont ont été créés les semi-conducteurs, de quoi est fait
le circuit intégré et à quel point les équations de Maxwell
sont étonnantes... » (Citée par Lewandowska, 2014 : 143)
L’expérience rapportée par la musicienne montre comment la compétence se
transforme elle-même au gré des essais et
des expérimentations. L’approche intuitive de l’instrumentation se mue progressivement en une exploration scientifique,
qui permet dès lors de réaliser ses propres
schémas électroniques afin de concevoir
des machines personnalisées. Le DIY, écrit
Depoorter au sujet de l’informatique, incite
en effet les individus « à (re)conquérir leur
capacité d’action dans leur apprentissage
et leur pratique de l’outil […], perceptible
dans la valorisation de la figure de l’autodidacte » (2013 : 151). Cette extension des
compétences individuelles suggère ainsi que
Conclusion
En prenant pour objet certaines pratiques de hacking qui composent l’éventail
étendu de gestes caractéristiques de la musique
noise, cet article a mis en exergue les démonstrations de bricolage, les expérimentations
ludiques, les astuces et les accommodements,
la visée ergonomique et la personnalisation
de l’outil aux propres modalités de jeu des
artistes, nous révélant par conséquent l’importance de l’amateurisme et de l’autodidaxie
dans l’expérimentation bruitiste, à laquelle
fait écho une certaine bienveillance à l’égard
de la sérendipité et de la survenance de bruits
parasites. Ces contournements créatifs, signes
d’une inventivité qui émerge à partir d’une
confection non-conventionnelle et financièrement accessible, épousent des valeurs
hétérodoxes qui, en plus d’interroger la propriété intellectuelle et industrielle, contestent
un conformisme et une uniformité ressentie
des conventions instrumentales au travers
d’un goût pour le « faire », pour l’originalité
et pour l’anti-consumérisme modélisé par les
pratiques de recyclage et de bricolage. Cette
intuitivité que permettent l’expérimentation
bruitiste et la confection d’un dispositif singulier est appréhendée par les artistes comme
un ressort favorable à leur expressivité, et
représente un levier non moins important en
termes d’accessibilité à la pratique musicale.
DIY et hacking dans la musique noise…
l’artiste de noise n’est plus simplement un
musicien, mais un expérimentateur proche
des figures du bricoleur, voire de celle de
l’ingénieur. L’autodidaxie du profane constitue en somme le moteur d’une acquisition
de compétences scientifiques au service de
sa créativité musicale et artistique.
Article
comprendre certains principes scientifiques
et à intégrer plus généralement de nouvelles
connaissances. Acquérant progressivement
une compréhension du fonctionnement de
l’électronique, les musiciens et musiciennes
sont tentés de développer davantage leurs
compétences et de découvrir leur appétence
scientifique au fil de la pratique – même si
une formation scientifique préalable peut
sans aucun doute contribuer à appréhender
plus en détails l’électronique en tant que
système ou même à développer des aptitudes
de programmation. Ewa Justka est elle-même
passée par cette expérience :
33
Sarah Benhaïm
34
En plus de nous inviter à repenser les
hiérarchies instrumentales et gestuelles,
ces pratiques ont également mis en valeur
l’inscription collective et communautaire de
cette autodidaxie amateure au travers d’une
circulation des valeurs et des ressources
véhiculées par le Do it Yourself et par l’éthique
hacker. À travers la transmission en libre
accès de guides et de plans sur Internet, ou par
l’intermédiaire d’échanges collectifs menés
au cœur des ateliers DIY, l’éthique libriste
prend la forme de pratiques concrètes de
partage de savoir-faire qui offrent au musicien les outils de sa propre réappropriation
de moyens d’action dans le processus créatif.
L’initiative amateure typique de l’expérimentation bruitiste, d’une part, et la culture de
mutualisation des ressources qui sous-tend le
monde de l’instrumentation hackée, d’autre
part, œuvrent de concert à créer des espaces
potentiels où les artistes accèdent, par la
suppression d’intermédiations traditionnelles – ici l’organologie conventionnelle et
l’ingénierie acquise par le biais scolaire – à
une plus forte autonomie. Selon Philippe
Le Guern (2012 : 37), le paradigme change en
effet dès lors que les outils de production ne
sont plus inaccessibles : avec des usages et des
technologies qui favorisent la polyvalence, le
musicien s’extrait des contraintes de division
des tâches et de spécialisation des activités,
et retrouve la maîtrise du processus créatif
dans son ensemble.
Il apparaît de la sorte que le hacking et
le DIY instrumentaux, s’ils se caractérisent
par une conception expérimentale et autonome de l’art qui encense l’autodidaxie et
la singularité, proposent plus généralement
un modèle qui étiole à la fois les frontières
entre experts et profanes par l’ouverture et la
mutualisation des ressources, les frontières
entre instruments conventionnels et sources
sonores bricolées par des pratiques handmade,
détournées et recyclées, et les frontières
entre l’art et la science (ici électronique)
par une acquisition de compétences qui
tend vers une ingénierie visant à autonomiser sa pratique artistique. En tant que
gestes et pratiques affiliés au registre de
l’expérimentation, ils s’affirment en tant
que manières de faire simultanément individualisées et connectées par des réseaux
communautaires poreux, qui détonent visà-vis d’une industrie de la musique jugée
trop uniforme. Le hacking comme le DIY
officient donc comme une reconquête des
moyens d’action dans l’apprentissage du point
de vue de la création, source d’émancipation
individuelle, mais aussi du point de vue de
la musique elle-même, où la libération du
code informatique prônée par les hackers
pourrait, plus symboliquement, renvoyer
à une libération des conventions musicales
incarnée par la résurgence bruitiste. Plus
largement, ce « bidouillage » qui caractérise
la démarche d’expérimentation instrumentale de la noise apparaît en définitive comme
l’une des nombreuses facettes d’une scène
profondément imprégnée et gouvernée par
le précepte d’action du DIY : entre autres,
faire ce qu’il est possible de faire avec peu
de ressources, créer du singulier à partir du
rebut, jouer de la musique sans avoir jamais
suivi d’enseignement spécifique, détourner
les circuits conventionnels de l’industrie
musicale en autoproduisant des cassettes,
ou organiser des concerts dans des lieux
éphémères souvent inappropriés pour des
musiques à fort volume.
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Article
Bibliographie
35
Minter are congruent with our contemporary understanding
of hacking.
Keywords: counterculture – resistance / digitality /
representation (visual) / sound system / technologies
– devices / websites – blogs – forums
Résumé : Associée à la suite logicielle du Jaguar CD (un
périphérique associé à une console de jeux vidéo Atari sortie
en 1995, mais qui n’eut guère de succès), la Virtual Light
Machine (VLM) de Jeff Minter préfigurait les visualiseurs
de musique souvent intégrés aux lecteurs multimédias
numériques du début des années 2000. Elle avait été conçue
pour lire un CD et générer en temps réel des animations
plus ou moins synchronisées avec la musique. En 1996,
Jeff Minter publiait en ligne le « Yak’s Quick Intro to VLM
Hacking », un guide expliquant comment personnaliser les
1
By Eamonn Bell (Columbia University)
Abstract: Foreshadowing in purpose and execution the
81 paramètres prédéfinis du visualiseur, grâce à un menu
caché dans le logiciel. Le travail logiciel de Minter, qui est
peu connu au-delà de la communauté des historiens et des
music visualizers that were widely distributed with software
passionnés de jeux vidéo, mérite une place dans l’histoire
media players during the early 2000s, Jeff Minter’s Virtual
des technologies grand public de visualisation de la musique.
Light Machine (VLM) was distributed in the firmware of the
À partir de sources primaires numériques (pages Web,
commercially unsuccessful Atari Jaguar CD games console,
messages sur les forums de discussion, code d’origine du
which was released in 1995. The VLM was designed to play
an audio CD and generate real-time animations in moreor-less tightly coupled synchrony with music. The following
year, Minter published “Yak’s Quick Intro to VLM Hacking”,
VLM), cet article cherche à déterminer dans quelle mesure
les pratiques définies par Minter peuvent être retrouvées
dans les normes contemporaines du hacking.
an online guide describing how to customize the visualizer’s
81 graphical presets that revealed a hidden menu in the
software. Minter’s software work, not widely known outside
of the community of video-game historians and enthusiasts,
deserves inclusion in a broader history of consumer music
visualization technology. I draw on born-digital primary
Mots-clés : contre-culture / numérique /
représentation visuelle / sound system / technologies
/ sites internet – blogs – forums / hacking /
visualisation musicale
Article
16
Hacking Jeff
Minter’s Virtual
Light Machine:
Unpacking the code
and community
behind an early
software-based
music visualizer
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
Article
to which the practices explicitly and implicitly endorsed by
sources—including newsgroup posts, web pages, and the
original code for the VLM itself—to understand the extent
37
Eamonn Bell
Introducing the
Virtual Light
Machine
includes the Virtual Light Machine™ (VLM). No other game
system has VLM. VLM literally looks at audio compact discs
as they are played and spontaneously produces a spectrum
analysis of every incoming sound. This information is assembled in a frequency map of the music and assigned complex
visual equivalents. Advanced 64-bit data processing makes
it possible for the translation to take place almost faster than
On June 23, 1994, a breathless newswire from the Atari Corporation announced
the impending release of its Jaguar CD console add-on accessory for the US market.
Indulging in a number of dubious mixed
metaphors, the press release described one
of the accessory’s more distinctive selling
points: it was to be distributed with a built-in,
interactive music visualizer, designed and
programmed by the British video-game artist
Jeff Minter.
“Thanks to the many talents of Jeff Minter, author of
the award-winning Tempest 2000™, Atari’s new CD-ROM
38
the ear can hear it so images are in perfect tune with the
sound as it is played. The result is a stunning light show. VLM
is perfect for parties and every other listening environment
where audio compact discs are enjoyed.” (Newswire, 1994)
Promotional copy on the Jaguar CD’s
packaging (Figure 1) proclaimed that “VLM
brings your music to life”, and that owners could “pop in a music CD, sit back and
watch as 65,000 colors warp, contort and
distort to every beat, octave and power
chord”. Owners of the Virtual Light Machine
(VLM) listened to the music of their choice
as multicolored, pixillated graphics moved
Figure 1: Promotional copy in three languages on the back panel of the
original packaging of the Atari Jaguar CD. Source: http://jagcube.atari.
org/jaguarcd.html. Accessed 28 October 2018. Copyright: Atari Corporation, Inc.
16
1
onscreen and appeared to change in response
to the music heard.
Despite its attractive graphics processing power, the ill-fated Jaguar caused significant financial problems for Atari—they sold
just 125,000 units worldwide between its
release in 1993 and 1995, and were burdened
with another 100,000 units that remained
on inventory by the end of that year (Atari
Corporation, 1996). The Jaguar CD add-on
(shown in Figure 2) for which Minter was
commissioned to write the VLM was itself
an even less widely available piece of consumer electronics. 1 Uncertainties about the
precise extent of its failure aside, the commercial reach and impact of the Jaguar CD
1 It is widely asserted that Atari sold only the first
production run consisting of 20,000 units of the
Jaguar CD; there is some evidence from serial
numbers and manufacturing dates shared online
by Jaguar CD owners that this is unlikely to be the
case. See, for example, https://atariage.com/forums/
topic/156319-jaguar-cd-real-production-quantityand-hardware-variations (accessed 6 August 2019).
paled in comparison with that of its direct
competitor: released on the last day of 1994,
the CD-based Sony Playstation sold over
102 million units by March 2007 (Sony
Computer Entertainment, 2011).
The main interface offers conventional
CD playback features; the media transport
buttons (play, pause, skip forward, etc.) are
displayed prominently. Like the majority
of audioreactive software visualizers, the
VLM is driven by continuous acoustic signals
(i.e. the sounds themselves) and not discrete
data that might be implied by an instrumental
performance or derived from a musical score. 2
When the user presses the up or down arrows
on the D-pad, an overlay of a volume slider
appears on the screen, allowing control of
the playback volume, or “gain”. If the gain
is set too low, the visualizer’s shapes remain
sluggish and inactive, even if the track is
2 Cf. The Music Animation Machine (1985–) of Stephen
Malinowski, which primarily consumes a symbolic
representation of the score (Bain, 2008: 29-31).
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
Article
Figure 2: The Atari Jaguar with the Jaguar CD add-on in situ, along with its
idiosyncratic controller. The Atari Jaguar controller featured a telephone-style
numeric keypad, which is used in the VLM to switch between visualizer presets.
Source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Atari-Jaguar-CD-wController.
jpg. Accessed 14 July 2019. Credit: Released into the public domain by EvanAmos.
39
Eamonn Bell
40
up-tempo; too high and the animation seems
to respond hyperactively to the music. The
finicky VLM does not always produce desirable audiovisual correspondences between,
say, the pulsing bassline of an acid house
track and the vibrating shapes on screen.
Tweaking the playback gain appeared, for
most users, to be the only way to adjust the
visualizer’s behavior.
The VLM allowed players to select from
an array of different types of visualizations.
Minter used language already in common use
in the audio synthesis world to describe how
these different visualization strategies were
arrayed: each distinct kind of visualization is
called a “preset”; presets are organized into
nine “banks”, containing nine presets each,
for a total of 81 preset visualization styles
(Figure 3). Players used the idiosyncratic
telephone-style number pad on the Jaguar’s
controller to literally dial in the desired preset from a finite palette of options. Presets
in the same bank share a basic visualization
conceit with each family member constituting
a variation on some underlying visual theme.
Little would the average player know
Minter had hidden in VLM software the
facility to create brand new presets by
manipulating dozens of audio-visual software parameters opening up millions of
new possibilities for visualization. Before I
explain this hidden menu in greater detail, I
begin by situating the VLM in the context
of other similar devices that preceded it.
Figure 3: The author’s montage of screenshots of each one of the 81 of the preset visualizations provided by the Virtual Light Machine out of the box. Source: http://jagcube.atari.
org/jaguarcd.html. Accessed 28 October 2018. Last updated 22 January 2002.
Color organs, video synthesizers, music
visualizers, lightsynths; oh my!
16
1
Jeff Minter’s VLM is part of a long line
of devices that co-ordinate music and light in
time: from the notorious ocular clavichord of
Louis Bertrand Castel (1725) to the tastiera per
luce that accompanied Scriabin’s Prometheus
(1915) and early-twentieth-century “color
organs” in their image. The dawn of film
spurred the Soviet experiments with draw-on
sound, as well as those of Rudolf Pfenninger
and Oskar Fischinger, the later also widely
known for his experiments in “visual music”
using cut-outs and other novel techniques
for stop-motion animation. 3 The mid-century witnessed Gordon Pask’s cybernetic
Musicolour (1953-1957) and the pieces of
John and James Whitney (starting in the late
1950s), leading to the computer-controlled
animations of Laurie Spiegel (1974-1976) and
Lillian F. Schwartz (1970-). 4 The desire to
3 On the Soviet and Austro-German histories of
drawn-on sound respectively, see Izvolov (2014) and
Levin (2003). See also Patteson (2016: 106-113).
4 On the Whitney brothers’ work, see Patterson
(2009). On Gordon Pask’s Musicolour, see Pickering
(2010: 313-321). For Spiegel on her graphic practice in
her own words, see Spiegel (1998). A large selection
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
Points of reference
“see sound” is perhaps most recently attested
to by the visualization software that was
bundled with widely used audio player software including Nullsoft’s Winamp (1997),
Windows Media Player 7 (2000), and the
Apple iTunes player (2001). 5 Importantly,
these audiovisual experiences were fully
commodified, and widely accessible to the
millions of PC owners. Unlike the preponderance of one-off or experimental devices
represented in this selective history, and like
the VLM, this software brought real-time,
reactive music visualization into the home.
A self-avowedly abbreviated account
of this lineage has been sketched by Amy
Alexander and Nick Collins; they acknowledge the futility of trying to “tie up all the
historical threads of audiovisual performance”
and focus primarily on contemporary VJ and
live cinema work. 6 Ideally complementary to
those histories of abstract cinema provided
by film studies, a comprehensive history of
music and light with an explicitly musicological tint has yet to be completed. 7 Karen
Collins, William Gibbons, and Roger Moseley
have each separately noted the intersection
between video games and the development
of new music visualizations, citing dozens of
music-related video games that feature music
visualization of some kind. Their examples
of Schwartz’s film work is available online at http://
lillian.com/films/ (accessed 6 August 2019).
5 Visualizer plugins were available for Winamp
at least as early as 1998; the first version of the
influential Advanced Visualization Studio (AVS)
appeared with Winamp 2.61 (2000).
6 Alexander and Collins (2017).
7 Though see Whyte (2019) for work in precisely this
direction.
Article
Then, I consider the specific senses in which
“hacking” can be understood in relation to
the device. Finally, I discuss the advantages
of studying this digital artifact through the
close consideration of its code and of the
online trace of its community of owners.
41
Eamonn Bell
42
range from simple rhythm games to fully-featured simulacra for musical performance,
represented by Harmonix’s Guitar Hero family
of video games. 8 Their ludomusicological
work justifies a focus on games in the context of the history of music visualization,
bringing insights from a medium ordinarily
excluded from organological or film-history
perspectives on the topic.
There are, nevertheless, notable points
of contact between Minter’s digital practice
and avant-garde visual art in the twentieth
century arising from the experimental use
of video technology. For instance, Peter
Sachs Collopy has traced the twentieth-century use of analog circuits to generate and
modify video signals, through to the hybrid
digital-analog systems that allowed for finegrained computer control of electronic circuitry (Collopy, 2014). Collopy, like many
of the artists whose work he cites, uses the
umbrella term “video synthesizer” to refer to
the various systems he discusses; the implied
analogy is justified, since “designers modeled
video synthesizers on audio synthesizers”
(Collopy, 2014: 74). Minter would have been
sympathetic to this analogy, since he uses
the term “lightsynth” to refer not only to
his VLM, but also to its several predecessors, each of which share the aim of creating
a more-or-less independent play of light.
Here, I prefer the term “music visualizer”
to describe such a device that, using the representation of a recording as an audio signal,
produces animated images intended to be
viewed in synchrony with music—whether
8 Collins (2013: 581-582); Gibbons (2018: 92ff.);
Moseley (2013).
or not they require or facilitate interaction
by their users. 9
The Jaguar CD was not the first consumer music visualizer. Indeed, the Atari
Corporation had already developed an
electronic visualizer unit for the home consumer goods market—the Atari Video Music
(C240)—as early as 1976, though it was neither especially sophisticated nor popular. 10
Nor was the Jaguar CD, the first home video
game console to include a music visualizer.
That dubious honor goes to the 3DO, a
CD-based entertainment system first manufactured in 1993 that included a visualizer
system that allowed its users to choose one
of four lurid preset visualizations driven
by the sounds of an audio CD that had been
inserted. 11
9 Minter, on the other hand, reserves this term
(“visualizer”) for hardware or software creations
that do not accept user input, and emphasizes
that what distinguishes his lightsynths from such
visualizers is precisely their interactivity. The reality
of multimedia technology is messy and resists
taxonomies. For scholars of multimedia, it is probably
more productive, instead, to speak of degrees of
interactivity, audioreactivity, and autonomy in the
techniques and interfaces of music/sound visualizers,
emphasizing both their family resemblances and
dissimilarities, than to draw bright lines between
them and balkanize their study on the basis of
terminology.
10 The Atari Video Music has received little academic
scrutiny, though see the cursory description in
Bogost (2011), cited in Gibbons (2018: 92). Online
videos published on YouTube provide adequate
technical overviews of the device and its limited
capabilities. See, for example, “RetroTech: Atari Video
Music - The Migraine Machine” (2017): https://youtu.
be/wle0eqBwtL8 or “Ben Heck’s Atari Video Music
Teardown” (2016): https://youtu.be/INnpnJvDXDg
(both accessed 6 August 2019).
11 For more on the 3DO, a technically innovative
system that was nevertheless a commercial failure,
see Wolf (2008: 162-163).
to work like Minter’s and that of other demoscene participants.
In Minter’s own account of the history of visualizations, he
describes a run-in with a Nullsoft employee ʽwho apologized
for ‘borrowing’ the techniques I’d used on the [Atari] Jaguar
VLM for their own visualizations.ʼ”(Morris, 2015: 55)
16
1
The VLM’s strategies of music visualization, which are discussed in detail below,
anticipate those softwares that mediated
the experience of hundreds of millions of
listeners as they consumed MP3s in the age
of Napster, but also reflect an interest in
techniques of video art already well established by 1995. Minter’s work thus may
constitute a link between these pre-digital,
mid-century, non-commercial experiments
and the fully commoditized packaging of
the same techniques as visualizer plugins
for PC media player software in the 2000s.
Senses of “hacking”
No longer conferring a specific sense
of technical ability with cutting-edge computer hardware or software, as it might
once have meant to the wizards of MIT
profiled by Stewart Brand in his influential
Rolling Stone feature (1972), the term has
become frustratingly nebulous. The word
“a mentality that chooses to challenge conventional
knowledge and behavior. Wark refers to factors which
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
“Winamp’s visualizations owes a large aesthetic debt
“hacker” rarely occurs today without some
constraining modifier. Perpetrators of data
breaches are reported in the news as “malicious” hackers; penetration testers must be
“Certified Ethical” hackers before they can
be hired by standards-compliant businesses;
less-scrupulous enterprises may hire “grey”
or “black hat” hackers to do their dirty work;
“self-described” or “self-proclaimed” hackers
are dismissed as fantasists.
Gisle Hannemyr has identified at least
three distinctive (if not entirely distinct)
senses in which the word “hacker” is used,
and, drawing on Steven Levy’s Hackers (1984),
identifies some definitive aspects of the
“hacker attitude”. According to Hannemyr,
hackers tend to “reject hierarchies, mistrust
authority, promote decentralization, share
information, and serve [their] community”
(Hannemyr, 1999). In any event, neither prescriptivist pleas for a wider meaning to the
word hacker nor nostalgic attempts to restore
some lost, less complicated sense of the word,
make for a theory of hacking: what it is that
a hacker does.
One ramified account of such a theory
is outlined in Mackenzie Wark’s A Hacker
Manifesto, a thoughtful attempt to raise
class consciousness in the participants of
a newly-identified struggle between the
“hacker” and “vectoralist” classes (Wark,
2004). Corrado Morgana, glossing this central opposition in an introduction to a brief
but striking collection of short writings by
avant-garde video-game artists, explains
that hackers possess
Article
However, the present focus on the
Jaguar CD VLM is motivated by the fact
that it marks a milestone on the entry of
real-time music visualizers into the home,
via the by-then-well-established market for
home video games. Furthermore, as Jeremy
Wade Morris has noted, there may be an
even more intimate link between Minter’s
software and these commonplace visualizers:
steer convention and behavior as ‛vectoral.’ These vectors,
such as property, information, and capital, are steered by
43
Eamonn Bell
‛vectoralists’ who would guide behavior for economic gain or
other institutional control by fostering predictable behavior.
The artist that thinks games questions, juxtaposes, reinvents
and challenges these vectors.” (Morgana, 2010: 8)
The present focus on a piece of consumer entertainment technology and its
extended reflection on the multiple senses
in which it may be considered to be a site of
“hacking”—here focusing on Hannemyr’s
“hacker ethic” (after Levy and others) and
Wark’s more explicitly political analytic—
reminds us that even consumer devices in the
contemporary domestic milieu are susceptible to being hacked, with all the liberatory
potential that that might entail.
More often used to conjure up extra
lives, immortality, or gameworld wealth
beyond imagination, David Surman has
claimed—concisely and convincingly—that
cheating in video games is “hacking for the
masses” (Surman, 2010: 77). Like hacks in
the broader technological community, video
game cheat codes also function as kind of
cultural capital in gaming communities.
Knowing cheat codes imputes insider status
to the holder of that knowledge. Surman
describes an interactive game-level editor
hidden in Sonic The Hedgehog (1991) that is
revealed by inputting a similarly cryptic
cheat code. Identifying what Hannemyr
and others theorize as the hacker ethic in
action, Surman writes that
“[these] players vied for an opportunity to penetrate
through the surface of the gameworld, to claim leadership
and advantage, and wrestle control of the game from the
orthodoxies of standard play.” (Surman, 2010: 75)
44
The conception of hacking as invoked
by Hannemyr and Wark, then, is a normative
one. “Hacking” is less a virtuosic display of
skill or proficiency with a particular technical system (the stereotype has the hacker
at the keyboard of a programmable computer), and more of a stance with regard to
how one ought to act when confronted with
technology. It is, perhaps above all, an ethic
of curiosity about how things—socially as
much as technologically—might have been
otherwise. Like accessing the hidden menu in
the VLM, cheating in video games does not
require a particularly high level of technical
involvement; indeed, the vast majority of
video game cheaters simply consume cheat
codes or download scripts to tamper with
games whose implementation they themselves do not fully understand. But their
interest in doing so, as Surman points out,
is not a chiefly technical one: video-game
cheating is contiguous with the hackerly
predilection for demystification. So much is
in evidence, as we will see, in “Yak Quick’s
Guide to VLM Hacking”, the how-to guide
documenting how Minter had left a hidden
menu inside the VLM for users who shared
precisely that impulse.
Evidence base
In this article, I draw on two principal
kinds of primary source to trace the ends to
which the FFT (Fast Fourier Transform) is
put in Minter’s software: online discourse
about the VLM and the code for the VLM
itself. Fist, the website for Minter’s software
development firm, Llamasoft, provides a
valuable overview of the visualizer, Minter
being most intimately familiar with the VLM
concept over the many decades of its history.
A glimpse into the former community of
1
12 For example, AtariAge (https://atariage.com/index.
php), AtariForum (http://www.atari-forum.com/), or
JagCube (http://jagcube.atari.org/) (all accessed
6 August 2019).
13 At the Atari Document Archive: https://docs.devdocs.org/ (accessed 6 August 2019).
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
emulator to re-run the BIOS on my laptop,
playing with an almost functionally identical
(if remediated) simulation of the VLM. 14
Importantly, however, I also chose to
study the VLM in vitro: in addition to emulating the original gameplay environment, we
can look at the code itself, using freely and
widely available software tools designed to
inspect the content of executable files. Inside
otherwise inscrutable machine code can be
found plaintext code comments, metadata,
and—as we will see—hidden, undocumented
software features. Retracing the sequence of
events in which I myself came to understand
the VLM, we first consider the visualizer’s
source code in “Following the code”, and
then, in “Polling rec.games.video.atari”, turn
to the deeper insights into the software that
were gained from the online community of
Jaguar aficionados.
Following the code
Consider a bit-for-bit copy of the contents of the Jaguar CD’s BIOS. The BIOS,
standing for Basic/Input Ouput System, is
the software that is loaded almost immediately upon a console’s being started for the
first time. Since code like this that performs
this function is not intended to be changed by
14 For a discussion of some of the limitations of
emulation and attempts to resolve them, see Newman
(2012: 140-149). For the results presented here, I
used v.0.06b of the t2k.exe emulator (for Windows)
and the Jaguar CD BIOS file (MD5 checksum:
77cd95c7ad06a39f4c59995094aa10f9) available on
Minter’s website at http://www.llamasoftarchive.
org/oldsite/llamadloads2.html. Minter considers
this material public domain, writing at: http://www.
llamasoftarchive.org/oldsite/llamasoft/readme.txt
(both accessed 6 August 2019).
Article
16
players that clustered around the Jaguar
and the Atari Corporation more generally,
can also be gleaned from the online archive
of the “rec.games.video.atari” newsgroup.
More ad hoc forms of commentary are no
less useful, despite their register: blogs and
retrogaming forums are valuable sources of
insight into the Jaguar CD and Atari more
generally. 12 One online community of note is
the now-dormant but once surprisingly vital
community of developers of “homebrew”
games and software for the Jaguar. Their
appetite for technical documentation and
code has led to service manuals, part lists,
schematics, and even source code being made
available online. 13
The ROM dump that includes the
VLM code cannot be executed on today’s
personal computer—the code is written in
machine code, a low-level, non-portable type
of code that is targeted to run on the specific
constellation of microprocessors that jointly
make up the Jaguar and the Jaguar CD.
In this way, the Jaguar CD exemplifies a
“platform”: a combination of software and
hardware with a particular set of affordances
to developers and players (Bogost & Montfort,
2009). Fortunately, an emulator, a program
that carefully simulates the hardware of an
obsolete computing platform on a modern
“host” computer, can be used to experience the VLM—even absent the rare and
expensive hardware. I built up my functional
description of the VLM by using just such an
45
Eamonn Bell
the user and is “burned” semi-permanently
into a EEPROM chip on the console motherboard, it is often called “firmware”, alluding
to its seeming at times like hardware, and at
times like software. Such bit-for-bit copies
of game data are sometimes called ROM
files—ROMs for short. ROMs are the digital
records of obsolete and discontinued games
that fuel the retrogaming hobby: without
these software copies, retrogamers would
have to own or have access to an actual console and a physical copy of the game media
for every old game they wanted to play. So
it goes for researchers, too.
Opening the ROM f i le for the
Jaguar CD firmware (which, as we know,
includes the VLM code) in a regular text
editor spews out mostly non-human-interpretable data. However, machine code
may contain byte sequences that can be
interpreted as potentially human-readable
alphanumeric characters. Inside otherwise
inscrutable machine code, we can find code
comments, metadata, and—as we will see—
hidden, undocumented software features. I
used the open-source software tool strings,
part of the standard toolkit of the reverse
engineer, to check the BIOS for any traces
of human-readable text. Although much of
the output remains inscrutable, at least in
the first instance, the first string to pop out
of the noise is the following statement:
Virtual Light Machine v0.9//(c) 1994 Virtual Light
Company Ltd./Jaguar CD-ROM version/(c) 1994 Atari
Corporation//FFT code by ib2/Grafix code by Yak/~c100:
46
This message proclaims the identity
of the code that follows it in the BIOS file:
“Virtual Light Machine v0.9”. Copyright
notices like these are commonplace in
software: in the event of a dispute, an author’s
claim to copyright can be supported by pointing to the existence of these marks. This
banner also reveals two interesting nuances of
attribution: one relating to intellectual property (IP), and one of the division of software
labor. First, the Jaguar CD-ROM “version”
is claimed by the Atari Corporation, while
the IP for the VLM concept itself is claimed
by Virtual Light Company, Ltd., a UK-based
limited liability company founded by Minter.
Such a distinction attempts to give juridical
support to Minter’s firm belief, discussed
above, that the VLM is a cross-platform
concept: a legal claim that the VLM “idea”
is not tied to its instantiation in any one
particular game system.
The second distinction tells us which
coders were responsible for different parts
of the VLM: “FFT code by ib2/Grafix code
by Yak”. Yak is perhaps Jeff Minter’s most
frequently preferred pseudonym; ib2, on
the other hand, refers to Ian Bennett, one
of Minter’s former colleagues at the semiconductor firm, Inmos, that fostered the
development of the VLM in the late 1980s.
Both Minter and Bennett’s handles are three
characters long, a practical nod to the character limits on arcade cabinet high-score
tables. As the code attests, Bennett was
responsible for the FFT code in Minter’s
visualizer.
The Fourier transform is a mathematical technique for decomposing a complicated time-varying signal—say music—into
an equivalent form, as a mixture of simpler,
periodic sine-wave components. Applied to
recordings of simple monophonic sounds
performed by musical instruments (acoustic or otherwise), it reveals how complex
timbres resolve into a fundamental pitch
1
15 See Anscombe (2003: 299-300), reporting a
conversation from 1995.
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
Tukey remains a popular and robust FFT
algorithm; Ian Bennett’s implementation of
the FFT included in the VLM code shares the
key features of the Cooley-Tukey algorithm.
Like all modern video games consoles,
the Jaguar is composed of many specialized
integrated circuits, which can be broadly
divided into the main central processing
unit (CPU) and two main co-processor
systems—the latter two co-processors were
nicknamed Tom and Jerry. Their main areas
of responsibility were video and sound output, respectively. Bennett chose to write
the FFT computation routine for the digital
signal processing (DSP) microchip inside
Jerry because it provided some special features intended for such computations that
the other Jaguar microprocessors did not. 16
These are specified in the instruction set for
the DSP, the set of possible basic computational operations defined by the computer
system to which all software written for
the Jaguar CD will ultimately be reduced.
Instruction 48, MIRROR, permutes the
content of a memory location, which, as
the technical documentation for the Jaguar
notes, “is helpful for address generation
in Fast Fourier Transform (FFT) operations” (Brennan, Dunn & Mathieson, 2001:
10). Furthermore, given that this instruction
is implemented in the physical design of the
chip itself, the MIRROR instruction exemplifies
how material conditions in silico afford certain
kinds of optimization, and in turn, the use
of the FFT. In this way, material features
of the Jaguar system itself afford the FFT
Article
16
and a distinctive pattern of overtones or
partials. It can also be used to analyze more
complex recordings, providing a rudimentary parsing of polyphonic recordings into
a segmented auditory scene, separating out
the musical activity of low-, medium-, and
high-pitched sounds into components that
can be analyzed and processed separately.
In turn, the results of such an analysis may
be used to trigger and modulate the visual
events in a musical visualizer.
Though purpose-built spectrum
analyzers were available from the 1950s
onward, a set of mathematical and computational optimizations that were perfected in
the 1960s and became collectively known as
“fast” Fourier transform (FFT) algorithms
allowed for the practical spectral decomposition of live signals by digital computers
(Deery, 2007). The first implementation of
an FFT algorithm is usually credited to
James W. Cooley and John Tukey for work
described in their 1965 publication “An
Algorithm for the Machine Calculation of
Complex Fourier Series” (Cooley & Tukey,
1965). The origin of the so-called CooleyTukey FFT algorithm is a particularly
interesting one. 15 Remote sensing of the
seismographic signatures of nuclear detonations allowed monitoring organizations
and national geospatial intelligence agencies
to verify the behavior of parties to treaties
like the Limited Test Ban Treaty, which was
signed in 1963 and placed constraints on the
testing of nuclear weapons in a drive toward
nuclear disarmament (Bishop, 2016). To this
day, the algorithm described by Cooley and
16 This is based on my review of the assembly code
targeted for Jerry, which has been made available
online.
47
Eamonn Bell
and these features were determined prior
to the creation of the VLM software. Such
properties lie at the level of the platform
and bottom out as material features of the
microchip processors themselves.
Further into the BIOS code are the
following lines, which contain dozens of
phrases whose conspicuous absence from the
main VLM user interface gives rise to the
question: if these strings are not intended to
be visible by the user during normal gameplay, what explains their inclusion in the
code shipped with the Jaguar CD?
~g1:20:Bank>
~g1:20:
@~g1:1:Edit Mode~e3:4:
@~g1:1:Editing: Effect~e3:4:
@~g1:1:Editing: Symmetry Generator~e3:3:
@~g1:1:Editing: Digital Video Feedback~e3:3:
@~g1:1:Editing: Wave Plotter~e3:3:
@~g1:1:Spectrum and Triggers~e3:3:
@~g1:1:Trigger Settings~e3:3:
@~g1:1:Adjust width using joypad
48
It turns out that the hidden features of
the VLM insinuated by these lines of code
are only unlocked when the player inputs
an undocumented sequence of controller
inputs that are highly improbable in regular
gameplay. A series of posts by Minter to the
“rec.games.video.atari” newsgroup in 1996
explain precisely how to cause these menus to
appear, describing officially undocumented
controller actions that activate a hidden feature, a set of actions that even casual gamers
would recognize as cheat codes. Software
features such as this, that are hidden behind
obscure game behaviors, are sometimes
called “easter eggs”: they are “digital objects,
messages, or interactions built into computer
programs by their designers […] intended as
a surprise to be found by the user, but […]
not required in order to use the program.”
(Nooney, 2014: 165)
In his methodological guide to the study
of game music, Tim Summers describes a
mode of collecting analytical data he calls
“reactionary play”: playing against the grain,
taking in-game actions or adopting strategies
unsanctioned—or perhaps even unimagined—
by the game designer. Doing so can probe
the limit cases of the game with the hope of
revealing its musical mechanics, telling us
under what circumstances musical cues are
triggered, cycled, or muted (Summers, 2016:
12). It should be noted that even extended
reactionary play, following Summers, would
be highly unlikely to take us “behind the curtain” of the VLM: the cheat codes required
to get to the hidden menus remain “out of
reach” within the gameworld. Of course,
Summers takes pains to enumerate alternative
“sources of data” for the study of video game
music including, importantly, the game engine
code itself. Thus, to Summers’s impressive
and useful inventory of means to understand
music–video game relations, we add cheats and
hacks: (semi-)clandestine ways of interacting
with video games that violate the norms of
regular, expected gameplay, but fall short
of a completely forensic—and technically
non-trivial—deconstruction of the software.
Polling rec.games.
video.atari
Without the benefit of the synoptic
view on the digital artifact provided by these
tools however, owners of the Jaguar CD
“Okay, to get this thread back on topic and to give
you a starting point: Try 1,3,star,zero. That’s just the start
“is there any way to customize the banks?? […]
though.” (Yak [Jeff Minter], 1996).
could ANYONE please tell me if any eastereggs exist and if
so, how to activate them.” (Rha, 1995)
16
1
This is the first indication on the newsgroup of suspicions that there might be hidden
content in the visualizer part of the Jaguar
CD firmware. Rha’s desire to customize the
preset visualizations is echoed by other subscribers to the news group. We have already
seen how the VLM is distributed along
with the Jaguar CD operating system, as
firmware, in a read-only EPROM chip, and
is therefore prohibitively difficult for most
end-users to update. 17 The distribution of
the VLM in the device firmware, a tactic
that Minter hoped would secure as wide
an audience as possible for his visualizer,
necessitated just such a trade-off: the VLM
would be shipped to every owner of the
Jaguar CD, but once the unit left the factory,
the software could not be modified. This
raised the stakes for a question like Julienne
Rha’s. Since no new features—for example,
the desired ability to customize the preset
banks—could be added to the VLM by its
developer, it was important for players to
17 At least without replacing the chip with new
hardware or by using other specialised tools.
Entering Minter’s pattern reveals the
first of two hidden menus: the “Spectrum
and Triggers” menu (Figure 4). This screen
visualizes the beating heart of the VLM: the
real-time decomposition of the music into the
frequency–intensity domain that the FFT
algorithm supplies. Like a graphic EQ visualization, the height of each bar represents
the magnitude of frequencies within some
fixed range, or bandwidth. The midpoint of
each range increases in frequency from left
to right. In other words, low-pitched sounds
make peaks on the left; high-pitched sounds
are peaky on the right.
Triggers are defined by a combination
of parameters that dictate what shapes of the
spectrum cause the visualizer to change in
response to the music. 18 For each trigger,
the “Spectrum and Triggers” menu exposes
just two parameters, which pertain to the
audio step: total customization of the visual
effects was, at this stage, out of reach to the
participants in the newsgroup. According
to Scott Lawrence’s analysis of the trigger
18 Each trigger has an associated width (represented
graphically by the red bars in the frequency-domain
display) and a trigger minimum (represented by a
horizontal grey line).
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
know exactly what was there, and, if it was
hidden, how to uncover it.
Then, on March 18, 1996, Minter
posted to a thread looking for further clues
(a thread that had, in the meantime, devolved
into a flamewar about a completely different
game):
Article
in 1995 turned to another source in search
of knowledge about their new purchase: the
rec.games.video.atari Usenet group, a distributed message system that relayed plain
text messages posted to the group between
subscribers. On November 14, 1995, less than
two months after the release of the Jaguar
CD, a user named Julienne Rha posted to
rec.games.video.atari:
49
Eamonn Bell
Figure 4: “The Spectrum and Triggers” menu showing the bars that correspond to the frequency–intensity domain data computed by the Fast Fourier
Transform (FFT). Source: Author’s screenshot of the t2k.exe emulator running under Linux/WINE.
50
conditions, each trigger fires or otherwise
modifies just one visual effect, according
to a set of rules that results in “a situation
where loud sudden things will cause a trigger,
however constant noises will probably not
cause triggers. Also, quiet noises will never
cause triggers.” (Lawrence, 2009)
The ability to control these parameters
in the “Spectrum and Triggers” menu gave
players a more fine-grained and more reliable
way to tune the VLM than simply adjusting
the gain level, a relatively crude and one-dimensional means of controlling the behavior
of the visualizer. Tweaking the parameters
for each trigger using these menus adjusts
these policies so that the graphics appear to
synchronize to musical activity in particular
parts of the spectrum, based on generic or
expert expectations about how particular
songs will sound. Activity in different parts
of the spectrum may therefore be loosely
correlated to musical content: the low frequencies of the bass drum or a synthesized
bassline might be set to trigger one visual
event, whereas the higher frequencies of an
instrumental line or wide-band sound effect
will activate another.
Minter understood certain presets to
be better suited to certain tracks or genres.
In the same post that introduced the VLM
editor mode, Minter included a listening
suggestion:
“BTW - for general most excellent VLMing… get
that NIN cd with the 5 mixes of ‘Closer’ on it, select track 3
and effect 4:9… intense or what?” (Yak [Jeff Minter], 1996)
Minter provided updates to a page on
his personal website that listed his own listening recommendations, often suggesting
“music like Erasure (especially their singles) and
Total customization?
Music for Boys by the Pet Shop Boys works really well with
that module [i.e. VLM effect preset], because it starts out just
showing the sound wave, then when the real music starts,
16
1
the screen figuratively explodes.” (Geiger, 1995)
Users did not require a game disc or
cartridge to load the VLM; indeed, the
visualizer is only accessible when a game
disc is not inserted. As such, it is predisposed
to work with a particular kind of format,
the audio CD. Some explored the possibility of linking the output of other playback systems—tape decks, LP players, and
radios—to the VLM, to widen the range
of audio sources with which it could work.
For example, a newsgroup poster requested
schematics for the device, who was “tring
to connect my jaguars vlm system into my
sterio so i can play tapes,records etc through
the vlm chip (sic).” (Bolser, 1996)
Such “interpersonal interactions
mediated by a game”, as Karen Collins has
intimated, also exemplify a kind of interactivity, one that “take[s] place on a much
vaster and temporally longer scale” than the
The precise correspondence between
trigger and visual effect is more fully determined in later set of menus, along with the
actual definition of the graphical content of
each effect. As Minter would later write,
the “Spectrum and Triggers” menu “was
just a red herring to confuse people looking
for the hack”; the true hidden menu that
would allow players to customize the preset visualizations was one more step away.
Just two days later, Minter posted to the
newsgroup with details of how to reveal
another screen, the real—comprehensive—
visual effects editor. Carefully following
Minter’s instructions reveals a second set
of menus. These menus, shown in Figure 5,
allow for even finer control over the visual
elements corresponding to each trigger and
the periodic functions of substantial complexity that control how basic elements of
the visualization move across the display.
Here, players can fully parameterize many
of the generative graphical processes that,
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
instant-to-instant interactions that determine
how video games behave in the moment
of play (Collins et al., 2013: 575). A more
generous understanding of interactivity
both exceeds and complements the control–feedback model that Collins uses to
analyse audiovisual relationships in video
games. Such digital traces of community
of players provide further evidence for the
VLM’s interactivity, understood both as a
characterization of the relationship between
the player and the game, but also of those
relationships between players, regardless
of their spatial or temporal remove.
Article
a VLM that he felt best matched each musical selection (Minter, 1995). Newsgroup
users also shared recommendations for
suitable matches (Millar, 1995). The circulation of such “good fits” shows how a
community can implicitly define a set of
desirable audio-visual correspondences.
These valued correspondences can come
not only from the creator (along with the
sanction afforded by Minter’s authority),
but from the player-users themselves. For
example, writing in reply to a post titled
“What do you like to play on VLM?”, Brian
J. Geiger answered:
51
Eamonn Bell
Figure 5: VLM effects editor sub-menu showing the two visual effects which together
make up preset 4-9. Source: Author’s screenshot of the t2k.exe emulator running under
Linux/WINE.
52
when superimposed, generate the diverse
banks of preset visualizations.
The “Spectrum and Triggers” screen
clarified the dependency between the analysed audio spectrum and the visual cues,
defining six “triggers” that can be tuned to
different regions of the frequency-amplitude
domain. Using the next level of menus, we
now focus more closely on the fourth setting in the ninth bank of presets (4-9) by
visiting the sub-effect slot menu. From this
menu, we learn that each individual preset
consists in the superimposition of up to six
distinct visual effects which are optionally
passed through a “symmetry generator”,
which is parameterized in another submenu, shown in Figure 6. Despite its emergent visual complexity 4-9 was a relatively
straightforward preset composed of just
two such sub-effects: “Draw Spectrum As
Intensities” and “Digital Video Feedback
area”. Of the two, it is the digital video feedback effect that creates the ever-shifting play
of multiple forms that characterizes many
of the VLM’s presets. The technique was
simple but effective.
Thus, over the course of these two
messages, Minter had revealed to the
newsgroup a pair of “cheat” codes: a set
of controller inputs that cause the game
to behave in undocumented ways. Some
days later, on March 31, Minter summarized his revelations in a complete guide
to the VLM in a newsgroup post with the
subject line: “Yak’s Quick Intro to VLM
Hacking”, the title invoking the ethic of
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
16
Figure 6: Some examples of further sub-menus inside the hidden VLM effects editor.
Source: Author’s screenshot of the t2k.exe emulator running under Linux/WINE.
1
boring : “Because if you’re interested,
you can find out a lot about how the VLM
works.”
Next, hacking the VLM feeds an intellectual curiosity. As Minter explains,
“[Draw Spectrum As Intensities] basically plots the
output of the FFT through the symmetry generator. On its
own, or combined with DVF [digital video feedback], this is a
good setting to use for effects that you want to be precisely
audio-reactive.”
The technique of digital video feedback (DVF) is the visual analogue of an
audio echo effect: a seed visual form is generated and immediately duplicated, usually
with a rotational and/or translational spatial
offset. This image is then recursively fed
Article
subversion and détournement familiar to
the patient readers of certain mid-90’s
bulletin boards and newsgroups. Minter’s
guide comprehensively detailed how to
access the hidden menus, and what could
be achieved in them.
Minter’s three word answer to the
rhetorical question—why?—explicitly address
the existence of the hidden menu in terms
that recollect Hannemyr’s sketch of the
hacker ethic: “Because it’s fun.” (Yak [Jeff
Minter], 1996)
First, and crucially, Minter offers
the ludic motivation. Minter’s commitment to fun supersedes any professional
commitment to ship fully-tested and stable
software. Minter much prefers something
broken but fun to something perfect but
53
Eamonn Bell
back into the duplicator, creating a plenum
of superimposed copies of the original seed
form, interactively collapsing into a singularity. The kaleidoscopic effect is familiar
to anyone who has stood in between two
facing mirrors, or pointed a home-video
recorder or a webcam back at the monitor
displaying its own output.
Feedback techniques were close to
axiomatic for the early New York-based
explorers of the potentials of video art.
Woody Vasulka recalls that “in 1969,
the first common artifact of [the video]
medium was a video feedback. It became
overnight everyone’s art […] [.] It was so
easy to make.” (Wilson & Melega, 1981: 9)
DVF techniques, and the closely-related
mirror symmetry effects, like those worked
out and exposed in the VLM’s hidden menus
are a recurring design motif in Minter’s
video game work. 19
Lastly, Minter characterizes the hidden menus as a means to empower the user
with the tools to create their own effects,
so that they might exceed Minter’s self-confessed creative limitations arising from a
badly-timed illness:
“Because a lot of the default FX are fairly nonoptimal, largely ’coz at the time I was designing the banks I had
pneumonia and was feeling like shit, and I always find that
I make better FX when I feel good.”
54
19 See, for example, his early Psychedelia (1984)
through to the ever shifting background art of
Tempest 3000 (2000), Space Giraffe (2007), and, more
recently, Polybius (2016) as well as his work on the
Xbox 360’s built-in music visualizer, codenamed
“Neon”, discussed in more detail below.
Minter’s perfectionism aligns with the
hacker ethic, which has the hacker “either
attempting to right those parts of [their] program that are not functioning as smoothly as
they might, or, alternatively, adding elements
that are designed to improve what is already
there.” (Darley, 2000: 23) 20 In his guide, he
reinforces the provisional nature of the code:
“the edit interface is buggy and pretty user-hostile;
it’s got no error-checking and it’s possible to crash the VLM
[…] Hell, it was never intended for end-users.”
Sue Morris has observed that those
first-person shooter games that feature
level editors, which allow gamers to design
and sometimes share custom gameworlds
or “maps”, should be seen as “co-creative
media”. Just as in the case of the VLM,
“[n]either developers nor player-creators can be
solely responsible for the production of the final assemblage regarded as ‘the game’, it requires the input of both.”
(Morris, 2003)
Players of the VLM are invited to
engage with and modify, however temporarily, a piece of software whose limitations
are freely acknowledged by its creator. By
including the hidden preset effect editor
menus in the Jaguar CD VLM, Minter
deliberately facilitated playful co-creation
on the part of his players, leaving the back
door open so curious users could transcend
the game’s functional and aesthetic limitations by using a tool originally intended for
the sole use of software developers. The
20 In this connection, on the characteristic toolmaking impulse of the hacker, see Levy (1984: 142ff).
1
21 This position transparently owes its debts to the
work of Bruno Latour, though I do not profess to
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine…
as a reminder of the constitutive force of
things on multimedia software, troubling
implicit and explicit assumptions that human
actors dominate the author function when
analyzing co-creative media.
This reconfiguration directs our
attention back to the VLM’s dependence
on the Fast Fourier Transform algorithm.
Far removed from the clinical Cold War
logic that motivated the need for a faster
Fourier transform, Minter’s video game
art instead embraces an offbeat, outsider
aesthetic. Abandoning realism, he prefers
to populate his games with furry animals
instead of humanoid playable characters and
cartoonish chaos over and above simulated
violence. Minter advertised his earliest
lightsynth “as a new, non-competitive form
of entertainment… no enemies, no killing,
just light and colour, […] it was clear that
some people just didn’t ‘get it’ at all. […] I
guess it was hard to review since it wasn’t
a game, and all the reviewers were used to
was games.” (Minter, 2005a)
Reviews of Minter’s games, like this
review of Space Giraffe (2007), often invoke
their psychedelic aspect—the point of reference is often acid or some other psychoactive
substance: “the throbbing LSD nightmare
that is the background […] makes this game
uniquely aggravating” (Amrich, 2007; see
also Ruggill, 2015: 85-87; Weinel, 2018: 130131). Minter himself is not entirely averse
to coy allusions to the origins for the visual
language of the VLM. As he notes on his
website:
Article
16
circulation of the cheat codes that summon
up these secret menus, in Surman’s words,
afforded a “hacking for the masses” that
opened Minter’s VLM to extension and
elaboration beyond the ossified state in which
commercial contingencies determined that
it should leave the software development
workshop.
Above all, Minter’s hidden menu is a
solicitation to interact with this audio-visual
toy and to implicate savvy users in a process
of software co-creation that empowered
them to address the software’s inevitable
lacks. “Yaks Quick Intro”, then, is more
than just a user’s guide to the hack. It is also
a statement of purpose, a manifesto: it specifies terms of engagement with the VLM,
which privilege fun, curiosity, and above
all, the invitation to get involved in the
co-creation of the VLM software, through
an interface that came with no guarantees
about its stability.
But the VLM, and software more
generally, is not merely the product of a
co-production of two kinds of putatively
human authors (“developers” and “player-creators”), it is an assemblage of actors
and actants that is also, in part, non-human: the Jaguar CD device, its controllers, the particular audio CD-ROMs that
happen to be available to its players, the
FFT-specific instructions afforded by its
processor architecture, Minter’s guide to
“hacking” the machine, the Usenet infrastructure through which knowledge of the
cheat codes propagated, etc.—the litany is
infinitely extensible. 21 These facts serve
be dogmatic with regard to Actor-Network Theory.
In English, see the helpful introduction to many of
Latour’s ideas in Latour (2005).
55
Eamonn Bell
“I found myself with this stunning little bit of kit
which could produce effects I’d never dreamed of (well, I
probably had dreamed of them, but not in a legal state of
mind).” (Minter, 2005b)
After all, Minter named his earliest
published experiment in interactive color
games Psychedelia, while the first incarnations of the VLM—the prototypes first
developed at Inmos—made their appearance
at raves. At one point, Minter’s work had
featured in live DJ sets by the British house
duo The Orb (Minter, 2005b). Whatever
Minter’s position on the matter, however,
the visual language of the VLM and its
contextual association with genres and
performance contexts that can be generously described as psychedelia-adjacent,
suggests it may productively be read as a
counter-cultural supplement to the listening
experience.
Yet, as we have noted above, it drew
on advances in numerical computing that had
been developed in direct response to Cold
War demands for global geospatial intelligence collection. This irony could be construed as a quirk—a unintended-but-pleasant
consequence—of a fully liberalized market
for scientific research that flows, inevitably,
into consumer products. Following the more
cynical view of Friedrich Kittler, we might
view it as further evidence of the systemic
influence of military–industrial research on
the entertainment industry. 22
56
22 Ever-provocative and eminently quotable, Kittler
(in)famously remarked that “the entertainment
industry is, in any conceivable sense of the word, an
abuse of army equipment,” (Kittler, 1999: 96). Kittler
had music in mind: Stockhausen’s Kontakte (1958-60)
made use of army surplus signal generators.
It is provocative, in conclusion, to
ponder FFT algorithm in commercial music
visualizers as its own “grand hack”, a creative rerouting or redirection (loosely following Wark) of the intellectual innovations
emanating from technocracy of wartime
scientific research. Away from the battlefield and into the stoner’s den, the algorithm
becomes neutered and mocked as technology of warfare by being press-ganged into
the service of psychedelic lightshows. The
ethic of the spirited curiosity that typifies
Hannemyr’s hacker—exemplified equally
well by the erstwhile subscribers to rec.
games.video.atari or the contemporary
researcher, armed with tools to dismantle obsolete software—is legible both in
the moment-to-moment play of lights of
Jeff Minter’s Virtual Light Machine and,
especially, in his tactical disclosure of the
intricacies of the complex (socio-)technical
system that animates them.
Feedback,
feedforward
A later version of Minter’s VLM that
he developed for the Nintendo Gamecube
caught the attention of a product manager
at Microsoft, an encounter that ultimately
led to Minter’s implication in the design of
the music visualizer which shipped with
Microsoft’s Xbox 360 in 2005. Reflecting
on the inclusion of his software on a system
that witnessed sales in the hundreds of millions of units, Minter writes:
“I am happier with it than I have ever been with
anything I’ve created in my entire career. And we got it into
to reach a decent sized audience. Millions and millions...
}:-D.”(Minter, 2005a)
T he ma rket penetration of the
Xbox 360 dwarfed the preceding commercial
instantiations of the VLM that preceded it: in
addition to the Jaguar CD version discussed
in detail above, an updated version of Minter’s
visualizer was distributed in the firmware of
a number of feature-rich DVD players manufactured under the Nuon brand. 23 Unlike
the Jaguar CD VLM, no hidden menu or
interactive preset editor is included with
the Xbox 360 or the Nuon players. Minter,
perhaps, was at last satisfied with a realization
16
1
23 Nuon was a short-lived but forward-looking
experiment in home entertainment hardware
designed in the early 2000s, and Minter was invited to
include an updated version of the VLM in a number of
units. For more on Nuon, see MOSS (2015).
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what he described as “monster shader performance” and “a hell of a lot of grunt”, not
to mention its impressive audience; during
the era of the Jaguar CD, Minter asserted,
“consumer-level hardware was simply not
powerful enough to really implement such
a thing properly” (Stuart, 2005).
Nevertheless, in a December 2005 post
to the forums at YakYak.org—“Llamasoft
baanter and moosings – It’s like Deliverance
with Sheep”—Minter provided documentation that described in detail how each of the
Xbox 360’s four controllers can be used to
modify and interact with the visualizer. These
details were not distributed with Microsoft’s
console either in the official manual or within
the software itself (Yak [Jeff Minter], 2005).
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world can be understood as acts of hacking. Based on a
series of 20 interviews with major actors of the French free
Élaborer son
dispositif
d’improvisation :
hacking et lutherie
dans les pratiques de
l’improvisation libre
16
1
Par Clément Canonne (IRCAM-CNRSSorbonne Université)
Résumé : Cet article s’emploie à montrer en quoi les activités
de lutherie de musiciens issus du monde de l’improvisation
libre rencontrent les principes et valeurs associées aux
pratiques de hacking. À partir d’une vingtaine d’entretiens
réalisés avec des acteurs importants de la scène française
des musiques improvisées, on détaille d’abord les opérations
caractéristiques du hacking – l’ouverture, le détournement,
le recyclage et le partage – qui se retrouvent au cœur des
pratiques de lutherie des improvisateurs, avant de mettre
en évidence le rôle essentiel joué par ces mêmes opérations
dans les usages que font les musiciens de leur instrument
dans le temps de la performance. Au final, ce sont précisément les multiples hacks que les musiciens font à leurs
dispositifs qui leur permettent de concilier des exigences
de jeu a priori contradictoires, entre réactivité et autonomie,
improvisation scene, we examine how crucial aspects of
hacking—opening, recycling, misappropriating, sharing—
affect their instrument-making. We then show how such
practices regulate live interactions with their devices during
performances. In the end, hacking their devices enables
these improvisers to actually conjugate seemingly contradictory needs: reactivity and autonomy; flexibility and
workability; reproducibility and unpredictability.
Keywords: instrument-making / improvisation /
bricolage / serendipity / hacking / recycling /
misappropriation / experimental music
Par définition, l’improvisation musicale est une forme de création instrumentée :
l’improvisateur crée de la musique à son
instrument, avec son instrument, par son
instrument, pour son instrument, parfois
même contre son instrument, mais rarement
sans son instrument 1. Comme le rappelle le
saxophoniste Steve Lacy : « l’instrument,
voilà ce qui compte : c’est le matériau, la
préoccupation véritable » (cité dans Bailey,
1999 : 110). À bien des égards, l’exploration
de l’instrument constitue donc l’un des
centres spécifiques de l’activité créative
des improvisateurs, qu’il s’agisse de partir
à la recherche d’une sonorité singulière qui
soit propre au musicien, d’enrichir la palette
timbrale de l’instrument, ou même de s’affranchir des contraintes organologiques
dont celui-ci est porteur.
adaptabilité et maniabilité, reproductibilité et imprévisibilité.
Mots-clés : lutherie / improvisation / bricolage /
sérendipité / hacking / détournement / recyclage /
musiques expérimentales
Élaborer son dispositif d’improvisation…
ment-making practices that pervade the free improvisation
1 On inclut bien sûr ici la voix au nombre des
instruments.
Article
Article
Abstract: In this paper, we show how the numerous instru-
61
Clément Canonne
62
Cette tendance à l’exploration instrumentale est particulièrement manifeste dans
le monde de l’improvisation libre. Selon Alain
Savouret – qui fut longtemps professeur
d’improvisation au Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris –
l’appropriation de l’instrument y est poussée
au plus loin, « jusqu’à la distorsion factuelle de
celui-ci » (cité dans Canonne, 2010 : 244). Et
en effet, nombreux sont les improvisateurs
« libres » à pratiquer la « lutherie sauvage » ou
le bricolage instrumental (Nicollet & Brunot,
2004) – de la préparation d’instruments
préexistants à la confection d’instruments
autonomes, en passant par l’assemblage d’objets plus ou moins hétéroclites en un set
d’improvisation singulier.
Dans le cadre du présent article, je
voudrais précisément montrer en quoi les
activités de lutherie de ces musiciens rencontrent les principes et valeurs associées aux
pratiques de hacking – défini ici en première
approximation comme un ensemble d’opérations souvent ingénieuses (l’ouverture, le
détournement, l’association, le recyclage, la
récupération, etc.) portant sur l’environnement matériel (des produits manufacturés
de l’industrie de masse aux objets naturels)
et sous-tendues par une certaine posture
critique (pouvant concerner aussi bien le
statut des objets techniques que la place des
déchets et autres rebuts dans nos sociétés
capitalistes mondialisées). Je m’appuierai
pour cela sur un corpus d’entretiens menés
auprès d’une vingtaine de musiciens qui sont
tous des acteurs importants de la scène française des musiques improvisées. Le but de
ces entretiens était de tenter de comprendre
ce qui fait un instrument d’improvisation,
d’une part, en mettant au jour les logiques
de création et les savoir-faire qui présidaient
à la constitution de tels dispositifs, d’autre
part, en analysant les usages que font les
musiciens de leur instrument dans le temps
de la performance. Ont été ainsi interrogés
les pianistes Sophie Agnel, Frédéric Blondy
et Ève Risser ; les guitaristes Julien Desprez
et Pascal Marzan ; les percussionnistes Toma
Gouband, Lê Quan Ninh et Alfred Spirli ; les
violonistes Prune Bécheau et Jean-François
Vrod ; l’organiste et saxophoniste Jean-Luc
Guionnet ; le trompettiste Christian Pruvost ;
le tromboniste Thierry Madiot ; la harpiste
Hélène Breschand ; Nicolas Chedmail, qui
joue du « spat » (une sorte de cor spatialisé) ;
Mario de Vega et Arnaud Rivière, qui jouent
tous deux un dispositif d’improvisation
construit autour d’une table de mixage préparée ; Frédéric Le Junter, qui joue des « tables
préparées » constituées d’instruments et de
machines de sa propre confection ; eRikm, qui
joue des platines vinyles ; Jérôme Noetinger,
qui joue d’un magnétophone à bandes Revox ;
et Pascal Battus, qui joue des « surfaces rotatives », un dispositif construit autour d’un
disque de banc de montage en rotation contre
lequel sont pressés divers objets.
Certes, aucun des musiciens mentionnés ci-dessus ne se revendique explicitement
du hacking, ou ne fréquente les lieux qui lui
sont traditionnellement associés (fab labs,
hackerspaces, etc.), et ce d’autant plus que
l’informatique et les technologies numériques n’occupent généralement qu’une place
très marginale dans leur travail. Mais cela
ne signifie aucunement que les valeurs du
hacking n’aient pu infuser de manière plus
implicite leurs pratiques, via un certain
nombre de points de contact fonctionnant
comme autant de passerelles : le refus de
l’industrie et de la culture de masse ; le
rôle essentiel des objets techniques dans
16
Hacking et lutherie
1
La constitution d’un dispositif d’improvisation commence le plus souvent par
un geste d’ouverture. Comme la plupart
des objets techniques, un instrument se
présente en général au musicien avec un
certain nombre de bornes matérielles. Ces
différentes formes de clôture (couvercles,
vis, points de soudure, etc.) ont pour fonction de maximiser la pérennité de l’objet ;
mais en empêchant le musicien d’accéder à
un certain nombre de zones dont la manipulation pourrait conduire à l’endommagement
de l’instrument, ces clôtures matérielles
interdisent également à l’instrumentiste
de prendre réellement la main sur son instrument et, partant, de se l’approprier.
Comme le rappelle le luthier Léo Maurel,
spécialisé dans la fabrication d’instruments
« insolites » ou « expérimentaux »,
ce qui va prendre beaucoup de temps à l’ingénieur, au
concepteur, ça va être de borner les objets, de leur mettre des
limites pour ne pas qu’ils soient endommagés, par exemple
de mettre les circuits électroniques dans des boîtes, pour
que les contenus et les soudures tiennent plus longtemps…
ou d’empêcher que l’on puisse taper trop fort sur une touche
de piano pour que le marteau ne se casse pas […]. [Dans
les vielles à roue que je fabrique], l’interface est ouverte, tu
peux l’ouvrir, tu as accès aux réglages, sauf que tu peux
aussi mettre tes doigts sur la roue, donc tu peux abimer les
réglages. De manière générale, on peut dire que je travaille
Élaborer son dispositif d’improvisation…
« Dans la fabrication d’objets tout autour de nous,
sur des interfaces ouvertes, à fort potentiel de détournement,
où tu inclus dans la fabrication de l’objet, dans l’interface, le
fait qu’il va pouvoir être facilement détournable. » (entretien
avec Léo Maurel du 28 novembre 2017)
Ouvrir son instrument consiste donc
d’abord très concrètement à enlever ou à
déplacer certaines pièces matérielles qui
empêchent d’accéder à d’autres parties de
l’instrument. Mario de Vega a ainsi commencé son travail en ôtant le capot de la table
de mixage qu’il venait d’acheter d’occasion,
afin de pouvoir avoir accès directement aux
composants électriques de la table et être
capable de provoquer des courts-circuits
en crachant ou en envoyant des bulles de
savon sur ces composants. De même, Jérôme
Noetinger a d’abord enlevé le couvercle
et le galet presseur de son magnétophone
Revox pour pouvoir stopper les plateaux
d’une simple pression de l’index, contrôler
le défilement des bandes à la main, revenir
en arrière, faire du scratch, etc. Quant
à Jean-Luc Guionnet, alors qu’il voulait
séparer la sortie du clavier de la sortie de
la boîte à rythme de l’orgue électrique
Bontempi trouvé quelques années plus
tôt dans un vide-grenier, il a découvert en
ouvrant l’instrument qu’une molette lui
Article
la production comme dans la diffusion ; la
valorisation de la créativité, de la singularité et de l’ingéniosité ; etc. Plus encore,
le concept de hacking peut ici fonctionner
comme un analyseur pertinent, précisément
en ce qu’il permet de souligner la cohérence
des explorations instrumentales de ces
improvisateurs, en intégrant sous un ethos
commun un ensemble de dispositions et
d’usages qui pourraient autrement sembler disparates. Je passerai donc d’abord
en revue les opérations caractéristiques du
hacking qui se trouvent mobilisées dans les
pratiques de lutherie de ces musiciens, avant
de montrer plus en détail la manière dont ces
opérations contribuent spécifiquement à la
réalisation d’instruments ou de dispositifs
dédiés à l’improvisation.
63
Clément Canonne
permettait de régler individuellement l’accord de chaque note, ce qui lui a permis de
se confectionner son propre tempérament.
Mais on trouve aussi des gestes similaires
chez les musiciens jouant des instruments
plus traditionnels : Sophie Agnel, Frédéric
Blondy et Ève Risser ouvrent pour ainsi dire
quotidiennement leur instrument, puisque
la pratique du piano préparé nécessite précisément d’ouvrir le couvercle de son piano
(ou de l’ôter, dans le cas des pianos droits)
pour accéder directement aux cordes et à
la table d’harmonie.
Plus fondamentalement, ces gestes
d’ouverture matérielle supposent que le
musicien s’affranchisse des frontières symboliques qui entourent généralement les
instruments de musique dans la tradition
occidentale savante et qui non seulement
maintiennent l’instrument à distance de
l’instrumentiste mais encore le séparent
de son environnement matériel. Le tromboniste Thierry Madiot raconte ainsi qu’il
lui a fallu des années avant qu’il ne s’autorise à véritablement expérimenter sur son
instrument :
Pour les improvisateurs que j’ai pu
interroger, l’instrument n’est donc pas un
donné – un objet clos dont les propriétés
sont fixées en amont une fois pour toutes
par le luthier (pour les instruments traditionnels) ou par le monde de l’industrie musicale (pour les dispositifs électroniques) ; au
contraire, il peut être ouvert et, par là même,
personnalisé, modifié ou détourné. Ouvrir
l’instrument, à la fois matériellement – en
passant outre les bornes placées là par le
luthier ou l’ingénieur – et symboliquement
– en le dépossédant de son « aura », – permet
ainsi de « prendre la main » sur l’instrument
et, par là-même, enclenche un processus de
singularisation artistique de l’improvisateur :
« Le fait de démonter le trombone, de mettre des
ballons à la place de l’embouchure, ça a créé plein de modes
de jeux qui ont marqué que c’était un peu mon territoire…
quoi qu’il arrive, ça m’appartenait complètement, j’avais le
plaisir de ne pas avoir entendu ça ailleurs. Du coup, j’avais
un espace entre guillemets vierge… alors qu’au trombone, je
tombais toujours dans les voies de ceux qui avaient expérimenté avant, que ce soit [Vinko] Globokar, [Paul] Rutherford
ou [Albert] Mangelsdorff. » (entretien avec Thierry Madiot
du 12 octobre 2017)
« Quand tu as un beau trombone, il faut faire attention, il faut l’essuyer, et tout à coup, tu as tout un truc social,
euh, je peux faire quelque chose avec ? Le trombone, avant
d’imaginer que c’était juste un tuyau, ça m’a pris un temps fou,
des années et des années avant de me dire : mais finalement
ce n’est qu’un tuyau, ce n’est qu’un tube ! Tu prends un tube,
on prend la même longueur, légèrement conique, et on va
Cette appropriation de l’instrument
passe en grande partie par le détournement
et la recherche d’usages non-standards ou
imprévus – une pratique qui caractérise
centralement l’activité des hackers, selon
Nicolas Auray :
avoir quasiment un son de trombone. Pour tout instrument,
64
on devrait pouvoir avoir des instruments réduits, réduits en
« L’exploration [de la machine] ne se réduit pas au
termes techniques, une clarinette avec trois trous, et puis si
dépassement de performances. Elle a pour contenu plus géné-
tu mets une anche en plastique, le son n’est pas si différent
ral la découverte de caractéristiques techniques imprévues
que ça… pour désacraliser l’instrument, le mettre à distance.
d’une machine […]. Par extension, le terme hacker identifie
Et moi ça m’a pris des années sur le trombone… » (entretien
tout utilisateur qui découvre des utilités imprévues pour
avec Thierry Madiot du 14 décembre 2016)
les objets techniques […]. La focalisation sur l’exploration
1
conduit à un sabotage des normes techniques (de sécurité
une machine qui est faite pour enregistrer un signal et pour
ou de compatibilité) au nom de la performance ou de la
le reproduire dans la plus haute fidélité, c’était vraiment la
vitesse. Les hackers sont des collectionneurs de ruses pour
Rolls des mélomanes. Et là, l’idée, c’est pour le coup d’ins-
supprimer et contourner la normalisation de l’usage inscrite
trumentaliser l’appareil, et de l’utiliser d’une autre manière. »
dans l’objet. » (Auray, 2000 : 14-15)
(entretien avec Jérôme Noetinger du 29 septembre 2017)
Le détournement peut d’abord se
traduire par la confection d’une copie ou
d’un instrument dérivé, comme dans le
cas de Thierry Madiot qui a fabriqué, en
s’inspirant du trombone, tout un ensemble
de trompes télescopiques en plastique thermoformé dont la longueur peut atteindre
jusqu’à vingt mètres. Le détournement
consiste ici à extraire le « code source » de
l’instrument pour le disséminer au sein de
multiples communautés sous la forme d’objets extrêmement peu coûteux et faciles à
appréhender 2 .
Mais le détournement prend plus traditionnellement la forme d’un hack d’usage
(Allard, 2010) – qui consiste ici pour le musicien à utiliser son instrument ou un des objets
composant son dispositif d’improvisation
d’une manière tout autre que ce qui avait
été initialement imaginé par le luthier ou
par l’ingénieur. Le fait d’utiliser, comme
eRikm avec ses platines vinyles ou Jérôme
Noetinger avec son magnétophone à bandes,
un appareil conçu pour diffuser de la musique
enregistrée comme un instrument – et donc
comme une source autonome de production
sonore – constitue assurément un cas paradigmatique d’un tel hack d’usage :
Le hack d’usage peut également survenir de l’exploitation d’un glitch ou d’un problème de conception, ce dont témoigne l’utilisation singulière que fait Arnaud Rivière
de sa pédale de looper, ou l’effet de vibrato
que Jean-Luc Guionnet parvient à obtenir
sur son orgue :
2 La création de ces trompes a d’ailleurs débouché
sur la constitution de l’ensemble Zyph dont tous les
membres jouent des trompes munies de ballons en
latex.
Élaborer son dispositif d’improvisation…
« Ce n’est pas une machine qui est faite pour ça : c’est
« Le looper, c’est pareil, ça dépend comment ça
s’utilise… quand j’enregistre plusieurs fréquences très aiguës
de la table de mixage avec de très légers changements, le
looper n’arrive pas à comprendre, il ne reproduit pas seulement les quelques fréquences qui seraient empilées les
unes sur les autres, à un moment ça lui sature le processeur
et il part dans des distorsions qui ne sont pas ce pour quoi
il a été créé au départ. » (entretien avec Arnaud Rivière du
12 octobre 2017)
« En ouvrant [mon orgue], j’ai regardé comment c’était
fait et là j’ai tout compris […]. Il y a un câble électrique qui
est tendu tout le long du clavier, un seul, et quand j’appuie,
ça fait contact avec ce câble. D’où, quand j’appuie fort, le
câble bouge, et donc il modifie le son si je fais une autre
note. Il modifie un peu, il tremblote, il fait un truc. Ce n’est
pas fait pour ça, mais du coup, c’est détournable. » (entretien
avec Jean-Luc Guionnet du 6 juin 2018)
Enfin, le détournement des instruments
et dispositifs passe régulièrement par leur
altération matérielle – altérations qui permettent généralement aux improvisateurs
de produire des sons qui semblent largement
étrangers à l’instrument, par exemple en faisant sonner un piano comme un instrument à
Article
16
des fonctionnalités imprévues qui caractérise le hacker le
65
Clément Canonne
Figure 1 : Les multiples blocs de pistons soudés les uns aux autres qui forment le cœur
du spat’ cor de Nicolas Chedmail
vent capable d’effets de souffle ou de textures
multiphoniques :
« J’ai commencé à préparer le piano pour pouvoir
faire au piano ce que je faisais à la flûte. Comme j’étais
flûtiste et que j’explorais des sons différents des sons dits
“normaux”, je me suis dit qu’il fallait que je les explore au
piano […]. Je voulais pouvoir mélanger un son frotté au
piano avec un saxophoniste qui souffle ; à la flûte je savais
le faire, mais au piano pas. Alors j’ai commencé à chercher
comment faire tous ces sons au piano. » (entretien avec Ève
Risser du 13 mars 2014)
66
L’altération de l’instrument est parfois
définitive – comme les blocs de pistons
supplémentaires que Nicolas Chedmail a progressivement soudé à son cor pour contrôler
la spatialisation (sélectionner le pavillon sur
lequel le son va sortir) et plus généralement
la circulation de l’air au sein du réseau de
tuyaux et de boucles d’effet que constitue
l’instrument (voir figure 1) – mais elle est
plus souvent le fait d’associations matérielles
plus ponctuelles : les pianos de Frédéric
Blondy ou de Sophie Agnel sont préparés
(avec des objets et des matériaux variés :
boules en verre, polystyrène, ebows, patafix,
canettes de coca, boîtes de sardines, etc.) ; la
grosse caisse de Lê Quan Ninh est entourée
(d’une multitude d’objets – pommes de pin,
plateaux de disques durs, cymbales, etc. –
lui servant à frotter et frapper la peau de
sa grosse caisse, ou à filtrer les résonances
de son instrument) ; et la guitare de Julien
Desprez est augmentée (par l’adjonction d’un
grand nombre de pédales d’effets).
Le fait d’associer de manière plus ou
moins ponctuelle différents objets périphériques à un élément central (un instrument,
un dispositif de diffusion sonore, un micro,
etc.) – voire d’« instrumentaliser » (en les
amplifiant) un certain nombre d’objets 3 – a
3 Sur la notion d’instrumentalisation, comprise
comme l’exploration du potentiel sonore des objets
Élaborer son dispositif d’improvisation…
Figure 2 : Les « surfaces rotatives » de Pascal Battus
1
et j’en ai embarqué deux. » Comme le résume
Pascal Battus, « mon instrument, c’est une
chaîne sonore qui est complètement éclatée,
fragmentaire, c’est comme un instrument qui
se défait et se refait. En fait, c’est comme un
instrument que je fabriquerais à nouveau à
chaque instant » (entretien avec Pascal Battus
du 13 juin 2017).
Cette conception modulaire de l’instrument, fait de composants qui peuvent
« entrer » et « sortir » du dispositif d’improvisation, se retrouve, à un degré ou à un
autre, chez la plupart des improvisateurs
avec lesquels je me suis entretenu, ceux-ci
rechignant généralement à stabiliser définitivement le set d’objets utilisés et, par là,
à clore une fois pour toute leur instrument :
« Ce qui m’amuse beaucoup, c’est que les objets
changent très lentement au fur et à mesure : il y a des objets
qui apparaissent et des objets qui disparaissent. Des amis
par leur manipulation et leur amplification, voir Keep
(2009).
Article
16
deux conséquences essentielles sur la pratique
des improvisateurs interrogés. D’une part,
cela débouche sur une conception à la fois
fluide et modulaire de l’instrument – constitué de différentes parties qui peuvent changer
au cours du temps. Pascal Battus ajoute ainsi
très régulièrement de nouveaux éléments au
stock d’objets qui constituent ses « surfaces
rotatives » (voir figure 2). Quand je l’ai rencontré une première fois en juin 2017, il venait
d’ajouter à son set « des couvercles de boîte
à Sushi, [qui permettent] d’avoir des sons
d’une puissance énorme, avec des aigus qui
vrillent dans les oreilles » ; et quand je l’ai revu
quelques mois plus tard en novembre 2017, il
avait déjà fait un nouvel ajout : « C’est récent,
ces petits verres à apéro. Ça devait être cet
été, à un cocktail, je ne sais plus. Il y en avait
plein donc je me suis dit que j’allais essayer
me donnent des choses. Ce type de polystyrène m’a été
suggéré par un ami. Ou ça : c’est une découverte, c’était en
67
Clément Canonne
démontant ma scie circulaire, la lame est tombée, je me suis
« À partir du moment où tu commences à découvrir
dit : “ouah, elle a l’air de sonner”, et donc je l’ai utilisée pour
que ce qui émet une fréquence, tu peux le capter, tu vas
voir. C’est un peu comme une famille, comme des compa-
être à l’affût… on se rend compte qu’on est dans un monde
gnons… mais il y en a qui disparaissent à jamais. Des fois,
de parasite permanent ! » (entretien avec Jérôme Noetinger
c’est uniquement parce que je dois prendre l’avion, je dois
du 29 septembre 2017)
limiter le poids, j’en enlève, et puis j’oublie de le remettre.
Je ne suis pas accroché à mes objets, en sachant que je
« Cet objet, je l’ai trouvé dans la rue, ça fait partie
vais pouvoir faire ci ou ça avec. En fait, il n’y a pas du tout
d’un système qui sert à bloquer les feuilles dans les égouts.
dans mon esprit le côté nomenclature. » (entretien avec Lê
Tout de suite, il m’a parlé, j’ai bien senti qu’il y avait des tiges
Quan Ninh du 26 novembre 2017).
en métal qui étaient reliées, donc qui devaient vibrer, ça se
sent tout de suite, on peut presque sentir les vibrations […].
« Pour moi ce n’est jamais définitif, je ne cherche pas
En fait, je suis plus dans une logique de trouvaille, d’utiliser
la stabilité. Je serai toujours ravi de découvrir d’autres trucs…
ce qui m’entoure, plutôt que d’aller chercher quelque chose
il n’y a pas de limite à ça […]. À un moment, j’imaginais fixer
de précis. Parce qu’en fait il y a une telle richesse dans les
les supports sur le magnétophone, pour avoir une sorte de
objets qui nous entourent quand on sait les regarder… »
mini-portique, avec des ressorts, des petites percussions,
(entretien avec Pascal Battus du 13 juin 2017)
pour pouvoir les travailler directement. Donc pour moi, il y a
toujours des évolutions possibles. » (entretien avec Jérôme
Noetinger du 29 septembre 2017)
« Je regarde tout le temps des trucs… moi j’aime les
objets, et je regarde partout, tout le temps, ce qui traîne. Et à
un moment donné, j’ai une idée, et j’essaye. Je connais bien
D’autre part, les opérations d’association toujours renouvelées qui sont au cœur de
leurs dispositifs instrumentaux conduisent
les improvisateurs à être à l’écoute de leur
environnement matériel, à se saisir des objets
et matériaux croisés sur leur chemin et dont
ils pressentent le potentiel instrumental ou
sonore :
« En fait, j’ai remarqué qu’il y avait une petite virtuosité
qui s’installait dans le fait d’imaginer une matière. Maintenant,
s’il y a un mec qui vient avec un verre en plastique et qui me
dit : ça, ça pourrait sonner comment ? Je ne l’essaye même
pas, parce que j’imagine très bien tout de suite le résultat
sonore. » (entretien avec Ève Risser du 13 mars 2014)
« Il y a aussi l’attrait de l’objet, ça peut être du caillou,
un beau caillou qui sonne, qui a un aspect particulier… ça
peut être la matière, une granulation qui permet une itération,
je vais passer mon doigt pour entendre. » (entretien avec
68
Thierry Madiot du 14 décembre 2016).
le monde du son, je sais comment ça marche. Alors parfois
j’ai des espèces de fulgurances en voyant certains objets. »
(entretien avec Jean-François Vrod du 2 octobre 2018)
Le fait que l’instrument soit considéré comme un objet à la fois ouvert (susceptible d’être modifié) et fluide (dont les
contours évoluent au fil du temps) conduit
donc en définitive à brouiller la frontière
entre l’instrument et son environnement :
c’est potentiellement tout l’environnement
matériel du musicien qui est susceptible d’être
instrumentalisé par l’improvisateur ou digéré
par son dispositif de jeu. Cela se manifeste
notamment dans l’appétence des improvisateurs interrogés pour la récupération et le
recyclage d’objets trouvés ou jetés : comme
le déclare par exemple Arnaud Rivière, « je
ne peux pas passer devant un dépôt d’ordures
dans la rue sans m’y arrêter ! » (entretien avec
Arnaud Rivière du 12 octobre 2017).
Récupérer, ensuite, c’est souvent utiliser des objets qui échappent d’une manière
ou d’une autre à l’ensemble de normes (techniques comme esthétiques) qu’ils sont censés exemplifier – en raison d’un défaut de
fabrication ou bien d’une altération liée à leur
usage – et qui permettent ainsi au musicien
d’obtenir des résultats sonores singuliers
ou de découvrir des usages non-standards,
rejoignant ainsi une certaine « esthétique de
la défaillance » propre aux musiques glitch
(Kelly, 2009) :
Élaborer son dispositif d’improvisation…
Après les pratiques d’ouverture et de
détournement, il s’agit là d’un troisième
point de contact essentiel avec les valeurs du
hacking 4 . Cette pratique de la récupération
et du recyclage s’inscrit en effet le plus souvent dans une perspective critique visant à
questionner le statut des objets techniques,
qu’il s’agisse de leur obsolescence, de leur
standardisation ou de leur coût (économique
comme écologique). Récupérer, c’est d’abord
travailler avec un matériau abondant gratuit
(ou presque gratuit) qui, d’une part, renforce
l’indépendance économique du musicien et,
d’autre part, autorise l’expérimentation :
« Ce lecteur CD, il a un truc spécial, vu qu’il était à la
déchetterie et qu’il était cassé, c’est qu’il tourne même quand
dant d’une technologie qui est aussi coûteuse, et d’être
vraiment dans quelque chose de… réutilisé, j’aime bien cette
idée de récupération. Et puis c’est des choses que je peux
16
trouver partout, il suffit de manger un flan et j’ai un nouvel
objet à utiliser. » (entretien avec Pascal Battus du 13 juin 2017)
1
« Je suis plus dans l’agencement que dans la fabrication… et on est dans un monde qui est très bien pour
l’agencement, il y a plein de choses qui sont jetées, on
peut tout récupérer. » (entretien avec Thierry Madiot du
14 décembre 2016)
« Pour moi récupérer c’est aussi lier au fait de pouvoir faire beaucoup d’expériences. Par exemple, pour les
bouteilles de whisky, j’en ai récupéré des dizaines, de diamètres différents, et j’ai pu tout de suite tailler là-dedans,
essayer, et voir ce que ça donnait. De manière générale, je
suis habitué à prendre des matériaux pas chers pour pouvoir
faire des expériences. » (entretien avec Frédéric Le Junter
du 25 octobre 2017)
4 Sur le rôle crucial joué par les pratiques
de recyclage et de récupération au sein des
communautés de hackers, voir notamment
Lallement (2015).
il est ouvert, ça c’est délirant, ça me permet d’approcher très
près mon micro contact. » (entretien avec Jérôme Noetinger
du 29 septembre 2017)
« Ça c’est un disque avec lequel j’ai pas mal joué,
c’est un disque de Savouret que j’ai trouvé aux puces, et
qui est fantastique parce que je l’ai trouvé avec le rond
central mal imprimé, donc il y avait une boucle déjà sur
l’imprimé ! » (entretien avec eRikm du 16 novembre 2017)
Récupérer, enfin, c’est d’une certaine
façon s’affranchir de l’obsolescence des objets
industriels. La plupart des musiciens interrogés partagent l’idée qu’il y a toujours plus
à faire avec un objet que ce pour quoi il a
été conçu ou que les objets ont une durée de
vie qui dépasse toujours leur cycle d’usage
standard, comme en témoignent les plateaux
en polystyrène utilisés par Pascal Battus
qui, « même lorsqu’ils sont à bout, arrivent
encore à sortir des sonorités insoupçonnées »
(entretien avec Pascal Battus du 13 juin 2017).
On retrouve ici l’idée exprimée par Kenneth
McKenzie Wark, lorsqu’il fait du hacker un
extracteur de virtuel :
Article
« J’aime bien aussi cette idée de ne pas être dépen-
69
Clément Canonne
« Pour le hacker, il y a toujours dans l’actuel l’expression d’un excédent de possible, l’excédent du virtuel.
C’est le domaine incompressible de ce qui est réel sans être
actuel, ce qui n’est pas mais qui pourrait être. Hacker, c’est
libérer le virtuel dans l’actuel, pour exprimer la différence
du réel. » (McKenzie Wark, 2006 : §22)
Mais utiliser des objets obsolescents
revient aussi à émanciper ces objets du temps
(court) des produits de l’industrie musicale
pour les faire rentrer dans le temps (long) des
instruments de musique. Quand un objet est
déjà obsolète, il ne peut pas devenir davantage
obsolète : cela lui confère ainsi paradoxalement une stabilité qui vient faciliter son
instrumentalisation par l’improvisateur, de
l’acquisition progressive d’un répertoire de
gestes et d’actions allant s’élargissant jusqu’à
la transmission d’un savoir-faire instrumental
à d’autres musiciens :
« Pour moi, la notion de récupération, c’est quelque
chose qui m’a toujours vraiment passionné, qui m’a toujours
sein de réseaux qui permettent aux improvisateurs de partager leurs ressources et
leurs savoir-faire. On ne trouvera guère ici
de fab lab ou de hackerspace (voir BerrebiHoffmann, Bureau & Lallement, 2018) qui
viendraient centralement structurer la communauté de ces improvisateurs-makers, et ce
d’autant plus que leurs activités de lutherie
reposent bien davantage sur un ensemble
de bricolages ponctuels que sur des opérations techniques d’envergure nécessitant un
outillage sophistiqué associé à une utilisation experte. Certes, un lieu de résidence
comme Lutherie Urbaine à Bagnolet, a
pu à un moment jouer un rôle équivalent,
de par la mise à disposition d’outils et de
machines (plutôt rudimentaires), mais aussi
de par la présence de Thierry Madiot, qui
transmettait à la fois conseils pratiques (par
exemple, où se procurer à bon prix tel ou tel
matériau) et informations techniques (par
exemple, sur l’utilisation des compresseurs
d’air) aux musiciens accueillis :
questionné, en tout cas. C’est cette idée qu’on est dans un
monde où tout va très vite au niveau de la technologie…
« C’est une sorte de fab lab de fait, sans technologie,
aujourd’hui, il y a plein de gens qui me demandent : mais
juste avec une perceuse et un fer à souder… Donc c’est
pourquoi tu ne travailles pas avec un ordinateur ? Mais on ne
surtout pour aider à cette communication entre les uns et
demandera jamais à un flûtiste pourquoi il ne travaille pas avec
les autres, entre des gens qui sont assez isolés. Comme
un autre instrument qui serait […] le futur de la flûte. Tandis
je commence à être un peu plus vieux dans ce milieu, je
qu’effectivement, il y a une évolution technologique par rapport
peux être en position d’aider à ça. Je ne veux pas formater
à ces machines-là où on a toujours du mal à comprendre qu’on
ça… mais moi ça m’a tellement manqué quand j’avais une
ne vive pas avec son temps. Alors maintenant ça revient à la
vingtaine d’années d’avoir ce genre de ressources que j’ai
mode – je peux transmettre à des plus jeunes – mais en tout
envie que ça existe cet endroit-là pour que ça vive et que
cas je n’ai toujours pas senti la limite du plaisir que j’ai de jouer
ça fasse du sens… mais bon c’est fragile, il y a plein de
avec ça et puis je découvre toujours des choses, des petites
problématiques socio-économiques, et des problèmes de
choses, mais encore des nouvelles choses. » (entretien avec
pratiques, aussi. On a beau avoir une bonne idée, si personne
Jérôme Noetinger du 29 septembre 2017)
ne vient, ça ne marche pas. » (entretien avec Thierry Madiot
du 14 décembre 2016)
70
Il faut enfin dire quelques mots ici sur
la manière dont ces pratiques de lutherie
– largement individuelles – s’inscrivent au
Mais comme le souligne Thierry
Madiot, le projet de transformation de
1
« C’était très expérimental notre manière de travailler,
eux ils étaient très branchés musique contemporaine, moi
Hacking et
dimensions de
l’instrumentalité
Élaborer son dispositif d’improvisation…
Nous avons donc vu qu’un certain
nombre d’opérations caractéristiques du
hacking – l’ouverture, le détournement, le
recyclage et le partage – étaient au cœur des
pratiques de lutherie des improvisateurs.
Il s’agit maintenant de montrer le rôle que
jouent ces opérations dans la performance
d’instruments ou de dispositifs qui ont été
conçus pour être utilisés, au moins pour une
large part, en situation d’improvisation libre.
Tout instrument résulte de compromis
entre des objectifs parfois contradictoires,
et les dispositifs d’improvisation n’y font pas
exception. Les musiciens interrogés attendent
donc de leur instrument qu’il satisfasse un
certain nombre de critères. Premièrement,
l’instrument doit être capable de s’adapter
à une grande variété de situations sonores
– ce qui se traduit souvent par la diversité
des objets et des matériaux qui composent
le set d’improvisation – tout en restant peu
encombrant 5 , mais surtout relativement
maniable et ergonomique – et donc compatible
avec l’exigence d’invention en temps réel qui
caractérise l’improvisation. Deuxièmement,
j’avais un petit train de retard. Et c’est là que j’ai commencé
à mettre des objets [dans le piano]. Thierry mettait déjà des
gobelets dans son pavillon [de trombone], il m’en a passé,
il y a beaucoup d’objets qui ont circulé comme ça. En tout
cas, c’est vraiment avec ce trio que j’ai eu pour la première
fois des désirs de sons qui me manquaient. Donc j’ai dû
trouver comment les faire. » (entretien avec Sophie Agnel
du 9 janvier 2018)
5 La question du poids de l’instrument (ou du set de
préparation) est revenue systématiquement au cours
des entretiens : en particulier, au sein d’une scène
caractérisée par la grande mobilité des musiciens, le
poids maximal de 20 kg imposé par les compagnies
aériennes pour les bagages en soute est devenu
de facto la limite à ne pas dépasser pour tous les
improvisateurs interrogés !
Article
16
Lutherie Urbaine en fab lab dédié aux
lutheries expérimentales n’a pas vraiment
pris. En réalité, les échanges entre ces improvisateurs empruntent des chemins beaucoup
plus informels, liés à la communauté de pratiques qui les rassemble. Ils fréquentent ainsi
les mêmes salles de concerts et sont donc régulièrement témoins des trouvailles ou astuces
des uns et des autres qu’ils peuvent ensuite
« emprunter ». Plus fondamentalement, tous
ces improvisateurs participent d’une scène
qui favorise les pratiques collectives, qu’il
s’agisse de rencontres occasionnelles ou de
groupes constitués : ils jouent donc fréquemment les uns avec les autres, au gré de projets
aux configurations et à la stabilité variables.
Au sein de ce réseau, certains improvisateurs
comme Jean-Luc Guionnet, Pascal Battus ou
Thierry Madiot occupent une place particulièrement centrale, comme en atteste le fait
qu’ils aient pu collaborer, à un moment ou à
un autre, avec la quasi-totalité des musiciens
rencontrés au cours de cette enquête. Ils
jouent donc un rôle tout particulier dans la
circulation des dispositions et des savoirfaire associés à l’exploration instrumentale
et à la lutherie expérimentale. Sophie Agnel
décrit ainsi son trio avec Thierry Madiot
et Hélène Breschand comme un véritable
« laboratoire » :
71
Clément Canonne
72
il doit permettre la reproductibilité des actions
sonores – et donc répondre fidèlement aux
intentions musicales de l’improvisateur – tout
en possédant une certaine imprévisibilité –
faisant ainsi de l’instrument un véritable
partenaire d’interaction capable de suggérer
de nouvelles directions à l’improvisateur.
Troisièmement, il doit être réactif – c’est-àdire que le son suive l’action sans délai – tout
en étant capable d’autonomie – c’est-à-dire
qu’il puisse aussi produire des sons sans être
directement sollicité par l’improvisateur,
par exemple pour que celui-ci puisse se saisir
d’un nouvel objet sans que cela ne se traduise
nécessairement par un silence. Et enfin,
quatrièmement, il doit être modulaire – en
étant constitué de différentes parties susceptibles à la fois d’évoluer au cours du temps
et de se voir assignées des fonctions sonores
ou musicales bien particulières – tout en
étant intégré – c’est-à-dire qu’il sonne malgré
tout comme un instrument, disposant d’une
signature sonore propre et bien identifiable
dans le flux d’une performance collective.
Tous les improvisateurs interrogés
ne résolvent évidemment pas de la même
manière ces différentes « équations ». Et
à bien des égards, les choix qu’opèrent les
musiciens sont révélateurs de la manière
dont ils conçoivent la pratique de l’improvisation : improviser, est-ce plutôt une affaire
de contrôle ou d’accident ? D’interaction ou
de génération ? Est-ce se dire que tout est
possible ou bien est-ce plutôt explorer un
territoire bien délimité ? Est-ce une activité
intrinsèquement virtuose ou pas ? L’examen
précis de la relation existant entre les choix
de lutherie des improvisateurs et les conceptions de l’improvisation qui régulent leur
pratique musicale mériterait assurément
un article à part entière. Je me contenterai
donc ici de montrer comment les opérations
de hacking discutées dans la première partie
de cet article permettent précisément aux
improvisateurs de résoudre certaines des
tensions présentées ci-dessus.
D’abord, les improvisateurs vont multiplier les astuces ou bricolages leur permettant de simplifier ou d’optimiser la production de certains types de sons. Le pianiste
Frédéric Blondy a ainsi longtemps cherché
comment produire des sons continus au
piano : au début, il utilisait du crin de cheval
pour frotter directement les cordes mais
ce geste lui monopolisait les deux mains.
Il lui a donc substitué une simple baguette
en bois qu’il coince entre les cordes, et qu’il
frotte verticalement avec une de ses mains
après l’avoir préalablement humidifiée, ce
qui lui permet d’avoir une main libre pour
faire autre chose (jouer sur une autre partie
du piano, placer une nouvelle préparation,
etc.). Nicolas Chedmail envisage quant à lui
d’ajouter une pédale de charley déportée à son
spat’ qui lui permette de prendre en charge
une partie du contrôle des pistons au pied,
optimisant ainsi la rapidité du passage d’une
boucle d’effet à une autre. Cette recherche
d’optimisation des moyens de la production
du son par le détournement ou l’association
matérielle se retrouve chez pratiquement
tous les improvisateurs interrogés. Certains
vont même jusqu’à bricoler des dispositifs
autonomes pour pouvoir produire des sons
sans avoir à entretenir un geste ou une action,
comme Arnaud Rivière qui utilise plusieurs
actionneurs motorisés « pour pouvoir faire
autre chose [en même temps] et donc pouvoir
accéder à plus de polyphonie » (entretien
avec Arnaud Rivière du 12 octobre 2017).
Ensuite, la pratique du détournement
et le développement de hacks d’usage permet
« Au début, je prenais mes objets pour des sons,
alors que maintenant, je les vois plus comme des possibilités de sons. » (entretien avec Ève Risser du 13 mars 2014)
« Au départ, j’avais beaucoup d’objets, il y avait une
palette énorme mais en fait, pendant un concert, je ne peux
pas tout utiliser… mais je me suis rendu compte que même
si j’ai un seul objet, je peux l’utiliser dans tous les sens,
découvrir d’autres manières de l’utiliser… donc avoir moins
ce côté « prendre des choses » mais utiliser une chose et
aller jusqu’au bout de cette chose, c’est une autre manière
de jouer. » (entretien avec Pascal Battus du 13 juin 2017)
16
Les boules chinoises de Frédéric Blondy
vont par exemple servir à produire une multitude de sons : des sons de percussions
Article
1
fortissimo en frappant les boules directement
sur la table d’harmonie ; des distorsions, lorsqu’elles vibrent en combinaison avec un ou
plusieurs ebows ; des sons détempérés lorsque
Frédéric Blondy les fait glisser sur les cordes
entre le chevalet et les pointes d’accroche ; des
« sons de galet » en faisant rouler les boules sur
les chevilles à l’extrême gauche du piano ; etc.
De même, une simple baguette en métal va
servir assez naturellement à Jérôme Noetinger
à produire des sons percussifs (en la frappant
régulièrement sur la bande magnétique de son
Revox), mais aussi à effacer les sons préalablement enregistrés sur la bande du magnétophone (en maintenant une pression continue
sur la bande). Quant aux ballons qu’utilisent
Thierry Madiot ou Christian Pruvost en
guise d’embouchure (voir figure 3), ils leur
permettent une impressionnante variété de
modes de jeu : balayages harmoniques, sons
graves et granulaires, claquements percussifs,
cris d’alarme ou textures multiphoniques, et
sans doute bien d’autres encore. Comme le
rappelle Christian Pruvost :
Élaborer son dispositif d’improvisation…
généralement aux musiciens interrogés de
trouver un équilibre entre diversité et maniabilité. Les objets utilisés par les improvisateurs sont en effet rarement cantonnés à un
seul usage ; au contraire, intégrer un objet à
son set d’improvisation consiste précisément
à trouver comment démultiplier ses usages :
Figure 3 : Thierry Madiot : trombone et ballon.
73
Clément Canonne
« On se disait avec Thierry [Madiot], c’est comme
que là, peut-être qu’au départ je l’ai plutôt pris [ce ressort]
une anche multiple à forme et à géométrie variable. Donc
pour répéter ce truc mais une fois que je l’ai eu en main,
à partir de là, c’est infini, il n’y a pas de limites, on trouve
ça a amené à autre chose, alors que s’il a un seul usage, la
sans cesse de nouveaux sons. » (entretien avec Christian
piste se ferme tout de suite. » (entretien avec Arnaud Rivière
Pruvost du 6 février 2018)
du 12 octobre 2017)
Il s’agit donc non seulement de pouvoir
produire une large palette de sons avec un
seul et même objet pour ne pas se retrouver
« bloqué » trop rapidement avec un objet ou
« coincé » en cas de changement abrupt dans
la musique, mais encore de permettre aux
objets eux-mêmes de suggérer de nouvelles
pistes, comme l’explique très clairement
Arnaud Rivière en commentant la manière
qu’il a eu de se servir d’un petit ressort au
cours d’une performance :
Enfin, le fait de détourner les objets
(et donc de les utiliser d’une manière qui
n’avait pas forcément été anticipée par leur
concepteur), de les altérer matériellement,
ou d’utiliser des objets récupérés (et donc
présentant éventuellement des défauts ou
des imperfections) permet aux musiciens
d’introduire une certaine imprévisibilité
au cœur même de leurs dispositifs d’improvisation. Utiliser une pomme de pin pour
frotter sur la peau d’un tom ou d’une grosse
caisse (voir figure 4), comme le font Toma
Gouband ou Lê Quan Ninh, est ainsi hautement imprévisible, en raison de la géométrie
particulière de la pomme de pin :
« S’il n’y a qu’une seule fonction pour chaque objet,
du coup, à chaque fois que je vais le prendre dans la main,
je vais savoir exactement pourquoi je l’ai en main, alors
74
Figure 4 : La batterie de Toma Gouband, qui associe pierres et pommes de pin.
comme j’ai une longue pratique du frottement sur la peau,
je sais par mémoire que la pomme de pin va être encore
plus grasse sur la peau, plus épaisse en termes de son,
qu’une simple tige en métal, par exemple. Mais je ne vais
pas savoir exactement ce qui va se passer parce qu’avec
la pomme de pin on ne sait jamais… donc je vais la frotter
et là, peu importe l’intuition qu’il y avait, de toutes façons,
c’est toujours déjà différent. » (entretien avec Lê Quan Ninh
du 26 novembre 2017)
1
« Il y a un mouvement infime qui fait que l’objet va
être plus ou moins en contact. C’est ça qui permet d’avoir
de toutes petites choses. Si je le mets en contact, ça fait
« [l’accident], c’est un bout de ma pratique. C’est un
du son continu, voire des hauteurs. Mais des fois ça arrive
accident qui est aussi heureux que le reste, qu’un geste que
sans que ça soit voulu. Quand ça arrive, j’ai la sensation
j’aurais voulu… il y a un truc où l’intention n’est plus si claire
dans les mains, et donc là, je suis capable de le reproduire…
entre ce que moi j’envoie et ce que le dispositif renvoie lui-
ou en tout cas plus facilement, parce que je viens de le
même. » (entretien avec Arnaud Rivière du 12 octobre 2017)
jouer, donc je sais que c’est à tel endroit, selon tel angle,
là je sais que je peux le faire comme ça. C’est aussi pour
ça que j’ai besoin de beaucoup pratiquer avant de jouer,
parce que j’ai besoin de me remettre les trucs en main,
c’est plein de sensations qui sont de l’ordre de l’infime,
avec plein d’informations sur le poids, l’angle, la manière
de tenir, il y a trop de choses que je ne peux pas retenir…
et puis je m’en fous, j’aime bien ce côté d’être surpris par
ce qui arrive, et puis voilà. Mais c’est vrai qu’il y a sans
doute plus de la moitié des sons que je fais, j’ai une idée de
comment ça sonne parce que je connais le matériau mais
je ne sais pas quel son va sortir. » (entretien avec Pascal
Battus du 7 novembre 2017)
Il y a évidemment un lien très fort entre
la recherche de nouveaux usages pour les
objets et la création d’un instrument qui dispose d’une agentivité propre – et ce notamment par son potentiel d’imprévisibilité. En
un sens, c’est l’imprévisibilité (relative) de
l’instrument qui permet à l’improvisateur de
découvrir de nouveaux usages pour les objets
qui lui sont associés ; et, réciproquement,
c’est le fait de disposer d’un répertoire d’objets dont les usages sont toujours mouvants
qui permet de maintenir l’instrument au
Article
16
De même, les surfaces rotatives de
Pascal Battus lui permettent d’atteindre
un point d’équilibre entre reproductibilité
et imprévisibilité. Le dispositif est en effet
construit autour d’un disque de banc de montage récupéré qui présente une très légère
oscillation quand il est en rotation – oscillation qui rend plus aléatoire le contrôle de
la pression appliquée à l’objet :
Certains dispositifs sont par ailleurs
intrinsèquement générateurs d’accidents.
C’est par exemple le cas du dispositif joué par
Arnaud Rivière. D’une part, il est construit
autour d’une table de mixage en feedback
à laquelle s’ajoutent de nombreux micro
contacts, d’où une production souvent accidentelle de buzz et autres larsen. D’autre part,
le musicien utilise aussi des petits moteurs
pour mettre en vibration certains objets ou
produire des sons percussifs de manière autonome. Non seulement ces moteurs menacent
toujours de s’arrêter (puisqu’ils tournent avec
des piles récupérées plus ou moins vides) mais
encore ils risquent, par le mouvement qu’ils
provoquent, de faire tomber d’autres objets.
Mais comme le rappelle Arnaud Rivière en
commentant une de ses performances au
cours de laquelle il avait précisément éteint
de manière accidentelle son tourne-disque en
voulant retourner le disque de métal qu’il y
avait placé et qui ne tenait pas bien en place,
Élaborer son dispositif d’improvisation…
« Je sais que si je frotte avec une pomme de pin,
75
Clément Canonne
« bon » degré d’imprévisibilité. Autrement
dit, les objets ne « suggèrent » pas passivement leurs usages au musicien comme autant
d’affordances d’action (Gibson, 2014) ; au
contraire, l’improvisateur découvre ces
usages en manipulant effectivement ces objets
dans le temps de la performance, au contact
d’un dispositif partiellement imprévisible.
Les instruments d’improvisation sont donc
fondamentalement des machines à sérendipité, qui favorisent le surgissement de
« trouvailles » sonores ou d’usages alternatifs :
« Je ne pense pas à me dire : tiens, j’ai envie de tel
son, comment je pourrais le produire ? A priori, c’est plutôt
l’objet qui… je perçois qu’un objet va avoir des fonctions
multiples qui vont pouvoir être intégrées au set et du coup,
en le manipulant, peu à peu, les fonctions qui vont m’être
utiles à moi, dans ce dispositif, apparaissent. Il y a vraiment
un truc de trouvaille. » (entretien avec Arnaud Rivière du
12 octobre 2017)
Ce sont peut-être les surfaces rotatives
de Pascal Battus qui constituent le plus bel
exemple de « machine à sérendipité ». Pascal
Battus utilise notamment en guise de surfaces
des matériaux caractérisés par leur friabilité :
presser une barquette en polystyrène contre
un disque en rotation rapide, c’est évidemment
accélérer son usure et, à terme, provoquer
une fêlure. Mais loin d’être synonymes de la
mort de l’objet, ces fêlures sont au contraire
l’occasion de découvrir de nouveaux sons,
ou de nouvelles techniques de jeu – comme
le fait d’alterner rapidement entre plusieurs
doigts sur le côté de la barquette pour créer
un tremolo de timbre :
« Il va y avoir une barquette qui va casser, ou il va y
avoir une fente, et là je la casse complètement, ou alors c’est
76
pendant un concert, et dans le feu de l’action… là d’ailleurs,
tu vois, celle-là aussi elle est en train de se péter… ce qui est
bien, c’est que ça donne aussi d’autres possibilités sonores
[il essaye et produit une sorte de sifflement très aigu]. Et puis
après, elles finissent par casser, mais j’utilise même les petits
bouts comme ça, je peux les utiliser pour faire des [tremolo
de timbre], j’ai trouvé ça au bout d’un moment. » (entretien
avec Pascal Battus du 7 novembre 2017)
Si le hasard joue évidemment ici un
rôle important, on reste néanmoins très
loin des dispositifs que l’on rencontre plus
typiquement au sein de la scène noise, qui
favorisent les couplages complexes et hétérodoxes de composants électroniques dans
le but de produire des résultats inattendus.
Autrement dit, la logique de ces instruments
d’improvisation est moins celle de l’empilement hasardeux, voire invraisemblable – à la
manière des mécanismes à la Rube Goldberg
décrits par Grimaud, Tastevin et Vidal (2017),
qui cherchent à « obtenir moins avec plus », à
démultiplier les composantes et les étapes de
circulation pour garantir l’imprévisibilité du
processus – que celle du creusement ou de
l’approfondissement qu’autorise la maîtrise
technique. La plupart des improvisateurs
interrogés passent en effet énormément
de temps à pratiquer leurs instruments, et
laissent toute sa place à l’idée d’une manipulation virtuose du dispositif, qu’il s’agisse de
précision (des gestes instrumentaux) ou de
vitesse (dans la modification de l’agencement
du dispositif). Cette manipulation virtuose
– voire acrobatique (Stoichita, Grimaud &
Jones, 2011), dans l’équilibrage subtil et
fragile qu’elle suppose des multiples points
de contact entre l’improvisateur et son instrument – participe en tout cas fortement du
caractère inouï des sonorités que les musiciens
parviennent à tirer de leurs instruments et,
partant, de l’émerveillement qui peut saisir
16
Conclusion
1
On l’a vu, le rapport des improvisateurs
à leurs instruments se caractérise par une très
grande diversité de « prises » matérielles. Mais
après tout cette diversité n’est surprenante
que si on la rapporte à la relation qui unit les
interprètes à leurs instruments dans le monde
de la musique savante occidentale, si bien
exemplifiée par la figure du pianiste – à la
fois extérieur à son instrument (et ce d’autant
plus que les pianistes jouent souvent sur des
instruments qu’ils ne connaissent pas) et
déléguant à d’autres les opérations matérielles
susceptibles d’être réalisées sur l’instrument
(à commencer par son accord). Car partout
ailleurs, les appropriations matérielles de
l’instrument par l’instrumentiste sont plutôt
la norme : les « baroqueux » fabriquent leurs
anches de basson ou ajustent soigneusement
la mécanique de leur clavecin ; les violonistes
6 En cela, la pratique des improvisateurs que j’ai
pu interroger obéit assez nettement au « régime de
singularité » qui, selon Nathalie Heinich, gouverne le
monde de l’art moderne depuis l’époque romantique
(voir Heinich, 2016).
Élaborer son dispositif d’improvisation…
traditionnels auvergnats utilisaient des clés
ou des lames de couteau au contact de leur
violon pour imiter le son d’autres instruments,
comme la cornemuse ; et plus largement,
un très grand nombre de musiciens de par
le monde fabriquent tout simplement euxmêmes leurs instruments. En un sens, les
improvisateurs que j’ai rencontrés s’inscrivent
donc dans un rapport à l’instrument qui
n’a rien d’extraordinaire – si ce n’est que,
précisément, l’appropriation matérielle est
ici envisagée comme un moyen essentiel de
singularisation au sein d’une communauté
de pratiques 6 .
Mais il ne faudrait pas non plus se
méprendre sur le rôle exact joué par les
objets – et plus généralement les altérations matérielles – dans la pratique de ces
improvisateurs. À bien des égards, toutes
ces prises matérielles – adjonction d’objets,
altérations, détournements – qu’exercent
les improvisateurs sur leurs instruments
peuvent être considérées comme les étapes
d’un processus d’involution instrumentale
visant à mettre l’improvisateur en contact
direct avec la matière sonore elle-même,
par-delà la sophistication des médiations
techniques qui caractérise bien souvent
les instruments de la musique occidentale.
Pour reprendre la critique générale que Tim
Ingold (2013) adresse aux approches anthropologiques de la culture matérielle, l’analyse
des objets manufacturés qui nous entourent
et avec lesquels nous interagissons ne doit pas
faire oublier l’importance que revêtent les
Article
l’auditeur quand il entend « chanter » les
deux barquettes en polystyrène de Pascal
Battus à une quinte juste d’intervalle, ou
quand Frédéric Blondy convoque son « jardin japonais » en mettant progressivement
en vibration une multitudes de préparations
disposées dans tout le piano.
Qu’il s’agisse de bricolages visant à
optimiser les moyens de la production du
son, de détournements visant à démultiplier
les usages possibles pour un même objet
ou de l’exploitation du potentiel d’imprévisibilité d’objets récupérés, les pratiques
caractéristiques du hacking jouent donc un
rôle fondamental dans l’élaboration d’un
dispositif qui soit à même de satisfaire ce
qu’attendent les musiciens d’un instrument
dédié à l’improvisation.
77
Clément Canonne
78
matériaux dont tous ces objets sont faits, et
le rôle qu’ils jouent dans la manière que nous
avons de nous représenter notre rapport aux
objets. De même, la matérialité manifeste
de tous ces instruments ne doit pas occulter
le fait que cette prolifération matérielle est
souvent pensée par les improvisateurs non
comme une fin en soi – qui ramènerait le
travail de l’improvisateur à une pratique
de la sonification ou à une « musique d’objets » – mais comme un moyen d’accès au
flux vivant de la matière sonore. À mille lieux
d’une pratique hylémorphique de l’improvisation – qui verrait le musicien sculpter,
par la seule force de sa volonté musicale, une
matière sonore inerte – tous ces instruments
donnent au contraire à voir une pratique de
l’improvisation que l’on pourrait qualifier de
« longitudinale » – dans laquelle les musiciens
s’efforcent de faire avec un flux de matière
sonore qui a sa vie propre, d’interagir avec
une matière qui possède sa résistance, son
grain et sa directionnalité – et dont les ballons de Thierry Madiot fournissent peut-être
l’illustration la plus parlante :
« Moi, je ne fais que souffler, après c’est le ballon
qui fait. Donc il faut être à l’écoute du matériau, de ce qu’il
propose… il faut accepter ces transitoires, ces minutes
bordéliques pour obtenir quelque chose qui se passe, et
qui soit particulier. Donc tu as une zone de travail, une zone
de sons, d’énergies à mettre en route, et après tu dois faire
avec. » (entretien avec Thierry Madiot du 12 octobre 2017)
Tous ces improvisateurs s’inscrivent
donc par-là très clairement dans la démarche
d’émancipation qui caractérise centralement
le mouvement des hackers : mais plus qu’à une
libération de l’information contenue dans
les objets techniques, c’est bel et bien à une
libération de la matière même des instruments
qu’ils nous invitent.
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Article
Bibliographie
79
on hysteresis as a metaphorical practice of hacking, i.e.
disrupting social conventions, processes, and practices,
ultimately changing the field of the chipscene.
Knowledge of
limitations: hacking
practices and
creativity ideologies
in chipmusic
Keywords: Chipmusic / creativity / digital culture /
electronic music / ethnography
Résumé : L’objet de cet article est la chipmusic et sa scène.
Nous y examinons l’influence du pratiques de hacking
sur ses conventions sociales et ses pratiques culturelles.
L’article porte plus précisément sur les contraintes du genre,
et sur deux types connaissances que les praticiens en
tirent : les connaissances pratiques et les connaissances
propositionnelles. La chipmusic est un sous-genre de la
musique électronique, à l’esthétique 8-bits typique, qui tire
ses principes d’une subculture informatique amateure l’ayant
By Marilou Polymeropoulou (School
of Anthropology and Museum
Ethnography, University of Oxford)
1
abordons l’éthique et les objectifs des hackers, ainsi que
la manière dont ceux-ci ont été mis en œuvre au sein de
la scène démo et transmis à la scène chipmusic. À l’aide
Abstract: This paper centres on chipmusic and the chipscene,
de la théorie bourdieusienne de l’habitus, de la doxa et
exploring the ways in which hacking practices and processes
de l’hystérésis, nous analysons les résultats d’enquêtes
inform social conventions and cultural practices. The central
de terrain centrées sur la fertilité créative des contraintes.
axis of this paper evolves around limitations and the kind
Nous commençons par étudier le détournement de logiciels
of knowledge that their exploration offers to the interested
et les techniques de composition permettant de travailler
learner. Two kinds of knowledge are explored here: practical
avec les contraintes technologiques des puces sonores
and propositional. In the paper, chipmusic is presented as
sur les plateformes de chipmusic. Nous analysons ensuite
an electronic music subgenre characteristic of 8-bit sound
l’impact du piratage de hardware sur la chipmusic. Nous
aesthetics, sharing common ideologies with its predeces-
nous intéressons enfin à l’hystérésis en tant que pratique
sor, the demoscene, a hobbyist computer subculture that
métaphorique du hacking, le bouleversement des conven-
emerged in the 1980s. I explore hacker ethos and aims, as
tions, des processus et des pratiques de la scène chipmusic,
well as the ways in which these were demonstrated in the
qui transforme son champ.
demoscene, and how they were transmitted as values in
the chipscene. The paper applies an analytical framework
Mots-clés : Chipmusic / créativité / culture numérique
influenced by Bourdieu’s theories of habitus, doxa, and
/ musiques électroniques / ethnographie
hysteresis. Through this analytical perspective, I analyse
the ethnographic findings from fieldwork in the chipscene
that explore the creative dimensions of limitations. First, I
discuss software hacks and composing techniques that were
Article
16
précédée – la scène démo née dans les années 1980. Nous
Knowledge of limitations: hacking practices and creativity ideologies in chipmusic
Article
impact of hardware hacking on chipmusic. Finally, I focus
adopted to manipulate technological constraints of sound
chips in chipmusic-making platforms. Second, I explore the
81
Marilou Polymeropoulou
82
In October 2012 while conducting fieldwork in Manchester, a local chipmusician,
Sk8bit, was introduced to me. Meeting my
ethnographic role as an unfamiliar stranger I
explained to him that I was interested to learn
more about chipmusic as my knowledge was
rather limited. His response was immediate:
“you know it’s all about limitations, don’t you?”
assuming I have some pre-existing knowledge
on the social conventions in chipmusic-making that places limitations at the center of its
creative process of making. Sk8bit re-iterated
ideas that were previously communicated to me
by other chipmusicians across the globe, as for
example, the idea of having total control over
machines and the role of technological limitations in facilitating this. He analysed aspects
of practical knowledge in the chipscene, the
“know-hows”, explaining, for instance, how
chipmusic composition is usually done on
very few audio channels and this limitation
urges one to be more “creative”, using tweaks
and hacks to work around technological constraints that help develop new compositional
methods by making the most of the available
resources. This was a familiar narrative in the
chipscene, but there were certain conflicts and
discrepancies that I encountered throughout
the years, as, for example, the emergence of
fakebit as a genre that characterises chiptunes
made on contemporary computers rather than
the original means of production of chipmusic. While in the field, my research interest
was quickly fixed on the idea of developing
knowledge through hacking limitations, as
well as the ways in which social conventions
and cultural practices influence and imbue
ideologies on creativity.
Previous work on hacking in social
sciences and humanities argues that to hack
is to differ and to create opportunities of
new things appearing in any production of
knowledge where information can be collected
(Wark, 2004: 3-4). One of the primary aims of
hacking is to change the technological determinism that characterises pre-programmed
machinery, enabling it to act in specific ways
(Jordan, 2008). In addition, a hack is seen as
unraveling ethical dimensions that extend to a
product’s free distribution as a political stance
against the capitalist status quo. The process
of hacking relies on empirical engagement
(Jordan, 2008)—it is a hands-on, trial and error
process. A hack is even reified and attributed
mystical properties, particularly in the case
where the hacker has limited prior technical
knowledge about the platform they are altering. Furthermore, the hacker work ethic is
valued on the premise of creativity and how
imaginatively one can use their own abilities
by making surprising, unexpected contributions in the making process (Himanen, 2001).
Although the act of hacking is a political,
revolutionary act against the predetermined
roles and functions of technology, its process
is rather meticulous and allows exploration but
within limits—there are safeguards in place
for the safety of the makers. For example,
Nicolas Collins’ book Handmade Electronic
Music: The Art of Hardware Hacking (2006)
offers an extensive list of hacking rules that
any prospective maker should follow to ensure
a successful and safe outcome. In all, hacking
and hacker practices generally aim at creating
something new by exploiting a pre-existing
technological entity and manipulating its
limitations. Within this process, new knowledge is developed—knowledge that is to some
extent unrevealed to the everyday users of
these technologies, laying hidden underneath
the capacities of the software and hardware
of the technological devices. This knowledge
Knowledge of limitations: hacking practices and creativity ideologies in chipmusic
1
the concept of play is central (McAlpine, 2017).
In this way, hacking offers new learning tools
in music-making and this process of developing, discovering, and sharing knowledge
creates communities of experts that underpin
a do-it-together ideology, as Richards finds.
Chipmusic falls at the crossroad of
computer culture and electronic music, and
hacker practices are central both in its creative
ideologies and music-making practices. In
this paper, I employ the aforementioned theoretical framework to explore hacking practices in chipmusic with the scope to construe
propositional and practical knowledge that is
produced by chipmusicians and shared across
the chipscene network. This is the overt aim
here; there is, however, a hidden aim, that is
secondary but fundamental in understanding
the impact of this shared chipmusic-related
knowledge that is linked to hacker culture:
to analyse the social dimension of chipmusic
practices and the ways in which they inform
creative and aesthetic ideologies. This is
done by implementing Bourdieu’s analytical
perspective (Bourdieu, 1977; 1992) that is
emphasised by the exploration of the field
of chipmusic, its doxa—a term that Bourdieu
distinguishes from simple opinion, underlying
that it encompasses the social conventions
and cultural practices in a field—as well as the
hysteresis effect that disrupts doxa and causes
a field to change. On a level, the fundamental
question in this paper is epistemological:
how does hacking assist in the production of
knowledge in chipmusic and what does that
knowledge consist of? 1
Article
16
is more about unraveling the unseen potential of a platform, and ultimately, sharing
this knowledge with other creators, as I will
demonstrate later in this paper.
In the field of electronic music, thinking
of music hacking as a legitimised creative
process is relatively common, both in musical
practices and scholarly literature. Hacking has
been studied both as a method of experimentation and sound exploration and a culture
bearing its own norms and values. Kelly (2009)
argues that the process of hacking media
forces them to expand beyond their original
functions and their point of rupture. This
creative practice gives rise to new sounds to
work with as well as new ways to perform by
forcing media into failure and by manipulating
any mediating technologies (Kelly, 2009: 6). In
addition to its creative aspect, there is a societal dimension to hacking, in which its social
organisation unravels. As previously argued,
hacking is a political stance and it has been
analysed as such, as for example in McKenzie
Wark’s A Hacker Manifesto (2004) in which
in which its culture is interpreted within a
Marxist perspective, the author considering
that its class ethos goes against the ruling
class’s norms and values as well as market
expectations. Further to this, Richards (2013)
discusses the idea of community-building
through hacking in electronic music and the
ways in which shared experiences enrich the
development of collective knowledge. Anyone
from any educational, social, and cultural
background can become a hacker, and there
is a learning curve to it facilitated through
trial and error. This suggests that hacking is
closely connected to improvisation practices,
which in music, can be seen as a lab of learning
(Canonne, 2012: 7). Hacking offers an educational, improvisational experience, in which
1 Due to the scope and limitations of this paper, I will
not indulge in a philosophical analysis of epistemic
knowledge.
83
Marilou Polymeropoulou
84
Hardware
limitations and
software-hacking
solutions in the
creative process of
the demoscene
Chipmusic is a kind of electronic music
characteristic of 8-bit computer sound aesthetics that has its roots in the demoscene, a
computer hobbyist subculture that emerged
during the 1980s. A key feature of the
demoscene was the sharing of knowledge
via various communication channels: locally-based groups, internet-mediated Bulletin
Board Systems (BBS, the predecessors of
online communities), and international
gatherings called demoparties. In the 1980s
early home computers, also called microcomputers, such as the Atari ST, Amiga,
and Commodore 64 became an affordable
commodity that offered users the opportunity to spend leisure time and develop new
skills by playing videogames and learning
how to create programs respectively. The
computer revolution that followed was an
emergent market for computer programs
and videogames. In this time, the hacker
ethic was formed and communicated in
ways that influenced the ideologies in the
demoscene. Certain hacker groups cracked
commercial releases and removed the
limitations of copy protection from computer
software and videogames, and distributed
them freely after tagging it, by means of
adding a short introductory audiovisual
sequence at the crack or the program itself,
where the hacker team name and date of
cracking were made known, thus giving the
hacker group street credibility (Tasajärvi,
2004: 12). The message was clear: “we did
this first, you couldn’t do it, so we’re cool”.
By the mid-1980s these sequences which
were short introductions, were released
as separate productions. They were called
demos and were short audiovisual clips in
the form of executable programs aiming at
demonstrating the skills of the coder and
the creative use of the computer (Reunanen,
2010: 46-47). In line with Himanen’s and
Jordan’s arguments, these creative products that emerged from the manipulation
of legal software limitations reflected the
free and open source hacker work ethic in
which creativity is valued on the basis of
how imaginatively one’s own abilities were
used towards an impressive contribution.
Early music-making in microcomputers was done by means of coding audio
sequences—based on the perceived and hidden
affordances of the computer’s sound chip—
that could not be played-back until they were
compiled in a programme (Polymeropoulou,
2015). 2 As gwEm put it:
“In the early 1980s all the original chiptuners (Rob
Hubbard, etc.) wrote their music directly as a program without
a tracker or any music software at all. You would need to
write the music without listening to it a lot of the time. You
would write some music, and then to hear what you did you
2 For example, as Newman (2017) finds, the ability
of the SID chip in the Commodore 64 to replay
samples was a hidden affordance that was not an
intended feature, rather, it was possible through the
exploitation of a bug of the SID chip.
process easier, but the first ones were still very limited and
barely better than hand coding. At least you could listen
to the music without compiling the code first (!)” (gwEm,
personal communication, 2012)
16
1
Traditionally, music had to be coded
in Assembly language; for example the
Sound Interface Device (SID) chip of the
Commodore 64 (C64) could be manipulated
through 29 8-bit registers (Newman, 2017).
Videogame music composers of the time
were proficient in coding music. Towards
the end of the 1980s, software that allowed
to manipulate the sound chips in real time
emerged. The first tracker, as this software came to be called, was Soundtracker
(1987) created by Karsten Obarski for the
Commodore Amiga. Trackers were used
both for composition and playback of music.
This meant that anyone with access to a
tracker and the tracker file of a chiptune
could hack into the code, edit the tune, and
create new samples by re-appropriating
another’s code—this was mainly done on
the Amiga since the MOD file format was
more standardised (Carlsson, 2008). This
technique was used in the demoscene to
create one’s sound palette, using, manipulating, and appropriating sound samples
from other videogame composers or recording artists. Following this, a demo could
be shared in the digital and/or physical
demoscene network. In this way, sampling
and free distribution of creative works were
prominent practices that embedded hacker
ethic: re-using previous material, supporting open source software distribution, and
passing on free, accessible, and modifiable
knowledge.
Knowledge of limitations: hacking practices and creativity ideologies in chipmusic
written by these musicians to help making the composing
The initial aim of demosceners was
to find new, impressive ways of rendering
graphics, while working around technological constraints such as file size—which was
often limited to 4kb—and microcomputer
affordances. Demoscene was meritocratic
(Carlsson, 2009) and creators were rewarded
based on the quality of their work.Their
social capital in the demoscene was not
influenced by their socio-economic background, it was solely based on their work
profile, through which credibility was gained.
Meritocracy in the demoscene gave rise
to structural inequalities. Hardworking
demosceners who produced quality work
were labelled as “elite” (also written L33T),
whereas demosceners who copied others’
work were called “lamers”. This class division
signified when cultural capital was at stake.
Elite and lamers’ actions were distinguishably
characteristic of the doxa of the demoscene
field, that is, the unwritten rules of the game
and the underlying practices in the field that
go without saying. For example, an elite
demoscener created their own samples, coded
demos that were characteristic of algorithmic elegance as Menotti Gonring (2009) has
suggested—this elegance was underpinned
by the efficacy of the subjacent code of the
demo. In contrast, a lamer would borrow
other demosceners’ samples and often plagiarise them—the urge for avoiding this was
voiced especially in the Amiga scene where
creators would tag their MOD files with the
phrase “Don’t steal my samples” (Carlsson,
2008) and this showed how ownership values had penetrated the demoscene both to
protect the social status of the individual and
the “legal” owner, despite the paradox that
even original samples could be deconstructed
samples of another’s work.
Article
would need to compile your program. […] Later trackers were
85
Marilou Polymeropoulou
Demosceners that focused on developing the sound aspects of demos, that were
already called chiptunes, were the instigators of the chipscene. In a sense, chipmusic
was an outcome of a hysteresis effect of the
demoscene field. Demosceners that focused
solely on music-making changed the field
towards a new direction that later became
a sub-field within the dominant field of the
demoscene: the chipscene. Chipscene doxa,
however, was founded upon the norms and
values of the demoscene as the demosceners’ habitus did not change overnight. This
resulted in the formation of the creative
ideology that encompassed chipmusic-making. Propositional knowledge embedding
hacker ethic and practices was transferred
into the chipmusic-making creative process,
and even expanded towards the evolution of
hardware hacking.
Composing hacks
and techniques:
manipulating
technological
constrains in
chipmusic
86
In the history of 20th century music,
control was a key concept. Some composers
wanted to break the musical conventions
and rules that had been going on for centuries. Edgar Varèse famously said “I dream
of instruments obedient to my thought and
which with their contribution of a whole
new world of unsuspected sounds, will lend
themselves to the exigencies of my inner
rhythm.” This world of unsuspected sounds
is somewhat explored by chipmusicians and
their exigencies of inner rhythm and timbre.
Early chipmusicians employed the same
technological devices as the demosceners,
which meant that they were already aware
of sound chip affordances. They had already
inherited knowledge from the demoscene
on how to manipulate the limitations of
the sound chips. With the emergence of the
demoscene and the developments in Internet
mediated communication, sharing knowledge
through online chipmusic communities such
as Micromusic.net and 8bitcollective.org was
easier and quicker. Online communities enabled users to learn about chipmusic-making
platforms and sound chip limitations, and
also functioned as chipmusic places, allowing
chipmusicians around the world to upload
chiptunes, listen to others’ compositions,
communicate with others instantly or in a
discussion forum. Online communities were
the places on which chipmusic culture sat; in
this way, these online places became the digital hubs of chipmusic activity. Chipmusicians
applied previous knowledge to their creative
practices and expanded hacker practices
to new platforms that were adopted in the
chipscene such as the Nintendo NES and
Game Boy. The aforementioned platforms
were rather different to microcomputers
in the sense that they were solely used for
playing videogames. Composing music for
these platforms can be done internally or
externally to the actual hardware. First,
direct composition on the platform can be
realised by using specialised tracker software cartridges such as Nanoloop and Little
Sound DJ that were developed by Oliver
1
Soundchip/kind
Channels
DAC resolution
Atari VCS/2600, videogame
console
8-bit
TIA (video and
audio), PSG
2
1-bit
Atari 400/800, home computer
8-bit
Pokey, PSG
4
8-bit (combined 16-bit)
Atari ST, home computer
16-bit
YM2149, PSG
3
8-bit (combined 16-bit)
Commodore Amiga
1000/500, home computer
16-bit
Paula, PCM
4
8-bit
Commodore 64,
home computer
8-bit
SID, PSG
3
8-bit
Nintendo NES/Famicom,
videogame console
8-bit
RP2A03, CPU
integrated
5
4-bit
Nintendo Gameboy,
videogame console
8-bit
PAPU, CPU integrated 4
4-bit
Table 1: The main chipmusic platforms and their sound chips.
Wittchow and Johan Kotlinski respectively,
two developers and musicians who hacked the
Game Boy, manipulating its CPU-integrated
PAPU chip, and turning the platform into a
portable synth. Second, composition can be
done indirectly, by using trackers such as the
Famitracker on computers and then playing
the completed chiptunes on the original hardware. In all cases, the sound chip is central
in the making process, and all methods aim
at manipulating its affordances.
There are four kinds of technological
constraints that chipmusicians attempt to
expand, as Dittbrenner has found. These
are divided in constraints internal to the
sound chip, such as polyphony and timbre,
and external to it, like processor speed rate
and frame rate.
Table 1 summarises the characteristics
of microcomputers’ sound chips used in
chipmusic-making. I distinguish between
computer architecture (CPU) and audio resolution (bit depth of a digital signal)—when
discussing “8-bit” in chipmusic, this could
refer to either categories. For example, the
Atari 400/800 series and its sound chip,
Pokey, are based on 8-bit computer architecture and sound resolution. However,
Knowledge of limitations: hacking practices and creativity ideologies in chipmusic
16
CPU
resolution
Article
Platform/type
87
Marilou Polymeropoulou
88
the channels in Pokey can be combined for
up to 16-bits of frequency resolution. This
means that the Pokey has a wide frequency
range (Tomczak, 2011: 93). More bit resolution does not suggest that music is of
greater quality for chipmusicians—whereas
audiophiles would argue that the quality of
sound is proportional to sound resolution.
Sound quality in chipmusic has a different
notion: the sound chip’s performance is reified
and in some cases, it is attributed mystical
aspects. For example, with the SID chip,
every performance of the same song can
sound differently due to the technological
peculiarity of the chip (Kummen, 2018: 14).
Although there have been different versions
of the SID chip, most chipmusicians prefer
the original 6581 chip due to the quirkiness of the hardware: to control the cut-off
frequency, field-effect transistors (FET)
were used as voltage-controlled resistors.
However, the FETs varied in resistance,
resulting in the variable behaviour of the
filter cut-off (McAlpine, 2019: 80). This is
one aspect of the SID that makes it special
for chipmusicians. This argument regarding
sound quality became more prominent following a hysteresis effect in the chipscene:
the emergence of computer-based sound chip
simulation software that allowed chiptune
composition on any home computer, thus
bypassing the manipulation of technological
limitations as the sound chip was not present
in music composition nor playback.
Different sound chip technologies
therefore affect sound properties such as timbre and this can develop social implications
in the chipscene. As noted on table 1, there
are two types of sound chips: Programmable
Sound Generators (PSG) and Pulse-Code
Modulation (PCM). PSG produce sound
waves (square, triangle, sine) and noise,
whereas sound chips based on PCM reproduce digital samples. In the case of the
Nintendo videogame platforms the sound
chip is integrated in the Central Processing
Unit. All these different technical specifications result in variations of timbre. The
Amiga sound chip Paula, for example, does
not have any on-board oscillators. All sounds
are digitally produced in four channels with
the aid of the CPU with 8-bit resolution. The
use of samples in Paula distinguish its sound
but its aesthetics are closer to synthesizers.
In the demoscene, sampling was originally
a norm in the Amiga scene,Ò as previously
explained. Following cases of lamers who
stole samples, the sampling technique was
devalued. As chipmusic ideology transformed, purist evaluative notions affected
chipmusic-making ideologies. For example,
for purist chipmusicians, PCM is inferior
to PSG as only in the latter one can sounds
be created from scratch. While in the field,
I found certain Amiga-based composers
rejected the “chipmusician” label as their
composing practices deviated from the purist
perspective that imbued chipmusic doxa. As
Tempest explained:
T: I’m not really familiar with the sound synthesis
formats on Amiga (so-called real chiptunes)—I’m mostly
fakebit, remember?
MP: Where do your samples come from?
T: I’ve used a lot of drum samples that originate
from the Commodore 64. So they are sampled versions
of chip-generated sounds. I think it’s just a big grey area.
(Synchronous discussion online with Tempest, 2013)
Tempest utilised samples when composing chiptunes on Amiga and sampling
often was not considered a legitimate practice
3 See, for example, the comments on the release of
Fanta in Space: https://csdb.dk/release/?id=72563,
accessed 14 July 2019.
Knowledge of limitations: hacking practices and creativity ideologies in chipmusic
1
a single SID channel: he created an arpeggiated chord, cycling around two more more
notes at 50Hz, setting them on fast tempo
to create a chordal effect. The arpeggiated
chord has become a central compositional
technique in chipmusic (McAlpine, 2019:
100) and can be found in various chiptunes,
see for example, Chipzel’s Breathless (main
melodic pattern), AlexOgre’s Midnight Magic
(intro), and Omodaka’s Plum song (syncopated
chords played throughout). As Carlsson
explains, arpeggiated chords provide rich
harmonic structure in chiptunes, which can
be achieved by employing one channel only,
allowing other channels to be occupied by
bass lines, percussion, and main melodies
(Carlsson, 2010: 18). Hence, arpeggiated
chords became a norm in chipmusic-making, primarily as they overcome imposed
technological constraints. This is a soft hack
that has significant influence on the musical
style of chipmusic.
Another compositional technique was
developed by Hubbard, who coded drumlike sounds within the three chordal composition channels of the Commodore 64,
thus creating the sensation that a fourth,
implied percussion channel was present
(see, for example, his music for the game
Monty on the run). There have been further
attempts to exploit the affordances of the
sound chips. The Human Coding Machine
and SounDemoN (Fanta team) pushed the
SID chip beyond its limitations as demonstrated in X’2008 demoparty, achieving six
channels on the C64: four channels of 8-bit
samples (digital playback), two channels
of SID synth sound, allowing the user to
filter both SID channels and samples (see
the relevant demo Fanta in space). The challenges posed by technology were unavoidably
Article
16
as it hindered creativity, implying that re-using and adapting others’ samples could lead
to plagiarism. This evaluative perspective
has its roots in the demoscene. Sampling,
according to purists, did not allow the creator
to compose everything from scratch; instead,
the creator relied on re-using ready-made
material. Fanta, a demogroup, although they
pushed the C64 to the extent they doubled
the available channels for music composition, were criticised by certain demosceners
as two channels were for samples—some
comments can still be retrieved on the C64
scene database. 3 In the chipscene, similarly,
sampling is not considered as an appropriate composing technique by some purists.
Therefore, technological constraints can
influence evaluative ideas that set chipmusic doxa, and in effect, the boundaries of
chipmusic as a musical genre.
The techniques of manipulation of the
number of channels available for composition were largely influenced by videogame
composers’ techniques. As table 1 shows,
the number of channels in platforms varies
from two to five. Early videogame music
composers, such as Martin Galway and
Rob Hubbard, were the first to explore the
affordances of the sound chips, and their
software hacks were adopted and often
adapted by other music composers as composing techniques in the demoscene and the
chipscene. Galway, who was inspired by
Jean-Michel Jarre’s arpeggiators that utilised
a series of notes played as chords, transferred
this musical trope in the Commodore 64 on
89
Marilou Polymeropoulou
90
central in the early days of chipmusic-making
out of necessity. As the demoscene and the
chipscene developed, exploiting technological limitations became a reified process
through which composers developed new
knowledge by employing hacking skills and
ideology. Thus, new compositional quirks
and techniques became legitimised innovative
ways to expand creativity. This technique
was incorporated in the chipscene doxa as
it does not oppose the ideological values of
creativity. When using samples, as long as
the original hardware console is utilised, this
is acceptable by purist chipmusicians, which
is not necessarily the case in the demoscene.
Knowledge of compositional techniques have also been implemented in chipmusic to enable the manipulation of technological constraints. There are different
techniques to tweak the sound chip to its
fullest potential and to enrich the musical
dimensions of a chiptune, for example, using
pitchbend, portamento (see, for example,
Chipzel’s Something beautiful which is characteristic of these techniques), vibrato (for
example, Ultrasyd’s Chipdancers) and volume envelopes, which are used to imitate
dynamics. This knowledge is shared with the
chipscene, as hacker ethic would demand.
There are various detailed educational guides
on how to make chiptunes on the internet
via online communities, and although this
knowledge is open, it is expected that prospective chipmusicians will experiment with
these techniques to achieve their desired
outcome. These techniques have become
stylistic tropes in chipmusic, creating a rich
compositional palette that is imbued by the
hacker ethic.
One of the most commonly-used
techniques in chiptune-making is looping.
Initially, looping was used by videogame
composers as a practical means to work
around technological constraints. Looping
involves the repetition of blocks of music.
This creates various layers of rhythmic and
musical patterns that are juxtaposed in a
chiptune. Tempest finds that looping can
sometimes challenge the flow of a chiptune:
MP: Are there any musical flaws related to melody-making?
T: Yeah, and many times to the structure of the tune.
Because music made on trackers tends to be “blocky”. You
polish and polish a 4 bar section. Then another one. And
another. Then you try to connect these blocks. Continuity
perhaps?
MP: So in first place there’s a more vertical thinking,
and then, horizontal.
T: Yes! Good way to put it.
(synchronous online communication, 2013)
One of the fundamental characteristics
of tracked music is that it is a vertical composition. Tempest referred to the composing
process as a series of connections between
“blocks” of music, which is a common concept in DJ culture discours when describing sampling techniques and the building
of new musical formations. Image 1 depicts
in BZE tracker one of Tempest’s chiptunes,
Acidjazzed Evening. This is a four-channel
chiptune (modfile tracks 0-3). Every note
is written in hexadecimals and represents a
sound frequency translated to pitch. The line
that cuts across the channels in the middle
shows which lines are played at the same
time–it follows tracked music in a similar
manner that the playhead does in Digital
Audio Workstations (DAWs). However, in
DAWs the playhead demonstrates playback in
a linear, horizontal way, whereas in trackers it
Figure 1: Screenshot of BZE tracker playing Tempest’s “Acidjazzed Evening” (2000).
is exhibited vertically. The vertical layout of
trackers often has an effect on how chipmusicians compose chiptunes. For example, one
will notice that chiptunes sound “blocky”, as
Tempest described, i.e. successions of 4-bar
musical structures that the in-between connections are significant to support the flow of the
melody. This compositional technique bears
some similarities to a fugue: often chipmusic
composition is contrapuntal, introducing
an imitation at the beginning, which is not
necessarily transposed to different pitches,
advancing to a development, and finishing
with the initial imitation. AcidJazzed evening
is an alternation of three main music blocks;
three thematic patterns. Block A is the primary melody and dominates the composition.
The sequence is A/B/A/B/C/A/A-B/A.
Block A uses the same rhythmic and harmonic
structure with certain melodic variations.
Block B functions as an ascending bridge,
and C as an outro. Towards the end of the
Marilou Polymeropoulou
92
chiptune, a mashed A/B section appears,
utilising harmonic structures, rhythm, and
melodies from both sections. This is also
found in the finale, which introduces a new
harmonic structure as a variation of the main
two blocks. Although music blocks are apparent in this chiptune, Tempest’s melody flows
throughout the composition.
The use of these manipulative techniques has an effect on chipmusic sound as
well as the aesthetics of chipmusic. From a
theoretical perspective, chorded arpeggios,
music blocks, and looping as stylistic characteristics resonate with Tagg’s concept of
“musemes” that he dubbed as “minimal units
of expressions” in popular music (1982: 45) as
well as Middleton’s “musematic” repetition
(1990: 269-270). Musematic repetition is the
repetition of small sound units that in popular music are usually in the form of riffs. For
Middleton, the purpose of riffs is to balance
“the temporal flow, challenge any ‘narrative’
functionality attaching to chord patterns and
verse sequences, and ‘open up’ the syntactic
field for rhythmic elements…to dominate”
(1983: 253). By examining blocks and arpeggios as musemes and looping as musematic
repetition, one can unravel the sound palette
of chipmusic. This can be seen in Acidjazzed
evening—the main melody, which is the primary riff, balances well against the structural,
“blocky” movement, creating melodic flow.
Further to this point, chipmusic timbre is often characterised as “raw” by chipmusicians. In chipmusic discourse, rawness functions as an opposition to polished
sounds that characterise commercial popular
music productions—the quality of sound that
audiophiles would argue for. Rawness is an
intrinsic value of chipmusic sound, another
reified attribute of its sound. Rawness offers
flexibility, options, freedom—all of which are
in line with the hacker ethic and ideology.
Rawness allows hackability as it is a work in
progress. From a post-structural point of view,
to quote Levi-Strauss’s argument on the raw
and the cooked, chipmusicians are “cooks”
in a metaphorical sense, ensuring that raw
sounds are well-prepared before their release.
The “cooking” involves the manipulation
of technological constraints, the process of
software and hardware hacking. If anything,
rawness characterises chiptune timbre and by
association evokes positive emotions to chiptune enthusiasts. This suggests that rawness
of sound is appealing in the chipscene; one
characteristic that attracts the audience and
also that enables the listener to recognise that
a certain composition is a chiptune.
Beyond soft hacking there is also hardware hacking in the chipscene. Hardware
hacking aims at expanding the abilities of
the platforms and enhancing their performativity. Hardware hacking in the chipscene
can be realised by means of modding and
circuit-bending. Circuit-bending is a form of
hardware hacking and repurposing of electronics, turning them into musical instruments. It
is primarily performed on the circuit board of
a platform by short-circuiting and/or adding
electronic parts, and hence, physical contact
is central in its practice. The circuit-bending
scene and the chipscene to some extent shared
an audience for the first part of the 2000s,
particularly in the New York area, where two
large festivals were organised: Bent Festival
and Blip Festival. These meetings provided
the time and place for creators and makers to
collaborate, learn, and expand their creative
outlooks. Modding—not to be confused with
the Amiga mod scene—refers to the practice of
modifying a console by altering components
Figure 2: A modded Game Boy (backlit screen, tempo potentiometer and on/off switch).
on its circuit board. For example, figure 2
depicts a modded Game Boy that has a backlit screen, digital output, a potentiometer to
alter time signature as well as an on/off switch
for this feature. The added potentiometer
and the on/off switch allow the user to alter
tempo manually when using LSDJ. This added
function can also be executed on LSDJ, but
the physical potentiometer is more accessible when performing live. In addition to
this mod, a back-lit screen has been added
to the Game Boy. This is particularly useful
when performing in the dark, for example, in
clubs, bars and streets at night. These mods
aim at rendering the Game Boy in a portable musical instrument to be used on stage.
Modding assumes some knowledge of how
the electronic circuit-board works, and it is
less exploratory than circuit-bending, which
relies more on chance and trial-and-error.
Hardware hacking also extends beyond
modding. One example is the gAtari, created
by cTrix. For this, he used an Atari 2600,
which is one of the most limiting platforms as it
is only capable of 31 pitches and two channels,
running Paul Slocum’s Synthcart (sequencer
software), attached to Boss effect pedals and
a fretboard to be played as a guitar. Another
example is Jeri Ellsworth’s C64 bass keytar,
which she presented at Maker Faire. The
guitar body is a C64 and a bass neck has been
attached to it. Jeri added piezo sensors to act
Knowledge of limitations: hacking practices and creativity ideologies in chipmusic
1
Article
16
93
Marilou Polymeropoulou
as pickups amplified via a Field Programmable
Gate Array (FPGA) which connected to
the SID chip. This musical instrument can
be used both as a keytar, pressing the C64’s
keys, altering between four waveforms, and
a bass guitar, plucking the strings whose
sound is filtered through the SID chip. In all,
compositional hacks and techniques aim at
bypassing technological limitations but most
importantly, at offering new and creative ways
for the production of musical knowledge in
chipmusic, exploiting therenre’s limitations
of the genre. As a result, these techniques
influence the sound aesthetics in chipmusic,
thus informing its doxa.
Hysteresis, doxa,
and the ideological
framework of
hacking in the
chipscene
94
Considering that the chipscene emerged
in the late 1980s/early 1990s, in its thirty
years of existence, there have been different developments that influenced doxa and
chipmusic-related knowledge in the field.
There are various creative ideologies that
underpin the chipscene and these can be seen
as three distinguished generational classes:
purists, artists, and chipsters. It should be
noted that the three generational classes
are not defined by economic status, age, or
experience. These classes are the repositories of chipmusic-making ideologies that
are entirely subjective based on the internal
perspective of each generation. For example,
purists reckon they are the closest to the
ideal, sublime creation of chipmusic, and
that any lesser creations utilising samples or
simulated sound chips, are of lesser quality.
Artists see themselves as the instigators of
the mobile revolution and the popularisation
of chipmusic, thus expanding to popular
music audiences. Finally, the chipsters focus
on chipmusic aesthetics rather than reifying
hardware platforms. In this section, I aim at
analysing the ways in which hacking practices
are nuanced in the three generational classes,
influencing their respective ideologies on
creativity. It should be noted that generational
class ideologies are fluid with regards to the
participation of chipmusicians as one can
adhere to any ideology they wish and move
freely between the different classes. This
suggests that a chipmusician can begin as a
purist but transcend in the second generation
and vice versa.
Previously in this paper I analysed how
demosceners, videogame music composers,
and chipmusicians have inspired the chiptune
practices. The first generation of chipmusicians, the purists, is linked ideologically to
the demoscene (Carlsson, 2008; Nova, 2014;
Pasdzierny, 2012; Polymeropoulou, 2015; and
Tomczak, 2011). The shared hacker ethic
between first generation chipmusicians and
demosceners lies in the idea of free distribution of one’s creative work as well as the
practice of manipulation and exploitation
of technological limitations to expand creativity; further to this, it necessarily follows that the discovery is shared with the
scene. However, there were certain dissimilarities between both scenes. For example,
demosceners often participated in competitions with their work and originality was a
Knowledge of limitations: hacking practices and creativity ideologies in chipmusic
1
requires the manipulation of technological
limitations and the compositional techniques
that aim at working around these limitations.
On the other hand, the use of new technology
to compose chipmusic gives rise to a new aesthetic. However, the habitus and the position
in the field remains the same for purists, and
as a result, the new aesthetic is a mismatch
to the structure of the field.
The artists, the second generational
class of chipmusicians emerged after the 2000s
following the development of tracker software for the Game Boy and appeared as the
first hysteresis in the chipscene, changing
rapidly the field towards a different direction to the habitus of the first generational
class. Until then, chipmusic-making could
not be done on the move as microcomputers
were heavy to carry and needed power to
work. The use of the handheld Game Boy was
revolutionary in the chipscene as it enabled
mobility. Thus, chipmusicians could compose
music on-the-go with the battery-operated
highly portable Game Boy, and this also gave
them more expressive freedom in performances. Historically, the first two generations
associated with different technological eras
and, as a result, were familiar with different
platforms. This made the second generation
more attuned to the social conventions of
handheld gaming which was almost alien to
the first generation of chipmusicians, who
were already involved in the demoscene by the
mid-1980s. This historical comment serves to
explain the developed aesthetic and ideology
of the second generation of chipmusicians
that helped underpin the habitus in the chipscene, changing the structures of the artistic
field. The second generation’s habitus, then,
changed in response to new expansions in the
practices of chipmusic that worked around
Article
16
common value that suggested elite practices,
i.e. not borrowing others’ samples or asking
for basic coding advice (Reunanen and Silvast,
2009: 298). In contrast, in the chipscene sharing advice and learning by copying is a social
convention that informs chipmusic habitus
and does not have any ramifications regarding power dynamics in the field. However,
copying creative work without attributing the
original creator was not acceptable neither
in the demoscene nor the chipscene. Acts of
plagiarism were denounced and publicised in
online communities, as for example the Hall
of Shame in MOD archives, Micromusic.net
and 8bitcollective.org. The logic of practice
in the chipscene, therefore, excludes acts of
plagiarism, and any such attempts are publicly
criticised, and perpetrators are alienated.
Chipmusic creativity in the first generational class is entrenched in cultural understandings of authenticity that are deeply
rooted in demoscene doxa. Authenticity
here refers to the use of original hardware in
music-making that has an effect on the value
of the produced chiptune. The original hardware is of great significance for chipmusicians
as it reflects the value of the technology as
well as recognising the skills of its users. For
purists, a chiptune composed on a modern
computer lacks creativity as the absence of
technological limitations renders the compositional practice mundane. Composing on the
original hardware bears sacred meanings, to
resonate Durkheim’s concepts, with the platform becoming a totem, a symbol of the divine
process of music-making as well as one that
reflects the values of the society. Thus, for
the first generational class of chipmusicians,
creativity is weighted by hacking principles,
found at the core of the chipscene’s doxa.
In this sense, the process of music-making
95
Marilou Polymeropoulou
96
the limitation of physical stability, offering
greater mobility. This similarly changed
performances in the chipscene.
Further to this, creative practices such
as music production altered thescene’s social
conventions. In contrast to the demoscene,
chipmusicians do not participate in competitions. Instead, they upload their music
online. At the beginning of the chipscene,
all music was uploaded on online communities such as micromusic.net, 8bitcollective,
chipmusic.org, and collective. Chiptunes
could be downloaded for free and there
was space for exchange of comments on
the music. In this sense, there was an open
evaluation and discussion about the creative
output, similarly to the demoscene. As the
internet gradually became an everyday market and as a response to music plagiarism
in the chipscene (see previous section),
chipmusicians uploaded their chiptunes
on online shops like Bandcamp, where the
audience can download them for free or at
a price. Commodifying chipmusic brought
another hysteresis effect in the chipscene
as it clashes with the hacker ethic shared
by first and second generation of chipmusicians. This practice was seen by purists as
a sell out, moving away from the intended
chipmusic spirit of community and the free
distribution of creativity.
Further changes in the chipscene doxa
occurred with the emergence of the third
generational class of chipmusicians, the
chipsters. This change signified a technological change; a shift towards modern
technology that replaces the hardware but
not the sound properties of chiptune. With
the popularisation of chipmusic, computer
software that emulated the sound chips of
the original microcomputers and videogame
consoles was developed. Chipmusic became
a method of composition allowing composers to add the 8-bit aesthetic to their music.
Sound chip emulators allowed computer
users to compose chiptune without the
original devices. The absence of technological manipulation contrasted the concept of “algorithmic beauty” situated at
the core of the purist habitus. Therefore,
any chiptune created in un-limited ways,
is often devalued by the first generation of
chipmusicians. Chipmusicians that did not
conform to the initial doxa of the chipscene
were criticised; fakebit emerged as a new
purist term to describe music made on sound
chip emulators. This derogatory term aimed
at re-instating orthodoxy with regards to
what is original, authentic, true chipmusic
and what is not—a fake—and ensuring that
the chipmusic genre is adequately policed.
The third generation of chipmusicians,
however, embraced and re-appropriated the
term, continuing composing chipmusic in
sound chip emulators as well as other musical instruments, creating new aesthetics in
chiptunes.
Another practice that differentiated
the chipscene generations is performance.
Most social gatherings of the chipscene were
parties during which chipmusicians performed at a stage. Here, the logic of practice
suggested that the gear would be set up on
a table which would be placed centrally on
a stage. The table would be the only physical barrier between the performers and
the audience (see image 3). Certain times,
chipmusicians would carry their platforms
with them, and this was not challenging if
they used Game Boys. However, when carrying C64s, Ataris, and any other early home
computers, the weight was significant—as
Figure 3: Desert Planet performing at Einbaas 9 (April 2012).
well as the complications when travelling. 4
The performing style resembles a gig setting
where all eyes of the audience are on the
performer. As second generation of chipmusicians preferred portable technology, their
performances were more dynamic, having
freedom of movement and expression, often
4
A brief anecdotal story for the reader: In 2011,
I happened to travel from Valencia to London with
gwEm, who carried two Ataris. At the airport, when
scanning his luggages, he was stopped and was
asked to provide an explanation for the content of the
luggages. Our Spanish was as limited as the officers’
English, but we heard a word resembling “terrorist”
and from the non-linguistic context, we understood
that we were stopped due to the electronics gwEm
carried. Fortunately, the misunderstanding was
quickly resolved, and we were allowed to continue.
interacting with the audience. Such performances are more dramaturgical, exposing
the performative chipmusic persona on the
stage, which may be disguised, as Desert
Planet are in the picture above, or wear a
costume, as in the case of Omodaka, or even,
wear nothing at all, as happened in many of
Meneo’s performances.
Due to its arbitrariness and diversity, The chipscene sees many changes in
the structures of the artistic field. Some of
these changes are time-dependent as they
are synchronous to technological events
that occur at a specific historical time, as
in the case of the emergence of handheld
gaming consoles. These hysteresis effects
are disruptions to chipscene doxa, which is
Knowledge of limitations: hacking practices and creativity ideologies in chipmusic
1
Article
16
97
Marilou Polymeropoulou
constantly reformatted and updated. With
each hysteresis, it appears that a new bifurcation is created, spreading out chipmusic to
a vast network of “chip sound”. On the one
hand, observing the changes and the development of new knowledge is valuable to the
history of chipmusic as well as the development of electronic music, both in theory and
practice. On the other, the chipscene offers
insights into the rich discursive patterns of
a transnational and online society of music
practitioners; deciphering these meanings
helps shed light on digital culture formations,
maintenance, communication, and change.
In all, hacking is the enabler in the chipscene
and its practices, a method and ideology that
clearly marks territories of belonging.
Conclusions
The knowledge of limitations in chipmusic encompasses different dimensions
of how hacking practices affect creative
ideologies. More specifically, I emphasised
software hacking and tweaking of technological constraints, including hacks and
techniques to explore sound chip affordances;
hardware hacking through modding and
circuit-bending; and ideological hacking
in the form of hysteresis, to use Bourdieu’s
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gained includes practical knowledge, i.e. how
to compose chipmusic as well as propositional
knowledge, i.e. what is chipmusic. It has
been shown that both processes—creating
and defining—are socially constructed and
informed by the different social conventions and cultural practices adopted in the
different chipmusic generational classes. It
could be argued that the three generational
classes are too deterministic; however, in
practice, I have found that following the
emergence of each generation, there is social
mobility, and in the case of new individuals
in the chipscene, there is a choice in which
ideological category to belong. In addition,
the creative ideologies in these generations
may seem anachronistic to some individuals,
who reject entirely not only the values, but
also, membership in the chipscene. There
are, for example, composers who do not
identify as chipmusicians, but whose music
is characteristic of the chiptune sound, that
join electronic music assemblages and networks, shifting towards mainstream popular
music worlds. Chipmusic and the chipscene
offer a fruitful fieldsite of a digital culture to
be explored, with several opportunities for
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99
Keywords: Pirate radio / playlists / netart / hacking
L’art du piratage à
l’ère de la playlist
Par David Christoffel
Résumé : S’il y a des exemples historiques de radios
pirates dont la programmation musicale n’avait rien de
transgressive, il peut y avoir beaucoup d’exemples de
musiques aux accents subversifs promues sur des radios
officielles. Mais si radios pirates et musiques contre-officielles s’interpénètrent de manière irrégulière, qu’en est-il
des « playlists » ? En s’appuyant sur des exemples récents
16
où l’imaginaire pirate a été mobilisé au cours d’émissions
légales (Radio Campus Clermont-Ferrand/Radio Galère,
1
Radio Klaxon et, plus en détail, les œuvres du collectif
PI-node), cette étude cherche à réfléchir à l’éditorialisation spécifique de la musique en playlists en contexte de
piraterie radiophonique, à partir d’Un manifeste hacker
de McKenzie Wark.
Mots-clés : radio pirate / playlists / netart / hacking
Abstract: While there are historical examples of pirate
radios airing nontransgressive musical programs, there
are also many examples of subversive music promoted
on official radio stations. But if pirate radios and counter-official music irregularly interpenetrate, what about
“playlists”? Summoning recent examples in which the ideas
and imagery associated with pirate radios were mobilized
during legal broadcasts (Radio Campus Clermont-Ferrand
/ Radio Galère, Radio Klaxon and, in more detail, the works
of the collective PI-node), this study seeks to reflect on
the specific editorialization of music in playlists within the
L’histoire des radios pirates, que les
autorités sont venues interdire pour avoir
émis sans autorisation, ne doit pas réduire
les radios pirates à la seule transgression
de la légalité. L’adjectif « pirate » oblige à
un ajustement définitionnel d’urgence. Au
sens strictement juridique, une radio est
définie comme « pirate » quand elle émet
sur une longueur d’onde qui ne lui a pas été
attribuée (Lesueur, 2011). Mais une autre
acception, venue de l’Union internationale
des télécommunications, désigne comme
« pirate » une « radio-amateur » qui diffuse
d’autres éléments que son immatriculation, sa position géographique ou toute
information concernant la qualité de la
transmission.
D’où la proposition de relever ici, à
côté d’une seule question de diffusion, une
affaire de contenu. L’une est de toute façon
imbriquée dans l’autre, dans la mesure où
l’on n’émet pas illégalement pour diffuser
des contenus qui pourraient être entendus
sur les radios légales. Même si on peut toujours, sans excéder les cadres légaux, troller
les horizons d’attentes. Mais on suppose
alors que les manières légales d’agencer
les contenus produisent des normes de
fabrication reconnaissables à l’oreille pour
facilement repérer ceux qui n’y répondent
pas. D’où la perspective de chercher dans
quelles conditions une playlist – ou un flux
de données musicales – peut s’entendre
comme « pirate ».
L’art du piratage à l’ère de la playlist
Manifesto in mind.
Article
Article
context of radio piracy, with McKenzie Wark’s A Hacker
101
David Christoffel
La question du
contenu pirate
L’émission d’un signal radio sans autorisation
et la transgression musicale sont, dès les
débuts de la radio, deux valeurs distinctes.
Mais si l’association de l’une et l’autre doit
être arbitrée au cas par cas, c’est tout de même
la preuve qu’il reste délicat d’imaginer l’une
sans l’autre. Ainsi, en 1923, la « Direction de
la Télégraphie sans fil » cherchait à repérer
qui était responsable dudit « poste zéro »,
une radiodiffusion illégale dont le propos
restait bon enfant et le contenu musical tout
à fait convenable. On pouvait ainsi lire dans
le journal L’Œuvre :
« On les entend parler, chanter et jouer de la musique,
nous dit-on, aux heures que vous indiquez, et l’on ne serait pas
surpris si, un beau soir, ils lançaient soudain dans l’espace…
un air de leur façon, qui pourrait – sait-on jamais ? – n’être
pas tout à fait orthodoxe 1… »
L’idée qu’on ne saurait émettre sans
autorisation pour diffuser de la musique
« orthodoxe » paraît si incongrue à la presse
de l’époque, qu’il faut dépêcher une hiérarchie entre l’infraction constatée et ce
qui serait une malfaçon plus standard.
C’est ainsi qu’apparaît l’hypothèse selon
laquelle ces « sans filistes » ne sont jamais
que des « farceurs » et, à ce titre, ne sont pas
complètement des malfaiteurs. Même si le
terme « pirate » n’est pas encore employé,
l’axiologie sous-jacente est assez claire :
diffuser de la musique « orthodoxe » de
102
1 L’Œuvre, 20 mars 1923.
manière illégale est moins pirate que de
la musique qui mettrait à mal les bonnes
mœurs. Mais présenté dans ces termes, si
l’importance de la transgression dépend du
répertoire diffusé, la manière de le diffuser
n’a donc aucune incidence sur la force de
transgression de la musique choisie.
À l’inverse, Radio Caroline diffusant
les Beach Boys est un exemple emblématique
d’une radio pirate dédiée à la promotion
d’une musique qui, alors, n’accédait pas aux
ondes officielles. Aujourd’hui, une radio
qui diffuse les Beach Boys n’est pas pour
autant une radio pirate. Mais si les œuvres
des Beach Boys sont maintenant assez patrimoniales pour les traverser, les frontières
établies par les normes de fabrication de la
radio légale perdurent. De manière tout à fait
significative, l’opposition entre les pirates et
les légalistes est reconduite dans une opposition entre amateurs et professionnels de
radio déjà présente dans le récit historique
sur Radio Caroline. On peut lire Robert
Chapman (2012) et voir comme il pointe le
reproche d’illégalité comme encapsulé dans
un discrédit jeté sur l’amateurisme :
« Early criticism of Luxembourg and Normandie
focused on their amateurism, (relative of course to the BBC’s
notion of professionalism), and the irregularity of their broadcast, while takers of the moral high ground indicated that
there was something distaseful, if not about advertising on
the wireless per se, then about the kind of shoddy palliatives
being promoted. »
Une cinquantaine d’années plus tard,
l’ethos pirate a pu évoluer, mûrir et, plus
encore, se démultiplier. C’est pourquoi il ne
saurait être question d’en faire une histoire
progressive ou seulement unitaire. Nous
allons chercher à viser comment, aujourd’hui,
16
1
À titre d’éducation aux médias,
13 enfants ont participé à une colonie « Radio
pirate » qui émettait sur 107.7 au cours du
week-end du deuxième tour de l’élection
présidentielle. Les animateurs (qui venaient
de Radio Galère et Radio Campus ClermontFerrand) leur demandaient : « C’est quoi être
pirate en 2017 2 ? » Les enfants répondaient :
« taguer sur un mur, ne pas payer dans un
magasin », autant d’exemples spontanés qui
restent sur un critère d’illégalité. Jusque-là,
les enfants ne cherchaient pas dans les actes
de piraterie, telle ou telle motivation politique
ou quelque grande cause (comme la réparation
d’injustices majeures, par exemple), mais
semblaient indexer un répertoire d’actions
plaisantes pour leur dimension pittoresque.
Mais quand les animateurs de la colonie
leur demandaient quelles sont les armes
d’un pirate aujourd’hui, ils répondaient
des ordinateurs ou des armes blanches, en
2 http://www.campus-clermont.net/onair/podcast/
player/?date=2017-05-07&time=21#campus_player
(consulté le 8 novembre 2017)
L’art du piratage à l’ère de la playlist
Le piratage comme
détournement
poétique
reconnaissant que le mot « pirate » peut être
adapté aussi bien pour désigner quelqu’un
comme Edward Snowden qu’un personnage
de fiction comme Jack Sparrow. Même si
la montée en généralité peut présenter des
risques pour la consistance de la définition :
à force de collectionner les définitions enfantines, on observe un flottement dans l’idée
qu’on se fait. Comme dit Hugo : « Avant,
pirate, c’était plutôt vraiment être sur un
bateau, voler, avoir des trésors, maintenant,
c’est plutôt enfreindre des lois. Donc la notion
a changé autour du temps. »
Et puis, une participante faisait
remarquer qu’ils squattaient certes la fréquence 107.7 (radio dévolue à l’info trafic),
mais sur une zone du territoire où il n’y avait
pas d’autoroute et où il n’y avait pratiquement aucune chance pour que la radio autoroutière s’aperçoive, par conséquent, que
sa fréquence a été prise. L’idée d’une radio
pirate qui supplante des radios officielles est
alors elle-même supplantée par une réalité de
l’émission pirate : pour que la transmission
puisse passer, il est toujours plus simple de
se mettre sur des zones inoccupées de la
bande FM (d’où l’attraction vers le bout de
la bande).
Mais c’est là que les flottements de sens
appellent une remobilisation des enjeux qui
nous amènent à considérer un programme
radiophonique comme pirate, même si son
canal de diffusion n’est pas complètement
illégal. Le désalignement des critères a donc
des répercussions sous les différents angles
désalignés. Nous pouvons relever comment
un contenu musical peut devenir pirate par
son mode de diffusion plus que dans sa forme,
son style ou son esthétique. Réciproquement,
il nous reste à envisager dans quelle mesure
un flux audio « hacké » peut se résoudre à des
Article
se déploie radiophoniquement l’imaginaire
pirate, dans des contextes de diffusion qui
ne défient pas les cadres légaux de l’édition.
De sorte que le topos du pirate en amateur
demande une réappropriation volontaire
et, pour savoir ce qu’on fait et mieux jouer
avec, une redéfinition du terme.
103
David Christoffel
modes propriétaires, voire à la mobilisation
de musiques qui répondent à des logiques
de marque. D’où le réglage de la notion de
« hacking » sur une notion de propriété, par
McKenzie Wark dans Un manifeste Hacker :
« Sous la sanction de la loi, le hack devient une propriété définie, et la classe Hacker émerge, comme émergent
toutes les classes, d’une relation à une forme de propriété.
De même que la terre et le capital, en tant que formes de
propriété, la propriété intellectuelle impose une relation de
rareté. Elle attribue un droit de propriété à un détenteur aux
dépens des non-détenteurs, à une classe de possédants
aux dépens des dépossédés. » (McKenzie Wark, 2007 : § 79)
McKenzie Wark définit le hacking en
opposition dynamique au vectoralisme et
replace le piratage dans une lutte de classes.
Dans l’histoire des théories de l’information,
cette manière de définir politiquement le
hacking renforce la lisibilité de l’interaction
entre le contenu d’un message et son mode
de diffusion, en donnant une importance
renouvelée à la question « qui diffuse ? ».
Cela met à jour les classes et leurs intérêts
respectifs à diffuser ceci ou cela, tout en
mettant les questions de facture des œuvres
sur un autre niveau. À ce stade, le hacking ne
se définit pas tant par le fait d’équiper des flux
radiophoniques plus ou moins légalement,
que d’outiller un nouvel horizon d’écoute :
« Quel que soit le code que nous hackons, serait-il
langage poétique, mathématique ou musique, courbes ou
couleurs, nous sommes les extracteurs des nouveaux mondes.
Que nous nous présentions comme des chercheurs ou des
écrivains, des artistes ou des biologistes, des chimistes ou
des musiciens, des philosophes ou des programmateurs,
chacune de ces subjectivités n’est rien d’autre qu’un fragment
de classe qui advient peu à peu, consciente d’elle-même. »
104
(McKenzie Wark, 2007 : § 02)
Ce qui relance le débat définitionnel :
faut-il chercher une dimension hacking là où
la diffusion radiophonique est prise dans un
rapport de lutte ? Ou bien faut-il que l’information relève des enjeux de classes pour qu’il
puisse être question de piratage ? McKenzie
Wark parle bien des hackers comme d’une
classe, mais une classe créative qui résiste
aux préemptions vectoralistes, qui déborde
les explications qui les assigneraient à une
fonction fixe. C’est cette articulation spécifique qui permet de penser la piraterie
radiophonique non plus au seul niveau des
moyens donnés à sa diffusion, mais aussi dans
la manière d’agencer les contenus. Tout laisse
à penser que les acteurs des radios pirates
actuelles se définissent bien davantage par les
rapports de lutte que leurs initiatives radiophoniques peuvent créer que dans leurs stratégies de diffusion. Si ces stratégies peuvent
elles-mêmes créer un rapport de lutte, c’est
par la dynamique critique dont la portée est
plus ou moins liée au dispositif médiatique
mobilisé par les acteurs. La musique notamment, prend un poids éditorial plus ou moins
réactif à quelque fait de piraterie.
En 2016, au cours des mobilisations
contre la loi Travail, quelques émetteurs
pirates se sont mis en place. Radio Croco
(installée à la Maison du peuple de Rennes)
ou Radio Cayenne à Nantes, qui ont démarré
en occupant temporairement une fréquence,
pour pouvoir transmettre en direct les événements, sans censure ni dépendance. Ce
sont des radios qui, après une période de
piratage d’une fréquence FM sont devenues
des webradios, comme Radio Debout ou
Jungala radio (qui diffusait des interviews de
migrants de la jungle de Calais). Le passage
de la FM à la webradio semble alors perçu
par les acteurs comme un recul relatif de
L’art du piratage à l’ère de la playlist
16
la notion du piratage. L’idée d’être pirate
demeure consistante, mais n’est plus tellement liée au fait d’émettre illégalement.
Le passage de la FM au web dédramatise la
subversion de la piraterie radiophonique et,
paradoxalement, la bande FM serait donc
moins piratée depuis que les générations
spontanées d’expressions radiophoniques
transgressives susceptibles de se définir
comme « pirates », trouvent dans le Web
des accès tellement légaux qu’ils semblent
évaporer la question de l’autorisation, de la
validation administrative de la demande de
fréquences normalement préalable à toute
diffusion radio hertzienne ( jusqu’à parfois
utiliser des plateformes de mise en ligne tout
à fait propriétaires) et ne pourraient plus
être appelées « pirate » qu’à titre folklorique.
Pour qualifier ces piratages, on lit par
exemple sur reporterre.net que « ces expériences radiophoniques manifestent le besoin
de se réapproprier les ondes et la parole 3 ».
Il y a même une analogie établie entre ces
initiatives et la situation des années 1970
où la multiplication des journaux régionaux
et des radios pirates devaient compenser le
déficit d’expression citoyenne présente sur
les médias officiels. Mais qu’est-ce que cela
induit sur le plan musical ? Le piratage d’une
3 https://reporterre.net/Les-radios-pirates-sont-deretour-avec-les-luttes (consulté le 8 novembre 2017)
Article
1
105
David Christoffel
106
fréquence n’implique pas nécessairement un
rapport pirate au répertoire musical diffusé.
Même si, souvent, la diffusion de musique
est d’office assorti d’un questionnement
politique sur le choix des œuvres diffusées.
Par exemple, Radio Klaxon se promeut sur
Twitter (@Klaxon_Radio) comme « la radio
pirate faite par des pirates qui n’ont jamais
fait de radio ». Le caractère pirate revient
à braver les compétences journalistiques.
Autrement dit, l’incompétence assumée vaut
comme un gage d’authenticité, en opposition
à la compétence institutionnelle ainsi assimilée à un filtrage de la parole.
Il y a l’affirmation – incantatoire, mais
efficiente – d’ouvrir, de collectiviser, de
partager et, pour tout cela, de déprivatiser les
fonctions éditoriales. Cette affirmation peut
être entendue comme une volonté de décider
ce qui vaut d’être diffusé, de redistribuer les
processus de légitimation. Ainsi, dans un
double mouvement d’élargissement du spectre
des genres et de mise à égalité (« art oratoire,
contes, odes, sagas, élégies épistolaires, raps,
slams, fables… »), les « Poetik games » projettent le temps de parole radiophonique dans
une redistribution des rôles d’autant plus
ouverte que les modalités n’en sont surtout
16
1
Si elle se définit par la culture pirate
des morceaux qu’elle assemble, l’idée d’une
« playlist pirate » risque de buter sur un
paradoxe sorite : si je mets une œuvre de
Céline Dion (musique non-pirate) dans une
playlist pirate, il s’agit encore d’une playlist
pirate ; si j’ajoute une chanson de Michel
Sardou (deuxième musique non-pirate), il
s’agit encore d’une playlist pirate… À partir
de quel pourcentage de musiques hors de la
culture pirate la playlist sort du domaine
pirate ? S’il est si délicat de définir le caractère « pirate » uniquement par l’appartenance
à la culture pirate, il est plus décisif encore
de chercher comment une playlist peut être
« pirate » en assemblant des œuvres qui ne
le sont pas. La question est porteuse d’un
retournement intéressant : là où une playlist
est classiquement sous-tendue par l’idée
que tous les éléments qui en font partie sont
dignes d’une attention séparée, une playlist
pourrait être dite « pirate » quand elle présente une posture par exemple désinvolte à
l’endroit de qui compose quoi. Il peut alors
y avoir différents procédés de détachement à l’égard des marques de propriété des
L’art du piratage à l’ère de la playlist
Les webradios « de
playlist »
œuvres. Cela peut être l’idée d’une Radio
Mozart qui annonce que l’écoute des œuvres
de Mozart peut apporter une satisfaction
consistante au point de saper la promesse de
réflexivité musicale que la diffusion radio,
quand elle est éditorialisée, peut entretenir. En revanche, si on prend l’exemple
de Radio Michel, le principe curationnel
rompt avec l’idée qu’une radio de playlist
défend un répertoire. L’intelligence d’une
sélection des œuvres est remplacée par un
hasard onomastique : Julien Baldacchino et
Mélanie Le Beller ont fondé Radio Michel
pour ne diffuser que des artistes qui s’appellent Michel, Michèle, Michael, ainsi
que des chansons qui comprennent le mot
« M ichel » dans le titre. Cela peut passer pour
une parodie de playlist thématique.
Questions de codes
En juillet 2013, Deutschlandradio
Kultur, Musikprotokoll et ClubTransmediale
ont lancé l’appel à projet Ubiquitous Art and
Sound, qui porte sur le futur de la création
radiophonique à l’heure de l’avènement des
médias numériques de télécommunication.
Cet appel a été remporté par le collectif
π-Node, autour d’Erik Minkkinen du placard
headphone festival 4 , qui présente le projet
en animant pendant 240 heures continues,
une station radio pirate à Berlin, doublé d’un
4 Il faut citer aussi : Carl.Y du festival nomusic.org,
Alejo Duque, RYBN.ORG, Nicolas Montgermont du
collectif Art of Failure, Jean-François Blanquet et
Yann Leguay du Tétraèdre, Phillipe-Emmanuel Sorlin,
Benjamin Cadon de Labomédia et Julien Clauss,
organisateur du festival Modulation.
Article
pas formalisées. Le seul point qui mérite
d’être entouré étant que « c’est ouvert à tous ».
Radio Klaxon s’intéresse à la musique
par les rapports de classe avec, notamment,
une émission sur les détournements de chansons coloniales. Le passage dans le régime
numérique va performer les catégories de
propriété musicale, à commencer par les
noms des auteurs.
107
David Christoffel
laboratoire de recherche temporaire autour
des pratiques radiophoniques expérimentales.
Voici trois exemples parmi les performances radiophoniques du collectif π-Node.
L’Acousmonium hertzien
L’Acousmonium Hertzien est une
performance conçue spécifiquement pour
l’architecture du CND (Centre National
de la Danse, à Pantin), avec 10 émetteurs
radios distribués spatialement, émettant sur
une trentaine de radios fixes, et un certain
108
nombre de radios mobiles. Le public est
invité à déambuler dans l’espace du CND
en étant équipé de radios, pendant que les
émissions radiophoniques se déplacent et
se succèdent dans l’espace. Le CND est ici
utilisé comme une partition temporelle et
spatiale. User d’émetteurs radio comme de
sources sonores est une forme de représentation du flux médiatique, qui plus est s’il est
ramené à une fonction infra-éditoriale. En
tant qu’il ne reprend de la radio que les outils
d’émission, cet Acousmonium Hertzien ne
semble pas tant pirate qu’une pièce comme
Candle Piece for radios de George Brecht, dont
1
L’art du piratage à l’ère de la playlist
entre les niveaux d’écoute, prêter à ses propres
fragmentations des valeurs esthétiques hétérogènes, prendre plus ou moins de responsabilité dans le montage émotionnel qu’il
projette à leur endroit. Qu’il la reconfigure,
la rejoue ou la suppose, la retransmission fait
spectacle et l’émetteur hertzien porte l’offre
radiophonique comme une connotation en
puissance. Si des éléments musicaux propriétaires devaient sortir de ces postes de radio, il
n’en resterait pas moins des éléments d’un flux
médiatique, pour ne pas dire une information,
dans un processus de signification ramené
au niveau le plus basique pour les besoins du
vectoralisme lui-même. Ainsi, la thèse 29 du
Manifeste hacker : « L’information, comme la
terre et le capital, est devenue une forme de
propriété monopolisée par une classe, une
classe de vectoralistes, ainsi nommés parce
qu’ils contrôlent les vecteurs au long desquels
est abstraite l’information. » (McKenzie Wark,
2007 : § 29)
Dès lors, même si ce n’est pas l’enjeu mis
en avant par ses acteurs, les performances
du collectif π-Node peuvent être perçues
comme des actes de dépropriation avec des
références à la musique, à travers des dispositifs avec des concepts technico-esthétiques
très maîtrisés.
Le Scanner Orchestra
« Le SCANNER ORCHESTRA est une performance
sonore qui utilise toutes sortes de scanners radio comme
instruments, et où différentes techniques de « scanning »
sont combinées pour créer une exploration du spectre
électromagnétique environnant. Les limites techniques des
différents scanners, la bande de fréquence qu’ils permettent
Article
16
la partition prévoit des captations FM dans
un lieu non-défini.
Dans cette œuvre de Brecht, les flux
sonores sont alors redistribués en toute
indifférence aux marqueurs stylistiques.
Détournées, les œuvres diffusées sont émises
au-delà des cercles de captation de propriétés
intellectuelles. À l’inverse, l’Acousmonium
Hertzien de π-Node se veut une improvisation collective déployée par des émetteurs
dans une architecture spécifique… L’effet
de dépossession n’est plus dans le détournement de flux radio préexistants, mais dans
un dispositif hertzien placé en antagonisme
aux catégories classiques de la production
musicale (producteur, œuvres, droit, etc.).
En construisant une architecture sensible
d’ondes et de sons, elle déjoue l’émission
radio comme média, pour la construire en
architecture sensible d’ondes et de sons.
Au lieu de pirater des flux prioritaires à la
manière de George Brecht, l’Acousmonium
Hertzien de π-Node affirme le signal radio
comme un dispositif non-prioritaire. Dans
un cas comme dans l’autre, l’écoute peut
être portée à diffracter la consistance stylistique ou l’efficacité émotionnelle investie
par quelque calcul stylistique potentiel. La
force esthétique tient dans les signaux, les
interférences, en poussant l’indifférence
éditoriale jusqu’à traiter à égalité les sources
radiophoniques et microphoniques. Dans la
quadripartition « écouter / ouïr / entendre /
comprendre » du Traité des objets musicaux
de Schaeffer, on peut dire qu’il n’y a donc
pas la même chose à comprendre entre les
signaux radio de l’Acousmonium Hertzien
et les flux de Candle Piece for radios, alors qu’il
y a pratiquement la même chose à ouïr : un
assemblage d’émetteurs radio. Dans un cas
comme dans l’autre, l’auditeur peut hésiter
d’écouter, forment les bases d’une partition musicale, interprétée par autant d’instruments d’écoutes radiophoniques. »
109
David Christoffel
Cette performance est jouée à Graz 5 ,
au Styrian Center Herbst, et convoque tous
les membres du collectif. Un scanner parcourt lentement le spectre radiophonique
de 3.14 GHz à 1 Hz. Les musiciens, équipés
de divers appareils d’écoute et d’émission,
occupent différentes bandes de fréquence,
et interviennent successivement, en opérant
des moments alternés d’écoute d’événements
typiques, de génération de feedbacks, et
d’occupation sonore du spectre. π-Node
joue sur les temporalités médiatiques : en
mobilisant la radio comme le plus vieux
des nouveaux médias, « en lui substituant
un nouveau type d’architecture », le collectif avance ouvertement l’intention d’en
« décupler les possibilités de création », de
jouer l’hybridation entre radio hertzienne
110
5 Archives : http://www.p-node.org/graz (consulté le
8 novembre 2017)
analogique et radio numérique pour penser
hypermédias et, je cite : « transformer la radio
en un gigantesque instrument modulaire
rhizomatique. »
Le Multistream
Le web place la radio dans un nouvel
âge, par la représentation du flux – la principale interface d’écoute du site π-Node : le
Multistream. Parce qu’il passe d’un flux à
un autre, le niveau de neutralité des éléments sonores diffusés est varié, irisé et, en
quelque sorte, toujours repoussé de quelques
crans à redéfinir d’une occurrence à l’autre.
Dans le cadre du festival CTM, une définition est avancée qui, pour les besoins de
l’hétérogénéité voulue par tous, exige des
zones d’incongruité plus particulièrement
notoires :
interviews, et toutes sortes d’expérimentations radiophoniques en ligne, musicales, sonores des plus étranges. On
peut y entendre des voix réciter des nombres à destination
De l’invasion à la
micro-FM
des espions, des talk-shows nouvelle génération retranscrivant les conversations sur le tchat de la radio par une voix
de synthèse, ou encore une mise en sons des honoraires
et frais d’hébergement des participants de la Transmediale,
document interne qui a fuité durant le festival 6. »
1
« Pierre Node : Le coût du programme, c’est juste
savoir, voire fouiller sur le net, l’heure où passe une émission
qui m’intéresse et si le créneau est libre sur la metaradio,
je le mets sans demander rien à personne. Donc, ça peut
être de la piraterie. Du coup, c’est de la metaplaylist aussi :
c’est une playlist de gens qui font des playlists.
On pourrait donc faire des canaux qui sont pirates
6 Marie Lechner, « Π-Node, la radio passe les
bornes », Libération, 3 février 2014. http://next.
liberation.fr/arts/2014/02/03/-node-la-radio-passeles-bornes_977516 (consulté le 8 novembre 2017)
sans que les contenus que l’on met dedans le soient
spécialement ?
Article
16
Un certain nombre de concepts de radio
sont ainsi nés de l’idée de systématiser un type
de données : par exemple « Radio morse »
qui propose une écoute de transmissions
sonores, ou « Radiorloge » avec une écoute en
continu du rayonnement électromagnétique
du rack RNT qui diffuse la radio. Cette
manière de définir la radio comme canal dédié
à telles data, revient à liquider tout acte de
composition radiophonique à l’assemblage
de sources, suivant une logique de playlist
alors élargie à tout ce qui peut faire stream.
En charriant la distinction entre radio de
flux et radio de stock, la radio renvoyée à son
sens technique (de canal ou dispositif de
retransmission d’un signal audio) organise
une collusion plus ou moins volontaire entre
la liberté d’expression héritée du mouvement
historique des radios libres et la promotion
d’une culture musicale « libre de droit ».
Ainsi, « cannibal caniche radio » se définit
comme une radio libre en étant une playlist
de musiques libres de droit.
La notion de piratage est appelée à un
nouveau déplacement. En interrogeant un des
fondateurs de π-Node (Erik Minkkinen) sur
la dimension « pirate » de ses propres playlists,
le passage de la FM au Multistream semble en
même temps porter un changement de définition du piratage. Au départ, à propos des
playlists « lapinkult », l’idée qu’il puisse s’agir
d’émissions pirates tiendrait, selon le créateur,
davantage d’une logique d’invasion (à collectionner les radios associatives susceptibles de
diffuser son émission). Mais au moment de
reconsidérer la metaradio comme metaplaylist
(une playlist de playlists), il reconnaît que
faire un flux à partir d’autres flux lui a rendu
plus facile l’écoute des émissions qu’il n’aurait
pas écoutées dans un rythme programmé. Si
bien qu’il pirate les programmes des autres,
en tant qu’il les rediffuse sans leur demander
leur avis. C’est pourquoi nous avons voulu
chercher comment le passage de la playlist à
la playlist de playlists, vient induire un glissement de sens du mot « pirate », trahi par un
contournement de la question :
L’art du piratage à l’ère de la playlist
« S’y mêlent des formats classiques, comme des
Effectivement, dans les contenus de la metaradio,
ce sont des contenus dont je n’ai aucun contrôle, c’est juste
111
David Christoffel
les gens qui passent et je n’ai aucun contre-pouvoir. Je suis
juste le stockeur, qui partage l’écoute. Dans tout cet univers
de streaming, du légal ou du pas légal, sur des ondes ou avec
un émetteur, on ne sait pas qui va écouter. C’est quantifiable,
on sait combien il y en a qui écoutent un stream. Aujourd’hui,
il y a beaucoup de légalité qui se transforme par rapport à
ça. C’est presqu’un piège. »
Il y a un rapport entre le piratage de
données, leur détournement, et une sorte de
modestie radicale qui permet de faire éclater
Entretien avec
Patrick ou Pauline
Node
112
Cela faisait longtemps qu’on était
tous impliqués dans des collectifs, sous
forme assez petites (2-3 personnes) pour
faire de la musique improvisée, expérimentale ou des installations nouveaux
médias. Ensuite, plusieurs fois, on a essayé
de se regrouper à plus nombreux. Donc,
il y avait toujours la question comment
est-ce qu’on peut être plus nombreux et
comment on fait pour travailler de manière
complètement horizontale, c’est-à-dire de
pas avoir de poste assigné, de pas avoir
de direction, pas avoir de hiérarchie, pas
avoir d’organigramme. Il y a une chose
que j’avais remarquée, c’est l’idée que,
si tu veux avoir un projet extrêmement
ambitieux, tout le monde va pouvoir
spontanément trouver sa place dedans,
parce que l’espèce de finalité que t’essayes
d’atteindre est quasi-inatteignable. Je
me souviens au début, dans π-node, il y
le piège d’une comptabilité de l’audience,
jusqu’à l’expérience de la micro-FM. Là où
la playlist pourrait alors se définir comme
« pirate », elle ne tient donc plus au niveau
auquel est poussé le curseur d’illégalité de
son dispositif de diffusion. Faute de pouvoir
recevoir une consistance esthétique propre,
la notion de playlist fait subir à l’horizon de
la piraterie un retournement d’une allure
irréversible : être pirate revient désormais
à devenir serveur.
avait la question de comment on change le
monde. C’est comme ça qu’on commençait
nos discussions. À partir du moment où
tu donnes un objectif aussi grand, tout le
monde va pouvoir ramener sa recherche,
ramener son champ de travail de manière
assez spontanée. L’autre question qui est
arrivée au cours des années, c’est ce qu’on
a appelé des espace-temps dans lesquels les
gens viennent se regrouper assez spontanément pour travailler sur leur chose ou
avoir des choses qui émergent du fait de
travailler à côté, du fait d’avoir des rendus,
des prototypes techniques. Après, dans
π-node, quand on fait des interviews,
on fait ça de manière anonyme : Patrick
Node, Pauline Node…
Comment vous pensez la notion
de « hack » ou de « piratage » : est-ce
qu’elle est plus essentielle dans les
dispositifs techniques ou dans, par
exemple, les différents canaux du multistream ?
La plupart des gens du collectif
travaille déjà avec la radio : soit sur la
1
Si on prend le multistream, est-ce
qu’il y a des playlists qui te semblent
plus pirates que d’autres ?
L’art du piratage à l’ère de la playlist
Les émetteurs classiques de radio, c’est
1 000 watts. Donc, t’as un rapport de
1/10.000.000.000. À l’heure actuelle, il
y a la low power FM qui ressort bien aux
États-Unis, limitée à 10 watts. Mais en
France et en Europe, la nouvelle norme
est catastrophique, t’as toujours rien le
droit de faire en FM.
La question de l’onde radio me
semble très importante et je trouve qu’il
y a une logique. Quelle est la différence
entre une onde radio et un podcast, une
webradio ou un stream ? C’est vraiment
cette réalité physique dans l’espace. Là
où on se définit plus comme « pirate » que
comme « radio-amateur ». Les « radio-amateurs », ce sont des gens qui sont très intéressés par le respect de la légalité, avec
des lobbys très puissants au-dessus, aux
États-Unis. Et le gros champ de recherche
des ondes radio, c’est qu’en fonction des
ondes que tu utilises, tu vas pouvoir faire
différentes choses.
Bibliographie
Chapman Robert (2012), Selling the
Sixties. The Pirates and Pop Music
Radio, Londres, Routledge.
McKenzie Wark Kenneth (2007)
[2006], Un Manifeste hacker, Paris,
Criticalsecret.
Article
16
FM, en radio libre, avec des émissions
ou de la création radiophonique, soit en
posant la question de la transmission,
avec des œuvres qui prennent la matière
de l’onde comme le matériau artistique.
Quand on prend les années 80 et tout
l’appel des radios libres, il y avait deux
idées : la première, c’était effectivement
que ce ne soit pas que des radios nationales
qui occupent l’antenne, mais la deuxième
idée, c’était d’avoir des fréquences libres.
Par exemple, il y avait une fréquence qui
pouvait être utilisée par tout le monde. Et
ce critère-là, on l’a complètement oublié,
il n’est plus du tout actuel. Alors qu’il
y avait la vraie volonté de dire que ça
appartient au bien commun, dans le sens
large du terme. C’est un espace public
qu’on s’est fait spolier. C’est pourquoi
on assume le fait de venir l’occuper en
se positionnant comme des gens qui
émettent dessus. Le hacking a vraiment
commencé comme ça : aujourd’hui, il y
a la nouvelle norme européenne qui t’autorise à avoir des émetteurs FM mais qui
te limite à une puissance 50 nanowatts.
Grosso modo, même à 10 ou 15 centimètres
à la ronde, ça ne va pas bien marcher.
113
Musi[ha]cking
Ce que la musique
fait au hacking
(et inversement)
Par Nicolas Nova (HEAD - Genève) et
François Ribac (Université de Dijon)
Résumé : Dans cet article nous nous intéressons aux convergences entre hacking et pratiques musicales (musicking).
Pour cela, nous mobilisons des terrains et époques variés
ainsi que la sociologie et l’histoire des sciences. L’analyse
1
de ces convergences nous amène d’abord à proposer une
définition plus ouverte du hacking, où les amateurs ont
toute leur place. Puis, nous montrons comment le hacking
– au sens de la modification d’un système technique par
une communauté d’usagers – peut nous aider à étudier la
musique in situ et en action.
Mots-clés : Hacking / musiques populaires /
musicking / études de sciences / innovations sociales
Abstract: In this article, we discuss the convergence
between hacking and musical practices (musicking), summoning multiple areas and eras, as well as Science and
technology studies. This analysis leads us to propose a
Le terme de hack ou de « hacker culture »
fait référence aux pratiques d’ingénierie se
déroulant en dehors de la science ou de l’industrie. Celles-ci se traduisent à la fois par
différentes formes de bidouillage d’objets
techniques – ce qui peut impliquer tout
autant la programmation que l’électronique –
et le partage de connaissances ou de ressources matérielles par des communautés
de hackers.
Une première définition de ce terme
correspond au fait de réaliser des hacks, c’està-dire de tirer parti de moyens techniques
limités pour programmer, et plus largement
créer, des objets ou des usages nouveaux.
Historiquement, le terme apparaît à la fin
des années cinquante autour d’un groupe de
passionné·e·s appartenant au club de modélisme ferroviaire du MIT 1. Contrairement
à certains de leurs collègues du TMRC 2 ,
ces premiers hackers s’intéressaient moins à
la conception soignée de répliques de trains,
qu’à l’édification du réseau électrique et de
communication permettant de faire rouler
les maquettes de véhicules. C’est en effet le
bricolage de ces systèmes électroniques qui a
nécessité la mise en place de hacks, c’est-à-dire
de solutions efficaces, élégantes et innovantes
pour faire fonctionner l’ensemble, à partir
more open definition of hacking, in which amateurs have
a broad role, and to show how hacking—the modification
of a technical system by a community of users—can help
us study music in action.
Keywords: Hacking / popular music / musicking / STS
/ social innovations
1 MIT : Massachusetts Institute of Technology,
centre de recherche et université, connu pour ses
nombreuses contributions aux innovations du XXe et
XIXe siècle.
2 TMRC signifie Tech Model Railroad Club et désigne
ne association d’étudiants du MIT créé en 1946.
Article
16
Le hacking et ses
pratiques
Musi[ha]cking
Article
115
Nicolas Nova et François Ribac
116
d’une compréhension fine des moyens techniques à disposition (Levy, 1984). En transposant une telle démarche du train miniature à
l’informatique, les hackers de l’époque se sont
ensuite amusés à programmer un ancêtre du jeu
de Pong sur l’énorme et intimidante machine
à calculer IBM 704 (Levy, 2014 : 15), puis,
entre autres explorations, ont développé le jeu
vidéo SPACEWAR sur l’ordinateur PDP-1.
C’est cette dimension du contournement, voire de l’exploitation de failles qui
explique une autre connotation apparue
ensuite du terme de hacking, couramment
employée dans le domaine de la sécurité
informatique. Cette seconde acception renvoie alors à la recherche intentionnelle de
déverrouillage des protections logicielles et
matérielles, en particulier dans le champ des
télécommunications et de l’informatique. Un
exemple couramment cité à cet égard est celui
du hacker John Draper, dit « Captain Crunch »,
qui parvint en 1969 à passer des appels longue
distance gratuitement en utilisant un sifflet
possédant la même tonalité que le réseau
téléphonique américain (Levy, 1984 : 199). Si
l’objectif est différent, il s’agit plutôt de forcer
un système que de s’en inspirer dans cette
deuxième acception, la logique est similaire
dans les deux cas puisqu’elle repose sur un
intérêt profond à saisir le fonctionnement
des objets techniques, et à l’exploiter afin
de tester des usages nouveaux. Outre cette
dimension de bidouillage créatif, la culture
hacker correspond plus largement à un état
d’esprit. Dans son enquête pionnière de 1984,
le journaliste Steven Levy soulignait l’importance attachée à la liberté de l’information,
à la méfiance envers l’autorité, et surtout
au jugement méritocratique ancré dans une
évaluation des pratiques – c’est-à-dire dans
la réalisation des hacks eux-mêmes, et non
dans des critères d’âge, d’origine sociale ou
de diplôme. Poursuivant cette analyse dans
le champ du travail, le philosophe finlandais Pekka Himanen (2001) opposait même
« l’éthique hacker » à celle du capitalisme
héritée du protestantisme et décrite par
Max Weber (1904/2010) : l’engagement du
hacker dans une activité repose sur un intérêt
intrinsèque pour celle-ci, et non pour le fait
d’en retirer une rétribution pécuniaire.
Comme l’a montré Fred Turner (2008),
des hackers – dans la première acceptation
exposée plus haut – ainsi que certaines
figures de la contre-culture nord-américaine
des sixties, des ingénieurs, académiques et
des acteurs institutionnels et industriels
ont contribué à la conception et à la mise
en œuvre de l’Internet, des médias numériques et à l’essor de la Silicon Valley. Cette
rencontre, relayée par des ouvrages, des
revues, des conférences, a très largement
contribué à rendre l’informatique user-friendly et à imposer l’idée que des communautés
pouvaient naître grâce à des réseaux de télécommunications et l’usage de PC (Personal
Computer). Ce point est d’importance, le
hacking ne renvoie pas uniquement au fait de
modifier des systèmes techniques mais aussi
au fait que ces pratiques prennent place dans
des communautés de savoirs, d’échanges, de
compétitions, communautés qui se retrouvent
sur la toile, au grand jour ou dans les confins
du Darknet (Stamboliyska, 2017).
De nos jours, cette double composante
– bidouillage et communauté organisée de
hackers – se retrouve dans les deux pôles
du hacking les plus couramment perçus : un
hacking opposé aux pouvoirs et aux multinationales qui pénètre les systèmes pour
mettre à jour des abus, par exemple celui
des Anonymous, et un hacking cynique
1
Les lumières
des STS et de
David Edgerton
Tel qu’il est couramment défini, le
hacking consiste, d’une part, à forcer et/ou
détourner des systèmes techniques et, d’autre
part, à ce que ces pratiques fassent émerger
3 Un intérêt que l’on retrouve dans l’avènement de
ces lieux de bricolage et d’apprentissage que sont les
hackerspaces et autres fab labs. Relevons d’ailleurs
que ces derniers sont aussi originaires du MIT,
une université qui a toujours entretenu un rapport
d’ouverture à ses cours, ses ateliers et ses machines.
Promus par un chercheur du MIT Medialab, Neil
Gershenfeld, les fab labs peuvent être lus comme une
émanation récente de cette hacking culture.
4 L’acronyme STS (Science and Technology
Studies) désigne un vaste corpus de travaux et de
chercheur.e.s qui considèrent les sciences et les
technologies comme des mondes sociaux.
5 Jacob et Stewart (2004) ont documenté la
déclinaison instrumentale des théories newtoniennes
en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle.
Musi[ha]cking
des communautés de hackers et dans certains
cas d’usagers. Ce mouvement par lequel le
monde social s’approprie des savoirs et des
objets issus de l’industrie et/ou de la science a
déjà été bien documenté dans les STS 4 dans
des situations et des époques variées par les
historiens des sciences (par exemple Jacob &
Stewart, 2004 5) ou la sociologie des usages
des télécommunications (Jaureguiberry &
Proulx, 2011). De même, la sociologie de la
traduction, que l’on appelle aussi la sociologie
des réseaux, a abondamment documenté la
différence souvent patente entre le script
prévu par les concepteurs d’une technologie
et ses usages effectifs lorsque celle-ci trouve
un espace dans le monde social (Akrich, 1987 ;
Akrich, Callon & Latour 2006). Sans qu’il soit
question de présenter ce vaste corpus comme
un tout homogène, une de ses constantes est
de montrer que loin d’être dotée de propriétés propres, toute technologie donne lieu
à des controverses, des transformations,
des déclinaisons, des usages imprévus ; en
bref que son destin et ses usages dépendent
au moins autant de sa structure matérielle
et des compétences et des objectifs de ses
promoteurs que de ce que ses usagers en font
(ou pas). Pour résumer ce premier point, une
technologie n’existe pas en soi, elle ne prend
sens que lorsqu’elle s’inscrit dans le monde
social et des usages et, ce point est ici crucial,
elle est presque toujours détournée, transformée, récupérée, appropriée. Mieux, ses
Article
16
et menaçant, qui fracture des sites et des
ordinateurs pour rançonner particuliers
et entreprises. Entre ces deux polarités,
toutes sortes de communautés forcent ou
réaménagent des systèmes techniques, produisent des effets non prévus dans les scripts
originaux des concepteurs et contribuent
à de nouveaux usages. On l’aura compris,
si le terme de hack, et la culture hacker, ont
pendant longtemps fait référence exclusivement à la culture informatique, celle-ci a
prospéré dans d’autres domaines. En premier
lieu dans le champ des réseaux, comme on
vient de l’évoquer, mais aussi dans toutes
sortes d’activités et de sphères sociales : la
vie de tous les jours (« life hack »), le bricolage et le DIY individuels ou collectifs 3 , le
monde professionnel (« corporate hacking »)
et bien entendu la musique, comme nous le
verrons plus loin.
117
Nicolas Nova et François Ribac
118
usages imprévus sont souvent une dimension
consubstantielle de la diffusion des objets
techniques. De ce point de vue, le hacking
rend visible et décline, à l’âge électronique puis
informatique, une composante essentielle, quasi
ontologique, et antérieure aux sixties, de toute
société.
Pour comprendre la fluidité des technologies, l’infinie variété de leurs déclinaisons
et de leurs usages, les travaux de l’historien
David Edgerton méritent également d’être
mobilisés. S’appuyant sur une abondance
de terrains, de pays et d’époques, Edgerton
(2011) critique la façon dont l’histoire des
technologies décrit souvent un enchaînement,
uniforme et irréversible, de révolutions
technologiques liées à des énergies : charbon,
machine à vapeur, électricité, pétrole, numérique etc. A contrario, il montre comment les
usages d’une même technologie varient non
seulement dans le temps mais aussi selon les
pays et les situations sociales. Ainsi, dans la
région Suame Magazine au Ghana, une des
zones les plus industrialisées d’Afrique, des
biens (machines-outils, voitures, électroménager, etc.) considérés comme obsolètes
dans le monde occidental sont réparés, entretenus et fonctionnent parfaitement durant
des décennies. Les mécaniciens ghanéens
forgent des savoir-faire techniques qui leur
permettent de contourner les chaînes de
compétences (mode d’emploi, ingénieurs
etc.) dont ils ne peuvent pas disposer pour
des raisons économiques. En d’autres termes,
les mécaniciens ghanéens hackent des techniques et des objets.
Outre cet éclairage décentré du seul
monde occidental (là-dessus voir Chakrabarty,
2000), Edgerton s’inspire de l’écrivain Patrick
Chamoiseau (1992) pour parler de technologies créoles. Ce terme désigne pour lui des
systèmes ou objets qui, transplantés des pays
riches vers les pauvres, trouvent d’autres
fonctionnalités. Et de montrer ainsi comment
les bicyclettes, instruments sportifs et de
loisirs à l’origine (Oudshoorn & Pinch, 2003),
devinrent des moyens de transports majeurs
en Asie dans les années 1930-1950 puis comment les « bicyclettes asiatiques » se sont à
nouveau hybridées pour donner naissance
au pousse-pousse. De plus, cette importance
de ce que l’on pourrait appeler la circulation
horizontale des savoirs et des objets est également vraie pour Edgerton dans un même
espace. Par une série d’exemples allant de la
composition de l’armée allemande lors de la
Seconde Guerre mondiale (où les chevaux
étaient bien plus nombreux que les chars
et furent tout autant décisifs lors des combats) au parc automobile à Chicago dans les
années 1920 (qui comptait nombre de voitures
électriques), l’historien anglais montre que
de nombreuses technologies voisinent alors
que l’on insiste habituellement sur une seule
technologie (ou énergie) et à qui l’on attribue
un rôle moteur. L’hybridation de la bicyclette,
et plus largement cette conception de technologies créoles, peuvent être comprises
comme des formes de hack au même titre que
les détournements d’objets techniques ou les
contournements de systèmes informatiques.
Dernier point capital chez Edgerton,
pour qu’une innovation technologique trouve
son public et se pérennise, il est absolument
nécessaire que sa part de nouveauté soit
réduite. Autrement dit et à rebours d’une
conception où les révolutions technologiques
changent radicalement la donne, les transformations notables de pratiques et l’apparition de « nouveaux objets » s’appuient
beaucoup plus sur des déplacements voire
même des changements à la marge que sur
1
Musi[ha]cking
différentes que celles qui mobilisent les
hackers dédiés au bien commun ou hostiles.
À partir de ces points, il nous semble que la
compréhension du hacking est plus nuancée,
plus panoramique aussi et qu’elle s’appuie sur
une approche de la technologie également
plus équilibrée.
Ce que la musique
fait au hacking
Quid du hacking musical ? Intéressonsnous d’abord à des styles musicaux où les
façons de faire semblent similaires aux
composantes « classiques » du hacking qui
ont été proposées plus haut ; le fait qu’une
communauté d’usagers force des systèmes et/
ou détourne des objets et partage ses découvertes. Le circuit bending (figure 1) qui consiste
à faire circuler du courant de façon imprévue
Figure 1 : Circuit bending : deux tournevis reliés par un fil
électrique permettent de faire circuler du courant de façon
aléatoire dans les circuits intégrés et de découvrir des sons
inédits. Photographie François Ribac.
Article
16
des bouleversements. Si ce dernier point a
bien été appréhendé par les STS, qui ont
souvent mis l’accent sur les continuités dans
les innovations (par exemple Pinch & Trocco,
2002 sur le moog), Edgerton nous montre que
ces continuités « fonctionnent » également
dans un espace et une temporalité identiques.
Qu’est-ce que les STS et la contribution
d’Edgerton, encore trop méconnue dans le
monde francophone, nous apprennent sur
le hacking ? Premièrement, et nous l’avons
déjà dit plus haut, ces travaux permettent
de situer le hacking dans une généalogie
de pratiques bien antérieures aux années
soixante. Deuxièmement, les nombreux
terrains mobilisés par Edgerton nous
apprennent que le détournement, le contournement, les nouveaux usages s’appliquent à
de nombreux objets, types de systèmes et
qu’ils sont déclinés dans des territoires et
configurations sociales très différentes et,
ce point est fondamental, pour des raisons
119
Nicolas Nova et François Ribac
120
dans des circuits intégrés de machines (par
exemple des jouets) afin de faire surgir de
nouvelles sonorités trouve aisément sa place
dans cette première catégorie.
On pourrait également mentionner la musique noise où fréquemment les
usagers détournent et assemblent toutes
sortes de générateurs de sons (cf. le texte
de Sarah Benhaïm dans ce même numéro),
la vaporwave (où l’on sample et ralentit des
tubes de pop) ou encore le lo-fi, cette forme
de rock (ou de pop) qui privilégie des formes
peu coûteuses et souvent domestiques d’enregistrement et de diffusion de sa musique.
On pourrait également évoquer certaines
composantes de la musique improvisée où
les musicien·ne·s bricolent leurs instruments
avec des objets, choses, détritus initialement
non destinés aux usages qu’ils·elles en font
(cf. le texte de Clément Canonne dans ce
même numéro) ou encore les « usages limites »
d’instruments de musique que l’on trouve
dans la musique de compositeurs contemporains tels que Helmut Lachenmann ou
Giacinto Scelsi.
On remarquera que cette liste fait voisiner des styles et des pratiques qui, au-delà
de leurs formes de production et des réseaux
au sein desquels ils prennent place, ont en
commun de faire du détournement des objets
un acte volontaire, « radical » diraient même
certain·e·s protagonistes de ces mondes.
Conséquemment, ceux et celles-ci insistent
sur la dimension éthique de leurs pratiques,
leur indifférence à la commercialisation et le
désir de ne pas être manipulé etc. Le point
commun avec certaines formes progressistes
de hacking est patent.
Le reggae 8-bit, une technique créole
Justement, le cas du reggae 8-bit – un
micro-genre musical qui consiste à produire
et jouer du reggae-dub avec des consoles de
jeu vidéo ou des ordinateurs munis de processeurs 8-bit – illustre ce lien entre musique,
pratiques hackers, et la notion de techniques
créoles proposée par David Edgerton. L’un
d’entre nous a ainsi décrit ailleurs ces pratiques par le biais d’une enquête de terrain
en Europe, montrant comment des consoles
de jeu vidéo japonaises et des ordinateurs
nord-américains avaient été détournés à cet
effet (Nova, 2014 et 2017). Pratiquée tant par
des musicien·ne·s de la scène dite « chiptune »,
qui emploient des machines « low-tech »
telles que la Game Boy (Nintendo), l’Amiga
(Commodore), ou le C64 (Commodore) disponibles dans les années 1980, que par des
producteurs de musique électronique à l’affut
de sonorités et de terrains d’expérimentations nouveaux, l’appellation « reggae 8-bit »
renvoie en fait à des pratiques musicales
multiples. Une majorité d’artistes se limite à
prélever des échantillons sonores ou à utiliser
ces ordinateurs et consoles momentanément
dans leurs compositions ; par exemple pour
affubler des riddims reggae 6 classiques de
samples tout aussi connus dans la culture
vidéoludique. D’autres poussent leur passion
plus loin et créent leurs propres instruments
à partir de ces machines des années 1980.
C’est chez ceux-ci et celles-ci que l’on peut
trouver des pratiques proches du hacking et
qui débouchent sur une technique créole.
6 Le terme riddim, déformation de l’anglais rhythm
(« rythme ») provient du patois jamaïcain ; il désigne
la structure reprise de morceau en morceau
(« versions ») dans le reggae.
particuliers et identifiables du jeu vidéo
des années 1980. Or, ni cet ordinateur, ni ce
composant ne sont encore fabriqués actuellement – malgré l’existence de copies de
mauvaise qualite – ce qui implique donc
de surveiller les plateformes de vente en
ligne d’objets de seconde main, d’acheter
régulièrement des C64 pour en extraire
les microprocesseurs sonores, et récupérer
les coques en plastique. Lesquels éléments
sont réutilisés ensuite, hybridés avec des
composants plus récents pour produire la
MIDIbox SID synthétiseur.
La création de cet objet hybride
– c’est à dire les hacks nécessaires à sa production – rappelle la notion de technique
créole proposée par Edgerton : « la diffusion
de techniques singulières souvent dérivées
Musi[ha]cking
Prenons ici l’exemple de la MIDIbox SID
synthesizer « conçue » par les fondateurs de
Jahtari (voir Nova, 2014 pour plus de détails).
À côté de ses activités de production, ce label
allemand propose aux musicien·ne·s intéressé·e·s un synthétiseur spécialement dédié au
reggae 8-bit. Il s’agit d’un appareil sommaire,
monté à la demande exclusivement pour les
amis et les proches et dont ils ont fixé le prix
de vente à 1 150 euros. Celui-ci est formé
de deux blocs de synthèse sonore, munis
d’une interface de contrôle (boutons, potentiomètres, indicateurs visuels) insérés dans
une coque d’origine de Commodore C64.
Chacun des blocs synthétiseurs comprend
quant à lui le microprocesseur sonore d’un
ancien C64, le « SID » (Sound Interface
Device) qui permet de générer les sons si
16
Article
1
Figure 2 : MIDIbox SID synthesizer (Jahtari, 2014).
121
Nicolas Nova et François Ribac
de “vieilles techniques” et renvoyant à des
“dérivés locaux de quelque chose originaire
d’ailleurs” » (Edgerton, 2011 : 120). Comme
décrit ailleurs (Nova, 2017), la MIDIbox
SID peut être décrite comme une « dérivée
de vieilles techniques » avec ses processeurs
sonores SID « low tech » et leurs sonorités
identifiables qui renvoient à une culture bien
spécifique. De même, la transposition spatiale
et temporelle soulignée par Edgerton est
aussi présente. Les bricoleur·euse·s de Jahtari
étant des « Allemands de l’Est », comme ils
se plaisent à le rappeler, qui modifient et
combinent des technologies nord-américaines
low-tech (les SID, le C64) et sud-asiatiques
(fournisseurs de composants électroniques
high-tech actuels) pour faire évoluer un genre
musical caribéen lui-même hybride.
Bifurcations sans savoirs techniques :
l’exemple du microphone
122
La deuxième façon d’envisager le
hacking dans les mondes musicaux concerne
des processus au cours desquels des usages,
des outils, des instruments et des systèmes
en viennent à être fracturés et/ou décalés,
mais sans que le registre du détournement soit
forcément mis en avant par les acteurs. À bien y
regarder/écouter, bien des objets et pratiques
aujourd’hui naturalisées sont pourtant bien
le résultat d’une combinaison de hacks.
Considérons par exemple l’usage en
scène des microphones. Développés dans le
cadre des recherches sur l’électrification du
signal menées par les firmes téléphoniques
dans les années 1920 (Gelatt, 1977 ; Millard,
1995 ; Adams & Butler, 1999 ; Taylor, Katz
& Grajeda, 2012), les micros étaient originellement utilisés pour recueillir le signal
dans les studios d’enregistrement et dans
les radios, en particulier aux USA. Si le
son recueilli était bien amplifié électriquement pour être gravé sur un support lors des
séances d’enregistrement ou « broadcasté »
lors des émissions de radio, ni les ingénieurs
en télécommunications, ni les opérateurs des
studios n’avaient destiné les microphones à
un usage scénique ; amplifier signifiait augmenter électriquement le niveau du signal
au sein du réseau de circulation du son pour
mieux le capter « tel quel », pas augmenter son
volume afin qu’il soit diffusé plus fort lors de
performances publiques. Ainsi, lorsque des
interprètes se produisaient devant un public
lors d’une émission de radio, une situation
que Hollywood a documenté dans de nombreux films 7 les voix ou les instruments
étaient « seulement » captés par un micro
pour l’envoyer « dans les tuyaux » mais pas
amplifiés dans une sonorisation ad hoc à destination du public. En somme, les ingénieurs
électriques amplifiaient le signal et non pas
le son ou la musique. À la même époque,
certains vocalistes comme Rudy Vallée
ou Bing Crosby utilisaient néanmoins des
mégaphones pour mieux se faire entendre
en concert tandis que les partis politiques
commençaient à utiliser des amplificateurs,
des haut-parleurs et des microphones pour
leurs meetings (Devine, 2013).
Ces mêmes chanteur·euse·s, que l’on
appellerait bientôt des crooners, eurent
alors l’idée de coupler les microphones des
studios de radio et d’enregistrement avec
des amplificateurs (par exemple celui d’une
7 Par exemple dans la série de films intitulé « The
Big Broadcast of » débutée dans les années 1930 à
Hollywood.
1
Musi[ha]cking
d’enregistrement et de radio) à un autre (la
scène) en s’appuyant sur des pratiques et des
objets déjà existants. Et surtout, les crooners
font surgir des ressources inconnues d’un
instrument, détournent des objets de leur
usage habituel sans avoir la compréhension
d’un ingénieur, sans comprendre explicitement
comment un système technique fonctionne. De
plus, ces détournements ne concernent pas
seulement le fait d’utiliser un micro en scène
mais s’expriment par la naissance d’une nouvelle façon de chanter, par le développement
et la diversification d’un style qui se déploie
tout au long des années 1960, 1940 et 1950 sur
les scènes comme dans les studios (Granata,
1999) et qui influencera les styles suivants et
en particulier le rock’n’roll.
D’autres exemples, plus récents, comme
l’utilisation des platines de disques et des
répertoires enregistrés et dans le rap ou les
usages des cassettes audio sont très largement
similaires à ceux du micro des crooners.
Ils montrent en outre que nombre de ces
détournements émanent d’amateurs (pour
plus de détails voir Ribac, 2005).
Apprentissages
Notre troisième entrée concerne une
fois encore les musiques populaires mais se
décline dans les processus d’apprentissage
de ces musiques et implique des amateurs.
Plusieurs études, réalisées avant, pendant et après la dissémination des outils
numériques et du Web (Bennett, 1980 ;
Green, 2001 ; Ribac, 2005, 2007, 2010 et
2012) ont en effet montré que le processus
d’apprentissage du rock, du hip hop et de la
techno se déroulent non seulement dans des
cadres collectifs (par exemple les groupes
Article
16
radio domestique) et de les utiliser en scène
(Lockheart, 2003). Ce qui est ici important de
signaler est que l’amplification (au sens où l’on
parle aujourd’hui de musique amplifiée) servit
tout autant à augmenter le niveau sonore des
voix et à les distinguer des orchestres, qu’elle
permit aux crooners de moduler leur voix et
de chanter pianissimo et des nuances faibles
même lorsque l’orchestre jouait fort. Comme
l’a montré McCracken (2015) avec l’exemple
de Rudy Vallée, l’un des premiers crooners,
immense star (oubliée) de la radio et pionnier
du microphone, son usage du microphone
donna lieu à de violentes polémiques sur
les capacités vocales de ceux et celles qui y
recouraient, accusations allant souvent de
pair avec des accusations d’homosexualité à
l’encontre des hommes. Comme le rappelle
le titre de l’ouvrage de McCracken, Real
men don’t sing et certainement pas avec un
microphone. Bruce Johnson (2000) a d’ailleurs
montré que, dans le monde du jazz, c’est
surtout les femmes qui adoptèrent le nouvel
objet souvent dédaigné par les hommes.
Dès lors, peut-on considérer l’usage du
microphone comme une sorte de hacking ?
Cela y ressemble à maints égards. Il y a bien
une communauté d’usagers qui opère le déplacement, un objet et un réseau technique
existants (l’amplification du son) affectés à
un usage imprévu et, peut-être le plus important, la naissance de nouvelles configurations
techniques et spatiales, de nouvelles compétences et des métiers inédits (les sonorisateurs), de nouvelles expériences d’écoute, de
nouveaux mondes musicaux (les crooners),
de nouveaux objets qui recomposent la physionomie de la « musique ». Comme le montre
Edgerton dans d’autres sphères sociales, les
micros passent du studio à la scène par une
sorte de glissement d’un lieu (les studios
123
Nicolas Nova et François Ribac
124
de rock), mais que cette phase est précédée
d’un usage intensif et solitaire des outils de
reproduction sonore et des supports enregistrés. Bennet a ainsi montré, un point qui
a beaucoup frappé Howard Becker, que des
adolescents vivant dans les montagnes du
Colorado à la fin des années 1970 étaient
capables de reproduire des solos de guitare
de Frank Zappa sans jamais avoir pris un
cours de guitare ni joué dans un groupe. Ce
recours à des instructeurs non humains, les
supports enregistrés et leurs lecteurs, est un
fait central dans l’apprentissage des musiques
populaires et ce depuis que les phonographes
et la radio ont fait leur entrée dans l’espace
domestique. Il est déjà documenté dans la
biographie d’un Bing Crosby apprenant la
musique avec la radio et chantant avec le
gramophone familial dans les années 1920
(Giddins, 2001 ; Martin & Crosby, 2003) ou
encore dans les récits des rockers des sixties
comme McCartney ou Keith Richard (2010)
engagés dans leurs groupes respectifs parce
qu’ils jouaient à la perfection des morceaux
de rock’n’roll appris avec des disques et des
tourne-disques Dansette. Des ethnographies
réalisées au milieu des années 2000 montrent
des adolescent·e·s en phase d’apprentissage
bidouillant des systèmes multipistes avec
des magnétophones à cassettes à la maison,
utilisant la souris d’un ordinateur pour générer des sons à la place d’un clavier, faisant
circuler de la modulation dans des configurations assez improbables (Ribac, 2007, 2010
et 2012). Dans un monde où les mashups 8 ,
la vaporwave et même les façons d’écrire
8 Un mashup consiste en la création d’une chanson,
ou composition musicale, à partir de deux ou
plusieurs autres chansons déjà existantes.
des SMS (Serres, 2012) ont également été
initiés par des amateurs et amatrices, ces
innovations s’inscrivent là aussi dans une
généalogie de hacks réalisés par des (groupes
de) personnes sans compétences reconnues.
Conclusion(s)
Ce que le hacking fait à la musique
Dans un ouvrage qui a fait date dans les
études musicales, Christopher Small (2011 9) a
proposé le terme de musicking pour décrire la
multiplicité des significations, des pratiques,
des usages et des collectifs qui composent ce
que l’on appelle communément « la musique ».
Difficile à traduire en français, le suffixe
« -ing » signifie le « en train de se faire » ou,
pour le dire autrement, que la musique vient
à nous dans sa mise en œuvre et ses usages.
Ce qui implique de penser, d’appréhender, et
d’étudier la musique en action comme dirait
Tia DeNora (2011). De ce point de vue, le
hacking, tel que nous l’avons défini au début de
ce texte, permet d’appréhender les pratiques
musicales en portant attention autant aux
gestes et aux objets (ce que l’on appellerait
la technique) qu’aux formes de sociabilités.
C’est à la conjonction entre ces deux pôles
que l’on peut alors observer, écouter et repérer des innovations, des ruptures mais aussi
des continuités stylistiques et matérielles,
par exemple le dub et les processeurs des
appareils des années 1950 dans un nouveau
style : le 8-bit reggae. Appréhender ainsi
le musicking permet à notre sens de mieux
9 Traduction française, 2019.
Ce que les STS et la musique font au
hacking
16
1
Réciproquement les études de sciences
et en particulier le travail d’Edgerton nous
rappellent que pour s’imposer et perdurer,
toute technologie est nécessairement hackée.
Autrement dit, les différentes formes de
hacking nées à l’âge électronique et informatique doivent, premièrement, être replacées
dans des généalogies historiques et, deuxièmement, considérées comme une des
formes par lesquelles un segment du monde
social s’approprie des objets, des dispositifs,
des technologies etc. Si, comme on l’a vu
avec l’exemple du 8-bit reggae, il existe des
formes quasi ingénériales de bidouillage
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Musi[ha]cking
dans la musique, le microphone des crooners
et l’apprentissage des musiques populaires
montrent que les fractures, les bifurcations et
les usages détournés peuvent advenir, d’une
part, sans une volonté explicite de rupture
et, d’autre part, sans qu’il soit nécessaire
de comprendre et d’analyser le fonctionnement des systèmes. Les amateurs sont
souvent à l’origine de hacks qui ont modifié
systèmes techniques et organisations sociales.
Autrement dit, non seulement il n’est pas
nécessaire de savoir comment fonctionne
un objet pour l’utiliser (et heureusement !)
mais cette méconnaissance peut même aider
à en faire autre chose. Enfin, le savoir qui
accompagne un système technique ou une
machine est fondamentalement social, c’est
par le biais de la communauté qui l’utilise
que j’apprends – souvent implicitement – à
l’utiliser (Collins, 2010). Le mode d’emploi est
sûrement utile mais si le monde social ne me
dit pas comment (et ce comment peut très
fortement varier) l’utiliser, je n’y arriverai
pas. Si les théories sur le hacking devraient
se musiquer et la musique se hackiser, cela
donnerait donc musi[ha]cking.
Article
comprendre comment de nouvelles communautés musicales surgissent et les divers
registres qui donnent corps à ces styles de
vie qui émergent et ce sans l’aveuglement des
approches analytiques ou déterministes ni la
distance du sociologisme qui rabat pratiques
et objets à des reflets (Hennion, 1993).
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Interview by Clément Canonne (IRCAMCNRS-Sorbonne Université)
Nicolas Collins is Professor at the School
of the Art Institute of Chicago. Influenced by
Alvin Lucier, David Tudor and punk culture,
his work is at the intersection of experimental
music, computer music, and sound art. During
his career, he invented numerous musical devices
by hijacking or altering existing technologies:
CD players that play the sound produced by a
disc when it is paused (Broken Light, 1991);
attached to a trombone, a signal processing system
that combines a digital reverb and a Commodore
64 motherboard (Tobabo Fonio, 1986); or
discarded electronic circuits “reanimated” by
probes that interact with other electronic components to create feedback (Salvage, 2008).
He also wrote Handmade Electronic Music:
The Art of Hardware Hacking (Routledge,
2009), an influential introduction to the world
Influences
Both my parents were artist-oriented
so I grew up in New York in the 60s with a
deep immersion in the art world—where they
took their children instead of to the circus was
galleries of avant-garde art, Jean Tinguely, a
lot of technological art. I didn’t get interested
in making music until high school, in 1968. I
think it may have had as much to do with the
idea of being anti-something as for-something.
I liked the idea of the avant-garde, experimental music that was against the status quo. But
then I branched into electronics, and weird
things started to happen. I bought a reel-toreel tape recorder to dub records, and it had
a funny switch in it that made it feedback
on itself, so it turned into this instrument. I
built my very first oscillator circuit by finding
information in some hobby magazines—you
know, it was before Internet.
I ended up studying music in Wesleyan
University, and the first time I met with my
advisor in the Music Department, he said:
“Do you know Alvin Lucier? You said you
did electronic music”… And I didn’t know
him. I was from New York, I thought I knew
everything. I knew Cage’s music, but I didn’t
know Lucier’s. And my advisor said: “Oh,
you should meet him, he makes music with
bats”. And I thought: “Whoo… That is like so
far beyond anything experimental I thought
of, I have to meet this guy”—it felt like meeting the Che Guevara of music.
From Circuitry toLive Improvisation (and back)…
Nicolas Collins
From Circuitry to
Live Improvisation
(and back): Hacking
One’s Way Through
Contemporary
Electronic Music
Tribune
Tribune
of musical hacking. In this interview, Nicolas
Collins describes his journey as an artist at the
crossroads of experimental music, computer music
and sound art, and explains why hacking matters
that much within today’s artistic practices.
127
Nicolas Collins
I worked with him for years (Bachelor
and Master degrees) and he was a very big
influence. Composers like Lucier, at that
time, made the case that you could make music
about anything. It doesn’t have to be about
Beethoven, it doesn’t have to be about Mahler
or Schönberg, it doesn’t have to come from just
that one stream. So here is a composer who’s
making music based on architecture, biology,
neuroscience. And of course, for someone
who didn’t have a strong traditional music
background like me, that was very liberating… It was a catharsis. I think we may have
slightly misunderstood that lesson, because
I think, in the end, there is still something
fundamental about musicality. Lucier is very
careful to say in his pieces, like I am sitting in
a room, that this is not “a demonstration of a
physical fact”. He doesn’t want to do science.
The way those pieces work, and the way they
last for 50 years, it’s because they have a poetic
quality, they’re not just science. I think in
the 70s, sometimes, there was a confusion,
people thought they could do didactic works,
but it didn’t mean they were good “music”.
But, you know, we learned that difference
eventually. The point was that it was a very
liberating feeling and it made me think that
I could become a composer even though my
background was very strange. That was what
pushed me on the road.
Electronics and
indeterminacy
128
Lucier said in an interview: “I’m not
interested in electronic circuits because
they’re two-dimensional, and sound is
three-dimensional.” But he encouraged his
students to learn circuitry and computer
programming—because he nonetheless
thought this was the future of music. So he
invited David Tudor and David Behrman,
he introduced us to those people, he thought
that was important for our education.
I continued building my own circuits
in the 70s—it was a little more difficult then,
there was less information. But there was an
aesthetic post-Cage of accepting accidents
and indeterminacy. So a circuit that didn’t
behave like a Moog, because it was glitchy
or unstable, could work in our music—it
might not work to play Bach, but it worked
for the strange, post-Cagean ideas. This is
why when I was a student, I worked with
feedback a lot, because with feedback, you
don’t have to make a decision, you just turn
up the volume, and something in the real
world makes a decision for you. It’s not my
job to pick the pitch, and I just can manipulate by going from one to another that
are just sort of given. And we were also
always interested in live performance, I
think that was the legacy of growing up on
pop music, for my generation. My friends
were not interested in doing studio work,
we weren’t interested in making tapes, we
wanted to get on stage and play.
Then at the beginning of the 80s
there was a big shift to the personal computer as the basis for live electronic music.
MIDI was a very powerful tool, everything
became much cheaper. You started to get
application software like sequencers, so
you didn’t have to write you own code
yourself. So it was a big liberation. But at
the same time, MIDI was designed for the
commercial music market, it was designed
to sell synthesizers to people who made
what we might call “normal” music. And
1
I built this instrument that was based
on hacking an early digital reverb—I stuck
a Commodore 64 computer inside a digital
reverb and made connections between the
two, and I essentially made a DSP-extension
for the C64 by using the signal processing
capabilities of the reverb and just hand-shaking to the Commodore for control. It was
very good for instantaneous looping, sampling and sound transformation. It’s like
the looper pedals they sell now but this was
30 years ago. I liked the sound vocabulary
of the transformations, which I could have
done those in the studio, non-real-time. But
I loved the idea of being able to do it fast, I
loved the idea of sampling radio on stage,
because it gave you this tension of… you
know, it’s now, I need it now! So the idea
was that it was fast and it was live. So I
built up this system and to control it—again
because I wanted something big—I decided
that I needed a big slide fader, and I thought:
oh, a trombone! You know, a stupid joke!
And I connected the trombone to half a
mouse—a data entry wheel, a shaft encoder—
and then I put a keypad on the trombone
with 24 buttons, and then I could click and
drag, to change any parameter of the program: change the pitch, change the length,
change the program, change the filter. In a
way, the trombone was just a mouse! But
I didn’t have to look at a computer screen,
which meant I could be on a stage, I could
concentrate on the other musicians, or on
the audience. It had this intimacy on stage,
even though it was obviously an electronic
instrument—the sounds were electronic,
I never blew into the instrument—it had
From Circuitry toLive Improvisation (and back)…
Live performance
Tribune
16
normal music is based on notes. But a lot
of what people were doing in my world
didn’t have to do with playing notes, chords
and melodies. We had other ideas about
crafting sounds. The MIDI system was
not so good for that. My friends who were
working with computers were spending a
lot of time kind of finding backdoors into
MIDI equipment, so that you can do strange
things with the synths. So in the 1980s, I
worked with multiple technologies: I used
computers for things that computers do
well, which is mostly control; I used circuits for the things that circuits did well,
like making strange noises, noises that
weren’t synthesizer sounds; and because
my music was based on performance, I
worked with musicians, because I needed
players. I worked with musicians playing
circuitry that I would build, but also with
their musical instruments.
The thing was that, at the time, for the
chamber music ensemble who would play
contemporary music, there was still a lot of
resistance to “open form” music. Even in
the 80s, Cage was kind of a hot topic. Not
everybody thought he was serious. And
I think a lot of musicians who came out
of conservatories basically either didn’t
know how to improvise or they didn’t trust
themselves doing improvisation. And so I
ended up working with musicians from the
improvised music world. They weren’t a
lot of people working with electronics but
unlike a lot of the classical musicians, the
improvisers were open to it. They would
say: “Oh, that’s cool, that’s different”,
rather than “Oh, I don’t know, where are
the notes?”
129
Nicolas Collins
130
this acoustic presence. I started working
with improvisers. I said: “Look, can we
just try something?” And improvisers are
funny because they don’t say: “Let’s go to
the studio and try it out”; they say: “Oh,
ok, I booked a gig, and I meet you at 8 for
sound check”. So it’s a “trial by fire” as we
say in English. I started doing that in 1987
or 1988 and that’s what really opened up
improvised music for me, because I finally
had an instrument that felt right for me. 1
This trombone was the first thing
that actually behaved like an instrument.
That is, one day I could play wedding with
it, and the next day a Bar Mitzva (well, not
exactly). It was really my introduction to
being an instrumentalist. When I would
play with musicians on stage I would grab
the very first noises they’d make, maybe
just tuning or taping the keys and then I’d
make 2 minutes of variations on it. I was
very attracted to DJ culture, from rather
early on. You know, I started listening early
hip-hop DJs in 1980, when they were just
beginning to emerge in the consciousness
of the white world. I really wanted to be
a DJ, but the problem was that it was a lot of
equipment and I had all this other equipment
that I had to carry for the other pieces—I
couldn’t carry one suitcase of electronics for the electronic pieces, and then two
turntables and a box of records. So with the
trombone instrument, I was basically DJing
with the sounds that the other musicians
were making live on stage.
1 Pour un exemple, voir : https://www.youtube.
com/watch?v=89jbl0ZuaH4&t=65s (consulté le
31 juillet 2019).
Someone once said that I was responsible for slowing down improvised music,
because everything I did was a question of
extension. In improvisation it used to be
that as soon as you did something, you could
move away. And now, thanks to me, you
couldn’t, because what you threw away was
still there, I was sustaining it. My education
took place during the minimalist era, when
minimalism was really a strong force in the
music field. Things were slow. The trombone
extended things, it basically slowed things
down. And many of the systems I built suffered from too much tranquil beauty as a
result of my minimalist background. There
are hints of Muzak or easy-listening music
in a lot of what I did. I wasn’t, you know,
like a meditative, Californian-mind type
of person; I was a New Yorker and there
was always a certain tension where I’d have
to figure how to get edge in my work. And
when I improvised with other players, of
course, that was easy, because the other
musicians could do something sudden.
But I could never initiate an aggressive act
without their input. This nagged me. And
what was interesting about getting involved
in circuitry in a more intense way, for the
second time of my life, was that it allowed
me to work with, shall we say, more aggressive sounds and less beautiful sounds.
Circuitry
There was always this idea in my circle that the circuit actually wasn’t just the
sound instrument, but there was an element
of a score in it. The circuit implies the piece.
So very often, you’d make one circuit and
you would only use it for one composition,
1
2 Voir : https://www.youtube.com/
watch?v=DtGcueEsuDE&t=71s (consulté le
31 juillet 2019).
From Circuitry toLive Improvisation (and back)…
that statistically I’m going to get a wide
distribution of pitches, and I’m going to get
certain types of modulations. Then, it’s just
a question of how much work I have to do
to find sounds and rhythmic patterns that I
like: how often can I work it continuously
and how often do I need to shake things up
a bit. The piece does require “technique”,
it’s not like playing a Bach partita, but you
do learn from playing it.
But even if I can learn from playing
it, I don’t consider this circuit is really an
“instrument”. It’s like asking a drummer:
“Have you ever thought of doing a 3-week
tour of concerts, improvising with these
other musicians, with just a triangle?” A
lot of my circuits are like a triangle. In the
right context, it’s the perfect sound, but do
you want to hear it a whole night of solo triangle music? I have made circuits that make
incredibly beautiful sounds, but I would
have to say that, generally speaking, they
have a limited range of sound and performance options. When people build analog
synthesizers, they have several different
modules, so that you can have variety. But
I only have 4 or 5 “drums”. And the way
of playing them doesn’t really give me,
as a performer, enough variation. Here’s
the problem: real musical instruments are
amazingly nuanced. You get somebody
out there with a guitar, with their voice, I
even know people who do solo snare drum
performance (maybe not triangle), and you
get so much range, so much flexibility. And
I’m sorry, I’ve been building circuits since
I was 17 years old, and I’m a pretty good
builder, but I will never be able to build a
circuit that will have the expressivity of
a snare drum. I don’t have that ability. I
simply don’t feel comfortable doing that.
Tribune
16
as it were. For example, I have this piece
called The Royal Touch, which is based on
connecting a simple circuit I built to a dead
circuit board I found in the garbage. 2 Now,
I don’t know what’s on the found circuit
board, I think it’s an input channel from
an old mixer. I know that on the one side
there are resistors and capacitors, integrated
circuits, etc. but I don’t know what’s what
or what is where. So what I do is: I just push
small contacts around on the side of the
board with the traces connecting all those
components, and I get a bunch of glitchy
sounds. I push them around some more and
suddenly you’ll hear a clear pitch. I try to
sustain it but my hands are moving a little
bit, the pitch will vanish. I move a fraction
of a millimeter, kind of rolling my finger,
trying to get the tone back or find another.
That’s basically the performance.
Now here is the thing. The oscillator
tuning is a function of two components:
One is whatever components lie between
the two contact points on the dead circuit
board, and then, inside the circuit I built each
voice has a capacitor, which sets the range
of the oscillator. When I built my circuit I
selected a capacitor for each voice, so that
one of these voices will always be too high
to hear, one will always be so low as to be
a rhythm, and the others are in between;
when they collide and interact on the board,
they modulate each other, create side bands
and other effects. I know that each voice
lies in a specific range of frequencies, I
don’t know which one is which, but I know
131
Nicolas Collins
132
Making
My newfound interest in DIY and
circuits is also strongly linked to the teaching job at the School of the Art Institute of
Chicago, which had a department called
“Sound”—not “Music” but “Sound”. It was
a very digitally-oriented school; everyone
was using computers. I often say that command-X/command-V is the most powerful
tool an artist can have. Suddenly you have
one “pencil” that you can use to edit words,
edit films, edit videos, edit sounds, edit website code, edit illustrations… It’s amazing!
But at the same time, it is a very non-physical tool. And artists, unlike composers,
generally speaking, even digital artists,
they always started messy. Everyone who
decides to go to art school started out scribbling, drawing with crayons on the kitchen
table. Maybe that will change, maybe in
10 years we’ll finally have a generation of
kids who never touched paper. But in my
students, I saw this kind of schizophrenia:
they were very electronically-oriented sonically, everything they heard was through
earbuds or speakers, none of them played
acoustic instruments, none of them listened
to concerts of acoustic music, if they went
to music events it was always clubs, so they
were immersed in electronic sounds; but
they wanted to do something with their
hands. You know, it’s like these kids had a
digital hangover: They woke up one morning and said “Too much computer, give
me a circuit!” And I gave them a circuit.
I always had little bits of circuitry in my
music, and I was always doing minor hacks
on things: no mixer or effect processors that
came into my house remained unmodified
for more than 30 seconds, I just opened
them up and changed something. But most
my attention by the end of the 1990s was
focused on software, that’s where you can
really work and get things done. Urged by
my students I looked back at what I knew
about circuitry and I thought: What of this
is relevant today? I was looking for things
computers do badly. You know, I’m sorry
if this offends people, but there’s really
no point to try building your own analog
synthesizer from scratch. I mean, come on:
A/ You can get beautiful synthesizer emulators that run on your computer and you
don’t have to carry an extra piece of luggage,
and B/ there are wonderful designers making these modules and they’re not terribly
expensive so why not just buy them? But
there are things that computers do badly,
and the performance instrument is one of
those weaknesses.
So I did this class which was mostly
making performable circuits, things that
you can really interact with directly, things
that you would touch with your skin. And
the other thing was that we made unusual
microphones. Because, again, all of my
students—and everybody else in the world—
were working with sample-based music
creation; some of the samples were computer generated sounds, but a lot of them
originated from the acoustic world. They
have to get from the acoustic world into
the electronic world. And if you can design
you own microphones, it’s like designing
your own ears: You can change the way
you hear those sounds. Some of these mics
are really simple and inexpensive to build,
so why not? Also, if you build a mike for
two euros, you’re much more willing to do
something crazy with it, like putting it in
16
1
Hacking, in American English, it
always had a meaning of sort of improvisatory solutions. And you use it in a number
of ways, you can say: “I was hacking around
the house”, which means I was doing little
repair, like “fiddling” or “tinkering”, which
often means a kind of work that’s not hugely
productive or isn’t very expert. Our vocabularies are rich with words like this because
it’s a very human activity.
There is a connection between hacking
and power that I think is very important.
When you hack the telephone system, the
telephone system is a very powerful thing.
In 1970, to be able to hack a free long-distance
telephone call from New York to England,
woah, it was probably the equivalent of a
hundred euros at that time. This is like significant power. When you got access to a big
computer system for an insurance company,
that was a million-dollar computer system
with all these data in it, it represented power.
One of the early aspect of hacking in
American culture, before the telephone, was
hot rod cars. The engine boxes of cars were
designed very conservatively, and the hole
for the cylinder had a lot of metal around
it. And if you made this bigger, the engine
would be stronger, because it was more displacement on the engine. So they begin this
movement of increasing the power of your
car by doing this machining in your home
garage. This was like circuit bending: You
From Circuitry toLive Improvisation (and back)…
Hacking
take the toy and you do thing that the factory
doesn’t want you to do. These engines represented power. In other words, there was
more power in the engine that they gave you,
because it was under-utilized. So when you
were over-drilling this, it was like making
free long-distance calls, you know, suddenly
you got the power yourself. But here is the
thing: Whether it was the hot rod people,
the phone people, or the computer hackers,
they didn’t always use the power to its fullest
extent. What was interesting for the hacker
was often just to expose that power.
Now my situation with hacking is
very similar to the hot rod car persons. I
learned a little bit of circuitry, I made a few
simple circuits, but then I would finally buy
something, I would buy a mixer or an effect
pedal. And I would look at it and say: There
is more in here than they’re letting me have.
So I would open it up and I would make a
change to give me access to something that
was there but that the manufacturer wouldn’t
let me access.
One of the things I very often did, for
example, when I bought something like a
Makie mixer was—they would have very nice
power supplies inside—drill hole in the box
and put a connector on it so I could use the
power supply of the Makie to power some
other circuit of mine. What this meant is
that I didn’t have to bring along on the road
this second big power supply that I needed
for my circuit, I used the Makie. That was
a question of simply taking something from
it. At the same time, there was this journal
called The Audio Amateur, which would
publish articles about an amplifier that you
can buy that’s quite good, but if you open it
up, and you take out these two capacitors,
and you put in these two better capacitors,
Tribune
the middle of the street and record what it
sounds like to have a garbage trunk run over
a mike—you won’t do that with a Neumann,
unless you’re a very rich person.
133
Nicolas Collins
134
you will have an even better sound. So in that
case, the hack was to improve something,
not to turn a stereo into a 4-channel amp, but
to improve its performance. When I tap the
power supply from the Makie, I’m adding
something. When I change the capacitors,
I’m improving it—both are parts of the same
hacking aesthetic.
There is a big generational change
between my father’s generation and the
generation of my students. My father was
an academic, but he was a man who grew
up in a world of mechanical things, with the
assumption that you have to understand your
mechanical world to keep it going. And the
assumption was that the world was “open”.
If you couldn’t do it yourself, maybe your
neighbor could. And now, we live in a world
where the technology is either remote—
where is “the Cloud”? I have no idea—or
it’s closed—how often have you opened up
your MacBook?
One of the things I get constantly
in my workshops is people using that cliché word empowerment. They say: It was
empowering because I never thought I could
open this thing. It’s as simple as that, a lot
of what we are doing in these workshops is
opening something: We open a radio and
we touch the circuit board; or we connect a
loudspeaker directly to a battery. It is about
opening. Even when we build a circuit, in a
sense, it’s an opening process, backwards.
Afterwards we understand what’s inside
the boxes we buy. This may be naïve on
my part—and as a New Yorker, I’m bitter
and twisted and cynical by nature—but I
think that there is a political value to giving
someone a sense of control over the material
in their life, so you don’t feel that you are
always a victim of something. I think that
one of the things about hacking that has
value that goes beyond just making weird
noises is: It makes people aware of how
things work, it either gives them a sense
that they have a little bit more control over
something that they otherwise couldn’t,
or it means that they don’t have to believe
what other people tell them. You know,
like when you’re having problem with the
cable for your television and phone support
says: “Oh, there is nothing that can be done
because the cable junction at the next block
is broken”. Then you can say: “No! They
can go to the cable junction, they can open
a box, and they can put a jumper wire in!”
And then they go: “Woah! How did you
know that?” In other words, it means that
you can challenge the people who depend
on the “closedness” of their system for control. Which gets back to “power”: as long
as the power is enclosed and is invisible,
it’s mysterious and has power over you. But
when you get access to it, you know what
the mechanism is, and you realize that it
isn’t absolute and that it has limitations.
Notes de lecture
Sommaire
136
Ewa Mazierska, Les Gillon et Tony Rigg, Popular Music
in the Post-Digital Age : Politics, Economy, Culture and
Technology, New York, Bloomsbury, 2018.
Par Loïc Riom
139
Nicolas Collins, Micro Analyses, édité et traduit de
l’anglais par Lionel Bize, Laura Daengeli, Samia Guerid,
Christian Indermuhle, Christine Ritter et Thibault
Walter, Paris, Van Dieren, coll. « Rip on/off », 2015.
Par Christophe Levaux
142
Tetsuo Kogawa, Radio-art, UV Éditions, Paris, 2019.
Par Gabriele Stera
16
Notes de lecture
1
135
Ewa Mazierska,
Les Gillon et Tony
Rigg, Popular Music
in the Post-Digital
Age : Politics,
Economy, Culture
and Technology,
New York,
Bloomsbury, 2018
Par Loïc Riom
La liste des monographies et des
ouvrages collectifs portant sur les musiques
populaires et le numérique est longue 1 .
Toutefois, la multiplication des travaux sur
136
1 On peut entre autres citer Rogers Jim (2013), The
Death and Life of the Music Industry in the Digital Age,
New York, Bloomsbury Academic ; Prior Nick (2018),
Popular Music, Digital Technology and Society,
Londres, Sage Publications ; Nowak Raphaël (2016),
Consuming Music in the Digital Age Technologies,
Roles and Everyday Life, Basingstoke & New York,
Palgrave Macmillan ; Wikström Patrik (2013), The
Music Industry : Music in the Cloud, Cambridge,
Polity Press ; Leyshon Andrew (2014), Reformatted :
Code, Networks, and the Transformation of the Music
Industry, Oxford & New York, Oxford University Press,
ou encore Philipe Le Guern (ed.) (2016), Où va la
musique ? Numérimorphose et nouvelles expériences
d’écoute, Paris, Mines ParisTech et ibid. En quête
de Musique. Questions de méthode à l’ère de la
numérimorphoses, Paris, Hermann.
le sujet provoque un sentiment un peu paradoxal : alors que ces nombreuses publications
pourraient laisser penser que la question
est désormais bien balisée, plus les comptes
rendus s’accumulent, plus il est difficile de
savoir véritablement ce qui est en jeu. D’une
part, chaque auteur semble donner un sens un
peu différent aux termes de « numérique » ou
de « numérisation ». D’autre part, les problématiques traitées semblent parfois quelque
peu s’essouffler – mutations des pratiques
d’écoute, crise de l’industrie de la musique
enregistrée, etc. – sans que de nouvelles
perspectives ne s’ouvrent réellement. Dans
un tel contexte, que peut apporter la publication d’un nouveau livre comme Popular Music
in the Post-Digital Age ? Au premier abord,
la principale contribution de cet ouvrage
collectif semble n’être que de réunir une
grosse dizaine de chapitres supplémentaires
sur un sujet déjà bien exploré. Néanmoins
l’ouvrage aborde au moins deux pistes de
recherche qui méritent notre attention. C’est
2 Strachan Robert (2017), Sonic Technologies :
Popular Music, Digital Culture and the Creative
Process, New York, Bloomsbury Academic.
Popular Music in the Post-Digital Age : Politics, Economy, Culture and Technology
1
seulement permet de dépasser certains débats
peu fertiles – comme la datation de l’entrée
dans l’« âge numérique » –, mais invite surtout à explorer les sites et les activités qui
comptent dans l’âge post-digital. À ce titre, le
sommaire du livre donne quelques idées de
ces enquêtes qui restent encore largement à
mener : la curation de playlists, l’utilisation de
la blockchain pour la gestion des copyrights,
la prescription algorithmique ou encore les
assistants vocaux personnels comme Alexa.
Ensuite, tout en étant un marqueur
temporel, le préfixe « post- » évite l’écueil
de la rupture et d’une conception du temps
peut-être trop linéaire. En posant la question
« quand est-ce qu’a commencé le présent ? »
(p. 2), les éditeurs esquissent d’autres manières
de penser la temporalité. Dans son chapitre,
Mathew Flynn reprend cette approche à son
compte (chapitre 10, « Back to the Future :
Proposing a Heuristic for Predicting the Future
of Recorded Music Use »). En analysant tour
à tour différents dispositifs d’écoute (« playback devices ») – le piano, le phonographe, la
radio –, l’auteur cherche à saisir ce qui pourrait faire le succès des dispositifs de demain.
Cette approche – presque archéologique – lui
permet de souligner une continuité parmi ces
dispositifs d’écoute : l’auditeur est progressivement libéré du « playbour » (contraction de
« play » et de « labour »), le travail nécessaire à
l’écoute. Pour Flynn, le succès des plateformes
d’écoute en ligne s’inscrirait ainsi davantage
dans le succès de la radio que dans celui du
disque, laissant potentiellement envisager
la montée en puissance à venir des assistants
vocaux.
Dans un registre proche, Patryk
Galuszka et Katarzyna Wyrzykowska s’interrogent sur l’évolution de la notion d’indépendance dans l’industrie de la musique
Notes de lecture
16
autour de celles-ci que j’organiserai mon
propos – exercice toujours difficile pour des
ouvrages qui, comme celui-ci, regroupent
des contributions très hétérogènes.
La première piste tient peut-être simplement à l’utilisation du préfixe « post- », qui
dès le titre marque l’idée d’un décalage temporel. Dans leur introduction, Ewa Mazierska,
Les Gillon et Tony Rigg précisent : « les
termes de post-digital ou de post-internet
ne se réfèrent pas à la période où les technologies numériques ou Internet cessent
d’agir ou de compter, mais, au contraire,
lorsqu’elles deviennent omniprésentes » (p. 3,
ma traduction). Pour appuyer leur propos, ils
reprennent ce que Robert Strachan 2 identifie comme la « convergence numérique » : la
superposition des différentes couches d’innovations sociotechniques qui concordent
dans certains dispositifs comme l’ordinateur personnel (auquel on pourrait ajouter
désormais le smartphone). Il me semble que
cette expression produit deux déplacements
fructueux.
D’abord, elle relègue au second plan
le vocabulaire de la transformation, de la
révolution ou du changement. Autrement
dit, en postulant l’existence d’un âge post-digital, il ne s’agit pas tellement de savoir ce
qui change et pourquoi, mais davantage
de prendre acte de la place qu’occupent les
technologies numériques et Internet dans les
mondes contemporains de la musique. Cette
prise de distance vis-à-vis d’une question
souvent omniprésente dans les travaux sur
les musiques populaires et le numérique non
137
138
(chapitre 1, « Rethinking Independence :
What Does “Independent Record Label”
Mean Today? »). lls partent du constat que
la multiplication des formes de coopération
entre majors et indés a brouillé les frontières
entre ces deux catégories de labels. En s’appuyant sur des entretiens menés avec des
professionnels de la musique en Pologne,
les deux auteurs questionnent l’évolution du
pouvoir descriptif du terme d’indépendant.
Sans en donner de définition a priori, ils
montrent comment les acteurs font évoluer
sa signification et ce que cela leur permet
de faire. Les auteurs soulignent en particulier que les petits labels utilisent l’indépendance pour se tenir en dehors d’un marché
de la musique enregistrée en acceptant, par
exemple, que leur activité soit déficitaire.
Certaines plateformes comme Bandcamp ou
Soundcloud leur permettent d’exister tout
en renonçant à ce que leurs disques soient
distribués en dehors de leurs sites Internet.
La seconde piste intéressante qu’esquisse le livre est la préoccupation pour le
futur. Dès les premières lignes de l’introduction, les éditeurs posent le « futur de la
musique » au centre de leur projet éditorial.
Si cette formulation peut paraître un peu surprenante, voire complètement étrangère au
vocabulaire des sciences sociales, il y a peutêtre ici justement une manière de renouveler
la façon de problématiser la rencontre de la
musique et du numérique. En s’appuyant
sur Jacques Attali, les éditeurs défendent
le fait que la musique a toujours été en première ligne des changements technologiques,
politiques, économiques et culturels (p. 1).
Le futur de la musique serait donc un site
d’observation privilégié des mondes à venir.
Ce projet est repris à la lettre par Paolo
Magaudda (chapitre 2, « The Future of Digital
Music Infrastructures ; Expectations and
Promises of the Blockchain “Revolution” »).
Il s’intéresse aux promesses pour la musique
de la technologie blockchain. Selon ses promoteurs, celle-ci permettrait de mettre en
place un système de redistribution de royalties
parfait et transparent. Toutefois, l’auteur souligne que ce futur encore largement à écrire
met en évidence les enjeux micropolitiques
des infrastructures nécessaires à la circulation des formats numériques : comment
fonctionnent-elles ? qui les contrôle ? quelles
idées de la musique se font les ingénieurs
qui les développent ? Il conclut que cette
technologie pourrait bien se transformer
en cauchemar et au contraire faciliter des
formes de contrôle automatisé au profit des
grandes plateformes numériques.
D’une manière un peu différente,
Emilia Barna se penche sur le futur de la
curation de playlists (chapitre 12, « Curators
as Taste Entrepreneurs in the Digital Music
Industries »). Pour ce faire, elle suit les débats
qui entourent cette activité de prescription
culturelle. Conscients de leur rôle, certains
curateurs s’interrogent sur leur activité :
comment assurer une bonne représentation
de la diversité ? Que faire de son pouvoir de
prescription ? Que faire de la compétition
pour entrer dans les playlists ? En suivant
leurs hésitations, Barna rend compte du
futur de la curation de playlists peu à peu en
train de se (re)faire et des efforts de certains
pour imaginer ce à quoi pourrait ressembler
la prescription musicale de demain.
Si, dans certains passages du livre, plusieurs auteurs jouent avec le vocabulaire de
la prédiction, voire de la prophétie, il ne faut
pas s’y tromper : il n’est pas question de jouer
aux apprentis astrologues, mais bel et bien de
faire du futur un objet d’enquête. Barna et
1
Nicolas Collins,
Micro Analyses,
Paris, Van Dieren,
coll. « Rip on/off »,
2015
Par Christophe Levaux
Compositeur issu de la mouvance
expérimentale américaine, héritier de la
culture punk ou à tout le moins d’une certaine
culture postmoderne, Nicolas Collins est
également curateur musical, professeur (à
la School of the Art Institute of Chicago),
éditeur (du Leonardo Music Journal), et
enfin auteur. Collins n’a pas seulement écrit
l’incontournable Handmade Electronic Music :
The Art of Hardware Hacking 3 , véritable
manuel du bricolage électronique sonore dont
il est l’une des figures de proue, il a également
produit une série de textes sur sa propre
œuvre ou celle de contemporains (souvent
renommés) avec lesquels il a collaboré comme
David Tudor, ou Alvin Lucier, dont il a été
l’élève au cours des années 1970. En 2015,
Rip on/off s’empare d’une partie de ces textes.
Rip on/off est un projet culturel, musical et
littéraire qui depuis 2008, vise à « promouvoir, par le biais d’édition de livres, d’organisation de performances, de conférences
et d’ateliers, le travail en art sonore effectué
par des artistes contemporains ». Les écrits
de Nicolas Collins, édités et traduits (par
Lionel Bize, Laura Daengeli, Samia Guerid,
3 Nicolas Collins (2009), Handmade Electronic Music :
The Art of Hardware Hacking, New York, Routledge.
Notes de lecture
16
Micro Analyses
Magaudda fournissent deux bons exemples de
comment, en suivant les acteurs eux-mêmes
à mesure qu’ils envisagent un futur pour la
musique, tâtonnent et esquissent les contours
des mondes qui viennent, il est possible de
penser d’une manière originale les liens entre
technologie, musique et innovation. Comme
nous l’enseignent ces deux auteurs, il s’agit bien
de redonner de la place au politique ou pour
le dire un peu différemment (et en reprenant
l’une des maximes des Science and Technology
Studies) de montrer que les choses pourraient
être autrement. Et c’est peut-être bien ici qu’on
peut trouver, dans Popular Music in the PostDigital Age, quelques (bonnes) pistes pour
tenter de ressaisir les musiques populaires
et leurs devenirs numériques.
139
140
Christian Indermuhle, Christine Ritter et
Thibault Walter), viennent ainsi s’ajouter à
la liste de textes de compositeurs (de près ou
de loin rattachés à la musique expérimentale)
tels que Zbigniew Karkowski, David Dunn
ou Leif Elggren. Souvent très brefs, toujours
pédagogiques et parfois pleins d’humour, les
textes de Collins, pour certains inédits, sont
publiés sous le titre de Micro Analyses.
Ce sont respectivement Veniero
Rizzardi et Jérôme Noetinger qui introduisent l’ouvrage. À les lire, cela ne fait aucun
doute : on se situe bien avec Collins dans la
généalogie cagienne du « tout son peut être
musical », étiré ici jusqu’au do-it-yourself et
au circuit bending, cette activité qui consiste
à court-circuiter des instruments de musique
électronique de faible tension électrique.
Micro Analyses est divisé en trois parties :
« Écouter les autres », rassemblant les écrits
de Collins sur ses collègues compositeurs ;
« Expérimenter », présentant l’analyse de
Collins de deux de ses œuvres, et enfin « Faire
soi-même », une série de témoignages sur l’activité de détournement des matériaux techniques mise en œuvre par l’auteur lui-même.
La première de ces trois parties est à n’en pas
douter la plus séduisante pour l’historien
de la musique des XX e et XXI e siècles. Riche
en anecdotes sur la scène expérimentale
américaine, elle présente d’abord un essai
sur l’évolution de la réception de Cage, du
« déni » à l’« acceptation », ainsi qu’une série
de réflexions dont on ne pourra que saluer
la perspicacité : « la suppression du goût personnel exigée par Indeterminacy remettait
en cause les principes les plus fondamentaux de leur identité et de leur valeur en tant
que compositeurs » écrit Collins au sujet
des contemporains de Cage (p. 27). « Cage
rejetait fréquemment l’improvisation sous
toutes ses formes, et ce rejet était aggravé
par la peur de nos mentors de ne pas être
pris au sérieux en tant que ‘‘compositeurs’’ »
affirme-t-il également (p. 32). Avec la même
perspicacité, Collins s’attache dans un autre
texte à identifier les concepts fondamentaux
de la musique de son ancien maître Alvin
Lucier. Sans surprise il vise en particulier
ceux qu’il fera siens dans sa propre œuvre :
la résonance et l’utilisation du haut-parleur
comme agent plutôt que comme dernière
étape de la diffusion musicale (p. 44). Plus
dispensable : un très court texte sur David
Tudor où l’amplification, et en particulier la
notion de gain, se trouve au cœur de la lecture
de Collins. On épinglera plutôt en fin de première partie cette réflexion que pose l’auteur
sur l’idée de révolution musicale. « Je me
demande maintenant si les années 1960-1970
ont effectivement représenté une révolution
conceptuelle véritable dont nous sommes
encore en train d’évaluer les répercussions
ou s’il s’agissait simplement d’un changement
parmi d’autres, de valeur plus ou moins égale,
qui ont été éparpillés sur les cinquante dernières années, éclipsés par mes souvenirs de
jeunesse. » écrit-il (p. 54). Question cruciale
s’il en est pour ce compositeur ayant frayé
avec l’avant-garde expérimentale américaine
à l’époque de ses grandes heures. Collins tente
d’y répondre lui-même avec l’aide d’autres
compositeurs ou auteurs dont on se plaît
de lire le nom : David Toop ou Kyle Gann
parmi d’autres. Si l’anthropologue ou le féru
d’épistémologie restera un peu sur sa fin à la
lecture de la méditation de Collins et de ses
collègues, l’historiographe appréciera d’avoir
accès aux questionnements (et tentatives
de réponse) que ceux-ci posent devant les
nouveaux paradigmes musicaux créés par la
croissance technologique ou internet.
1
Micro Analyses
l’échantillonnage de transmissions d’ondes
am, fm, et du bidouillage de circuits artisanaux, Devil’s Music, plus encore qu’« un
modèle précoce de techno » comme l’avait
décrit Philip Sherburne (p. 108), est une
anticipation de près de trente ans de la
Vaporwave de James Ferraro ou de Daniel
Lopatin (Oneohtrix Point Never), ce genre
qui, très précisément, a fait du sampling et de
la manipulation de sons associés à la consommation de masse sa marque de fabrique.
Troisième et ultime partie de l’ouvrage,
« Faire soi-même », vise à illustrer le travail de
détournement des technologies sonores mis
en œuvre par Collins – bien qu’on pourra au
final se demander en quoi il se départit réellement de son activité expérimentale décrite au
cours de la partie précédente. Toujours très
ludique, « détourner le lecteur cd » illustre
la manière dont Collins s’est emparé un peu
comme un apprenti sorcier du lecteur CD
afin de créer une musique évoquant « Terry
Riley, remis au goût du jour pour l’ère numérique » (p. 116). Le texte illustre également
des œuvres comme Broken Light (1991) opposant un quatuor à cordes live à un disque de
concerti grossi baroque de Corelli, Torelli et
Locatelli diffusé par un lecteur CD lui-même
piloté par les musiciens via des pédales d’effet.
« Fabriquez votre propre réverbe » poursuit
dans la même veine, plus encore sur le mode
du manuel du petit bricoleur : « Vous pouvez
en acheter un chez Radio Shack si vous êtes
pressé, mais vous paierez un supplément de
commodité, et vous devrez compter sur votre
expérience de décorticage de palourde pour
extraire le disque de son coquillage » écrit
Collins à propos des capteurs de micro contact
(p. 127). Suivent des instructions du même
acabit pour la construction des réverbes, la
réalisation de soudures. Des témoignages sur
Notes de lecture
16
La seconde partie de l’ouvrage,
« Expérimenter », s’articule autour de deux
œuvres de Nicolas Collins dont l’auteur
propose un commentaire fouillé : Pea soup,
composée au milieu des années 1970 et Devil’s
Music écrite une dizaine d’années plus tard
(et toutes deux révisées par la suite). Plus
qu’une simple analyse technique (dont on
appréciera par ailleurs la transparence et
les nombreuses illustrations), l’aperçu que
donne Collins de Pea soup laisse entrevoir le
cheminement du compositeur à la suite de sa
découverte de l’esthétique cagienne. Comme
beaucoup d’expérimentalistes de la seconde
génération, la « libération cagienne » apparait
dans le même temps pour Collins comme une
contrainte indépassable : « Le mot d’ordre de
Cage selon lequel ‘‘tout son peut être musical’’ induisait une sorte de paralysie sonore
en moi » écrit-il (p. 73). La paralysie ne sera
pourtant que momentanée : l’attention du
compositeur sur le concept de résonance et
en particulier sur le feedback (le son produit
par le haut-parleur lorsqu’un microphone
est disposé trop près de lui) puis le hacking
ont précisément trouvé leur origine dans
la motto cagien : l’amplification du silence
due au feedback produisait des sons « avec de
minimales interférences de ma part » écrit
Collins (p. 73). Et c’est en manipulant les
circuits d’un simple enregistreur cassette
qu’il créera un instrument de feedback portable
indépendant. Sous les mots de Collins, le
chemin de la découverte de Cage au hacking
en passant par le feedback semble presque
limpide. C’est le concept d’indétermination
qui en imprime sa marque. L’histoire que
livre ensuite Collins de Devil’s Music n’est
pas moins riche d’enseignements divers.
Ici, on s’étonnera sans doute du caractère
presque prophétique de l’œuvre. Résultat de
141
le passage à la programmation informatique
dont l’amateur de hacking ou de circuit bending
familier du travail de Collins se délectera
assurément. Livré avec le DVD Salvaged
présentant une série d’œuvres du compositeur, Micro Analyses s’avérera un complément
utile au Handmade Electronic Music : The Art
of Hardware Hacking ou au (déjà très complet)
site de Collins https://www.nicolascollins.
com/. Pédagogique, parfois humoristique, il
constituera également un témoignage riche
pour l’historiographe ou l’historien de la
musique des XX e et XXI e siècles.
Tetsuo Kogawa,
Radio-art,
UV Éditions, Paris,
2019
Par Gabriele Stera
142
Pendant le boom électronique des
années 1980, lorsque toutes les technologies
de communication visaient à aller plus loin
et plus vite, l’intuition radiophonique la plus
déroutante de Tetsuo Kogawa a été celle
de réduire au minimum la puissance de ses
émetteurs, en participant ainsi à la naissance
du mini-FM, un mouvement clé dans l’histoire des radios libres japonaises, qui visait
à opposer au broadcasting des mass-médias
une pratique militante et conviviale de la
radio à petite échelle. Dans cette anthologie, coordonnée par Pali Meursault pour
UV Éditions, nous trouvons une sélection
des textes les plus importants de Kogawa,
qui retrace son parcours d’artiste sonore,
radio-activiste et théoricien.
Le corps du livre est composé de deux
sections. La première, « Akiba », raconte
l’évolution du célèbre « quartier électronique »
de Tokyo, à partir des années 1960. Dans ce
fascinant récit autobiographique, Kogawa
met en évidence les rapports intrinsèques
entre les changements urbains, économiques
et culturels qui ont accompagné l’évolution
technologique du Japon post-moderne. C’est
avec un regard passionné et quelque peu nostalgique que l’auteur nous décrit son parcours
d’initiation à la construction d’émetteurs
et de récepteurs radio. Les recherches de
pièces détachées dans les junk-shops de Akiba,
l’art de la soudure et de la conception de
circuits, les ruses techniques et juridiques
de l’émission à ondes courtes sont autant de
phases d’un parcours d’apprentissage, à la
fois technique, esthétique et politique qui
fait la particularité de Kogawa.
1
4 On y trouve, parmi les autres, DeeDee Halleck,
Hank Bull, Geert Lovnik, Adam Hyde, Marcello Lorrai.
Radio-art
radio-artiste et activiste. Kogawa décrit la
radio comme un « espace polymorphe » (p. 231),
et il appelle, dans le sillage de Félix Guattari,
à une « révolution moléculaire » des systèmes
de médiation, seule manière de dépasser l’individualisme électronique créé par la société
de consommation capitaliste. À travers plus de
40 ans d’engagement artistique, de workshops
de fabrication d’émetteurs, de radio-parties et
performances collectives, Kogawa développe
une pratique artistique singulière, qui est aussi
une philosophie, une proxémique des circuits
de médiation, affranchie et exploratrice, qui
se joue à l’échelle des mains, d’un bâtiment,
d’une communauté. Le radio-art dont il nous
parle est donc bien plus qu’une pratique de
niche parmi les media-arts, c’est une voie
d’expérimentation radicale qui noue les rôles
d’ingénieur et d’artiste, de chercheur et de
hackeur, en apportant une réponse à ceux
qui, des Futuristes à Arnheim, d’Adorno à
Schaeffer jusqu’aujourd’hui, se sont demandés si un art proprement radiophonique était
possible.
Une très belle introduction de Pali
Meursault, un entretien inédit de Kogawa
à Félix Guattari, ainsi que deux textes de
John Duncan et Elizabeth Zimmerman complètent l’ouvrage. Le livre, nourri de documents photographiques et soigneusement
mis en page, se termine avec un schéma de
construction d’un mini-émetteur radiophonique conçu par Kogawa lui-même. Ce qui
confirme l’évidence que ces pages veulent
être des outils, et qu’en tant que tels, ils
appellent à une pratique. Puisque ce que
Kogawa souligne dans chacun de ses textes
est que la radio est belle « en action », dans
le déploiement de ses possibles au sein d’un
territoire et dans l’enchevêtrement de ses
potentiels dans le tissu social.
Notes de lecture
16
Dans ces pages, on découvre une
radio souterraine, radicalement militante,
constamment travaillée par des questionnements sociologiques, une radio qui sert à
créer des modèles de pensée et à favoriser la
prolifération de communautés électroniques
résistantes. La machine, vue comme prolongement du corps organique, fait l’objet d’une
« dévotion animiste post-moderne » (p. 126),
et l’acte de la fabriquer, l’ouvrir, l’hacker,
est alors un geste d’appropriation qui s’oppose au « fétichisme malsain de l’emballage »
(p. 74) et à l’asservissement aux préfabriqués
capitalistes. Ainsi on suit Kogawa à travers
l’histoire des radios libres japonaises : du
début du mouvement mini-FM à la création
de Radio Home Run, jusqu’aux nombreuses
expériences d’échange avec les activistes
européens, américains, australiens 4 . La radio,
telle que Kogawa la conçoit, est un art du corps
et des corps, un art de la transmission et de la
radiation, un « outil de convivialité » (dans les
termes de Ivan Illich) qui dépasse la fonction
de moyen de communication centralisé pour
devenir un espace d’apprentissage collectif.
C’est donc dans une démarche post-média qu’il
nous invite à « penser avec les mains », dans
l’esprit de la culture DIY, afin d’explorer la
matérialité du métal et des ondes, sans trop
nous soucier du contenu de l’émission, mais
plutôt en concentrant notre attention sur la
qualité esthétique et politique des circuits,
aussi électroniques que sociaux.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage,
on trouve une sélection des manifestes et
des articles de Kogawa, qui développent les
lignes conceptuelles de son expérience de
143
d’adaptation. Ce travail vise ainsi à penser la complexité de
l’articulation entre les notions de culture ouvrière, culture
Cultures ouvrières
et musiques
populaires en
Grande-Bretagne :
le cas des brass bands
miniers de 1945
au milieu des
années 1970
entre l’histoire sociale et les popular music studies.
Mots-clés : musiques populaires / cultures ouvrières /
fanfare, / jazz, rock’n’roll / pop music / culture jeune /
Grande-Bretagne / XXe s
Abstract: The history of British brass bands in the second
half of the 20th century is often portrayed as the symbol of a
declining working-class culture swallowed by mass culture
and other types of popular music like rock’n’roll. The case
of brass bands in British coalfields shows that if this musical
genre became more and more marginalized between 1945 and
the mid-1970s, this process was ongoing since the interwar
years and its unfolding was very complex. The use of new and
varied material—and especially oral history—highlights the
16
Par Marion Henry (Institut d'Études
Politiques de Paris)
importance of complementarities and continuities between
genres of popular music and adaptation capacities from
brass bands. The aim of this paper is ultimately to refine
Cet article a reçu le prix « Jeune chercheur » décerné par la branche francophone
d’Europe de l’International Association for the
Study of Popular Music (IASPM-bfE) pour
l’année 2018.
Résumé : L’histoire des brass bands britanniques dans la
deuxième moitié du xxe siècle est souvent mise en avant
comme le symbole d’une culture ouvrière en déclin, progressivement avalée par les forces de la culture de masse et
le succès d’autres types de musiques populaires comme le
rock’n’roll. Le cas des brass bands miniers montre que si ce
genre musical est de plus en plus marginalisé entre 1945 et
le milieu des 1970, processus qui n’est que l’intensification
d’un phénomène amorcé dans l’entre-deux-guerres, son
évolution est complexe. L’utilisation de sources variées et
inédites, et en particulier de sources orales, met en lumière
our understanding of the relationship between the notions
of working-class culture, popular culture and mass culture
and to foster the discussion between social history and
popular music studies.
Keywords: popular music / working-class culture /
brass band / jazz / rock’n’roll / pop music / youth
culture / Great-Britain / 20 th century
En juillet 2 012 , le Grimethorpe
Colliery Band, fameux brass band minier
du Yorkshire est invité à jouer lors de la
cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques
de Londres pour accompagner la fresque
historique pensée par Danny Boyle représentant le passage de la Grande-Bretagne
d’un paradis rural et bucolique à une société
Article
1
populaire et culture de masse et à contribuer au dialogue
Cultures ouvrières et musiques populaires en Grande-Bretagne…
Article
des phénomènes de complémentarité, de continuité et
145
Marion Henry
146
industrielle 1. Cette performance est particulièrement représentative de la place
ambiguë que tient ce genre musical, à la
fois marginale au sein de la culture musicale populaire britannique et centrale dans
l’expression d’une identité ouvrière symbolique. Les brass bands sont des ensembles
musicaux amateurs formés de 24 à 25 cuivres
accompagnés de percussions. Nés dans les
régions industrielles du Nord de l’Angleterre
au milieu du XIX e s., leur instrumentation
se fige à la fin du siècle dans le cadre de la
pratique de la compétition (Herbert, 2000 :
6). Ces formations musicales, qui occupent
une place centrale au sein du champ des
musiques populaires en Grande-Bretagne
jusqu’en 1914, sont progressivement marginalisées après cette date. Dans un chapitre
intitulé « What is wrong with the Brass
bands ? Cultural Change and the Brass Band
Movement, 1918-c.1964 », Dave Russell
détaille ce processus de déclin numérique
accompagné d’une perte d’influence, qui
trouve un point de non-retour à la fin des
années 1950 (Russell, 2000). S’il ne peut
donner des chiffres précis en raison de l’absence d’un registre officiel des brass bands,
l’historien estime à 2 600 le nombre de ces
formations musicales en 1913 et fait état d’un
déclin continu depuis 1918 avec des phases
d’accélération juste après la Première Guerre
mondiale et entre la fin des années 1950 et
les années 1960. Selon lui, le nombre de
brass bands aurait diminué de plus de la moitié entre 1913 et le milieu des années 1960
(Russell, 2000 : 69-72).
1 « Grimethorpe set for Olympic Opening Ceremony »,
4barsrest, 27 juillet 2012 [en ligne]. URL : https://
www.4barsrest.com/news/15553/grimethorpe-setfor-olympic-opening-ceremony
Dans une perspective héritée des
cultural studies, développées à partir des
années 1950 par Richard Hoggart, Raymond
Williams et Stuart Hall, l’histoire des brass
bands dans la seconde moitié du XX e siècle est
exemplaire du déclin de la culture ouvrière
perçue comme traditionnelle, avalée par la
culture de masse (Fontaine, 2017b). Dans
La Culture du pauvre paru en 1957, Richard
Hoggart met en avant ce genre musical comme
représentatif d’un « monde plus ancien »
(Hoggart, 1992 : 110 2). S’inscrivant dans
les renouvellements récents d’une histoire
sociale des musiques populaires (Gildart, 2013 ;
Frith et al., 2013 et 2018 ; Nott, 2002), cet
article, en se concentrant sur le cas des brass
bands liés à l’industrie minière britannique,
cherche à mettre en avant la complexité de
ce processus et à souligner l’existence de
continuités et de complémentarités entre
les genres musicaux dits traditionnels et
ceux liés à l’explosion de la culture jeune et à
l’influence des États-Unis, principalement le
jazz et le rock’n’roll. Cette démarche permet
d’interroger l’évolution des brass bands en
insistant sur la porosité de la frontière entre
tradition et modernité. Elle s’appuie sur le
recours à des sources variées et notamment
à l’histoire orale, qui permet de mettre en
lumière les expériences et trajectoires individuelles des musiciens et des musiciennes 3 .
2 L’ouvrage d’Hoggart est divisé en deux parties :
« An “Older” Order » et « Yielding Place to the New »
(« céder la place au nouveau »).
3 L’analyse repose essentiellement sur les archives
du magazine Coal publié par le National Coal Board
(N.C.B.) à partir de 1947 et qui devient le journal Coal
News en 1961 et sur une série de 14 entretiens menés
avec des musiciens de brass bands liés à l’industrie
minière (anciens employés du N.C.B. et membres de
1
leur famille) en Écosse, dans les Midlands de l’Est et
dans le Yorkshire entre juillet 2012 et juillet 2018.
4 Voir notamment le programme du colloque « Le
son et la musique au prisme des sound studies »
organisée à l’EHESS du 24 au 26 janvier 2019 : https://
www.ehess.fr/fr/conference-sound-studies.
Cultures ouvrières et musiques populaires en Grande-Bretagne…
orphéonique (Gumplowicz, 1987 ; Martino,
2016 ; Cambon, 2011).
Le cas des brass bands miniers est particulièrement intéressant car les formations musicales liées à l’industrie minière
représentent au lendemain de la guerre une
part très importante du brass band movement (Russell, 2000 : 100) et parce que les
pratiques culturelles des communautés
minières britanniques ont longtemps été
présentées comme spécifiques et archétypiques de la culture ouvrière. Cette vision
a été influencée par les travaux d’anthropologie et de sociologie des community studies des années 1950 et 1960 (Dennis et al.,
1956 ; Franckenberg, 1957) mais aussi par
l’historiographie marxiste (Arnot, 1949).
Elle a largement été critiquée à partir des
années 1980 par un ensemble de travaux
cherchant à nuancer l’unité supposée des
mineurs en mettant en lumière l’importance des expériences régionales et locales
(Campbell et al., 1996). Appréhender l’histoire de ce genre musical à travers l’industrie
minière permet également d’utiliser des
sources inexplorées par les historiens du
brass band movement et d’opérer un glissement de perspective vers des espaces aux
degrés d’urbanisation divers, alors que les
villes sont généralement au cœur des travaux qui analysent l’impact de la culture de
masse sur les musiques populaires dans la
deuxième moitié du XX e siècle (Gildart, 2013 ;
Frith et al., 2013). Au moment de la nationalisation de l’industrie minière britannique
en 1947, désormais dirigée par le National
Coal Board (N.C.B.), les brass bands sont mis
en avant comme le porte-drapeau de l’unité
des mondes miniers alors que le charbon est
essentiel à la reconstruction du pays après
la guerre (Henry, 2018). En 1945, il existe
Article
16
Cette recherche s’inscrit dans un
contexte d’essor de l’histoire sociale des
musique populaires depuis les années 1980,
alors que celles-ci sont progressivement
devenues un objet d’étude à part entière
pour les historiens grâce au développement
et à l’institutionnalisation des popular music
studies et plus récemment des sound studies
(Russell, 1993 ; Sterne, 2012). Ce dynamisme
a permis de consolider le dialogue entre les
disciplines comme l’histoire, la musicologie
ou encore l’anthropologie autour de l’objet
musical (Buch et al., 2013 ; Campos et al.,
2006 4). Cette évolution se reflète dans
celle de l’histoire du brass band movement,
qui s’attache depuis les années 1980 à inscrire davantage le genre musical dans un
contexte social, économique et culturel
(Taylor, 1979 et 1983 » ; Herbert, 1991 et
2000). Toutefois, si l’identité ouvrière des
brass bands est mise en avant, le lien entre
ces formations musicales et les secteurs
industriels est rarement exploré en détail, si
ce n’est pour la période d’avant 1930 et dans
le cas d’études régionales (Etheridge, 2014).
Le chapitre déjà évoqué de Dave Russell
sur l’histoire des brass bands entre 1918 et
le milieu des années 1960 est une donnée
précieuse, bien que les analyses concernant
la période d’après 1945 soient moins détaillées que celles sur l’entre-deux-guerres. On
peut également mentionner ici l’utilité des
travaux francophones sur le mouvement
147
Eamonn Bell
148
différents types de formations musicales
liées à l’industrie : des town bands ou publics
bands liés à une localité, des colliery bands
affiliés à une mine en particulier et des
welfare bands rattachés à un miners’ welfare
club. L’expression de « brass bands miniers »
permet de recouvrir cette diversité.
Cette étude prend en compte l’ensemble des régions minières britanniques
mais avec un regard plus précis sur une
sélection d’espaces : l’Écosse, les Midlands
le l’Est et le Yorkshire. Ce choix permet de
mettre en évidence des bassins miniers aux
caractéristiques différentes : une industrie vieillissante et touchée dès la fin des
années 1950 par le processus de désindustrialisation en Écosse contrairement aux
mines du Yorkshire et des Midlands de
l’Est, plus modernes et atteintes plus tardivement par les fermetures de puits. Cette
démarche permet également de ne pas restreindre l’analyse aux brass bands anglais,
qui sont généralement au cœur des travaux
de synthèse (Russell, 2000). La période qui
s’étend du lendemain de la Seconde Guerre
mondiale au milieu des années 1970 enserre
ce deuxième moment d’accélération du déclin
des brass bands de la fin des années 1950
et des années 1960 (Russell, 2000 : 72) et
coïncide avec une première vague de désindustrialisation qui affecte principalement
les bassins miniers d’Écosse, du nord-est et
du nord-ouest de l’Angleterre et du sud du
Pays de Galles (Phillips, 2018). Il s’agit alors
d’interroger la spécificité de ce moment
marqué par l’essor du rock’n’roll 5 , tout en
5 L’arrivée du rock’n’roll en Grande-Bretagne est
marquée par la sortie de « Rock Around the Clock »
de Bill Haley and The Comets en 1955 et « Heartbreak
Hotel » d’Elvis Presley en 1956 (Gildart, 2013 : 14).
insistant sur la continuité avec la période de
l’entre-deux-guerres. En effet, le processus
d’américanisation de la culture de masse et
de diversification des pratiques culturelles,
lié aux innovations technologiques et à la
hausse du niveau de vie est en cours depuis
les années 1920 (Fowler, 2008 ; Nott, 2002 ;
Russell, 2000). Le milieu des années 1970
marque en Grande-Bretagne le début d’une
période de stabilisation du processus de
désindustrialisation qui affecte l’industrie
minière (Phillips, 2018) et l’apparition de
nouveaux sous-genres musicaux liés aux
cultures jeunes avec le glam rock porté
par David Bowie à partir de 1972-1973 et
la musique punk (Gildart, 2013 : 16).
Une première partie de cet article
s’appuiera volontairement sur l’opposition
classiquement opérée entre les brass bands,
comme forme de musique populaire dite
traditionnelle, et le jazz et le rock’n’roll,
genres musicaux liés à l’américanisation
de la culture de masse, afin de montrer la
porosité de cette frontière et de mettre
en lumière des complémentarités et des
continuités sur le plan des pratiques. Une
deuxième partie s’intéressera aux efforts
d’adaptation des brass bands, en particulier en matière de répertoire, et soulignera
l’importance du rôle de ces dernier pour la
vie sociale et culturelle des bassins miniers
jusqu’au milieu des années 1970. Bien que
la portée de ces initiatives soit limitée, il
s’agit ici de mettre en avant la persistance,
sous certains aspects, du caractère populaire de ces formations musicales dans les
bassins miniers.
16
1
La transformation des pratiques musicales des bassins miniers britanniques liée à
l’américanisation de la culture de masse et
à l’essor des cultures jeunes s’inscrit dans
un cadre chronologique large. Depuis les
années 2000, les historiens des musiques et
des cultures populaires ont nuancé la rupture
des années 1950-1960, mise en avant notamment par Arthur Marwick (Marwick, 1998),
et ont montré la continuité avec l’entre-deuxguerres (Gildart, 2013 ; Fowler, 2008 ; Nott,
2002) voire avec la période antérieure (Faulk,
2010), alors que le concept de « culture jeune »
est désormais pensé sur le long terme (Fowler,
2008 ; Savage, 2008). Dans son analyse des
musiques populaires britanniques pendant
l’entre-deux-guerres, James Nott montre
que le processus d’américanisation est déjà
bien enclenché dans les années 1930 avec le
succès du jazz et des dance bands (Nott, 2002).
Le jazz participe du déclin des brass bands
après la Première Guerre mondiale, alors que
ceux-ci sont progressivement éclipsés par les
dance bands lors des soirées dansantes locales
(Russell, 2000). La fonction dansante des
brass bands, déjà peu importante avant 1914,
disparaît alors progressivement, rompant un
Hacking Jeff Minter’s Virtual Light Machine...
Les brass bands miniers face au jazz
de 1945 à la fin des années 1950 : une
frontière poreuse
« [Mon père] était passionné de musique et a appris
le saxophone, c’était dans les années 1940 ou au début des
années 1950 quand la musique des dance bands était à la
mode. Il a appris le saxophone et a joué dans un groupe de
6 Entretien réalisé avec Marie Smith à Stonebroom,
Derbyshire, le 19/03/18.
Article
Les brass bands
miniers face aux
« nouvelles »
musiques populaires
des liens primordiaux entre ce genre musical
et la culture jeune. À partir des années 1920,
les brass bands se concentrent alors sur les
concerts, de plus en plus souvent organisés à
l’intérieur, sur les défilés lors d’événements
sociaux ou politiques et sur les compétitions
(ibid : 86-92).
Ces évolutions se poursuivent dans les
années 1940 et 1950, alors que la présence de
militaires américains en Grande-Bretagne
pendant la guerre accroit rapidement la popularité du jazz (ibid. : 109). La concurrence
croissante du jazz pour le brass band movement est bien visible dans les bassins miniers
entre 1945 et la fin des années 1950, alors
que les dance bands locaux se multiplient et
attirent des musiciens des brass bands. C’est
le cas d’une jeune cornettiste du Shirland
Miners’ Welfare Band dans le Derbyshire,
Marie Smith, qui devient trompettiste professionnelle au sein du groupe de jazz féminin
formé par Ivy Benson, le Ivy Benson’s and
Her All Girls Band puis du Dinah Dee All
Girls’ Band entre la fin des années 1950 et
le début des années 1960 6 . Les trajectoires
inverses, quoique plus rares, existent également. Rab Wilson, ancien mineur de la
région de l’Ayrshire en Écosse mentionne le
cas de son père, saxophoniste d’un groupe
de jazz local, « The Modernaires », dans les
années 1940 et 1950 avant de rejoindre un
brass band :
149
Marion Henry
jazz très populaire qui s’appelait The Modernaires […] mais
quand il s’est marié il a abandonné le jazz et il s’est installé
ici à New Cumnock […] et s’est intéressé à la musique de
brass band, il a abandonné le saxophone 7. »
Si la proximité de l’instrumentation
entre les brass bands et les dance bands rend
possible ces va-et-vient, elle permet surtout
des formes de complémentarités de ces deux
pratiques musicales dans les bassins miniers.
Dave Russell souligne que les musiciens des
brass bands conservent souvent l’habitude
de combiner leur loyauté envers leur formation musicale d’origine et des activités
semi-professionnelles (Russell, 2000 : 107).
Les entretiens réalisés avec des musiciens de
brass bands liés à l’industrie minière montrent
en effet qu’il est fréquent pour ces individus de cumuler leur appartenance au brass
band local avec des performances au sein
d’un dance band le week-end, généralement
dans les miners’ welfare clubs. Ainsi, c’est en
accompagnant tous les week-ends son oncle
cornettiste jouer de la trompette dans les
clubs de mineurs du Derbyshire que Marie
Smith acquiert de l’expérience en tant que
musicienne de dance band avant de devenir
professionnelle. Plus tard, cette activité
ne l’empêche pas de revenir occasionnellement jouer des solos avec le Shirland Miners’
Welfare Band lors de compétitions. Elle
150
7 « He was a keen musician and he learned saxophone
and this had been like in the 1940s or in the early
1950s when dance band music and dance bands
where the thing to be in. So, he learned saxophone
and played in a very successful local jazz band called
The Modernaires (…) but when he got married he
gave up playing in a jazz band and he came here to
New Cumnock and (…) he got interested in silver
band music so he gave up saxophone. » Entretien
réalisé avec Rab Wilson à New Cumnock, Ayrshire, le
04/12/17. Toutes les traductions sont de l’auteur.
est présente en septembre 1963 lorsque son
père, Jack Fawbert, qui dirige alors le brass
band lors d’une compétition locale, décède
sur scène. Marie abandonne ensuite sa carrière de musicienne professionnelle pour
enseigner la musique aux anciens élèves
de son père 8 . Cet exemple montre bien les
complémentarités qui existent entre les brass
bands et les dance bands et qui peuvent être
mis en lumière grâce à une focalisation sur
les trajectoires individuelles plutôt que sur
les formations musicales. L’expérience de
Marie souligne en outre le rôle encore relativement peu étudié les femmes dans dance
bands professionnels et semi-professionnels
(Bailey, 2013).
Brass bands miniers et « pit pop » du
milieu des années 1950 au milieu des
années 1960 : l’impact de la culture
de masse au regard du processus de
désindustrialisation
La fin des années 1950 et le début des
années 1960 marquent une période d’accélération de la marginalisation de la musique
des brass bands en Grande-Bretagne ; comme
le note Arthur Taylor dans son ouvrage de
synthèse : « Quand les années 1960 arrivèrent
joyeusement, les brass bands se retrouvèrent
souvent amputés de musiciens, en grande
partie parce les municipalités et le public
les trouvaient désormais démodés. Le baiser de la mort dans une décennie ou tout
8 Entretien réalisé avec Marie Smith. Article du
Derbyshire Times du 20 septembre 1963, Derbyshire
Record Office, Matlock.
1
9 « Now, as the 1960s swung merrily on, the bands
often found themselves squeezed out, largely because
they were regarded by local councils, promoters and
audiences alike, as old fashioned – the kiss of death in
a decade when everything had to be new. »
10 Coal News, octobre 1963, National Mining
Museum Scotland (N.M.M.S.), Newtongrange, Écosse.
11 Coal News, mars 1964, N.M.M.S.
12 Coal News, ibid., N.M.M.S.
Cultures ouvrières et musiques populaires en Grande-Bretagne…
avant sa ressemblance avec Ringo Starr 13 .
Il convient toutefois d’utiliser ces sources
avec précaution. En tant que publication
officielle du N.C.B., le journal cherche
à donner à l’industrie minière une image
moderne en mettant en avant les pratiques
musicales des jeunes et le succès de ces
groupes doit être relativisé. Il est ainsi intéressant d’observer que la tentative du district
du Fife en Écosse de la Coal Industry Social
and Welfare Organisation (C.I.S.W.O.),
institution chargée du développement des
loisirs dans les bassins miniers, d’organiser
une compétition de groupes de beat music
lors du gala de 1965 se solde par un échec 14 .
Alors que la C.I.S.W.O. cherche à rendre cet
événement traditionnel davantage attractif
pour les jeunes, aucun groupe ne s’est porté
volontaire pour participer. Il est difficile de
savoir si cela est dû au manque de groupes
dans la région ou à une mauvaise communication de la part de la C.I.S.W.O. mais cela
nuance l’enthousiasme de Coal News sur la
portée de la « pit pop ».
Parallèlement à cet engouement pour
les musiques liées au rock’n’roll dans les
bassins miniers, les années 1960 voient les
brass bands faire face à un certain nombre
de difficultés. Ils ont alors peine à trouver
de jeunes recrues à l’instar du Bedlington
Doctor Pit Band dans le Northumberland,
13 Coal News, mars 1964, N.M.M.S.
14 Acc. 9805/186 : Collated Information, N.U.M.
Scottish Area Records, National Library of Scotland,
Edinburgh. Les galas sont des événements
politiques et culturels traditionnels des bassins
miniers marqués par un défilé des loges syndicales
accompagnées des brass bands, suivi d’un meeting
politique et d’activités culturelles et sportives. Le plus
important est celui de Durham ou « Big Meeting » qui
existe depuis 1871.
Article
16
devait être nouveau » (Taylor, 1979 : 165 9).
L’impact de l’arrivée du rock’n’roll sur les
pratiques et goûts musicaux des régions
minières britanniques est bien visible dès
la fin des années 1950, comme le souligne
Keith Gildart pour le cas anglais (Gildart,
2013). Si le magazine Coal, organe officiel
de l’industrie minière nationalisée, ne relaie
que très peu l’activité musicale qui sort
du cadre perçu comme traditionnel (brass
bands, chorales, sociétés d’opéra amateur
et pipe bands), la donne change au début des
années 1960 dans le contexte de l’explosion
de la beat music. Durant l’année 1963, de nombreux articles du magazine sont consacrés
à des groupes pop formés de mineurs ou de
fils de mineurs. C’est le cas des « Sixteen
Strings » dans la région du Tyneside 10 ,
ou de « The Detour » dans les Midlands de
l’Est 11. L’engouement est tel que le journal
crée l’expression « pit pop » (« la pop du puit »)
pour nommer le phénomène 12 . Outre la
musique, ces jeunes musiciens adoptent
également le style vestimentaire et capillaire en vogue à l’instar de George Palmer,
dessinateur industriel pour le N.C.B. dans
les Midlands de l’Est et guitariste de « The
Detour », dont Coal News s’amuse à mettre en
151
Marion Henry
dont un membre du comité se plaint du
manque d’intérêt des jeunes pour le genre
musical 15 . Le succès du rock’n’roll, dont
l’instrumentation est peu compatible avec
celle des brass bands, et plus généralement
l’attrait d’autres activités comme le sport
ou la télévision peut expliquer ce manque
d’intérêt pour une pratique musicale perçue comme démodée (Russell, 2000 : 109).
Dave Russell souligne également le manque
d’attractivité de la culture du brass band
movement centrée sur la discipline (ibid. :
110). Ces évolutions culturelles et musicales
affectent par ailleurs la popularité du jazz
et des dance bands (ibid.). Mais les difficultés des brass bands miniers pendant cette
période s’expliquent aussi par l’impact du
processus de désindustrialisation sur les
formations musicales alors qu’une première
vague de fermetures touche principalement
les bassins miniers dits « périphériques »
d’Écosse, du Nord-Est et du Nord-Ouest
de l’Angleterre et du Sud du Pays de Galles
(Phillips, 2018 : 43). Celles-ci entraînent des
transferts de main-d’œuvre vers des bassins miniers plus modernes et notamment
les Midlands de l’Est. Kevin Nicholson et
Stuart Fletcher, anciens mineurs et musiciens respectivement du Shirebrook Miners’
Welfare Band et du Creswell Colliery Band
dans le Nottinghamshire se souviennent
de l’arrivée de musiciens Écossais dans
leur brass band au début des années 1960 16 .
Si le succès des genres musicaux liés au
rock’n’roll auprès des jeunes des bassins
miniers participe fortement de l’accélération
du déclin des brass bands entre le milieu des
années 1950 et le milieu des années 1960,
il est important de mettre en regard ces
bouleversement culturels avec l’impact du
processus de désindustrialisation.
La continuité des pratiques musicales
et la coexistence des générations
entre 1945 et le milieu des années 1970
Bien que la complémentarité des pratiques soit beaucoup plus rare entre les brass
bands et les groupes de musique rock’n’roll,
il faut souligner la continuité des goûts musicaux et des pratiques comme le souligne
Andrew Goodwin dans son introduction
à une réédition de La Culture du pauvre :
« nous ne devons pas confondre l’émergence
de nouvelles pratiques et comportements
culturels avec l’éradication de ce qui existait
jusqu’alors » (Hoggart, 1992 : xxi 17). Le
succès du rock’n’roll à partir du milieu des
années 1950 n’éclipse pas non plus complètement la demande pour les dance bands et les
brass bands dans les bassins miniers, notamment grâce à la coexistence générationnelle
au sein de ces communautés. Si Jim Phillips
a montré l’intérêt de la notion de génération
pour l’histoire minière britannique d’un point
de vue social et politique (Phillips, 2019),
elle est également très utile en matière de
pratiques culturelles. Ainsi, la génération
qui atteint l’âge adulte dans les années 1920
au moment de l’explosion des dance bands,
15 Coal News, avril 1963, N.M.M.S.
152
16 Entretien réalisé avec Kevin Nicholson à
Shirebrook, Derbyshire le 21/03/18 et avec Stuart
Fletcher à Clowne, Derbyshire le 23/03/18.
17 « We should not mistake the emergence of new
cultural practices and attitudes for the obliteration of
the old ».
1
Cultures ouvrières et musiques populaires en Grande-Bretagne…
Après le jazz en début de soirée, place
à la musique pop après neuf heures du soir
avec la performance de son groupe puis à
la musique disco 19 . Ainsi, la focalisation
sur les bassins miniers permet de mettre en
lumière ces lieux spécifiques, comme les
miners’ welfare clubs locaux, où les genres
musicaux coexistent jusqu’au milieu des
années 1970. Bien que le processus de marginalisation des brass bands, continu depuis
l’entre-deux-guerres, soit bien visible au
sein des bassins miniers britanniques, le
recours à l’histoire orale et la mise en lumière
des trajectoires individuelles des musiciens
montrent l’existence de continuités et de
complémentarités sur le plan des pratiques.
Ces complémentarités existent également
en matière de répertoire alors que les brass
bands miniers tentent de s’adapter aux transformations musicales de la période.
« Tous les jeudi soir il y avait une soirée, je ne me
souviens pas de son nom officiel mais tout le monde l’appelait
“attrape une mamie”. Il y avait de la musique toute la soirée
et bien sûr on commençait avec les trucs dansants pour les
vieux ou pour les adultes tu vois, les plus vieux dansaient
toutes sortes de danses de salon sur du jazz. C’est pour ça
qu’on appelait ça “attrape une mamie” 18 ! »
18 « On Thursday night, they had a night on Thursday
night em I don’t remember its official name but
everybody called it “Grab a Granny” (…) So it was a
full night music, and of course it started with, you
know dancing for the old folks or the middle age folks,
you know see these older guys and women there
doing all the kind of ball room dances with the jazz
band, so that was why they called it “Grab a Granny”
you know ! » Entretien réalisé avec Rab Wilson.
19 Entretien réalisé avec Rab Wilson.
Article
16
désormais âgée de plus de soixante ans
dans les années 1960-1970, coexiste avec
une génération adulte, qui a grandi dans les
années 1940-1950 avec le renouveau du jazz
et l’émergence du rock’n’roll et une génération plus jeune, qui vit sa jeunesse au son
du rock’n’roll. Si les plus jeunes bénéficient
d’espaces et de médias pour développer leur
culture musicale propre (Gildart, 2013), les
miners’ welfare halls, où sont souvent organisés
des soirées dansantes le week-end, demeurent
des points focaux des communautés minières,
réunissant ces différentes générations. Ces
événements donnent ainsi la possibilité aux
musiciens des brass bands de continuer à se
produire au sein de dance bands. Les sources
montrent en effet que ces soirées voient souvent se succéder plusieurs genres musicaux
en fonction de l’heure. Cela conduit soit à
l’aménagement du répertoire par le groupe
qui anime la soirée, soit à la succession de
plusieurs groupes. Rab Wilson, musicien du
New Cumnock Silver Band et d’un groupe de
pop local nommé Midnight Express, relate
ainsi le déroulement des soirées dansantes
surnommées « Grab a Granny » (littérale
ment « attrape une mamie ») organisées à
d’Ayr en Écosse tous les jeudis soir dans les
années 1970 :
153
Marion Henry
La persistance
du caractère
« populaire » des brass
bands dans les bassins
miners britanniques
La capacité d’adaptation des brass
bands aux transformations culturelles
154
S’intéresser plus précisément au répertoire des brass bands, loin de constituer un
ensemble homogène, permet également
de montrer les circulations entre ce genre
musical et la culture de masse et de souligner
la capacité d’adaptation de ces formations
musicales. Ce répertoire est très composite
dans la deuxième moitié du XX e siècle et comprend à la fois des adaptations de morceaux de
musique classique, des pièces spécialement
composées pour les brass bands, des adaptations de chansons populaires, des marches
d’inspiration militaire et des hymnes religieux (Russell, 2000 : 94). Il varie également
en fonction du type de performance des
brass bands, entre compétition d’un côté et
concerts ou défilés de l’autre. Si l’évolution du
répertoire des compétitions est bien étudiée
et montre la montée en puissance des pièces
composées spécialement pour les brass bands
et la progression vers un public de plus en
plus spécialisé (ibid. : 96), le cas des concerts
et des défilés, événements à l’audience plus
large, est moins connu. Généralement, et au
moins jusqu’aux années 1950, le programme
des concerts est fidèle à la structure établie
par le modèle victorien : une marche suivie
par une ouverture et une sélection de pièces
d’opéra afin de plaire aux intérêts différents
du public (ibid.). À partir des années 1950, les
sources étudiées pour le cas des brass bands
miniers montrent une relative ouverture
de ces formations musicales aux morceaux
de musique populaire contemporains. Les
échanges entre les brass bands et le jazz sont
notamment bien visibles sur le plan du répertoire alors que certains standards de jazz
sont adaptés et interprétées par les brass
bands miniers lors de concerts. Ainsi, Danny
Buchanan, ancien mineur du Fife en Écosse
et musicien du Cowdenbeath Silver Band,
se souvient de jouer régulièrement « On the
Sunny Side of the Street », suscitant ainsi l’enthousiasme du public dans les années 1960 20 .
En outre, les entretiens oraux mettent en
évidence la place des musiques de film dans le
répertoire des brass bands. Danny Buchanan
souligne également que le Cowdenbeath
Silver Band jouait souvent des morceaux
de La Mélodie du bonheur (1965) et de Mary
Poppins (1964) dans les années 1960 21. De
même, une musicienne du Shirland Miners’
Welfare Band dans le Derbyshire raconte
avoir joué une adaptation de « Bohemian
Rhapsody » de Queen dans les années 1970 22 .
Sur le LP du Shirland Miners’ Welfare Band
intitulé Music For You et enregistré en 1976,
20 Entretien réalisé avec Danny Buchanan à Perth,
Tayside le 14/12/17. « On the Sunny Side of the Street »
est une chanson populaire composée par Jimmy
McHugh en 1930 devenue un standard de jazz.
21 Entretien réalisé avec Danny Buchanan.
22 Entretien réalisé avec une musicienne du
Shirland Miners’ Welfare Band (anonyme) à Matlock,
Derbyshire le 20/013/18.
1
25 « Most of the concerts that I had in the 1960s with
Whitwell before I went to Creswell they all… you got
to play em… you know Gilbert O’Sullivan things like
that […] ‘cause people wanted it. » Entretien réalisé
avec Stuart Fletcher. Gilbert O’ Sullivan est un auteurcompositeur et interprète irlandais particulièrement
populaire au début des années 1970.
26 BBC Light est devenue BBC Radio 2 en 1967.
L’émission « Listen to the Band ! » s’est arrêtée
définitivement en mai 2018. Voir le catalogue
historique des programmes de la BBC en ligne :
https://genome.ch.bbc.co.uk/.
23 « Sweet Gingerbread Man » est une chanson dont
la mélodie a été composée par Michel Legrand et les
paroles écrites par Alan Bergman et Marilyn Bergman
pour le film The Magic Garden of Stanley Sweetheart
de Leonard Horn datant de 1970.
Cultures ouvrières et musiques populaires en Grande-Bretagne…
24 Shirland Miners’ Welfare Band, Music For You,
1976 (source privée).
exceptionnel et l’entrée de la musique de
brass band dans le marché de la musique pop
demeure très rare. La BBC joue toutefois un
rôle important dans la diffusion de ce genre
musical après 1945. Après la guerre et jusqu’au
milieu des années 1950, de nombreux programmes radiophoniques sont consacrés aux
brass bands. Ce dynamisme est en partie dû à
l’action d’Harry Mortimer, figure éminente
du brass band movement comme directeur des
programmes de musique de brass et militaire entre 1942 et 1964 (Russell, 2000 : 94 ;
Newsome, 2006 : 187). L’émission musicale
hebdomadaire « Listen to the Band ! », diffusée
à partir de 1943 sur BBC Home Service puis
sur BBC Light à partir de 1958 26 , est particulièrement populaire (Newsome, 2006 :
187). À partir de 1956, des brass bands sont
invités à accompagner des orchestres de
la BBC et des chanteurs star pour le programme « Friday night is Music Night » (ibid. :
188). Toutefois, le nombre de programmes
dédiés à ce genre musical décline à partir
de la fin des années 1950. Roy Newsome
compte plus de 300 émissions avec 83 brass
bands en 1955 contre respectivement 230 et 67
en 1960 (ibid.) et la tendance se poursuit dans
les années 1960 et 1970. Le départ d’Harry
Mortimer de la BBC en 1964 porte également
un coup à la présence du genre musical sur
les ondes (ibid. : 192). De manière générale,
il convient de souligner que cette capacité
d’adaptation aux transformations technologiques est plus aisée pour les brass bands les
plus prestigieux, qui bénéficient de davantage
Article
16
on trouve aussi bien une adaptation de la
chanson populaire « Sweet Gingerbread
Man 23 » que l’ouverture du Barbier de Séville
de Rossini ou encore l’hymne religieux
« Belmont » datant de 1854 24 . Il s’agit alors
de s’adapter à la demande du public comme
le montre cette citation de Stuart Fletcher,
ancien mineur et musicien du Whitwell
Colliery Band et du Creswell Colliery Band
dans le Nottinghamshire : « À la plupart des
concerts que j’ai fait dans les années 1960
avec Whitwell avant d’aller à Creswell… il
fallait jouer euh… tu vois Gilbert O’ Sullivan
des choses comme ça […] parce que c’était
ce que les gens voulaient 25 . »
Ces tentatives d’adaptation et d’appropriation de la part des brass bands miniers sont
également visibles sur le plan des pratiques
après 1945, alors que ceux-ci cherchent à
embrasser les innovations technologiques :
enregistrements de LP, passages radiophoniques et télévisuels (Russell, 2000 : 93). Un
cas emblématique est celui du Brighouse and
Rastrick Band dans le Yorkshire qui atteint la
seconde place des charts du Royaume-Uni en
novembre 1977 avec son titre « Floral Dance »
(Taylor, 1979). Cet exemple reste néanmoins
155
Marion Henry
de couverture médiatique 27. Ces initiatives
ne permettent par ailleurs que très rarement
aux brass bands d’obtenir une audience plus
large que le public spécialisé (Russell, 2000 :
94). Si ces efforts ont leurs limites, ce point
permet néanmoins de souligner que les brass
bands ne sont pas hermétiques à la culture de
masse et qu’ils ne sont pas simplement des
acteurs passifs des bouleversements culturels
de la deuxième moitié du XX e siècle.
Une fonction culturelle et sociale
importante dans les bassins miniers
La question de l’éducation musicale
au sein des régions minières britanniques
permet de mettre en évidence la persistance
du rôle des brass bands jusqu’au début des
années 1970. L’analyse des sources, et en
particulier des entretiens, montre l’existence
d’un solide réseau de musiciens pour l’enseignement de la musique, au cœur duquel on
trouve d’abord la famille. L’apprentissage
d’un instrument de brass a souvent une origine familiale dans les bassins miniers et les
musiciens débutent souvent très jeunes. C’est
le cas de Marie Smith, fille d’un musicien
du Shirland Miners’ Welfare Band dans le
Nottinghamshire qui apprend le cornet à
piston à l’âge de trois ans, en 1945 et joue son
premier solo lors d’une compétition à l’âge
de cinq ans 28 . Pour ceux qui n’apprennent
27 Les brass bands forment un ensemble
très hiérarchisé reposant sur la pratique de
la compétition. Ils sont répartis en différentes
sections en fonction de leur niveau, de la plus haute
(championship section) à la plus basse (quatrième
section).
156
28 Entretien réalisé avec Marie Smith.
pas la musique dans un cadre familial, l’école
joue un rôle important, en particulier à
partir des années 1950 et 1960, l’institution
scolaire encourage le développement des
junior bands et la formation d’un vivier de
jeunes musiciens, à un moment ou le brass
band movement peine par ailleurs à recruter.
Les créations de la National School Brass
Association et du National Youth Brass Band
en 1952 s’inscrivent dans cette dynamique
(Russell, 2000 : 75-77). Si le rôle des écoles
est important, celles-ci s’appuient généralement sur l’enseignement des musiciens des
brass bands locaux, souvent bénévoles. Rab
Wilson, qui apprend le cornet à piston dans
les années 1960, se souvient ainsi d’Hugh
Johnstone, qui a enseigné la musique à bon
nombre de musiciens de brass bands juniors
de l’Ayrshire en Écosse 29 . Marie Smith
quant à elle, a commencé à enseigner la
musique quand elle avait 21 ans en plus de
son activité professionnelle et continué
pendant plus de trente ans 30 . Entre ses 8
et 15 ans, elle a pu bénéficier de leçons de
la part d’un musicien professionnel mais
celles-ci ont un coût qui en limite l’accès et
rend indispensable l’existence de ce réseau
de solidarité 31. Les brass bands conservent
ainsi un rôle culturel important au sein des
bassins miniers britanniques, permettant
aux plus jeunes de pratiquer un instrument.
Outre la formation musicale, ce réseau permet aussi de fournir des instruments aux
nouveaux musiciens par un système de prêt.
29 Entretien réalisé avec Rab Wilson.
30 Entretien réalisé avec Marie Smith.
31 5 shillings pour la leçon et 2,5 shillings pour le
bus jusqu’à Sheffield dans le cas de Marie dans les
années 1950.
ments et nous avons formé un groupe. Quelqu’un est parti
et […] c’est comme ça que j’ai pu avoir l’instrument que j’ai
aujourd’hui. Le directeur est venu me voir et a dit “Oh tu
voulais rejoindre le brass band n’est-ce pas ?” J’ai dit “oui”
et il a dit “viens avec moi” et m’a donné ce tuba avec lequel
je joue toujours 32 . »
16
1
Enfin, les brass bands conservent plus
largement une fonction sociale importante
dans les bassins miniers jusqu’au début des
années 1970. Dans cette perspective, le
cas des communautés minières permet de
fortement nuancer l’idée d’une séparation
progressive entre brass bands et vie sociale,
telle qu’elle a été mise en évidence par Dave
Russell (Russell, 2000 : 77). Dans les bassins
miniers, les brass bands ne sont pas seulement
des acteurs culturels, ils ont également une
fonction sociale et politique qui est visible
lors d’un certain nombre d’événements.
L’exemple le plus parlant est sans doute celui
des galas annuels organisés dans les différents
bassins miniers et très populaires jusqu’au
milieu des années 1970. Il convient toutefois
32 « I started playing at school. […] Creswell band
started a junior section […] they provided instruments
and we started the band. Somebody left and […] that’s
when the instrument that I got came available. The
headmaster came ‘round and said “Oh you wanted
to join the band, didn’t you ?” I said “yes” and he said
“well come with me” and he gave me this tuba and I
played it ever since. » Entretien réalisé avec Stuart
Fletcher.
Cultures ouvrières et musiques populaires en Grande-Bretagne…
« J’ai commencé à jouer à l’école […] Creswell Band
avait lancé une section junior […] ils fournissaient les instru-
de souligner que la popularité des galas a
sans doute décliné au cours de la période
et parallèlement au processus de désindustrialisation comme le note Martin Bulmer
dans son analyse sociologique des communautés minières de la région de Durham à
la fin des années 1970 (Bulmer, 1978 : 157).
Malgré ce déclin, les brass bands continuent
de jouer, et ce jusqu’à aujourd’hui, un rôle
important lors de ces événements, alors que
le défilé des brass bands avec les loges et les
bannières syndicales demeure l’un des temps
forts du gala, recréant symboliquement des
communautés minières affectées par le processus désindustrialisation. Cette fonction
sociale et symbolique est fondamentale pour
comprendre la persistance de l’attrait pour
les brass bands pendant la période comme le
souligne Rab Wilson :
« Je suppose que c’est quelque chose de social
[…] faire partie d’un groupe social établi… il y a un attrait
pour cela, surtout quand tu as entre 12 et 15-16 ans […] tu
veux faire partie d’une bande, d’un groupe […] et les brass
bands […] recréent vraiment ça […]. Tu as l’impression de
faire vraiment partie de ce groupe, de cette identité, il y a
l’identité du groupe mais aussi […] l’unité sociale du groupe
d’un village en particulier 33. »
C’est la capacité des brass bands à recréer
l’unité sociale des communautés minières
qui peut expliquer la spécificité du cas des
33 « I suppose it’s a social thing, […] being part of an
accepted social group … there’s an attraction to that,
especially when you’re the age of say 12 and 15-16
[…] you want to be part of a gang, a group […] and …
that’s where bands […] are very much like that […] You
feel very much part of that group that identity, there’s
the identity of the band but there’s also […] the social
unity of the band from a certain village ». Entretien
réalisé avec Rab Wilson.
Article
Quand un brass band acquiert de nouveau
instruments, les anciens servent souvent
aux junior bands comme le souligne Stuart
Fletcher pour le Creswell Colliery Band
dans les années 1960 :
157
Marion Henry
158
brass bands miniers et la persistance de leur
rôle politique et social, bien que principalement symbolique.
A insi, le cas des bassins miniers
montre que la ma rg ina lisation de la
musique des brass bands en Grande Bretagne
entre 1945 et le milieu des années 1970 est
un processus complexe fait de complémentarités, de chevauchements et de tentatives
d’adaptation. Les outils de la méthode
historique, et en particulier l’utilisation
des sources orales, permettent de mettre
en lumière la diversité des expériences
et des trajectoires individuelles. Il s’agit
ainsi de ne pas considérer les brass bands
comme des acteurs passifs, avalés par ces
changements mais d’historiciser l’analyse
afin de penser les continuités et les ajustements au même titre que les ruptures et les
révolutions. L’objectif de cet ancrage dans
un contexte social particulier est de montrer
la complexité que recouvrent les notions
de « musique populaire » et de « culture
populaire » en général. Dans son compterendu de l’histoire du brass band movement
au xxe s., Dave Russell explique que les
brass bands ont été une victime précoce
de la culture de masse parce qu’ils n’occupaient pas une position centrale au sein
de la culture ouvrière (Russell, 2000 : 121).
Il compare cette position à celle d’autres
institutions qu’il ne mentionne cependant
pas. Pense-t-il aux syndicats ou aux partis
politiques ? Nous dirons au contraire que
les brass bands jouent un rôle éminemment
social et politique et qu’il est important
de continuer à faire dialoguer l’étude des
musiques populaires avec l’histoire sociale.
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Colloque ACEMUP, 4 e édition, 12 avril 2019
Colloque ACEMUP,
4e édition,
12 avril 2019
Par Eva Nicolas
16
1
Permettre aux étudiants de présenter
leurs travaux dans un cadre encourageant
les échanges interdisciplinaires avec des
pairs et des chercheurs expérimentés, tel
était l’objectif de cette 4e édition du colloque
étudiant consacré aux musiques populaires
organisé par l’ACEMUP le 12 avril 2019.
Visant également à favoriser les liens entre
sphères académique et professionnelle, la
journée d’étude s’est déroulée au sein du
FGO-Barbara, un établissement dédié à la
pratique et à la diffusion musicale à Paris.
La première session du colloque a été
consacrée à appréhender les musiques populaires au prisme du genre. La présentation
d’une étude de cas sur la fabrication des
clips de rue dans le rap de Baton Rouge aux
États-Unis a ouvert la discussion autour de
cette thématique. Analysant le rôle à la fois
marginal et central des femmes, Guillaume
Echelard a montré en quoi le tournage de
clips est un moment où les rapports de genre
sont performés et négociés. Étudiant la scène
féminine, féministe et queer dans le rap
en France, Tiffanie Marsaud a étendu la
réflexion en s’intéressant à la question de
l’auto-définition des artistes féminines face
aux constructions sexistes du rap. La présentation de son travail a permis de mieux
comprendre en quoi les traditions de contestation dans le hip-hop ouvrent un espace
propice aux revendications des artistes féminines. Dans une troisième communication,
Laure-Hélène Swinnen a abordé la problématique des genres au travers des images de
la femme dans le reggae véhiculées par les
médias et la façon dont les publics féminins
s’approprient cette image.
La question de la circulation des
musiques au sein de différents espaces a
ensuite été au cœur de la deuxième session
de cette journée. S’intéressant aux artistes
de rap algériens travaillant en France, Yacine
Khiar a apporté des éléments de compréhension sur les processus de création d’artistes
en migration. À travers le cas du rappeur
Youss dont le studio d’enregistrement se
trouve au sein de son appartement à Paris,
Compte rendu
Compte rendu
161
Eva Nicolas
162
il a mis en lumière la manière dont l’espace
de création interfère avec le processus de
production musicale. L’appartement de
Youss, fonctionnant comme un lieu de vie
à l’image du « quartier » défini au sens algérien, impacte sa création en maintenant les
liens, avec un certain aspect nostalgique,
entre l’artiste et la culture de son territoire
d’origine. Selon une approche musicologique,
Sébastien Lebray a également constaté l’influence des espaces investis par les artistes
sur leur travail de création. Il y a adjoint
la notion d’espace partagé par plusieurs
artistes comme facteur d’influence sur la
production d’une esthétique musicale commune. Son analyse lui permet d’éclairer la
problématique de son travail portant sur la
désignation d’un style musical par son origine
géographique, et plus spécifiquement sur le
cas de la French Touch, en relevant des spécificités esthétiques musicales liées aux aires
géographiques fréquentées par des réseaux
d’artistes qui leur sont propres. La notion de
territoire a ensuite été abordée par Coline
Calix dans sa dimension d’espace construit
et façonné par des dispositifs performatifs
constitutifs d’un événement festif au rayonnement régional. Ainsi, le concours, le défilé
et les fêtes du festival El Porro Pelayero en
Colombie ont été analysés de manière à
rendre compte de la façon dont les festivaliers
vivent les pratiques musicales, habitent et
s’approprient le territoire, et dont le festival
permet de construire une identité musicale
fédératrice. La session s’est terminée par
l’intervention de Claire Fraysse qui, dans une
analyse musicologique précise et technique,
nous a expliqué la manière dont la chanson
« You Can Call Me Al » de Paul Simon peut
être considérée comme étant à l’origine de
l’émergence d’une « musique-monde ». En
incorporant des sonorités étrangères au
public occidental de 1986 à un style musical
pop, l’artiste participe à l’invention de ce qui
peut être qualifié de World Music.
La journée s’est terminée par une
troisième session dédiée à la réception et
à l’appropriation de la musique selon différentes dimensions. Une approche historique a d’abord été présentée par Manuel
Boquier dont le travail porte sur la réception
de la old-time music aux États-Unis pendant
l’entre-deux-guerres. L’analyse d’un corpus de lettres d’auditeurs envoyées aux
artistes Bradley Kincaid et John Dair dont
les musiques étaient diffusées à la radio a
permis de mieux caractériser le public de ces
musiques et de comprendre la perception de
celles-ci par ceux qui l’écoutaient. La seconde
intervention consistait en une étude musicologique des textes de chansons folk américaines et britanniques de la seconde moitié
des années 1960. Dans ses travaux, Marion
Brachet cherche à comprendre les enjeux
des récits et leur évolution avec l’arrivée et
le développement du rock. Sa présentation
a notamment mis en avant deux types de
récit, l’un à caractère littéraire et poétique,
ayant une portée relevant de l’intime, l’autre
à caractère politique et militant, ayant une
portée collective. Le croisement entre ces
deux types de récit est alors à questionner.
La notion de croisement, d’hybridité, se
retrouve également au sein du travail de
Victor Dermenghem qui s’interroge sur
les liens et ruptures entre la notion de goût
et de pouvoir en prenant le cas de la deconstructed music. Les artistes de ce style de
musique électronique dont la diffusion se
fait essentiellement par Internet cultivent
une certaine pratique de l’hybridité entre
musiques underground et mainstream.
1
Colloque ACEMUP, 4 e édition, 12 avril 2019
questionner le sens du terme « popular ». Cette
mise en regard avec la recherche anglophone
a été l’occasion de revenir sur la polysémie du
terme « populaire » en France. Contrairement
à l’acception anglaise qui peut renvoyer aussi
bien à la chanson comme objet d’étude interdisciplinaire, comme produit phonographique
et commercial, comme pratique esthétique
ou encore comme discours social et politique,
la définition de cette expression est encore
floue pour les chercheurs français. La notion
d’identité nationale portée par l’idéologie
républicaine et le regard curieux et méprisant
posé par les gens de lettres sur les pratiques
du peuple par le passé auraient participé à
la difficulté d’appréhender aujourd’hui la
notion de « populaire » de façon claire et
unifiée. Présentant une partie de ses travaux concernant la production et la réception des chansons disco de Dalida, Barbara
Lebrun a ensuite questionné la différence
de valeur accordée à la « chanson à texte » et
à la « variété » au prisme de cette approche
plurivoque de la « musique populaire ».
Compte rendu
16
Comme proposé par l’ACEMUP
depuis la première édition du colloque, les
communications étudiantes ont été enrichies
par l’intervention d’un chercheur confirmé.
Pour cette 4 e édition, Barbara Lebrun
(Maître de conférence au département de
civilisation française et francophone de
l’Université de Manchester) a été invitée à
présenter son approche théorique et méthodologique de l’objet « musique populaire ».
Ses recherches menées dans le cadre anglophone permettent de comprendre le regard
posé par les chercheurs britanniques sur la
façon dont les Français conceptualisent la
« culture populaire ». L’expression « popular
music » est utilisée de façon consensuelle
dans le monde anglophone et fait référence
à une conceptualisation qui reconnait et
valide, dans une certaine mesure, toutes les
pratiques culturelles, qu’elles soient issues ou
non de moyens de production et de diffusion
passant par l’industrialisation, par des ventes
en masse, etc. Pour autant, Barbara Lebrun
précise que cet aspect consensuel n’empêche
pas les chercheurs britanniques de continuer à
163
À propos de l’ouvrage Made in France, Studies in Popular Music
Tribune
1
Par Denis-Constant Martin (Les Afriques
dans le monde, Sciences Po Bordeaux)
Destinée en priorité à un lectorat anglophone, cette collection d’essais rassemblés par
Gérôme Guibert, maître de conférences en
sociologie à l’université Sorbonne Nouvelle –
Paris III (UFR Arts & Médias, département ICM) et Catherine Rudent, maître
de conférences HDR à Paris IV Sorbonne
(UFR de musique et musicologie), captivera au moins autant les francophones qui
s’intéressent aux musiques qualifiées de
« populaires 1 ». Les deux directeurs ont été,
depuis les années 1990-2000, les chevilles
ouvrières des recherches françaises en ce
domaine : le premier est notamment l’un des
fondateurs de Volume ! La revue des musiques
populaires 2 qui est devenue le forum indispensable de diffusion des travaux et des débats
portant sur les innombrables aspects de ce
champ ; la seconde est, outre ses fonctions
d’enseignante-chercheuse, membre fondatrice de la branche francophone d’Europe de
1 Il constitue un contrepoint et une mise à jour
d’un volume rédigé en presque totalité par des
anglophones, publié quinze ans auparavant : Dauncey
& Cannon (2003).
2 Voir : https://journals.openedition.org/volume/
(consulté le 30 octobre 2018).
Tribune
16
À propos de
l’ouvrage Made in
France, Studies in
Popular Music
Sous la direction de
Gérôme Guibert et
Catherine Rudent,
Abingdon &
New York,
Routledge, 2018,
coll. « Routledge
Global Popular
Music Series »
165
Denis-Constant Martin
l’IASPM (The International Association
for the Study of Popular Music 3) et responsable du Centre de recherches sur les
musiques populaires dans le cadre de l’IReMus (Institut de recherche en Musicologie) ;
ils cumulaient donc des compétences et des
réseaux permettant de réunir un certain
nombre de celles et ceux qui étudient ces
objets et de sélectionner quelques-uns des
thèmes qui sont aujourd’hui en discussion.
De fait, cet ouvrage 4 se révèle intéressant
à, au moins, un double titre : d’une part, il
présente un panorama des musiques « populaires » françaises et analyse leurs évolutions
depuis le début des années 1960 ; de l’autre,
il retrace l’histoire des recherches sur les
musiques populaires en France et met en
lumière les approches qui y ont dominé, les
thèmes les plus fréquemment abordés. De ce
fait, il ne manque pas de soulever plusieurs
questions d’analyse. L’ouvrage est organisé
en quatre parties, introduites et mises en
perspective par Gérôme Guibert et Catherine
Rudent 5 , qui abordent : les mutations de
la musique populaire française durant les
« trente glorieuses » ; la politisation de la
musique populaire ; la spécificité française
nourrie d’assimilations et d’appropriations ;
3 Dont le premier colloque, en 2007, s’interrogeait
sur l’existence d’une « exception francophone » dans
les études sur les musiques populaires, interrogation
renouvelée dans le présent ouvrage ; voir : Looseley
(2006).
4 Qui prolonge et complète le dossier « French
Popular Music, Actes du Colloque de Manchester »,
Volume ! La revue des musiques populaires, no 2-2,
2003.
166
5 Chaque chapitre est suivi d’une bibliographie
propre et le volume propose également une
bibliographie sélective à la fin.
les thèmes actuels de la sociologie française
des musiques populaires, des enjeux numériques à la notion de patrimoine culturel.
Sans reprendre strictement ce découpage, je
voudrais regrouper les apports de ce volume
sous quatre rubriques : l’histoire des musiques
populaires en France depuis le début des
années 1960 ; le développement des études sur
les musiques populaires en France ; les thèmes
de recherche qui y ont été privilégiés et les
pistes analytiques qui s’en dégagent.
Made in France présente pour l’essentiel des musiques qui sont apparues en
France à partir des années 1960, succession
de genres dans laquelle les mélanges et les tuilages furent intenses : la chanson française,
le yé-yé, le rock (y compris le heavy metal
et le punk), le free jazz (un peu décalé par
rapport aux autres genres ici traités) et les
musiques électroniques. Dans cet enchaînement, le yé-yé représente un tournant parce
que, derrière la réplication puis l’adaptation
de modes étrangères (pop anglaise, rock étatsunien), il exprime en France « une mutation
culturelle profonde » (Matthieu Saladin : 23),
résultant, selon Edgar Morin 6 , à qui renvoie Florence Tamagne (39), d’une prise de
conscience par les jeunes de l’appartenance
à une classe d’âge dotée d’un pouvoir économique. Cette mutation marque au début
une fracture de classe opposant les amateurs
de « variété française » (collégiens issus de
la classe ouvrière) aux adeptes du yé-yé et
du rock anglo-étatsunien (lycéens, étudiants venant des classes moyennes et de
la bourgeoisie) (Gérôme Guibert : 7), à qui
6 Edgar Morin, « On ne connaît pas la chanson »,
Communications, 6, 1965 : 1-9 et « Salut les copains »,
Le Monde, 6 et 7 juillet 1963, reproduits dans Morin
(1994).
1
7 Pour illustrer cette assertion, l’auteur cite p. 30
la conclusion de la reprise en français du « What’d I
say ? » de Ray Charles (« Est-ce ce que tu le sais ? »)
par Sylvie Vartan : « Que faut-il faire dans la vie pour
dénicher un gentil mari ? ».
8 Voir : https://www.persee.fr/collection/vibra
(consulté le 30 octobre 2018).
À propos de l’ouvrage Made in France, Studies in Popular Music
anglophones. Dans son introduction,
Gérôme Guibert rappelle la difficile émergence de l’étude des musiques populaires au
sein des universités françaises. Les premiers
travaux s’intéressèrent surtout aux paroles
des chansons (Calvet, Brunschwig & Klein,
1972) ; ensuite, au milieu des années 1970,
Antoine Hennion commença, au Centre
de sociologie de l’innovation de l’École des
mines à Paris (et non dans un département
universitaire), à étudier l’économie du disque
(Hennion, 1975 ; Hennion & Vignolle, 1978),
avant de jeter les bases d’une « musicologie
du social » (Hennion, 1982) et de s’intéresser aux amateurs et à leurs goûts (Hennion,
1999). En 1985, il participa au lancement
de la première revue française à comité
de lecture consacrée à l’étude scientifique
des musiques populaires : Vibrations 8 qui
ne publia que sept numéros de 1985 à 1991
mais préfigura Volume ! où, à partir de 2002,
se manifesta la diversité des thèmes et des
approches caractérisant les travaux français
sur les musiques populaires. Des enseignements spécialisés furent ensuite proposés
dans les universités de Paris IV et Paris X
(Anne-Marie Green qui publia également
des études pionnières [Green, 1986, 1993,
1997 et 1998]), de Bourgogne (Philippe
Gumplowicz) et de Paris I (Séminaire
« Histoire et théorie des chansons », dirigé
par Christian Marcadet) et de Paris VIIISaint Denis (Denis-Constant Martin),
permettant à des étudiants de rédiger des
mémoires et des thèses dont le nombre s’est
considérablement accru au X XI e s. Malgré
cette dynamique, il n’en reste pas moins que,
Tribune
16
sont proposés de nouveaux « modèles »
incarnant des valeurs anciennes (Matthieu
Saladin : 30 7). Le rock, au contraire, est
interprété dans les milieux conservateurs
comme la manifestation chez les jeunes de
comportements pathologiques et la presse
construit, pour en souligner la dangerosité,
un triptyque blousons noirs – délinquance
juvénile – rock‘n’roll (Florence Tamagne :
35). Pourtant, l’industrie du disque assure
la diffusion du rock par les microsillons
(45t singles, 33t 30cm) comme elle avait fait la
promotion des « yé-yés » (Marc Kaiser : 27-69)
et, par la suite, ces oppositions s’estomperont ; les différences entre chanson, yé-yé
et rock français s’amenuiseront, Serge
Gainsbourg faisant lien entre ces genres
(Gérôme Guibert : 7 ; Olivier Julien : 47-56),
avant qu’au débouché du punk n’apparaissent
des groupes puisant à toutes ces sources
comme Pigalle ou Noir Désir.
Le « tournant yé-yé », les incompréhensions suscitées par l’engouement pour
les nouvelles idoles et les rugosités du rock
firent sentir la nécessité d’étudier ces innovations musicales comme des phénomènes
sociaux. Pourtant, il fallut attendre plusieurs
années avant que les textes d’Edgar Morin
ne soient suivis d’études rigoureuses et
systématiques formant progressivement un
corpus d’études de sociologie des musiques
populaires, puis avant que ces recherches
n’acquièrent une légitimité dans l’enseignement supérieur, en décalage sensible
avec ce qui s’était produit dans les mondes
167
Denis-Constant Martin
comme le constate dans sa « coda » David
Looseley (professeur émérite à l’université
de Leeds) :
« Des décennies après l’émergence des études sur
les musiques populaires dans le monde anglophone, les
sociologues, musicologues et historiens qui figurent dans
Made in France apparaissent encore comme des pionniers
dans l’université française, bien que les changements soient
aujourd’hui rapides [...] Pourtant, il existe encore, dans une
certaine mesure, une sorte d’“exception culturelle française”,
aussi typique que la musique elle-même, en ce qui concerne
le type de questions qu’ils posent. » (239)
Gérôme Guibert 9 le souligne, la production (au sens socio-économique) de la
musique fut un des premiers thèmes abordés
par les Français et continue d’occuper une
place importante dans leurs travaux. À
une époque où la diffusion de la musique
était pour l’essentiel assurée par le disque
microsillon et les radios qui les mettaient
en ondes, l’industrie phonographique joua
un rôle déterminant dans la formation et la
propagation de nouvelles modes : le yé-yé et
le rock, aussi bien par l’importation d’enregistrements anglais et étatsuniens que par la
promotion des créations françaises qui s’en
inspirèrent (Gérôme Guibert & Catherine
Rudent, préambule à la troisième partie).
Les grandes firmes finirent toujours par
prendre en charge les innovations, après
qu’elles ont démontré leur potentiel commercial, souvent en tissant des liens avec
les producteurs indépendants. Les créateurs français firent le plus souvent preuve
d’ambivalence dans leurs rapports avec les
compagnies phonographiques : soucieux
168
9 Qui signa une somme sur ce sujet : Guibert (2006).
d’affirmer leur indépendance (même au
temps du yé-yé [Marc Kaiser : 63]), désireux
de rester maîtres de leurs choix esthétiques,
dispersés en de multiples scènes locales
(Fabien Hein : 173-184) et enregistrant pour
de petits labels indépendants, ils finirent
fréquemment par tomber dans les rets de
la grande industrie, constituant ainsi des
« oligopoles à franges » (Guibert, 2006 :
11). Les possibilités nouvelles offertes par
l’internet bouleversèrent, jusqu’à un certain point, ces arrangements et permirent
à des musiciens, disposant plus facilement
de home studios grâce aux nouvelles technologies, de contrôler complètement la
chaîne de production : de l’enregistrement
à la diffusion, en passant par le mixage et,
éventuellement, la mise en images vidéos
(Gérôme Guibert & Catherine Rudent, préambule à la quatrième partie). L’Internet
constitue désormais une sorte de vitrine
dans laquelle les musiciens peuvent placer
leurs productions, les vendre directement
et annoncer leurs concerts, source parfois
principale de leurs revenus. La mise sur la
toile de musique soulève évidemment des
questions de propriété artistique que tendent
à ignorer les adeptes du téléchargement et
des échanges de pair à pair ( peer to peer,
P2P). Pour combattre des pratiques jugées
néfastes aux artistes, les autorités françaises
ont adopté une loi dite HADOPI 10 (Sylvain
Dejean & Raphaël Suire : 217) visant à réprimer les abus. Toutefois, compte tenu d’une
attitude répandue chez les geeks de tolérance
aux pratiques illégales et de leur maîtrise
de techniques d’évitement des contrôles,
10 Instituant une Haute Autorité pour la diffusion des
œuvres et la protection des droits sur Internet.
1
À propos de l’ouvrage Made in France, Studies in Popular Music
lui, de soutenir la chanson, le rock, le jazz
regroupés artificiellement en « musiques
actuelles 11 » (Gérôme Guibert : 11-12). Il
mit en œuvre des mesures de « développement culturel » inspirées par les travaux du
Service des études et recherches du ministère, entrepris sous ses prédécesseurs 12 . Si
les moyens fluctuèrent au gré des gouvernements et des contraintes budgétaires qu’ils
imposaient dans ce domaine, les musiques
populaires y gagnèrent une légitimité qui
entraîna leur intégration dans toutes sortes
de programmes et d’actions (dont le rap, par
exemple, bénéficia [Faure & Garcia, 2005]).
Néanmoins, chez les artistes, notamment
les jeunes, la crainte de la dépendance et de
la « récupération » suscita des ambivalences
que Fabien Hein résume à propos du punk
mais qui paraissent tout aussi répandues
dans d’autres genres : « En fait, il semble
que la scène française du punk rock hésite
en permanence entre la subversion et les
subventions. » (179)
La recherche des significations sociales
de la musique, qu’elle soit entreprise du côté
de ses mécanismes de production et de diffusion ou de celui de ses processus créatifs
et de la réception de ses œuvres, traverse
l’ensemble des chapitres de Made in France ;
des approches analytiques diverses y sont
employées. Les plus classiques, mais non
les moins fécondes, combinent, comme le
fait Gérôme Guibert dans son étude d’un
groupe de heavy metal (89-103), le récit
11 Sur l’hétérogénéité des musiques coiffées par
cette appellation et la méconnaissance des goûts
du public « jeune » ciblé par ces politiques, voir :
Le Guern (2007).
Tribune
16
l’HADOPI n’a pas eu de grands effets et a,
tout au plus, incité les amateurs à écouter
en streaming ou à échanger des fichiers
copiés sur clef USB par des internautes
plus audacieux (Sylvain Dejean & Raphaël
Suire : 217-228). L’internet n’a pourtant
pas annihilé l’industrie du disque, que la
vogue nostalgique des vinyles a également
un peu relancée : le système d’« oligopole à
franges » fonctionne encore et les nouveaux
genres de musiques électroniques illustrent
l’entremêlement de réseaux horizontaux
tissés sur l’internet et des moyens de diffusion traditionnels de la musique, le disque
notamment, fournissant aux majors un
accès à un public très jeune qui, en quête de
célébrité, s’ébaudit de cette mise en lumière
(Anne Petiau : 203-215). Ainsi, l’histoire de
ces cinquante dernières années montre que
les tentatives des artistes pour s’émanciper
de la tutelle des grandes firmes phonographiques n’ont pas abouti à les éliminer mais
que celles-ci sont parvenues à établir des
synergies avec les producteurs indépendants
pour retrouver une place centrale comme
acteurs de la production et de la diffusion
musicale.
Les musiques populaires ont pendant
longtemps été ignorées, voire méprisées,
par les autorités publiques, à l’exception de
quelques initiatives de collectivités territoriales. André Malraux, premier titulaire du
ministère de la Culture créé en 1959, lança
le projet des Maisons de la culture, dont la
première ouvrit ses portes au Havre en 1961.
Leur programmation fit quelquefois place à
des musiques non savantes mais, dans l’ensemble, jusqu’en 1981, la politique publique
nationale de la culture s’intéressa surtout aux
arts « légitimes ». Jack Lang, à qui François
Mitterrand confia ce portefeuille, entreprit,
12 Notamment d’un rapport présenté en 1973 par
Michel de Certeau ; voir : Teillet (1993).
169
Denis-Constant Martin
historique (notamment les rapports avec
l’industrie du disque), l’analyse des discours
(paroles des chansons, propos tenus par les
musiciens) et les réactions des auditeurs ;
méthodes auxquelles s’ajoute naturellement
l’ethnographie d’une scène 13 (Fabien Hein :
173-184). L’écoute musicale et son histoire
constituent, pour Jedediah Sklower (77-87),
un nouvel horizon des études musicales en
France 14 . La manière dont les mélomanes
s’approprient ce qui leur est proposé par
des « dispositifs musicaux 15 » constitue une
« expérience de la musique » dont l’analyse
construit des données sur les représentations
associées à la musique, les perceptions de
l’objet écouté, voire les choix de carrière des
musiciens. Les études qui se focalisent sur
la réception font évidemment partie intégrante de toute tentative pour appréhender
les manières dont les musiques sont perçues et
comprises par les auditeurs ; elles favorisent
aussi une connaissance plus fine des publics
qui permet de contrebattre certains clichés.
Ainsi, Stéphanie Molinero constate que, loin
d’être cantonné aux banlieues, « le rap a été
adopté à de multiples niveaux de la société,
des plus “instruits” aux plus “populaires” :
il a touché, sous des formes variées et de
diverses manières, la totalité de la population française » (161) ; il a pénétré les zones
rurales et n’est plus aujourd’hui uniquement
une musique de jeunes. À cette révision
de l’image des amateurs de rap Christian
13 Sur la notion de scène, voir : Guibert & Bellavance
(2014).
14 Sur ce sujet, voir : Pecqueux & Roueff (2009).
170
15 Notion empruntée à Michel Foucault et utilisée
notamment dans : Grenier (2006) et Hennion & Grenier
(2000).
Béthune (163-171) suggère que doit s’ajouter
une reconsidération de la créativité linguistique des rappeurs. Nombre d’entre eux sont
en effet capables de manipuler différents
codes linguistiques de manière inventive : ils
mêlent l’héritage du français classique et les
dialectes urbains, jouent de divers procédés
d’assonance et leurs transgressions révèlent
fréquemment des formes littéraires complexes 16 : ils mettent, comme Victor Hugo,
« un bonnet rouge au vieux dictionnaire 17 ».
Les représentations des musiciens,
comme George Brassens, peuvent devenir
l’enjeu de compétitions entre des politiques
de patrimonialisation et des processus mémoriels non institutionnels, peignant du même
créateur des images contrastées, sinon contradictoires (Juliette Dalbavie : 194-202). Elles
16 Il semble cependant ne prendre en compte
qu’une certaine partie de la production rap et passe
sous silence des jeunes qui emploient un langage
différemment élaboré, comme Biffty, voir : « Roule
un boze [Remix Dj Weedim] », https://www.youtube.
com/watch?v=6idy7JSPDVg), Vald (« Strip [Part.1] »,
https://www.youtube.com/watch?v=g1JYvI-RbD4;
consultés le 31 octobre 2018), sans oublier Jean
Janin, alias Cézaire, qui lança du perron de l’Elysée
(mais en anglais !), ces paroles particulièrement
poétiques : « Les femmes et la beuh strictement
verte, ne t’assieds pas salope s’il te plaît, t’es vénère
parce que je me suis fait sucer la bite et lécher les
boules. » Céline, « Fête de la musique à l’Élysée :
Emmanuel Macron indigne la “fachosphère” »,
AgoraVox TV, 23 juin 2018 (https://www.agoravox.
tv/actualites/societe/article/fete-de-la-musique-al-elysee-77484; consulté le 2 novembre 2018). Pour
mieux entendre ces textes, il faudrait sans doute en
revenir aux développements de Mikhail Bakhtine sur
le « grotesque » et le « bas » (Bakhtine, 1970).
17 « Et sur l’Académie, aïeule et douairière, /
Cachant sous ses jupons les tropes effarés, / Et
sur les bataillons d’alexandrins carrés, / Je fis
souffler un vent révolutionnaire. / Je mis un bonnet
rouge au vieux dictionnaire. » « Réponse à un acte
d’accusation », Les Contemplations, Livre premier VII,
1834.
1
18 Il est regrettable que Barbara Lebrun, qui
enseigne à Manchester, s’appuie surtout sur Stuart
Hall pour ce qui est de l’analyse des phénomènes
identitaires et ignore les débats français sur ce sujet,
comme elle néglige les travaux d’Armelle Gaulier sur
Zebda et Magyd Cherfi (Gaulier, 2014 et 2015).
19 C’est ce pour quoi, par exemple, a été inventée
l’étiquette « world music ».
20 Catherine Rudent renvoie ici à Tagg (1989).
À propos de l’ouvrage Made in France, Studies in Popular Music
« chanson française » que la catégorisation
apparaît comme particulièrement problématique. Inventée vers 1963, cette appellation
servit d’abord à tracer une frontière entre
« chanson de variété » et « chanson à texte »,
soulignant la supériorité artistique de cette
dernière ; pourtant, elle ne circonscrivit
jamais un ensemble homogène de productions, ni sur le plan musical, ni sur le plan
textuel, et devint encore plus imprécise
lorsque une « nouvelle chanson française »
se mit à faire un usage immodéré de l’anglais (Cécile Prévost-Thomas : 125-135). En
fait, conclut Catherine Rudent, la « chanson
française » est caractérisée par son hétérogénéité et son instabilité ; elle « n’est pas
définie musicalement. Elle est plutôt une
collection de singularités, avec ses vedettes,
ses lieux évocateurs et ses mots-clefs, que ne
relie aucun fil rouge » (148). Cette étiquette
prend son sens uniquement « par opposition à la musique populaire anglo-étatsunienne » (David Looseley : 242), le protéen
Serge Gainsbourg illustrant les innombrables
passages entre genres divers susceptibles
d’être, à un moment ou à un autre, assimilés
à de la « chanson française » (Olivier Julien :
47-56). La même mise en question pourrait
être appliquée à « musique populaire ». Cécile
Prévost-Thomas le remarque à l’orée de son
chapitre sur la « chanson française », selon les
époques elle a signifié musique du peuple ou
des travailleurs ; pop music, au sens anglais ;
musique goûtée par une majorité d’auditeurs
et diffusée par les grands moyens de communication (125). Ce sont, encore une fois,
la variabilité historique des significations de
cette étiquette et son inconstance musicale
qui la caractérisent et invitent, selon Charles
Hamm, les analystes à partir non d’une définition a priori, mais de sa diversité et de la
Tribune
16
peuvent parfois être également le résultat
d’une forme de dialectique entre la configuration identitaire élaborée par les musiciens et
les attentes de leurs auditeurs. Ainsi Rachid
Taha et Magyd Cherfi ont, selon Barbara
Lebrun, « ethnicisé leurs performances » (110)
en y intégrant des sons et des instruments du
Maghreb pour exprimer leur appartenance
à la « communauté beur » et se distinguer de
la « majorité blanche » (109 18). L’analyse des
représentations sociales des musiques et des
musiciens ouvre sur le problème de la définition des genres et de leur catégorisation,
tant les étiquettes jouent un rôle central
dans le fonctionnement des musiques populaires (Catherine Rudent : 137). Ces processus
de catégorisation répondent à divers buts :
regrouper des œuvres différentes facilite
leur promotion et leur commercialisation 19
mais, dans la mesure où ces catégories et les
noms qui leur sont donnés ne correspondent
pas nécessairement à des pratiques et des
caractéristiques musicales identiques 20 , leur
fonction est surtout symbolique (Catherine
Rudent : 138). La « musique légère » actuelle,
par exemple, ce que les anglophones ont baptisé easy listening, recouvre un ensemble de
productions extrêmement varié qui a pour
but d’accompagner des activités (d’achat en
particulier) ou des périodes d’attente (Vincent
Rouzé : 228-237). Mais c’est à propos de la
171
Denis-Constant Martin
172
non-étanchéité de ses frontières internes,
donc à déterminer pour chaque étude de
cas le type de « musique populaire » auquel
appartient l’objet étudié (Hamm, 1995). C’est
bien à cette recommandation qu’ont obéi les
auteurs de Made In France.
Ce remarquable ensemble de textes
n’épuise évidemment pas le sujet de ce qui a
pu être saisi comme « musique populaire » en
France durant les cinquante dernières années,
ni des théories et méthodes susceptibles d’en
rendre compte. Au nombre des particularités composant l’« exception culturelle » qui,
selon David Looseley, observateur attentif
de la vie musicale dans l’hexagone, distingue
les études françaises des anglophones, il
convient d’ajouter la négligence des apports
potentiels de la musicologie et de l’ethnomusicologie à la sociologie des musiques
populaires. Il est frappant, de ce point de
vue, que, des « pionniers » ayant contribué
à ce volume, une seule, si l’on en croit les
résumés biographiques présentés pages xii
à xv, Catherine Rudent, est musicienne et
musicologue 21 ; les autres sont philosophe,
spécialiste des sciences de l’information ou
des « études culturelles », économiste, sociologue et historien. En conséquence, les efforts
pour analyser les significations sociales des
phénomènes musicaux laissent dans l’ombre
une partie essentielle de ce qui les constitue :
la musique elle-même et ses dimensions symboliques dont la prise en compte est nécessaire à la compréhension des mécanismes
21 Elle a présenté un mémoire intitulé
« L’analyse musicale des chansons populaires
phonographiques » lors de sa soutenance
d’habilitation à diriger des recherches, le 28 juin 2010
(voir : https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel01773326/document, consulté le 30 octobre 2018).
construisant les représentations sociales qui
lui sont associées, tout particulièrement en ce
qui concerne les configurations identitaires.
Catherine Rudent avait elle-même souligné
naguère que « l’approche musicologique de
ces répertoires est la seule qui puisse prendre
en compte l’organisation sonore de façon
précise » (Rudent, 1998 22). Quelle que soit la
qualité des analyses présentées dans Made in
France, on ne peut omettre de signaler, pour
le déplorer, cet angle mort de la plupart des
études françaises sur les musiques populaires.
Enfin, un tel ouvrage ne peut s’intéresser
à tous les genres de musiques qui ont été
pratiqués, et étudiés, en France depuis cinq
décennies mais il y manque, entre autres,
des études consacrées au mouvement folk
qui a marqué les années 1960 et 1970 et aux
musiciens de « balloche » qui animent fêtes
villageoises et bals du 14 juillet en proposant
22 Ce fossé est beaucoup moins profond dans le
monde anglophone où les spécialistes cumulent
souvent des compétences socio-anthropologiques
et des connaissances musicales sérieuses. Robert
Walser, par exemple, directeur du Center for Popular
Music Studies à la Case Western Reserve University
de Cleveland (Ohio), rappelle dans un chapitre de
synthèse : « Si nous ne prenons pas au sérieux les
analyses techniques et interprétatives des musiciens
et des musicologues, nous risquons d’aboutir à une
mystification de la musique et au rejet des débats
musicologiques comme autant d’obscurations
universitaires. » (Walser, 2008 : 21) Mais, de l’autre
côté, on pourrait aussi remarquer, avec Paul
Friedlander, directeur du Music Industry Program à la
California State University, Chico, que : « Il incombe
aux musicologues de développer une méthode de
communication avec les non musicologues qui
permette de traduire les précieuses conclusions
de leurs analyses musicologiques dans un langage
susceptible d’être compris, plus largement, dans
le monde des études de la musique populaire. »
(Friedlander, 1996 : 77) Même en Grande Bretagne,
il semble que les difficultés dans les relations entre
sociologues et musicologues ne soient pas encore
surmontées (Marshall, 2011).
23 Kali Argyriadis et Sara Le Menestrel avaient
naguère donné un excellent exemple d’une enquête
sur un sujet proche : Argyriadis & Le Menestrel (2003).
sur celles qui sont réputées françaises. On
pourrait multiplier ainsi les souhaits et les
suggestions ; certaines de ces pistes sont
déjà explorées dans d’autres publications 24
et, de plus en plus, dans des mémoires et des
thèses universitaires. L’état des lieux que
dresse Made in France est, dans l’immédiat,
fort stimulant 25 ; il ne peut qu’inspirer et
encourager le développement des recherches
dans ce champ.
24 Par exemple : Brandl, Prévost-Thomas & Ravet
(2012).
25 De ce point de vue, il serait bienvenu qu’en soit
proposée une traduction française ; elle n’est pas,
semble-t-il, envisagée pour le moment mais ne
devrait pas soulever d’immenses difficultés dans
la mesure où la plupart des textes ont d’abord été
rédigés en français.
À propos de l’ouvrage Made in France, Studies in Popular Music
des répertoires éclectiques ; or ils sont pour
beaucoup de citoyens les seuls producteurs
de musique qu’ils ont l’occasion d’entendre
en direct 23 . Il serait également intéressant de
travailler sur les modes de composition par
ordinateur qui sous-tendent les assemblages
essentiels à nombre de musiques « actuelles »
(rap, techno, world music de synthèse) ou
encore sur le fonctionnement des émissions
de télé-réalité musicale et sur leur impact.
Enfin, il paraîtrait important, compte tenu
des débats actuels sur l’« identité française »
et les immigrations d’apprécier l’influence
des musiques coloniales et postcoloniales
16
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16
1
Notes de lecture
Sommaire
175
François Ribac (ed.),
Simon Frith : Une
sociologie
des musiques
populaires, Paris,
Les presses du réel,
2018
Par Maxim Bonin
Sociologue, maître de conférence à
l’Université Franche-Comté et compositeur
de théâtre musical, François Ribac signe la
direction de Simon Frith : Une sociologie des
musiques populaires. Préfacé et postfacé par
François Ribac lui-même, l’ouvrage rassemble deux textes de Simon Frith traduits
par Charlotte Bomy et dont la publication
en langue anglaise 1 date respectivement
de la fin des années 1980 et du début des
années 1990. Il présente par ailleurs une
entrevue de François Ribac avec Gilles
Castagnac, directeur de l’Irma (Centre d’information et de ressources pour les musiques
actuelles) sur la présence du rock et de ses
acteurs dans le paysage musical français.
176
1 Les textes « Why do songs have words ? » et
« The Industrialization of Popular Music » ont été
respectivement publiés dans les ouvrages Lost in
Music. Culture, Style and The Musical Event (White,
1987) et Popular Music and Communication (Lull,
1992).
En préface, François Ribac soulève la
contribution de Simon Frith dans l’avancement des études sur les musiques populaires,
mais également son apport au milieu de la
presse musicale nord-américaine et britannique. Cette contribution influence l’approche
de Frith ancrée dans « son expérience d’auditeur ou de spectateur qui est le plus souvent
son point de départ » (p. 10). La préface permet de positionner la contribution de Frith
en concordance avec les transformations et
mutations de la musique populaire et de ses
industries au cours des années 1980, 1990
et 2000 tout en soulignant l’influence d’une
pensée pragmatique wittgensteinienne sur
son approche.
Dans « Pourquoi les chansons ont-elles
des paroles », Frith effectue un retour sur les
études sociologiques des musiques populaires
1
Simon Frith : Une sociologie des musiques populaires
représente une ère de conformisme, une
époque où l’industrie du disque s’impose
comme un média de masse distribuant des
productions musicales au plus grand nombre
de consommateurs possible, mesurant son
succès par les ventes et la diffusion à la radio
(p. 83-84). Après la Seconde Guerre mondiale,
le rock‘n’roll entre en scène. La performance
live et l’authenticité des enregistrements
haute fidélité censée reproduire l’expérience
du concert rock sont au coeur des nouvelles
innovations qui touchent l’industrie de la
musique au cours des années 1960 et 1970
(p. 85-86). En dernière partie de cet essai,
Frith (2018) revient sur ses écrits dans Sound
Effects (1981) où il affirme que le caractère
oligopole de l’industrie du disque permet
difficilement une volonté d’innovation et que
seules une brèche ou une perte de contrôle
entraînées par un changement technologique
peuvent mener vers de nouvelles pratiques.
La postface de ce livre présente une
entrevue entre François Ribac et Gilles
Castagnac. En s’inspirant du dernier chapitre
de l’ouvrage On Records de Frith et Goodwin
(1990) qui donne la parole aux fans, l’éditeur
laisse ici la parole à l’un des « pionniers de
la politique publique en matière de rock en
France » (p. 111). Leurs échanges dressent
un portrait de la présence du rock dans le
paysage musical français tout en faisant état
des événements, acteurs, structures formelles
et informelles qui ont contribué, depuis la
fin des années 1970, à son émancipation en
France hexagonale. En conclusion, Castagnac
revient sur la pluralité des tâches à accomplir
pour un musicien avec la montée en force
du numérique et revient sur l’importance
de la formation pour qu’ils parviennent à
maîtriser les outils qui leur permettront de
faire carrière (p. 127).
Notes de lecture
16
des années 1950 et 1960 et amorce sa réflexion
sur les analyses des paroles des chansons qui
lui ont permis de comprendre l’essor d’une
« nouvelle » jeunesse nord-américaine dans
un contexte d’après-guerre (p. 29). Selon
l’auteur, cette période est marquée par une
analyse des paroles de chansons (Peatman,
1944) qui vise à déterminer le contexte social
de production et de diffusion. Frith souligne
les limites de ces analyses ancrées dans la
« théorie du reflet » de Mooney (1954) qui
fixent de manière trop simpliste une association entre les comportements sociaux et
les paroles des chansons, alors que l’interprétation de ces comportements émerge
souvent des préjugés des chercheurs sur le
mode de vie des jeunes de l’époque (p. 30).
Dans son retour sur la théorie du réalisme,
Frith affirme que l’analyse de l’authenticité
des chansons traditionnelles et des conditions
sociales qu’elles expriment est biaisée par
des conventions qui dictent les paramètres
de ces mêmes conditions (p. 39). La pertinence d’une théorie du réalisme (p. 41) se
trouve alors pour Frith dans l’analyse de sa
fonction idéologique, c’est-à-dire chercher à
comprendre les conventions sociales qui permettent d’affirmer ce qui est authentique et
ce qui ne l’est pas. En conclusion, Frith (p. 61)
affirme qu’une compréhension de l’usage des
paroles dans les chansons issues de différents
genres musicaux s’impose aujourd’hui dans
les études sur la musique populaire.
Dans « L’industrialisation de la musique
populaire », Frith revient sur les craintes
de l’industrie du disque face à l’arrivée des
nouvelles technologies de diffusion telles
que la radio et la télévision et situe ces changements dans le contexte sociopolitique
du XX e siècle. Selon Frith, la période située
entre les deux grandes guerres mondiales
177
Bien qu’en préface Ribac revienne
sur les publications marquantes de Frith,
dont Performing Rites (1996), il ne propose
malheureusement pas une contextualisation
des deux textes de Frith présentés dans le
présent ouvrage. Ces derniers auraient gagné
à être situés dans le contexte de globalisation
des industries de la musique qui marquent
les années 1980 et 1990. À la lecture de la
postface, nous nous interrogeons par ailleurs sur la complémentarité de l’entrevue
de Castagnac avec les essais de Frith. Nous
comprenons l’intention de l’auteur de donner
la parole à un pionnier du rock en France tout
comme l’ont fait Frith et Goodwin (1990)
avec les fans dans On Records. Il nous semble
qu’une ouverture sur la pertinence de lire
Frith dans le contexte actuel des industries
de la musique soulignerait la nécessité de
traduire cet auteur. Par exemple, quelle
direction pourrait prendre une réflexion sur
les paroles des chansons dans le contexte
actuel d’écoute en streaming ou encore dans
la diffusion des lyric videos sur YouTube ?
Quels parallèles peuvent être tracés entre
l’industrialisation de la musique populaire
au X X e siècle et les réactions actuelles des
industries de la musique face au modèle
d’affaires des plateformes d’écoute telles
que Spotify, cette brèche technologique
porteuse de changement évoquée par Frith
il y a pourtant près de 30 ans (p. 104-105) ?
En terminant, nous souhaitons souligner
l’importance de la traduction en français de
l’œuvre de Frith. L’apport de cet auteur doit
circuler davantage au sein de la communauté
académique pour appuyer le rayonnement
des études sur les musiques populaires dans
la francophonie.
178
Bibliographie
Frith Simon (1981), Sound Effects - Youth, Leisure, and
the Politics of Rock’n’Roll, New York, Pantheon.
— (1996), Performing Rites, Cambridge, Harvard
University Press.
— (2007), Taking Popular Music Seriously. Selected
Essays, New York, Routledge.
Frith Simon & Goodwin Andrew (eds.) (1990), On
Records, New York, Routledge.
Lull James (ed.) (1987), Popular Music and
Communication, Londres, Sage Publications.
Mooney Hughston F. (1954), « Song, Singers and
Society - 1890-1954 », American Quarterly, vol. 6,
p. 221-232.
Peatman John (1944), « Radio and Popular Music »,
in Lazersfeld Paul Felix et Santon Franck (eds.).
Radio Research : 1942-1943, New York, Duell, Sloan &
Pearce.
White Avron Levine (ed.) (1987), Lost in Music. Culture,
Style and The Musical Event, New York, Routledge.
1
Par Stéphane Resche
S’il n’existe pas encore de monographie de référence sur le concours Eurovision
de la chanson (ou Eurovision Song Contest)
en français, voilà quelques nouveaux
ouvrages qui devraient permettre malgré
Postwar Europe and the Eurovision Song Contest
tout aux curieux comme aux plus assidus d’en
apprendre enfin davantage sur la question.
Le travail de Dean Vuletic (2018) est le plus
récent. Néanmoins, il s’insère dans une
continuité scientifique pluriannuelle. Aussi
convient-il tout d’abord de se pencher sur le
recueil d’études dirigé par Karen Fricker et
Milija Gluhovic, paru en 2013. Ce dernier
est divisé en trois parties. L’ouvrage vise,
dans son ensemble, à interroger l’évolution
de l’Europe au cours des dernières décennies
avec une attention précise pour le début
des années 2000 – il fait écho à cet égard
au recueil francophone de Lévy & Sicard
(2008), consacré à l’Europe mais dans une
approche médiatique où l’ESC est très largement invoqué. L’introduction commence
par une analyse précise de l’année 2012
qui permet de donner un cadre aux études
qu’elle anticipe – rappelons au passage
l’existence de l’article de Wolther (2012),
Notes de lecture
16
Dean Vuletic,
Postwar Europe and
the Eurovision Song
Contest, New York,
Bloomsbury, 2018 ;
Karen Fricker et
Milija Gluhovic
(eds.), Performing
the « New » Europe.
Identities, Feelings
and Politics in
the Eurovision
Song Contest,
Basingstoke &
New York, Palgrave
Macmillan, 2013
179
180
une étude succincte et condensée, mais
utile pour appréhender en quelques pages
les enjeux désormais incontournables dans
les études sur le sujet. On perçoit, dès les
premières lignes du volet d’ouverture de
Fricker et Gluhovic, que l’ESC est envisagé
comme un prisme des nouveaux enjeux
internationaux notamment dans la pensée
de l’européanisation et d’un européisme
commun. En 2009, un groupe de recherche
sur l’Eurovision (aujourd’hui en sommeil) a
rassemblé 24 chercheurs d’horizons divers.
Deux workshops furent rapidement organisés, le premier en février 2011 à la Royal
Holloway de Londres, le second à Venise
deux mois plus tard. Une dernière session
se tint en mai, à Düsseldorf, juste avant le
concours qui vit l’Azerbaïdjan gagner la compétition annuelle (victoire qui imposa donc
l’organisation du concours à Bakou, en 2012,
événement qui stimule profondément les
études dans le domaine). Les trois parties du
volume de Fricker et Gluhovic reprennent
le cœur des interventions de ces workshops,
tout en accordant une place de choix aux
transcriptions des échanges les plus féconds.
La première partie « Feeling European :
The ESC and the European Public Sphere »
tente d’expliciter la manière dont l’ESC a
pu refléter le fait d’appartenir à l’Europe
– mais quelle(s) Europe(s) ? – au cours
des vingt dernières années. Le concours
constitue un lieu de discussion, où plusieurs
réalités coexistantes participeraient de
l’émanation d’un sentiment de citoyenneté
européenne. L’aspect performatif donne
l’occasion de questionner les récits officiels
(nationaux et supranationaux), les modes
d’adresse et les évidences, de proposer enfin
des alternatives (un peu comme dans le cadre
international général des Jeux Olympiques).
En tant qu’espace où l’on s’exhibe, affirment
les autrices, et où l’on célèbre ou critique
des valeurs aux références a priori communes, l’ESC est catalysé par la puissance
de l’affect (via la musique, la compétition,
ou encore le plurilinguisme). L’affect,
justement, influerait sur notre sentiment
d’appartenance nationale, régionale, européenne, comme sur celui d’identification
à des groupes ou des communautés (gay,
queer, ou encore migrantes, engendrées par
les diasporas continentales des dernières
décennies). La composante affective du
sentiment de citoyenneté européenne et
d’appartenance à la sphère publique éponyme se situe donc au cœur de la partie I
– édifiante – du recueil, au sein de laquelle
(tout en saluant l’équilibre des études) on
signalera la pertinence spécifique du second
article, consacré à l’analyse des commentaires du concours de Terry Wogan pour
la BBC, dont la portée conservatrice et
1
Postwar Europe and the Eurovision Song Contest
does not deal with politics, politics deals
with it » (Le Soir - Belgique, 1979), le travail
de Vuletic s’évertue à nouer les contextes
politiques et les réalités événementielles
de l’ESC (même si, par moments, on perd
un peu de vue l’origine des éclairages pléthoriques et on a l’impression, en passant
à plusieurs reprises de l’ESC à l’histoire et
inversement, de tourner en rond). Noble
projet en tout cas (et belle concrétisation) que d’avoir décidé de présenter les
soixante années d’ESC (de 1956 à 2015) en
coupant la poire en deux sections très distinctement délimitées par la chute du rideau
de fer. Et le titre de l’ouvrage, qui commence par « Postwar Europe » (là encore,
quelles Europes ?), de révéler pleinement sa
polysémie. L’étude est donc structurée en
deux parties équilibrées : « I : The Cold-War
1945-1989 » (qui comprend trois chapitres) ;
« II : European Unification, 1990-2016 »
(deux chapitres). Le cheminement est par
conséquent plutôt chronologique. La première partie enquête sur le rôle de l’ESC,
depuis son lancement jusqu’à sa célébration,
dans les relations entre les pays, aussi bien
à l’Est qu’à l’Ouest. La seconde cible quant
à elle davantage les liens entre l’ESC et les
politiques européennes depuis la fin de la
guerre froide. Le déroulement des analyses
est l’autre point fort qu’il faut à mettre au
crédit de l’auteur. Les titres des chapitres
sont clairs, et ceux des sous-chapitres,
aussi précieux qu’essentiels. Ils reflètent
un style limpide, solide, charpenté autour
d’exemples et d’anecdotes en grand nombre
qui raviront les fanatiques ou les historiens.
Par exemple, le quatrième chapitre (partie II) intitulé « A Concert of Europe »,
se développe en trois moments, désignés
ainsi : Wars, Europeanism, Euroscepticism.
Notes de lecture
16
les relents « mélancoloniaux » n’ont d’égal
que la puissante sagacité avec laquelle ils
furent proférés. Le second volet de l’ouvrage
avance que la modernisation est un concept
clé de l’identité européenne, bien que le
terme recouvre des réalités très diverses,
à savoir des développements et des processus de transformations et de modernisation très divers. L’ESC promet de relire
cette modernité en des termes pluriels. La
place des Balkans, par exemple, comme
celle de l’Europe dite « de l’Est » est revue
à l’aune de la persistance de préjugés et de
préconceptions. La Russie, la communauté
rom, l’Irlande occupent respectivement les
chapitres 5 à 7. La troisième partie (chapitres 8 à 11), enfin, confirme l’ouverture
à ce qui prédomine aujourd’hui dans les
recherches qui se penchent sur l’ESC. Le
troisième moment « Gender Identities and
Sexualities in the ESC » s’inscrit ainsi dans le
sillage d’une première série de travaux précédents (notamment le recueil de Raykoff
& Tobin [2007] et deux numéros spéciaux
de Tuhkanen et Vänskä [2007] et Georgiou
& Sandvoss [2008]) tout en annonçant ce
qu’on peut lire, dans le détail souvent mais
aussi hélas dans le ressassement, dans de
nombreux articles épars consacrés à l’ESC.
L e réc ent ouv r a ge d e Vu let ic
– « Monsieur » Eurovision – reprend à son
tour les thèmes fondateurs des recherches
sur l’ESC. Produit joliment annoncé et
désormais très bien diffusé dans la sphère
de rigueur, il a surtout l’avantage non négligeable de faire dialoguer, sur la longueur,
et avec une certaine virtuosité, les disciplines et les détails inhérents à chacune
des éditions du concours. Reprenant à son
compte les célèbres mots du journaliste Jean
Coucrand : « If the Eurovision Song Contest
181
182
La valeur symbolique des termes choisis
en tête de gondole n’empêche pas une évolution logique du propos, à la manière d’un
roman documenté. Ainsi, les paragraphes
consacrés à l’européanisme explicitent-ils,
en somme, qu’après les années 2000, la relation entre la victoire à l’ESC et les aspirations à l’intégration de l’Union Européenne
sont devenues de plus en plus évidentes.
Les cas des victoires à l’ESC de l’Estonie
et de la Lettonie, puis des concours 2001
et 2002, sont abordés en parallèle des étapes
du processus d’intégration des pays. Puis
viennent les cas de la Turquie (vainqueur
successif, chronologiquement parlant), et
de l’Ukraine. Vuletic argumente le point
de vue selon lequel le Conseil de l’Europe
serait beaucoup plus lié à l’ESC que ne l’est
en réalité l’Union Européenne (aisément
accusée de tous les maux continentaux,
notamment lorsqu’approche le contexte
printanier du concours, propice à toutes les
révoltes). En réalité, assène l’auteur, l’UE est
le grand absent de l’ESC. Comme pour les
premières sections de l’ouvrage, le passage
au développement suivant (Euroscepticism)
paraît évident et nécessaire. On ne saurait
tenir rigueur à l’ouvrage de ne faire que trop
peu appel à des notions musicologiques, ou
encore dramaturgiques (il faudra bien un
jour s’y coller), tant l’objet remplit parfaitement ses fonctions : être un manuel historico-politique condensé, dans un format
idéal de 200 pages (sans compter les notes
et la très complète bibliographie). Et l’on
saisit d’autant mieux le souhait de Vuletic de
voir le Concours Eurovision de la Chanson
retrouver ses aspirations de célébration de
la diversité culturelle et d’expression de la
critique sociale (qui furent très fortes pendant la guerre froide), et qui se révèlent plus
faibles aujourd’hui en raison de la commercialisation rampante de l’événement et de
sa conséquente « anglicisation », culturelle
et linguistique.
Ces deux ouvrages constituent des
incontournables qui appellent d’aussi prometteuses mises à jour. Il y a fort à parier
que le constant développement international
et économique du concours (son ouverture
récente à l’Australie n’en est qu’un énième
révélateur) se traduira également par de
nouvelles recherches. Dans ce cadre, même
s’il ne s’agit pas d’un ouvrage aux prétentions
académiques, nous n’oublierons pas de saluer
la sortie de l’ouvrage en français de Richard,
Clapasson & Tanner (2017). Enfin un bon
compendium des résultats et des anecdotes
fondatrices du concours. L’outil pratique qui
manquait, bien organisé, illustré sobrement
et en cela agréable à feuilleter.
Bibliographie
Georgiou Myria & Sandvoss Cornel (eds.) (2008),
« Special Issue : “Euro Visions : Culture, Identity and
Politics in the Eurovision Song Contest” », Popular
Communication, vol. 6, no 3.
Lévy Marie-Françoise & Sicard Marie-Noëlle (eds.)
(2008), Les lucarnes de l’Europe, Paris, Publications
de la Sorbonne.
Raykoff Ivan & Dean Robert (eds.) (2007), A Song for
Europe : Popular Music and Politics in the Eurovision
Song Contest, Londres, Ashgate.
Richard Jean-Marc, Clapasson Mary & Tanner Nicolas
(2017), La saga Eurovision, Lausanne, Favre.
Tuhkanen Mikko & Vänskä Anna Mari (eds.) (2007),
« Special issue “Queer Eurovision” », SQS – Journal of
Queer Studies in Finland, vol. 2, no 7.
Wolther Irving (2012), « More than just music: the
seven dimensions of the Eurovision Song Contest »,
Popular Music, vol. 31, no 1, p. 165-171.
1
Par Eva Nicolas
The Routledge Companion to Popular
Music History and Heritage, réalisé sous la
direction de Sarah Baker, Catherine Strong,
Lauren Istvandity et Zelmarie Cantillon, est
composé de trente-huit chapitres organisés
en cinq parties thématiques. L’intention des
auteures, exprimée dans la préface, est de
présenter l’éventail grandissant d’études
portant sur la notion de patrimoine des
musiques populaires et de rassembler les
réflexions fondamentales et progressistes
The routledge companion to popular music history and heritage
du début du XXI e siècle sur le sujet dans un
format digeste au sein duquel les chercheurs,
débutants ou expérimentés, pourront aisément venir puiser des idées. Si les ouvrages
collectifs Sites of Popular Music Heritage, dirigé
par Sara Cohen, Robert Knifton, Marion
Leonard et Les Roberts (2015), et Preserving
Popular Music Heritage, dirigé par Sarah
Baker (2015), balayent déjà de nombreuses
problématiques relatives à la patrimonialisation des musiques populaires, ils abordent le
sujet en traitant respectivement des espaces
où se construisent les relations avec le passé
relatif aux musiques populaires et des pratiques de patrimonialisation considérées
« do-it-yourself ». En se voulant plus général, interdisciplinaire et international, The
Routledge Companion to Popular Music History
and Heritage vient ainsi combler l’absence
d’une synthèse des différentes approches
portant sur le patrimoine des musiques populaires. Cet ouvrage apparaît pertinent en
ceci qu’il vient documenter des pratiques
et des projets en constant développement,
Notes de lecture
16
Sarah Baker,
Catherine Strong,
Lauren Istvandity et
Zelmarie
Cantillon (eds.),
The Routledge
Companion
to Popular
Music History
and Heritage,
Abingdon &
New York,
Routledge, 2018
183
184
l’intérêt pour le patrimoine des musiques
populaires étant grandissant ces dernières
années (multiplication d’expositions, de
projets d’archivage, de musées… consacrés à
diverses cultures musicales comme le rock,
le hip-hop, la techno…).
Les trois premières parties de l’ouvrage traitent des musiques populaires selon
différentes perspectives relationnelles que
nous pouvons avoir avec le passé : histoire,
patrimoine et mémoire. La première partie,
intitulée « History and historiography »,
examine ainsi l’histoire de la musique populaire et son processus de construction. Les
premiers chapitres sont consacrés à la remise
en question du discours historique traditionnellement accepté en mettant en évidence
l’existence de récits alternatifs. La place des
femmes et le rôle des politiques raciales dans
la construction de l’histoire des musiques
populaires sont ainsi respectivement interrogés par Rosa Reitsamer dans le chapitre
« Gendered narratives of popular music
history and heritage » et Nabeel Zuberi dans
« Racialising music’s past and the media
archive ». Les derniers chapitres de cette
première partie analysent un certain nombre
de supports ayant joué un rôle important
dans la production de récits historiques. Les
livres, fanzines, blogs, magasines ou encore
films, émissions télévisées et archives sont
ainsi examinés pour comprendre comment
chaque format a contribué à façonner les
histoires racontées. Par exemple, dans le
chapitre « Screening popular music’s past:
music documentary and biopics », Tim Wall
et Nicolas Pillai abordent la manière dont les
films et la télévision documentent la musique
populaire en questionnant le sens du terme
« documenter » d’une part et les significations
générées lors des processus de production,
de distribution et de réception des vidéos
d’autre part. Ainsi, cette première partie
donne d’emblée les clés de lecture pour appréhender au mieux cet ouvrage en montrant que
tout ce qui est relatif au passé des musiques
populaires comporte une pluralité de discours
tout à la fois acceptés, contestés, négociés
selon les périodes, les espaces et les acteurs
qui participent à leur production.
La deuxième partie aborde le champ
des musiques populaires sous l’angle du
patrimoine, que les auteurs distinguent de
l’histoire par sa capacité à créer un sentiment
d’identité au sein de groupes de personnes à
des échelles variées. Les premiers chapitres
examinent les forces qui influencent notre
compréhension de la musique populaire en
tant que patrimoine. Les notions de légitimité, les relations de pouvoir au sein des
processus de patrimonialisation et les effets
des flux mondiaux sur la culture locale sont
ainsi abordés. Les chapitres suivants sont
consacrés à mettre en avant des pratiques
et utilisations spécifiques du patrimoine
des musiques populaires : le tourisme, les
pratiques DIY de préservation du patrimoine et les groupes « en hommage à » sont
questionnés. La cohérence de cette seconde
partie tient au déroulement des chapitres qui
s’intéressent successivement aux discours
patrimoniaux « autorisés », « auto-autorisés »
puis « non-autorisés » (Roberts & Cohen, 2014).
Dans le dernier chapitre « Burning punk and
bulldozing clubs : the role of destruction and
loss in popular music heritage », Catherine
Strong rappelle que c’est à travers le processus
de destruction que la notion de patrimoine
telle que nous la concevons aujourd’hui s’est
développée. Par des exemples tels que la
fermeture du CBGB en 2006, elle montre
que le processus de perte, comme celui de
1
The routledge companion to popular music history and heritage
La quatrième partie explore la manière
dont les institutions jouent un rôle dans la
sauvegarde, la présentation ou la redéfinition du passé de la musique populaire. Les
premiers chapitres sont consacrés à l’étude
du rôle des musées, des archives sonores et
des Halls of Fame. Aux côtés de ces institutions traditionnellement reconnues comme
telles, les auteurs de l’ouvrage se proposent
d’inclure dans cette partie l’analyse d’autres
formes institutionnelles. Ainsi, les deux
derniers chapitres « DIY institutions and
amateur heritage making » de D-M Withers
et « Reissue programmes, framing the past
as project » de Elodie A. Roy traitent du rôle
des « DIY institutions » (Baker & Huber, 2013),
caractérisées par des initiatives patrimoniales
portées par des communautés de personnes
initialement non-expertes en matière de
gestion du patrimoine, et des maisons de
disques spécialisées dans la réédition d’archives musicales.
Enfin, la cinquième partie de l’ouvrage est dédiée à la présentation d’une
série d’études de cas donnant un aperçu de
la diversité des activités de patrimonialisation
et d’historicisation des musiques populaires,
l’accent étant mis sur l’incorporation de voix
extérieures à la sphère anglo-américaine.
Dans les premiers chapitres, les interactions
entre musiques populaires et musiques traditionnelles sont questionnées par l’étude d’Åse
Ottosson portant sur des peuples autochtones d’Australie Centrale et celle de Dan
Bendrups, Pip Laufiso and Hiliako Iaheto
traitant de nations insulaires du Pacifique.
Les façons dont les attitudes politiques
façonnent le patrimoine musical populaire
sont ensuite abordées au travers de travaux
réalisés en Inde par Jayson Beaster-Jones,
en Hongrie par Emilia Barna, en Afrique du
Notes de lecture
16
sauvegarde, peut aboutir à transformer les
valeurs et les significations accordées à certains lieux, pratiques et artefacts. Rarement
abordée, cette dimension du patrimoine
vient enrichir la compréhension que nous
pouvons avoir de celui-ci.
La troisième partie de l’ouvrage interroge le lien entre musiques populaires et
mémoire. Le premier chapitre « Popular
music and the memory spectrum », écrit par
Michael Pickering, fournit un vaste cadre
pour examiner les fonctions que la musique
remplit dans la mémoire individuelle et collective, à travers différentes technologies et
différents concepts comme celui de nostalgie. Ces aspects sont ensuite abordés plus
précisément dans les chapitres qui suivent.
Dans « Popular music and autobiographical
memory : intimate connections over the life
course », un aperçu est d’abord donné par
Lauren Istvandity de la manière dont les
liens entre mémoire, musique et affect ont
été étudiés et conceptualisés en psychologie
et en sciences humaines. L’interaction entre
mémoire médiée et mémoire collective,
ainsi que le rôle de la musique dans la vie
quotidienne sont ensuite interrogés dans le
chapitre proposé par Ben Green « Popular
music in mediated and collective memory ».
Les derniers chapitres de cette troisième
partie traitent de la manière dont la musique
devient l’objet de la mémoire individuelle
ou collective lorsqu’elle est associée à certains lieux ou certains contextes. Sont ainsi
analysés les actes de mémoire dédiés à des
artistes lors de rituels commémoratifs, la
place de la nostalgie dans la production et
la consommation de musique, et la manière
dont les mémoires musicales sont préservées
dans un environnement virtuel via des sites
d’archivage participatifs.
185
186
Sud par Schalk van der Merwe et en Guinée
par Graeme Counsel. Les deux derniers
chapitres mettent en avant la défaillance
des processus patrimoniaux dans le cas de
la musique populaire palestinienne étudiée
par Moslih Kanaaneh et dans celui de sites
patrimoniaux liés aux Beatles en Angleterre
analysés par Mike Brocken.
Parce que les frontières entre histoire,
patrimoine et mémoire sont parfois floues,
le découpage des trois premières parties de
l’ouvrage n’est pas une évidence au premier
abord. Il apparait toutefois à la lecture des
différents chapitres que les dimensions que
ces domaines recouvrent se nourrissent les
unes les autres sans pour autant se confondre.
Une telle organisation thématique permet
alors de clarifier la manière dont les relations au passé des musiques populaires sont
appréhendées par les chercheurs. Si les deux
dernières parties de l’ouvrage traitant des
institutions et des études de cas semblent
s’ajouter sans cohérence apparente à l’ensemble, l’approche plurielle de la notion
d’institution de la quatrième partie et l’effort
d’intégration d’études internationales dans la
cinquième partie apparaissent en cohérence
avec le discours sous-tendu dans l’ensemble
de l’ouvrage qui met un point d’honneur à
déconstruire les schémas occidentaux sur
la formation de l’histoire et du patrimoine.
De manière générale, la transversalité des
parties permet d’éviter de tomber dans une
dichotomie opposant discours dominants
et discours alternatifs relatifs au passé des
musiques populaires. Les pratiques et discours portés sont questionnés dans leurs
relations les uns aux autres au sein des parties thématiques, la structure de l’ouvrage
illustrant alors l’évolution du paradigme
patrimonial occidental à l’œuvre depuis ces
deux dernières décennies. Le patrimoine
n’est plus seulement considéré comme objet
et discours univoque mais recouvre une
multitude d’activités témoignant de la coexistence de relations au passé continuellement
négociées. La diversité des cas étudiés, des
approches disciplinaires et des méthodes,
et l’équilibre entre apports théoriques et
empiriques participent à la pertinence de
l’ensemble. Ce livre remplit ainsi l’objectif
qu’il s’est fixé de rendre compréhensible
et accessible les idées « fondamentales et
progressistes » qui parcourent les études
fleurissant actuellement aux quatre coins du
monde à propos de l’histoire et du patrimoine
des musiques populaires.
Bibliographie
Baker Sarah (ed.) (2015), Preserving Popular Music
Heritage : Do-it-Yourself, Do-it-Together, New York,
Routledge.
Baker Sarah & Huber Alison (2013), « Notes towards
a typology of the DIY institution : Identifying doit-yourself places of popular music preservation »,
European Journal of Cultural Studies, vol. 16, no 5.
Cohen Sara, Knifton Robert, Leonard Marion &
Roberts Les (eds.) (2015), Sites of Popular Music
Heritage : Memories, Histories, Places, Abington
(UK) & New York, Routledge.
Roberts Les, Cohen Sara (2014), « Unauthorising
popular music heritage : outline of a critical
framework », International Journal of Heritage Studies,
vol. 20, no 3.
1
Par Michael Spanu
Malgré une période d’effervescence
dans les années 2000 autour du groupe de
Monterrey Control Machete, le rap mexicain
reste un genre musical assez confidentiel,
tant dans son propre pays que dans les pays
friands de culture hip hop comme la France
ou les États-Unis. En effet, on ne le retrouve
dans aucun classement de vente ou d’écoute
en ligne. Pourtant, la pratique du rap est
toujours vivace au Mexique, notamment
dans les quartiers populaires de la zone
frontalière avec les États-Unis. C’est ce
que montre cet ouvrage du sociologue José
Juan Olvera Gudiño, qui analyse le rap nord
mexicain au prisme du concept de « scène
musicale », dans un contexte de fortes inégalités sociales, de violence croissante et de
Economías del rap en el noreste de México…
flux de populations incessants entre ÉtatsUnis et Mexique.
L’originalité de l’ouvrage est d’adopter
une perspective économique pour aborder
une scène musicale fragile, éclatée et qui
dispose de très peu de ressources pécuniaires.
En effet, la pratique du rap se démarque
majoritairement de l’industrie musicale
hégémonique au niveau régional, celle de la
musique tex-mex, tant sur le plan esthétique
qu’idéologique. Elle lutte contre un pouvoir politique considéré comme corrompu,
qui ne reconnaît pas le rap comme pratique
culturelle légitime ou qui l’instrumentalise
occasionnellement à des fins électorales
(aux dépens des acteurs de terrain pour qui
le rap a une dimension éducative et sociale).
Le rap se confronte aussi aux forces paramilitaires (les cartels) qui fragmentent et
détruisent les communautés, soit en dénonçant le phénomène, soit en l’intégrant pour
Notes de lecture
16
José Juan Olvera
Gudiño, Economías
del rap en el
noreste de México.
Emprendimientos
y resistencias
juveniles alrededor
de la música
popular, Mexico,
CIESAS, 2018
187
188
en faire la chronique (narcorap). Ainsi, des
formes de perméabilité existent, illustrant la
complexité et l’ambivalence du phénomène
observé. Cela nécessite un cadre théorique
particulièrement flexible : l’auteur fait appel à
Edward P. Thompson pour son concept d’économie morale, à Will Straw, Andy Bennett
et Richard A. Peterson pour leur concept de
scène, et à José Juis Paredes Pacho pour le
concept de pouvoir horizontal/vertical au
sein des réseaux de production/diffusion
culturelle ancrés dans la société mexicaine.
L’auteur pose parallèlement les jalons
historiques de la pratique du rap dans la
ville où se déroule son étude (Monterrey),
à partir des récits des acteurs impliqués. La
première époque se situe entre 1985 et 1989,
avec une poignée de jeunes des quartiers
populaires dont les liens familiaux avec les
États-Unis et la possession d’antennes paraboliques permettent une forme d’initiation
à la culture hip-hop. Dans les années 1990,
plusieurs kiosques et marchés informels
deviennent des points de rendez-vous des
amateurs, préfigurant internet comme espace
d’échange, tandis que les médias locaux
s’ouvrent peu à peu à cette nouvelle culture.
À cette époque naît aussi, de l’autre côté
de la frontière, le rap chicano qui adopte
et développe le point de vue des immigrés
mexicains et de leurs descendants, traitant
la dimension ethnique, la violence ou encore
la solidarité de la vie des quartiers latinos, à
travers une pratique oscillant entre espagnol
et anglais (le parler « pocho » ). En 1996 sort
l’album Mucho Barato du groupe Control
Machete chez Polygram. Cet album à succès
et aux sonorités rock initie une controverse
concernant la « trahison » de la scène rap de
Monterrey, tout en donnant à celle-ci une
visibilité sans précédent qui culminera dans
les années 2000. Cette dynamique s’estompe
au milieu de la décennie, avec la hausse de
la violence entraînée par la guerre contre
la drogue entamée par l’administration du
président Felipe Calderón et les conflits
entre cartels. En effet, la lutte territoriale de
ces derniers dépend du contrôle des espaces
nocturnes, affectant directement toutes les
festivités musicales qui ont lieu généralement
la nuit. Les lieux de concerts et bars musicaux
sont régulièrement extorqués par les cartels
(cobro de piso), voire deviennent carrément
des lieux de rendez-vous mafieux, des zones
de non droit. Le rap étant une culture de la
rue, sa pratique est donc très affectée. Parmi
les 80 espaces dédiés au rap que l’auteur a
recensé dans les années 1990, il n’en reste
plus que quatre en 2013.
À travers une enquête ethnographique
et des entretiens auprès d’artistes de rap, l’auteur met en évidence la précarité, le manque
de relais médiatiques et de moyens de production. Un recensement des affiches de
concerts sur une période allant de 2013 à 2015
permet d’établir qu’une grande partie de ces
événements sont gratuits ou à un prix très
accessible et se déroulent majoritairement
dans des bars, des clubs ou des espaces publics
(contrairement au rap étasunien ou espagnol
dont les concerts sont chers et ont lieu dans
des grandes salles). La vente de merchandising,
comme au sein d’autres scènes musicales, permet aux artistes de générer quelques revenus
supplémentaires. Le recours à des sponsors
tels que des marques de vêtements hip hop
permet de diminuer les frais d’organisation
de concerts et de trouver un certain équilibre,
l’objectif se limitant souvent à ne pas perdre
d’argent et à entretenir les liens de fraternité
et de respect au sein de la scène. À travers
une série d’études de cas, l’auteur identifie
16
Economías del rap en el noreste de México…
ensuite plusieurs niveaux de formalité de la
pratique du rap : souterraine (rappeurs de
rue, faible scolarisation, présence d’anciens
détenus, esthétique chicano), indépendante
(insertion dans des circuits commerciaux
alternatifs, forte scolarisation, esthétique
east coast) et institutionnelle (dans le cadre
de programme d’intervention dans des quartiers difficiles).
Cet ouvrage constitue ainsi une entrée
bien documentée sur le fonctionnement
de la scène rap du Nord-Est mexicain. On
regrettera simplement un certain manque
de systématisation et de références universitaires sur les dynamiques DIY qui ont été
bien étudiées pour d’autres scènes musicales
et qui ne sont jamais mentionnées dans l’ouvrage. Enfin, certains aspects, comme la
dimension religieuse, ne sont que rapidement
évoqués et méritent d’être explorés dans de
futurs travaux sur le sujet.
Notes de lecture
1
189
190
Biographies des auteurs
16
1
Eamon Bell : Eamonn Bell est docteur en théorie de la musique (Université de
Columbia, 2019). Sa thèse, sous la direction
de Joseph Dubiel, porte sur les débuts de
l’utilisation de l’informatique dans l’analyse
des partitions musicales. À Columbia, il
donne un cours qu’il a conçu sur la critique
de la musique numérique (2018), et a enseigné
l’histoire de la musique occidentale pour les
non-musiciens (2018) et les fondamentaux de
la théorie musicale aux étudiants de licence
(2017). Ses recherches sont consacrées à
l’histoire de la technologie et ses liens avec
la production et la consommation musicale
au XXI e siècle. Il s’intéresse particulièrement
aux premiers ordinateurs numériques, à
l’application des mathématiques et des techniques numériques actuelles à la résolution
de problèmes en musicologie et en théorie
de la musique, à la visualisation des données
musicales. Il est également titulaire d’une
licence en Musique et Mathématiques du
Trinity College à Dublin (2013). Il a récemment obtenu un contrat de recherche de
deux ans dans son institution d’origine, au
sein de laquelle il travaille sur l’histoire des
supports d’enregistrement optiques.
Sarah Benhaïm : Docteure en musique
et sciences sociales au CRAL à l’EHESS,
Sarah Benhaïm a consacré sa thèse à l’étude de
la musique noise et aux pratiques culturelles
qui lui sont associées, par le biais d’une
approche interdisciplinaire mêlant musicologie, sociologie et esthétique. Elle s’intéresse
en particulier aux leviers pratiques et symboliques que constituent dans la construction
du genre le bruit, l’expérimentation et le Do
It Yourself (DIY), et leur résonance dans les
pratiques contemporaines relevant des arts
sonores, du bricolage instrumental et de la
culture amateure. Membre du comité de
rédaction de la revue Transposition. Musique
et sciences sociales, elle a enseigné la théorie
de l’art et l’histoire du design graphique.
Elle joue dans le trio électronique DMZ et
collabore au label Tanzprocesz.
Maxim Bonin : Maxim Bonin est
étudiant au doctorat en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) où
il enseigne comme chargé de cours à l’École
de design. Sa thèse, en cours de développement, explore les transitions numérique et
territoriale de la scène indie rock de New York
des années 2000. En plus d’être récipiendaire
de bourses d’excellence, il reçoit en 2016
le Terrance Cox Award de l’Association de
culture populaire du Canada. Il est également
Biographies des auteurs
Baptiste Bacot : Baptiste Bacot
est docteur en musique, histoire, société
(EHESS/Ircam). Son travail porte sur
les pratiques de la musique électronique.
En approchant l’activité musicienne par
la démarche ethnographique, il s’intéresse
particulièrement aux questions de design
instrumental et d’organologie, d’esthétique
musicale, au rapport entre la technologie
et les stratégies créatives des musiciens et
enfin, au geste et à la performance dans la
musique savante contemporaine, la musique
électronique de danse et les représentations
audiovisuelles.
191
étudiant chercheur au sein de l’Atelier de
chronotopies urbaines et fondateur de la
coopérative de design urbain Le Comité.
Biographies des auteurs
Clément Canonne : Clément Canonne
est chargé de recherche au CNRS, rattaché à l’équipe Analyse des Pratiques
Musicales au sein de l’UMR 9912 « Sciences
et Technologies de la Musique et du Son »
(IRCAM-CNRS-Sorbonne Université).
Ses recherches portent principalement sur
la question de l’improvisation, envisagée à la
fois comme pratique et comme paradigme.
Son travail récent a fait l’objet de publications dans plusieurs revues internationales
(Cognition, Empirical Musicology Review,
Music Theory Online, Revue de Musicologie,
Psychology of Music, Journal of New Music
Research, etc.). Il s’intéresse également à
la philosophie de la musique : il a dirigé un
ouvrage collectif consacré aux Perspectives philosophiques sur les musiques actuelles (Delatour,
2017) et a traduit et introduit, en collaboration
avec Pierre Saint-Germier, une sélection des
Essais de philosophie de la musique de Jerrold
Levinson (Vrin, 2015).
192
David Christoffel : David Christoffel
est poète et compositeur, homme de radio
et docteur en musicologie de l’EHESS.
Auteur d’opéras parlés (Échecs opératiques,
Opéra de Rouen, 2018), de mélodrames
(Tapisseries, Festival d’automne à Paris 2018)
et de pièces radiophoniques pour la scène
(La Voix de Foucault, ManiFeste, 2014), il
mène une réflexion sur les rapports entre
poésie et musique en publiant de nombreux articles et en dirigeant le volume
Orphée dissipé (RSH, 2018). Ancien chroniqueur pour France Musique, il produit
des émissions pour Espace 2 (RTS) et le
programme Métaclassique diffusée sur
plusieurs dizaines de radios associatives. Il
est également l’auteur d’Ouvrez la tête (ma thèse
sur Satie) (aux éditions MF, 2017) et de l’essai La musique vous veut du bien (PUF, 2018).
Ses travaux sont recensés sur le site http://
www.dcdb.fr/
Nicolas Collins : Nicolas Collins est
Professeur à la School of the Art Institute de
Chicago. Influencé par Alvin Lucier, David
Tudor et la culture punk, son travail se situe
à la croisée de la musique expérimentale, de
l’informatique musicale et de l’art sonore. Au
cours de sa carrière, il a créé de nombreux
dispositifs musicaux reposant sur le détournement ou l’altération de technologies existantes : des lecteurs CD modifiés donnant à
entendre le son produit par le disque lorsque
celui-ci est mis en pause (Broken Light, 1991) ;
un trombone abritant un système de traitement du signal bricolé à partir d’une réverb
digitale et d’une carte mère de Commodore 64
(Tobabo Fonio, 1986) ; ou encore des circuits
électroniques hors d’usage qui se trouvent
« réanimés », le temps d’une performance, par
des sondes créant des jeux de feedbacks avec
d’autres composants électroniques (Salvage,
2008). Il est également l’auteur d’un ouvrage
de référence, Handmade Electronic Music :
The Art of Hardware Hacking (Routledge,
2009), véritable manuel d’introduction au
monde du hacking musical.
Marion Henry : Marion Henry est
doctorante en co-tutelle au Centre d’Histoire de Sciences Po (CHSP) (Paris) et au
Scottish Oral History Centre (SOHC) de
l’Université de Strathclyde (Glasgow). Son
travail de thèse, dirigé conjointement par
Paul-André Rosental et Arthur McIvor,
16
1
Christophe Levaux : Christophe
Levaux est docteur en musicologie de l’Université de Liège et Chargé de recherches
F.R.S.-FNRS. Sa recherche croise les
approches de la théorie de l’acteur réseau et
de l’histoire de la musique expérimentale et
populaire du XX e siècle. Il a publié sur le sujet
dans les revues Tacet, Rock Music Studies ou
Organised Sound et a édité avec Olivier Julien
un ouvrage consacré à la répétition dans
les musiques populaires chez Bloomsbury
Academics en 2018. Sa thèse de doctorat,
« We Have Always Been Minimalist », sera
publiée aux University of California Press
en 2020.
Denis-Constant Martin : DenisConstant Martin, docteur ès-Lettres,
aujourd’hui à la retraite, effectua, après
avoir suivi des études de socio-anthropologie
et de politologie, une carrière de chercheur
à la Fondation nationale des sciences politiques de 1968 à 2015 (CERI, Centre de
recherches internationales, Sciences-Po
Paris, puis, LAM, Les Afriques dans le
monde, Sciences Po Bordeaux, laboratoire
auquel il est toujours associé). Il a enseigné
notamment à Sciences Po Paris, Sciences Po
Bordeaux, Paris 1 et Paris 8. À partir de
travaux de terrain en Afrique orientale
et australe ainsi que dans les Caraïbes du
Commonwealth, il s’est attaché à explorer les rapports entre culture et politique
dans une perspective comparatiste, ce qui
l’a conduit à s’intéresser, notamment, aux
problèmes de construction et d’expression
des identités en politique ainsi qu’aux relations entre fêtes, musiques populaires et
représentations politiques. Dans le cadre
de ce travail, il a contribué à la réflexion
théorique et méthodologique sur la sociologie des musiques populaires. Il est membre
de la Société française d’ethnomusicologie.
Eva Nicolas : Eva Nicolas est en doctorat de sciences de gestion au LEMNA, à
l’IAE de l’Université de Nantes. Elle prépare une thèse, sous la direction de Nathalie
Schieb-Bienfait, Sandrine Emin et Gérôme
Guibert, portant sur les modalités de l’action
collective au sein du phénomène de patrimonialisation des musiques populaires en
France.
Nicolas Nova : Nicolas Nova est enseignant et chercheur à la Haute École d’Art et
de Design (HEAD), Genève.
Marilou Polymeropoulou : Marilou
Polymeropoulou est chercheuse affiliée à
la School of Anthropology and Museum
Ethnography à l’Université d’Oxford,
membre de la Higher Education Academy ;
elle enseigne la sociologie et l’anthropologie
au Oxford Sixth Form College. Elle a rédigé
sa thèse sur la créativité dans la chipmusic à
l’Université d’Oxford en tant que titulaire
de la bourse de la Greek State Scholarships
Foundation. Elle a reçu plusieurs distinctions
académiques (O’Reilly Media, RMA, BFE,
St. Peter’s College, Hebrew and Jewish
Studies Unit Management Committee) ;
ses recherches ont été publiées dans des
revues à comité de lecture. Ses recherches
Biographies des auteurs
porte sur les brass bands au sein des bassins miniers britanniques entre 1945 et
1984. Dernière publication : « Les usages
politiques et formes de politisation des
cultures minières britanniques (1945 – début
des années 1960) : le cas des brass bands »,
Cahiers Jaurès, 2018/4, no 230, p. 91-107.
193
portent essentiellement sur la chipmusic et la
chipscene, qu’elle étudie à l’aide de méthodes
ethnographiques et des outils de l’analyse
des réseaux sociaux.
Actuellement, il travaille sur la circulation
des genres musicaux, les pratiques d’écoute
musicale et l’inscription des mondes musicaux dans la ville.
Stéphane Resche : Stéphane Resche
est agrégé d’italien et docteur (Paris Ouest
Nanterre/Roma Tre/Université FrancoItalienne). Membre associé du laboratoire
IMAGER (EA 3958, Paris-Est Créteil) et
du Laboratorio (EA 4590, Toulouse), il questionne ce qui peut relever de la dramaturgie
sonore et, plus généralement, de l’intermédialité. Ses recherches portent actuellement
sur l’image de l’espace méditerranéen et
européen dans la chanson internationale et
la dramaturgie contemporaine. Il intervient
par ailleurs régulièrement en qualité de dramaturge, comédien, traducteur et metteur
en scène.
Michael Spanu : Michael Spanu est
docteur de l’université de Lorraine. Sa
thèse de sociologie porte sur la pratique
des langues chantées dans les musiques
populaires en France. Il a coordonné le
numéro “Avec ma gueule de métèque” de
la revue Volume! La revue des musiques populaires et dirige le prix jeunes chercheurs de
la branche francophone de l’International
Association for the Study of Popular Music
(IASPM). Il travaille également comme
chercheur indépendant avec des organismes
professionnels comme le Live DMA et la
Fédération nationale des cafés-cultures (Barbars). Ses recherches actuelles portent sur
la transition numérique de la musique live
et sur le développement de la vie nocturne
en milieu urbain.
Biographies des auteurs
François Ribac : François Ribac est
compositeur et enseignant chercheur à l’université de Dijon. Il est membre du laboratoire
CIMEOS. Il a été responsable éditorial
de Simon Frith, une sociologie des musiques
populaires, Dijon/Paris, Petite collection du
Labex Arts H2H / Les presses du réel, 2018.
194
Loic Riom : Loïc Riom est membre
de l’Institut de recherches sociologiques
de l’Université de Genève. Ses domaines
d’expertise sont la ville et la culture.
Gabriele Stera : Gabriele Stera est
chercheur indépendant, artiste sonore, traducteur et poète, actif en Italie et en France.
Il travaille au croisement des sound-studies,
de la philosophie de la technique et des langages expérimentaux. Ses recherches sont
actuellement centrées autour de l’archéologie
des média sonores, des musiques bruitistes
et des formes d’écriture hors du livre.
Le catalogue des
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