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Faire-Rempart

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Faire rempart
Depuis un an, j'ai engagé une recherche qui
prend pour terrain de prospection l’architecture
des places fortes (voir aparté çi-contre).
Une place forte est un ouvrage de fortification active
engagé dans les stratégies militaires des états. C’est
une machine de guerre enkystée au sein du territoire
dont la fonction est de produire de la protection,
mais aussi et à part égale, de l’agression. En tant
que technologie de guerre, c’est aussi l’artefact d’un
contexte politique, économique, et idéologique que
la place forte contribue à affermir. Durant la période
moderne puis contemporaine, ces architectures ont
été portées à un haut degré de développement,
standardisées et fabriquées en masse. Ensuite, l’arme
atomique et la guerre asymétrique ont mis un terme au
temps des forteresses physiques. Les fortifications nous
apparaissent aujourd’hui dépassées et anachroniques,
des ruines héritées d’un passé plus ou moins proche
mais néanmoins révolu, de vagues stigmates des crises
passées dont les mandats primitifs (la surveillance et la
guerre) nous parviennent banalisés. Elles constituent
néanmoins des reliefs significatifs de la construction de
notre modernité : les places fortes racontent l’industrie
de la guerre et, sous forme de prototypes, reflètent
certains des dogmes et des idéologies qui ont ou qui
formatent encore nos sociétés occidentales. Plus
largement, ce type d’architecture provoque une hypnose
diffuse, complexe à définir, et qui pourtant demeure
manifeste en dépit des altérations et du passage
du temps. Ces ouvrages convoquent indirectement
l’esthétique du sublime et de la catastrophe, et
dans un registre singulier, de celle de la ruine.
Dans mon travail plastique, cette matière première est
appréhendée avec une subjectivité assumée et d’après
une mythologie personnelle. Le projet est de sonder la
charge fictionnelle, la part de fantasmagorique encapsulée
dans ces espaces, les récits et obsessions qui les habitent.
Finalement, par la pratique du dessin et de l’image
imprimée, il s’agit d’établir une iconographie parallèle,
hybride entre étude documentaire et récit fantasmé.
Ce projet s’élabore et prolifère de manière
exploratoire, suivant les directions qui s’imposent au
fur et à mesure du travail d’investigation. Il s’organise
cependant selon deux approches complémentaires
et menées de front. D’une part, l’auscultation des
fantasmes, idéologies, symboles et concepts que la
figure de la place forte a pu mobiliser ou mobilise
encore implicitement. D’autre part, avec la volonté
de comprendre et d’éprouver ce type d’ouvrage de
manière directe et physique, le projet se fonde aussi su
l’observation et l’examen approfondi, mené in situ, de
différents sites fortifiés, comme par exemple celui de
La Bastille à Grenoble (France). Ainsi, il s’agit d’une
recherche transversale, en premier lieu plastique mais
finalement étendue aux champs technique, esthétique,
théorique, historique ou encore iconographique.
L’ambition est aussi de mener une expérimentation
technique poussée, qui mêle les outils de la gravure taille
douce classique aux techniques d’impression faisant appel
aux nouvelles technologies (gravure assistée par C.N.C.,
impressions digitales, dessins au traceur/plotter).
Plus largement, ma méthodologie a pour conséquence
une profusion de média, de fichiers, de photos, de
fragments, que je traite et assemble dans mes estampes
afin d’en faire émerger un sens intime. L’enjeu est
donc aussi de donner à voir le processus obsessionnel
de recherche autant que ses produits. Montrer les
tâtonnements, les tentatives, l’épuisement des formes,
les esquisses, les impasses. La somme de ces itérations
permet de évaluer et de rendre compte de cet objet
architectural complexe que constitue une place forte.
23
Parmi les différents types de
fortifications, la place forte est
un type d’ouvrage emblématique.
Une place forte est un ensemble
cohérent de fortifications attaché
à la protection active d’un
territoire. C’est un ouvrage conçu
comme un appui qui, ménageant
un espace protégé, constitue une
position privilégiée depuis laquelle
les capacités et la puissance
offensive de l’assiégé sont
accrues. Son principal avantage
tactique n’est pas son caractère
inexpugnable (c’est un mythe)
mais réside dans le déséquilibre
des forces que les deux parties
engagent : un petit nombre de
défenseurs suffisent à tenir la
place forte quand l’assaillant
doit, lui, mobiliser un effectif
largement plus conséquent.
La place forte à pour fonction
de juguler, de fixer l’attaque
et, même temps, de permettre
à ces défenseurs d’harceler,
d’user l’armée ennemie afin, par
exemple, de faciliter une attaque
à revers. Une place forte est
une « cuirasse collective » (Paul
Virilio, Bunker Archéologie,
Édition Galilée 2008, p49) tout
autant qu’une machine de guerre
intégrée à la stratégie militaire
des États.
Faire rempart (La Bastille)
Quelques dessins et estampes qui forment
une série autour de la place forte qui domine
la ville de Grenoble, La Bastille (France).
Selon Paul Virilio, « l’art de la guerre vise à
constituer un lieu impropre à l’homme là où,
précisément, se trouvait son habitat naturel » (Paul
Virilio, Bunker Archéologie, Édition Galilée 2008, p49).
Cette hypothèse augmente la définition d’une place
forte : si le champ de bataille est l’épicentre du néoenvironnement produit par la guerre, alors la place forte
émerge comme une enclave acclimatée à ce dernier.
En outre, toute fortification est soutenue par une
règle fondamentale : espace vu = espace défendu.
Ce précepte implique un contrôle absolu de l’espace
et de son aménagement. Cet impératif de domination
se réalise dans un territoire remodelé en faveur de la
place forte. L’ensemble dessine une épure âprement
fonctionnelle, un paysage manufacturé et strictement
maîtrisé. De ce fait, cette série examine aussi le lien
qui lie le militaire et la cartographie (à titre d’exemple,
le général Haxo (1774-1838) qui a pensé le projet
de fortification de La Bastille dans sa forme actuelle
est aussi l’inventeur d’un système de représentation
topographique utilisé jusqu’à l’aube du XXème siècle).
Finalement, bâtir une forteresse, c’est
planifier une île artificielle, un terrain à la fois
émancipé et hégémonique – un lieu de survie
en réaction à un contexte délétère.
pages 24 à 28 :
formats divers (environ A3) ;
24
eau forte, feutres (plotter), impression jet d’encre et/ou laser ;
été 2020
25
26
27
28
© Marina Gusina
145,5x128 cm ;
aquatinte et feutres ;
été 2020
29
30
© Marina Gusina
97x128 cm ;
aquatinte et eau-forte ;
été 2020
31
32
33
© Marina Gusina
42x77 cm ;
eau forte et feutres (plotter) ;
été 2020
34
© Marina Gusina
48x36 cm ;
eau forte et feutres (plotter) ;
été 2020
35
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