It was the summer that men first walked on the moon. I was very young back then, but I did not believe there would ever be a future. I wanted to live dangerously, to push myself as far as I could go, and then see what happened to me when I got there. As it turned out, I nearly did not make it. Little by little, I saw my money dwindle to zero; I lost my apartment; I wound up living in the streets. If not for a girl named Kitty Wu, I probably would have starved to death. I had met her by chance only a short time before, but eventually I came to see that chance as a form of readiness, a way of saving myself through the minds of others. That was the first part. From then on, strange things happened to me. I took the job with the old man in the wheelchair. I found out who my father was. I walked across the desert from Utah to California. That was a long time ago, of course, but I remember those days well, I remember them as the beginning of my life. C'était l'été où l'homme a pour la première fois posé le pied sur la Lune. J'étais très jeune en ce temps-là, mais je n'avais aucune foi dans l'avenir. Je voulais vivre dangereusement, me pousser aussi loin que je pourrais aller, et voir ce qui se passerait une fois que j'y serais parvenu. En réalité j'ai bien failli ne pas y parvenir. Petit à petit, j'ai vu diminuer mes ressources jusqu'à zéro ; j'ai perdu mon appartement ; je me suis retrouvé à la rue. Sans une jeune fille du nom de Kitty Wu, je serais sans doute mort de faim. Je l'avais rencontrée par hasard peu de temps auparavant, mais j'ai fini par m'apercevoir qu'il s'était moins agi de hasard que d'une forme de disponibilité, une façon de chercher mon salut dans la conscience d'autrui. Ce fut la première période. A partir de là, il m'est arrivé des choses étranges. J'ai trouvé cet emploi auprès du vieil homme en chaise roulante. J'ai découvert qui était mon père. J'ai parcouru le désert, de l'Utah à la Californie. Il y a longtemps, certes, que cela s'est passé, mais je me souviens bien de cette époque, je m'en souviens comme du commencement de ma vie. I came to New York in the fall of 1965. I was eighteen years old then, and for the first nine months I lived in a college dormitory. All out-oftown freshmen at Columbia were required to live on campus, but once the term was over I moved into an apartment on West 112th Street. That was where I lived for the next three years, right up to the moment when I finally hit bottom; Considering the odds against me, it was a miracle I lasted as long as I did. Je suis arrivé à New York à l'automne 1965. J'avais alors dix-huit ans, et durant les neuf premiers mois j'ai habité dans une résidence universitaire. A Columbia, tous les étudiants de première année étrangers à la ville devaient obligatoirement résider sur le campus, mais dès la fin de la session j'ai déménagé dans un appartement de la Cent douzième rue ouest. C'est là que j'ai passé les trois années suivantes. Compte tenu des difficultés auxquelles j'ai dû faire face, il est miraculeux que j'aie tenu aussi longtemps I lived in that apartment with over a thousand books. They had originally belonged to my Uncle Victor, and he had collected them slowly over the course of about thirty years. Just before I went off to college, he impulsively offered them to me as a going- away present. I did my best to refuse, but Uncle Victor was a sentimental and generous man, and he would not let me turn him down. "I have no money to give you," he said, "and not one word of advice. Take the books to make me happy." I took the books, but for the next year and a half I did not open any of the boxes they were stored in. My plan was to persuade my uncle to take the books back, and in the meantime I did not want anything to rapper, to them. J'ai vécu dans cet appartement avec plus d'un millier de livres. Dans un premier temps, ils avaient appartenu à mon oncle Victor, qui les avait peu à peu accumulés au long d'environ trente années. Juste avant mon départ pour le collège, d'un geste impulsif, il me les avait offerts en cadeau d'adieu. J'avais résisté de mon mieux, mais oncle Victor était un homme sentimental et généreux, et il n'avait rien voulu entendre. "Je n'ai pas d'argent à te donner, disait-il, et pas le moindre conseil. Prends les livres pour me faire plaisir." J'ai pris les livres, mais pendant un an et demi je n'ai ouvert aucun des cartons dans lesquels ils étaient emballés. J'avais le projet de persuader mon oncle de les reprendre et, en attendant, je souhaitais qu'il ne leur arrive rien. As it turned out, the boxes were quite useful to me in that state.The apartment on 112th Street was unfurnished, and rather squander my funds on things I did not want and could not afford, I converted the boxes into several pieces of "imaginary furniture." It was a little like working on a puzzle: grouping the cartons Tels quels, ces cartons me furent en réalité très utiles. L'appartement de la Cent douzième rue n'était pas meublé et, plutôt que de gaspiller mes fonds en achats que je ne désirais ni ne pouvais me permettre, je convertis les cartons en "mobilier imaginaire". Cela ressemblait à un jeu de patience : il fallait les grouper selon différentes 1 into various modular configurations, lining them up in rows, stacking them one on top of another, arranging and rearranging them until they finally began to resemble household objects. One set of sixteen served as the support for my mattress, another set of twelve became a table, others of seven became chairs, another of two became a bedstand, and so on. The overall effect was rather monochromatic, what with that somber light brown everywhere you looked, but I could not help feeling proud of my resourcefulness. My friends found it a bit odd, but they had learned to expect odd things from me by then. Think of the satisfaction, I would explain to them, of crawling into bed and knowing that your dreams are about to take place on top of nineteenth- century American literature. Imagine the pleasure of sitting down to a meal with the entire Renaissance lurking below your food. In point of fact, I had no idea which books were in which boxes, but I was a great one for making up stories back then, and I liked the sound of those sentences, even if they were false. My imaginary furniture remained intact for almost a year. Then, in the spring of 1967, Uncle Victor died. This death was a terrible blow for me; in many ways it was the worst blow I had ever had. Not only was Uncle Victor the person I had loved most in the world, he was my only relative, my one link to something larger than myself. Without him I felt bereft, utterly scorched by fate. If I had been prepared for his death somehow, it might have been easier for me to contend with. But how does one prepare for the death of a fifty-two-yearold man whose health has always been good? My uncle simply dropped dead one fine afternoon in the middle of April, and at that point my life began to change, I began to vanish into another world. There is not much to tell about my family. The cast of characters was small, and most of them did not stay around very long. I lived with my mother until I was eleven, but then she was killed in a traffic accident, knocked down by a bus that skidded out of control in the Boston snow. There was never any father in the picture, and so it had just been the two of us, my mother and I. The fact that she used her maiden name was proof that she had never been married, but I did not learn that I was illegitimate until after she was dead. As a small boy, it never occurred to me to ask questions about such things. I was Marco Fogg, and my mother was Emily Fogg, and my uncle in Chicago was Victor Fogg. We were all Foggs, configurations modulaires, les aligner, les empiler les uns sur les autres, les arranger et les réarranger jusqu'à ce qu'ils ressemblent enfin à des objets domestiques. Une série de seize servait de support à mon matelas, une autre de douze tenait lieu de table, groupés par sept ils devenaient sièges, par deux, table de chevet. Dans l'ensemble, l'effet était plutôt monochrome, avec, où que l'on regardât, ce brun clair assourdi, mais je ne pouvais me défendre d'un sentiment de fierté devant mon ingéniosité. Mes amis trouvaient bien cela étrange, mais ils s'étaient déjà frottés à mes étrangetés. Pensez à la satisfaction, leur expliquais-je, de vous glisser au lit avec l'idée que vos rêves vont se dérouler au-dessus de la littérature américaine du xixe siècle. Imaginez le plaisir de vous mettre à table avec la Renaissance entière tapie sous votre repas. A vrai dire je ne savais pas du tout quels livres se trouvaient dans quels cartons, mais j'étais très fort à cette époque pour inventer des histoires, et j'aimais le ton de ces phrases, même si elles n'étaient pas fondées. Mon mobilier imaginaire resta intact pendant près d'un an. Puis, au printemps 1967, oncle Victor mourut. Sa mort fut pour moi un choc terrible ; à bien des égards, c'était le pire choc que j'eusse jamais subi. Oncle Victor n'était pas seulement l'être au monde que j'avais le plus aimé, il était mon seul parent, mon unique relation à quelque chose de plus vaste que moi. Sans lui, je me sentis dépossédé, écorché vif par le destin. Si je m'étais d'une manière ou d'une autre attendu à sa disparition, j'en aurais sans doute pris plus facilement mon parti. Mais comment s'attendre à la mort d'un homme de cinquante-deux ans dont la santé a toujours été bonne ? Mon oncle s'est simplement écroulé par un bel après-midi de la mi-avril, et ma vie à cet instant a commencé à basculer, j'ai commencé à disparaître dans un autre univers. Il n'y a pas grand-chose à raconter sur ma famille. La liste des personnages est courte, et pour la plupart ils ne sont guère restés en scène. J'ai vécu jusqu'à onze ans avec ma mère, mais elle a été tuée dans un accident de la circulation, renversée par un autobus qui dérapait, incontrôlable, dans la neige de Boston. Il n'y avait jamais eu de père dans le tableau, seulement nous deux, ma mère et moi. Le fait qu'elle portât son nom de jeune fille prouvait qu'elle n'avait jamais été mariée, mais je n'ai appris qu'après sa mort que j'étais illégitime. Quand j'étais petit, il ne me venait pas à l'esprit de poser des questions sur de tels sujets. J'étais Marco Fogg, ma mère Emily Fogg, et mon oncle de Chicago Victor Fogg. Nous étions tous des Fogg et il me paraissait tout à fait logique que les membres 2 and it made perfect sense that people from the same family should have the same name. Later on, Uncle Victor told me that his father's name had originally been Fogelman, but someone in the immigration offices at Ellis Island had truncated it to Fog, with one g, and this had served as the family's American name until the second g was added in 1907. Fogel meant bird, my uncle informed me, and I liked the idea of having that creature embedded in who I was. I imagined that some valiant ancestor of mine had once actually been able to fly. A bird flying through fog, I used to think, a giant bird flying across the ocean, not stopping until it reached America. d'une même famille portent le même nom. Plus tard, oncle Victor m'a raconté qu'à l'origine le nom de son père était Fogelman, et que quelqu'un. à Ellis Island, dans les bureaux de l'immigration, l'avait réduit à Fog, avec un g, ce qui avait tenu lieu de nom américain à la famille jusqu'à l'ajout du second g, en 1907. Fogel veut dire oiseau, m'expliquait mon oncle, et j'aimais l'idée qu'une telle créature fît partie de mes fondements. Je m'imaginais un valeureux ancêtre qui, un jour, avait réellement été capable de voler. Un oiseau volant dans le brouillard, me figurais-je1, un oiseau géant qui traversait l'Océan sans se reposer avant d'avoir atteint l'Amérique. I don't have any pictures of my mother, and it is difficult for me to remember what she looked like. Whenever I see her in my mind, I come upon a short, dark-haired woman with thin child's wrists and delicate white fingers, and suddenly, every so often, I can remember how good it felt to be touched by those fingers. She is always very young and pretty when I see her, and that is probably correct, since she was only twenty-nine when she died. We lived in a number of small apartments in Boston and Cambridge, and I believe she worked for a textbook company of some sort, although I was too young to have any sense of what she did there. What stands out most vividly for me are the times we went to the movies together (Randolph Scott Westerns, War of the Worlds, Pinocchio), and how we would sit in the darkness of the theater, working our way through a box of popcorn and holding hands. She was capable of telling jokes that sent me into fits of raucous giggling, but that happened only rarely, when the planets were in the right conjunction. More often than not she was dreamy, given to mild sulks, and there were times when I felt a true sadness emanating from her, a sense that she was battling against some vast and internal disarray. As I grew older, she left me at home with baby-sitters more and more often, but I did not understand what these mysterious departures of hers meant until much later, long after she was dead. With my father, however, all was a blank, both during and after. That was the one subject my mother refused to discuss with me, and whenever I asked the question, she would not budge. "He died a long time ago," she would say, "before you were born." There was no evidence of him anywhere in the house. Not one photograph, not even a name. For want of something to cling to, I imagined him as a dark-haired version Je ne possède aucun portrait de ma mère et j'ai du mal à me rappeler son apparence. Quand je l'évoque en pensée, je revois une petite femme aux cheveux sombres, avec des poignets d'enfant et des doigts blancs, délicats, et soudain, chaque fois, je me souviens combien c'était bon, le contact de ces doigts. Elle est toujours très jeune et jolie, dans ma mémoire, et c'est sans doute la vérité, puisqu'elle n'avait que vingt-neuf ou trente ans quand elle est morte. Nous avons habité plusieurs petits appartements à Boston et à Cambridge, et je crois qu'elle travaillait pour l'un ou l'autre éditeur de livres scolaires, mais j'étais trop jeune pour me représenter ce qu'elle pouvait y faire. Ce qui me revient avec la plus grande vivacité, ce sont les occasions où nous allions ensemble au cinéma (des westerns avec Randolph Scott, La Guerre des mondes, Pinocchiô), et comment, assis dans l'obscurité de la salle et nous tenant par la main, nous faisions un sort à un cornet de pop-corn. Elle était capable de raconter des blagues qui provoquaient chez moi des fous rires à perdre haleine, mais cela n'arrivait que rarement, quand les planètes se trouvaient dans une conjonction favorable. La plupart du temps, elle était rêveuse, avec une légère tendance à la morosité, et par moments je sentais émaner d'elle une véritable tristesse, l'impression qu'elle était en lutte contre un désarroi immense et secret. Au fur et à mesure que je grandissais, elle me laissait plus souvent seul chez nous, à la garde d'une babysitter, mais je n'ai compris la signification de ses mystérieuses absences que beaucoup plus tard, des années après sa mort. En ce qui concerne mon père, cependant, rien, ni avant, ni après. C'était l'unique sujet dont ma mère refusait de discuter avec moi, et chaque fois que je l'interrogeais, elle était inébranlable. "Il est mort depuis longtemps, disait-elle, bien avant ta naissance." Il n'y avait aucune trace de lui dans la maison. Pas une photographie, pas même un nom. Faute de pouvoir 3 of Buck Rogers, a space traveler who had m'accrocher à quelque chose, je me l'imaginais comme passed into the fourth dimension and could not une sorte de Buck Rogers aux cheveux sombres, un find his way back. voyageur sidéral, passé dans une quatrième dimension, et qui ne trouvait pas le chemin du retour. My mother was buried next to her parents in West lawn Cemetery, and after that I went to Ma mère a été enterrée auprès de ses parents dans le live with Uncle Victor on the North Side of cimetière de West lawn, et ensuite je suis allé habiter chez Chicago. Much of that early period is lost to me oncle Victor, dans le nord de Chicago. Je n'ai guère de now, but I apparently moped around a lot and did my fair share of sniffling, sobbing myself to souvenirs de cette première période mais il semble que j'ai sleep at night like some pathetic orphan hero in souvent broyé du noir et largement joué ma partie de a nineteenth-century novel. At one point, a reniflette, m'endormant le soir en sanglots comme foolish woman acquaintance of Victor's ran into quelque orphelin pathétique dans un roman du xixe siècle. us on the street and started crying when she Un jour, une femme un peu sotte, que connaissait Victor, was introduced to me, dabbing her eyes with a handkerchief and blubbering on about how I nous a rencontrés dans la rue et, au moment où je lui étais must be poor Emmie's love child. I had not présenté, elle s'est mise à pleurer, à se tamponner les yeux heard that term before, but I could tell that it avec son mouchoir et à bafouiller que je devais être hinted at gruesome and unfortunate things. l'enfant de l'amour de cette pauvre Emily. Je n'avais jamais When I asked Uncle Victor to explain it to me, entendu cette expression, mais j'y devinais une allusion à he invented an answer I have always des choses affreuses et lamentables. Quand j'en ai deremembered. "All children are love children," he said, "but only the best ones are ever called mandé l'explication à oncle Victor, il a improvisé une réponse que je n'ai pas oubliée : "Tous les enfants sont des that." enfants de l'amour, m'a-t-il dit, mais on n'appelle ainsi que les meilleurs." My mother's older brother was a spindly, Le frère aîné de ma mère était un vieux garçon de beak-nosed bachelor of forty-three who earned his living as a clarinetist. Like all the Foggs, he quarante et un ans, long et maigre, avec un nez en bec had a penchant for aimlessness and reverie, for d'oiseau, qui gagnait sa vie en jouant de la clarinette. sudden bolts and lengthy torpors. After a Comme tous les Fogg, il avait un penchant pour l'errance et promising start as a member of the Cleveland la rêverie, avec des emballements soudains et de longues Orchestra, these traits eventually got the better torpeurs. Après des débuts prometteurs comme membre of him. He overslept rehearsals, showed up at performances without his tie, and once had the de l'orchestre de Cleveland, il avait finalement été victime effrontery to tell a dirty joke within earshot of de ces traits de caractère. Il restait au lit à l'heure des the Bulgarian concertmaster. After he was répétitions, arrivait aux concerts sans cravate, et eut un sacked, Victor bounced around with a number jour l'effronterie de raconter une blague cochonne à of lesser orchestras, each one a little worse portée d'oreille du chef d'orchestre bulgare. Après avoir than the one before, and by the time he returned to Chicago in 1953, he had learned to été mis à la porte, il s'était retrouvé dans des orchestres de accept the mediocrity of his career. When I moindre importance, chacun un peu plus minable que le moved in with him in February of 1958, he was précédent, et à l'époque de son retour à Chicago, en 1953, giving lessons to beginning clarinet students il avait appris à accepter la médiocrité de sa carrière. and playing for Howie Dunn's Moonlight Quand je suis venu vivre chez lui en 1958, il donnait des Moods, a small combo that made the usual leçons à des clarinettistes débutants et jouait pour les rounds of weddings, confirmations, and graduation parties. Victor knew that he lacked Howie Dunn's Moonlight Moods2, un petit groupe qui ambition, but he also knew that there were faisait les tournées habituelles, de mariages en confirmaother things in the world besides music. So tions et en célébrations de fin d'études. Victor avait many things, in fact, that he was often conscience de manquer d'ambition, mais il savait aussi qu'il overwhelmed by them. Being the sort of person existait au monde d'autres sujets d'intérêt que la musique. who always dreams of doing something else while occupied, he could not sit down to Si nombreux, en fait, qu'il en était souvent débordé. Il était practice a piece without pausing to work out a de ces gens qui, lorsqu'ils sont occupés à une chose, rêvent chess problem in his head, could not play chess toujours à une autre ; il était incapable de s'asseoir pour without thinking about the failures of the répéter un morceau sans s'interrompre afin de réfléchir à Chicago Cubs, could not go to the ballpark 2 Les Ambiances lunaires de Howie Dunn. (N.d. T.) 4 without considering some minor character in Shakespeare, and then, when he finally got home, could not sit down with his book for more than twenty minutes without feeling the urge to play his clarinet. Wherever he was, then, and wherever he went, he left behind a cluttered trail of bad chess moves, of unfinished box scores, and half-read books. It was not hard to love Uncle Victor, however. The food was worse than it had been with my mother, and the apartments we lived in were shabbier and more cramped, but in the long run those were minor points. Victor did not pretend to be something he was not. He knew that fatherhood was beyond him, and therefore he treated me less as a child than as a friend, a diminutive and much-adored crony. It was an arrangement that suited us both. Within a month of my arrival, we had developed a game of inventing countries together, imaginary worlds that overturned the laws of nature. Some of the better ones took weeks to perfect, and the maps I drew of them hung in a place of honor above the kitchen table. The Land of Sporadic Light, for example, and the Kingdom of One-Eyed Men. Given the difficulties the real world had created for both of us, it probably made sense that we should want to leave it as often as possible. Not long after I arrived in Chicago, Uncle Victor took me to a showing of the movie Around the World in 80 Days. The hero of that story was named Fogg, of course, and from that day on Uncle Victor called me Phileas as a term of endearment—a secret reference to that strange moment, as he put it, "when we confronted ourselves on the screen." Uncle Victor loved to concoct elaborate, nonsensical theories about things, and he never tired of expounding on the glories hidden in my name. Marco Stanley Fogg. According to him, it proved that travel was in my blood, that life would carry me to places where no man had ever been before. Marco, naturally enough, was for Marco Polo, the first European to visit China; Stanley was for the American journalist who had tracked down Dr. Livingstone "in the heart of darkest Africa"; and Fogg was for Phileas, the man who had stormed around the globe in less than three months. It didn't matter that my mother had chosen Marco simply because she liked it, or that Stanley had been my grandfather's name, or that Fogg was a misnomer, the whim of some half-literate American functionary. Uncle Victor found meanings where no one else would have found un problème d'échecs, de jouer aux échecs sans songer aux faiblesses des Chicago Cubs, de se rendre au stade sans méditer sur quelque personnage mineur dans Shakespeare et puis, enfin rentré chez lui, de s'installer avec un livre pendant plus de vingt minutes sans ressentir une envie urgente de jouer de sa clarinette. Où qu'il eût été, où qu'il allât, la trace qu'il laissait derrière lui restait parsemée de coups maladroits aux échecs, de pronostics non réalisés et de livres à demi lus. Il n'était pas difficile, pourtant, d'aimer l'oncle Victor. Nous mangions moins bien que du temps de ma mère, et les appartements où nous habitions étaient plus miteux et plus encombrés, mais il ne s'agit là, en fin de compte, que de détails. Victor ne prétendait pas être ce qu'il n'était pas. Il savait la paternité au-dessus de ses forces et me traitait en conséquence moins comme un enfant que comme un ami, un camarade en modèle réduit et fort adoré. Cet arrangement nous convenait à tous deux. Dans le mois de mon installation, il avait élaboré un jeu consistant à inventer ensemble des pays, des mondes imaginaires qui renversaient les lois de la nature. Il fallait des semaines pour perfectionner certains des meilleurs, et les cartes que j'en traçais étaient accrochées en place d'honneur audessus de la table de la cuisine. La Contrée de la Lumière sporadique, par exemple, ou le Royaume des Hommes à un œil. Etant donné les difficultés que nous rencontrions tous deux dans le monde réel, il était sans doute logique que nous cherchions à nous en évader aussi souvent que possible Peu de temps après mon arrivée à Chicago, oncle Victor m'a emmené voir le film à succès de la saison, Le Tour du monde en quatre-vingts jours. Le nom du héros de cette histoire est Fogg, bien sûr, et à partir de ce jour-là oncle Victor m'a appelé Philéas en signe de tendresse - en secrète référence à cet instant étrange où, selon son expression, "nous avons été confrontés à nous-mêmes sur l'écran". Oncle Victor adorait concocter des théories complexes et absurdes à propos de tout, et il ne se lassait jamais d'interpréter les gloires dissimulées dans mon nom. Marco Stanley Fogg. D'après lui, cela prouvait que j'avais le voyage dans le sang, que la vie m'emporterait en des lieux où nul homme n'avait encore été. Marco, bien naturellement, rappelait Marco Polo, le premier Européen à se rendre en Chine ; Stanley, le journaliste américain qui avait retrouvé la trace du docteur Livingstone "au cœur des ténèbres africaines" ; et Fogg, c'était Philéas, l'homme qui était passé comme le vent autour du globe, en moins de trois mois. Peu importait que ma mère n'eût choisi Marco que parce qu'elle aimait ce prénom, que Stanley eût été celui de mon grand-père et que Fogg fût une appellation fausse, caprice d'un fonctionnaire américain illettré. Oncle Victor trouvait du sens là où nul autre n'en aurait vu et 5 them, and then, very deftly, he turned them into a form of clandestine support. The truth was that I enjoyed it when he showered all this attention on me, and even though I knew his speeches were so much bluster and hot air, there was a part of me that believed every word he said. In the short run, Victor's nominalism helped me to survive the difficult first weeks in my new school. Names are the easiest thing to attack, and Fogg lent itself to a host of spontaneous mutilations: Fag and Frog, for example, along with countless meteorological references: Snowball Head, Slush Man, Drizzle Mouth. Once my last name had been exhausted, they turned their attention to the first. The o at the end of Marco was obvious enough, yielding epithets such as Dumbo, Jerko, and Mumbo Jumbo, but what they did in other ways defied all expectations. Marco became Marco Polo; Marco Polo became Polo Shirt; Polo Shirt became Shirt Face; and Shirt Face became Shit Face—a dazzling bit of cruelty that stunned me the first time I heard it. Eventually, I lived through my schoolboy initiation, but it left me with a feeling for the infinite fragility of my name. This name was so bound up with my sense of who I was that I wanted to protect it from further harm. When I was fifteen, I began signing all my papers M. S. Fogg, pretentiously echoing the gods of modern literature, but at the same time delighting in the fact that the initials stood for manuscript. Uncle Victor heartily approved of this about- face. "Every man is the author of his own life," he said. "The book you are writing is not yet finished. Therefore, it's a manuscript. What could be more appropriate than that?" Little by little, Marco faded from public circulation. I was Phileas to my uncle, and by the time I reached college, I was M. S. to everyone else. A few wits pointed out that those letters were also the initials of a disease, but by then I welcomed any added associations or ironies that I could attach to myself. When I met Kitty Wu, she called me by several other names, but they were her personal property, so to speak, and I was glad of them as well: Foggy, for example, which was used only on special occasions, and Cyrano, which developed for reasons that will become clear later. Had Uncle Victor lived to meet her, I'm sure he would have appreciated the fact that Marco, in his own small way, had at last set foot in China. puis, subrepticement, le muait en une sorte de connivence secrète. En vérité, j'étais ravi de toute l'attention qu'il me prodiguait, et même si je savais que ses propos n'étaient que vent et rodomontades, une part de moi y croyait mot pour mot. A court terme, le nominalisme de Victor m'a aidé à surmonter l'épreuve des premières semaines dans ma nouvelle école. Rien n'est plus vulnérable que les noms, et "Fogg" se prêtait à une foule de mutilations spontanées : Fag et Frog3, par exemple, accompagnées d'innombrables allusions météorologiques : Boule de Neige, Gadoue, Gueule de Crachin. Après avoir épuisé les ressources que leur offrait mon patronyme, mes camarades avaient dirigé leur attention sur mon prénom. Le o à la fin de Marco était assez évident pour susciter des épithètes telles que Dumbo, Jerko, et Mumbo-Jumbo, mais ce qu'ils ont trouvé en outre défiait toute attente. Marco est devenu Marco Polo ; Marco Polo, PoloShirt ; Polo Shirt, Shirt Face ; et Shirt Face a donné Shit Face4, une éblouissante manifestation de cruauté qui m'a stupéfié la première fois que je l'ai entendue. A la longue, j'ai survécu à mon initiation d'écolier, mais il m'en est resté la sensation de l'infinie fragilité de mon nom. Ce nom était pour moi tellement lié à la conscience de mon individualité que je souhaitais désormais le protéger de toute agression. A quinze ans, j'ai commencé à signer mes devoirs M.S. Fogg, en écho prétentieux aux dieux de la littérature moderne, mais enchanté aussi du fait que ces initiales signifient manuscrit. Oncle Victor approuvait de grand cœur cette pirouette. "Tout homme est l'auteur de sa propre vie, disait-il. Le livre que tu écris n'est pas terminé. C'est donc un manuscrit. Que pourrait-il y avoir de plus approprié ?" Petit à petit, Marco a disparu du domaine public. Pour mon oncle, j'étais Philéas, et quand est arrivé le temps du collège j'étais M.S. pour tous les autres. Quelques esprits forts ont fait remarquer que ces lettres étaient aussi les initiales d'une maladie, mais à cette époque j'accueillais avec joie tout supplément d'associations ou d'ironie qui pût m'être rattaché. Quand j'ai connu Kitty Wu, elle m'a donné plusieurs autres noms, mais ils étaient sa propriété personnelle, si l'on peut dire, et de plus je les aimais bien : Foggy, par exemple, qui ne servait que dans des occasions particulières, et Cyrano, adopté pour des raisons qui deviendront évidentes plus tard. Si oncle Victor avait vécu assez longtemps pour la rencontrer, je suis certain qu'il aurait apprécié le fait que Marco eût enfin, à sa manière, mis quelque peu le pied en Chine. 3 Mégot et grenouille. (N.d.T.) 4 Marco Polo, Chemise de polo, Face de chemise, Face de merde. (N.d.T.) 6 The clarinet lessons did not go well (my breath was unwilling, my lips impatient), and I soon wormed my way out of them. Baseball proved more compelling to me, and by the time I was eleven I had become one of those skinny American kids who went everywhere with his glove, pounding my right fist into the pocket a thousand times a day. Baseball no doubt helped me over some hurdles at school, and when I joined the local Little League that first spring, Uncle Victor came to nearly all the games to cheer me on. In July of 1958, however, we moved abruptly to Saint Paul, Minnesota ("a rare opportunity," said Victor, referring to some job he had been offered to teach music), but by the following year we were back in Chicago. In October, Victor bought a television set and allowed me to stay home from school to watch the White Sox lose the World Series in six games. That was the year of Early Wynn and the go-go Sox, of Wally Moon and his moon-shot home runs. We pulled for Chicago, of course, but we were both secretly glad when the man with the bushy eyebrows hit one out in the last game. With the start of the next season, we went back to rooting for the Cubs—the bumbling, sad-sack Cubs, the team that possessed our souls. Victor was a staunch advocate of daytime baseball, and he saw it as a moral good that the chewing gum king had not succumbed to the perversion of artificial lights. "When I go to a game," he would say, "the only stars I want to see are the ones on the diamond. It's a sport for sunshine and wooly sweat. Apollo's cart hovering at the zenith! The great ball burning in the American sky!" We had lengthy discussions during those years about such men as Ernie Banks, George Altman, and Glen Hobbie. Hobbie was a particular favorite of his, but in keeping with his view of the world, my uncle declared that he would never make it as a pitcher, since his name implied unprofessionalism. Crackpot remarks of this sort were essential to Victor's brand of humor. Having developed a true fondness for his jokes by then, I understood why they had to be delivered with a straight face. Shortly after I turned fourteen, the household population expanded to three. Dora Shamsky, nee Katz, was a stout, mid-forty- ish widow with an extravagant head of bleached blond hair and a tightly girdled rump. Since the death of Mr. Shamsky six years before, she had been working as a secretary in the actuarial division of Mid-American Life. Her meeting with Uncle Victor took place in the ballroom of the Featherstone Hotel, where the Moonlight Moods had been on hand to provide musical entertainment for the company's annual New Year's Eve bash. After a whirlwind courtship, Les leçons de clarinette ne furent pas un succès (j'avais le souffle avare, les lèvres impatientes), et je m'arrangeai bientôt pour les esquiver. Le baseball m'attirait davantage, et dès l'âge de onze ans j'étais devenu l'un de ces gosses américains efflanqués qui se promènent partout avec leur gant, envoyant le poing droit dans la poche un millier de fois par jour. Il ne fait aucun doute que le baseball m'a aidé, à l'école, à franchir certains obstacles, et quand j'ai été admis en Little League, ce premier printemps, oncle Victor est venu assister à presque tous les matchs pour m'encourager. En juillet 1958, pourtant, nous sommes soudain partis habiter à Saint Paul, dans le Minnesota ("une occasion unique", disait Victor, à propos d'un poste de professeur de musique qu'on lui avait proposé), mais l'année suivante nous étions de retour à Chicago. En octobre, Victor a acheté un poste de télévision, et il m'a autorisé à manquer l'école pour regarder les White Sox perdre les World Sériés en six rencontres. C'était l'année d'Early Wynn et des "go-go Sox", de Wally Moon qui renvoyait ses balles dans la lune. Nous étions pour Chicago, bien sûr mais avons tous deux éprouvé un contentement secret quand l'homme aux sourcils broussailleux a réussi son circuit au cours de la dernière partie. Dès le début de la nouvelle saison, nous sommes redevenus d'ardents supporters des Cubs - ces pauvres maladroits de Cubs-, l'équipe qui possédait nos âmes. Victor était un avocat convaincu du base-bail en plein jour, et il considérait comme un bienfait moral que le roi du chewing-gum n'eût pas succombé à la perversion des lumières artificielles. "Quand je vais regarder un match, disait- il, je ne veux voir d'autres étoiles que celles qui sont sur le terrain. C'est un sport fait pour le soleil et la laine imprégnée de sueur. Le char d'Apollon planant au zénith ! Le grand ballon en flammes dans le ciel américain !" Nous avons eu de longues discussions, ces années-là, à propos d'hommes tels qu'Ernie Banks, George Altman et Glen Hobbie. Hobbie était l'un de ses préférés mais, fidèle à sa conception de l'univers, mon oncle affirmait que ce lanceur ne réussirait jamais puisque son nom impliquait l'amateurisme. De tels jeux de mots étaient caractéristiques du type d'humour de Victor. A cette époque, je m'étais pris d'une réelle affection pour ses plaisanteries, et je comprenais pourquoi elles devaient être proférées d'une mine impassible. Peu après mes quatorze ans, notre ménage s'agrandit d'une troisième personne. Dora Shamsky, "née" Katz, était une veuve corpulente d'une bonne quarantaine, avec une extravagante chevelure blonde oxygénée et une croupe étroitement corsetée. Depuis la mort de M. Shamsky, six ans auparavant, elle travaillait comme secrétaire à l'actuariat de la compagnie d'assurances Mid American Life. Victor l'avait rencontrée dans la salle de bal de l'hôtel 7 the couple tied the knot in March. I saw nothing wrong with any of this per se and proudly served as best man at the wedding. But once the dust began to settle, it pained me to notice that my new aunt did not laugh very readily at Victor's jokes, and I wondered if that might not indicate a certain obtuseness on her part, a lack of mental agility that boded ill for the prospects of the union. I soon learned that there were two Doras. The first was all bustle and get-up-and-go, a gruff, mannish character who stormed about the house with sergeant like efficiency, a bulwark of brittle good cheer, a know-it-all, a boss. The second Dora was a boozy flirt, a tearful, self-pitying sensualist who tottered around in a pink bathrobe and puked up her binges on the living room floor. Of the two, I much preferred the second, if only because of the tenderness she seemed to show for me then. But Dora in her cups posed a conundrum that I was quite at a loss to untangle, for these collapses of hers made Victor morose and unhappy, and more than anything else in the world, I hated to see my uncle suffer. Victor could put up with the sober, nagging Dora, but her drunkenness brought out a severity and impatience in him that struck me as unnatural, a perversion of his true self. The good and the bad were therefore constantly at war with each other. When Dora was good, Victor was bad; when Dora was bad, Victor was good. The good Dora created a bad Victor, and the good Victor returned only when Dora was bad. I remained a prisoner of this infernal machine for more than a year. Fortunately, the bus company in Boston had made a generous settlement. By Victor's calculations, there would be enough money to pay for four years of college, modest living expenses, and something extra to carry me into so-called real life. For the first few years he kept this fund scrupulously intact. He fed me out of his own pocket and was glad to do so, taking pride in his responsibility and showing no inclination to tamper with the sum or any part of it. With Dora now on the scene, however, Victor changed his plan. Withdrawing the interest that had accumulated on the lump, along with certain bits of the something extra, he enrolled me in a private boarding school in New Hampshire, thinking in this way to reverse the effects of his miscalculation. For if Dora had not turned out to be the mother he had been hoping to provide for me, he saw no reason not to look for another solution. Too bad for the Featherstone, où cette compagnie avait confié aux Moonlight Moods le soin d'assurer le décor musical de sa soirée annuelle, à la veille du jour de l'An. Après une cour menée en coup de vent, le couple convola en mars. Je ne trouvais rien à redire à tout ceci per se et c'est avec fierté que je servis de témoin au mariage. Mais une fois la poussière retombée, je remarquai avec tristesse que ma nouvelle tante n'était pas prompte à rire des plaisanteries de Victor ; je me demandais si cela n'indiquait pas chez elle un caractère quelque peu obtus, un manque d'agilité mentale de mauvais augure pour l'avenir de leur union. J'appris bientôt qu'il y avait deux Dora. La première, toute d'activité et d'efficacité, était un personnage bourru, un peu masculin, qui circulait dans la maison comme une tornade avec une énergie de sergent-major en affichant une bonne humeur crépitante, un "je sais tout", un patron. La seconde Dora, une coquette alcoolique, une créatuire sensuelle, larmoyante et portée à s'attendrir sur ellemême, traînaillait en robe de chambre rose et vomissait sur le tapis du salon quand elle avait trop bu. Des deux, c'est la seconde que je préférais, ne fût-ce que pour la tendresse dont elle faisait alors preuve à mon égard. Mais Dora prise de boisson représentait une énigme que j'étais bien en peine de résoudre, car ses effondrements rendaient Victor triste et malheureux et, plus que tout au monde, je détestais voir souffrir mon oncle. Victor pouvait s'accommoder de la Dora sobre et querelleuse, mais son ivrognerie suscitait en lui une sévérité et une impatience qui me paraissaient peu naturelles, une perversion de sa vraie nature. Le bien et le mal se livraient donc un combat perpétuel. Quand Dora était gentille, Victor ne l'était pas. Quand Dora était désagréable, Victor allait bien. La bonne Dora suscitait un mauvais Victor, et le bon Victor ne revenait que si Dora n'était pas aimable. Je suis resté pendant plus d'un an prisonnier de cette machine infernale. Heureusement, la compagnie d'autobus de Boston avait versé une indemnisation généreuse. D'après les calculs de Victor, il devait y avoir assez pour me payer quatre années d'études en subvenant à des besoins raisonnables, plus un petit extra pour m'aider à accéder à la prétendue vraie vie. Pendant les premières années, il avait scrupuleusement conservé cette somme intacte. Il m'entretenait à ses frais et en était heureux, fier de sa responsabilité et sans aucune intention apparente de toucher ne fût-ce qu'à une partie de cet argent. Avec Dora dans le tableau, néanmoins, il modifia son projet. Il retira d'un coup les intérêts qui s'étaient accumulés, ainsi qu'une partie du "petit extra", et m'inscrivit dans une école du New Hampshire, pensant annuler ainsi les effets de son erreur. Car si Dora ne s'était pas révélée la mère qu'il avait espéré me donner, il ne voyait pas pourquoi ne pas chercher une 8 something extra, of course, but that could not be helped. When faced with a choice between the now and the later, Victor had always gone with the now, and given that his whole life was bound up in the logic of this impulse, it was only natural that he should opt for the now again. I spent three years at Anselm's Academy for Boys. When I returned home after the second year, Victor and Dora had already come to a parting of the ways, but there did not seem to be any point in switching schools again, and so I went back to New Hampshire when summer vacation was over. Victor's account of the divorce was fairly muddled, and I could never be sure of what really happened. There was some talk about missing bank accounts and broken dishes, but then a man named George was mentioned, and I wondered if he wasn't involved in it as well. I did not press my uncle for details, however, since when all was said and done, he seemed more relieved than stricken to be alone again. Victor had survived the marriage wars, but that did not mean he had no wounds to show for it. His appearance was disturbingly rumpled (buttons missing, collars soiled, the cuffs of his pants frayed), and even his jokes had begun to take on a wistful, almost poignant quality. Those signs were bad enough, but more troubling to me were the physical lapses. There were moments when he stumbled as he walked (a mysterious buckling of the knees), knocked into household objects, seemed to forget where he was. I knew that life with Dora had taken its toll but there must have been more to it than that. Not wanting to increase my alarm, I managed to convince myself that his troubles had less to do with his body than with his state of mind. Perhaps I was right, but looking back on it now, it is difficult for me to imagine that the symptoms I first saw that summer were not connected to the heart attack that killed him three years later. Victor himself said nothing, but his body was speaking to me in code, and I did not have the wherewithal or the sense to crack it. When I returned to Chicago for Christmas vacation, the crisis seemed to have passed. Victor had recovered much of his bounce, and great doings were suddenly afoot. In September, he and Howie Dunn had disbanded the Moonlight Moods and started another group, joining forces with three younger musicians who took over at drums, piano, and saxophone. They called themselves the Moon Men now, and most of their songs were original numbers. Victor wrote the lyrics, Howie composed the music, and all five of them sang, autre solution. Dommage pour le "petit extra", bien sûr, mais on n'y pouvait rien. Confronté à un choix entre maintenant et plus tard, Victor avait toujours penché du côté de maintenant, et puisque sa vie entière était régie par la logique de cette tendance, il n'était que naturel qu'il optât à nouveau pour l'immédiat. J'ai passé trois ans à l'Anselm Academy pour garçons. Quand je suis revenu à la maison, la deuxième année, Victor et Dora étaient déjà à la croisée des chemins, mais il ne semblait pas y avoir intérêt à me changer à nouveau d'école et je suis donc retourné dans le New Hampshire après la fin des vacances d'été. La relation que m'a faite Victor du divorce était plutôt embrouillée et je n'ai jamais été certain de ce qui s'était réellement passé. J'ai entendu parler de comptes en banque défaillants et de vaisselle cassée, de même que d'un nommé Georges, dont je me suis demandé s'il n'y était pas pour quelque chose. Cependant, e n'ai pas insisté auprès de mon oncle pour avoir des détails, car une fois l'affaire réglée il semblait plus soulagé que sonné de se retrouver seul. Si Victor avait survécu aux guerres conjugales, cela ne signifie pas qu'il en sortait indemne. J'étais bouleversé par son aspect chiffonné (boutons manquants, cols sales, bas de pantalons effilochés), et jusqu'à ses plaisanteries prenaient un tour mélancolique, presque déchirant. Quelle que fût la gravité de ces signes, j'étais plus inquiet encore de ses défaillances physiques. Il lui arrivait de trébucher (une mystérieuse faiblesse des genoux), de -e cogner aux objets familiers, de paraître oublier où il était. Je me disais que c'était la rançon de sa vie avec Dora, et pourtant il devait y avoir autre chose. Refusant de m'alarmer davantage, je réussissais à me persuader que ces troubles concernaient moins sa santé que son moral. J'avais peut-être raison, mais avec du recul j'ai peine à imaginer que les symptômes qui m'apparaissaient cet été- -i étaient sans rapport avec la crise cardiaque dont IL est mort deux ans plus tard. Même si Victor ne ":sait rien, son corps, lui, m'adressait un message codé, et je n'ai eu ni la capacité ni l'intelligence de le déchiffrer. Quand je suis revenu à Chicago pour les vacances de Noël, la crise semblait passée. Victor avait recouvré presque tout son entrain et de grands événements se préparaient soudain. En septembre, Howie Dunn et lui avaient dissous les Moonligbt Moods et créé un nouveau groupe en s'associant avec trois jeunes musiciens qui prenaient la releve à la batterie, au piano et au saxophone. Ils appelaient désormais les Moon Men- les Hommes ~e la lune - et la plupart de leurs chansons étaient :.es pièces originales. Victor écrivait les textes, Howie composait la 9 after a fashion. "No more old favorites," Victor announced to me when I arrived. "No more dance tunes. No more drunken weddings. We've quit the rubber chicken circuit for a run at the big time." There was no question that they had put together an original act, and when I went to see them perform the next night, the songs struck me as a revelation—filled with humor and spirit, a boisterous form of mayhem that mocked everything from politics to love. Victor's lyrics had a jaunty, ditty like flavor to them, but the underlying tone was almost Swiftian in its effect. Spike Jones meets Schopenhauer, if such a thing is possible. Howie had swung the Moon Men a booking in one of the downtown Chicago clubs, and they wound up performing there every weekend from Thanksgiving to Valentine's Day. By the time I came back to Chicago after high school graduation, a tour was already in the works, and there was even some talk of cutting a record with a company in Los Angeles. That was how Uncle Victor's books entered the story. He was going on the road in mid-September, and he didn't know when he would be back. It was late at night, less than a week before I was supposed to leave for New York. Victor was sitting in his chair by the window, working his way through a pack of Raleighs and drinking schnapps from a dime-store tumbler. I was sprawled out on the couch, floating happily in a stupor of bourbon and smoke. We had been talking about nothing in particular for three or four hours, but now the conversation had hit a lull, and each of us was drifting in the silence of his own thoughts. Uncle Victor sucked in a last drag from his cigarette, squinted as the smoke curled up his cheek, and then snuffed out the butt in his favorite ashtray, a souvenir from the 1939 World's Fair. Studying me with misty affection, he took another sip from his drink, smacked his lips, and let out a deep sigh. "Now we come to the hard part," he said. "The endings, the farewells, the famous last words. Pulling up stakes, I think they call it in the Westerns. If you don't hear from me often, Phileas, remember that you're in my thoughts. I wish I could say I know where I'll be, but new worlds suddenly beckon to us both, and I doubt there will be many chances for writing letters." Uncle Victor paused to light another cigarette, and I could see that his hand trembled as he held the match. "No one knows how long it will last," he continued, "but Howie is very optimistic. The bookings are extensive so far, and no doubt others will follow. Colorado, Arizona, Nevada, California. We'll be setting a westerly course, plunging into the wilderness. It musique, et ils chantaient tous les cinq, à leur manière. "Plus de vieux tubes", m’annonça Victor à mon arrivée. "Plus d'airs de danse. Plus de noces soûlographiques. Nous en avons fini avec les fêtes et banquets minables, nous allons dans le haut de gamme." Il est indiscutable qu'ils avaient mis au point une formule originale, et quand le lendemain soir je suis allé les écouter, leurs chansons m'ont fait l'effet d'une révélation - pleines d'humour et d'esprit, d'une sorte d'effronterie turbulente qui se moquait de tout, de la politique à l'amour. Les poèmes de Victor avaient une saveur désinvolte de vieux refrains, mais avec une tonalité sous-jacente aux effets presque swiftiens. La rencontre de Spike Jones et de Schopenhauer, si on peut imaginer une chose pareille. Howie avait décroché pour les Moon Men un engagement dans un club du centre-ville, et ils avaient continué de s'y produire toutes les fins de semaine, de Thanksgiving à la SaintValentin. Quand je suis revenu à Chicago après la fin de mes études secondaires, une tournée était déjà en préparation et on parlait même d'enregistrer un disque pour une société de Los Angeles. C'est alors que les livres d'oncle Victor ont fait leur entrée dans mon histoire. Il prenait la route à la mi-septembre et ne savait pas quand il serait de retour. C'était une soirée tardive, à moins d'une semaine de la date prévue pour mon départ à New York. Victor était installé dans son fauteuil près de la fenêtre, il avait fumé tout un paquet de Raleighs et buvait du schnaps dans un gobelet de supermarché. Vautré sur le divan, je flottais dans une stupeur béate, à base de bourbon et de cigarettes. Nous avions bavardé de choses et d'autres pendant trois ou quatre heures, mais une accalmie était survenue dans la conversation et chacun de nous dérivait dans le silence de ses propres pensées. En louchant vers la fumée qui lui remontait en spirale le long de la joue, oncle Victor a aspiré une ultime bouffée de sa cigarette, puis il l'a écrasée dans son cendrier préféré, un souvenir de l'Exposition universelle de 1939. Tout en m'observant avec une attention affectueuse, il a bu un dernier petit coup, fait claquer ses lèvres et poussé un profond soupir. "Nous arrivons maintenant au dus difficile, a-t-il déclaré. Les conclusions, les adieux, les dernières paroles. L'arrachage des cornes, comme je crois qu'on dit dans les westerns. Si tu ne reçois pas souvent de mes nouvelles, Philéas, souviens-toi que tu occupes mes pensées. J'aimerais pouvoir dire que je sais où je serai. mais de nouveaux mondes nous appellent soudain tous les deux, et je doute que nous ayons souvent l'occasion de nous écrire." Il a fait une cause pour allumer une cigarette, et je voyais trembler la main qui tenait l'allumette. "Personne ne sait combien de temps cela durera, a-t-il continué, mais Howie est très optimiste. Nous avons déjà de nombreux engagements, et 10 should be interesting, I think, no matter what comes of it. A bunch of city slickers in the land of cowboys and Indians. But I relish the thought of those open spaces, of playing my music under the desert sky. Who knows if some new truth will not be revealed to me out there?" Uncle Victor laughed, as though to undercut the seriousness of this thought. "The point being," he resumed, "that with so much distance to be covered, I must travel light. Objects will have to be discarded, given away, thrown into the dust. Since it pains me to think of them vanishing forever, I have decided to hand them over to you. Who else can I trust, after all? Who else is there to carry on the tradition? I begin with the books. Yes, yes, all of them. As far as I'm concerned, it couldn't have come at a better moment. When I counted them this afternoon, there were one thousand four hundred and ninety-two volumes. A propitious number, I think, since it evokes the memory of Columbus's discovery of America, and the college you're going to was named after Columbus. Some of these books are big, some are small, some are fat, some are thin—but all of them contain words. If you read those words, perhaps they will help you with your education. No, no, I won't hear of it. Not one peep of protest. Once you're settled in New York, I'll have them shipped to you. I'll keep the extra copy of Dante, but otherwise you must have them all. After that, there's the wooden chess set. I'll keep the magnetic one, but the wood must go with you. Then comes the cigar box with the baseball autographs. We have nearly every Cub of the past two decades, a few stars, and numerous lesser lights from around the league. Matt Batts, Memo Luna, Rip Repulski, Putsy Caballero, Dick Drott. The obscurity of those names alone should make them immortal. After that, I come to various trinkets, doo-dads, odds and ends. My souvenir ashtrays from New York and the Alamo, the Haydn and Mozart recordings I made with the Cleveland Orchestra, the family photo album, the plaque I won as a boy for finishing first in the statewide music competition. That was in 1924, if you can believe it—a long, long time ago. Finally, I want you to have the tweed suit I bought in the Loop a few winters back. I won't be needing it in the places I'm going to, and it's made of the finest Scottish wool. I've worn it just twice, and if I gave it to the Salvation Army, it would only wind up on the back of some besotted creature from Skid Row. Much better that you should d'autres suivront à coup sûr. Colorado, Arizona, Nevada, Californie. Nous mettons le cap à l'ouest et nous lançons cans les régions sauvages. De toute façon, cela devrait être intéressant, me semble-t-il. Une bande de rats des villes au milieu des cow-boys et des Indiens. Mais je me réjouis à l'idée de ces grands espaces, à l'idée de faire de la musique sous le ciel du désert. Qui sait si quelque vérité nouvelle ne m'y sera pas révélée ? Oncle Victor a ri, comme pour atténuer le sérieux ce son propos. "L'essentiel, a-t-il repris, c'est que pour couvrir de telles distances il faut voyager léger. Je vais devoir me débarrasser de certains objets, en donner, en jeter aux orties. Comme la perspective de leur disparition définitive me chagrine, j'ai décidé de te les passer. A qui d'autre puisje me fier, après tout ? Qui d'autre perpétuerait la tradition ? Je commence par les livres. Si, si, tous les livres. Pour ma part, le moment me paraît convenir le mieux du monde. Quand je les ai compas cet après-midi, il y avait mille quatre cent quatre-vingt-douze volumes. Un chiffre de bon augure, à mon avis, puisqu'il évoque le souvenir ce la découverte de l'Amérique par Colomb, et que .e nom du collège où tu vas lui a été donné en 1 honneur de Colomb. Certains de ces livres sont grands, d'autres petits, il y en a des gros et des minces - mais tous contiennent des mots. Si tu lis ces mots, ils seront peut-être utiles à ton éducation. Non, non, je ne veux rien entendre. Pas un souffle de protestation. Dès que tu seras installé à New York, je te les ferai expédier. Je garderai le deuxième exemplaire du Dante, mais à part cela ils sont tous pour toi. Ensuite il y a le jeu d'échecs en bois. Je conserve le jeu magnétique, mais tu dois prendre le jeu en bois. Et puis la boîte à cigares avec les autographes de joueurs de baseball. Nous avons pratiquement tous les Cubs des dernières décennies, quelques stars et de nombreux seconds rôles provenant de toute la League. Matt Batts, Mémo Luna, Rip Repulski, Putsy Caballero, Dick Drott. L'obscurité même de ces noms devrait leur assurer l'immortalité. Après cela j'en arrive à diverses babioles, bricoles et menus machins. Mes cendriers souvenirs de New York et de l'Alamo, les disques de Haydn et de Mozart que j'ai enregistrés avec l'orchestre de Cleveland, l'album de photos de famille, la médaille que j'ai gagnée quand j'étais petit, en terminant premier de l'Etat dans un concours musical. En 1924, le croirais-tu ? Cela fait bien, bien longtemps ! Enfin je veux que tu prennes le costume en tweed que j'ai acheté dans le Loop5 voici quelques hivers. Je n'en aurai pas besoin là où je vais, et il est fait de la plus belle laine d'Ecosse. Je ne l'ai porté que deux fois, et si je le donnais à l'Armée du Salut il aboutirait sur le dos de quelque sotte créature de Skid Row. Beaucoup mieux que ce soit pour toi. Cela te donnera 5 Quartier de Chicago. (N.d.T.) 11 have it. It will give you a certain distinction, and une certaine distinction, et ce n'est pas un crime de se faire there's no crime in looking your best, is there? beau, pas vrai ? Nous irons dès demain matin chez le We'll go to the tailor first thing tomorrow tailleur pour te le faire ajuster morning and have it altered. "That takes care of it, I think. The books, the chess set, the autographs, the miscellaneous, the suit. Now that my kingdom has been disposed of, I feel content. There's no need for you to look at me like that. I know what I'm doing, and I'm glad to have done it. You're a good boy, Phileas, and you'll always be with me, no matter where I am. For the time being, we move off in opposite directions. But sooner or later we'll meet again, I'm sure of it. Everything works out in the end, you see, everything connects. The nine circles. The nine planets. The nine innings. Our nine lives. Just think of it. The correspondences are infinite. But enough of this blather for one night. The hour grows late, and sleep is calling to us both. Come, give me your hand. Yes, that's right, a good firm grip. Like so. And now shake. That's right, a shake of farewell. A shake to last us to the end of time." "Voilà. Je pense que c'est tout. Les livres, le jeu d'échecs, les autographes, les divers, le costume. Maintenant que j'ai disposé de mon royaume, je suis satisfait. Tu n'as pas besoin de me regarder comme ça. Je sais ce que je fais, et je suis contentJe l'avoir fait. Tu es un bon gars, Philéas, et tu seras touiours avec moi, où que je sois. Pour l'instant, nous partons dans des directions opposées. Mais tôt ou tard nous nous retrouverons, j'en suis sûr. 7: ut s'arrange à la fin, vois-tu, tout se raccorde, les neuf cercles. Les neuf planètes. Les neuf tours je batte. Nos neuf vies. Penses-y. Les correspondances sont infinies. Mais assez radoté pour ce soir. Il se fait tard, et le sommeil nous attend tous rdeux. Viens, donne-moi la main. Oui, c'est bien, une bonne prise ferme. Comme ça. Et maintenant serre. C'est ça, une poignée de main d'adieu. Une poignée de main qui nous durera jusqu'à la fin des temps." Every week or two, Uncle Victor would send me a postcard. These were generally garish, full-color tourist items: depictions of Rocky Mountain sunsets, publicity shots of roadside motels, cactus plants and rodeos, dude ranches, ghost towns, desert panoramas. Salutations sometimes appeared within the borders of a painted lasso, and once a mule even spoke with a cartoon bubble above his head: Greetings from Silver Gulch. The messages on the back were brief, cryptic scrawls, but I was not hungry for news from my uncle so much as an occasional sign of life. The real pleasure lay in the cards themselves, and the more inane and vulgar they were, the happier I was to get them. I felt that we were sharing some private joke each time I found one in my mailbox, and the very best ones (a picture of an empty restaurant in Reno, a fat woman on horseback in Cheyenne) I even went so far as to tape to the wall above my bed. My roommate understood the empty restaurant, but the horseback rider baffled him. I explained that she bore an uncanny resemblance to my uncle's ex-wife, Dora. Given the way things happen in the world, I said, there was a good chance that the woman was Dora herself. Une ou deux fois par quinzaine, oncle Victor m’ envoyait une carte postale. C'étaient en général de ces cartes pour touristes, aux quadrichromies criardes : couchers de soleil sur les montagnes Rocheuses, photos publicitaires de motels routiers. cactus, rodéos, ranchs pour touristes, villes fantômes, panoramas du désert. On y lisait parfois des salutations dans la ligne dessinant un lasso, et il y eut même une mule qui parlait, avec au-dessus de sa tête une bulle de bande dessinée : Un bonjour de Silver Gulch. Les messages au verso étaient brefs, des griffonnages sibyllins, mais j'étais moins affamé de nouvelles de mon oncle que d'un signe de vie occasionnel. Le vrai plaisir se trouvait dans les cartes elles-mêmes, et plus elles étaient ineptes et vulgaires, plus j'étais heureux de les recevoir. Il me semblait que nous partagions une blague complice chaque fois que j'en trouvais une dans ma boîte aux lettres, et j'ai même été jusqu'à coller les meilleures (la photo d'un restaurant vide à Reno, une grosse femme sur un cheval à Cheyenne) sur le mur au-dessus de mon lit. Mon compagnon ce chambre comprenait pour le restaurant vide, mais pas pour la cavalière. Je lui expliquai qu'elle ressemblait étrangement à l'ex-femme de mon oncle, Dora. Vu la façon dont vont les choses en ce monde, disais-je, il y a de fortes chances pour que cette femme soit Dora elle-même. Because Victor did not stay anywhere very long, it was hard for me to answer him. In late Parce que Victor ne restait jamais nulle part très longtemps, il m'était malaisé de lui répondre. A la fin 12 October I wrote a nine-page letter about the New York City blackout (I had been trapped in an elevator with two friends), but I did not mail it until January, when the Moon Men began their three-week stint in Tahoe. If I could not write often, I nevertheless managed to stay in spiritual contact with him by wearing the suit. Suits were hardly in fashion for undergraduates back then, but I felt at home in it, and since for all practical purposes I had no other home, I continued to wear it every day, from the beginning of the year to the end. At moments of stress and unhappiness, it was a particular comfort to feel myself swaddled in the warmth of my uncle's clothes, and there were times when I imagined the suit was actually holding me together, that if I did not wear it my body would fly apart. It functioned as a protective membrane, a second skin that shielded me from the blows of life. Looking back on it now, I realize what a curious figure I must have cut: gaunt, disheveled, intense, a young man clearly out of step with the rest of the world. But the fact was that I had no desire to fit in. If my fellow students pegged me as an oddball, that was not my problem. I was the sublime intellectual, the cantankerous and opinionated future genius, the skulking Malevolent who stood apart from the herd. It almost makes me blush to remember the ridiculous poses I struck back then. I was a grotesque amalgam of timidity and arrogance, alternating between long, awkward silences and blazing fits of rambunctiousness. When the mood came upon me, I would spend whole nights in bars, smoking and drinking as though I meant to kill myself, quoting verses from minor sixteenthcentury poets, making obscure references in Latin to medieval philosophers, doing everything I could to impress my friends. Eighteen is a terrible age, and while I walked around with the conviction that I was somehow more grown-up than my classmates, the truth was that I had merely found a different way of being young. More than anything else, the suit was the badge of my identity, the emblem of how I wanted others to see me. Objectively considered, there was nothing wrong with the suit. It was a dark greenish tweed with small checks and narrow lapels—a sturdy, well-made article of clothing—but after several months of constant wear, it began to give a haphazard impression, hanging on my skinny frame like some wrinkled afterthought, a sagging turmoil of wool. What my friends didn't know, of course, was that I wore it for sentimental reasons. Under my nonconformist posturing, I was also satisfying the desire to have my uncle near me, and the cut of the garment had almost nothing to do with it. If Victor had given me a purple zoot suit, I no doubt would have worn it d'octobre, je rédigeai pour lui une lettre de neuf pages à propos de la panne de courant à New York (j'avais été coincé dans un ascenseur avec deux amis), mais je ne la postai qu'en janvier, quand les Moon Men entamèrent leur contrat de trois semaines à Tahoe. Si je ne pouvais pas écrire souvent, je m'arrangeai néanmoins pour rester en contact spirituel avec lui en portant son costume. La mode n'était guère aux complets en ce temps- là pour les étudiants, mais je m'y sentais chez moi, et comme tout bien considéré je n'avais pas d'autre chez-moi, je continuai à le porter tous les jours, du début à la fin de l'année. Dans les moments difficiles ou tristes, je trouvais un réconfort particulier à me sentir emmitouflé dans la chaleur des habits de mon oncle, et il m'est arrivé d'avoir l'impression que le costume me maintenait effectivement en forme, que si je ne le portais pas mon corps s'éparpillerait. Il fonctionnait comme une membrane protectrice, une deuxième peau qui m'abritait des coups de l'existence. Avec du recul, je me rends compte que je devais avoir une curieuse allure : hâve, échevelé, intense, un jeune homme dont le décalage par rapport au reste du monde était évident. Mais le fait est que je n'avais aucune envie d'entrer dans la danse. Si mes camarades de cours me considéraient comme un individu bizarre, ce n'était pas mon problème. J'étais l'intellectuel sublime, le futur génie irascible et imbu de ses opinions, le Malevole ténébreux qui se tenait à l'écart du troupeau. Le souvenir des poses ridicules que j'affectais alors me fait presque rougir. J'étais un amalgame grotesque de timidité et d'arrogance, avec des accès d'une turbulence effroyable alternant avec de longs silences embarrassés. Quand l'humeur m'en prenait, je passais des nuits entières dans les bars à boire et à fumer comme si je voulais me tuer, en récitant les vers de poètes du xvie siècle, en lançant en latin d'obscures références à des philosophes médiévaux, en faisant tout ce que je pouvais pour impressionner mes amis. Dix-huit ans, c'est un âge terrible, et tandis que je nourrissais la conviction d'être d'une certaine façon plus mûr que mes condisciples, je n'avais trouvé en vérité qu'une autre manière d'être jeune. Le costume était, plus que tout, l'insigne de mon identité, l'emblème de la vision de moi que je souhaitais offrir aux autres. En toute objectivité, il n'y avait rien à y redire. Il était en tweed vert foncé, avec de petits carreaux et des revers étroits - un complet solide et de bonne fabrication - mais après avoir été porté sans cesse pendant plusieurs mois son aspect était devenu un peu aléatoire, il pendait sur ma maigre carcasse comme une arrière-pensée froissée, un tourbillon de laine affaissé. Ce que mes amis ignoraient, bien sûr, c'est que je le revêtais pour des raisons sentimentales. Sous cette affectation de nonconformisme, je satisfaisais mon désir d'avoir mon oncle 13 in the same spirit that I wore the tweed. auprès de moi, et la coupe du vêtement n'y était pratiquement pour rien. Si Victor m'avait donné des fringues violettes, je les aurais sans nul doute portées dans le même esprit que je portais le tweed. When classes ended in the spring, I turned down my roommate's suggestion that we share an apartment the following year. I liked Zimmer well enough (he was my best friend, in fact), but after four years of roommates and dormitories, I could not resist the temptation to live alone. I found the place on West 112th Street and moved in on June fifteenth, arriving with my bags just moments before two burly men delivered the seventy-six cartons of Uncle Victor's books that had been sitting in storage for the past nine months. It was a studio apartment on the fifth floor of a large elevator building: one medium-size room with a kitchenette in the southeast corner, a closet, a bathroom, and a pair of windows that looked out on an alley. Pigeons flapped their wings and cooed on the ledge, and six dented garbage cans stood on the ground below. The air was dim inside, tinged gray throughout, and even on the brightest days it did not exude more than a paltry radiance. I felt some pangs at first, small thumps of fear about living on my own, but then I made a singular discovery that helped me to warm up to the place and settle in. It was my second or third night there, and quite by accident I found myself standing between the two windows, positioned at an oblique angle to the one on the left. I shifted my eyes slightly in that direction, and suddenly I was able to see a slit of air between the two buildings in back. I was looking down at Broadway, the smallest, most abbreviated portion of Broadway, and the remarkable thing was that the entire area of what I could see was filled up by a neon sign, a vivid torch of pink and blue letters that spelled out the words MOON PALACE. I recognized it as the sign from the Chinese restaurant down the block, but the force with which those words assaulted me drowned out every practical reference and association. They were magic letters, and they hung there in the darkness like a message from the sky itself, MOON PALACE. I immediately thought of Uncle Victor and his band, and in that first, irrational moment, my fears lost their hold on me. I had never experienced anything so sudden and absolute. A bare and grubby room had been transformed into a site of inwardness, an intersection point of strange omens and mysterious, arbitrary events. I went on staring at the Moon Palace sign, and little by little I understood that I had come to the right place, that this small apartment was indeed where I was meant to live. Au printemps, à la fin des cours, je refusai la proposition de mon compagnon de chambre, qui suggérait que nous habitions ensemble l'année suivante. J'aimais bien Zimmer (en fait, il était mon meilleur ami), mais après quatre ans de chambres partagées et de foyers d'étudiants, je ne pouvais résister à la tentation de vivre seul. Je trouvai un appartement dans la Cent douzième rue ouest, et y emménageai le 15 juin, arrivant avec mes valises quelques instants à peine avant que deux robustes gaillards me livrent les soixante-seize cartons de livres d'oncle Victor, qui avaient passé neuf mois en attente dans un entrepôt. C'était un studio au cinquième étage d'un grand immeuble avec ascenseur : une pièce de taille moyenne, avec un coin cuisine au sud-est, un placard, une salle de bains, et une paire de fenêtres donnant sur une ruelle. Des pigeons battaient des ailes et roucoulaient sur la corniche, et en bas, sur le trottoir, traînaient six poubelles cabossées. Dedans, il faisait sombre, l'air semblait teinté de gris et, même par les journées les plus ensoleillées, ne filtrait qu'une pâle lueur. Après quelques angoisses, au début, de petites bouffées de peur à l'idée de vivre seul, je fis une découverte singulière, qui me permit de réchauffer la pièce et de m'y installer. C'était la première ou la deuxième nuit que j'y passais et, tout à fait par hasard, je me trouvai debout entre les deux fenêtres, dans une position oblique par rapport à celle de gauche. Tournant légèrement les yeux dans cette direction, je remarquai soudain un vide, un espace entre les deux immeubles du fond. Je voyais Broadway, une minuscule portion abrégée de Broadway, et ce qui me parut remarquable, c'est que toute la zone que je pouvais en apercevoir était occupée par une enseigne au néon, une torche éclatante de lettres roses et bleues qui formaient les mots MOON PALACE. Je la reconnaissais comme celle du restaurant chinois au coin de la rue, mais la violence avec laquelle ces mots m'assaillaient excluait toute référence, toute association pratique. Suspendues là, dans l'obscurité, comme un message venu du ciel même, ces lettres étaient magiques, MOON PALACE. Je pensai aussitôt à l'oncle Victor et à sa petite bande, et en ce premier instant irrationnel mes peurs perdirent toute emprise sur moi. Je n'avais jamais rien éprouvé d'aussi soudain, d'aussi absolu. Une chambre nue et sordide avait été transformée en un lieu d'intériorité, point d'intersection de présages étranges et d'événements mystérieux, arbitraires. Je continuai à regarder l'enseigne du Moon Palace, et je compris petit à petit que j'étais arrivé au bon 14 endroit, que ce petit logement était bien le lieu où je devais vivre. I spent the summer working part-time in a bookstore, going to the movies, and falling in and out of love with a girl named Cynthia, whose face has long since vanished from my memory. I felt more and more at home in my new apartment, and when classes started again that fall, I threw myself into a hectic round of late-night drinking with Zimmer and my friends, of amorous pursuits, and long, utterly silent binges of reading and studying. Much later, when I looked back on those things from the distance of years, I understood how fertile that time had been for me. Je passai l'été à travailler à temps partiel dans une librairie, à aller au cinéma, à me prendre et me déprendre d'amour pour une certaine Cynthia dont le visage a depuis longtemps disparu de ma mémoire. Je me sentais de mieux en mieux chez moi dans mon nouvel appartement, et quand les cours reprirent à l'automne, je me lançai dans une ronde effrénée de beuveries nocturnes avec Zimmer et mes amis, de conquêtes amoureuses, et de longues bordées totalement silencieuses de lecture et d'étude. Bien plus tard, quand j'ai regardé tout cela avec le recul des années, j'ai compris combien cette époque avait été fertile pour moi. Then I turned twenty, and not many weeks after that I received a long, almost incomprehensible letter from Uncle Victor written in pencil on the backs of yellow order blanks for the Humboldt Encyclopedia. From all that I could gather, hard times had hit the Moon Men, and after a lengthy run of bad luck (broken engagements, flat tires, a drunk who bashed in the saxophonist’s nose, the group had finally split up. Since November, Uncle Victor had been living in Boise, Idaho, where he had found temporary work as a door-to-door encyclopedia salesman. But things had not panned out, and for the first time in all the years I had known him, I heard a note of defeat in Victor's words. "My clarinet is in hock," the letter said, "my bank statement reads nil, and the residents of Boise have no interest in encyclopedias." Puis j'eus vingt ans, et peu de semaines après -;e reçus d'oncle Victor une longue lettre presque incompréhensible, écrite au crayon au verso de formulaires de commande de l'encyclopédie Hum- boldt. D'après ce que j'y démêlai, les Moon Men avaient connu des revers, et après une longue période de malchance (engagements rompus, pneus crevés, un ivrogne qui avait envoyé un coup de poing sur le nez du saxophoniste), les membres du groupe avaient fini par se séparer. Depuis novembre, oncle Victor vivait à Boise, dans l'Idaho, où il avait trouvé un travail temporaire comme vendeur d'encyclopédies au porte à porte. Mais ça ne marchait pas, et pour la première fois depuis toutes les années que je le connaissais, je percevais un ton de défaite dans les paroles de Victor. "Ma clarinette est au clou, disait la lettre, mon compte en banque est à zéro, et les habitants de Boise ne s'intéressent pas aux encyclopédies." I wired money to my uncle, then followed it with a telegram urging him to come to New York. Victor answered a few days later to thank me for the invitation. He would wrap up his affairs by the end of the week, he said, and then catch the next bus out. I calculated that he would arrive on Tuesday, Wednesday at the latest. But Wednesday came and went, and Victor did not show up. I sent another telegram, but there was no response. The possibilities for disaster seemed infinite to me. I imagined all the things that can happen to a man between Boise and New York, and suddenly the American continent was transformed into a vast danger zone, a perilous nightmare of traps and mazes. I tried to track down the owner of Victor's rooming house, got nowhere with that, and then, as a last resort, called the Boise police. I carefully explained my problem to the sergeant at the other end, a man named Neil Armstrong. The following day, Je lui envoyai de l'argent, puis insistai par télégramme pour qu'il vînt à New York. Victor répondit quelques jours plus tard en me remerciant de l'invitation. Il aurait emballé ses affaires à la fin de la semaine, écrivait-il, et partirait alors avec le premier bus. Je calculai qu'il serait là le mardi, au plus tard le mercredi. Mais le mercredi vint et passa, et Victor n'arrivait pas. J'envoyai un autre télégramme, mais il resta sans réponse. Les possibilités d'un désastre me paraissaient infinies. J'imaginais tout ce qui peut arriver à quelqu'un entre Boise et New York, et le continent américain devenait soudain une vaste zone dangereuse pleine de pièges et de labyrinthes, un cauchemar périlleux. J'entrepris de trouver la trace du propriétaire de la maison où Victor avait loué une chambre, n'arrivai à rien, et alors, en dernier ressort, téléphonai à la police de Boise. J'expliquai mon problème en détail au sergent qui était à l'autre bout de la ligne, un nommé Neil Armstrong. Le lendemain, le sergent Armstrong me rappelait pour me 15 Sergeant Armstrong called back with the news. Uncle Victor had been found dead at his lodgings on North Twelfth Street—slumped in a chair with his overcoat on, a half-assembled clarinet locked in the fingers of his right hand. Two packed suitcases had been standing by the door. The room was searched, but the authorities had turned up nothing to suggest foul play. According to the medical examiner's preliminary report, heart attack was the probable cause of death. "Tough luck, kid," the sergeant added, "I'm really sorry." donner la nouvelle. Oncle Victor avait été retrouvé mort dans son logement de la Douzième rue nord - affalé dans un fauteuil, vêtu de son pardessus, une clarinette à demi assemblée serrée entre les doigts de sa main droite. Deux valises pleines étaient posées près de la porte. On avait fouillé la chambre, mais les autorités n'avaient rien découvert qui pût suggérer une agression. D'après le rapport préliminaire de l'examen médical, la cause probable de la mort était une crise cardiaque. "Pas de chance, fiston, ajouta le sergent, je suis vraiment désolé." I flew out West the next morning to make the arrangements. I identified Victor's body at the morgue, paid off debts, signed papers and forms, prepared to have the body shipped home to Chicago. The Boise mortician was in despair over the state of the corpse. After languishing in the apartment for almost a week, there wasn't much to be done with it. "If I were you," he said to me, "I wouldn't expect any miracles." Je partis en avion vers l'Ouest le lendemain matin pour prendre les dispositions nécessaires. J'identifiai le corps de Victor à la morgue, payai des dettes, signai des papiers et des formulaires, fis des démarches pour le retour du corps à Chicago. L'entrepreneur des pompes funèbres de Boise était désespéré par l'état du cadavre. Après presque une semaine d'attente dans l'appartement, il n'y avait plus grand-chose à en faire. "A votre place, me dit-il, je n'attendrais pas de miracles. I set up the funeral by telephone, contacted a few of Victor's friends (Howie Dunn, the broken-nosed saxophonist, a number of former students), made a half-hearted attempt to reach Dora (she couldn't be found), and then accompanied the casket back to Chicago. Victor was buried next to my mother, and the sky pelted us with rain as we stood there watching our friend disappear into the earth. Afterward, we drove to the Dunns' house on the North Side, where Mrs. Dunn had prepared a modest spread of cold cuts and hot soup. I had been weeping steadily for the past four hours, and in the house I quickly downed five or six double bourbons along with my food. It brightened my spirits considerably, and after an hour or so I began singing songs in a loud voice. Howie accompanied me on the piano, and for a while the gathering became quite raucous. Then I threw up on the floor, and the spell was broken. At six o'clock, I said my good-byes and lurched out into the rain. I wandered blindly for two or three hours, threw up again on a doorstep, and then found a thin, gray-eyed prostitute named Agnes standing under an umbrella on a neon-lit street. I accompanied her to a room in the Eldorado Hotel, gave her a brief lecture on the poems of Sir Walter Raleigh, and then sang lullabies to her as she took off her clothes and spread her legs. She called me a lunatic, but then I gave her a hundred dollars, and she agreed to spend the night with me. I slept badly, however, and at four a.m. I slipped out of bed, climbed into my wet clothes, and took a taxi to the airport. I was back in New York by J'organisai les funérailles par téléphone, je prévins quelques-uns des amis de Victor (Howie Dunn, le saxophoniste au nez cassé, un certain nombre de ses anciens élèves), tentai sans beaucoup de conviction d'atteindre Dora (elle resta introuvable), puis accompagnai le cercueil à Chicago. Victor fut enterré à côté de ma mère et le ciel nous transperça de pluie tandis que nous regardions notre ami disparaître dans la terre. Ensuite nous nous rendîmes chez les Dunn. dans le North Side. Mme Dunn avait préparé un modeste repas de viandes froides et de soupe chaude. Il y avait quatre heures que je pleurais sans arrêt, et dans la maison j'avalai bientôt cinq ou six doubles bourbons tout en mangeant. Us eurent sur mon moral un effet considérable, et après une heure ou deux je me mis à chanter d'une voix forte. Howie m'accompagnait au piano, et pendant un moment l'assemblée devint assez bruyante. Puis je vomis sur le sol, et le charme fut rompu. A six heures, je faisais mes adieux et m'élançais sous la pluie. Je me promenai à l'aveuglette pendant deux ou trois heures, vomis encore sur un seuil, puis trouvai une petite prostituée aux yeux gris debout dans la rue sous un parapluie, à la lumière des néons. Je l'accompagnai dans une chambre à l'hôtel Eldorado, lui fis une brève causerie sur les poèmes de sir Walter Raleigh, et lui chantai des berceuses pendant qu'elle ôtait ses vêtements et écartait les jambes. Elle me rraita de cinglé, mais je lui donnai cent dollars et elle accepta de passer la nuit avec moi. Je dormis mal, néanmoins, et à quatre heures du matin je me glissais hors du lit, enfilais mes habits mouillés et prenais un taxi pour l'aéroport. A dix 16 ten o'clock. heures étais revenu à New York. In the end, the problem was not grief. Grief was the first cause, perhaps, but it soon gave way to something else—something more tangible, more calculable in its effects, more violent in the damage it produced. A whole chain of forces had been set in motion, and at a certain point I began to wobble, to fly in greater and greater circles around myself, until at last I spun out of orbit. A long terme, mon problème n'a pas été le cha- —in. Le chagrin se trouvait peut-être à l'origine, mais c a bientôt cédé la place à quelque chose de différent - quelque chose de plus tangible, de plus mesurable dans ses effets, de plus violent dans les dégâts _ _i en sont résultés. Toute une chaîne de forces -"ait été mise en mouvement, et à un certain moment je me suis mis à vaciller, à voler autour de moi- mème en cercles de plus en plus larges, jusqu'à me trouver enfin chassé hors de l'orbite. When he was nearly thirteen, my brother Jem got his arm badly broken at the elbow. When it healed, and Jem's fears of never-being-ableto-play football were assuaged, he was seldom self-conscious about his injury. His left arm was somewhat shorter than his right; when he stood or walked, the back of his hand was at right angles to his body, his thumb parallel to his thigh.He couldn't have cared less, so long as he could pass and punt. When enough years had gone by, to enable us to look back on them, we sometimes discussed the events leading to his accident. I maitained that the Ewells started it all but Jem, who was four years my senior, said it satrted long before that. He said it began the summer Dill came to us, when Dill first gave us the idea of making Boo Radley come out. I said if he wanted to take a broad view of the thing, it really began with Andrew Jackson. If General Jackson had not run the Creeks up the creek, SImon Finch would never have paddled up the Alabama, and where would we be if he hadn't ? We were far too old to settle an argument with a fist-fight, so we consulted Atticus. Our father said we were both right. Being Southerners, it was a source of shame to some members of the family that we had no recorded ancestors on either side of the Battle of Hastings. All we had was Simon Finch, a fur-trapping apothicary from Cornwall whose pity was exceeded only by his stinginess. In England, Simon was irritated by the persecution of those who called themselves Methodists at the hands of their more liberal brethren, and as Simon called himself a methodist, he worked his way across the Atlantic to Philadelphia, thence to Corpus Allache Mon frère Jem allait sur ses treize ans quand il se fit une vilaine fracture au coude, mais, aussitôt sa blessure cicatrisée et apaisées ses craintes de ne jamais pouvoir jouer au football, il ne s'en préoccupa plus guère. Son bras gauche en resta un peu plus court que le droit ; quand il se tenait debout ou qu'il marchait, le dos de sa main formait un angle droit avec son corps, le pouce parallèle à la cuisse. Cependant, il s'en moquait, du moment qu'il pouvait faire une passe et renvoyer un ballon. Bien des années plus tard, il nous arriva de discuter des événements qui avaient conduit à cet accident. Je maintenais que les Ewell en étaient entièrement responsables, mais Jem, de quatre ans mon aîné, prétendait que tout avait commencé avant, lété ouù Dill se joignit à nous et nous mit en tête l'idée de faire sortir Boo Radley. A quoi je répondais que s'il tenait à remonter aux origines de l'événement, tout avait vraiment commencé avec le général Andrew Jackson. Si celui-ci n'avait pas croqué les Creeks dans leurs criques, Simon Finch n'aurait jamais remonté l'Alabama et, dans ce cas, où serions-nous donc? Beaucoup trop grands pour régler ce différend à coup de poing, nous consultions Atticus, et notre père disait que nous avions tous les deux raison. En bons sudistes, certains de notre famille déploraient de ne compter d'ancêtre officiel dans aucun des deux camps de la bataille d'Hastings. Nous devions nous rabattre sur Simon Finch, apothicaire de Cornouailles, trappeur à ses heures, dont la piété n'avait d'égale que l'avarice. Irrité par les persécutions qu'en Angleterre leurs frères plus libéraux faisaient subir à ceux qui se nommaient "méthodistes", dont lui-même se réclamait, Simon traverse l'Atlantique en direction de Philadelphie, pour continuer ensuite sur la Jamaïque puis remonter vers Mobile et, de là, jusqu'à 17 Jamaica, thence to Mobile, and up the Saint Stephens. Mindful of John Wesley's strictures on the use of many words in buying and selling, Simon made a pile practising medicine, but in this pursuit he was unhappy lest he be tempted into doing what he knew was not for the glory of God, as the putting on of gold and costly apparel. So Simon, having forgotten his teacher's dictum on the possession of human chattels, bought three slaves and with their aid established a homestead on the banks of the Alabama River some forty miles above St Stephens. He returned to St Stephens only once, to find a wife and with her a line that run high to daughters. Simon lived to an impressive age and died rich. It was customary for the men in the family to remain on Simon's homestead, Finch's Landing, and make their living from cotton. The place was self-sufficient: modest in comparison with the empires around it, the Landing nevertheless produced everything required to sustain life except ice, wheat flour, and articles of clothing, supplied by riverboats from Mobile. Simon would have regarded with impotent fury the disturbance between the North and the South, as it left his descendance stripped of everything but their land, yet the tradition of living on the land remained unbroken until well into the twentiech century, when my father, Atticus finch, went to Montgomery to read law, and his younger borther went to Boston to study Medicine. Their sister, Alexandra, was the finch who remained at the Landing : she married a taciturn man who spent most of his time lying in a hammock by the river wondering if his trot-lines were full. When my father was admitted to the bar, he returned to Maycomb and began his practice. Maycomb, some twenty miles east of Finch's Landing, was the county seat of Maycomb County. Atticus's office in the courthouse contained little more than a hat rack, a spittoon, a checkerboard and an unsullied Code of Alabama. His forst two clients were the last two persons hanged in the Maycomb County jail. Atticus had urged them to accept state's generosity in allowing them to plead Guilty to secdon-degree murder and escape with their lives, but they were Haverfords, in St Stephens. Respectueux des critiques de John Wesley contre le flot de paroles suscitées par le commerce, il fit fortune en tant que médecin, finissant, néanmoins, par céder à la tentation de ne plus travailler pour la gloire de Dieu mais pour l'accumulation d'or et de coûteux équipages. Ayant aussi oublié les préceptes de son maître sur la possession de biens humains, il acheta trois esclaves et, avec leur aide, créa une propriété sur les rives de l'Alabama, à quelque soixante kilomètres en amont de St Stephens. Il ne remit les pieds qu'une fois dans cette ville, pour y trouver une femme, avec laquelle il fonda une lignée où le nombres des filles prédominait nettement. Il atteignit un âge canonique et mourut riche. De père en fils, les hommes de la famille habitèrent la propriété, Finch's landing, et vécurent de la culture du coton. De dimensions modestes comparées aux petits empires qui l'entouraient, la plantation se suffisait pourtant à elle-même en produisant tous les ingrédients nécessaires à une vie autonome, à l'exception de la glace, de la farine de blé et des coupons de tissus, apportés par des péniche remontant de Mobile. Simon eût considéré avec une fureur impuissante les troubles entre le Nord et le Sud qui dépouillèrent ses descendants de tous leurs biens à l'exception des terres. Néanmoins ils continuèrent à vivre de la terre jusqu'au vingtième siècle, époque où mon père, Atticus Finch, se rendit à Montgomery pour y faire son droit, et son jeune frère à Boston pour y étudier la médecine. Leur sœur, Alexandra, fut la seule Finch à rester dans la plantation : elle épousa un homme taciturne qui passait le plus clair de son temps dans un hamac au bord de la rivière, à guetter les touches de ses lignes. Lorsque mon père fut reçu au barreau, il installa son cabinet à Maycomb, chef-lieu du comté du même nom, à environ trente kilomètres à l'Est de Finch's landing. Il occupait un bureau tellement petit, à l'intérieur du tribunal, qu'il put à peine y loger un porte-chapeaux, un échiquier et un code de l'Alabama flambant neuf. Ses deux premiers clients furent les deux derniers condamnés à la pendaison de la prison du comté. Atticus leur avait conseillé de faire appel à l'indulgence du jury en plaidant coupables de meurtre au second degré et de sauver ainsi leur tête, mais c'étaient des Haverford, autant dire des crétins aux 18 Maycomb County a name synonymous with jackass. The Haverfords had dipatched Maycomb's leading blacksmith in a misunderstanding arising from the alleged wrongful detention of mare, were imprudent enough to do it in the presence of three witnesses, and insisted that the-son-of-a-bichhad-itcoming-to-him was a goof enough defense dor anybody. They persisted in pleading Not Guilty to first-degree murder, so there was nothing much Atticus could do for his clients except be present at their departure, an occasion that was probably the beginnning of my father's profund distaste for the practice of criminal law. During his first five years in Maycomb, Atticus practiced economy more than anything ; for several years thereafter he invested his earnings in his brother's education. John Hale Finch was ten years younger than my father, and chose to study medecine at a time when cotton was not worth growing; but after getting Uncle Jack started, Atticus derived a reasonable income fro the law. He liked Maycomb, he was Maycomb County born and bred; he knew his people, they knew him, and because of Simon Finch's industry, Atticus was related by blood or marriage to nearly every family in the town. Maycomb was an old town, but it was a tired old town when I knew it. In rainy weather the streets turned to red slop; grass grew on the sidewalks, the courthouse sagged in the square. Somehow, it was hotter then: a black dog suffered on a summer's day ; bony mules hitched to Hoover carts flicked flies in the sweltering shade of the live oaks on the square. Men's stiff collars wilted by nine in the morning. Ladies bathed before noon, after their three-o'clock naps, and by nightfall were like soft teacakes with frostings sweat and sweet talcum. People moved slowly then. They ambled across the square, shuffled in and out of the stores around it, took their time about everything. A day was twenty-four hours long but seemed longer. There was no hurry, for there was nowhere to go, nothing to buy and no money to buy it with, nothing to see outside the boundaries of Maycomb County. But it was a time of vague optimism for some yeux de tout habitant du comté. A cause d'un malentendu provoqué pas la détention illégale d'un jument, ils avaient commis l'imprudence de tuer le meilleur maréchal-ferrant de la ville devant trois témoins, et il crurent pouvoir se défendre en affirmant que "ce salaud ne l'avait pas volé". Ils persistèrent à plaider non coupables d'un meurtre au premier degré, aussi Atticus ne put-il faire grand chose pour eux, si ce n'est d'assister à leur exécution, événement qui fut sans doute à l'origine de la profonde aversion de mon père envers le droit pénal. Durant ses cinq premières années à Maycomb, il ne fit guère de dépenses; ensuite, pendant plusieurs années, il consacra ses revenus aux études de son frère. John Hale Finch avait dix ans de moins que lui et opta pour la médecine en un temps où le coton ne rapportait plus assez pour valoir la peine d'être cultivé; mais, après avoir placé oncle Jack sur les rails, Atticus tira des revenus raisonnables de la pratique dru droit. Il se plaisait à Maycomb, chef-lieu du comté qui l'avait vu naître et grandir; il en connaissait les habitants qui le connaissaient eux aussi et devait à Simon Finch de se retrouver lié, par le sang ou par mariage, avec à peu près toutes les familles de la ville. Quand je vins au monde, Maycomb était déjà une vieille ville sur le déclin. Par temps de pluie, ses rues prenaient l'aspect de bourbier rouge; l'herbe poussait sur les trottoirs, le palais de justice penchait vers la place. Curieusement, il faisait plus chaud à l'époque : les chiens supportaient mal les journées d'été; les mules efflanquées, attelées à leurs carrioles, chassaient les mouches à grand coup de queue à l'ombre étouffante des chênes verts sur la place. Les cols durs des hommes se ramollissaient dès neuf heures du matin. Les dames étaient trempées de sueur dès midi, après leur sieste de trois heures et, à la nuit tombante, ressemblaient à des gâteaux pour le thé, glacés de poudre et de transpiration. Les gens se déplaçaient lentement alors. Ils traversaient la place d'un pas pesant, traînaient dans les magasins et devant les vitrines, prenaient leur temps pour tout. La journée semblait durer plus de vingt-quatre heures. On ne se pressait pas, car on n'avait nulle part où aller, rien à acheter et pas d'argent à dépenser, rien à voir au-delà des limites du comté de Maycomb. Pourtant, c'était une période de vague optimisme pour certains : le comté venait 19 of the people : Maycomb County had recently been told that it had nothing to fear but fear itself. We lived on the main residential street in town-- Atticus , Jem and I, plus Calpurnia our cook. Jem and I found our father satisfactory : he played with us, read to us, and treated us with courteous detachment. Calpurnia was something else again. She was all angles and bones ; she was nearsighted;she squinted ; her hand was wide as a bed slat and twice as hard. She was always ordering me out of the kitchen, asking me why I could not behave as well as Jem when she knew he was older, and calling me home when I was not ready to come. Our battles were epic and one-sided. Calpurnia always won, mainly because Atticus always took her side. She had been with us ever since Jem was born, and I had felt her tyrannical presence as long as I could remember. Our mother died when I was two, so I never felt her absence, she was a Graham from Montgomery; Atticus met her when he was first elected to the state legislature. He was middle-aged then, she was fifteen year his junior. Jem was the product of their first year of marriage; for years later I was born, and two years later our mother died from a sudden heart attack. They said it ran in her family. I did not miss her, but I think Jem did. He remembered her clearly, and sometimes in the middle of a game he would sigh at length, then go off and play by himself behind the car-house. When he as like that, I knew better than to bother him. When I was almost six and Jem was nearly ten, our summertime boundaries (within calling distance of Calpurnia) were Mrs. Henry Lafayette Dubose’s house, two doors to the north of us, and the Radley Place three doors to the south. We were never tempted to break them. The Radley Place was inhabited by an unknown entity the mere description of whom was enough to make us behave for days on end; Mrs. Dubose was plain hell. d'apprendre qu'il n'avait à avoir peur que de la peur elle-même. Nous habitions la rue principale, Atticus, Jem et moi, ainsi que Calpurnia, notre cuisinière. Jem et moi, nous étions très satisfaits de notre père : il jouait avec nous, nous faisait la lecture, et nous traitait avec un détachement courtois. Calpurnia, c'était une autre histoire : tout en angles et en os, elle était myope et louchait, elle avait les mains larges comme des battoirs et deux fois plus dures. Elle passait son temps à me chasser de la cuisine, à me demander pourquoi j'étais incapable de me conduire aussi bien que Jem, alors qu'elle savait pertinemment qu'il était plus grand que moi, à m'appeler pour rentrer à la maison quand je n'y étais pas disposée. Nos algarades épiques s'achevaient toujours de la même manière : elle gagnait, essentiellement parce qu'Atticus prenait toujours sa défense. Elle travaillait chez nous depuis la naissance de Jem et, aussi loin que je pouvais remonter dans mes souvenirs, j'avais senti peser sur moi sa présence tyrannique. J'avais deux ans à la mort de notre mère, aussi ne me manquait-elle pas. C'était une Graham, de Montgomery ; Atticus l'avait rencontré lorsqu'il avait été élu pour la première fois à la Chambre des représentants de l'État. Proche de la cinquantaine, il était son ainé de quinze ans. Jem fut le fruit de leur première année de mariage. Je naquis quatre ans plus tard, notre mère mourut d'une crise cardiaque deux ans après ma naissance. Il parait que c'était fréquent dans sa famille. Elle ne me manqua pas, mais à Jem si, je crois. Il se souvenait bien d'elle et parfois, en plein jeu, il poussait un soupir et s'en allait jouer tout seul derrière le garage. Dans ces moments-là, je préférais ne pas l'ennuyer. Quand j'avais presque six ans et lui pas loin de dix, nos quartiers d'été (à portée de voix de Calpurnia) étaient bornés par la maison de Mrs Henry Lafayette Dubose, deux numéros au nord de la nôtre, et par celle des Radley, trois numéros au sud. Nous ne fûmes jamais tentés de dépasser cette frontière. Chez les Radley habitait un être non identifié, dont la seule description suffisait à nous tenir tranquilles , quant à la maison de Mrs Dubose, c'était tout simplement la porte de l'enfer. That was the summer Dill came to us. Ce fut l'été ou Dill se joignit à nous. 20 Early one morning as we were beginning our day’s play in the back yard, Jem and I heard something next door in Miss Rachel Haverford’s collard patch. We wentto the wire fence to see if there was a puppy— Miss Rachel’s rat terrier was expecting— instead we found someone sitting looking at us. Sitting down, he wasn’t much higher than the collards. We stared at him until he spoke: “Hey.” “Hey yourself,” said Jem pleasantly. Tôt un matin, alors que nous nous apprêtions a jouer dans le jardin, Jem et moi entendîmes un bruit dans le potager de Miss Rachel Haverford,| notre voisine. Nous courûmes regarder à travers le grillage si sa chienne avait eu ses petits, et nous nous retrouvâmes devant un Inconnu qui nous regardait, assis par terre, pas plus haut que les choux sur pied qui l'entouraient. Comme nous le dévisagions, il finit par parler: - Salut. - Salut, répondit Jem aimablement. “I’m Charles Baker Harris,” he said. “I can read.” - Je m'appelle Charles Baker Harris. Je sais lire. “So what?” I said. - Et alors ? dis-je. “I just thought you’d like to know I can read. You got anything needs readin‘ I can do it…” - Je pensais que vous aimerez le savoir. Si vous avez besoin que je vous lise quelque chose... “How old are you,” asked Jem, “four-and-ahalf?” - Quel âge as-tu ? coupa Jem. Quatre ans et demi ? “Goin‘ on seven.” “Shoot no wonder, then,” said Jem, jerking his thumb at me. “Scout yonder’s been readin‘ ever since she was born, and she ain’t even started to school yet. You look right puny for goin’ on seven.” “I’m little but I’m old,” he said. - Presque sept ans. - Alors y a rien d'extraordinaire à ça, reprit Jem en me désignant du pouce. Scout sait lire depuis qu'elle est née et elle va pas encore à l'école. Tu fais drôlement petit pour quelqu'un qui va sur ses sept ans. - Peut-être, mais je suis un grand. Jem brushed his hair back to get a better look. “Why don’t you come over, Charles Baker Harris?” he said. “Lord, what a name.” “ 's not any funnier’n yours. Aunt Rachel says your name’s Jeremy Atticus Finch.” Jem chassa ses cheveux de son front pour mieux le voir. - Bon, ben, viens, Charles Baker Harris! Quel nom, mon Dieu! - Et le tien alors ? Tante Rachel dit que tu t'appelles Jeremy Atticus Finch. Jem scowled. “I’m big enough to fit mine,” he - Je suis assez grand pour ça, dit Jem en se 21 said. “Your name’s longer’n you are. Bet it’s a foot longer.” “Folks call me Dill,” said Dill, struggling under the fence. “Do better if you go over it instead of under it,” I said. “Where’d you come from?” Dill was from Meridian, Mississippi, was spending the summer with his aunt, Miss Rachel, and would be spending every summer in Maycomb from now on. His family was from Maycomb County originally, his mother worked for a photographer in Meridian, had entered his picture in a Beautiful Child contest and won five dollars. She gave the money to Dill, who went to the picture show twenty times on it. “Don’t have any picture shows here, except Jesus ones in the courthouse sometimes,” said Jem. “Ever see anything good?” Dill had seen Dracula, a revelation that moved Jem to eye him with the beginning of respect. “Tell it to us,” he said. Dill was a curiosity. He wore blue linen shorts that buttoned to his shirt, his hair was snow white and stuck to his head like duckfluff; he was a year my senior butI towered over him. As he told us the old tale his blue eyes would lighten and darken; his laugh was sudden and happy; he habitually pulled at a cowlick in the center of his forehead. renfrognant. Tandis que ton nom est bien plus grand que toi. - On m'appelle Dill, déclara Dill en tentant de ramper sous le grillage. - Essaie plutôt de passer par-dessus, dis-je. D'où viens-tu? Il venait de Mendlan, dans le Mississippi et passerait désormais tous ses étés chez sa tante, Miss Rachel. Sa famille était originaire du comté de Maycomb , sa mère, qui travaillait chez un photographe, avait envoyé son portrait à un concours de beauté pour enfants et gagne cinq dollars qu'elle lui avait donnés. Avec cet argent, il avait pu aller une vingtaine de fois au cinéma. - Y a pas de salle ici, dit Jem. Quelquefois on nous projette des vies de Jesus au palais de justice. Tu as vu de bons films ? Dill mentionna Dracula, révélation qui inspira un début de respect à mon frère. - Raconte ! demanda-t-il. Dill était un curieux bonhomme aux cheveux blonds presque blancs moussant sur sa tête comme du duvet de canard. Il portait un short de lin bleu boutonné à sa chemise et, bien que plus Jeune que lui d'un an, je le dépassais en taille. Pendant qu'il nous racontait son histoire, ses yeux bleus s'eclairèrent puis s'assombrissaient tour à tour, il partait de brusques éclats de rire joyeux et tirait de temps en temps sur un épi qu'il avait au milieu du front. Quand il eut réduit Dracula en poussière, Jem en conclut que le film paraissait meilleur que le livre. When Dill reduced Dracula to dust, and Jem said the show sounded better than the book, I asked Dill where his father was. Quant à moi, je lui demandai où se trouvait son père: “You ain’t said anything about him.” - J'en ai pas. “I haven’t got one.” - Il est mort ? - Tu n'as pas encore parle de lui. 22 “Is he dead?” - Non. “No…” Dans ce cas, tu en as bien un, non ? “Then if he’s not dead you’ve got one, haven’t you?” Dill blushed and Jem told me to hush, a sure sign that Dill had been studied and found acceptable. Thereafter the summer passed in routine contentment. Routine contentment was: improving our treehouse that rested between giant twin chinaberry trees in the back yard, fussing, running through our list of dramas based on the works of Oliver Optic, Victor Appleton, and Edgar Rice Burroughs. In this matter we were lucky to have Dill. He played the character parts formerly thrust upon me— the ape in Tarzan, Mr. Crabtree in The Rover Boys, Mr. Damon in Tom Swift. Thus we came to know Dill as a pocket Merlin, whose head teemed with eccentric plans, strange longings, and quaint fancies. But by the end of August our repertoire was vapid from countless reproductions, and it was then that Dill gave us the idea of making Boo Radley come out. The Radley Place fascinated Dill. In spite of our warnings and explanations it drew him as the moon draws water, but drew him no nearer than the light-pole on the corner, a safe distance from the Radley gate. There he would stand, his arm around the fat pole, staring and wondering. The Radley Place jutted into a sharp curve beyond our house. Walking south, one faced its porch; the sidewalk turned and ran beside the lot. The house was low, was once white with a deep front porch and green shutters, but had long ago darkened to the color of the slate-gray yard around it. Rain-rotted shingles drooped over the eaves of the veranda; oak trees kept the sun away. The remains of a picket drunkenly guarded the front yard— a “swept” yard that was never swept— where Dill rougit et Jem m'intima de me taire, signe certain que notre nouveau voisin venait de réussir son examen de passage. L'été se déroula dans une paisible routine : nous aménagions notre cabane installée entre les branches de deux immenses margousiers dans le jardin, nous faisions les fous, nous nous amusions à des jeux inspiréq de récits lus chez Oliver Optic, Victor Appleton et Edgar Rice Burroughs. En l'occurrence, Dill nous fut d'un grand secours. Il jouait les rôles qui m'étaient auparavant dévolus, le singe dans Tarzan, Mr Crabtree dans The Rover Boys, Mr Damon dans Tom Swift. Nous finîmes par le considérer comme une sorte de Merlln de poche, à l'imagination fourmillant de projets excentriques, d'aspirations bizarres et d'inventions délirantes. Pourtant, à la fin d'août, notre répertoire commençait à s'épuiser , c'est alors que Dill nous donna l'idée de faire sortir Boo Radley. La maison des Radley le fascinait. Malgré nos avertissements et nos explications, il se laissait attirer comme un papillon par la lumière, mais il se tenait à distance respectueuse, n'allant pas au-delà du réverbère du coin. L'entourant de ses bras, il restait là, plongé dans un abîme de réflexion. Le bâtiment formait un angle qui se prolongeait jusque derrière notre jardin. En prenant vers le sud, on faisait face à sa véranda, puis le trottoir tournait et longeait le terrain. C'était une maison basse, qui avait été blanche, avec une véranda impressionnante et des volets verts, mais elle avait depuis longtemps pris la couleur gris ardoise de la cour qui l'entourait. Les bardeaux du toit, que la pluie avait fait pourrir, s'affaissaient sur la véranda, l'ombre des chênes empêchait le soleil de passer. Les restes de piquets branlants gardaient la cour avant, celle qui devait être balayée, mais ne l'était jamais, et était désormais 23 johnson grass and rabbit-tobacco grew in abundance. Inside the house lived a malevolent phantom. People said he existed, but Jem and I had never seen him. People said he went out at night when the moon was down, and peeped in windows. When people’s azaleas froze in a cold snap, it was because he had breathed on them. Any stealthy small crimes committed in Maycomb were his work. Once the town was terrorized by a series of morbid nocturnal events: people’s chickens and household pets were found mutilated; although the culprit was Crazy Addie, who eventually drowned himself in Barker’s Eddy, people still looked at the Radley Place, unwilling to discard their initial suspicions. A Negro would not pass the Radley Place at night, he would cut across to the sidewalk opposite and whistle as he walked. The Maycomb school grounds adjoined the back of the Radley lot; from the Radley chickenyard tallpecan trees shook their fruit into the schoolyard, but the nuts lay untouched by the children: Radley pecans would kill you. A baseball hit into the Radley yard was a lost ball and no questions asked. The misery of that house began many years before Jem and I were born. The Radleys, welcome anywhere in town, kept to themselves, a predilection unforgivable in Maycomb. They did not go to church, Maycomb’s principal recreation, but worshiped at home; Mrs. Radley seldom if ever crossed the street for a mid-morning coffee break with her neighbors, and certainly never joined a missionary circle. Mr. Radley walked to town at eleven-thirty every morning and came back promptly at twelve, sometimes carrying a brown paper bag that the neighborhood assumed contained the family groceries. I never knew how old Mr. Radley made his living— Jem said he “bought cotton,” a polite term for doing nothing—but Mr. Radley and his wife had lived there with envahie par des graminées et des gnaphales. A l'intérieur vivait un spectre malveillant. Les gens prétendaient qu'il existait, mais Jem et moi ne l'avions jamais vu. Les gens racontaient qu'il sortait par les nuits sans lune et jetait un coup d'oeil par les fenêtres. Si les azalées fanaient, c'était qu'il avait soufflé dessus ; il était l'auteur de tous les petits délits commis à Maycomb. À une époque, la ville fut terrassée par une série de sinistres incidents nocturnes : on retrouvait mutilés poulets et autres animaux domestiques, bien que ce fût Crazy Addie le coupable et qu'il ait fini par se noyer dans le tourbillon des Barker, refusant de revenir sur leurs soupçons, les gens continuaient à jeter des regards entendus à la maison des Radley. La nuit, les Noirs ne passaient pas devant cette maison, ils préféraient changer de trottoir en sifflotant. La cour de l'école de Maycomb était contigue à l'arrière du terrain des Radley , les grands pacaniers qui poussaient dans leur basse-cour laissaient tomber leurs noix dans la cour de l'école, mais les enfants ne les ramassaient pas : les noix de pécan des Radley risquaient de vous tuer. Toute balle égarée dans l'enceinte maudite était perdue à jamais et personne ne la réclamait. La mauvaise réputation de cette maison était très antérieure à la naissance de Jem. Tout le monde eût volontiers reçu les Radley, mais ils ne sortaient jamais, manière de vivre impardonnable dans une petite ville; ils n'allaient même pas à l'église, principale distraction de Maycomb, mais pratiquaient leur religion chez eux. Mrs Radley ne traversait que rarement la rue, voire jamais, pour prendre le café chez ses voisines et n'avait certainement jamais participé à aucun de leurs mouvements de charité. Mr Radley sortait tous les matins à onze heures et demie pour rentrer promptement à midi, portant parfois un paquet brun, qui, selon les voisins, contenait les provisions de la famille. Je n'ai jamais su comment le vieux Mr Radley gagnait sa vie ; selon Jem, il " se tournait les pouces ", pourtant sa femme et lui vivaient là depuis toujours avec leurs deux fils. 24 their two sons as long as anybody could remember. The shutters and doors of the Radley house were closed on Sundays, anotherthing alien to Maycomb’s ways: closed doors meant illness and cold weather only. Of all days Sunday was the day for formal afternoon visiting: ladies wore corsets, men wore coats, children wore shoes. But to climb the Radley front steps and call, “He-y,” of a Sunday afternoon was something their neighbors never did. The Radley house had no screen doors. I once asked Atticus if it ever had any; Atticus said yes, but before I was born. According to neighborhood legend, when the younger Radley boy was in his teens he became acquainted with some of the Cunninghams from Old Sarum, an enormous and confusing tribe domiciled in the northern part of the county, and they formed the nearest thing to a gang ever seen in Maycomb. They did little, but enough to be discussed by the town and publicly warned from three pulpits: they hung around the barbershop; they rode the bus to Abbottsville on Sundays and went to the picture show; they attended dances at the county’s riverside gambling hell, the Dew-Drop Inn & Fishing Camp; they experimented with stumphole whiskey. Nobody in Maycomb had nerve enough to tell Mr. Radley that his boy was in with the wrong crowd. One night, in an excessive spurt of high spirits, the boys backed around the square in a borrowed flivver, resisted arrest by Maycomb’s ancient beadle, Mr. Conner, and locked him in the courthouse outhouse. The town decided something had to be done; Mr. Conner said he knew who each and every one of them was, and he was bound and determined they wouldn’t get away with it, so Les portes et les volets de la maison restaient fermés le dimanche, autre manifestation étrangère aux habitudes de Maycomb: on ne fermait les portes qu'en cas de maladie ou de grand froid. D'autant que le dimanche était le jour des visites cérémonieuses ; les dames mettaient un corset, les messieurs un costume, les enfants des chaussures. Mais aucun voisin n'eut jamais l'idée de monter les marches de la véranda des Radley en leur criant " Salut "! Et puis, ils n'avaient pas de portes grillagées contre les moustiques. Pourtant, en réponse à une de mes questions, Atticu me dit un jour qu'il y en avait une autrefois, avant ma naissance. À en croire les histoires qui se racontaient, adolescent, le plus jeune de leurs fils fréquentait certains des Cunningham d'Old Sarum, tribu du nord du comté, si gigantesque qu'on s'y perdait. Elle formait ce qu'il y avait de plus proche d'un gang pour Maycomb. lls ne faisaient pas grand-chose, mais assez pour entretenir les potins de la ville : ils rôdaient autour de la boutique du coiffeur ; prenaient le car pour Abbottsville le dimanche, et allaient au cinéma ; dansaient dans le tripot du comté, au bord de la rivière, le Dew-Drop Inn & Fishing Camp ; se gorgeaient de whisky trafiqué. Personne à Maycomb n'eut le courage de dire à Mr Radley que son fils filait un mauvais coton. Une nuit, dans un accès d'exaltation, les garçons firent le tour de la place en marche arrière dans une guimbarde empruntée, s'opposèrent à Mr Conner, l'antique huissier de Maycomb, et l'enfermèrent dans les toilettes du palais de justice. La ville décida de réagir. Mr Conner dit qu'il connaissait chacun d'entre eux et qu'il était déterminé à ne pas les laisser s'en tirer comme ça. Les garçons furent donc convoqués devant le juge pour trouble à l'ordre public, voies de fait, injures et blasphèmes en présence et à portée 25 the boys came before the probate judge on charges of disorderly conduct, disturbing the peace, assault and battery, and using abusive and profane language in the presence and hearing of a female. The judge asked Mr. Conner why he included the last charge; Mr. Conner said they cussed so loud he was sure every lady in Maycomb heard them. The judge decided to send the boys to the state industrial school, where boys were sometimes sent for no other reason than to provide them with food and decent shelter: it was no prison and it was no disgrace. Mr. Radley thought it was. If the judge released Arthur, Mr. Radley would see to it that Arthur gave no further trouble. Knowing that Mr. Radley’s word was his bond, the judge was glad to do so. d'oreille de personnes du sexe féminin. Le Juge interrogea Mr Conner sur la raison de ce dernier chef d'accusation ; celui- ci répondit qu'ils avaient juré si fort qu'il était sûr que toutes les dames de Maycomb les avaient entendus. Le juge décida d'envoyer les garçons à l'école technique de l'Etat où il arrivait qu'on envoie des garçons simple- ment pour leur assurer le vivre et le couvert : ce n'était pas une prison et ce n'était pas un déshonneur. Sauf pour Mr Radley. Si le juge relâchait son fils, celui-cl s'engageait à ce qu'Arthur ne provoque plus d'ennuis. Connaissant la valeur de la parole de Mr Radley, le juge fut ravi de lui donner satisfaction. The other boys attended the industrial school and received the best secondary education to be had in the state; one of them eventually worked his way through engineering school at Auburn. The doors of the Radley house were closed on weekdays as well as Sundays, and Mr. Radley’s boy was not seen again for fifteen years. Les camarades d'Arthur partirent pour l'école où ils reçurent la meilleure instruction secondaire possible dans l'état ; l'un d'entre eux fut même admis, par la suite, à poursuivre ses études d'ingénieur à Auburn. Les portes des Radley étaient fermées le dimanche, ainsi que tous les autres jours de la semaine, et plus personne ne vit leur fils durant quinze ans. But there came a day, barely within Jem’s memory, when Boo Radley was heard from and was seen by several people, but not by Jem. He said Atticus never talked much about the Radleys: when Jem would question him Atticus’s only answer was for him to mind his own business and let the Radleys mind theirs, they had a right to; but when it happened Jem said Atticus shook his head and said, “Mm, mm, mm.” So Jem received most of his information from Miss Stephanie Crawford, a neighborhood scold, who said she knew the whole thing. According to Miss Stephanie, Boo was sitting in the livingroom cutting some items from The Maycomb Tribune to paste in his scrapbook. His father entered the room. As Un jour, pourtant, dont Jem gardait vaguement le souvenir, Boo Radley fut entendu et même aperçu par plusieurs personnes, mais pas par Jem. Selon lui, Atticus n'aimait pas beaucoup parler des Radley ; quand mon frère l'interrogeait à leur propos, il s'entendait répondre que cela ne le regardait pas, qu'ils avaient le droit de vivre comme ils le désiraient. Toutefois, lorsque se produisit cette affaire, Jem vit Atticus hocher la tête en marmonnant " Hem, hem, hem ". Il en apprit davantage par Miss Stephanie Crawford, la commère du quartier, qui assurait tout savoir de l'affaire. Selon ses dires, Boo était occupé, dans la salle de séjour, à découper des articles de The Maycomb Tribune qu'il collait dans un album quand son père entra dans la pièce. Comme Mr Radley 26 Mr. Radley passed by, Boo drove the scissors into his parent’s leg, pulled them out, wiped them on his pants, and resumed his activities. Mrs. Radley ran screaming into the street that Arthur was killing them all, but when the sheriff arrived he found Boo still sitting in the livingroom, cutting up the Tribune. He was thirty-three years old then. Miss Stephanie said old Mr. Radley said no Radley was going to any asylum, when it was suggested that a season in Tuscaloosa might be helpful to Boo. Boo wasn’t crazy, he was high-strung at times. It was all right to shut him up, Mr. Radley conceded, but insisted that Boo not be charged with anything: he was not a criminal. The sheriff hadn’t the heart to put him in jail alongside Negroes, so Boo was locked in the courthouse basement. Boo’s transition from the basement to back home was nebulous in Jem’s memory. Miss Stephanie Crawford said some of the town council told Mr. Radley that if he didn’t take Boo back, Boo would die of mold from the damp. Besides, Boo could not live forever on the bounty of the county. Nobody knew what form of intimidation Mr. Radley employed to keep Boo out of sight, but Jem figured that Mr. Radley kept him chained to the bed most of the time. Atticus said no, it wasn’t that sort of thing, that there were other ways of making people into ghosts. My memory came alive to see Mrs. Radley occasionally open the front door, walk to the edge of the porch, and pour water on her cannas. But every day Jem and I would see Mr. Radley walking to and from town. He was a thin leathery man withcolorless eyes, so colorless they did not reflect light. His cheekbones were sharp and his mouth was passait à côté de lui, Boo lut enfonça les ciseaux dans une jambe, les en sortit pour les essuyer à son pantalon et reprit son activité. Mrs Radley se précipita dans la rue en hurlant qu'Arthur était en train de tous les tuer mais, lorsque le sherif arriva, ce fut pour trouver Boo assis à sa place, découpant The Tribune. Il était alors âgé de trente- trois ans. Miss Stephanie dit que le vieux Mr Radley s'était opposé à ce qu'un membre de sa famille fût envoyé à l'asile quand on lui souffla qu'un séjour à Tuscaloosa ferait peut-être du bien a Boo. Celui-ci n'était pas fou, seulement un peu nerveux par moments. Son père accepta qu'on le mette en prison, mais sans la moindre : il n'était pas un criminel. Le shérif n'eut pas le coeur à le mettre en cellule avec des Noirs, aussi fut-il enfermé dans la cave du palais de justice. Jem se rappelait mal comment Boo était passé de la cave à sa maison. Miss Stephanie Crawford dit que certains conseillers municipaux avaient informé Mr Radley que s'il ne reprenait pas Boo, celui-ci figurait par mourir de moisissure dans l'humidité de la cave. De plus, le comté ne pouvait pas l'entretenir indéfiniment. Personne ne savait par quel moyen Mr Radley maintenait son fils loin des regards. Jem pensait qu'il gardait Boo enchaîné à son lit. Atticus dit que ce n'était pas cela et qu'il existait d'autres façons de transformer quelqu'un en fantôme. Dans mes premiers souvenirs, je vois Mrs Radley aller de temps en temps au bord de sa véranda pour arroser ses cannas. En revanche, Jem et moi voyions tous les jours son mari aller en ville et en revenir. C'était un petit homme sec aux yeux si délavés qu'ils étaient dépourvus de tout reflet. Il avait des pommettes pointues et une grande bouche avec une lèvre supérieure mince et une lèvre inférieure bien pleine. Miss Stephanie Crawford le disait tellement droit que seule la parole de Dieu lui servait de loi, et nous la 27 wide, with a thin upper lip and a full lower lip. Miss Stephanie Crawford said he was so upright he took the word of God as his only law, and we believed her, because Mr. Radley’s posture was ramrod straight. He never spoke to us. When he passed we would look at the ground and say, “Good morning, sir,” and he would cough in reply. Mr. Radley’s elder son lived in Pensacola; he came home at Christmas, and he was one of the few persons we ever saw enter or leave the place. From the day Mr. Radley took Arthur home, people said the house died. But there came a day when Atticus told us he’d wear us out if we made any noise in the yard and commissioned Calpurnia to serve in his absence if she heard a sound out of us. Mr. Radley was dying. He took his time about it. Wooden sawhorses blocked the road at each end of the Radley lot, straw was put down on the sidewalk, traffic was diverted to the back street. Dr. Reynolds parked his car in front of our house and walked to the Radley’s every time he called. Jem and I crept around the yard for days. At last the sawhorses were taken away, and we stood watching from the front porch when Mr. Radley made his final journey past our house. “There goes the meanest man ever God blew breath into,” murmured Calpurnia, and she spat meditatively into the yard. We looked at her in surprise, for Calpurnia rarely commented on the ways of white people. The neighborhood thought when Mr. Radley went under Boo would come out,but it had another think coming: Boo’s elder brother returned from Pensacola and took Mr. Radley’s place. The only difference between him and his father was their ages. Jem said croyions car il se tenait raide comme un piquet. Il ne nous adressait jamais la parole. Quand il passait, nous baissions les yeux en murmurant " Bonjour, mon- sleur ", à quoi il répondait en toussotant. Son fils aîné vivait à Pensacola et leur rendait visite a Noel ; c'était l'une des rares personnes que nous eussions jamais vues entrer dans la propriété où en sortir. Les gens disaient que la maison était morte le jour où Mr Radley avait reprit Arthur chez lui. Vint un jour où Atticus menaça de nous mettre à la porte s'il nous entendait faire du bruit dans le jardin, et il chargea Calpurnia de veiller, en son absence, à ce que nous obéissions. Mr Radley était en train de mourir. Il prit son temps. Des chevalets de bois barraient la rue à chaque extrémité de sa propriété, le trottoir fut recouvert de paille, la circulation déviée. Le docteur Reynolds garait sa voiture devant chez nous et continuait à pied chaque fois qu'il se rendait à son chevet. Des jours durant, Jem et moi jouâmes en silence. Finalement, les chevalets furent ôtés et, de la véranda, nous vîmes Mr Radley passer devant nous pour son dernier voyage. - C'était l'homme le plus méchant de la Création ! murmura Calpurma en crachant dans le jardin l'air songeur. Nous la regardâmes avec surprise car Calptmua ne portait que très rarement un jugement sur les Blancs. Les gens crurent que Boo allait reparaître maintenat que son père était mort et enterré, mats il n'en fut rien. Son frère rentra de Pensacola et prit la place de Mr Radley. Leur âge était la seule différence entre ces deux hommes. Jem disait que Mr Nathan Radley " se tournait les pouces " lui aussi ; néanmoins, il nous adressait la parole quand nous lui disions bonjour et nous le voyions parfois revenir de la ville, un 28 Mr. Nathan Radley “bought cotton,” too. Mr. Nathan would speak to us, however, when we said good morning, and sometimes we saw him coming from town with a magazine in his hand. The more we told Dill about the Radleys, the more he wanted to know, the longer he would stand hugging the light-pole on the corner, the more he would wonder.“Wonder what he does in there,” he would murmur. “Looks like he’d just stick his head out the door.” Jem said, “He goes out, all right, when it’s pitch dark. Miss Stephanie Crawford said she woke up in the middle of the night one time and saw him looking straight through the window at her… said his head was like a skull lookin‘ at her. Ain’t you ever waked up at night and heard him, Dill? He walks like this-” magazine à la main. Plus nous parlions des Radley à Dill plus il désirait en apprendre, plus il passait de temps à étreindre son réverbère, plus il se posait de questions. - Je me demande ce que Boo fait là-dedans, murmurait-il. Il finira bien par montrer une tête. Jem dit : - Il sort, tu sais, quand il fait complètement noir. Miss Stephanie Crawford raconte qu'elle s'est réveillée, une fois en pleine nuit, et qu'elle l'a surpris à la regarder par la fenêtre... que sa figure ressemblait à une tête de mort. Tu t'es jamais réveillé en pleine nuit, Dill pour l'entendre marcher ? Il marche comme ça... Jem slid his feet through the gravel. Jem fit glisser son pied sur le gravier. “Why do you think Miss Rachel locks up so tight at night? I’ve seen his tracks in our back yard many a mornin’, and one night I heard him scratching on the back screen, but he was gone time Atticus got there.” - Pourquoi tu crois, poursuivit-il, que Miss Rachel s'enferme si soigneusement le soir ? J'ai même vu les traces de ses pieds dans le jardin, un matin, et, une nuit, Je l'ai entendu gratter au grillage à l'arrière du jardin, mats il avait disparu quand Atticus est allé voir. “Wonder what he looks like?” said Dill. Jem gave a reasonable description of Boo: Boo was about six-and-a-half feet tall, judging from his tracks; he dined on raw squirrels and any cats he could catch, that’s why his hands were bloodstained—if you ate an animal raw, you could never wash the blood off. There was a long jagged scar that ran across his face; what teeth he had were yellow and rotten; his eyes popped, and he drooled most of the time. - Je me demande à quoi il ressemble, murmura Dill. Jem fit une description plausible de Boo : il mesurait près de deux mètres, à en Juger par ses empreintes ; il mangeait des écureuils crus et tous les chats qu'il pouvait attraper, ce qui expliquait que ses mains soient tachées de sang - si on mangeait un animal cru, on ne pouvait plus jamais en enlever le sang. Une longue cicatrice lui barrait le visage ; pour toutes dents, il ne lut restait que des chicots jaunes et cassés. Les yeux lui sortaient des orbites et il bavait presque tout le temps. “Let’s try to make him come out,” said Dill. “I’d like to see what he looks like.” Jem said if Dill wanted to get himself killed, all he had to do was go up and knock on the front door. - Essayons de le faire sortir, lança Dill. Je voudrais savoir à quoi il ressemble. Jem dit que s'il tenait à se faire tuer il lui suffisait 29 Our first raid came to pass only because Dill bet Jem The Gray Ghost against two Tom Swifts that Jem wouldn’t get any farther than the Radley gate. In all his life, Jem had never declined a dare. Jem thought about it for three days. I suppose he loved honor more than his head, for Dill wore him down easily. “You’re scared,” Dill said, the first day. “Ain’t scared, just respectful,” Jem said. The next day Dill said, “You’re too scared even to put your big toe in the front yard.” Jem said he reckoned he wasn’t, he’d passed the Radley Place every school day of his life. “Always runnin‘,” I said. But Dill got him the third day, when he told Jem that folks in Meridian certainly weren’t as afraid as the folks in Maycomb, that he’d never seen such scary folks as the ones in Maycomb. This was enough to make Jem march to the corner, where he stopped and leanedagainst the light-pole, watching the gate hanging crazily on its homemade hinge. “I hope you’ve got it through your head that he’ll kill us each and every one, Dill Harris,” said Jem, when we joined him. “Don’t blame me when he gouges your eyes out. You started it, remember.” “You’re still scared,” murmured Dill patiently. Jem wanted Dill to know once and for all that he wasn’t scared of anything: “It’s just that I can’t think of a way to make him come out without him gettin‘ us.” Besides, Jem had his little sister to think of. When he said that, I knew he was afraid. Jem d'aller frapper à sa porte. Notre premier raid se produisit parce que Dill paria Le Fantôme gris contre deux Tom Swift que Jem n'oserait jamais franchir la grille des Radley. Et Jem relevait toujours les défis. Il y réfléchit pendant trois jours. Je suppose qu'il préférait l'honneur à la vie parce que Dill trouva vite l'argument décisif. Le premier Jour, il lui dit: -Tu as peur. - Non, je suis poli, répondit Jem. Le deuxième jour, il lui dit : - Tu as tellement peur que tu n'oseras même pas poser un pieds dans leur jardin. Jem répondit que c'était faux puisqu' il passait devant chez les Radley tous les jours pour aller à l'école. - Toujours en courant, précisai-je. Le troisième jour, Dill l'emporta en affirmant que les habitants dè Meridian étaient moins froussards que ceux de Maycomb. L'argument suffit à conduire Jem au coin de la rue, où il s'arrêta pour s'appuyer au réverbère et regarder cette grille qui pendait lamentablement hors de ses gonds. - J'espère que tu te rends bien compte qu'il va tous nous tuer, Dill Harris ! déclara Jem quand nous le rejoignîmes. Tu viendras pas te plaindre s'il t'arrache les yeux. C'est toi qui as commencé, souviens-t'en. - Tu as encore peur, soupira Dill résigné. . Jem voulait lui faire comprendre une bonne fois pour toutes qu'il n'avait peur de rien. - C'est seulement que je ne sais pas comment le faire sortir sans qu'il nous attrape. . Et puis il devait songer à sa petite soeur. En entendant cela, je compris qu'il avait peur. Il fallait déjà qu'il pense à sa petite soeur le jour où je 30 had his little sister to think of the time I dared him to jump off the top of the house: “If I got killed, what’d become of you?” he asked. Then he jumped, landed unhurt, and his sense of responsibility left him until confronted by the Radley Place. l'avais mis au défi de sauter du toit de la maison : “You gonna run out on a dare?” asked Dill. “If you are, then-” - Tu ne vas pas te dégonfler ? demanda Dill. Ou alors... . . “Dill, you have to think about these things,” Jem said. “Lemme think a minute… it’s sort of like making a turtle come out…” - Qui parle de se dégonfler ? Laisse-moi réfléchir, une seconde... on peut faire comme pour les tortues... “How’s that?” asked Dill. - En lui jetant une allumette sous les pieds. “Strike a match under him.” Je déclarai à Jem que s'il mettait le feu à la maison des Radley, je le dénoncerais à Atticus. I told Jem if he set fire to the Radley house I was going to tell Atticus on him. " Si je me tue, qu'adviendra-t-il de toi ? " avait-il demandé. Pourtant, il avait sauté, sans se faire de mal, et son sens des responsabilités l'avait quitté jusqu'à ce qu'il lui fallût entrer chez les Radley. - Comment ça ? Dill said striking a match under a turtle was hateful. Dill ajouta qu'il était odieux de jeter des allumettes sous les tortues. “Ain’t hateful, just persuades him—‘s not like you’d chunk him in the fire,” Jem growled. - C'est pas pareil, maugréa Jem. C'est pas comme si on les jetait dans les flammes. “How do you know a match don’t hurt him?” - Comment sais-tu qu'une allumette ne le brûlera? “Turtles can’t feel, stupid,” said Jem. - Les tortues ne sentent rien, imbécile ! “Were you ever a turtle, huh?” - Tu as déjà été tortue, toi ? “My stars, Dill! Now lemme think… reckon we can rock him…” - Enfin, Dill ! Laisse-moi réfléchir... on pourrait l'assommer... Jem stood in thought so long that Dill made a mild concession: Jem réfléchit si longtemps que Dill finit par faire une concession : “I won’t say you ran out on a dare an‘ I’ll swap you The Gray Ghost if you just go up and touch the house.” Jem brightened. “Touch the house, that all?” Dill nodded. - Je ne te traiterai pas de dégonflé et je t'échangerai Le Fantôme gris si tu te contentes de t'approcher assez de la maison pour la toucher. “Sure that’s all, now? I don’t want you hollerin‘ something different the minute I get back.” Jem se rasséréna : - C'est tout ? Dill fit oui de la tête. - Tu es sûr, hein ? Tu ne brailleras pas le contraire au 31 “Yeah, that’s all,” said Dill. “He’ll probably come out after you when he sees you in the yard, then Scout’n‘ me’ll jump on him and hold him down till we can tell him we ain’t gonna hurt him.” We left the corner, crossed the side street that ran in front of the Radley house, and stopped at the gate. moment où je reviendrai ? - Oui, je suis sûr. Il va certainement sortir quand il te verra dans le jardin, alors, Scout et moi, on lui sautera dessus et on le maintiendra à terre avant de lui dire qu'on ne lui veut pas de mal. Abandonnant le réverbère, nous traversâmes la rue latérale qui passait devant la maison des Radley et nous arrêtâmes devant la grille. “Well go on,” said Dill, “Scout and me’s right behind you.” - Vas-y, ordonna Dill. Scout et moi, on te suit. “I’m going,” said Jem, “don’t hurry me.” - J'y vais, inutile de me presser. He walked to the corner of the lot, then back again, studying the simple terrain as if deciding how best to effect an entry, frowning and scratching his head. Il longea la clôture jusqu'au coin de la rue, revint, examinant le terrain comme s'il cherchait le meilleur moyen d'y pénétrer, tout en fronçant les sourcils et en se grattant la tête. Then I sneered at him. Jem threw open the gate and sped to the side of the house, slapped it with his palm and ran back past us, not waiting to see if his foray was successful. Dill and I followed on his heels. Safely on our porch, panting and out of breath, we looked back. Je me moquai de lui Jem ouvrit la grille, se précipita vers le côté de la maison, y appliqua sa paume et repassa devant nous en courant, sans prendre le temps de s'assurer du succès de son . Dill et moi sur ses talons. Une fois en sécurité sur notre véranda, à bout de souffle, nous nous retournâmes. The old house was the same, droopy and sick, but as we stared down the street we thought we saw an inside shutter move. Flick. A tiny, almost invisible movement, and the house was still. Dill left us early in September, to return to Meridian. We saw him off on the five o’clock bus and I was miserable without him until it occurred to me that I would be starting to school in a week. I never looked forward more to anything in my life. Hours of wintertime had found me in the treehouse, looking over at the schoolyard, spying on multitudes of children through a two-power telescope Jem had given me, learning their games, following Jem’s red jacket through wriggling circles of blind man’s buff, secretly sharing their misfortunes and minor victories. La vieille maison était toujours la même, affaissée et mal en point, mais il nous sembla distinguer un mouvement furtif à . Trois fois rien. Un minuscule frémissement, quasi imperceptible, et plus rien ne bougea. Dill repartit pour Meridian au début de septembre. Nous l'accompagnâmes au car de cinq heures et son absence me donna le cafard, jusqu'à ce que je me souvienne que l'école commençait dans une semaine. Je n'ai jamais rien attendu avec plus d'impatience de toute ma vie J'avais passé des heures, l'hiver, dans notre cabane dans les arbres à observer la cour de récréation et à épier les nombreux enfants avec une longue-vue que m'avait donnée Jem, pour apprendre leurs Jeux, repérer la veste rouge de mon frère au milieu des groupes remuants de colin-maillard partager secrètement leurs malchances et leurs 32 I longed to join them. petites victoires. J'avais hâte de me joindre a eux. Jem condescended to take me to school the first day, a job usually done by one’s parents, but Atticus had said Jem would be delighted to show me where my room was. I think some money changed hands in this transaction, for as we trotted around the corner past the Radley Place I heard an unfamiliar jingle in Jem's pockets. When we slowed to a walk at the edge of the schoolyard, Jem was careful to explain that during school hours I was not to bother him, I was not to approach him with requests to enact a chapter of Tarzan and the Ant Men, to embarrass him with references to his private life, or tag along behind him at recess and noon. I was to stick with the first grade and he would stick with the fifth. In short, I was to leave him alone. Jem condescendit à m'emmener le jour de la rentrée, tâche habituellement dévolue aux parents, mais Atticus avait affirmé que Jem serait ravi de me montrer ma classe. Je pense que la transaction ne s'était pas opérée gratuitement car, au moment où nous prenions nos Jambes à notre cou pour tourner au coin de chez les Radley, j’entendis un tintement inhabituel dans les poches de Jem. Arrivés à la hauteur de l'école, nous ralentîmes le pas et il m'expliqua longuement que je ne devais pas le déranger pendant les heures de classe, nl venir lui demander de jouer un chapitre de Tarzan et les hommes- fourmis, ni l'embarrasser en faisant état de sa vie privée ou en lui collant aux basques à la récréation et à midi. Chacun de nous devait rester avec sa classe, moi avec les premières années et lui avec les cinquièmes. Bref, il fallait que je le laisse tranquille. “You mean we can’t play any more?” I asked. “We’ll do like we always do at home,” he said, “but you’ll see—school’s different.” It certainly was. Before the first morning was over, Miss Caroline Fisher, our teacher, hauled me up to the front of the room and patted the palm of my hand with a ruler, then made me stand in the corner until noon. Miss Caroline was no more than twenty-one. She had bright auburn hair, pink cheeks, and wore crimson fingernail polish. She also wore high-heeled pumps and a red-and-whitestriped dress. She looked and smelled like a peppermint drop. She boarded across the street one door down from us in Miss Maudie Atkinson’s upstairs front room, and when Miss Maudie introduced us to her, Jem was in a haze for days. Miss Caroline printed her name on the blackboard and said, “This says I am Miss Caroline Fisher. I am from North Alabama, - Alors on pourra plus jouer ensemble ? demandai-je. A la maison, si, comme toujours, mais tu verras, l'école, c'est pas pareil. C'était bien vrai. Avant la fin de la première matinée, notre institutrice Miss Carolinee Fisher, m'entraîna au fond de la classe pour me donner des coups de règle sur la paume des mains et me mettre au coin jusqu'à midi. Miss Caroline n'avait pas plus de vingt et un ans, de beaux cheveux auburn, les joues roses et des ongles vermillon. Elle portait aussi des chaussures à hauts talons et une robe à rayures rouges et blanches. Elle avait l'air et l'odeur d'une pastille de menthe. Elle habitait de l'autre côté de la rue, à une maison de chez nous, une chambre du premier étage chez Miss Maudie Atkinson. Quand celle-ci nous avait présentés à elle, Jem en était resté tout rêveur plusieurs jours durant. Miss Caroline écrivit son nom au tableau: - Ceci veut dire que je m'appelle Caroline Fisher. 33 from Winston County.” Je viens du nord de l'Alabama, du comté de Winston. The class murmured apprehensively, should she prove to harbor her share of the peculiarities indigenous to that region. (When Alabama seceded from the Union on January 11, 1861, Winston County seceded from Alabama, and every child in Maycomb County knew it.) North Alabama was full of Liquor Interests, Big Mules, steel companies, Republicans, professors, and other persons of no background. Un murmure d'appréhension parcourut la classe: allait-elle nous infliger les singularités de sa région ? (Quand l'Alabama fit sécession de l'Union, le11 Janvier 1861, le comté de Winston fit sécession de l'Alabama, et tous les enfants du comté de Maycomb le savaient.) Dans le nord de l'Alabama, il n'était question que de distilleries, de lobbies industriels, de professeurs et d'autres personnes sans passé. Miss Caroline began the day by reading us a story about cats. The cats had long conversations with one another, they wore cunning little clothes and lived in a warm house beneath a kitchen stove. By the time Mrs. Cat called the drugstore for an order of chocolate malted mice the class was wriggling like a bucketful of catawba worms. Miss Caroline seemed unaware that the ragged, denim-shirted and floursack-skirted first grade, most of whom had chopped cotton and fed hogs from the time they were able to walk, were immune to imaginative literature. Miss Caroline came to the end of the story and said, “Oh, my, wasn’t that nice?” Then she went to the blackboard and printed the alphabet in enormous square capitals, turned to the class and asked, “Does anybody know what these are?” Everybody did; most of the first grade had failed it last year. I suppose she chose me because she knew my name; as I read the alphabet a faint line appeared between her eyebrows, and after making me read most of My First Reader and the stock-market quotations from The Mobile Register aloud, she discovered that I was literate and looked at me with more than Miss Caroline commença par nous lire une histoire de chats. Ceux-ci avaient de longues conversations les uns avec les autres, portaient d'astucieux petits habits et vivaient dans une maison bien chaude sous une cuisinière. Le temps que Mme Chat appelle l'épicerie pour y commander des souris enrobées de chocolat, toute la classe se tortillait comme des chenilles dans un seau de pêcheur. Miss Caroline ne semblait pas se rendre compte que les premières années, nippées de chemises en jean ou de jupes de grosse toile, dont la plupart égrenaient le coton et nourissaient les cochons depuis leur plus jeune âge, étaient imperméables à la fiction littéraire. Arrivée à la dernière ligne, elle s'exclama : Oh, n'était-ce pas charmant ? Puis elle se rendit au tableau pour y inscrire les lettres de l'alphabet en énormes capitales carrées, avant de se tourner vers nous pour demander: - Quelqu'un sait-il ce que ceci représente ? Tout le monde le savait car presque toute la classe redoublait. Je suppose qu'elle me choisit parce qu'elle connaissait mon nom ; en me voyant épeler ces lettres, un mince sillon se creusa entre ses sourcils et, aptes m'avoir fait lire à haute voix une bonne partie de Mon Premier Livre de lecture suivi des cours de la Bourse du Mobile Register, elle se rendit compte que je savais lire et me considéra avec une animosité non fainte. Elle me pria de dire à mon père de ne plus rien 34 faint distaste. Miss Caroline told me to tell my father not to teach me any more, it would interfere with my reading. m'enseigner, car cela risquait d'interferer avec mes études. “Teach me?” I said in surprise. “He hasn’t taught me anything, Miss Caroline. Atticus ain’t got time to teach me anything,” I added, when Miss Caroline smiled and shook her head. “Why, he’s so tired at night he just sits in the livingroom and reads.” - Lui ? m'écriai-je surprise, il ne m'a jamais rien enseigné, Miss Caroline ! Atticus n'a pas le temps, ajoutai-je lorsqu'elle hocha la tête en souriant. Le soir, il est tellement fatigué qu'il se contente de lire au salon. “If he didn’t teach you, who did?” Miss Caroline asked good-naturedly. - Alors, qui s'en est chargé ? demanda-t-elle accommodante. “Somebody did. You weren’t born reading The Mobile Register.” C'est bien quelqu'un. Tu n'es pas née en sachant lire The Mobile Registrer ! Corpus Castel They were young, educated, and both virgins on this, their wedding night, and they lived in a time when a conversation about sexual difficulties was plainly impossible. But it is never easy. They had just sat down to supper in a tiny sitting room on the first floor of a Georgian inn. In the next room, visible through the open door, was a four-poster bed, rather narrow, whose bedcover was pure white and stretched startlingly smooth, as though by no human hand. Edward did not mention that he had never stayed in a hotel before, whereas Florence, after many trips as a child with her father, was an old hand. Superficially, they were in fine spirits. Their wedding, at St Mary's, Oxford, had gone well; the service was decorous, the reception jolly, the send-off from school and college friends raucous and uplifting. Her parents had not condescended to his, as they had feared, and his mother had not significantly misbehaved, or completely forgotten the purpose of the occasion. The Ils étaient jeunes, instruits, tous les deux vierges avant leur nuit de noces, et ils vivaient en des temps où parler de ses problèmes sexuels était manifestement impossible. Mais ce n’est jamais facile. Ils venaient de s’installer pour dîner dans un minuscule salon au premier étage d’une auberge de style géorgien. Dans la pièce voisine, visible par la porte ouverte, se trouvait un lit à baldaquin assez étroit, dont la courtepointe d’un blanc pur s’étendait, incroyablement lisse, comme si aucune main humaine ne l’avait touchée. Edward n’avoua pas qu’il n’était encore jamais allé à l’hôtel, alors que Florence, après ses nombreux voyages avec son père dans son enfance, était une habituée. En apparence, tout leur souriait. Leur mariage à l’église St Mary d’Oxford s’était bien passé : la cérémonie religieuse avait été sans fausse note, la réception, festive, les adieux de leurs copains de fac et de lycée, aussi bruyants que chaleureux. Contrairement à ce qu’ils redoutaient tous les deux, les parents de Florence n’avaient pas regardé les siens de haut, et sa mère à lui n’avait commis aucun impair ni complètement oublié la 35 couple had driven away in a small car belonging to Florence's mother and arrived in the early evening at their hotel on the Dorset coast in weather that was not perfect for mid July or the circumstances, but entirely adequate: it was not raining, but nor was it quite warm enough, according to Florence, to eat outside on the terrace as they had hoped. Edward thought it was, but, polite to a fault, he would not think of contradicting her on such an evening. signification de cette journée. Les mariés avaient pris la route dans une petite voiture appartenant à la mère de Florence, et ils étaient arrivés en début de soirée à leur hôtel sur la côte du Dorset, par un temps indigne de la mi-juillet et de l’occasion, mais parfaitement convenable : s’il ne pleuvait pas, il ne faisait pas non plus assez chaud, selon Florence, pour manger sur la terrasse comme ils l’avaient espéré. Edward pensait que si, mais, poli à l’extrême, jamais il n’aurait osé la contredire un soir pareil. So they were eating in their rooms before the partially open French windows that gave onto a balcony and a view of a portion of the English Channel, and Chesil Beach with its infinite shingle. Two youths in dinner jackets served them from a trolley parked outside in the corridor, and their comings and goings through what was generally known as the honeymoon suite made the waxed oak boards squeak comically against the silence. Proud and protective, the young man watched closely for any gesture or expression that might have seemed satirical. He could not have tolerated any sniggering. But these lads from a nearby village went about their business with bowed backs and closed faces, and their manner was tentative, their hands shook as they set items down on the starched linen tablecloth. They were nervous too. Ils dînaient donc dans leur suite, devant la portefenêtre ouvrant sur le balcon d’où l’on apercevait la Manche, et la plage de Chesil avec ses galets à perte de vue. Deux jeunes gens en veste noire et nœud papillon assuraient le service à partir d’une table roulante installée dans le couloir, et leurs allées et venues, dans ce qu’on appelait communément la suite nuptiale, produisaient sur les lattes en chêne du parquet bien ciré des couinements amusants qui rompaient le silence. Fier et protecteur, le jeune homme suivait des yeux chacun de leurs gestes ou expressions, à l’affût de la moindre trace de sarcasme. Il n’aurait pas toléré l’ombre d’une moquerie. Mais ces adolescents d’un village voisin s’acquittaient de leur tâche le dos courbé, le visage fermé, l’air hésitant et les mains tremblantes dès qu’ils posaient quelque chose sur la nappe en lin amidonné. Eux aussi avaient le trac. This was not a good moment in the history of English cuisine, but no one much minded at the time, except visitors from abroad. The formal meal began, as so many did then, with a slice of melon decorated by a single glazed cherry. Out in the corridor, in silver dishes on candle-heated plate warmers, waited slices of long-ago roasted beef in a thickened gravy, soft boiled vegetables, and potatoes of a bluish hue. The wine was from France, though no particular region was mentioned on the label, which was Ce n’était pas une période faste dans l’histoire de la cuisine anglaise, mais personne ne s’en souciait vraiment, sauf les visiteurs étrangers. Le dîner de noces commença, comme tant d’autres à l’époque, par une tranche de melon décorée d’une unique cerise confite. Dans le couloir, des plats en argent sur leurs chauffe-plats contenaient des tranches de rôti de bœuf dont la cuisson remontait à plusieurs heures, figées dans une épaisse sauce brune, des légumes bouillis et des pommes de terre bleuâtres. Le vin était français, même si l’étiquette, ornée d’une hirondelle solitaire s’envolant à tire-d’aile, ne mentionnait aucune appellation précise. Il ne serait 36 embellished with a solitary, darting swallow. pas venu à l’idée d’Edward de commander un vin It would not have crossed Edward's mind to rouge. order a red. Impatients de voir s’éloigner les serveurs, Florence Desperate for the waiters to leave, he and et lui se contorsionnaient sur leur chaise pour Florence turned in their chairs to consider contempler la vaste pelouse moussue et, au-delà, the view of a broad mossy lawn, and l’enchevêtrement d’arbustes et d’arbres en fleurs beyond, a tangle of flowering shrubs and accrochés au talus escarpé qui descendait vers le trees clinging to a steep bank that chemin conduisant à la plage. descended to a lane that led to the beach. Ils apercevaient le début d’un sentier, quelques They could see the beginnings of a footpath, marches boueuses, un passage bordé de plantes dropping by muddy steps, a way lined by d’une taille extravagante – des choux et des pieds weeds of extravagant size - giant rhubarb de rhubarbe géants, aurait-on dit, avec leurs tiges and cabbages they looked like, with swollen gonflées, hautes d’au moins deux mètres, qui stalks more than six feet tall, bending under ployaient sous le poids de feuilles sombres aux the weight of dark, thick-veined leaves. The nervures saillantes. La végétation du jardin s’élevait garden vegetation rose up, sensuous and devant eux, sensuelle et tropicale dans sa tropical in its profusion, an effect heightened profusion, effet encore accru par la douce lumière by the grey, soft light and a delicate mist grise et la brume légère qui montait de la mer, dont drifting in from the sea, whose steady le mouvement régulier de flux et de reflux motion of advance and withdrawal made produisait comme un lointain roulement de sounds of gentle thunder, then sudden tonnerre, suivi d’un chuintement sur les galets. hissing against the pebbles. Their plan was Florence et lui projetaient de changer de to change into rough shoes after supper and chaussures après le dîner, pour aller marcher sur walk on the shingle between the sea and the l’étroite plage de galets entre la mer et la lagune lagoon known as the Fleet, and if they had connue sous le nom de The Fleet, et s’ils n’avaient not finished the wine, they would take that pas fini leur bouteille de vin, ils l’emporteraient along, and swig from the bottle like avec eux et boiraient au goulot tels des vagabonds. gentlemen of the road. Ils avaient tellement de projets, des projets And they had so many plans, giddy plans, grisants, amassés devant eux dans l’avenir heaped up before them in the misty future, embrumé, aussi richement enchevêtrés que la flore as richly tangled as the summer flora of the estivale du Dorset, et aussi beaux. Où et comment Dorset coast, and as beautiful. Where and ils vivraient, qui seraient leurs amis les plus how they would live, who their close friends proches, le poste qu’Edward occuperait dans would be, his job with her father's firm, her l’entreprise de son beau-père, la carrière musicale musical career and what to do with the de Florence, ce qu’ils feraient de l’argent qu’elle money her father had given her, and how avait reçu de son père, et leur refus de devenir they would not be like other people, at least, comme tout le monde, intérieurement du moins. not inwardly. This was still the era - it would C’était encore l’époque – elle se terminerait vers la end later in that famous decade - when to fin de cette illustre décennie – où le fait d’être be young was a social encumbrance, a mark jeune représentait un handicap social, une preuve of irrelevance, a faintly embarrassing d’insignifiance, une maladie vaguement honteuse condition for which marriage was the dont le mariage était le premier remède. Presque beginning of a cure. Almost strangers, they inconnus l’un de l’autre, ils atteignaient, 37 stood, strangely together, on a new pinnacle of existence, gleeful that their new status promised to promote them out of their endless youth - Edward and Florence, free at last! One of their favourite topics was their childhoods, not so much the pleasures as the fog of comical misconceptions from which they had emerged, and the various parental errors and outdated practices they could now forgive. étrangement réunis, un des sommets de leur existence, ravis que leur nouveau statut promette de les hisser hors de leur interminable jeunesse – Edward et Florence, enfin libres ! Un de leurs sujets de conversation favoris était leur enfance, moins ses plaisirs que le brouillard de préjugés comiques dont ils émergeaient, ou que les diverses erreurs de leurs parents et leurs pratiques d’un autre âge, qu’ils trouvaient désormais pardonnables. From these new heights they could see clearly, but they could not describe to each other certain contradictory feelings: they separately worried about the moment, some time soon after dinner, when their new maturity would be tested, when they would lie down together on the four-poster bed and reveal themselves fully to one another. For over a year, Edward had been mesmerised by the prospect that on the evening of a given date in July the most sensitive portion of himself would reside, however briefly, within a naturally formed cavity inside this cheerful, pretty, formidably intelligent woman. How this was to be achieved without absurdity, or disappointment, troubled him. His specific worry, based on one unfortunate experience, was of over-excitement, of what he had heard someone describe as 'arriving too soon'. The matter was rarely out of his thoughts, but though his fear of failure was great, his eagerness - for rapture, for resolution - was far greater. Florence's anxieties were more serious, and there were moments during the journey from Oxford when she thought she was about to draw on all her courage to speak her mind. But what troubled her was unutterable, and she could barely frame it for herself. Where he merely suffered conventional first-night nerves, she experienced a visceral dread, a helpless disgust as palpable as seasickness. For much De ces hauteurs nouvelles ils voyaient loin, sans toutefois pouvoir partager certains sentiments contradictoires : chacun de son côté, ils s’inquiétaient du moment, peu après le dîner, où leur maturité toute neuve serait mise à l’épreuve, où ils s’allongeraient ensemble sur le lit à baldaquin et se révéleraient pleinement l’un à l’autre. Depuis plus d’un an, Edward était obsédé par ce soir précis de juillet où la partie la plus sensible de son anatomie résiderait, même brièvement, à l’intérieur d’une cavité naturelle du corps de cette jolie femme rieuse et formidablement intelligente. Le moyen d’y parvenir sans se ridiculiser ni être déçu le préoccupait. Il redoutait tout particulièrement la précipitation, ce qu’il avait entendu décrire comme le risque d’« arriver trop tôt ». Cette appréhension le quittait rarement mais, si forte que fut sa peur du fiasco, son appétit – de jouissance, d’accomplissement – était plus fort encore. Des angoisses plus profondes agitaient Florence, et plusieurs fois, durant le voyage depuis Oxford, elle s’était sentie sur le point de prendre son courage à deux mains et d’exprimer ses craintes. Mais ce qui la troublait était inexprimable, et elle pouvait à peine se le représenter. Contrairement à Edward, qui n’éprouvait rien d’autre que le trac de tout jeune marié avant sa nuit de noces, elle était habitée par une terreur viscérale, par un dégoût incœrcible, aussi palpable que le mal de mer. La plupart du temps, durant tous ces mois de joyeux préparatifs, elle avait réussi à ignorer cette tache 38 of the time, through all the months of merry wedding preparation, she managed to ignore this stain on her happiness, but whenever her thoughts turned towards a close embrace -she preferred no other term -her stomach tightened dryly, she was nauseous at the back of her throat. In a modern, forward-looking handbook that was supposed to be helpful to young brides, with its cheery tones and exclamation marks and numbered illustrations, she came across certain phrases or words that almost made her gag: mucous membrane, and the sinister and glistening glans. Other phrases offended her intelligence, particularly those concerning entrances: Not long before he enters her ... or, now at last he enters her, and, happily, soon after he has entered her . . . Was she obliged on the night to transform herself for Edward into a kind of portal or drawing room through which he might process? Almost as frequent was a word that suggested to her nothing but pain, flesh parted before a knife: penetration. sur son bonheur, mais dès que lui venait la pensée d’une étreinte – elle ne tolérait aucun autre terme –, son estomac se nouait, une nausée la prenait à la gorge. Dans un petit guide moderne et optimiste, qui était censé rassurer les jeunes mariées par son ton enjoué, ses points d’exclamation et ses illustrations numérotées, elle était tombée sur tel mot ou telle expression qui lui donnaient un haut-le-cœur : muqueuse vaginale, ou bien ce sinistre gland luisant. Certaines images insultaient son intelligence, surtout celle de l’entrée dans le corps féminin : « Peu avant qu’il n’entre en elle... », ou : « Enfin, il entre en elle », ou encore : « Heureusement, dès qu’il est entré en elle... » Serait-elle donc obligée, le moment venu, de se transformer pour Edward en une sorte de portail ou d’antichambre qu’il puisse franchir ? Presque aussi fréquemment revenait ce mot qui n’était synonyme pour elle que de souffrance, de chairs tranchées par une lame : pénétration. Dans ses moments d’optimisme, elle tentait de se convaincre qu’elle n’était affligée que d’une forme de pudeur excessive, qui finirait par passer. Certes, l’image des testicules d’Edward pendants sous son pénis tumescent – autre terme horrible – avait le don de la faire grimacer de dégoût, et la perspective d’être touchée « à cet endroit-là » par quelqu’un, fut-ce l’homme qu’elle aimait, lui inspirait la même répulsion que, disons, une opération de l’œil. Mais sa pudeur excessive ne s’appliquait pas à la maternité. Elle aimait les bébés ; elle avait eu plusieurs fois l’occasion de garder les bambins de sa cousine et s’était bien amusée. Elle se réjouissait à l’avance de porter les enfants d’Edward et, du moins dans l’abstrait, elle ne redoutait pas l’accouchement. Si seulement elle avait pu, comme la mère de Jésus, se retrouver enceinte par miracle ! In optimistic moments she tried to convince herself that she suffered no more than a heightened form of squeamishness, which was bound to pass. Certainly, the thought of Edward's testicles, pendulous below his engorged penis - another horrifying term had the potency to make her upper lip curl, and the idea of herself being touched 'down there' by someone else, even someone she loved, was as repulsive as, say, a surgical procedure on her eye. But her squeamishness did not extend to babies. She liked them; she had looked after her cousin's little boys on occasions and enjoyed herself. She thought she would love being pregnant by Edward, and in the abstract at least, she had no fears about childbirth. If only she could, like the mother of Jesus, arrive at that Florence soupçonnait qu’il y avait en elle quelque swollen state by magic. chose de profondément anormal, que depuis toujours elle n’était pas comme les autres, et 39 Florence suspected that there was something profoundly wrong with her, that she had always been different, and that at last she was about to be exposed. Her problem, she thought, was greater, deeper, than straightforward physical disgust; her whole being was in revolt against a prospect of entanglement and flesh; her composure and essential happiness were about to be violated. She simply did not want to be 'entered' or 'penetrated'. Sex with Edward could not be the summation of her joy, but was the price she must pay for it. She knew she should have spoken up long ago, as soon as he proposed, long before the visit to the sincere and soft-voiced vicar, and dinners with their respective parents, before the wedding guests were invited, the gift list devised and lodged with a department store, and the marquee and photographer hired, and all the other irreversible arrangements. But what could she have said, what possible terms could she have used when she could not have named the matter to herself? And she loved Edward, not with the hot, moist passion she had read about, but warmly, deeply, sometimes like a daughter, sometimes almost maternally. She loved cuddling him, and having his enormous arm around her shoulders, and being kissed by him, though she disliked his tongue in her mouth and had wordlessly made this clear. She thought he was original, unlike anyone she had ever met. He always had a paperback book, usually history, in his jacket pocket in case he found himself in a queue or a waiting room. He marked what he read with a pencil stub. He was virtually the only man Florence had met who did not smoke. None of his socks matched. He had only one tie, narrow, knitted, dark blue, which he wore nearly all the time with a white shirt. She adored his curious mind, his mild country accent, the huge strength in his qu’elle allait enfin être percée à jour. Son problème, se disait-elle, dépassait de loin le simple dégoût physique ; tout son être se révoltait à l’idée de la nudité, des corps enchevêtrés ; on était sur le point de violer sa quiétude et son bonheur essentiel. Elle refusait tout simplement que l’on « entre » en elle ou qu’on la « pénètre ». Coucher avec Edward ne pouvait en aucun cas représenter le comble du bonheur, c’était le prix à payer pour mériter ce bonheur. Elle savait qu’elle aurait dû lui faire part de ses appréhensions depuis longtemps, dès qu’il l’avait demandée en mariage, bien avant la visite au vicaire dévoué à la voix douce, avant les dîners chez leurs parents respectifs, avant que les invitations aient été lancées, la liste de mariage déposée dans un grand magasin, la tente et le photographe réservés, sans parler de tous les autres préparatifs irréversibles. Mais qu’aurait-elle bien pu dire, quels termes aurait-elle bien pu employer, alors qu’elle était incapable de se formuler le problème à ellemême ? Et puis elle aimait Edward, non pas de cette passion brûlante, charnelle, dont il était question dans les livres, mais profondément, avec tendresse, d’un amour tantôt filial, tantôt presque maternel. Elle aimait le câliner, sentir son bras puissant autour de son cou, être embrassée par lui, même si elle détestait avoir sa langue dans la bouche, et le lui avait silencieusement fait comprendre. Elle le trouvait original, différent des hommes qu’elle avait rencontrés jusque-là. Il ne sortait jamais sans un livre dans la poche de sa veste, souvent un essai historique, au cas où il devrait faire la queue ou patienter dans une salle d’attente. Il annotait au crayon tout ce qu’il lisait. Il était pratiquement le seul homme qu’elle connaissait à ne pas fumer. Toutes ses chaussettes étaient dépareillées. Il ne possédait qu’une cravate, étroite, en tricot bleu marine, qu’il portait presque toujours avec une chemise blanche. Elle adorait sa curiosité intellectuelle, son léger accent campagnard, la force incroyable de ses mains, ses digressions imprévisibles, sa gentillesse, et cette façon qu’il avait de poser sur elle ses yeux d’un 40 hands, the unpredictable swerves and drifts of his conversation, his kindness to her, and the way his soft brown eyes, resting on her when she spoke, made her feel enveloped in a friendly cloud of love. At the age of twenty-two, she had no doubt that she wanted to spend the rest of her life with Edward Mayhew. How could she have dared risk losing him? There was no one she could have talked to. Ruth, her sister, was too young, and her mother, perfectly wonderful in her way, was too intellectual, too brittle, an old-fashioned bluestocking. Whenever she confronted an intimate problem, she tended to adopt the public manner of the lecture hall, and use longer and longer words, and make references to books she thought everyone should have read. Only when the matter was safely bundled up in this way might she sometimes relax into kindliness, though that was rare, and even then you had no idea what advice you were receiving. Florence had some terrific friends from school and music college who posed the opposite problem: they adored intimate talk and revelled in each others problems. They all knew each other, and were too eager with their phone calls and letters. She could not trust them with a secret, nor did she blame them, for she was part of the group. She would not have trusted herself. She was alone with a problem she did not know how to begin to address, and all she had in the way of wisdom was her paperback guide. On its garish red covers were portrayed two smiling bug-eyed matchstick figures holding hands, drawn clumsily in white chalk, as though by an innocent child. brun profond dès qu’elle lui adressait la parole, comme s’il l’enveloppait d’un nuage d’amour bienveillant. À vingt-deux ans, elle ne doutait pas un instant de son désir de passer le reste de ses jours avec Edward Mayhew. Comment aurait-elle pu risquer de le perdre ? Elle n’avait personne à qui se confier. Ruth, sa sœur, était trop jeune, et sa mère, quoique absolument merveilleuse à sa manière, trop cérébrale, trop cassante, trop bas-bleu. Face au moindre problème intime, elle avait tendance à se comporter comme un professeur en chaire, à employer des mots de plus en plus longs, à faire allusion à des ouvrages dont elle croyait que tout le monde les avait lus. Alors seulement, une fois l’affaire ainsi expédiée, elle pouvait se détendre et faire preuve de gentillesse, encore que ce fût assez rare, et même dans ce cas on comprenait mal quel conseil on venait de recevoir. Florence s’était bien fait d’excellentes amies au lycée et au conservatoire, mais elles lui posaient le problème inverse : elles adoraient les conversations à bâtons rompus et se racontaient complaisamment leurs ennuis. Elles se connaissaient toutes et n’avaient que trop tendance à prendre la plume ou à se téléphoner. Florence ne pouvait leur confier le moindre secret, sans leur en vouloir pour autant, car elle était comme elles. Elle ne se serait pas fait confiance. Aussi, seule face à une difficulté qu’elle ne savait par quel bout prendre, ne pouvait-elle s’en remettre qu’à la sagesse de son petit guide. Sur la couverture d’un rouge criard de l’édition bon marché, deux personnages stylisés au visage souriant et aux yeux globuleux se tenaient par la main, maladroitement dessinés à la craie comme par un enfant innocent. Edward et Florence mangèrent leur melon en quelques minutes pendant que les serveurs, en retrait près de la porte au lieu d’attendre dans le They ate the melon in less than two minutes couloir, réajustaient leur nœud papillon et leur col while the lads, instead of waiting out in the amidonné, ou trituraient leurs revers de manche. corridor, stood well back, near the door, 41 fingering their bow ties and tight collars and fiddling with their cuffs. Their blank expressions did not change as they observed Edward offer Florence, with an ironic flourish, his glazed cherry. Playfully, she sucked it from his fingers and held his gaze as she deliberately chewed, letting him see her tongue, conscious that in flirting with him like this she would be making matters worse for herself. She should not start what she could not sustain, but pleasing him in any way she could was helpful: it made her feel less than entirely useless. If only eating a sticky cherry was all that was required. Impassibles, ils regardèrent Edward offrir à Florence, en un geste d’une galanterie parodique, sa cerise confite. Par jeu, elle la cueillit des lèvres et la mastiqua longuement, les yeux dans ceux d’Edward, laissant entrevoir le bout de sa langue, consciente qu’à flirter ainsi avec lui elle risquait d’aggraver son cas. Elle avait tort de promettre ce qu’elle ne pourrait pas tenir, mais tout effort pour lui faire plaisir l’aidait : elle se sentait un peu moins nulle. Si seulement on ne lui demandait rien de plus que de manger une cerise poisseuse ! 'Ain't none, sir. Sorry sir.' Mais son verre de vin trembla dans sa main tandis qu’il luttait pour contenir son bonheur soudain, son exaltation. Florence semblait rayonner devant lui, et elle était ravissante – incroyablement belle, sensuelle, douée, aimable. L’adolescent qui avait parlé s’empressa de desservir. Dans le couloir, son comparse transférait le plat suivant, le rôti, sur leurs assiettes. Contrairement à l’usage, il était impossible de pousser la table roulante jusque dans la suite nuptiale à cause des deux marches à l’entrée de la pièce, dues à un manque de prévoyance quand cette ferme élisabéthaine avait été rénovée dans le style géorgien au milieu du dixhuitième siècle. Pour bien montrer que la présence des serveurs ne l’impressionnait pas, même s’il attendait leur départ avec impatience, Edward se cala contre le To show that he was not troubled by the dossier de sa chaise avec un sourire, son verre de presence of the waiters, though he longed vin à la main, et lança à la cantonade : « Il vous for them to leave, Edward smiled as he sat reste des cerises confites ? back with his wine and called over his — Y en a plus, monsieur. Désolé, monsieur. » shoulder, 'Any more of those things?' But the hand that held the wine glass trembled as he struggled to contain his sudden happiness, his exaltation. She appeared to glow before him, and she was lovely -beautiful, sensuous, gifted, goodnatured beyond belief. The boy who had spoken nipped forward to clear away. His colleague was just outside the room, transferring the second course, the roast, to their plates. It was not possible to wheel the trolley into the honeymoon suite for the proper silver service on account of a twostep difference in level between it and the corridor, a consequence of poor planning when the Elizabethan farmhouse was Les mariés restèrent seuls un bref instant, même 'georgianised' in the mid-eighteenth century. s’ils entendaient par la porte ouverte le raclement The couple were briefly alone, though they des couverts sur les plats et les chuchotements des heard the scrape of spoons over dishes, and serveurs. Edward posa la main sur celle de Florence the lads murmuring by the open door. et murmura, pour la centième fois de la journée : Edward laid his hand over Florence's and « Je t’aime. » Elle lui fit tout de suite écho, et elle said, for the hundredth time that day, in a était parfaitement sincère. whisper, 'I love you,' and she said it straight Edward avait obtenu sa licence d’histoire, avec 42 back, and she truly meant it. Edward had a degree, a first in history from University College, London. In three short years he studied wars, rebellions, famines, pestilences, the rise and collapse of empires, revolutions that consumed their children, agricultural hardship, industrial squalor, the cruelty of ruling elites - a colourful pageant of oppression, misery and failed hopes. He understood how constrained and meagre lives could be, generation after generation. In the grand view of things, the peaceful, prosperous times England was experiencing now were rare, and within them his and Florence's joy was exceptional, even unique. In his final year he had made a special study of the 'great man' theory of history - was it really outmoded to believe that forceful individuals could shape national destiny? Certainly his tutor thought so: in his view, History, properly capitalised, was driven forwards by ineluctable forces towards inevitable, necessary ends, and soon the subject would be understood as a science. But the lives Edward examined in detail Caesar, Charlemagne, Frederick the Second, Catherine the Great, Nelson and Napoleon (Stalin he dropped, at his tutor's insistence) rather suggested the contrary. A ruthless personality, naked opportunism and luck, Edward had argued, could divert the fates of millions, a wayward conclusion that earned him a B minus, almost imperilling his first. An incidental discovery was that even legendary success brought little happiness, only redoubled restlessness, gnawing ambition. As he dressed for the wedding that morning (tails, top hat, a thorough drenching in cologne) he had decided that none of the figures on his list could have known his kind of satisfaction. His elation was a form of greatness in itself. Here he mention, à University College à Londres. En trois brèves années il avait étudié les guerres, les jacqueries, les famines, les épidémies, l’avènement et la chute de plusieurs empires, les révolutions qui avaient dévoré leurs enfants, la pauvreté des campagnes, la misère engendrée par l’industrialisation, la cruauté des élites dominantes – immense fresque aux couleurs de l’oppression, du malheur et de l’espoir déçu. Il avait compris combien la vie pouvait être ingrate, étriquée, génération après génération. À l’échelle de l’Histoire, les temps paisibles et prospères que connaissait alors l’Angleterre constituaient une rareté, et le bonheur que Florence et lui partageaient dans ce contexte était exceptionnel, voire unique. En troisième année, il avait notamment étudié la théorie du « grand homme » : était-il vraiment démodé de croire que des individus déterminés puissent forger le destin d’une nation ? Du moins son professeur le pensait-il : selon lui, l’Histoire avec un grand « H » était entraînée par des forces inéluctables vers des fins inévitables, nécessaires, et dont l’étude serait bientôt considérée comme une science. Pourtant, les vies qu’Edward analysait en détail – César, Charlemagne, Frédéric II, Catherine de Russie, Nelson et Napoléon (devant l’insistance de son professeur, il avait laissé de côté Staline) — suggéraient plutôt le contraire. Une poigne de fer, la chance et un arrivisme forcené pouvaient influer, avait démontré Edward, sur le sort de millions de gens, conclusion atypique qui lui avait valu la note B¯, lui coûtant presque sa mention. Au passage, il avait découvert que même une réussite légendaire apportait peu de joies, seulement une impatience redoublée, une ambition insatiable. En s’habillant pour la cérémonie, ce matin-là (queue-de-pie, chapeau haut de forme, flots d’eau de Cologne), il avait conclu qu’aucun des personnages de sa liste n’avait pu connaître ce genre de satisfaction. Son euphorie était en soi une forme de grandeur. Un homme dans toute sa gloire, ou presque, voilà ce qu’il était. 43 was, a gloriously fulfilled, or almost fulfilled, À vingt-deux ans, il les éclipsait déjà tous. man. At the age of twenty-two, he had Il contemplait à présent sa femme, admirait ses already outshone them all. yeux noisette délicatement pailletés d’or, leur blanc He was gazing at his wife now, into her pur à peine teinté d’une touche de bleu laiteux. Ses intricately flecked hazel eyes, into those cils étaient aussi épais et sombres que ceux d’une pure whites touched by a bloom of the enfant, de même qu’il y avait quelque chose faintest milky blue. The lashes were thick d’enfantin dans la gravité de son visage au repos. and dark, like a child's, and there was Un visage ravissant, comme sculpté, qui rappelait something childlike too in the solemnity of sous certains éclairages celui d’une Indienne her face at rest. It was a lovely face, with a d’Amérique, d’une squaw de noble lignage. Elle sculpted look that in a certain light brought avait un menton volontaire, un grand sourire to mind an American Indian woman, a high- candide qui lui plissait jusqu’à la commissure des born squaw. She had a strong jaw, and her paupières. Elle semblait bien charpentée – smile was broad and artless, right into the certaines matrones de la noce avaient apprécié en creases at the corners of her eyes. She was connaisseuses ses hanches généreuses. Ses seins, big-boned - certain matrons at the wedding qu’Edward avait caressés, embrassés, même, knowingly remarked on her generous hips. quoique jamais d’assez près, étaient menus, et ses Her breasts, which Edward had touched and mains de violoniste pâles et puissantes, comme ses even kissed, though nowhere near enough, longs bras ; au lycée, elle excellait au lancer de were small. Her violinist's hands were pale javelot. and powerful, her long arms likewise; at her school sports days she had been adept at Edward, qui n’avait jamais beaucoup aimé la musique classique, se familiarisait à présent avec throwing the javelin. son jargon pétillant : legato, pizzicato, con brio... Edward had never cared for classical music, Lentement, à force de les entendre, il finissait par but now he was learning its sprightly argot - reconnaître, voire apprécier certains morceaux. legato, pizzicato, con brio. Slowly, through L’un d’eux, qu’elle interprétait avec ses amis, le brute repetition, he was coming to recognise bouleversait particulièrement. Lorsqu’elle travaillait and even like certain pieces. There was one chez elle ses gammes et ses arpèges, elle portait un she played with her friends that especially bandeau dans les cheveux, détail touchant qui le moved him. When she practised her scales faisait rêver à la petite fille qu’ils auraient peut-être and arpeggios at home she wore an Alice un jour. Florence avait un jeu sinueux et précis, et band, an endearing touch that caused him to elle était réputée pour la richesse de ses sonorités. dream about the daughter they might have Un de ses professeurs disait n’avoir encore jamais one day. Florence's playing was sinuous and rencontré d’étudiante capable de faire si bien exact, and she was known for the richness of chanter une corde. Devant le pupitre de la salle de her tone. One tutor said he had never répétition à Londres comme dans sa chambre chez encountered a student who made an open ses parents à Oxford, où Edward, affalé sur le lit, la string sing so warmly. When she was before regardait et la désirait, elle se tenait avec grâce, le the music stand in the rehearsal room in dos droit et la tête haute, déchiffrant sa partition London, or in her room at her parents' house avec une expression impérieuse, presque in Oxford, with Edward sprawled on the bed, arrogante, qui le troublait. Ce regard exprimait une watching and desiring her, she held herself telle certitude, une telle connaissance du chemin gracefully, with back straight and head lifted conduisant au plaisir. 44 proudly, and read the music with a commanding, almost haughty expression that stirred him. That look had such certitude, such knowledge of the path to Dès qu’il s’agissait de musique, elle avait toujours le pleasure. geste sûr – qu’elle frotte de colophane les crins de When the business was music, she was son archet, accorde son instrument ou déplace les always confident and fluid in her movements meubles de la pièce pour accueillir les trois amis - rosining a bow, re-stringing her instrument, formant avec elle le quatuor à cordes qui était sa rearranging the room to accommodate her passion. Chef incontesté, elle avait toujours le three friends from college for the string dernier mot lors de leurs nombreux différends quartet that was her passion. She was the musicaux. Le reste du temps, en revanche, elle se undisputed leader, and always had the final montrait étrangement hésitante et maladroite, word in their many musical disagreements. heurtant sans cesse les meubles, faisant tomber But in the rest of her life she was surprisingly des objets ou se cognant la tête. Ces mêmes doigts, clumsy and unsure, forever stubbing a toe or capables de négocier les accords d’une partita de knocking things over or bumping her head. Bach, pouvaient tout aussi bien renverser une tasse The fingers that could manage the double- de thé sur une nappe en lin ou lâcher un verre sur un sol dallé. Elle trébuchait dès qu’elle se sentait stopping in a Bach partita were just as clever at spilling a full teacup over a linen observée – elle avait confié à Edward que c’était tablecloth or dropping a glass onto a stone pour elle une épreuve, dans la rue, de marcher vers floor. She would trip over her feet if she une amie qui l’attendait au loin. Et à la moindre thought she was being watched - she sensation d’angoisse ou de malaise, elle portait confided to Edward that she found it an machinalement la main à son front pour écarter une mèche de cheveux imaginaire, geste discret, ordeal to be in the street, walking towards a friend from a distance. And whenever she fébrile, qui survivait longtemps après la disparition was anxious or too self-conscious, her hand de cette nervosité. Comment aurait-il pu ne pas would rise repeatedly to her forehead to aimer quelqu’un d’une sensibilité et d’une brush away an imaginary strand of hair, a originalité tellement à part, d’une honnêteté et gentle, fluttering motion that would d’une lucidité si scrupuleuses, dont la moindre continue long after the source of stress had émotion et la moindre pensée affleuraient dans vanished. How could he fail to love someone toute leur nudité, tel un flux d’électrons, à chaque so strangely and warmly particular, so changement d’expression et d’attitude ? Même painfully honest and self-aware, whose sans sa beauté saillante, il aurait été obligé de every thought and emotion appeared naked l’aimer. Et de son côté elle l’aimait avec une telle to view, streaming like charged particles intensité, avec une retenue si douloureuse. Elle through her changing expressions and excitait tout à la fois sa passion, déjà exacerbée par gestures? Even without her strong-boned l’absence de véritable exutoire, et son instinct beauty he would have had to love her. And protecteur. Mais était-elle vraiment si vulnérable ? she loved him with such intensity, such Un jour, il avait jeté un coup d’œil à son dossier excruciating physical reticence. Not only his scolaire et vu les résultats de ses tests de Q.I. : cent passions, heightened by the lack of a proper cinquante-deux, soit dix-sept points de plus que lui. outlet, but also his protective instincts were À l’époque, le quotient intellectuel était censé mesurer quelque chose d’aussi tangible que la taille aroused. But was she really so vulnerable? He had peeped once into her school report ou le poids. Lorsque Edward assistait à une 45 folder and seen her intelligence tests results: one hundred and fifty-two, seventeen points above his own score. This was an age when these quotients were held to measure something as tangible as height or weight. When he sat in on a rehearsal with the quartet, and she had a difference of opinion on a phrasing or tempo or dynamic with Charles, the chubby and assertive cellist whose face shone with late-flowering acne, Edward was intrigued by how cool Florence could be. She did not argue, she listened calmly, then announced her decision. No sign then of the little hair-brushing action. She knew her stuff, and she was determined to lead, the way the first violin should. She seemed to be able to get her rather frightening father to do what she wanted. Many months before the wedding he had, at her suggestion, offered Edward a job. Whether he really wanted it, or dared refuse it, was another matter. And she knew, by some womanly osmosis, exactly what was needed at that celebration, from the size of marquee to the quantity of summer pudding, and just how much it was reasonable to expect her father to pay. 'Here it comes,' she whispered as she squeezed his hand, warning him off another sudden intimacy. The waiters were arriving with their plates of beef, his piled twice the height of hers. They also brought sherry trifle and cheddar cheese and mint chocolates, which they arranged on a sideboard. After mumbling advice about the summoning bell by the fireplace - it must be pressed hard and held down - the lads withdrew, closing the door behind them with immense care. Then came a tinkling of the trolley retreating down the corridor, then, after a silence, a whoop or a hoot that could easily have come from the hotel bar downstairs, and at last the newlyweds were répétition du quatuor à cordes, et que Florence était en désaccord sur un phrasé, un tempo ou le mouvement d’un morceau avec Charles, violoncelliste trapu et péremptoire, au visage luisant à cause d’une poussée tardive d’acné, il n’en revenait pas de la sérénité qu’elle affichait. Elle ne discutait pas, écoutait calmement, puis annonçait sa décision. Nulle trace, alors, du petit geste fébrile pour écarter une mèche de cheveux. Elle était compétente et déterminée à diriger, comme il convenait à un premier violon. Elle semblait pouvoir obtenir tout ce qu’elle voulait de son père, personnage pourtant assez terrifiant. Plusieurs mois avant le mariage, celui-ci, suivant la suggestion de sa fille, avait proposé un emploi à Edward. Que l’intéressé en ait eu envie ou non, ou qu’il n’ait pas osé refuser, était une autre affaire. De même Florence avait-elle su, par une sorte d’intuition féminine, exactement ce qu’il fallait pour ce mariage, de la taille de la tente à la quantité d’entremets, en passant par la contribution financière que l’on pouvait raisonnablement attendre de son père. « Voilà le plat suivant », chuchota-t-elle en le dissuadant d’une pression de la main de tenter un nouveau geste tendre. Les serveurs arrivaient avec leurs assiettes de rôti, celle d’Edward deux fois plus remplie que la sienne. Ils revinrent avec une charlotte, du cheddar et des chocolats à la menthe qu’ils disposèrent sur une commode. Après avoir marmonné quelques conseils sur l’utilisation de la sonnette près de la cheminée – il fallait appuyer fort et longtemps –, les deux adolescents se retirèrent, fermant la porte derrière eux avec un soin infini. Il y eut ensuite le tintement de la table roulante qui s’éloignait dans le couloir, puis, après un silence, un hourra ou un éclat de rire venant sans doute du bar de l’hôtel au rez-de-chaussée, et enfin les mariés se retrouvèrent seuls. Le vent, qui avait forci ou changé de direction, leur 46 properly alone. apporta le bruit du ressac, pareil à un fracas de verres brisés. La brume se dissipait et dévoilait en partie le contour des collines qui ourlaient la côte plus à l’est. L’étendue grise et lumineuse qu’ils apercevaient pouvait aussi bien être la surface soyeuse de la mer, la lagune ou le ciel – difficile à dire. Cette brise changeante amenait par la portefenêtre entrebâillée l’appel du large, un parfum salé d’oxygène et d’immensité qui contrastait avec le linge de table amidonné, la sauce farineuse et les couverts étincelants en argent massif dont ils se saisirent. Le repas de mariage avait été copieux et prolongé. Ils n’avaient pas faim. En théorie, ils auraient pu abandonner là leurs assiettes, empoigner la bouteille de vin, descendre en courant vers la plage, se débarrasser de leurs chaussures et se griser de leur liberté. Personne, à l’hôtel, ne les en aurait empêchés. Ils étaient enfin adultes, en vacances, libres d’agir selon leur bon plaisir. Encore quelques années, et beaucoup de jeunes gens très ordinaires ne s’en priveraient pas. Pour l’heure, cependant, Edward et Florence se sentaient prisonniers de leur époque. Même quand ils étaient seuls, mille règles tacites continuaient de s’appliquer. Justement parce qu’ils étaient adultes, ils ne s’abaissaient pas à des comportements puérils comme se lever de table au milieu d’un repas que d’autres avaient pris la peine de préparer. C’était l’heure du dîner, après tout. Et se montrer puéril n’était pas encore bien vu, ni dans l’air du temps. A shift or a strengthening of the wind brought them the sound of waves breaking, like a distant shattering of glasses. The mist was lifting to reveal in part the contours of the low hills, curving away above the shoreline to the east. They could see a luminous grey smoothness that may have been the silky surface of the sea itself, or the lagoon, or the sky - it was difficult to tell. The altered breeze carried through the parted French windows an enticement, a salty scent of oxygen and open space that seemed at odds with the starched table linen, the cornflour-stiffened gravy, and the heavy polished silver they were taking in their hands. The wedding lunch had been huge and prolonged. They were not hungry. It was, in theory, open to them to abandon their plates, seize the wine bottle by the neck and run down to the shore and kick their shoes off and exult in their liberty. There was no one in the hotel who would have wanted to stop them. They were adults at last, on holiday, free to do as they chose. In just a few years' time, that would be the kind of thing quite ordinary young people would do. But for now, the times held them. Even when Edward and Florence were alone, a thousand unacknowledged rules still applied. It was precisely because they were adults that they did not do childish things like walk away from a meal that others had taken pains to prepare. It was dinner time, Edward ne restait pourtant pas insensible à cet after all. And being childlike was not yet appel venant de la plage et, eût-il su comment faire honourable, or in fashion. ou justifier une telle suggestion, il aurait proposé de sortir sans plus attendre. Il avait lu à Florence un Still, Edward was troubled by the call of the passage d’un guide touristique expliquant que, beach, and if he had known how to propose pendant plusieurs millénaires, de violentes it, or justify it, he might have suggested tempêtes avaient trié et réparti les galets en going out straight away. He had read aloud fonction de leur taille sur les trente kilomètres de to Florence from a guidebook that said that plage, les plus gros se trouvant le plus à l’est. thousands of years of pounding storms had D’après la légende, les pêcheurs locaux qui sifted and graded the size of pebbles along accostaient de nuit se repéraient à la grosseur des 47 the eighteen miles of beach, with the bigger stones at the eastern end. The legend was that local fishermen landing at night knew exactly where they were by the grade of shingle. Florence had suggested they might see for themselves by comparing handfuls gathered a mile apart. Trudging along the beach would have been better than sitting here. The ceiling, low enough already, appeared nearer to his head, and closing in. Rising from his plate, mingling with the sea breeze, was a clammy odour, like the breath of the family dog. Perhaps he was not quite as joyous as he kept telling himself he was. He felt a terrible pressure narrowing his thoughts, constraining his speech, and he was in acute physical discomfort - his trousers or underwear seemed to have shrunk. galets. Florence avait suggéré de vérifier en comparant plusieurs poignées ramassées à quelques kilomètres de distance. Il aurait mieux valu marcher sur la plage qu’être assis à cette table. Le plafond, qu’il trouvait déjà trop bas, semblait encore se rapprocher de sa tête. De son assiette montait une odeur écœurante comme l’haleine d’un vieux chien, qui se mêlait au vent du large. Sans doute était-il un peu moins heureux qu’il ne se le répétait. Une terrible tension paralysait ses pensées, ralentissait son élocution, et il éprouvait une extrême sensation d’inconfort, comme si son pantalon ou son slip avait rétréci. Aussi, un génie eût-il surgi à leur table pour lui accorder son vœu le plus pressant qu’Edward n’aurait pas demandé à être transporté sur telle ou telle plage. Il ne voulait qu’une chose, ne pensait qu’à une chose : Florence et lui, nus sur le lit de la chambre voisine, affrontant enfin cette redoutable épreuve qui paraissait aussi loin de la vie quotidienne qu’une extase mystique, ou que la mort même. À cette perspective – cela allait-il vraiment lui arriver ? À lui ? — un nouveau frisson lui traversa le bas du ventre, et il céda brièvement à un mouvement d’abandon, qu’il dissimula derrière un sourire d’aise. So if a genie had appeared at their table to grant Edward's most urgent request, he would not have asked for any beach in the world. All he wanted, all he could think of, was himself and Florence lying naked together on or in the bed next door, confronting at last that awesome experience that seemed as remote from daily life as a vision of religious ecstasy, or even death itself. The prospect - was it actually going to happen? To him? - once more sent cool fingers through his lower gut, and he caught himself in a momentary swooning motion Comme la plupart des jeunes gens de son temps, which he concealed behind a contented sigh. ou de tous les temps, qui n’avaient ni talents de séducteur ni moyens de donner libre cours à leur Like most young men of his time, or any sexualité, il s’adonnait régulièrement à ce qu’une time, without an easy manner, or means to autorité éclairée du moment appelait le « plaisir sexual expression, he indulged constantly in solitaire ». Edward avait découvert l’existence de what one enlightened authority was now cette expression avec soulagement. Il était né en calling 'self-pleasuring'. Edward was pleased 1940, trop tard dans le siècle pour croire qu’en to discover the term. He was born too late in satisfaisant quotidiennement ce besoin il se vidait the century, in 1940, to believe that he was de son énergie, risquait de devenir sourd, ou abusing his body, that his sight would be encourait le regard réprobateur et incrédule de impaired, or that God watched on with stern Dieu. Ou bien que tout le monde autour de lui incredulity as he bent daily to the task. Or connaissait la vérité, à cause de sa pâleur et de son 48 even that everyone knew about it from his pale and inward look. All the same, a certain ill-defined disgrace hung over his efforts, a sense of failure and waste and, of course, loneliness. And pleasure was really an incidental benefit. The goal was release from urgent, thought-confining desire for what could not be immediately had. How extraordinary it was, that a self-made spoonful, leaping clear of his body, should instantly free his mind to confront afresh Nelson's decisiveness at Aboukir Bay. air renfermé. Malgré tout, ses pratiques s’accompagnaient d’un vague sentiment de honte, d’échec, de gâchis et, bien sûr, de solitude. En fait, le plaisir n’était qu’un effet secondaire. Le véritable objectif était l’assouvissement – d’un appétit impérieux, obsédant, pour quelque chose d’inaccessible dans l’immédiat. Extraordinaire, à quel point une cuillerée de semence jaillie de son corps pouvait instantanément lui éclaircir l’esprit, lui permettant de considérer avec un regain d’intérêt la détermination de Nelson dans la baie d’Aboukir. Sa principale contribution aux préparatifs du mariage avait été de s’imposer plus d’une semaine d’abstinence ; pas une seule fois, depuis l’âge de douze ans, il n’avait été aussi chaste avec luimême. Il se réservait pour sa jeune épouse. Difficile, surtout au lit la nuit, le matin au réveil, pendant les longs après-midi, durant les heures précédant le déjeuner ou le coucher. Or voilà qu’ils étaient enfin mariés, et enfin seuls. Pourquoi ne se levait-il pas de table, plantant là son rôti, pour couvrir Florence de baisers et la conduire vers le lit à baldaquin de la chambre voisine ? Ce n’était pas si simple. Voilà un certain temps, déjà, qu’il se heurtait à sa timidité. Il avait fini par la respecter, la vénérer même, y voyant une forme de pudeur, un voile conventionnel dissimulant une nature à la sexualité très riche. Preuve à la fois de la profondeur de son intelligence et de sa bienséance, en somme. Il s’était persuadé qu’il la préférait ainsi. Sans qu’il se l’avoue vraiment, la réserve de Florence s’accordait bien avec sa propre ignorance et son manque d’assurance ; une femme plus exigeante et sensuelle, plus « libérée », aurait pu le terrifier. Edward's single most important contribution to the wedding arrangements was to refrain, for over a week. Not since he was twelve had he been so entirely chaste with himself. He wanted to be in top form for his bride. It was not easy, especially at night in bed, or in the mornings as he woke, or in the long afternoons, or in the hours before lunch, or after supper, during the hours before bed. Now here they were at last, married and alone. Why did he not rise from his roast, cover her in kisses and lead her towards the four-poster next door? It was not so simple. He had a fairly long history of engaging with Florence's shyness. He had come to respect it, even revere it, mistaking it for a form of coyness, a conventional veil for a richly sexual nature. In all, part of the intricate depth of her personality, and proof of her quality. He persuaded himself that he preferred her this way. He did not spell it out for himself, but her reticence suited his own ignorance and lack of confidence; a more Leur cour ressemblait à une pavane, à une sensual and demanding woman, a wild manifestation solennelle, ralentie par un protocole jamais signé ni mentionné, mais généralement woman, might have terrified him. observé. Rien n’était jamais discuté – pas plus qu’ils Their courtship had been a pavane, a stately ne souffraient du manque de conversations unfolding, bound by protocols never agreed intimes. Ces questions défiaient les mots, les or voiced, but generally observed. Nothing définitions. Le jargon et le protocole des thérapies, 49 was ever discussed - nor did they feel the lack of intimate talk. These were matters beyond words, beyond definition. The language and practice of therapy, the currency of feelings diligently shared, mutually analysed, were not yet in general circulation. While one heard of wealthier people going in for psychoanalysis, it was not yet customary to regard oneself in everyday terms as an enigma, as an exercise in narrative history, or as a problem waiting to be solved. Between Edward and Florence, nothing happened quickly. Important advances, permissions wordlessly granted to extend what he was allowed to see or caress, were attained only gradually. The day in October he first saw her naked breasts long preceded the day he could touch them - December 19. He kissed them in February, though not her nipples, which he grazed with his lips once, in May. She allowed herself to advance across his own body with even greater caution. Sudden moves or radical suggestions on his part could undo months of good work. The evening in the cinema at a showing of A Taste of Honey when he took her hand and plunged it between his legs set the process back weeks. She became, not frosty, or even cool - that was never her way - but imperceptibly remote, perhaps disappointed, or even faintly betrayed. She retreated from him somehow without letting him ever feel in doubt about her love. Then at last they were back on course: when they were alone one Saturday afternoon in late March, with the rain falling heavily outside the windows of the disorderly sitting room of his parents' tiny house in the Chiltern Hills, she let her hand rest briefly on, or near, his penis. For less than fifteen seconds, in rising hope and ecstasy, he felt her through two layers of fabric. As soon as she pulled away he knew he could bear it no l’habitude de partager ses sentiments, de les analyser mutuellement n’étaient pas encore entrés dans les mœurs. On avait beau entendre parler de gens riches qui entreprenaient une psychanalyse, on ne se considérait pas encore soi-même au quotidien comme une énigme, un récit autobiographique ou un problème à résoudre. Entre Edward et Florence, rien n’allait vite. Les avancées importantes, la permission qu’elle lui donnait en silence d’aller plus loin dans ce qu’il avait le droit de voir ou de caresser, ne s’obtenaient que graduellement. Le jour d’octobre où il entrevit pour la première fois ses seins nus précéda de plusieurs semaines le moment où il put les toucher – le 19 décembre. Il les embrassa en février, mais pas les pointes, que ses lèvres n’effleurèrent qu’une seule fois, en mai. Elle-même ne s’autorisait à explorer son corps à lui qu’avec une prudence plus grande encore. Une initiative improvisée, une suggestion osée pouvaient ruiner des mois d’efforts. Ce fameux soir au cinéma, lors de la projection d’Un goût de miel, où il lui avait pris la main pour la plonger entre ses cuisses, les ramena plusieurs semaines en arrière. Elle devint non pas glaciale, ni même hautaine – ce n’était pas sa façon d’être – mais imperceptiblement lointaine, se sentant peut-être déçue, voire plus ou moins trahie. Elle s’arrangea pour prendre ses distances sans le laisser douter un instant de l’amour qu’elle lui portait. Et puis les choses reprirent enfin leur cours : alors qu’ils étaient seuls un samedi aprèsmidi de la fin du mois de mars, et que la pluie tambourinait aux fenêtres du salon en désordre de la maisonnette des parents d’Edward, dans les collines des Chilterns, elle posa brièvement la main sur son sexe, ou du moins tout près. Pendant une quinzaine de secondes, transporté par l’espoir et l’extase qui montaient en lui, il sentit ses doigts à travers deux épaisseurs de tissu. Quand elle les retira, il sut qu’il avait assez attendu. Il la demanda en mariage. Il n’imaginait pas ce qu’il en avait coûté à Florence 50 more. He asked her to marry him. de poser la main – le dos de la main – à cet endroit. Elle avait beau l’aimer, vouloir lui faire plaisir, elle avait dû surmonter un dégoût considérable. C’était une tentative sincère – si intelligente qu’elle fût, elle était sans malice. Elle avait laissé sa main en place le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’elle sente quelque chose bouger et durcir sous la flanelle grise du pantalon. C’était comme une créature vivante, distincte de l’Edward qu’elle aimait, et elle avait eu un mouvement de recul. Puis il avait bafouillé sa demande en mariage, et, toute à ce tourbillon d’émotion, de joie, d’hilarité, de soulagement, d’étreintes successives, elle avait temporairement oublié son léger traumatisme. Quant à Edward, à la fois stupéfait de son initiative et paralysé par son désir frustré, il n’aurait pu se douter de la contradiction qui allait habiter Florence à partir de ce jour-là, ce mélange secret de dégoût et de joie. He could not have known what it cost her to put a hand - it was the back of her hand - in such a place. She loved him, she wanted to please him, but she had to overcome considerable distaste. It was an honest attempt - she may have been clever, but she was without guile. She kept that hand in place for as long as she could, until she felt a stirring and hardening beneath the grey flannel of his trousers. She experienced a living thing, quite separate from her Edward - and she recoiled. Then he blurted out his proposal, and in the rush of emotion, the delight and hilarity and relief, the sudden embraces, she momentarily forgot her little shock. And he was so astonished by his own decisiveness, as well as mentally cramped by unresolved desire, that he could have had little idea of the contradiction she began to Ils étaient donc enfin seuls, et libres, en théorie, de live with from that day on, the secret affair faire tout ce qu’ils voulaient, mais ils continuèrent de manger ce dîner pour lequel ils n’avaient aucun between disgust and joy. appétit. Florence posa son couteau, prit dans la They were alone then, and theoretically free sienne la main d’Edward, la serra. Du rez-deto do whatever they wanted, but they went chaussée leur parvint le son d’un poste de radio, le on eating the dinner they had no appetite carillon de Big Ben annonçant les informations de for. Florence set down her knife and reached vingt-deux heures. Sur cette partie de la côte, for Edward's hand and squeezed. From bordée par des collines, on captait mal la télévision. downstairs they heard the wireless, the Les clients les plus âgés devaient être en bas, au chimes of Big Ben at the start of the ten salon, à prendre des nouvelles du monde en même o'clock news. Along this stretch of coast temps que leur digestif – l’hôtel offrait un vaste television reception was poor because of the choix de whiskys pur malt – et certains hommes hills just inland. The older guests would be bourraient sans doute leur dernière pipe de la down there in the sitting room, taking the journée. Se rassembler autour de la TSF pour le measure of the world with their nightcaps - principal bulletin d’informations était une habitude the hotel had a good selection of single datant de la guerre, et dont ils ne se déferaient malts - and some of the men would be filling jamais. Edward et Florence entendirent de loin les their pipes for one last time that day. titres et reconnurent le nom du Premier ministre, Gathering around the wireless for the main puis, une ou deux minutes plus tard, les intonations bulletin was a wartime habit they would familières de sa voix prononçant un discours. never break. Edward and Florence heard the Harold Macmillan venait de prendre la parole lors muffled headlines and caught the name of d’un congrès à Washington, pour évoquer la course the Prime Minister, and then a minute or aux armements nucléaires et la nécessité d’un two later his familiar voice raised in a traité de non-prolifération. Comment ne pas voir 51 speech. Harold Macmillan had been addressing a conference in Washington about the arms race and the need for a testban treaty. Who could disagree that it was folly to go on testing H-bombs in the atmosphere and irradiating the whole planet? But no one under thirty - certainly not Edward and Florence - believed a British Prime Minister held much sway in global affairs. Every year the Empire shrank as another few countries took their rightful independence. Now there was almost nothing left, and the world belonged to the Americans and the Russians. Britain, England, was a minor power - saying this gave a certain blasphemous pleasure. que c’était de la folie de continuer à tester la bombe H dans l’atmosphère et d’irradier la planète ? Mais aucun adulte de moins de trente ans – en tout cas pas Edward ni Florence – ne croyait qu’un Premier ministre britannique pût exercer une influence déterminante sur la marche du monde. Chaque année l’Empire rétrécissait un peu plus, à mesure que de nouveaux pays proclamaient à juste titre leur indépendance. À présent, il n’en restait pratiquement rien, et les Russes et les Américains se partageaient le monde. La Grande-Bretagne, l’Angleterre, n’était désormais qu’une puissance de second rang – dire ces mots procurait une jubilation presque blasphématoire. Au rez-de-chaussée, bien sûr, on n’était pas de cet avis. Toute personne de plus de quarante ans avait dû se battre ou souffrir pendant la dernière guerre, connaître la mort à une échelle sans précédent, et Downstairs, of course, they took a different ne pouvait donc se résoudre à voir le pays sombrer view. Anyone over forty would have fought, dans l’insignifiance en guise de récompense pour or suffered, in the war and known death on tant de sacrifices. an unusual scale, and would not have been able to believe that a drift into irrelevance Edward et Florence allaient voter pour la première fois aux élections législatives, et ils s’attendaient à was the reward for all the sacrifice. une victoire des travaillistes aussi écrasante que celle de 1945. Encore un an ou deux, et l’ancienne Edward and Florence would be voting for the génération nostalgique de l’Empire devrait céder la first time in the next General Election and place à des dirigeants comme Gaitskell, Wilson, were keen on the idea of a Labour landslide Crosland – des hommes nouveaux rêvant d’un pays as great as the famous victory of 1945. In a moderne, plus égalitaire, où les réformes year or two, the older generation that still nécessaires seraient entreprises. Si les États-Unis dreamed of Empire must surely give way to pouvaient élire le dynamique et séduisant politicians like Gaitskell, Wilson, Crosland - président Kennedy, rien n’empêchait la Grandenew men with a vision of a modern country Bretagne de les imiter – en théorie, du moins, car il where there was equality and things actually n’y avait personne ayant un tel charisme au parti got done. If America could have an travailliste. Quant aux vieux de la vieille qui se exuberant and handsome President croyaient encore en guerre, et regrettaient la Kennedy, then Britain could have something discipline et les privations, ils avaient fait leur similar - at least in spirit, for there was no temps. La conviction d’Edward et de Florence que one quite so glamorous in the Labour Party. leur pays était sur le point de changer, que The blimps, still fighting the last war, still l’énergie de la jeunesse ne demandait qu’à jaillir, nostalgic for its discipline and privations - tel un nuage de vapeur trop longtemps maintenu their time was up. Edward and Florence's sous pression, se mêlait à l’excitation engendrée shared sense that one day soon the country par leurs propres émois amoureux. Les années 52 would be transformed for the better, that youthful energies were pushing to escape, like steam under pressure, merged with the excitement of their own adventure together. The sixties was their first decade of adult life, and it surely belonged to them. The pipe smokers downstairs in their silver-buttoned blazers, with their double measures of Caol Ila and memories of campaigns in North Africa and Normandy, and their cultivated remnants of Army slang - they could have no claim on the future. Time, gentlemen, please! soixante représentaient la première décennie de leur vie adulte, et elles leur appartenaient forcément. Avec leur blazer à boutons argent, leur Caol Ila bien tassé, leurs souvenirs des campagnes d’Afrique du Nord et de Normandie, et leur acharnement à cultiver ce qui leur restait de jargon militaire, les fumeurs de pipe du rez-de-chaussée n’avaient aucun droit sur l’avenir. Messieurs, on ferme. Tandis que la brume continuait de se dissiper, dévoilant les arbres tout proches, les falaises vertes et nues derrière la lagune, et quelques fragments de mer argentée, l’air d’une douceur vespérale affluait autour de la table où Edward et Florence faisaient toujours semblant de dîner, murés dans leurs angoisses respectives. Florence promenait distraitement sa nourriture dans son assiette. Edward mangeait quelques morceaux symboliques de pomme de terre qu’il découpait avec le bord de sa fourchette. Ils écoutèrent avec fatalisme le deuxième sujet, conscients du conformisme dont ils faisaient preuve en joignant leur attention à celle des clients du rez-de-chaussée. C’était leur nuit de noces, et ils n’avaient rien à se dire. Ils peinaient à distinguer les mots qui traversaient le plancher, mais ils reconnurent « Berlin » et comprirent aussitôt qu’il s’agissait de l’information dont tout le monde parlait ces derniers temps : une évasion depuis Berlin-Est vers le secteur occidental grâce à un bateau à vapeur détourné sur le Wannsee, les réfugiés s’étant cachés derrière la cabine de pilotage pour échapper aux balles des gardes estallemands. Edward et Florence écoutèrent le reportage puis, dans un silence intolérable, le suivant, consacré à la dernière journée d’une conférence islamique à Bagdad. The rising mist continued to unveil the nearby trees, the bare green cliffs behind the lagoon and portions of a silver sea, and the smooth evening air poured in around the table, and they continued their pretence of eating, trapped in the moment by private anxieties. Florence was merely moving the food around her plate. Edward ate only token morsels of potato, which he carved with the edge of his fork. They listened helplessly to the second item of news, aware of how dull it was of them to be linking their attention to that of the guests downstairs. Their wedding night, and they had nothing to say. The indistinct words rose from under their feet, but they made out 'Berlin' and knew instantly that this was the story that lately had captivated everyone. It was an escape from the Communist east to the west of the city by way of a commandeered steamship on the Wannsee, the refugees cowering by the wheelhouse to dodge the bullets of the East German guards. They listened to that, and now, intolerably, the third item, the concluding session of an Prisonniers de l’actualité internationale par leur propre bêtise ! Ça avait assez duré. Il fallait agir. Islamic conference in Baghdad. Edward desserra sa cravate et plaça avec détermination son couteau et sa fourchette parallèlement à son assiette. Bound to world events by their own stupidity! It could not go on. It was time to « On n’a qu’à descendre, on entendra mieux... » act. Edward loosened his tie and firmly set Il espérait faire preuve d’humour en les visant tous 53 down his knife and fork in parallel on his les deux par ce sarcasme, mais ses paroles jaillirent avec une férocité surprenante qui fit rougir plate. Florence. Elle crut qu’il lui reprochait de lui préférer 'We could go downstairs and listen properly' la TSF et, avant qu’il ait pu atténuer ou désamorcer He hoped he was being humorous, directing l’effet de sa remarque, elle répondit his sarcasm against them both, but his words précipitamment : « On peut aussi aller sur le lit », emerged with surprising ferocity, and écartant nerveusement de son front un cheveu Florence blushed. She thought he was invisible. Pour lui prouver qu’il se trompait, elle lui criticising her for preferring the wireless to proposait ce dont elle savait qu’il avait le plus him, and before he could soften or lighten envie, et qu’elle-même redoutait le plus. En fait, his remark she said hurriedly, 'Or we could elle aurait été bien plus heureuse, ou bien moins go and lie on the bed,' and nervously swiped malheureuse de descendre passer la soirée au an invisible hair from her forehead. To salon, à converser avec toutes ces dames d’un demonstrate how wrong he was, she was certain âge sur les canapés tendus de tissu à fleurs, proposing what she knew he most wanted pendant que leurs époux se laissaient gravement and she dreaded. She really would have absorber par les informations, par la tourmente de been happier, or less unhappy, to go down l’Histoire. Tout sauf ça. to the lounge and pass the time in quiet Corpus Dongoida conversation with the matrons on the floralpatterned sofas while their men leaned seriously into the news, into the gale of history. Anything but this. How they toiled and sweated to get the hay in! But their efforts were rewarded, for the harvest was an even bigger success than they had hoped. Sometimes the work was hard; the implements had been designed for human beings and not for animals, and it was a great drawback that no animal was able to use any tool that involved standing on his hind legs. But the pigs were so clever that they could think of a way round every difficulty. As for the horses, they knew every inch of the field, and in fact understood the business of mowing and raking far better than Jones and his men had ever done. The pigs did not actually work, but directed and supervised the others. With their superior knowledge it was natural that they should assume the leadership. Boxer and Clover would harness themselves to the cutter Comme ils trimèrent et prirent de la peine pour rentrer le foin ! Mais leurs efforts furent récompensés car la récolte fut plus abondante encore qu’ils ne l’auraient cru. A certains moments la besogne était tout à fait pénible. Les instruments agraires avaient été inventés pour les hommes et non pour les animaux, et ceux-ci en subissaient les conséquences. Ainsi, aucun animal ne pouvait se servir du moindre outil qui l’obligeât à se tenir debout sur ses pattes de derrière. Néanmoins, les cochons étaient si malins qu’ils trouvèrent le moyen de tourner chaque difficulté. Quant aux chevaux, ils connaissaient chaque pouce du terrain, et s’y entendaient à faucher et à râteler 54 or the horse-rake (no bits or reins were needed in these days, of course) and tramp steadily round and round the field with a pig walking behind and calling out “Gee up, comrade!” or “Whoa back, comrade!” as the case might be. And every animal down to the humblest worked at turning the hay and gathering it. Even the ducks and hens toiled to and fro all day in the sun, carrying tiny wisps of hay in their beaks. In the end they finished the harvest in two days’ less time than it had usually taken Jones and his men. Moreover, it was the biggest harvest that the farm had ever seen. There was no wastage whatever; the hens and ducks with their sharp eyes had gathered up the very last stalk. And not an animal on the farm had stolen so much as a mouthful. All through that summer the work of the farm went like clockwork. The animals were happy as they had never conceived it possible to be. Every mouthful of food was an acute positive pleasure, now that it was truly their own food, produced by themselves and for themselves, not doled out to them by a grudging master. With the worthless parasitical human beings gone, there was more for everyone to eat. There was more leisure too, inexperienced though the animals were. They met with many difficulties--for instance, later in the year, when they harvested the corn, they had to tread it out in the ancient style and blow away the chaff with their breath, since the farm possessed no threshing machine--but the pigs with their cleverness and Boxer with his tremendous muscles always pulled them through. Boxer was the admiration of everybody. He had been a hard worker even in Jones’s time, but now he seemed more like three horses than one; there were days when the entire work of the farm seemed to rest on his mighty shoulders. From morning to night he was pushing and pulling, always at the spot where the work was hardest. He had made an arrangement with one of the cockerels to call him in the mornings half an hour earlier than anyone else, and would put in some volunteer labour at whatever seemed to be most needed, before the regular day’s work began. His answer to every problem, every setback, was “I will work harder!”--which he had adopted as mieux que Jones et ses gens leur vie durant. Les cochons, à vrai dire, ne travaillaient pas : ils distribuaient le travail et veillaient à sa bonne exécution. Avec leurs connaissances supérieures, il était naturel qu’ils prennent le commandement. Malabar et Douce s’attelaient tout seuls au râteau ou à la faucheuse (ni mors ni rênes n’étant plus nécessaires, bien entendu), et ils arpentaient le champ en long et en large, un cochon à leurs trousses. Celui-ci s’écriait : « Hue dia, camarade ! » ou « Holà, ho, camarade ! », suivant le cas. Et chaque animal jusqu’au plus modeste besognait à faner et ramasser le foin. Même les canards et les poules, sans relâche, allaient et venaient sous le soleil, portant dans leurs becs des filaments minuscules. Et ainsi la fenaison fut achevée deux jours plus tôt qu’aux temps de Jones. Qui plus est, ce fut la plus belle récolte de foin que la ferme ait jamais connue. Et nul gaspillage, car poules et canards, animaux à l’œil prompt, avaient glané jusqu’au plus petit brin. Et pas un animal n’avait dérobé ne fût-ce qu’une bouchée. Tout l’été le travail progressa avec une régularité d’horloge. Les animaux étaient heureux d’un bonheur qui passait leurs espérances. Tout aliment leur était plus délectable d’être le fruit de leur effort. Car désormais c’était là leur propre manger, produit par eux et pour eux, et non plus l’aumône, accordée à contrecœur, d’un maître parcimonieux. Une fois délivrés de l’engeance humaine, des bons à rien, des parasites, chacun d’eux reçut en partage une ration plus copieuse. Et, quoique encore peu expérimentés, ils eurent aussi des loisirs accrus. Oh, il leur fallut faire face à bien des difficultés. C’est ainsi que, plus tard dans l’année et le temps venu de la moisson, ils durent dépiquer le blé à la mode d’autrefois et, faute d’une batteuse à la ferme, chasser la glume en soufflant dessus. Mais l’esprit de ressource des cochons ainsi que la prodigieuse musculature de Malabar les tiraient toujours d’embarras. Malabar faisait l’admiration de tous. Déjà connu à l’époque de Jones pour son cœur à l’ouvrage, 55 his personal motto. But everyone worked according to his capacity The hens and ducks, for instance, saved five bushels of corn at the harvest by gathering up the stray grains. Nobody stole, nobody grumbled over his rations, the quarrelling and biting and jealousy which had been normal features of life in the old days had almost disappeared. Nobody shirked--or almost nobody. Mollie, it was true, was not good at getting up in the mornings, and had a way of leaving work early on the ground that there was a stone in her hoof. And the behaviour of the cat was somewhat peculiar. It was soon noticed that when there was work to be done the cat could never be found. She would vanish for hours on end, and then reappear at mealtimes, or in the evening after work was over, as though nothing had happened. But she always made such excellent excuses, and purred so affectionately, that it was impossible not to believe in her good intentions. Old Benjamin, the donkey, seemed quite unchanged since the Rebellion. He did his work in the same slow obstinate way as he had done it in Jones’s time, never shirking and never volunteering for extra work either. About the Rebellion and its results he would express no opinion. When asked whether he was not happier now that Jones was gone, he would say only “Donkeys live a long time. None of you has ever seen a dead donkey,” and the others had to be content with this cryptic answer. On Sundays there was no work. Breakfast was an hour later than usual, and after breakfast there was a ceremony which was observed every week without fail. First came the hoisting of the flag. Snowball had found in the harnessroom an old green tablecloth of Mrs. Jones’s and had painted on it a hoof and a horn in white. This was run up the flagstaff in the farmhouse garden every Sunday morning. The flag was green, Snowball explained, to represent the green fields of England, while the hoof and horn signified the future Republic of the Animals which would arise when the human race had been finally overthrown. After the hoisting of the flag all the animals trooped into the big barn for a general assembly which was known as the Meeting. Here the work of the coming week was planned out and resolutions were put forward and debated. It pour lors il besognait comme trois. Même, certains jours, tout le travail de la ferme semblait reposer sur sa puissante encolure. Du matin à la tombée de la nuit, il poussait, il tirait, et était toujours présent au plus dur du travail. Il avait passé accord avec l’un des jeunes coqs pour qu’on le réveille une demi-heure avant tous les autres, et, devançant l’horaire et le plan de la journée, de son propre chef il se portait volontaire aux tâches d’urgence. À tout problème et à tout revers, il opposait sa conviction : « Je vais travailler plus dur. » Ce fut là sa devise. Toutefois, chacun œuvrait suivant ses capacités. Ainsi, les poules et les canards récupérèrent dix boisseaux de blé en recueillant les grains disséminés ça et là. Et personne qui chapardât, ou qui se plaignît des rations : les prises de bec, bisbilles, humeurs ombrageuses, jadis monnaie courante, n’étaient plus de mise. Personne ne tirait au flanc – enfin, presque personne. Lubie, avouons-le, n’était pas bien matineuse, et se montrait encline à quitter le travail de bonne heure, sous prétexte qu’un caillou lui agaçait le sabot. La conduite de la chatte était un peu singulière aussi. On ne tarda pas à s’apercevoir qu’elle était introuvable quand l’ouvrage requérait sa présence. Elle disparaissait des heures d’affilée pour reparaître aux repas, ou le soir après le travail fait, comme si de rien n’était. Mais elle se trouvait des excuses si excellentes, et ronronnait de façon si affectueuse, que ses bonnes intentions n’étaient pas mises en doute. Quant à Benjamin, le vieil âne, depuis la révolution il était demeuré le même. Il s’acquittait de sa besogne de la même manière lente et têtue, sans jamais renâcler, mais sans zèle inutile non plus. Sur le soulèvement même et ses conséquences, il se gardait de toute opinion. Quand on lui demandait s’il ne trouvait pas son sort meilleur depuis l’éviction de Jones, il s’en tenait à dire : « Les ânes ont la vie dure. Aucun de vous n’a jamais vu mourir un âne », et de cette 56 was always the pigs who put forward the resolutions. The other animals understood how to vote, but could never think of any resolutions of their own. Snowball and Napoleon were by far the most active in the debates. But it was noticed that these two were never in agreement: whatever suggestion either of them made, the other could be counted on to oppose it. Even when it was resolved--a thing no one could object to in itself--to set aside the small paddock behind the orchard as a home of rest for animals who were past work, there was a stormy debate over the correct retiring age for each class of animal. The Meeting always ended with the singing of ‘Beasts of England’, and the afternoon was given up to recreation. The pigs had set aside the harness-room as a headquarters for themselves. Here, in the evenings, they studied blacksmithing, carpentering, and other necessary arts from books which they had brought out of the farmhouse. Snowball also busied himself with organising the other animals into what he called Animal Committees. He was indefatigable at this. He formed the Egg Production Committee for the hens, the Clean Tails League for the cows, the Wild Comrades’ Re-education Committee (the object of this was to tame the rats and rabbits), the Whiter Wool Movement for the sheep, and various others, besides instituting classes in reading and writing. On the whole, these projects were a failure. The attempt to tame the wild creatures, for instance, broke down almost immediately. They continued to behave very much as before, and when treated with generosity, simply took advantage of it. The cat joined the Reeducation Committee and was very active in it for some days. She was seen one day sitting on a roof and talking to some sparrows who were just out of her reach. She was telling them that all animals were now comrades and that any sparrow who chose could come and perch on her paw; but the sparrows kept their distance. The reading and writing classes, however, were a great success. By the autumn almost every animal on the farm was literate in some degree. As for the pigs, they could already read and write perfectly. The dogs learned to read fairly réponse sibylline on devait se satisfaire. Le dimanche, jour férié, on prenait le petit déjeuner une heure plus tard que d’habitude. Puis c’était une cérémonie renouvelée sans faute chaque semaine. D’abord on hissait les couleurs. Boule de Neige s’était procuré à la sellerie un vieux tapis de table de couleur verte, qui avait appartenu à Mrs. Jones, et sur lequel il avait peint en blanc une corne et un sabot. Ainsi donc, dans le jardin de la ferme, tous les dimanches matin le pavillon était hissé au mât. Le vert du drapeau, expliquait Boule de Neige, représente les verts pâturages d’Angleterre ; la corne et le sabot, la future République, laquelle serait proclamée au renversement définitif de la race humaine. Après le salut au drapeau, les animaux gagnaient ensemble la grange. Là se tenait une assemblée qui était l’assemblée générale, mais qu’on appelait l’Assemblée. On y établissait le plan de travail de la semaine et on y débattait et adoptait différentes résolutions. Celles-ci, les cochons les proposaient toujours. Car si les autres animaux savaient comment on vote, aucune proposition nouvelle ne leur venait à l’esprit. Ainsi, le plus clair des débats était l’affaire de Boule de Neige et Napoléon. Il est toutefois à remarquer qu’ils n’étaient jamais d’accord : quel que fut l’avis de l’un, on savait que l’autre y ferait pièce. Même une fois décidé, et personne ne pouvait s’élever contre la chose elle-même, d’aménager en maison de repos le petit enclos attenant au verger, un débat orageux s’ensuivit : quel est, pour chaque catégorie d’animaux, l’âge légitime de la retraite ? L’assemblée prenait toujours fin aux accents de Bêtes d’Angleterre, et l’après-midi était consacré aux loisirs. Les cochons avaient fait de la sellerie leur quartier général. Là, le soir, ils étudiaient les arts et métiers : les techniques du maréchal-ferrant, ou celles du menuisier, par exemple à l’aide de livres 57 well, but were not interested in reading anything except the Seven Commandments. Muriel, the goat, could read somewhat better than the dogs, and sometimes used to read to the others in the evenings from scraps of newspaper which she found on the rubbish heap. Benjamin could read as well as any pig, but never exercised his faculty. So far as he knew, he said, there was nothing worth reading. Clover learnt the whole alphabet, but could not put words together. Boxer could not get beyond the letter D. He would trace out A, B, C, D, in the dust with his great hoof, and then would stand staring at the letters with his ears back, sometimes shaking his forelock, trying with all his might to remember what came next and never succeeding. On several occasions, indeed, he did learn E, F, G, H, but by the time he knew them, it was always discovered that he had forgotten A, B, C, and D. Finally he decided to be content with the first four letters, and used to write them out once or twice every day to refresh his memory. Mollie refused to learn any but the six letters which spelt her own name. She would form these very neatly out of pieces of twig, and would then decorate them with a flower or two and walk round them admiring them. None of the other animals on the farm could get further than the letter A. It was also found that the stupider animals, such as the sheep, hens, and ducks, were unable to learn the Seven Commandments by heart. After much thought Snowball declared that the Seven Commandments could in effect be reduced to a single maxim, namely: “Four legs good, two legs bad.” This, he said, contained the essential principle of Animalism. Whoever had thoroughly grasped it would be safe from human influences. The birds at first objected, since it seemed to them that they also had two legs, but Snowball proved to them that this was not so. “A bird’s wing, comrades,” he said, “is an organ of propulsion and not of manipulation. It should therefore be regarded as a leg. The distinguishing mark of man is the HAND, the instrument with which he does all his mischief.” ramenés de la ferme. Boule de Neige se préoccupait aussi de répartir les animaux en Commissions, et sur ce terrain il était infatigable. Il constitua pour les poules la Commission des pontes, pour les vaches la Ligue des queues de vaches propres, pour les réfractaires la Commission de rééducation des camarades vivant en liberté dans la nature (avec, pour but d’apprivoiser les rats et les lapins), et pour les moutons le Mouvement de la laine immaculée, et encore d’autres instruments de prophylaxie sociale – outre les classes de lecture et d’écriture. Dans l’ensemble, ces projets connurent l’échec. C’est ainsi que la tentative d’apprivoiser les animaux sauvages avorta presque tout de suite. Car ils ne changèrent pas de conduite, et ils mirent à profit toute velléité généreuse à leur égard. La chatte fit de bonne heure partie de la Commission de rééducation, et pendant quelques jours y montra de la résolution. Même, une fois, on la vit assise, sur le toit, parlementant avec des moineaux hors d’atteinte : tous les animaux sont désormais camarades. Aussi tout moineau pouvait se percher sur elle, même sur ses griffes. Mais les moineaux gardaient leurs distances. Les cours de lecture et d’écriture, toutefois, eurent un vif succès. À l’automne, il n’y avait plus d’illettrés, autant dire. Les cochons, eux, savaient déjà lire et écrire à la perfection. Les chiens apprirent à lire à peu près couramment, mais ils ne s’intéressaient qu’aux Sept Commandements. Edmée, la chèvre, s’en tirait mieux qu’eux. Le soir, il lui arrivait de faire aux autres la lecture de fragments de journaux découverts aux ordures. Benjamin, l’âne, pouvait lire aussi bien que, n’importe quel cochon, mais jamais il n’exerçait ses dons. » Que je sache, disait-il, il n’y a rien qui vaille la peine d’être lu. » Douce apprit toutes ses lettres, mais la science The birds did not understand Snowball’s long des mots lui échappait. Malabar n’allait pas auwords, but they accepted his explanation, and delà de la lettre D. De son grand sabot, il traçait all the humbler animals set to work to learn the 58 new maxim by heart. FOUR LEGS GOOD, TWO LEGS BAD, was inscribed on the end wall of the barn, above the Seven Commandments and in bigger letters When they had once got it by heart, the sheep developed a great liking for this maxim, and often as they lay in the field they would all start bleating “Four legs good, two legs bad! Four legs good, two legs bad!” and keep it up for hours on end, never growing tired of it. Napoleon took no interest in Snowball’s committees. He said that the education of the young was more important than anything that could be done for those who were already grown up. It happened that Jessie and Bluebell had both whelped soon after the hay harvest, giving birth between them to nine sturdy puppies. As soon as they were weaned, Napoleon took them away from their mothers, saying that he would make himself responsible for their education. He took them up into a loft which could only be reached by a ladder from the harness-room, and there kept them in such seclusion that the rest of the farm soon forgot their existence. The mystery of where the milk went to was soon cleared up. It was mixed every day into the pigs’ mash. The early apples were now ripening, and the grass of the orchard was littered with windfalls. The animals had assumed as a matter of course that these would be shared out equally; one day, however, the order went forth that all the windfalls were to be collected and brought to the harness-room for the use of the pigs. At this some of the other animals murmured, but it was no use. All the pigs were in full agreement on this point, even Snowball and Napoleon. Squealer was sent to make the necessary explanations to the others. “Comrades!” he cried. “You do not imagine, I hope, that we pigs are doing this in a spirit of selfishness and privilege? Many of us actually dislike milk and apples. I dislike them myself. Our sole object in taking these things is to preserve our health. Milk and apples (this has been proved by Science, comrades) contain substances absolutely necessary to the wellbeing of a pig. We pigs are brainworkers. The whole management and organisation of this farm depend on us. Day and night we are watching over your welfare. It is for YOUR sake dans la poussière les lettres A B C D, puis il les fixait des yeux, et, les oreilles rabattues et de temps a autre repoussant la mèche qui lui barrait le front, il faisait grand effort pour se rappeler quelles lettres venaient après, mais sans jamais y parvenir. Bel et bien, à différentes reprises, il retint E F G H, mais du moment qu’il savait ces lettres-là, il avait oublié les précédentes. À la fin, il décida d’en rester aux quatre premières lettres, et il les écrivait une ou deux fois dans la journée pour se rafraîchir la mémoire. Lubie refusa d’apprendre l’alphabet, hormis les cinq lettres de son nom. Elle les traçait fort adroitement, avec des brindilles, puis les agrémentait d’une fleur ou deux et, avec admiration, en faisait le tour. Aucun des autres animaux de la ferme ne put aller au-delà de la lettre A. On s’aperçut aussi que les plus bornés, tels que moutons, poules et canards, étaient incapables d’apprendre par cœur les Sept Commandements. Après mûre réflexion, Boule de Neige signifia que les Sept Commandements pouvaient, après tout, se ramener à une maxime unique, à savoir Quatrepattes, oui ! Deuxpattes, non ! En cela, ditil, réside le principe fondamental de l’Animalisme. Quiconque en aurait tout à fait saisi la signification serait à l’abri des influences humaines. Tout d’abord les oiseaux se rebiffèrent, se disant qu’eux aussi sont des Deuxpattes, mais Boule de Neige leur prouva leur erreur, disant : « Les ailes de l’oiseau, camarades, étant des organes de propulsion, non de manipulation, doivent être regardées comme des pattes. Ça va de soi. Et c’est la main qui fait la marque distinctive de l’homme : la main qui manipule, la main de malignité. » Les oiseaux restèrent cois devant les mots compliqués de Boule de Neige, mais ils approuvèrent sa conclusion, et tous les moindres animaux de la ferme se mirent à apprendre par 59 that we drink that milk and eat those apples. Do you know what would happen if we pigs failed in our duty? Jones would come back! Yes, Jones would come back! Surely, comrades,” cried Squealer almost pleadingly, skipping from side to side and whisking his tail, “surely there is no one among you who wants to see Jones come back?” cœur la nouvelle maxime : Quatrepattes, oui ! Deuxpattes, non !, que l’on inscrivit sur le mur du fond de la grange, au-dessus des Sept Commandements et en plus gros caractères. Une fois qu’ils la surent sans se tromper, les moutons s’en éprirent, et c’est souvent que, couchés dans les champs, ils bêlaient en chœur : Quatrepattes, oui ! Deuxpattes, non ! Et ainsi des heures durant, sans se lasser jamais. Now if there was one thing that the animals were completely certain of, it was that they did not want Jones back. When it was put to them in this light, they had no more to say. The importance of keeping the pigs in good health was all too obvious. So it was agreed without further argument that the milk and the windfall apples (and also the main crop of apples when they ripened) should be reserved for the pigs alone. Napoléon ne portait aucun intérêt aux Commissions de Boule de Neige. Selon lui, l’éducation des jeunes était plus importante que tout ce qu’on pouvait faire pour les animaux déjà d’âge mûr. Or, sur ces entrefaites, les deux chiennes, Constance et Fleur, mirent bas, peu après la fenaison, donnant naissance à neuf chiots vigoureux. Dès après le sevrage, Napoléon enleva les chiots à leurs mères, disant qu’il pourvoirait personnellement à leur éducation. Il les remisa dans un grenier, où l’on n’accédait que par une IV échelle de la sellerie, et les y séquestra si bien que By the late summer the news of what had bientôt tous les autres animaux oublièrent happened on Animal Farm had spread across jusqu’à leur existence. half the county. Every day Snowball and Napoleon sent out flights of pigeons whose instructions were to mingle with the animals on neighbouring farms, tell them the story of the Le mystère de la disparition du lait fut bientôt Rebellion, and teach them the tune of ‘Beasts élucidé. C’est que chaque jour le lait était of England’. mélangé à la pâtée des cochons. C’était le temps Most of this time Mr. Jones had spent sitting in où les premières pommes commençaient à mûrir, the taproom of the Red Lion at Willingdon, et bientôt elles jonchaient l’herbe du verger. Les complaining to anyone who would listen of the monstrous injustice he had suffered in being animaux s’attendaient au partage équitable qui turned out of his property by a pack of good- leur semblait aller de soi. Un jour, néanmoins, for-nothing animals. The other farmers ordre fut donné de ramasser les pommes pour les sympathised in principle, but they did not at apporter à la sellerie, au bénéfice des porcs. On first give him much help. At heart, each of them entendit bien murmurer certains animaux, mais was secretly wondering whether he could not ce fut en vain. Tous les cochons étaient, sur ce somehow turn Jones’s misfortune to his own advantage. It was lucky that the owners of the point, entièrement d’accord, y compris Napoléon two farms which adjoined Animal Farm were et Boule de Neige. Et Brille-Babil fut chargé des on permanently bad terms. One of them, which explications nécessaires : was named Foxwood, was a large, neglected, old-fashioned farm, much overgrown by woodland, with all its pastures worn out and its hedges in a disgraceful condition. Its owner, « Vous n’allez tout de même pas croire, Mr. Pilkington, was an easy-going gentleman camarades, que nous, les cochons, agissons par farmer who spent most of his time in fishing or égoïsme, que nous nous attribuons des privilèges. 60 hunting according to the season. The other farm, which was called Pinchfield, was smaller and better kept. Its owner was a Mr. Frederick, a tough, shrewd man, perpetually involved in lawsuits and with a name for driving hard bargains. These two disliked each other so much that it was difficult for them to come to any agreement, even in defence of their own interests. Nevertheless, they were both thoroughly frightened by the rebellion on Animal Farm, and very anxious to prevent their own animals from learning too much about it. At first they pretended to laugh to scorn the idea of animals managing a farm for themselves. The whole thing would be over in a fortnight, they said. They put it about that the animals on the Manor Farm (they insisted on calling it the Manor Farm; they would not tolerate the name “Animal Farm”) were perpetually fighting among themselves and were also rapidly starving to death. When time passed and the animals had evidently not starved to death, Frederick and Pilkington changed their tune and began to talk of the terrible wickedness that now flourished on Animal Farm. It was given out that the animals there practised cannibalism, tortured one another with red-hot horseshoes, and had their females in common. This was what came of rebelling against the laws of Nature, Frederick and Pilkington said. However, these stories were never fully believed. Rumours of a wonderful farm, where the human beings had been turned out and the animals managed their own affairs, continued to circulate in vague and distorted forms, and throughout that year a wave of rebelliousness ran through the countryside. Bulls which had always been tractable suddenly turned savage, sheep broke down hedges and devoured the clover, cows kicked the pail over, hunters refused their fences and shot their riders on to the other side. Above all, the tune and even the words of ‘Beasts of England’ were known everywhere. It had spread with astonishing speed. The human beings could not contain their rage when they heard this song, though they pretended to think it merely ridiculous. They could not understand, they said, how even animals could bring themselves to sing such contemptible rubbish. Any animal caught singing it was given a flogging on the spot. And En fait, beaucoup d’entre nous détestent le lait et les pommes. C’est mon propre cas, Si nous nous les approprions, c’est dans le souci de notre santé. Le lait et les pommes (ainsi, camarades, que la science le démontre) renferment des substances indispensables au régime alimentaire du cochon. Nous sommes, nous autres, des travailleurs intellectuels. La direction et l’organisation de cette ferme reposent entièrement sur nous. De jour et de nuit nous veillons à votre bien. Et c’est pour votre bien que nous buvons ce lait et mangeons ces pommes. Savez-vous ce qu’il adviendrait si nous, les cochons, devions faillir à notre devoir ? Jones reviendrait ! Oui, Jones ! Assurément, camarades – s’exclama Brille-Babil, sur un ton presque suppliant, et il se balançait de côté et d’autre, fouettant l’air de sa queue -, assurément il n’y en a pas un seul parmi vous qui désire le retour de Jones ? » S’il était en effet quelque chose dont tous les animaux ne voulaient à aucun prix, c’était bien le retour de Jones. Quand on leur présentait les choses sous ce jour, ils n’avaient rien à redire. L’importance de maintenir les cochons en bonne forme s’imposait donc à l’évidence. Aussi fut-il admis sans plus de discussion que le lait et les pommes tombées dans l’herbe (ainsi que celles, la plus grande partie, à mûrir encore) seraient prérogative des cochons. IV A la fin de l’été, la nouvelle des événements avait gagné la moitié du pays. Chaque jour, Napoléon et Boule de Neige dépêchaient des volées de pigeons voyageurs avec pour mission de se mêler aux autres animaux des fermes voisines. Ils leur faisaient le récit du soulèvement, leur apprenaient l’air de Bêtes d’Angleterre. 61 yet the song was irrepressible. The blackbirds whistled it in the hedges, the pigeons cooed it in the elms, it got into the din of the smithies and the tune of the church bells. And when the human beings listened to it, they secretly trembled, hearing in it a prophecy of their future doom. Early in October, when the corn was cut and stacked and some of it was already threshed, a flight of pigeons came whirling through the air and alighted in the yard of Animal Farm in the wildest excitement. Jones and all his men, with half a dozen others from Foxwood and Pinchfield, had entered the five-barred gate and were coming up the cart-track that led to the farm. They were all carrying sticks, except Jones, who was marching ahead with a gun in his hands. Obviously they were going to attempt the recapture of the farm. This had long been expected, and all preparations had been made. Snowball, who had studied an old book of Julius Caesar’s campaigns which he had found in the farmhouse, was in charge of the defensive operations. He gave his orders quickly, and in a couple of minutes every animal was at his post. As the human beings approached the farm buildings, Snowball launched his first attack. All the pigeons, to the number of thirty-five, flew to and fro over the men’s heads and muted upon them from mid-air; and while the men were dealing with this, the geese, who had been hiding behind the hedge, rushed out and pecked viciously at the calves of their legs. However, this was only a light skirmishing manoeuvre, intended to create a little disorder, and the men easily drove the geese off with their sticks. Snowball now launched his second line of attack. Muriel, Benjamin, and all the sheep, with Snowball at the head of them, rushed forward and prodded and butted the men from every side, while Benjamin turned around and lashed at them with his small hoofs. But once again the men, with their sticks and their hobnailed boots, were too strong for them; and suddenly, at a squeal from Snowball, which was the signal for retreat, all the animals turned and fled through the gateway into the yard. Pendant la plus grande partie de ce temps, Mr. Jones se tenait à Willingdon, assis à la buvette du Lion-Rouge, se plaignant à qui voulait l’entendre de la monstrueuse injustice dont il avait été victime quand l’avaient exproprié une bande d’animaux, de vrais propres à rien. Les autres fermiers, compatissants en principe, lui furent tout d’abord de médiocre secours. Au fond d’euxmêmes, ils se demandaient s’ils ne pourraient pas tirer profit de la mésaventure de Jones. Par chance, les propriétaires des deux fermes attenantes à la sienne étaient en mauvais termes et toujours à se chamailler. L’une d’elles, Foxwood, était une vaste exploitation mal tenue et vieux jeu pâturages chétifs, haies à l’abandon, halliers envahissants. Quant au propriétaire : un Mr. Pilkington, gentleman farmer qui donnait la plus grande partie de son temps à la chasse ou à la pêche, suivant la saison. L’autre ferme, Pinchfield, plus petite mais mieux entretenue, appartenait à un Mr. Frederick, homme décidé et retors, toujours en procès, et connu pour sa dureté en affaires. Les deux propriétaires se détestaient au point qu’il leur était malaisé de s’entendre, fût-ce dans leur intérêt commun. Ils n’en étaient pas moins épouvantés l’un comme l’autre par le soulèvement des animaux, et très soucieux d’empêcher leurs propres animaux d’en apprendre trop à ce sujet. Tout d’abord, ils affectèrent de rire à l’idée de fermes gérées par, les animaux eux-mêmes. Quelque chose d’aussi extravagant on en verra la fin en une quinzaine, disaient-ils. Ils firent courir le bruit qu’à la Ferme du Manoir (que pour rien au monde ils n’auraient appelée la Ferme des Animaux) les bêtes ne cessaient de s’entrebattre, et bientôt seraient acculées à la famine. Mais du temps passa : et les animaux, à l’évidence, ne mouraient pas de faim. 62 The men gave a shout of triumph. They saw, as they imagined, their enemies in flight, and they rushed after them in disorder. This was just what Snowball had intended. As soon as they were well inside the yard, the three horses, the three cows, and the rest of the pigs, who had been lying in ambush in the cowshed, suddenly emerged in their rear, cutting them off. Snowball now gave the signal for the charge. He himself dashed straight for Jones. Jones saw him coming, raised his gun and fired. The pellets scored bloody streaks along Snowball’s back, and a sheep dropped dead. Without halting for an instant, Snowball flung his fifteen stone against Jones’s legs. Jones was hurled into a pile of dung and his gun flew out of his hands. But the most terrifying spectacle of all was Boxer, rearing up on his hind legs and striking out with his great iron-shod hoofs like a stallion. His very first blow took a stable-lad from Foxwood on the skull and stretched him lifeless in the mud. At the sight, several men dropped their sticks and tried to run. Panic overtook them, and the next moment all the animals together were chasing them round and round the yard. They were gored, kicked, bitten, trampled on. There was not an animal on the farm that did not take vengeance on them after his own fashion. Even the cat suddenly leapt off a roof onto a cowman’s shoulders and sank her claws in his neck, at which he yelled horribly. At a moment when the opening was clear, the men were glad enough to rush out of the yard and make a bolt for the main road. And so within five minutes of their invasion they were in ignominious retreat by the same way as they had come, with a flock of geese hissing after them and pecking at their calves all the way. All the men were gone except one. Back in the yard Boxer was pawing with his hoof at the stable-lad who lay face down in the mud, trying to turn him over. The boy did not stir. Alors Frederick et Pilkington durent changer de refrain : cette exploitation n’était que scandales et atrocités. Les animaux se livraient au cannibalisme, se torturaient entre eux avec des fers à cheval chauffés à blanc, et ils avaient mis en commun les femelles. Voilà où cela mène, disaient Frederick et Pilkington, de se révolter contre les lois de la nature. Malgré tout, on n’ajouta jamais vraiment foi à ces récits. Une rumeur gagnait même, vague, floue et captieuse, d’une ferme magnifique, dont les humains avaient été éjectés et où les animaux se gouvernaient eux-mêmes ; et, au fil des mois, une vague d’insubordination déferla dans les campagnes. Des taureaux jusque-là dociles étaient pris de fureur noire. Les moutons abattaient les haies pour mieux dévorer le trèfle. Les vaches ruaient, renversant les seaux. Les chevaux se dérobaient devant l’obstacle culbutant les cavaliers. Mais surtout, l’air et jusqu’aux paroles de Bêtes d’Angleterre, gagnaient partout du terrain. L’hymne révolutionnaire s’était répandu avec une rapidité stupéfiante. L’entendant, les humains ne dominaient plus leur fureur, tout en prétendant qu’ils le trouvaient ridicule sans plus. Il leur échappait, disaient-ils, que même des animaux puissent s’abaisser à d’aussi viles bêtises. Tout animal surpris à chanter Bêtes d’Angleterre se voyait sur-le-champ donner la bastonnade. Et pourtant l’hymne gagnait toujours du terrain, irrésistible : les merles le sifflaient dans les haies, les pigeons le roucoulaient dans les ormes, il se mêlait au tapage du maréchal-ferrant comme à la mélodie des cloches. Et les humains à son écoute, en leur for intérieur, tremblaient comme à l’annonce d’une prophétie funeste. Au début d’octobre, une fois le blé coupé, mis en meules et en partie battu, un vol de pigeons vint “He is dead,” said Boxer sorrowfully. “I had no tourbillonner dans les airs, puis, dans la plus intention of doing that. I forgot that I was grande agitation, se posa dans la cour de la Ferme wearing iron shoes. Who will believe that I did des Animaux. Jones et tous ses ouvriers, not do this on purpose?” 63 “No sentimentality, comrade!” cried Snowball from whose wounds the blood was still dripping. “War is war. The only good human being is a dead one.” “I have no wish to take life, not even human life,” repeated Boxer, and his eyes were full of tears. “Where is Mollie?” exclaimed somebody. Mollie in fact was missing. For a moment there was great alarm; it was feared that the men might have harmed her in some way, or even carried her off with them. In the end, however, she was found hiding in her stall with her head buried among the hay in the manger. She had taken to flight as soon as the gun went off. And when the others came back from looking for her, it was to find that the stable-lad, who in fact was only stunned, had already recovered and made off. The animals had now reassembled in the wildest excitement, each recounting his own exploits in the battle at the top of his voice. An impromptu celebration of the victory was held immediately. The flag was run up and ‘Beasts of England’ was sung a number of times, then the sheep who had been killed was given a solemn funeral, a hawthorn bush being planted on her grave. At the graveside Snowball made a little speech, emphasising the need for all animals to be ready to die for Animal Farm if need be. The animals decided unanimously to create a military decoration, “Animal Hero, First Class,” which was conferred there and then on Snowball and Boxer. It consisted of a brass medal (they were really some old horse-brasses which had been found in the harness-room), to be worn on Sundays and holidays. There was also “Animal Hero, Second Class,” which was conferred posthumously on the dead sheep. There was much discussion as to what the battle should be called. In the end, it was named the Battle of the Cowshed, since that was where the ambush had been sprung. Mr. Jones’s gun had been found lying in the mud, and it was known that there was a supply of cartridges in the farmhouse. It was decided to set the gun up at the foot of the Flagstaff, like a piece of artillery, and to fire it twice a year-once on October the twelfth, the anniversary of the Battle of the Cowshed, and once on accompagnés d’une demi-douzaine d’hommes de main de Foxwood et de Pinchfield, avaient franchi la clôture aux cinq barreaux et gagnaient la maison par le chemin de terre. Tous étaient armés de gourdins, sauf Jones, qui, allait en tête, fusil en main. Sans nul doute, ils entendaient reprendre possession des lieux. A cela, on s’était attendu de longue date, et toutes précautions étaient prises. Boule de Neige avait étudié les campagnes de Jules César dans un vieux bouquin découvert dans le corps de logis, et il dirigeait les opérations défensives. Promptement, il donna ses ordres, et en peu de temps chacun fut à son poste. Comme les humains vont atteindre les dépendances, Boule de Neige, lance sa première attaque. Les pigeons, au nombre de trente cinq, survolent le bataillon ennemi à modeste altitude, et lâchent leurs fientes sur le crâne des assaillants. L’ennemi, surpris, doit bientôt faire face aux oies à l’embuscade derrière la haie, qui débouchent et chargent. Du bec, elles s’en prennent aux mollets. Encore ne sont-ce là qu’escarmouches et menues diversions ; bientôt, d’ailleurs, les humains repoussent les oies à grands coups de gourdins. Mais alors Boule de Neige lance sa seconde attaque. En personne, il conduit ses troupes à l’assaut, soit Edmée, la chèvre blanche, et tous les moutons. Et tous se ruent sur les hommes, donnant du boutoir et de la corne, les harcelant de toutes parts. Cependant, un rôle particulier est dévolu à l’âne Benjamin, qui tourne sur lui-même et de ses petits sabots décoche ruade après ruade. Mais, une nouvelle fois, les hommes prennent le dessus, grâce à leurs gourdins et à leurs chaussures ferrées. À ce moment, Boule de Neige pousse un cri aigu, signal de la retraite, et tous les animaux de tourner casaque, de fuir par la grande porte et de gagner la cour. Les hommes poussent des clameurs de triomphe. Et, croyant l’ennemi en déroute, ils se précipitent çà et là à ses trousses. 64 Midsummer Day, the anniversary of the C’est ce qu’avait escompté Boule de Neige. Dès Rebellion. que les hommes se furent bien avancés dans la cour, à ce moment surgissent de l’arrière les trois chevaux, les trois vaches et le gros des cochons, V As winter drew on, Mollie became more and jusque-là demeurés en embuscade dans l’étable. more troublesome. She was late for work every Les humains, pris à revers, voient leur retraite morning and excused herself by saying that she coupée. Boule de Neige donne le signal de la had overslept, and she complained of charge, lui-même fonçant droit sur Jones. Celui-ci, mysterious pains, although her appetite was prévenant l’attaque, lève son arme et tire. Les excellent. On every kind of pretext she would plombs se logent dans l’échine de Boule de Neige run away from work and go to the drinking pool, where she would stand foolishly gazing at et l’ensanglantent, et un mouton est abattu, her own reflection in the water. But there were mort. Sans se relâcher, Boule de Neige se jette de also rumours of something more serious. One tout son poids (cent vingt kilos) dans les jambes day, as Mollie strolled blithely into the yard, du propriétaire exproprié qui lâche son fusil et va flirting her long tail and chewing at a stalk of bouler sur un tas de fumier. Mais le plus hay, Clover took her aside. horrifiant, c’est encore Malabar cabré sur ses “Mollie,” she said, “I have something very pattes de derrière et frappant du fer de ses lourds serious to say to you. This morning I saw you looking over the hedge that divides Animal sabots avec une vigueur d’étalon. Le premier Farm from Foxwood. One of Mr. Pilkington’s coup, arrivé sur le crâne, expédie un palefrenier men was standing on the other side of the de Foxwood dans la boue, inerte. Voyant cela, hedge. And--I was a long way away, but I am plusieurs hommes lâchent leur gourdin et tentent almost certain I saw this--he was talking to you de fuir. C’est la panique chez l’ennemi. Tous les and you were allowing him to stroke your nose. animaux le prennent en chasse, le traquent What does that mean, Mollie?” autour de la cour, l’assaillent du sabot et de la “He didn’t! I wasn’t! It isn’t true!” cried Mollie, beginning to prance about and paw the ground. corne, culbutant, piétinant les hommes. Et pas un animal qui, à sa façon, ne tienne sa revanche, et “Mollie! Look me in the face. Do you give me même la chatte s’y met. Bondissant du toit tout à your word of honour that that man was not trac sur les épaules d’un vacher, elle lui enfonce stroking your nose?” les griffes dans le cou, ce qui lui arrache des “It isn’t true!” repeated Mollie, but she could hurlements. Mais, à un moment, sachant la voie not look Clover in the face, and the next moment she took to her heels and galloped libre, les hommes filent hors de la cour, puis s’enfuient sur la route, trop heureux d’en être away into the field. A thought struck Clover. Without saying quittes à bon compte. Ainsi, à cinq minutes de anything to the others, she went to Mollie’s l’invasion, et par le chemin même qu’ils avaient stall and turned over the straw with her hoof. pris, ils battaient en retraite, ignominieusement, Hidden under the straw was a little pile of lump un troupeau d’oies leurs chausses, leur mordant sugar and several bunches of ribbon of les jarrets et sifflant des huées. different colours. Three days later Mollie disappeared. For some weeks nothing was known of her whereabouts, then the pigeons reported that they had seen her on the other side of Willingdon. She was between the shafts of a smart dogcart painted Plus d’hommes sur les lieux, sauf un, le red and black, which was standing outside a palefrenier, gisant la face contre terre. Revenu public-house. A fat red-faced man in check dans la cour, Malabar effleurait le corps à petits breeches and gaiters, who looked like a publican, was stroking her nose and feeding her coups de sabot, s’efforçant de le retourner sur le 65 with sugar. Her coat was newly clipped and she wore a scarlet ribbon round her forelock. She appeared to be enjoying herself, so the pigeons said. None of the animals ever mentioned Mollie again. In January there came bitterly hard weather. The earth was like iron, and nothing could be done in the fields. Many meetings were held in the big barn, and the pigs occupied themselves with planning out the work of the coming season. It had come to be accepted that the pigs, who were manifestly cleverer than the other animals, should decide all questions of farm policy, though their decisions had to be ratified by a majority vote. This arrangement would have worked well enough if it had not been for the disputes between Snowball and Napoleon. These two disagreed at every point where disagreement was possible. If one of them suggested sowing a bigger acreage with barley, the other was certain to demand a bigger acreage of oats, and if one of them said that such and such a field was just right for cabbages, the other would declare that it was useless for anything except roots. Each had his own following, and there were some violent debates. At the Meetings Snowball often won over the majority by his brilliant speeches, but Napoleon was better at canvassing support for himself in between times. He was especially successful with the sheep. Of late the sheep had taken to bleating “Four legs good, two legs bad” both in and out of season, and they often interrupted the Meeting with this. It was noticed that they were especially liable to break into “Four legs good, two legs bad” at crucial moments in Snowball’s speeches. Snowball had made a close study of some back numbers of the ‘Farmer and Stockbreeder’ which he had found in the farmhouse, and was full of plans for innovations and improvements. He talked learnedly about field drains, silage, and basic slag, and had worked out a complicated scheme for all the animals to drop their dung directly in the fields, at a different spot every day, to save the labour of cartage. Napoleon produced no schemes of his own, but said quietly that Snowball’s would come to nothing, and seemed to be biding his time. But of all their controversies, none was so bitter as the one that took place over the windmill. dos. Le garçon ne bougeait plus. « Il est mort, dit Malabar, tout triste. Ce n’était pas mon intention de le tuer. J’avais oublié les fers de mes sabots. Mais qui voudra croire que je ne l’ai pas fait exprès. – Pas de sentimentalité, camarade ! s’écria Boule de Neige dont les blessures saignaient toujours. La guerre, c’est la guerre. L’homme n’est à prendre en considération que changé en cadavre. – Je ne veux assassiner personne, même pas un homme, répétait Malabar, en pleurs. – Où est donc Edmée ? » s’écria quelqu’un. De fait, Edmée était invisible. Les animaux étaient dans tous leurs états. Avait-elle été molestée, plus ou moins grièvement, ou peut-être même les hommes l’avaient-ils emmenée prisonnière ? Mais à la fin on la retrouva dans son box. Elle, s’y cachait, la tête enfouie dans le foin. Entendant une détonation, elle avait pris la fuite. Plus tard, quand les animaux revinrent dans la cour, ce fut pour s’apercevoir que le garçon d’écurie, ayant repris connaissance, avait décampé. De nouveau rassemblés, les animaux étaient au comble de l’émotion, et à tue-tête chacun racontait ses prouesses au combat. À l’improviste et sur-le-champ, la victoire fut célébrée. On hissa les couleurs, on chanta Bêtes d’Angleterre plusieurs fois de suite, enfin le mouton qui avait donné sa vie à la cause fut l’objet de funérailles solennelles. Sur sa tombe on planta une aubépine. Au bord de la fosse, Boule de Neige prononça une brève allocution : « Les animaux, déclara-t-il, doivent se tenir prêts à mourir pour leur propre ferme. » A l’unanimité une décoration militaire fut créée, celle de Héros-Animal, Première Classe, et elle fut conférée séance tenante à Boule de Neige et à 66 In the long pasture, not far from the farm buildings, there was a small knoll which was the highest point on the farm. After surveying the ground, Snowball declared that this was just the place for a windmill, which could be made to operate a dynamo and supply the farm with electrical power. This would light the stalls and warm them in winter, and would also run a circular saw, a chaff-cutter, a mangel-slicer, and an electric milking machine. The animals had never heard of anything of this kind before (for the farm was an old-fashioned one and had only the most primitive machinery), and they listened in astonishment while Snowball conjured up pictures of fantastic machines which would do their work for them while they grazed at their ease in the fields or improved their minds with reading and conversation. Within a few weeks Snowball’s plans for the windmill were fully worked out. The mechanical details came mostly from three books which had belonged to Mr. Jones--’One Thousand Useful Things to Do About the House’, ‘Every Man His Own Bricklayer’, and ‘Electricity for Beginners’. Snowball used as his study a shed which had once been used for incubators and had a smooth wooden floor, suitable for drawing on. He was closeted there for hours at a time. With his books held open by a stone, and with a piece of chalk gripped between the knuckles of his trotter, he would move rapidly to and fro, drawing in line after line and uttering little whimpers of excitement. Gradually the plans grew into a complicated mass of cranks and cog-wheels, covering more than half the floor, which the other animals found completely unintelligible but very impressive. All of them came to look at Snowball’s drawings at least once a day. Even the hens and ducks came, and were at pains not to tread on the chalk marks. Only Napoleon held aloof. He had declared himself against the windmill from the start. One day, however, he arrived unexpectedly to examine the plans. He walked heavily round the shed, looked closely at every detail of the plans and snuffed at them once or twice, then stood for a little while contemplating them out of the corner of his eye; then suddenly he lifted his leg, urinated over the plans, and walked out without uttering a word. The whole farm was deeply divided on the Malabar. Il s’agissait d’une médaille en cuivre (en fait, on l’avait trouvée dans la sellerie, car autrefois elle avait servi de parure au collier des chevaux), à porter les dimanches et jours fériés. Une autre décoration, celle de Héros-Animal, Deuxième Classe, fut, à titre posthume, décernée au mouton. Longtemps on discuta du nom à donner au combat, pour enfin retenir celui de bataille de l’Étable, vu que de ce point l’attaque victorieuse avait débouché. On ramassa dans la boue le fusil de Mr. Jones. Or on savait qu’il y avait des cartouches à la ferme. Aussi fut-il décidé de dresser le fusil au pied du mât, tout comme une pièce d’artillerie, et deux fois l’an de tirer une salve : le 12 octobre en souvenir de la bataille de l’Étable, et à la Saint-Jean d’été, jour commémoratif du Soulèvement. V L’hiver durait, et, de plus en plus, Lubie faisait des siennes. Chaque matin elle était en retard au travail, donnant pour excuse qu’elle ne s’était pas réveillée et se plaignant de douleurs singulières, en dépit d’un appétit robuste. Au moindre prétexte, elle quittait sa tâche et filait à l’abreuvoir, pour s’y mirer comme une sotte. Mais d’autres rumeurs plus alarmantes circulaient sur son compte. Un jour, comme elle s’avançait dans la cour, légère et trottant menu, minaudant de la queue et mâchonnant du foin, Douce la prit à part. « Lubie, dit-elle, j’ai à te parler tout à fait sérieusement. Ce matin, je t’ai vue regarder pardessus la haie qui sépare de Foxwood, la Ferme des Animaux. L’un des hommes de Mr. Pilkington se tenait de l’autre côté. Et… j’étais loin de là… 67 subject of the windmill. Snowball did not deny that to build it would be a difficult business. Stone would have to be carried and built up into walls, then the sails would have to be made and after that there would be need for dynamos and cables. (How these were to be procured, Snowball did not say.) But he maintained that it could all be done in a year. And thereafter, he declared, so much labour would be saved that the animals would only need to work three days a week. Napoleon, on the other hand, argued that the great need of the moment was to increase food production, and that if they wasted time on the windmill they would all starve to death. The animals formed themselves into two factions under the slogan, “Vote for Snowball and the three-day week” and “Vote for Napoleon and the full manger.” Benjamin was the only animal who did not side with either faction. He refused to believe either that food would become more plentiful or that the windmill would save work. Windmill or no windmill, he said, life would go on as it had always gone on--that is, badly. Apart from the disputes over the windmill, there was the question of the defence of the farm. It was fully realised that though the human beings had been defeated in the Battle of the Cowshed they might make another and more determined attempt to recapture the farm and reinstate Mr. Jones. They had all the more reason for doing so because the news of their defeat had spread across the countryside and made the animals on the neighbouring farms more restive than ever. As usual, Snowball and Napoleon were in disagreement. According to Napoleon, what the animals must do was to procure firearms and train themselves in the use of them. According to Snowball, they must send out more and more pigeons and stir up rebellion among the animals on the other farms. The one argued that if they could not defend themselves they were bound to be conquered, the other argued that if rebellions happened everywhere they would have no need to defend themselves. The animals listened first to Napoleon, then to Snowball, and could not make up their minds which was right; indeed, they always found themselves in agreement with the one who was speaking at the moment. At last the day came when Snowball’s plans j’en conviens… mais j’en suis à peu près certaine, j’ai vu qu’il te causait et te caressait le museau. Qu’est-ce que ça veut dire, ces façons, Lubie ? » Lubie se prit à piaffer et à caracoler, et elle dit : – Pas du tout ! Je lui causais pas ! Il m’a pas caressée ! C’est des mensonges ! – Lubie ! Regarde-moi bien en face. Donne-moi ta parole d’honneur qu’il ne te caressait pas le museau. – Des mensonges ! », répéta Lubie, mais elle ne put soutenir le regard de Douce, et l’instant d’après fit volte-face et fila au galop dans les champs. Soudain Douce eut une idée. Sans s’en ouvrir aux autres, elle se rendit au box de Lubie et à coups de sabots retourna la paille sous la litière, elle avait dissimulé une petite provision de morceaux de sucre, ainsi qu’abondance de rubans de différentes couleurs. Trois jours plus tard, Lubie avait disparu. Et trois semaines durant on ne sut rien de ses pérégrinations. Puis les pigeons rapportèrent l’avoir vue de l’autre côté de Willingdon, dans les brancards d’une charrette anglaise peinte en rouge et noir, à l’arrêt devant une taverne. Un gros homme au teint rubicond, portant guêtres et culotte de cheval, et ayant tout l’air d’un cabaretier, lui caressait le museau et lui donnait des sucres. Sa robe était tondue de frais et elle portait une mèche enrubannée d’écarlate. Elle avait l’air bien contente, à ce que dirent les pigeons. Par la suite, et à jamais, les animaux ignorèrent tout de ses faits et gestes. En janvier, ce fut vraiment la mauvaise saison. Le froid vous glaçait les sangs, le sol était dur comme du fer, le travail aux champs hors de question. De nombreuses réunions se tenaient dans la grange, et les cochons étaient occupés à établir le plan de la saison prochaine. On en était venu à admettre 68 were completed. At the Meeting on the following Sunday the question of whether or not to begin work on the windmill was to be put to the vote. When the animals had assembled in the big barn, Snowball stood up and, though occasionally interrupted by bleating from the sheep, set forth his reasons for advocating the building of the windmill. Then Napoleon stood up to reply. He said very quietly that the windmill was nonsense and that he advised nobody to vote for it, and promptly sat down again; he had spoken for barely thirty seconds, and seemed almost indifferent as to the effect he produced. At this Snowball sprang to his feet, and shouting down the sheep, who had begun bleating again, broke into a passionate appeal in favour of the windmill. Until now the animals had been about equally divided in their sympathies, but in a moment Snowball’s eloquence had carried them away. In glowing sentences he painted a picture of Animal Farm as it might be when sordid labour was lifted from the animals’ backs. His imagination had now run far beyond chaff-cutters and turnip-slicers. Electricity, he said, could operate threshing machines, ploughs, harrows, rollers, and reapers and binders, besides supplying every stall with its own electric light, hot and cold water, and an electric heater. By the time he had finished speaking, there was no doubt as to which way the vote would go. But just at this moment Napoleon stood up and, casting a peculiar sidelong look at Snowball, uttered a highpitched whimper of a kind no one had ever heard him utter before. At this there was a terrible baying sound outside, and nine enormous dogs wearing brass-studded collars came bounding into the barn. They dashed straight for Snowball, who only sprang from his place just in time to escape their snapping jaws. In a moment he was out of the door and they were after him. Too amazed and frightened to speak, all the animals crowded through the door to watch the chase. Snowball was racing across the long pasture that led to the road. He was running as only a pig can run, but the dogs were close on his heels. Suddenly he slipped and it seemed certain that they had him. Then he was up again, running faster than ever, then the dogs were gaining on him again. One of them all but que les cochons, étant manifestement les plus intelligents des animaux, décideraient à l’avenir de toutes questions touchant la politique de la ferme, sous réserve de ratification à la majorité des voix. Cette méthode aurait assez bien fait l’affaire sans les discussions entre Boule de Neige et Napoléon, mais tout sujet prêtant à contestation les opposait. L’un proposait-il un ensemencement d’orge sur une plus grande superficie : l’autre, immanquablement, plaidait pour l’avoine. Ou si l’un estimait tel champ juste ce qui convient aux choux : l’autre rétorquait betteraves. Chacun d’eux avait ses partisans, d’où la violence des débats. Lors des assemblées, Boule de Neige l’emportait souvent grâce à des discours brillants, mais entre-temps Napoléon était le plus apte à rallier le soutien des uns et des autres. C’est auprès des moutons qu’il réussissait le mieux. Récemment, ceux-ci s’étaient pris à bêler avec grand intérêt le slogan révolutionnaire : Quatrepattes, oui ! Deuxpattes, non ! à tout propos et hors de propos, et souvent ils interrompaient les débats de cette façon. On remarqua leur penchant à entonner leur refrain aux moments cruciaux des discours de Boule de Neige. Celui-ci avait étudié de près de vieux numéros d’un hebdomadaire consacré au fermage et à l’élevage, qu’il avait dénichés dans le corps du bâtiment principal, et il débordait de projets : innovations et perfectionnements. C’est en érudit qu’il parlait ensilage, drainage des champs, ou même scories mécaniques. Il avait élaboré un schéma compliqué : désormais les animaux déposeraient leurs fientes à même les champs, en un point différent chaque jour, afin d’épargner le transport. Napoléon ne soumit aucun projet, s’en tenant à dire que les plans de Boule de Neige tomberaient en quenouille. Il paraissait attendre son heure. Cependant, aucune de leurs controverses n’atteignit en âpreté celle du moulin à vent. Dominant la ferme, un monticule se dressait dans un grand pâturage proche des dépendances. Après avoir reconnu les lieux, Boule de Neige 69 closed his jaws on Snowball’s tail, but Snowball whisked it free just in time. Then he put on an extra spurt and, with a few inches to spare, slipped through a hole in the hedge and was seen no more. Silent and terrified, the animals crept back into the barn. In a moment the dogs came bounding back. At first no one had been able to imagine where these creatures came from, but the problem was soon solved: they were the puppies whom Napoleon had taken away from their mothers and reared privately. Though not yet full-grown, they were huge dogs, and as fierce-looking as wolves. They kept close to Napoleon. It was noticed that they wagged their tails to him in the same way as the other dogs had been used to do to Mr. Jones. Napoleon, with the dogs following him, now mounted on to the raised portion of the floor where Major had previously stood to deliver his speech. He announced that from now on the Sunday-morning Meetings would come to an end. They were unnecessary, he said, and wasted time. In future all questions relating to the working of the farm would be settled by a special committee of pigs, presided over by himself. These would meet in private and afterwards communicate their decisions to the others. The animals would still assemble on Sunday mornings to salute the flag, sing ‘Beasts of England’, and receive their orders for the week; but there would be no more debates. In spite of the shock that Snowball’s expulsion had given them, the animals were dismayed by this announcement. Several of them would have protested if they could have found the right arguments. Even Boxer was vaguely troubled. He set his ears back, shook his forelock several times, and tried hard to marshal his thoughts; but in the end he could not think of anything to say. Some of the pigs themselves, however, were more articulate. Four young porkers in the front row uttered shrill squeals of disapproval, and all four of them sprang to their feet and began speaking at once. But suddenly the dogs sitting round Napoleon let out deep, menacing growls, and the pigs fell silent and sat down again. Then the sheep broke out into a tremendous bleating of “Four legs good, two legs bad!” which went on for nearly a quarter of an hour and put an end to any chance of discussion. affirma y voir l’emplacement idéal d’un moulin à vent. Celui-ci, grâce à une génératrice, alimenterait la ferme en électricité. Ainsi éclairerait-on écurie, étable et porcherie, et les chaufferait-on en hiver. Le moulin actionnerait encore un hache-paille, une machine à couper la betterave, une scie circulaire, et il permettrait la traite mécanique. Les animaux n’avaient jamais entendu parler de rien de pareil (car cette ferme vieillotte n’était pourvue que de l’outillage le plus primitif). Aussi écoutaient-ils avec stupeur Boule de Neige évoquant toutes ces machines mirifiques qui feraient l’ouvrage à leur place tandis qu’ils paîtraient à loisir ou se cultiveraient l’esprit par la lecture et la conversation. En quelques semaines, Boule de Neige mit définitivement au point ses plans. La plupart des détails techniques étaient empruntés à trois livres ayant appartenu à Mr. Jones : un manuel du bricoleur, un autre du maçon, un cours d’électricité pour débutants. Il avait établi son cabinet de travail dans une couveuse artificielle aménagée en appentis. Le parquet lisse de l’endroit étant propice à qui veut dresser des plans, il s’enfermait là des heures durant : une pierre posée sur les livres pour les tenir ouverts, un morceau de craie fixé à la patte, allant et venant, traçant des lignes, et de temps à autre poussant de petits grognements enthousiastes. Les plans se compliquèrent au point de bientôt n’être qu’un amas de manivelles et pignons, couvrant plus de la moitié du parquet. Les autres animaux, absolument dépassés, étaient transportés d’admiration. Une fois par jour au moins, tous venaient voir ce qu’il était en train de dessiner, et même les poules et canards, qui prenaient grand soin de contourner les lignes tracées à la craie. Seul Napoléon se tenait à l’écart. Dès qu’il en avait été question, il s’était déclaré hostile au moulin à vent. Un jour, néanmoins, il se présenta à l’improviste, pour examiner les plans. De sa démarche lourde, il arpenta la pièce, braquant un regard attentif sur chaque détail, et il renifla de dédain une fois ou 70 Afterwards Squealer was sent round the farm to explain the new arrangement to the others. “Comrades,” he said, “I trust that every animal here appreciates the sacrifice that Comrade Napoleon has made in taking this extra labour upon himself. Do not imagine, comrades, that leadership is a pleasure! On the contrary, it is a deep and heavy responsibility. No one believes more firmly than Comrade Napoleon that all animals are equal. He would be only too happy to let you make your decisions for yourselves. But sometimes you might make the wrong decisions, comrades, and then where should we be? Suppose you had decided to follow Snowball, with his moonshine of windmills-Snowball, who, as we now know, was no better than a criminal?” “He fought bravely at the Battle of the Cowshed,” said somebody. “Bravery is not enough,” said Squealer. “Loyalty and obedience are more important. And as to the Battle of the Cowshed, I believe the time willcome when we shall find that Snowball’s part in it was much exaggerated. Discipline, comrades, iron discipline! That is the watchword for today. One false step, and our enemies would be upon us. Surely, comrades, you do not want Jones back?” Once again this argument was unanswerable. Certainly the animals did not want Jones back; if the holding of debates on Sunday mornings was liable to bring him back, then the debates must stop. Boxer, who had now had time to think things over, voiced the general feeling by saying: “If Comrade Napoleon says it, it must be right.” And from then on he adopted the maxim, “Napoleon is always right,” in addition to his private motto of “I will work harder.” By this time the weather had broken and the spring ploughing had begun. The shed where Snowball had drawn his plans of the windmill had been shut up and it was assumed that the plans had been rubbed off the floor. Every Sunday morning at ten o’clock the animals assembled in the big barn to receive their orders for the week. The skull of old Major, now clean of flesh, had been disinterred from the orchard and set up on a stump at the foot of the flagstaff, beside the gun. After the hoisting of the flag, the animals were required to file past the skull in a reverent manner deux. Un instant, il s’arrêta à lorgner le travail du coin de l’œil, et soudain il leva la patte et incontinent compissa le tout. Ensuite, il sortit sans dire mot. Toute la ferme était profondément divisée sur la question du moulin à vent. Boule de Neige ne niait pas que la construction en serait malaisée. Il faudrait extraire la pierre de la carrière pour en bâtir les murs, puis fabriquer les ailes, ensuite il faudrait encore se procurer les dynamos et les câbles. (Comment ? Il se taisait là-dessus.) Pourtant, il ne cessait d’affirmer que le tout serait achevé en un an. Dans la suite, il déclara que l’économie en main d’œuvre permettrait aux animaux de ne plus travailler que trois jours par semaine. Napoléon, quant à lui, arguait que l’heure était à l’accroissement de la production alimentaire. « Perdez votre temps, disait-il, à construire un moulin à vent, et tout le monde crèvera de faim. » Les animaux se constituèrent en factions rivales, avec chacune son mot d’ordre, pour l’une : « Votez pour Boule de Neige et la semaine de trois jours ! », pour l’autre « Votez pour Napoléon et la mangeoire pleine ! » Seul Benjamin ne s’enrôla sous aucune bannière. Il se refusait à croire à l’abondance de nourriture comme à l’extension des loisirs. Moulin à vent ou pas, disait-il, la vie continuera pareil, mal, par conséquent. Outre les controverses sur le moulin à vent, se posait le problème de la défense de la ferme. On se rendait pleinement compte que les humains, bien qu’ils eussent été défaits à la bataille de l’Étable, pourraient bien revenir à l’assaut, avec plus de détermination cette fois, pour rétablir Mr. Jones à la tête du domaine. Ils y auraient été incités d’autant plus que la nouvelle de leur débâcle avait gagné les campagnes, rendant plus récalcitrants que jamais les animaux des fermes. Comme à l’accoutumée, Boule de Neige et Napoléon s’opposaient. Suivant Napoléon, les 71 before entering the barn. Nowadays they did not sit all together as they had done in the past. Napoleon, with Squealer and another pig named Minimus, who had a remarkable gift for composing songs and poems, sat on the front of the raised platform, with the nine young dogs forming a semicircle round them, and the other pigs sitting behind. The rest of the animals sat facing them in the main body of the barn. Napoleon read out the orders for the week in a gruff soldierly style, and after a single singing of ‘Beasts of England’, all the animals dispersed. On the third Sunday after Snowball’s expulsion, the animals were somewhat surprised to hear Napoleon announce that the windmill was to be built after all. He did not give any reason for having changed his mind, but merely warned the animals that this extra task would mean very hard work, it might even be necessary to reduce their rations. The plans, however, had all been prepared, down to the last detail. A special committee of pigs had been at work upon them for the past three weeks. The building of the windmill, with various other improvements, was expected to take two years. That evening Squealer explained privately to the other animals that Napoleon had never in reality been opposed to the windmill. On the contrary, it was he who had advocated it in the beginning, and the plan which Snowball had drawn on the floor of the incubator shed had actually been stolen from among Napoleon’s papers. The windmill was, in fact, Napoleon’s own creation. Why, then, asked somebody, had he spoken so strongly against it? Here Squealer looked very sly. That, he said, was Comrade Napoleon’s cunning. He had SEEMED to oppose the windmill, simply as a manoeuvre to get rid of Snowball, who was a dangerous character and a bad influence. Now that Snowball was out of the way, the plan could go forward without his interference. This, said Squealer, was something called tactics. He repeated a number of times, “Tactics, comrades, tactics!” skipping round and whisking his tail with a merry laugh. The animals were not certain what the word meant, but Squealer spoke so persuasively, and the three dogs who happened to be with him growled so threateningly, that they accepted his explanation without further questions. animaux de la ferme devaient se procurer des armes et s’entraîner à s’en servir. Suivant Boule de Neige, ils devaient dépêcher vers les terres voisines un nombre de pigeons toujours accru afin de fomenter la révolte chez les animaux des autres exploitations. Le premier soutenait que, faute d’être à même de se défendre, les animaux de la ferme couraient au désastre ; le second, que des soulèvements en chaîne auraient pour effet de détourner l’ennemi de toute tentative de reconquête. Les animaux écoutaient Napoléon, puis Boule de Neige, mais ils ne savaient pas à qui donner raison. De fait, ils étaient toujours de l’avis de qui parlait le dernier. Le jour vint où les plans de Boule de Neige furent achevés. À l’assemblée tenue le dimanche suivant, la question fut mise aux voix : fallait-il ou non commencer la construction du moulin à vent ? Une fois les animaux réunis dans la grange, Boule de Neige se leva et, quoique interrompu de temps à autre par les bêlements des moutons, exposa les raisons qui plaidaient en faveur du moulin à vent. Puis Napoléon se leva à son tour. Le moulin à vent, déclara-t-il avec beaucoup de calme, est une insanité. Il déconseillait à tout le monde de voter le projet. Et, ayant tranché, il se rassit n’ayant pas parlé trente secondes, et semblant ne guère se soucier de l’effet produit. Sur quoi Boule de Neige bondit. Ayant fait taire les moutons qui s’étaient repris à bêler, il se lança dans un plaidoyer d’une grande passion en faveur du moulin à vent. Jusque-là, l’opinion flottait, partagée en deux. Mais bientôt les animaux furent transportés par l’éloquence de Boule de Neige qui, en termes flamboyants, brossa un tableau du futur à la Ferme des Animaux. Plus de travail sordide, plus d’échines ployées sous le fardeau ! Et l’imagination aidant, Boule de Neige, loin désormais des hache-paille et des coupebetteraves, loua hautement l’électricité. Celle-ci, proclamait-il, actionnera batteuse et charrues, herses et moissonneuses-lieuses. En outre, elle permettra d’installer dans les étables la lumière, le chauffage, l’eau courante chaude et froide. 72 Quand il se rassit, nul doute ne subsistait sur l’issue du vote. À ce moment, toutefois, Napoléon se leva, jeta sur Boule de Neige un regard oblique et singulier, et poussa un gémissement dans l’aigu que personne ne lui avait encore entendu pousser. Sur quoi, ce sont dehors des aboiements affreux, et bientôt se ruent à l’intérieur de la grange neuf molosses portant des colliers incrustés de cuivre. Ils se jettent sur Boule de Neige, qui, de justesse échappe à leurs crocs. L’instant d’après, il avait passé la porte, les chiens à ses trousses. Alors, trop abasourdis et épouvantés pour élever la voix, les animaux se pressèrent en cohue vers la sortie, pour voir la poursuite. Boule de Neige détalait par le grand pâturage qui mène à la route. Il courait comme seul un cochon peut courir, les chiens sur ses talons. Mais tout à coup voici qu’il glisse, et l’on croit que les chiens sont sur lui. Alors il se redresse, et file d’un train encore plus vif. Les chiens regagnent du terrain, et l’un d’eux, tous crocs dehors, est sur le point de lui mordre la queue quand, de justesse, il l’esquive. Puis, dans un élan suprême, Boule de Neige se faufile par un trou dans la haie, et on ne le revit plus. En silence, terrifiés, les animaux regagnaient la grange. Bientôt les chiens revenaient, et toujours au pas accéléré. Tout d’abord, personne ne soupçonna d’où ces créatures pouvaient bien venir, mais on fut vite fixé : car c’étaient là les neuf chiots que Napoléon avait ravis à leurs mères et élevés en secret. Pas encore tout à fait adultes, déjà c’étaient des bêtes énormes, avec l’air féroce des loups. Ces molosses se tenaient aux côtés de Napoléon, et l’on remarqua qu’ils frétillaient de la queue à son intention, comme ils avaient l’habitude de faire avec Jones. Napoléon, suivi de ses molosses, escaladait maintenant l’aire surélevée du plancher d’où Sage l’Ancien, naguère, avait prononcé son discours. Il 73 annonça que dorénavant il ne se tiendrait plus d’assemblées du dimanche matin.. Elles ne servaient à rien, déclara-t-il pure, perte de temps. À l’avenir, toutes questions relatives à la gestion de la ferme seraient tranchées par un comité de cochons, sous sa propre présidence. Le comité se réunirait en séances privées, après quoi les décisions seraient communiquées aux autres animaux. On continuerait de se rassembler le dimanche matin pour le salut au drapeau, chanter Bêtes d’Angleterre et recevoir les consignes de la semaine. Mais les débats publics étaient abolis. Encore sous le choc de l’expulsion de Boule de Neige, entendant ces décisions les animaux furent consternés. Plusieurs d’entre eux auraient protesté si des raisons probantes leur étaient venues à l’esprit. Même Malabar était désemparé, à sa façon confuse. Les oreilles rabattues-et sa mèche lui fouettant le visage, il essayait bien de rassembler ses pensées, mais rien ne lui venait. Toutefois, il se produisit des remous dans le clan même des cochons, chez ceux d’esprit délié. Au premier rang, quatre jeunes gorets piaillèrent leurs protestations, et, dressés sur leurs pattes de derrière, incontinent ils se donnèrent la parole. Soudain, menaçants et sinistres, les chiens assis autour de Napoléon se prirent à grogner, et les porcelets se turent et se rassirent. Puis ce fut le bêlement formidable du chœur des moutons : Quatrepattes, oui ! Deuxpattes, non ! qui se prolongea presque un quart d’heure, ruinant toute chance de discussion. Par la suite, Brille-Babil fut chargé d’expliquer aux animaux, les dispositions nouvelles. « Camarades, disait-il, je suis sûr que chaque animal apprécie à sa juste valeur le sacrifice consenti par le camarade Napoléon à qui va incomber une tâche supplémentaire. N’allez pas imaginer, camarades, que gouverner est une partie de plaisir ! Au contraire, c’est une lourde, une écrasante responsabilité. De l’égalité de tous les animaux, nul n’est plus fermement convaincu 74 que le camarade Napoléon. Il ne serait que trop heureux de s’en remettre à vous de toutes décisions. Mais il pourrait vous arriver de prendre des décisions erronées, et où cela mènerait-il alors ? Supposons qu’après avoir écouté les billevesées du moulin à vent, vous ayez pris le parti de suivre Boule de Neige qui, nous le savons aujourd’hui, n’était pas plus qu’un criminel ? – Il s’est conduit en brave à la bataille de l’Étable, dit quelqu’un. – La bravoure ne suffit pas, reprit Brille-Babil. La loyauté et l’obéissance passent avant. Et, pour la bataille de l’Étable, le temps viendra, je le crois, où l’on s’apercevra que le rôle de Boule de Neige a été très exagéré. De la discipline, camarades, une discipline de fer ! Tel est aujourd’hui le mot d’ordre. Un seul faux pas, et nos ennemis nous prennent à la gorge. À coup sûr, camarades, vous ne désirez pas le retour de Jones ? » Une fois de plus, l’argument était sans réplique. Les animaux, certes, ne voulaient pas du retour de Jones. Si les débats du dimanche matin étaient susceptibles de le ramener, alors, qu’on y mette un terme. Malabar, qui maintenant pouvait méditer à loisir, exprima le sentiment général : « Si c’est le camarade Napoléon qui l’a dit, ce doit être vrai. » Et, de ce moment, en plus de sa devise propre : « Je vais travailler plus dur », il prit pour maxime « Napoléon ne se trompe jamais. » Le temps se radoucissait, on avait commencé les labours de printemps. L’appentis où Boule de Neige avait dressé ses plans du moulin avait été condamné. Quant aux plans mêmes, on se disait que le parquet n’en gardait pas trace. Et chaque dimanche matin, à dix heures, les animaux se réunissaient dans la grange pour recevoir les instructions hebdomadaires On avait déterré du verger le crâne de Sage l’Ancien, désormais dépouillé de toute chair, afin de l’exposer sur une souche au pied du mât, à côté du fusil. Après le salut au drapeau, et avant d’entrer dans la grange, les animaux étaient requis de défiler 75 devant le crâne, en signe de vénération. Une fois dans la grange, désormais ils ne s’asseyaient plus, comme dans le passé, tous ensemble. Napoléon prenait place sur le devant de l’estrade, en compagnie de Brille et de Minimus (un autre cochon, fort noué, lui, pour composer chansons et poèmes). Les neuf molosses se tenaient autour d’eux en demi-cercle, et le reste des cochons s’asseyaient derrière eux, les autres animaux leur faisant face. Napoléon donnait lecture des consignes de la semaine sur un ton bourru et militaire. On entonnait Bêtes d’Angleterre, une seule fois, et c’était la dispersion. Le troisième dimanche après l’expulsion de Boule de Neige, les animaux furent bien étonnés d’entendre, de la bouche de Napoléon qu’on allait construire le moulin, après tout. Napoléon ne donna aucune raison à l’appui de ce retournement, se contentant d’avertir les animaux qu’ils auraient à travailler très dur. Et peut-être serait-il même nécessaire de réduire les rations. En tout état de cause, le plan avait été minutieusement préparé dans les moindres détails. Un comité de cochons constitué à cet effet, lui avait consacré les trois dernières semaines. Jointe à différentes autres améliorations, la construction du moulin devrait prendre deux ans. Ce soir-là, Brille-Babil prit à part les autres animaux, leur expliquant que Napoléon n’avait jamais été vraiment hostile au moulin. Tout au contraire, il l’avait préconisé le tout premier. Et, pour les plans dessinés par Boule de Neige sur le plancher de l’ancienne couveuse, ils avaient été dérobés dans les papiers de Napoléon. Bel et bien, le moulin à vent était en propre, l’œuvre de Napoléon Pourquoi donc, s’enquit alors quelqu’un, Napoléon s’est-il élevé aussi violemment contre la construction de ce moulin ? A ce point, Brille-Babil prit son air le plus matois, disant combien c’était astucieux de Napoléon d’avoir paru hostile au moulin – un simple artifice pour se défaire de Boule de Neige, un individu 76 pernicieux, d’influence funeste. Celui-ci évincé, le projet pourrait se matérialiser sans entrave puisqu’il ne s’en mêlerait plus. Cela, dit BrilleBabil, c’est ce qu’on appelle la tactique. À plusieurs reprises, sautillant et battant l’air de sa queue et se pâmant de rire, il déclara : « De la tactique, camarades, de la tactique ! » Ce mot laissait les animaux perplexes ; mais ils acceptèrent les explications, sans plus insister, tant Brille-Babil s’exprimait de façon persuasive, et tant grognaient d’un air menaçant les trois molosses qui se trouvaient être de sa compagnie. Corpus Follin 77 Septembre Never the deux shall meet Septembre Nous deux is not possible The year does not begin in January. Every French L’année ne commence pas le 1er janvier, tous les person knows that. Only awkward English- Français savent ça. Il n’y a que ces fous d’Anglo-Saxons speakers think it starts in January. The year really pour croire un truc pareil. En réalité, l’année commence le premier lundi de septembre. Le jour où begins on the first Monday of September. les Parisiens récupèrent leurs bureaux après leur mois This is when Parisians get back to their desks after de vacances et se remettent à travailler le their month-long holiday and begin working out temps de décider où ils partiront à la Toussaint. where they’ll go for the mid-term break in C’est aussi le jour où les Français se lancent dans des November. projets nouveaux tels que It’s also when every French project, from a new hairdo to a nuclear power station, gets under way, changer de coiffure ou construire un réacteur nucléaire. which is why , at 9am on the first Monday of September, I was standing a hundred yards from Voilà pourquoi à 9 heures du matin, ce premier lundi de septembre, j’étais planté à cent mètres des Champsthe Champs-Elysées watching people kissing. Élysées au milieu de gens en train de s’embrasser. My good friend Chris told me not to come to France. Great lifestyle, he said, great food, and totally unpolitically correct women with great underwear. But, he warned me, the French are hell to live with. He worked in the London office of a French bank for three years. “They made all us Brits redundant the day after the French football team got knocked out of the World Cup. No way was that a coincidence,” he told me. His theory was that the French are like the woman scorned. Back in 1940 they tried to tell us they loved us, but we just laughed at their accents and their big-nosed Général de Gaulle, and ever since we’ve done nothing but poison them with our disgusting food and try to wipe the French language off the face of the Earth. That’s why they built refugee camps yards from the Eurotunnel entrance and refuse to eat our beef years after it was declared safe. It’s permanent payback time, Mon ami Chris m’avait prévenu : « Ne va pas en France. Là-bas la vie est classe : bouffe classe, femmes politiquement très incorrectes, sous-vêtements classes. L’ennui, c’est que les Français sont impossibles à vivre. » Il tenait son expérience de trois années passées dans la succursale londonienne d’une banque française. « Le lendemain du jour où la France s’est fait sortir de la Coupe du Monde, me dit-il, tous les Anglais de la boîte ont été virés. Pure coïncidence, bien sûr. » Sa théorie : les Français se comportent comme une femme dédaignée. Jadis, en 1940, ils ont bien essayé de nous déclarer leur flamme ; nous avons répondu par des ricanements à propos de leur accent et de leur général à gros nez, de Gaulle. Depuis, nous ne pensons qu’à les empoisonner avec notre nourriture infecte et à éradiquer la langue française de la surface du monde. Pour se venger, ils construisent des camps de réfugiés à l’entrée de l’Eurotunnel et refusent toujours 78 he said. Don’t go there. Sorry, I told him, I’ve got de manger de notre vache, to go and check out that underwear. qu’elle a été reconnue saine. des années après – Les Français vivent dans la représaille permanente, avait conclu Chris. N’y va pas. – Excuse-moi, avais-je répondu, mais je dois tirer au clair cette affaire de sous- vêtements. Logiquement, enfin je crois, prendre un boulot Normally, I suppose you would be heading for à l’étranger dans le seul but d’étudier la lingerie disaster if the main motivation for your job fine du pays devrait conduire tout droit au désastre. mobility was the local lingerie, but my one-year Mais mon contrat de un an me paraissait alors regorger de promesses. contract started very promisingly. Je trouvai le siège de mon nouvel employeur – un immeuble XIXème siècle de grand style, taillé dans une I found my new employer’s offices --a grand- pierre dorée – et débarquai en pleine orgie. looking 19th-century building sculpted out of milky-gold stone — and walked straight into an orgy. Des gens s’embrassaient en attendant l’ascenseur. Ils There were people kissing while waiting for the s’embrassaient devant les machines à café. Étirée pardessus son comptoir, la réceptionniste bécotait une lift. People kissing in front of a drinks machine. collègue – la fille qui était entrée dans l’immeuble juste Even the receptionist was leaning across her devant moi. counter to smooch with someone — a woman, too Qu’une épidémie d’herpès facial commence et ils — who’d entered the building just ahead of me. seraient tous obligés de se mettre des préservatifs Wow, I thought, if there’s ever a serious epidemic sur la tête. of facial herpes, they'll have to get condoms for their heads. Je n’ignorais pas la passion des Français pour les bises sur la joue, bien entendu. Seulement je n’imaginais pas Of course I knew the French went in for cheekque c’était à ce point. Je me demandai même si l’entreprise n’obligeait pas les employés à se charger kissing, but not on this scale. I wondered if it d’ecstasy avant qu’ils se mettent au travail. wasn’t company policy to get a neckload of Ecstasy before coming into work. Je m’approchai de la réception. Les deux filles avaient cessé de se bécoter et elles échangeaient des nouvelles. À l’évidence, cette entreprise n’adhérait I edged closer to the reception desk where the two pas au dogme de la réceptionniste canon. Celle-ci avait women had stopped kissing and were now des traits conçus pour faire la gueule, pas pour sourire. exchanging news. The company obviously didn’t Là, elle était en train de râler, pour une raison qui believe in glamorous front-office girls, because the m’échappait. 79 receptionist had a masculine face that seemed much more suited to scowling than smiling. She was complaining about something I didn’t Je lui décochai mon sourire « petit garçon gentil ». Pas de réaction. Pendant une longue minute, je gardai la understand. pose « Coucou je suis là et je ne serais pas fâché qu’on me demande pourquoi ». Écran blanc. Je fis alors un pas I beamed my keenest new-boy smile at her. No en avant et déclamai la phrase qui était censée m’ouvrir acknowledgement. I stood in the “yes, I’m here toutes les portes : « Bonjour, je suis Paul West. Je viens and I wouldn’t mind being asked the purpose of voir M. Martin. » my visit” zone for a full minute. Zilch. So I stepped forward and spouted out the password I’d Les deux filles parlèrent d’un «déjeuner » – le memorized: “Bonjour, je suis Paul West. Je viens lunch, ça je le savais –, échangèrent une demi-douzaine de gestes signifiant sans doute voir Monsieur Martin.” possible « Je te rappelle ! », et finalement, la The two women gabbled on about having réceptionniste pivota vers moi. “déjeuner”, which I knew was lunch, and they « Monsieur ? » Pas le moindre mot d’excuse. made at least half a dozen I’ll-phone-you gestures Elles se faisaient des bises entre elles, mais moi je before the receptionist finally turned to me. pouvais me faire biser ailleurs. “Monsieur?” No apology. They might kiss each Je répétai mon mot de passe. Ou tentai de le faire, other, but I could kiss off. plutôt. « Bonjour, je... » Mais alors, la tête farcie de colère et de macédoine linguistique, il n’y avait plus rien I repeated my password. Or tried to. à attendre. “Bonjour, je . . .” No, my head was full of suppressed anger and linguistic spaghetti. “Paul « Paul West, lâchai-je. M. Martin. » À quoi bon West,” I said. “Monsieur Martin.” Who needs les verbes ? Je réussis malgré tout un second sourire engageant. verbs? La réceptionniste – badge : Marianne, profil : Hannibal Lecter – émit en retour un tsss tsss agacé. Je l’entendais presque penser, peut pas parler français comme tout le monde, encore un qui se moque de De Gaulle à cause de son nez. L’enfoiré. I managed another willing smile. « J’appelle son assistante », dit-elle (enfin je The receptionist — name badge: Marianne, suppose). Elle décrocha le téléphone et enfonça personality: Hannibal Lecter — tutted in reply. I une touche, sans cesser de me scanner de la tête aux could almost hear her thinking, can’t speak any pieds et ça se voyait sur son visage : je n’avais pas le niveau pour rencontrer le patron. French. Probably thinks De Gaulle had a big nose. Avais-je donc à ce point l’air d’un plouc ? J’avais commis un gros effort pour me faire aussi chic qu’un “I’ll call his assistant,” she said, probably. She Britannique doit l’être à Paris. Mon meilleur costume Paul Smith gris sombre (mon unique costume Paul picked up the phone and punched in a number, all Smith). Une chemise d’un blanc aveuglant, qu’on the while giving me a tip-to-toe inspection as if she aurait dit tissée dans un ver à soie nourri à l’eau de didn’t think I was of the required standard to meet Javel, plus une cravate Hermès aux tons électriques Bastard. 80 the boss. Do I really look that bad?, I wondered. I’d made an effort to be as chic as a Brit in Paris should be. My best grey-black Paul Smith suit (my only Paul Smith suit). A shirt so white that it looked as if it’d been made from silkworms fed on bleach, and an electrically zingy Hermes tie that could have powered the whole Paris metro if I’d plugged it in. I’d even worn my black silk boxers to give my selfesteem an invisible boost. French women aren’t the only ones who can do underwear. capable d’alimenter le métro de Paris si on la connectait au réseau. J’avais même enfilé mon caleçon de soie noire pour raffermir discrètement mon assurance. Les Françaises ne sont pas les seules à jouer du sous-vêtement. Je ne méritais en rien ce regard écrasant de mépris, encore moins si je me référais à l’allure des gens que je voyais entrer dans l’immeuble – types fagotés en employés de bureau, filles en jupes de chez le fripier et abondance de chaussures orthopédiques. No way did I deserve such a withering look, especially not in comparison to most of the people – Christine ? J’ai ici un monsieur... ? fit la Marianne I’d seen entering the building — guys looking like réceptionniste en louchant de mon côté. Dilbert, women in drab catalogue skirts, lots of C’était à moi de parler, mais pour dire quoi ? excessively comfortable shoes. – Votre nom ? grogna Marianne en levant les yeux au ciel et en faisant du dernier mot un râle de désespoir devant ma stupidité de limace. – Paul West. *** “Christine? ]’ai un Monsieur—?” Marianne the receptionist squinted over at me. This was my cue to do something, but what? “Votre nom?” Marianne asked, rolling her eyes upwards and turning the last word into a huff of despair at my slug-like stupidity. “Paul West.” – Polouess, répéta plus ou moins Marianne. Un visiteur pour M. Martin. – Elle raccrocha. – Asseyez-vous ici, articula-t-elle dans un français pour Alzheimer. C’est clair, le patron se garde les canons pour lui, pensai-je en suivant Christine, l’assistante qui m’escortait au cinquième étage, une grande brune, port de reine, lèvres sombres, sourire qui lasérise le pantalon d’un homme à vingt pas. Et j’étais tout contre elle dans l’ascenseur, à quelques centimètres, mes yeux dans ses yeux, respirant son parfum. Subtilement cannelle. Cette fille avait l’odeur comestible. “Pol Wess,” Marianne said, “a visitor for Monsieur Martin.” She hung up. “Sit over there,” she said in C’était une de ces occasions où on se dit, allez slow, talking-to-Alzheimer-sufferer French. ascenseur, tombe en panne, et vite. Coince-nous entre deux étages. Je viens de pisser, je peux attendre. Laissemoi juste une heure ou deux, le temps d’imposer mon The boss evidently kept the glamorous ones in his charme à un public captif. office, because Christine, the assistant who took Problème : me up to the fifth floor, was a tall brunette with je devrais d’abord lui apprendre 81 poise and a dark-lipped smile that would have melted a man’s trousers at twenty paces. I was standing mere inches away from her in the lift, looking deep down into her eyes, breathing in her perfume. Slightly cinnamon. She smelt edible. l’anglais. Car quand j’avais essayé d’entamer la conversation, elle avait eu un sourire accablé et s’était excusée en français de ne pas comprendre un traître mot. Enfin, voilà au moins une Parisienne qui ne semblait pas me détester. It was one of those occasions when you think, come on, lift, conk out now. Get jammed between two floors. I’ve had a pee, I can take the wait. Just Nous arrivâmes dans un couloir bizarre : quelque give me an hour or two to work my charm with a chose entre le manoir gothique et le semi-remorque à double vitrage. Un interminable tapis de style oriental captive audience. couvrait tout le sol à l’exception de quelques lattes de plancher ciré et grinçant. Plafonds et murs s’ornaient de plâtres moulés à l’antique, Trouble is, I would have had to teach her English avec grand renfort de spirales, mais on avait first. When I tried to chat her up, she just smiled arraché de leurs gonds les portes d’origine pour les stunningly and apologized in French for not remplacer par des vitres fumées pur vintage années understanding a bloody word. Still, here at least 1970. Enfin, comme pour masquer le choc des was one Parisienne who didn't seem to hate me. styles, les murs étaient bordés de plantes vertes en nombre suffisant pour héberger une guerre tropicale. Christine toqua à l’une des portes vitrées. « Entrez ! » répondit une voix mâle. Je poussai la porte et me We emerged in a corridor that was like a collision trouvai face à lui, mon nouveau patron, installé devant between a gothic mansion and a double-glazing un décor naturel : la tour Eiffel pointée comme un doigt lorry. A long oriental-looking carpet covered all but géant dans un ciel nuageux. the narrow margins of creaky, polished floorboards. The ceiling and walls of the corridor Il se leva et contourna son bureau pour m’accueillir. were decorated with great swirls of antique – Monsieur Martin, dis-je en tendant la main. Heureux moulded plasterwork, but the original doors had de vous revoir. been ripped off their hinges and replaced with 70s-vintage tinted glass. As if to cover up the clash – Appelez-moi Jean-Marie, répondit-il dans un of styles, the corridor was lined with enough excellent anglais, malgré un soupçon d’accent. (Il s’empara de ma main et m’attira vers lui, assez près greenleaved plants to host a jungle War. pour un de leurs fameux frotte-joues. Mais non, il se contenta de me tapoter l’épaule.) Bienvenue en France. Christine knocked on a glass door and a malt» *** voice called, “Entrez!” Grand Dieu, pensai-je. Enfin une personne qui ne me déteste pas. I went in and there he was, set against a backa, ground of the Eiffel Tower poking its finger into un président de société, Jean-Marie the cloudy sky. My new boss stood up and walked Pour avait l’air extrêmement cool. La cinquantaine, mais around his desk to greet me. l’œil noir étincelant de jeunesse, un front dégarni mais le cheveu coiffé court en arrière, masquant une calvitie 82 naissante. Chemise bleu roi et cravate mordorée d’un chic sans effort. Visage ouvert, amical. Il commanda him to shake. “Pleased to see you again. ” des cafés et je remarquai qu’il disait « tu » à “You must call me ]ean—Marie,” he replied in his Christine alors qu’elle lui disait « vous ». Je ne slightly accented but excellent English. He took my comprendrai jamais leur système. hand and used it to pull me so close I thought we – Asseyez-vous, Paul, dit Jean-Marie en revenant à were about to do the cheek-rubbing thing. But no, l’anglais. Tout est OK ? Votre voyage, l’hôtel ? he only wanted to pat my shoulder. “Welcome in France,” he said. – Oh oui, parfait, merci... “Monsieur Martin,” I said, holding out a hand for Bloody hell, I thought. Now two of them like me. Un peu basique, mais au moins il y avait le câble. – Bien bien. Quand il vous regardait, nul doute que votre bonheur personnel était pour lui la chose la plus importante de la planète. Oublié l’effet de serre, Paul est-il satisfait de sa chambre d’hôtel ? C’était l’événement du jour. Je décidai d’en profiter pour mener une petite enquête ethnologique : Jean-Marie looked pretty cool for a company chairman. He was 50 or so, but his dark eyes shone with youth, his hair was receding but slicked back and cut short so that it didn't matter, and his royal-blue shirt and golden tie were effortlessly – Vos employés ont l’air heureux, ici, dis-je. Ils chic. He had an open, friendly face. s’embrassent tous. He asked for some coffees and I noticed that he called Christine “tu” whereas she called him – Ah, oui. (Il jeta un œil dans le couloir, comme pour chercher des passants à bisouter.) "vous”. I’d never managed to work that one out. C’est la rentrée, voilà, the re-entry. Comme si on “Sit down, Paul,” Jean-Marie said, switching back redescendait de l’espace. Pour un Parisien, tout ce qui to English. “Is everything OK? Your voyage, the se trouve à plus de dix kilomètres des Galeries Lafayette est une autre planète. On n’a pas vu les collègues hotel?” depuis un mois, on est heureux de se retrouver. (Il “Oh yes, fine, thanks . . .” A bit basic, but it had renifla comme pour souligner une private joke.) Enfin cable. bon, pas toujours très heureux, mais on ne peut pas refuser une bise. “Good, good.” When he looked at you, you felt as if making you happy was the only thing that – Même entre hommes ? mattered on the entire planet. Sod global Jean-Marie se mit à rire. warming, does Paul like his hotel room? That's the – Vous trouvez que les Français sont efféminés ? important issue of the day. “Everyone seems to be very happy here, kissing – Non non, bien sûr que non. each other,” I said. Avais-je pincé une corde sensible ? – Bien. “Ah, yes.” He looked out into the corridor, J’avais l’impression que si Christine s’était trouvée dans la pièce, il aurait baissé son froc pour prouver sur-le83 apparently checking for passers-by to French-kiss. “It is the rentrée, you know, the re-entry. Like we are returning home from space. To us Parisians anything more than ten kilometres from the Galeries Lafayette is a different planet. We have not seen our colleagues for a month, and we are happy to meet them again.” He snorted as if at a private joke. champ sa virilité. Il claqua dans ses mains comme pour dissiper l’atmosphère soudain saturée de testostérone. – Votre bureau est à côté du mien. Nous aurons la même vue. Et quelle vue, hein ? (Il tendit le bras vers la fenêtre pour présenter sa guest star, la tour Eiffel.) Nous voulons que vous soyez heureux chez nous. “Well, not always very happy, but we cannot refuse to kiss them.” “Even the men?” Jean-Marie laughed. “You think French men are Sur le coup, il était probablement sincère. effeminate?” “No, no, of course not.” I thought I’d hit a nerve. “Good.” I got the feeling that if Christine had been in the room he’d have whipped down his trousers and proved his manhood on her. He clapped as if to clear the air of testosterone. “Your office will be next to mine. We have the same view. What a view, eh?” He held out an arm towards the window to introduce his guest star. It was quite a star, too. “If you work in Paris, you don’t always get a view of the Eiffel Tower,” he said proudly. “Great,” I said. “Yes, great. We want you to be happy with us." Quand je l’avais rencontré pour la première fois, à Londres, il s’efforçait de donner à sa boîte, VianDiffusion, le profil d’une famille, endossant lui-même le rôle de l’oncle sympa plutôt que du parrain ou du Big Brother. Jean-Marie avait repris le business de la viande une dizaine d’années plus tôt, à la suite de son père, le fondateur, qui avait débuté comme simple boucher. Ils possédaient désormais quatre usines (concrètement, des mixers géants avec bêtes beuglantes à l’entrée et hachis à la sortie), plus un immeuble de bureaux. L’affaire débitait sans répit, grâce à l’appétit illimité des Français pour les hamburgers, ou steaks hachés, comme ils disent par patriotisme. Quand il m’avait recruté, Jean-Marie semblait motivé par le désir d’extraire sa boîte de l’univers tripes et abats. Mon projet anglais devait faire oublier ces sanguinolents débuts. D’où la chaleur de son accueil. Jean—Marie said. At the time he probably meant it. Restait à voir si les autres collègues me témoigneraient When I first met him in London he made his un amour aussi franc. company, VianDiffusion, sound like a family, with – Une chose, Jean-Marie, dis-je tandis qu’il me him as the favourite uncle rather than the pressait, me portait, presque, le long du couloir godfather or big brother. He’d taken over the jusqu’à la salle de réunion. Dois-je leur dire tu ou vous ? meat-processing business about ten years earlier De toute façon, je ne savais encore dire ni l’un ni l’autre from his dad, the founder, who’d started out as a 84 humble butcher. en français. They now had four “factories” (basically, giant food mixers — mooing animals in one end, mincemeat out the other) plus their head office. Turnover was massive thanks to the limitless French appetite for hamburgers, or “steaks hachés" as they patrioticallv call them. It seemed to me when Jean-Marie recruited me that he was looking to lift the company out of the offal. My new “English” project was designed to make people forget his bloody beginnings. Perhaps that waswhy he greeted me so warmly. – Oh, ça c’est facile. Vous, dans votre position, vous dites « tu » à tous vos collaborateurs. Sauf peut-être à ceux qui ont l’air d’être plus âgés. Et à condition d’avoir déjà été présenté. La plupart des gens vous diront « tu » aussi. Il y en a, les plus jeunes, Now to see if the rest of my colleagues would love me as much as he did. “One thing, Jean-Marie,” I said as he ushered — almost carried — me along the corridor towards the meeting room. “Do I call everyone tu or vous?” Not that I was capable of calling them either. “Ah, it is quite simple. You, in your position, call everyone with whom you work tu. Except maybe anyone who looks old. And except if you have not been presented to them yet. Most people here will mall you tu also. Some will call you vous if they are qui vous diront « vous », et aussi ceux qui ne savent plus s’ils vous connaissent. OK ? – Euh, oui. Clair comme une soupe à l’oignon. – De toute façon, dans votre équipe, tout le monde parlera anglais. – Anglais ? Je croyais que je devais m’intégrer ? Jean-Marie ne répondit pas. Il me tira derechef par le coude et nous entrâmes dans la salle de réunion. Elle occupait toute la largeur de l’immeuble, avec des baies vitrées aux deux bouts. La tour Eiffel d’un côté, de l’autre une cour et un bâtiment moderne en verre. Quatre personnes attendaient dans la pièce. Un homme et une femme blottis contre la fenêtre sur cour, un autre type et une fille assis en silence derrière la longue table ovale. – Bonjour tout le monde, je vous présente Paul, annonça Jean-Marie en anglais. very less senior or if they think they don’t know Mes nouveaux copains de travail se retournèrent you. OK?” vers moi. Des deux hommes, l’un était un grand blond au cheveu épais, la quarantaine, l’autre un jeunot maigre et chauve. Les femmes : une vraie “Er, yes.” Clear as onion soup. blonde, blond miel exactement, la trentaine, queue-de- cheval lisse et stricte, dotée d’un menton en galoche qui l’empêchait d’être vraiment belle ; et une “But in your team everyone will speak English.” fille à face de lune, dans les trente-cinq ans, l’air gentil, avec de grands yeux bruns et un corsage rose mal seyant. Je leur serrai la main et oubliai instantanément “English? Shouldn't I try to integrate?” leurs noms. Jean-Marie didn’t answer. He gave a final tug on my elbow and we were inside the meeting room. It Nous prîmes place à la table, Jean-Marie et moi d’un 85 took up the full depth of the building, with côté, les quatre autres en face. windows at both ends. Eiffel Tower in one, courtyard and a modern glass office building in the – OK tout le monde. C’est un moment super exciting, commença Jean-Marie. other. There were four other people in the room. A man and woman stood huddled near the courtyard window, and another man and woman sat silently at a long oval table. “Everyone, this is Paul,” Jean-Marie announced in English. My new work-chums turned to meet me. The two men were a very tall, thick-set blond, about 40, and a younger, skinny guy who was bald. The two women were a natural honey blonde, about 30, with a tightly pulled back pony tail and a jutting chin that just stopped her being beautiful, and a round-faced, kind-looking woman, 35-ish, with largo brown eyes and a dowdy pink blouse. Nous sommes en phase de branching away. Nous volons vers de new horizons. Nous sommes capables, en restant très aware, de réussir dans le fooding. Sans notre bœuf haché, l’industrie française du fast-food n’existerait pas. Nous allons maintenant optimiser nos benefits sur l’Angleterre avec nos futurs tea cafés. Et nous avons ici quelqu’un qui connaît bien ce business. (Il brandit fièrement le bras vers moi.) Paul, vous le savez, était chief of marketing pour une chaîne de cafés français en Angleterre. Voulez-Vous Café Avec Moi. Combien de cafés avez-vous créés, Paul ? – On en était à trente-cinq quand j’ai quitté l’entreprise. Mais ça remonte à deux semaines, et Dieu sait où on en est aujourd’hui. Je plaisantais, mais tous me regardèrent bouche I shook their hands and instantly forgot their bée, sans mettre une seule seconde mes paroles en doute, tout à leur foi en notre dynamisme anglonames. saxon. – Eh oui, confirma Jean-Marie, sur qui mon prestige rejaillissait. J’ai vu que c’était des winners, il me fallait leur cerveau marketing, je suis donc allé à Londres pour We sat down at the table, me and Iean-Marie on couper des têtes. one side, my four new colleagues on the other. – Couper ma tête ? m’offusquai-je. “OK, everyone. This is a very exciting moment," – C’est cela, le chasseur de tête quoi. Je suis certain que Jean-Marie declared. “We are, as the English say. Paul va apporter à notre nouvelle chaîne de tea cafés en France le succès qu’il a connu en branching away. Flying into new horizons. We Angleterre avec le concept miroir de French café know we can succeed in the restaurant business. en, euh, en Angleterre. Mais si vous continuiez en vous présentant vous-même, Paul ? dit-il, The fast-food industry in France could not exist visiblement épuisé par sa dernière phrase. without our minced beef. Now we are going to take some more of the profit with our new English tea cafés. And we have someone here who knows this business.” He gestured proudly towards me. “As you know, Paul was chief of marketing of the chain of French cafés in England, Voulez-Vous Café – Oui, bien sûr. (Je regardai la brochette de collègues en imitant un regard débordant d’amour.) Je m’appelle Paul West, dis-je tandis qu’ils s’activaient à répéter mon nom pour se le mettre en bouche. J’étais au départ de la création de Voulez-Vous Café Avec Moi. Nous avons démarré en juillet dernier – 86 Avec Moi. How many cafés have you created, le 14 juillet évidemment – avec cinq Paul?” cafés à Londres, puis nous avons ouvert les autres dans les principales grandes villes et les centres commerciaux, en trois vagues de dix. J’ai avec “There were 35 when I left the company. But that moi un rapport qui vous permettra de lire l’histoire was two weeks ago, so who knows how many complète. Avant cela, j’avais travaillé dans une petite brasserie – un fabricant de bière, ajoutai-je en les there are now.” voyant froncer les sourcils. Voilà, j’ai à peu près I was joking, but everyone in the room gaped at me, believing totally in this Anglo-American fait le tour. dynamism. – You very djeune, fit le petit maigre. Pas sur un ton accusateur, juste un peu contrarié. “Yes,” Jean-Marie said, bathing vicariously in my reputation. “I saw their success and I wanted their – Pas vraiment. J’ai vingt-sept ans. Si j’étais une rock star, je serais déjà mort. head of marketing, so I went to London and Le type eut un geste d’excuse. decapitated him. Decapitated?” – No no. I am not critiquing. I am just... admirative. “Head-hunted,” I said. Il avait un accent bizarre. Pas franchement français. Impossible à identifier. “Yes, thank you. I am sure that Paul will bring to – Oui, nous admirons tous Paul, ça c’est clair. (Une fois de plus, Jean-Marie donnait l’impression our new chain of English cafés in France the same de me faire un plan drague.) Nous allons tous nous success as he has known with the similar concept présenter, dit-il. Commence, Bernard. in England of French cafés in, er, England. Maybe you can continue to present yourself, Paul?” he said, apparently exhausted by his last sentence. Bernard, c’était le grand blond costaud coiffé en brosse “Sure.” I gazed along the line opposite with my best imitation of co-workerly love. “My name’s Paul West,” I told them. I saw them all practise saying my name. “I was in at the creation of Voulez-Vous Café Avec Moi. We launched in July last year — July the fourteenth of course, Bastille Day — with five cafés in London and the southeast, and then opened the others in the major British cities and shopping centres in three waves of ten. I've brought a report with me so that you can read the full story. Before that I worked for a small brewery —- beer company,” l added, seeing their frowns, “and that’s about it.” avec la moustache. Il avait tout à fait l’allure d’un policier suédois mis en préretraite dans la force de l’âge à cause de ses pieds plats. Il portait une chemise d’un bleu douteux et une cravate rouge délavé. Je l’imaginai avec le mot « rasoir » tatoué sur le front, mais ça l’aurait rendu trop excitant. Bernard eut un sourire nerveux et se lança. – I am Bernard, communikacheune, euh... ayam responsibeul of Bon Dieu, Jean-Marie n’avait-il pas parlé d’une réunion en anglais ? Et voilà que ce type attaquait en hongrois. L’homme de Budapest poursuivit dans cette veine hermétique pendant deux 87 minutes puis articula plusieurs mots, de la plus haute importance à en juger par la constipation “You rilly yong,” said the skinny bloke. Not forcenée de son visage : accusingly, but annoyingly. – I am very happy work wiz you. “Not really, I’m 27. If I was a rock star I'd be dead.” Capté ! Bien que peu familier des dialectes d’Europe centrale, cette fois j’avais compris. Il est très heureux de travailler avec moi. Par Babel ! C’était de l’anglais, mais pas le même que le nôtre. The bloke made apologetic gestures. “No, no. – Merci Bernard, dit Jean-Marie avec un sourire Ah’m not criti-sahzing. Ah’m just . . . admirativuf‘ d’encouragement. He had a weird accent. Not quite French. I couldn't Avait-il choisi exprès le plus nul pour mettre en place it. valeur son excellent anglais personnel ? Je m’accrochai à cet espoir. “Ah, we are all admiring Paul, that’s for sure. » – À toi, Marc. Jean-Marie again managed to make me feel like I was receiving a gay come-on. “Why don't everyone present himself ?” he said. “Bernard, Marc, c’était le chauve maigrichon. Il portait start please." une chemise gris sombre, mal repassée et déboutonnée au col. Il s’avéra qu’il avait passé plusieurs Bernard was the tall, stocky one, with a flat-top années dans le sud des États-Unis, d’où son accent haircut and a neat blond moustache. He looked bizarre, celui d’une Scarlett O’Hara qui aurait forcé sur like Swedish policeman who’d retired early le Pernod. because of bad feet. He was wearing a sickly-blue shirt and a tin that just failed to be red enough. He – I am chargèd of Haïti, dit-il. could have had “dull” tattooed across his forehead – Chargèd of Haïti..., répétai-je d’un air approbateur. but that would have made him too exciting. Bernard smiled nervously and began. “Yam bare narr, yam responsa bull ov communikn De quoi diable s’agissait-il ? En rapport avec les tropiques, de toute façon. Intéressant. - Compiouteur système, confirma Marc. l syon, er . . .” -Oh, IT ! fis-je. Information Technologies. (Le chauve Shit, I thought, didn’t Jean-Marie say the meeting me lança un regard noir.) was going to be in English? How come some people were allowed to speak Hungarian? Bernard Votre anglais est excellent, ajoutai-je précipitamment. of Budapest carried on in the same in Combien de temps avez-vous passé aux États-Unis ? comprehensible vein for a couple of minutes and – One year prepa at university of Georgia. And five then started to enunciate something which, to years in insurance company in Atlanta. In the judge by the look of acute constipation on his face, departemone of Haïti, naturali. was great importance. “Alok for wah toowa king wizioo.” – Naturali, acquiesçai-je. 88 Hang on, I thought. I don't speak any Central – OK, Marc. Stéphanie, à toi, poursuivit MC Jean-Marie. European languages, but I got that. He's looking Stéphanie, c’était la blonde à forte mâchoire. Accent forward to working with me. Holy Babel fish. It’s épais, très français, syntaxe effrayante, mais mon oreille commençait à s’y faire. Stéphanie était « English, Jim, but not as we know it. responsibeul of fournitchourzes » dans la principale “Thank you, Bernard,” Jean-Marie said, smiling usine à viande du groupe, et « very api » de encouragingly. Had he chosen the crappest one to se retrouver désormais « promotèd responsibeul of fournitchourzes » dans la future chaîne « Inegliche highlight his own excellent English? I hoped so. ti salouns ». À l’évidence, il était aussi épuisant pour elle de parler que pour moi d’écouter et, à la fin de sa brève "Next, Marc.” intervention, elle décocha à Jean-Marie un regard qui disait voilà, je les ai faites mes cinquante pompes et maintenant tu pourrais me dire merci, espèce de crapule sadique. Marc was the bald skinny one. He was wearing a – Merci, Stéphanie. Nicole. dark grey shirt, unbuttoned at the collar and unironed. Turned out he'd spent a few years in the southern USA, hence the weird accent, which La petite brune à cheveux courts s’exprimait d’une voix made him sound like Scarlett O'Hara after too fluette mais très claire. Elle était contrôleur de gestion sur le projet, comme d’ailleurs pour l’ensemble de la much Pernod. société. “Ah’m ed of hah tee,” he said. – Vous avez séjourné en Angleterre, n’est-ce pas, Nicole “Ed of hah tee,” I repeated approvingly, wonder? demandai-je. Et même assez souvent, à en juger par votre accent. ing what the hell this was. Something to do with tea, anyway. Relevant. Règle numéro un de la vie d’entreprise : “Yah. Compoodah sis-temm,” Marc confirmed. toujours flatter votre contrôleur de gestion. – Oui, my asband was angliche, dit-elle avec un sourire “Oh, I.T.,” I said. He glowered at me. “Your English nostalgique. is excellent," I added quickly. “How long did you spend in the USA?” .. Oh oh ma chère, veuve ou divorcée ? Pas le moment de demander. “Ah’ve done a yee-uh uv post-grad at Jo- ja State, – Ne vous fiez pas à Nicole, coupa Jean-Marie. then Ah’ve worked fahv yee-uhs inna inshance Elle a l’air gentille, comme ça, mais elle a un cœur firm in Atlanna. In da hah tee departmon, a coss.” de pierre. Ce qui explique pourquoi nos finances sont au top. Notre vrai patron, c’est elle. “A coss,” I agreed. Nicole rougit. Ça sent l’anguille sous roche, remarquaije. Jean-Marie qui fait son éloge professionnel, Nicole Stephanie was the blonde woman with the jaw. qui meurt d’envie d’ouvrir son corsage pour lui faire Her accent was strong and French, her grammar “OK, Marc. Stephanie?” Iean-Marie the MC again. 89 terrifying, but my ear was getting tuned. Stephanie was the “responsa bull ov poorshassing” (purchasing) for the main meat-processing part of the company and was now “vairy eppy” to be « apwanted responsa bull ov poorshassing” for the proposed chain of “Eengleesh tea saloons”. admirer ses nichons. À moins que je ne cède au cliché ? – Bon, je constate que votre anglais est bien meilleur que mon français, annonçai- je à la cantonade, avec un regard plus appuyé vers Stéphanie et Bernard, mes camarades handicapés linguistiques. Je me suis acheté un CD-Rom pour apprendre le français et je It was obviously as exhausting for her to speak as she was to listen to, and at the end of her short vous promets de m’y mettre on the chapeaux de roues. speech she gave Jean-Marie a look that said l've Ils furent assez bons pour rire. done my 50 press-ups and I hope you think it was worth it, you sadistic bastard. “Thank you, Stéphanie. Nicole.” Puisque nous étions désormais frères de projet, je décidai de mettre sur la table ma petite idée. Rien de polémique. The other woman, the dark, short-haired one, had a soft voice, but she spoke very clearly. She was the financial controller on this project, as she was for the whole company. – Je pense que nous devrions choisir un nom pour le projet, suggérai-je. Rien de définitif, c’est provisoire, juste pour nous donner une identité collective, pour l’équipe. Un truc genre Tea Time. “You’ve been to England, haven’t you, Nicole?" I – Oh ! (C’était Bernard, mon Hongrois, soudain dressé said. “Quite often as well, to judge by your comme par un ressort.) No. We av un nom : Maille Tea Is Riche. accent." Je fronçai les sourcils, les autres s’esclaffèrent. Je Rule one of office life — always flatter your cherchai un secours du côté de Jean-Marie, mais il financial controller. regardait ailleurs. “Yes, my usband was Hinglish,” she said, smiling wistfully. Oh dear, dead or divorced?, I wondered. – My Tea Is Rich ? Comme nom de marque pour des salons de thé ? Ce n’est pas un nom, risquai-je, ça ne Not the time to ask. veut rien dire. – Ouch ! “Do not be fooled by Nicole,” Jean-Marie said. “She looks like she is very kind, but she has a heart Bernard était peut-être nul en anglais mais il excellait en monosyllabes. – My Tea Is Rich iz a comic nom. Itiz inegliche humour. – De l’humour anglais ? Pas du tout. of iron. She is the reason why our finances are so good. She is our real boss.” – Oh ! Nicole blushed. There was some unrequited stuff Bernard se tourna vers Jean-Marie en quête de renfort. going on here, I decided. Jean-Marie praising her – Bien sûr, c’est pas my tea, c’est my tailor, expliqua professional skills, Nicole wanting to rip her bodice and have him praise her boobs. Or was I being Jean-Marie. 90 stereotypical ? – Votre tailleur ? "Well, your English is so much better than my French, » I told them, taking special care to look Stéphanie and Bernard, my fellow linguistic Invalids, in the eye. “I’ve bought myself a teachyourself-French CD-Rom and I promise I’ll start teaching myself toot sweet.” J’avais l’impression de me trouver dans un film surréaliste. Dans un instant, Salvador Dalí allait entrer en vol plané par la fenêtre avec une baguette sortant de sa braguette. They were kind enough to laugh. – Oh, vraiment ? As we were all chums together now, I decided to Salvador arrive, pensai-je. Mais par la fenêtre, on ne voyait que la tour Eiffel. throw in my little idea. Nothing controversial. "I thought we could decide on a working name for – My tailor is rich, confirma Jean-Marie. – My tailor is rich est une expression typiquement anglaise. The project,” I suggested. “Just something – Mais non, pas du tout. temporary, you know, to give us an identity as a – C’est ce que croient les Français en tout cas. Cette team. Something like Tea Time.” phrase était dans tous les manuels d’anglais. “Oh.” It was Bernard, jerking himself upright. – OK, OK, je crois que j’y suis, dis-je. (Les autres me fixaient comme si j’étais au bord de comprendre "No, we av nem. Ma Tea Eez Reesh.” l’astuce et d’éclater enfin de rire.) C’est comme : Mon I frowned, the others laughed. I turned to ]eanpostillon a été frappé par la foudre. Marie for help. He was looking elsewhere. – Hein ? Cette fois, c’était au camp français d’avoir l’air largué. – "My Tea Is Rich? As a brand name for the tea - C’était dans tous nos manuels de français, disrooms? It’s not really a name,” I ventured. “It je. Maintenant je vous suis, ajoutai-je avec un doesn‘t really mean anything.” sourire victorieux. (Ils hochèrent la tête. Malentendu surmonté. Problème résolu.) Mais ça ne change rien, ce nom est très mauvais. Il fallait quand même que je le leur dise, pour leur bien, pour le bien du projet. “Uh.” Bernard was crap at English but clearly very good at monosyllables. “Ma Tea Eez Reesh eez – Oh ! funny nem. Eaties Ingleesh oomoor.” – Vous tenez absolument à Tea Time ? demanda Jean"Einglish humour? But we don’t say that.” Marie d’une voix éteinte. C’est un peu plat. “Oh.” Bernard turned to Jean-Marie for support. "Of course it should be my tailor,” Jean-Marie explained. – Non, c’est provisoire. Je propose une étude marketing avant d’adopter un nom définitif pour la marque. D’ici là, mettons-nous d’accord sur un titre de travail. Vous n’aimez pas Tea Time ? Pourquoi 91 pas Tea for Two, alors ? “Your tailor?” I felt as if I was in the middle of a surrealist film. In a minute Salvador Dali was going to fly in through the window with a baguette sticking out of his trousers. – Ah non. (Ça, c’était Stéphanie.) Zis is plate also. (C’est aussi une assiette ?) Nous voulons un comic nom. Ayam OK ouiz Bernard, inegliche humour. – And, euh, ouaille not Tease Café ? essaya Marc. – Tease Café ? (Taquine ton café ?) “My tailor is rich,” Jean-Marie said. À nouveau, je perdais pied. ‘“Is he?” Here comes Salvador, I thought, but all I – Yé. Tea, apostrof, s, café, expliqua Marc. could see out the window was the Eiffel Tower as Stéphanie hocha la tête : bonne idée. usual. “My tailor is rich is a typical English expression » “It’s not.” – Tea’s Café ? Mais ce n’est pas de l’anglais ! – Yes, rétorqua Stéphanie. You av méni nèmes with apostrof. Ari’s Bar (qui est Ari ?), Liberty’s Statue. – Brooklyn’s Bridge, dit Marc. (Que vient faire ce s ?) “But French people think it is. It was in the old language books.” – Roll’s Royce, lâcha Bernard, comme un coup gagnant. (La Royce de Roll ? Ces bons vieux Charles Stewart Rolls et Frederick Henry Royce...) – Pour des Français, l’apostrophe suivie de s “OK, OK, I think I'm with you,” I said. The others fait très anglais, expliqua Jean- Marie, toujours were peering at me as if I was about to get the dans son rôle d’interprète. Il y a un café américain sur joke at last and laugh. “It’s like my postilion has les Champs-Élysées qui s’appelle le Sandwich’s Café. been struck by lightning.” – Tout à fait, confirma Stéphanie en frappant de l’index “Uh?” Now it was the French team's turn to look sur la table. lost. – OK, mais ce n’est pas de l’anglais. (Je me sentais obligé d’insister.) Comme camping ou “It’s from our old language books,” I said. “I get parking : ça sonne anglais pour vous, mais ce n’est pas you now.” I put on a eureka smile. Everyone de l’anglais. nodded. Misunderstanding cleared up. Problem – Ah ! solved. “But it's still an awful name.” I mean, l had Stéphanie fit appel à l’arbitre Jean-Marie. Une attaque to tell them for their own good. For the good of contre la langue française ? Carton jaune ! the project. – Chaque pays emprunte à la culture d’autres pays, “Oh!” mais en l’adaptant, dit Jean- Marie. Quand j’étais en Angleterre, les restaurants servaient de la crème brûlée à la fraise. Eh non ! La crème brûlée, c’est de la crème “You absolutely want Tea Time?” Jean-Marie was brûlée. Pourquoi pas une baguette à la fraise not looking keen. “This is a bit flat.” 92 No, not absolutely. Just as a provisional name. I suggest we get a market survey done before deciding on the definitive brand, but meanwhile let’s choose a simple working title. If you don’t like Tea Time, how about Tea For Two?” ou du camembert à la fraise ? "Oh no.” This was Stéphanie. “Dis is flat also. We – Yes, you Inegliche, you put orange djouce in champègne, dit Stéphanie. Merde alors ! Le camp français opina vigoureusement du chef, tous derrière Jean-Marie et sa mise au point, sévère mais juste. want fonny nem. Like Bare-narr say, Ingleesh Les autres émirent un rictus désapprobateur devant la oomoor.” profanation de leur trésor national. "And, er, if We coll eet Tease Café?” Marc said. – Oui mais même vous, dans le champagne, vous "Tease Café?” I was lost again. mettez cette liqueur toute noire pour faire du kir. "Yuh. Tea, apostrof, s, cafe,” Marc explained. Stéphanie nodded. Good idea. J’avais lu ça dans le guide touristique, et je le regrettai instantanément. Les sourcils français se froncèrent devant cette repartie arrogante. Jean-Marie noya l’incident dans l’huile d’olive. – Bien bien, on va faire une étude de marché. On testera tous ces noms, et d’autres. Si on “Yes,” Stéphanie retorted. “You av many nems commençait par dresser une liste des suggestions ? with apostrof. Arry’s Bar. Liberty’s Statue.” – Parfait. "Brooklyn’s Bridge," Marc said. Je hochai la tête comme un chien en plastique sur la "Roll’s Royce,” Bernard said, on a roll. plage arrière de la voiture, disposé à accepter la brillante idée émise par le diplomate français. "No!” Where did they get this crap? – Bernard pourrait s’occuper de l’organisation, suggéra Jean-Marie. "Tea‘s Café? But that’s not English either.” “In France this is considered very English.” ]eanLe Hongrois sourit, il était l’homme de la Marie was playing interpreter again. “There is an situation. Une faible lueur dans son regard me fit American café on the Champs-Elysées called comprendre qu’il voulait convaincre ses partenaires. « Sandwich’s Café” – OK, tout ça est très constructif, dit Jean-Marie. Une “Yes.” Stéphanie confirmed this with a prod of vraie réunion à l’anglaise. On prend des décisions. her finger on to the table. Des décisions ? On n’arrive pas à se mettre d’accord, donc on engage un consultant qui se "OK, but it’s not English,” I had to insist. “It’s like laissera corrompre pour retenir les idées les plus bêtes. when you call a campsite ‘un camping’ or a car À moi, ça ne paraissait pas très constructif. Mais park ‘un parking’. You may think it’s English, but c’était ma première réunion à la française. J’avais it’s not." encore beaucoup à apprendre. “Uh.” Stéphanie appealed to Jean-Marie the referee. An attack on the French language? Yellow À l’extérieur, mon entrée dans la société 93 card, surely? “Each country adapts the culture of the other country,” Jean-Marie said. “When I was in England all the restaurants had strawberry crème brûlée. But creme brulée is creme brûlée. Why not have a strawberry baguette? Or a strawberry camembert?” parisienne n’était guère plus encourageante. Jean-Marie me payait une chambre dans un hôtel situé un kilomètre à l’ouest de l’Arc de Triomphe, nettement à l’extérieur de Paris. Ça donnait sur une espèce d’autoroute à huit voies, romantiquement baptisée avenue de la Grande-Armée, qui mène de Paris proprement dit aux gratte-ciel du quartier d’affaires de la Défense. The French team nodded their approval of Jean- L’hôtel était un bâtiment moderne de style Marie’s firm but fair discipline. inclassable, fait dans une pierre artificielle. Sa couleur évoquait celle de la neige compissée par des chiens. Mêmes tons pour la déco de ma chambre. “Yes, it is like you Ingleesh you put oronge jooeece C’était censé être une chambre double, mais la in shompagne,” Stéphanie said. “Merde alors. » seule manière pour deux personnes de s’y tenir en même temps aurait été d’y faire l’amour. The others winced in sympathy at this desecration of their national treasure. C’était sans doute là l’idée d’ailleurs, mais cette activité me fit singulièrement défaut tout le temps que j’y “But you put blackcurrant liqueur in champagne to passai. make kir royal.” I’d read this in my guidebook and now wished I hadn’t. French eyebrows knitted at Bref, l’hôtel se trouvait dans une banlieue chic du nom my English know-it-all repartee. de Neuilly. L’endroit suait l’ennui malgré deux ou trois rues commerçantes remplies de ces petites boutiques aujourd’hui disparues au RoyaumeUni : poissonneries, fromageries, chocolateries, Jean-Marie tried to pour some virgin olive oil on things. “We will make a market survey. We will boucheries viande crue, boucheries viande cuite, test these names and others. We will make a list of boucheries chevalines, et encore une se consacrant à la seule vente de poulets rôtis. suggestions.” “Right.” I nodded like a plastic Alsatian in the back of a car, eager to accept this brilliant idea coming Aussi, quand les piles de ma minichaîne hi-fi plongèrent from the French diplomat. dans leur énième coma, je résolus de me rendre chez un sympathique vendeur de matériel électrique pour acheter un adaptateur. Je m’y hasardai un samedi et « Bernard can ma be or anize it,” Jean-Marie pénétrai dans une minuscule échoppe pleine à ras bord suggested. de postes de radio, lampes torches et autres gadgets électroniques. L’intérieur était occupé par un long Bemard smiled. He was the man for the job. From comptoir de verre couvert de traces de doigts the dull twinkle in his eye I could tell he was et par un empilement d’étagères saturées de confident of persuading the pollsters to go with his tout et n’importe quoi, depuis les minuscules micropiles pour montres jusqu’aux aspirateurs et autres idea. mixers à légumes. Au milieu de ces boîtes se tenait un “OK, ve constructive,” Jean-Marie said. “This is a type entre deux âges vêtu d’une blouse de nylon grise real Anglo-style meeting. Taking decisions.” harmonisée à la couleur de son visage. Le cousin 94 Decisions? We can’t agree, so we decide to pay a parisien de la famille Addams. consultant who's going to be bribed into agreeing – Bonne djour ! lançai-je en souriant pour m’excuser à with the guy with the crappest ideas. Didn’t seem l’avance de mon déplorable français. very constructive to rne. But then it was my first ever French meeting. I had a lot to learn. Outside of the office, my entrée into Paris society was just as depressing. Jean-Marie was paying for me to stay in a hotel about a kilometre west of the Arc de Triomphe, not actually in Paris at all. It was just off an eight-lane highway called, romantically, Big Army Avenue that charged out from Paris proper towards the skyscrapers of La Défense business district. L’homme ne me rendit pas mon sourire. Il se contenta de me dévisager sous ses sourcils en barbelés. Il me jaugeait et tirait déjà de désagréables conclusions. Je devrais peut-être préciser que je ne portais plus mon costume Paul Smith ce jour-là. J’avais mis une chemise à fleurs orange chinée à Portobello Road. Le motif explosion-dans-une-usine-de-peinture-hawaïenne me conférait, croyais-je,un abord relax et amical, d’autant que je l’avais assortie d’un bermuda de surf et de chaussures de sport rouge pompier. J’avais observé que cet accoutrement était peu répandu parmi les habitants de Neuilly, mais c’était une tiède journée d’automne et je n’imaginais pas que cela allait compromettre mes chances d’acquérir du matériel électrique. The hotel was a nondescript modern building made of artificial stone the colour of snow that’s been peed on by a dog. My room was decorated in – Je..., commençai-je avant de m’apercevoir que je ne connaissais pas les mots français pour chaîne hi-fi, the same colour. It was supposed to be a double câble, prise, adaptateur ni même, pour être franc, but the only way for two people to stand on the électricité. En Angleterre, vous allez dans une grande floor at the same time would have been to have surface et vous vous servez. Au pire, tout ce que vous intercourse. Which was perhaps the idea, though avez à faire, c’est de montrer du doigt. there wasn't much of that kind of action going on while I was in it. – J’ai un ha-fa, risquai-je en lestant le mot d’une joyeuse tonalité française. L’électricien ne sembla pas perturbé, ce qui me parut Anyway, the hotel was in a posh suburb called encourageant. Ni intéressé, d’ailleurs. Je me risquai Neuilly, pronounced Ner-yee, and not Newly as I plus avant dans la jungle linguistique. called it the whole time I lived there. It was dull but had two or three shopping streets full of the kind of small stores that you don’t get in the UK any more. Fishmongers, cheese shops, chocolate shops, raw-meat butchers, cooked-meat butchers, horsemeat butchers, there was even a shop selling only roast chickens. « J’ai un ha-fa anglais. » Grand sourire d’excuse. Désolé, je fais de mon mieux. Merci de me soutenir. « J’ai un ha- fa anglais, mais ici ? » Je m’efforçai de prendre une mine désespérée – ce n’était pas difficile. Le vendeur ne montrait toujours aucun signe de vouloir vendre quoi que ce soit. Au diable, tranchai-je, et j’activai le siège So when the batteries in my mini hi-fi system went éjectable linguistique. into their umpteenth coma, I thought I’d go to my 95 friendly local electrician’s shop to buy a mains adapter. I wandered out one Saturday and eventually found a little painted shopfront full of radios and torches and other small electronic gizmos. – J’ai besoin d’un adaptateur pour brancher ma hi-fi britannique sur le réseau français, expliquaije en anglais, avec une diction parfaite et un grand déploiement de gesticulations. “Bonjour.” I smiled as an advance apology for the en anglais, vaguement consolé par cette insulte qu’il ne comprendrait pas. J’avais toujours pris les Français pour des adeptes du Inside there was a long, fingerprint-marked glass mime, mais celui-là n’était pas un fan de Marcel counter and a chaotic shelving system stacked Marceau. with everything from tiny watch batteries to hoovers and food mixers. Amongst all the boxes – Parlez français, dit-il, avec un bref « hein ! » stood a middle-aged guy with a grey nylon overall final qui devait signifier « pauvre connard d’Anglais and an equally grey face. The Addams Family’s » en argot de Neuilly. Parisian cousin. - Si je pouvais je le ferais, bougre d’imbécile, répliquai-je bad French that was to come. He didn't smile back En réponse, j’eus droit à un haussement He just stared at me from under his barbed-wire d’épaules qui disait clairement « ton problème eyebrows, weighing me up and coming to c’est ton problème, pas le mien, c’est triste mais ça me fait marrer, parce que vu tes fringues, tu as tout du unpleasant conclusions. débile qui se fourre dans les emmerdes ». Tout ça en un seul mouvement d’épaules. Sans illusions sur mes chances de remporter de haussements d’épaules et encore I should perhaps add that I wasn’t wearing my Paul un concours Smith suit at this point. I was in an orange floral moins de trouver un adaptateur, je sortis de la shirt that I found in the Portobello Road. It had a boutique. kind of Hawaiian-paint-factory-explosion motif that I thought made me look laid-back and friendly, especially when accompanied by long Je n’avais pas fait un mètre quand mon corps surfer shorts and fire-extinguisher-red trainers. I se figea en une pose de taï chi congelé, genoux had noticed that not many other people in Neuilly arqués et pied en l’air. Une petite motte were dressed like this, but it was a pleasantly d’étron couleur de gingembre warm autumn day, and I never dreamt that it could have any influence on my chances of buying boursouflait la pointe de ma superbe chaussure rouge. electrical equipment. – Shit ! "Je," I began, and then suddenly realized that I didn’t know the French for hi-fi system, mains lead, plug adapter, or, to be totally honest, electricity. I mean, in the UK, if you want to buy anything electrical you just go to a superstore and help yourself. At the very worst, the most you have to do is point. Fut-ce mon imagination, ou l’électricien ricana-t-il vraiment derrière moi : – Hé, l’Anglais – ça se dit merde ! Paris, je commençais à le comprendre, est une sorte d’océan. Un océan est un paradis – pour les 96 requins. Il abonde en nourriture fraîche, et le premier qui vous emmerde, vous le coupez en deux French lilt — “ha-fa”. The electrician didn't look d’un coup de dents. Personne ne vous aimera pour ça, Perplexed, which was encouraging. Though he mais au moins on vous fichera la paix. Les pauvres didn’t look interested, either. I ventured further humains, eux, passent leur vie à flotter à la surface, into linguistic wilderness. “]’ai un ha-fa anglais.” malmenés par les vagues, et guettés par les requins. Big apologetic smile. Sorry, I’m doing my best. La meilleure solution consiste donc à muter en requin Please bear with me. “]’ai un ha-fa anglais, mais ici aussi vite que possible. Et la première étape dans . . .” I tried to look suitably helpless, which wasn't votre agenda évolutionniste est d’apprendre à « J’ai un hi-fi,” I ventured, giving the last word a difficult. The shop assistant still showed no signs of parler couramment requin. Je disposais bien d’un CD Le français sans peine, mais il me vint à l’esprit que assisting. Bugger it, I decided, and activated the linguistic ejector seat. “I need an adapter to plug my British hi-fi into the electricity here,” I explained in English, with perfect diction and copious amounts of mime. l’assistante de Jean-Marie, Christine, pourrait avoir envie de me donner quelques leçons... privées. Après tout, si on se fait requin, autant trouver une partenaire avec de jolis ailerons. I always thought the French were into mime, but Christine ? une très mauvaise idée ! Sans pour autant être de ceux pour qui l’amour n’est this bloke wasn’t a Marcel Marceau fan. qu’un match de tennis, je dois avouer que je n’avais pas jusqu’alors accumulé les victoires. C’est même l’une des raisons qui me firent sauter sur une offre qui m’éloignait de l’Angleterre. Je sortais avec une fille, Ruth, une histoire "Parlez francais,” he said, with a little “huh” at the à Londres end which seemed to be Neuilly slang for “you destructrice. On s’appelait, on se donnait rendezvous, puis on attendait de voir lequel ignorant English twit”. rappellerait le premier avec un superbe prétexte pour « If I could I would, you obnoxious tit,” I told him, annuler. On finissait par se retrouver et alors c’était le cirque vicieux, ou une partie de cul à Feeling marginally better because of the insult ébranler la Grande-Bretagne. Ensuite, silence radio he’d never understand. pendant deux semaines, puis téléphone, etc. But in reply he just gave a shrug that seemed to Nous savions tous deux que mon désir d’émigrer say “whatever your problem is, it’s your problem, était signe que les choses n’allaient pas au not mine, which is sad but rather amusing, mieux entre nous. because from the look of you, you’re the type of idiot that makes a habit of getting into stupid, nowin situations like this. And by the way that shirt is Ma dernière partie de cul-tremblement de terre totally gross.” All this in one shrug. remontait à quinze jours quand je m’étais retrouvé dans l’ascenseur avec Christine. Je n’avais There was no way I was going to win a shrugging pas besoin du flot anormalement élevé contest, or get my hands on an adapter, so I d’hormones dans mes veines pour constater walked out. que Christine était insupportablement belle. Elle avait de longs cheveux coiffés à la diable – 97 comme les portent la plupart des Françaises –, ce qui était prétexte à de menus gestes de séduction I’d gone no more than a yard when my whole body froze in a paralysed T’a.i Chi pose, both knees bent comme recaler une mèche folle derrière l’oreille ou dégager son front. Très mince – comme la and one foot lifted to knee height. plupart des Françaises là aussi – et pourtant rien ne There was a ginger-brown pat of dog turd manquait, ni les bonnes courbes ni les trowelled on to the toe of my beautiful red trainer. protubérances judicieusement placées. Et ces yeux incroyables, quasi dorés, qui semblaient dire que “Shit!” je ne ressemblais pas à Quasimodo moi non Was it my imagination or did I hear the electrician plus. Elle m’envoya des battements de cils jusqu’à son bureau, et cela me parut outrepasser le strict call out: “No, you mean ‘merde’, you ignorant nécessaire d’une collaboration quotidienne dans le cadre du lancement d’un ou deux salons de thé. foreigner. ” Mon français surréaliste la faisait rire. Et la faire rire, même à mes dépens, me plaisait décidément Paris is, I was beginning to realize, a bit like an beaucoup. ocean. An ocean is a great place to live if you’re a – Tu es professeur pour moi, balbutiai-je un jour de la shark. There's loads of fresh seafood, and if première semaine. anyone gives you shit you just bite them in half. You might not be loved by everyone, but you’ll be Elle éclata de rire. Je fis l’offensé : left in peace to enjoy yourself. If you’re human, – Je veux apprendre français. though, you spend your time floating on the surface, buffeted by the waves, preyed on by the Elle rit de nouveau et répondit quelque chose que je ne sharks. compris pas. So the thing to do is evolve into a shark as quickly – Tu professeur anglais avec moi ? suggérai-je. Nous, as you can. euh... And the first item on your evolutionary agenda is Et je mimai de mon mieux des gestes qui devinrent vite to learn to speak fluent shark. plus sexuels que prévu. I had my DIY French CD, but I thought Jean-Marie’s assistant, Christine, might like to give me a few private lessons. After all, you might as well get yourself a shark with cute fins. Christine — what a bad idea that was. I'm not the sort of guy who thinks that love is just a tennis score. But I haven’t made a great success of relationships. That was one of my reasons for jumping at the offer to leave the UK. I was with a Ce mime cérébral ne la mit pas en colère. Ce soir-là, nous allâmes boire un verre après le travail, dans un bar à cocktails en sous-sol des Champs-Élysées, horriblement cher. Le genre d’endroit où on se perche sur des fauteuils Philippe Starck, bien droit pour être vu. Je me penchai vers Christine et nous discutâmes de la vie à Londres et à Paris dans un charabia franglais. On commençait tout juste à être intimes, le stade où les ongles s’effleurent, quand elle me fit le coup de 98 woman in London, Ruth, but it was a mutually self- Cendrillon. destructive thing. We'd phone, arrange to meet, then wait and see which one of us would get in first with good reason to cancel. Finally we’d meet up for a bitchy row and/ or earth-trembling sex, – Mon train, dit-elle. then stay incommunicado for two weeks, then – Non non, le métro est très brrmm brrmm ? objectaiphone, etc etc. je, pour lui faire comprendre We both agreed that my wanting to emigrate was a sign that maybe things between us weren’t ideal. qu’elle serait chez elle bien avant qu’il se transforme en citrouille. Elle secoua la tête et me montra une petite cartedépliant du métro. Elle habitait à perpète en banlieue. – Viens chez moi, dis-je sportivement. It was almost two weeks since I’d done any earthtrembling when I first got in that lift with Christine. But I didn’t need the unused hormones washing about in my bloodstream to see that she was excruciatingly beautiful. Her hair was long, barely styled at all, the way lots of French girls wear their hair, and gave her the chance to make coyly seductive moves like pushing a loose lock behind an ear or sweeping it all back off her forehead. She Vee-en shay mwa – l’une des meilleures phrases de mon CD-Rom. Ça sonnait comme un baiser. Elle émit un petit bruit désapprobateur, pressa ses lèvres noires sur ma bouche, me caressa le menton du bout de son doigt et me planta là, cloué à la table par une érection que seule une résolution de l’ONU aurait pu désarmer. Je n’avais rien compris. La majorité des femmes anglaises que j’avais emmenées boire un verre en fin de journée auraient mis brutalement les choses au clair, ou alors seraient à cette heure en train de coller leurs mollets sur mes oreilles. Mais si ça se trouve, je n’avais connu que des maniaques du mollet sur l’oreille. was pretty skinny — again, the way lots of French girls are — but her slenderness didn’t stop her having all the right curves and protuberances. And she had incredible eyes — almost golden-coloured — that I seemed to be saying she thought I wasn’t such a Quasimodo either. She fluttered her enormous (real) eyelashes at me whenever I Mon premier geste, le lendemain matin, fut de walked into her office, which I found myself doing lui apporter du café dans son more than was strictly necessary for the day-tobureau. day business of starting up a couple of tea rooms. My abysmal French made her laugh. And making – Ce soir, tu veux... ? her laugh, even if it meant humiliating myself, Je la laissai remplir le blanc – sexe ou conversation, à made me feel decidedly pleasant. son libre choix. “Tu es professeur pour moi,” I garbled one day in – Boire un verre ? choisit-elle. 99 my first week. Elle fit le geste d’en vider un. OK, au moins pour commencer. – On se retrouve au bar at 19 hours ? articula-t-elle. She laughed. I pretended to be offended. "Non. Je veux parler francais,” I told her. Se retrouver au bar. Un secret entre nous. Excellent, pensai-je. La veille, nous avions quitté le bureau ensemble et déclenché dans le couloir une épidémie de haussement de sourcils. She laughed again and replied something that I Mais ce soir-là, à 19 heures, au bar, Christine ne didn't understand. paraissait pas d’humeur à parler anglais. Elle me “Tu apprendre anglais avec moi?” I suggested. demandait en français si j’étais marié et si j’avais des gosses à Londres. “Nous, er . . ." and I did my best to mime an exchange of conversation lessons with a gesture – Mais non ! assurai-je. that turned out a bit more gynaecological than I'd ' – Pourquoi pas ? intended. – Pffff, expliquai-je. Still, my cervical mime didn’t put her off. We went Mon français ne me permettait pas d’entrer dans les for an after-work drink that evening at a viciously détails de ma désastreuse histoire avec Ruth. Elle me refit le coup des cils, et celui de Cendrillon expensive underground cocktail bar just off the à 20 heures tapantes. Impossible de rien Champs-Elysées. The kind of place where everyone comprendre, avec les Françaises. Des adeptes du sits up very straight in their Philippe Starck prélude mental ? Du sexe, mais que cérébral ? Elles attendaient quoi, qu’on leur saute dessus ? Je n’y armchairs so that they can be seen. croyais pas trop, n’ayant jamais rencontré aucune I leant low towards Christine, and we talked about femme d’aucune nationalité qui apprécie l’approche life in London and Paris in a sort of fun pigeon plaquage-rugby. Et si c’était une façon de Franglais. And like a pigeon, I spent a lot of time symboliser les relations franco-anglaises – m’agiter cooing. sous le nez leur image sexy mais garder la distance pour éviter d’attraper la maladie de la vache We were just getting cosy, at fingertip-brushing folle ? stage, when she suddenly did a Cinderella. “Mon train,” she said. “Non, non, le métro est tres brrmm brrmm,” I Je cherchai une explication dans une étude que j’avais objected, meaning that it would have her home commandée sur ce que les Français pensent réellement long before she turned into a pumpkin. de nous. Je n’y trouvai rien qui concerne mes relations avec Christine, mais c’était néanmoins une She shook her head and showed me a little foldlecture intéressante. À part la vache folle et les out map of the suburban trains. She lived miles hooligans, ce que les Français associent le out of town. plus au mot anglais, c’est la reine, Shakespeare, David Beckham, Mr Bean, les Rolling Stones (autant de 100 “Viens chez moi,” I offered sportingly — one of the best phrases I’d found in my CD-Rom’s vocab lists. concepts positifs, ce qui peut surprendre) et, oui, le thé, considéré comme une boisson stylée et civilisée. Vee-en shay mwa. Sounded like a kiss. She tutted, brushed her dark lips against my mouth, stroked my chin with a long finger, and left me nailed to the table by a hard-on that it would have taken a UN resolution to disarm. Les Français ignorent manifestement ce qu’est la pisse de cheval avec nuage de lait versé dans un gobelet en polystyrène par un stagiaire ado dans une cafétéria de plage anglaise (j’en savais long sur la pisse de cheval : le stagiaire, c’était moi). Dans les cafés français, une tasse de thé coûte deux fois le prix d’un espresso. I didn’t get it. Most of the English women I’d taken out for after-work drinks in London would either have made it brutally clear I was not Mr Sexy or had their calves clamped round my ears by now. But then maybe I’d been dating the ear-clamping type of gal. Par le couvre-théière sacré ! me dis-je, pourquoi cette affaire de salons de thé anglais n’a-t-elle pas *** été lancée plus tôt ? Et pourquoi n’avais-je pas une meilleure équipe pour plancher sur la question ? Mes collaborateurs étaient eux aussi censés lire l’étude et quelques autres, mais quand je leur demandai leur avis, « very First thing next morning, I brought her coffee in impossible d’en tirer autre chose que intéressant ». En fait, ils n’en avaient pas lu her office. . une ligne. Pas plus qu’ils ne s’activaient à faire “Ce soir, tu veux . . .?” I left her to fill in the gap avancer le projet. L’automne commençait à peine qu’ils étaient déjà des poids morts. C’était clair, il me with either a conversation class or something fallait parler à Jean-Marie et lui demander de more physical. mettre Stéphanie, Bernard et Marc sur un projet qui les “Boire un verre?" she decided. She mimed a drink. branche vraiment. N’importe quoi d’autre que mes salons de thé, en tout cas. Ils allaient me haïr, mais je OK for starters at least. n’avais pas le choix. “On se retrouve au bar d dix-neuf heures?” she articulated. Meet up at the bar. Keeping it secret. Good, I thought. The previous day we’d left the office Un jour, je fis savoir à Jean-Marie que j’avais together, causing raised eyebrows in the corridor. un gros souci et qu’il fallait en discuter. Il insista When we met up at seven that evening, Christine pour que nous allions déjeuner ensemble à « lunchtime didn’t seem much into English conversation. She ». C’était le bon jour pour déjeuner, dit-il, sans préciser asked me in French if I was married and had kids davantage. Nous sortîmes de l’immeuble à 12 h 30 dans un concert de « bon appétit » lancés comme des « back in London. Joyeux Noël ». Chaque déjeuner était, semblait-il, une 101 célébration. Pourquoi pas ? “Mais non!" I assured her. "Pourquoi pas?" " Corpus Fressard “Pfff," I explained. My French didn't stretch to a more detailed description of my disastrous relation-ship with Ruth. She did her eye-fluttering thing, and Cinderella’d off at eight on the dot. I really couldn’t figure out French women. Were they fans of mental foreplay? Only into intellectual sex? Or did they want to be jumped on? (I didn't think so - I've never met any woman of any nationality who appreciated the rugby-tackle approach to seduction. Or maybe this was a Frenchwoman’s way of symbolizing the relationship between France and the Brits — she dangles her sexy image in front of me, but keeps her distance to avoid catching madcow disease. l looked for an explanation in a report I'd commissioned on what the French really thought of us. There was nothing specific in there about why Christine wouldn't sleep with me, but it still made interesting reading. Apart from mad-cow disease and hooligans, the most common things that the French associated with the word “anglais” were the Queen, Shakespeare, David Beckham, Mr Bean, the Rolling Stones (all of which were positive concepts, amazingly) and, yes, tea, which was seen as a stylish, civilized drink. The French had obviously never had milky horse piss slopped into a polystyrene beaker by a 16-year-old workexperience trainee in an English beach caff (I know all about milky horse piss - I was that workexperience trainee). In French cafés, the price of a 102 cup of tea was on average double that of an espresso. Holy tea cosies, I thought, why the hell hasn't this English tea room thing been done before? And why hadn’t I got a better team working on it? The rest of the team were supposed to be reading this and other reports as well, but whenever I asked for an opinion, all I got was a “vairy an-tressting”. They weren't reading the bloody things at all. As far as I could tell they weren’t contributing anything to the project. Autumn had hardly started and they were already dead wood. Looked like I’d have to talk to jean-Marie about getting Stéphanie, Bernard and Marc transferred over to a project they actually gave a damn about. Away from my tea rooms, anyway. They were going to hate me, of course, but I had no choice. I told Iean-Marie that there was a delicate subject I wanted to discuss, and he insisted we go out to lunch together that very “midi”. Very important day to go out to lunch, he said. He didn’t elaborate. We left the building at 12.30 with “bon appétit” ringing in our ears. The people who saw us called it out like you would say “Happy Christmas”. Every lunchtime, it seemed, was a celebration. And why not? 103 1 A Good Café on the Place St.- Michel 1 Un bon café, sur la place Saint-Michel Then there was the bad weather. It would come in one day when the fall was over. We would have to shut the windows in the night against the rain and the cold wind would strip the leaves from the trees in the Place Contrescarpe. The leaves lay sodden in the rain and the wind drove the rain against the big green autobus at the terminal and the Café des Amateurs was crowded and the windows misted over from the heat and the smoke inside. It was a sad, evilly run café where the drunkards of the quarter crowded together and I kept away from it because of the smell of dirty bodies and the sour smell of drunkenness. The men and women who frequented the Amateurs stayed drunk all of the time, or all of the time they could afford it, mostly on wine which they bought by the half-liter or liter. Many strangely named apéritifs were advertised, but few people could afford them except as a foundation to build their wine drunks on. The women drunkards were called poivrottes which meant female rummies. Et puis, il y avait la mauvaise saison. Elle pouvait faire son apparition du jour au lendemain, à la fin de l’automne. Il fallait alors fermer les fenêtres, la nuit, pour empêcher la pluie d’entrer, et le vent froid arrachait les feuilles des arbres, sur la place de la Contrescarpe. Les feuilles gisaient, détrempées, sous la pluie, et le vent cinglait de pluie les gros autobus verts, au terminus, et le café des Amateurs était bondé derrière ses vitres embuées par la chaleur et la fumée. C’était un café triste et mal tenu, où les ivrognes du quartier s’agglutinaient, et j’er1 étais toujours écarté par l’odeur de corps mal lavés et la senteur aigre de saoulerie qui y régnaient. Les hommes et les femmes qui fréquentaient Les Amateurs étaient tout le temps ivres ou tout au moins aussi longtemps qu’ils en avaient les moyens, surtout à force de vin qu’i1s achetaient par demi-litre ou par litre. Nombre de réclames vantaient des apéritifs aux noms étranges, mais fort peu de clients pouvaient s’offrir le luxe d’en consommer, sauf pour étayer une cuite. Les ivrognesses étaient connues sous le nom de poivrottes qui désigne les alcooliques du sexe féminin. The Café des Amateurs was the cesspool of the rue Mouffetard, that wonderful narrow crowded market street which led into the Place Contrescarpe. The squat toilets of the old apartment houses, one by the side of the stairs on each floor with the two cleated cement shoe-shaped elevations on each side of the aperture so a locataire would not slip, emptied into cesspools which were emptied by pumping into horse-drawn tank wagons at night. In the summer time, with all windows open, we would hear the pumping and the odor was very strong. The tank wagons were painted brown and saffron color and in the moonlight when they worked the rue Cardinal Lemoine their wheeled, horse-drawn Le café des Amateurs était le tout-à-l’égout de la rue Mouffetard, une merveilleuse rue commerçante, étroite et très passante, qui mène à la place de la Contrescarpe. Les vieilles maisons, divisées en appartements, comportaient, près de l’escalier, un cabinet â la turque par palier, avec, de chaque côté du trou, deux petites plates-formes de ciment en forme de semelle, pour empêcher quelque locataire de glisser ; des pompes vidaient les fosses d’aisances pendant la nuit, dans des camions-citernes à chevaux. En été, lorsque toutes les fenêtres étaient ouvertes, nous entendions le bruit des pompes et il s’en dégageait une odeur violente. Les citernes étaient peintes en brun et en safran et, dans le clair de lune, lorsqu’elles 104 cylinders looked like Braque paintings. No one emptied the Café des Amateurs though, and its yellowed poster stating the terms and penalties of the law against public drunkenness was as flyblown and disregarded as its clients were constant and ill-smelling. remplissaient leur office le long de la rue du Cardinal-Lemoine, leurs cylindres montés sur roues et tirés par des chevaux évoquaient des tableaux de Braque. Aucune ne vidait pourtant le café des Amateurs où les dispositions et les sanctions contenues dans la loi concernant la répression de l’ivresse publique s’étalaient sur une affiche jaunie, couverte de chiures de mouches, et pour laquelle les consommateurs manifestaient un dédain à la mesure de leur saoulerie perpétuelle et de leur puanteur. All of the sadness of the city came suddenly with the first cold rains of winter, and there were no more tops to the high white houses as you walked but only the wet blackness of the street and the closed doors of the small shops, the herb sellers, the stationery and the newspaper shops, the midwife—second class—and the hotel where Verlaine had died where I had a room on the top floor where I worked. Toute la tristesse de la ville se révélait soudain, avec les premières pluies froides de l’hiver, et les toits des hauts immeubles blancs disparaissaient aux yeux des passants et il n’y avait plus que l’opacité humide de la nuit et les portes fermées des petites boutiques, celles de l’herboriste, du papetier et du marchand de journaux, la porte It was either six or eight flights up to the top floor and it was very cold and I knew how much it would cost for a bundle of small twigs, three wire-wrapped packets of short, half-pencil length pieces of split pine to catch fire from the twigs, and then the bundle of half-dried lengths of hard wood that I must buy to make a fire that would warm the room. So I went to the far side of the street to look up at the roof in the rain and see if any chimneys were going, and how the smoke blew. There was no smoke and I thought about how the chimney would be cold and might not draw and of the room possibly filling with smoke, and the fuel wasted, and the money gone with it, and I walked on in the rain. I walked down past the Lycée Henri Quatre and the ancient church of St.-étiennedu-Mont and the windswept Place du Panthéon and cut in for shelter to the right and finally came out on the lee side of the Boulevard St.-Michel and worked on down it de la sage-femme de— deuxième classe —et celle de l’hôtel où était mort Verlaine et où j’avais une chambre, au dernier étage, pour y travailler. Ce dernier étage était le sixième ou le huitième de la maison ; il y faisait très froid, et je savais combien coûteraient un paquet de margotins, trois bottes de petit bois lié par un fil de fer et pas plus longues qu’un demi-crayon, pour alimenter la flamme des margotins et enfin un fagot de bûches à moitié humides qu’il me faudrait acheter pour faire du feu et chauffer la chambre. Je me dirigeai donc vers le trottoir opposé pour examiner le toit, de bas en haut, afin de voir si quelque cheminée fumait et dans quelle direction s’envolait la fumée. Mais il n’y avait aucune fumée et j’imaginai combien la cheminée devait être froide et ce qui se passerait si elle ne tirait pas et si la chambre se remplissait de fumée, de sorte que je perdrais et mon combustible et mon argent par la même occasion, et je me remis en route sous la pluie. En descendant la rue, je dépassai le lycée Henri-IV et la vieille église Saint-Étienne-du-Mont et la place venteuse du Panthéon, tournai à droite, en quête 105 past the Cluny and the Boulevard St.-Germain d’un abri et finalement parvins au boulevard Saintuntil I came to a good café that I knew on the Michel, sur le trottoir protégé du vent, et je Place St.-Michel. poursuivis mon chemin, descendant au-delà de Cluny, traversant ensuite le boulevard SaintGermain, jusqu’à un bon café, connu de moi, sur la place Saint-Michel. It was a pleasant café, warm and clean and friendly, and I hung up my old waterproof on the coat rack to dry and put my worn and weathered felt hat on the rack above the bench and ordered a café au lait. The waiter C’était un café plaisant, propre et chaud et brought it and I took out a notebook from the hospitalier, et je pendis mon vieil imperméable au pocket of the coat and a pencil and started to portemanteau pour le faire sécher, j’accrochai mon write. I was writing about up in Michigan and feutre usé et délavé à une patère au-dessus de la since it was a wild, cold, blowing day it was banquette, et commanda un café au lait. Le garçon that sort of day in the story. I had already me servit et je pris mon cahier dans la poche de ma seen the end of fall come through boyhood, veste, ainsi qu’un crayon, et me mis à écrire. youth and young manhood, and in one place ]’écrivais une histoire que je situais, là-haut, dans le you could write about it better than in Michigan, et comme la journée était froide et dure, another. That was called transplanting venteuse, je décrivais dans le conte une journée yourself, I thought, and it could be as toute semblable. j’avais assisté successivement à necessary with people as with other sorts of bien de fins d’automne, lorsque j’étais enfant, puis growing things. But in the story the boys were adolescent, puis jeune homme, et je savais qu’il est drinking and this made me thirsty and I certains endroits où l’on peut en parler mieux ordered a rhum St. James. This tasted qu’ailleurs. C’est ce que l’on appelle se wonderful on the cold day and I kept on transplanter, pensai-je, et une transplantation peut writing, feeling very well and feeling the good être aussi nécessaire aux hommes qu’à n’importe Martinique rum warm me all through my quelle autre sorte de créature vivante. Mais, dans body and my spirit. le conte, je décrivais des garçons en train de lever le coude, et cela me donna soif et je commandai un rhum Saint-James. La saveur en était merveilleuse par cette froide soirée et je continuai à écrire, fort à l’aise déjà, le corps et l’esprit tout réchauffés par ce bon rhum de la Martinique. A girl came in the café and sat by herself at a table near the window. She was very pretty with a face fresh as a newly minted coin if they minted coins in smooth flesh with rainfreshened skin, and her hair was black as a crow's wing and cut sharply and diagonally across her cheek. Une fille entra dans le café et s’assit, toute seule, à une table près de la vitre. Elle était très jolie, avec un visage aussi frais qu’un sou neuf, si toutefois l’on avait frappé la monnaie dans de la chair lisse recouverte d’une peau toute fraîche de pluie, et ses cheveux étaient noirs comme l’aile du corbeau et coupés net et en diagonale à hauteur de la joue. I looked at her and she disturbed me and Je la regardai et cette vue me troubla et me mit made me very excited. I wished I could put dans un grand état d’agitation. Je souhaitai pouvoir her in the story, or anywhere, but she had mettre la fille dans ce conte ou dans un autre, mais 106 placed herself so she could watch the street elle s’était placée de telle façon qu’elle pût and the entry and I knew she was waiting for surveiller la rue et l’entré du café, et je compris qu’elle attendait quelqu’un. De sorte que je me someone. So I went on writing. remis à écrire. The story was writing itself and I was having a hard time keeping up with it. I ordered another rum St. James and I watched the girl whenever I looked up, or when I sharpened the pencil with a pencil sharpener with the shavings curling into the saucer under my drink. Le conte que j’écrivais se faisait tout seul et j’avais même du mal à suivre le rythme qu’il m’imposait. Je commandai un autre rhum Saint-James et, chaque fois que je levais les yeux, je regardais la fille, notamment quand je taillais mon crayon avec un taille-crayon tandis que les copeaux bouclés tombaient dans la soucoupe placée sous mon verre. I've seen you, beauty, and you belong to me now, whoever you are waiting for and if I never see you again, I thought. You belong to me and all Paris belongs to me and I belong to this notebook and this pencil. Je t’ai vue, mignonne, et tu m’appartiens désormais, quel que soit celui que tu attends et même si je ne dois plus jamais te revoir, pensais-je. Tu m’appartiens et tout Paris m’appartient, et j’appartiens à ce cahier et à ce crayon. Then I went back to writing and I entered far into the story and was lost in it. I was writing it now and it was not writing itself and I did not look up nor know anything about the time nor think where I was nor order any more rum St. James. I was tired of rum St. James without thinking about it. Then the story was finished and I was very tired. I read the last paragraph and then I looked up and looked for the girl and she had gone. I hope she's gone with a good man, I thought. But I felt sad. I closed up the story in the notebook and put it in my inside pocket and I asked the waiter for a dozen portugaises and a half-carafe of the dry white wine they had there. After writing a story I was always empty and both sad and happy, as though I had made love, and I was sure this was a very good story although I would not know truly how good until I read it over the next day. Puis je me remis à écrire et m’enfonçai dans mon histoire et m’y perdis. C’était moi qui l’écrivais, maintenant, elle ne se faisait plus toute seule et je ne levai plus les yeux, j’oubliai l’heure et le lieu et ne commandai plus de rhum Saint-James. ]’en avais assez du rhum Saint-James, à mon insu d’ailleurs. Puis le conte fut achevé et je me sentis très fatigué. Je relus le dernier paragraphe et levai les yeux et cherchai la fille, mais elle était partie. J’espère qu’elle est partie avec un type bien, pensai-je. Mais je me sentais triste. As I ate the oysters with their strong taste of the sea and their faint metallic taste that the cold white wine washed away, leaving only the sea taste and the succulent texture, and Pendant que je mangeais mes huîtres au fort goût de marée, avec une légère saveur métallique que le vin y blanc frais emportait, ne laissant que l’odeur de la mer et une savoureuse sensation sur la langue, et pendant que je buvais le liquide frais de Je refermai le cahier sur mon récit et enfouis le tout dans la poche intérieure de ma veste, et je demandai au garçon une douzaine de portugaises et une demi-carafe de son vin blanc sec. Après avoir écrit un conte je me sentais toujours vidé, mais triste et heureux à la fois, comme après avoir fait l’amour, et j’étais sûr que j’avais fait du bon travail ; toutefois je n’en aurais la confirmation que le lendemain en revoyant ce que j’avais écrit. 107 as I drank their cold liquid from each shell and chaque coquille et savourais ensuite le goût vif du washed it down with the crisp taste of the vin, je cessai de me sentir vidé et commençai à être wine, I lost the empty feeling and began to be heureux et à dresser des plans. happy and to make plans. Maintenant que la mauvaise saison était revenue, Now that the bad weather had come, we nous pourrions quitter Paris pour quelque temps et could leave Paris for a while for a place where nous réfugier en quelque endroit où, au lieu de la this rain would be snow coming down pluie, la neige tomberait entre les pins, recouvrant through the pines and covering the road and la route et les hautes pentes, et à une altitude où the high hillsides and at an altitude where we nous pourrions l’entendre craquer, le soir, sous nos would hear it creak as we walked home at pas, au retour de nos promenades. En deçà des night. Below Les Avants there was a chalet Avants, il y avait un chalet où l’on pouvait prendre where the pension was wonderful and where pension et être admirablement soigné, et où nous we would be together and have our books pourrions vivre ensemble, et emporter nos vieux and at night be warm in bed together with the livres, et passer les nuits, tous deux, bien au chaud, windows open and the stars bright. That was dans le lit, devant la fenêtre ouverte et les étoiles where we could go. Traveling third class on étincelantes. C’était là que nous pourrions aller. the train was not expensive. The pension cost J’abandonnerais la chambre d’hôtel où j’écrivais et very little more than we spent in Paris. I would give up the room in the hotel where I n’aurais à payer que l’infime loyer de wrote and there was only the rent of 74 rue l’appartement, 74, rue du Cardinal-Lemoine. J’avais Cardinal Lemoine which was nominal. I had publié des articles dans un journal de Toronto, dont written journalism for Toronto and the checks j’attendais le paiement. Je pourrais faire cette sorte for that were due. I could write that de travail n’importe où et dans n’importe quelles conditions et nous avions assez d’argent pour le anywhere under any circumstances and we voyage. had money to make the trip. Maybe away from Paris I could write about Paris as in Paris I could write about Michigan. I did not know it was too early for that because I did not know Paris well enough. But that was how it worked out eventually. Anyway we would go if my wife wanted to, and I finished the oysters and the wine and paid my score in the café and made it the shortest way back up the Montagne Ste. Geneviève through the rain, that was now only local weather and not something that changed your life, to the flat at the top of the hill. Peut-être, loin de Paris, pourrais-je écrire sur Paris, comme je pouvais écrire à Paris sur le Michigan. je ne savais pas que c’était encore trop tôt parce que je ne connaissais pas encore assez bien Paris. Mais c’est ainsi que je voyais les choses, en l’occurrence. De toute façon, nous partirions si ma femme était d’accord ; je finis de déguster mes huîtres et le vin et réglai l’addition, et rentrai par le plus court chemin, en remontant la Montagne SainteGeneviève, sous la pluie. Ce n’était plus, pour moi, que le mauvais temps parisien, et il n’y avait pas de quoi changer ma vie ; je parvins au plateau, sur le sommet de la colline. "I think it would be wonderful, Tatie," my wife said. She had a gently modeled face and her eyes and her smile lighted up at decisions as though they were rich presents. "When should we leave?" "Whenever you want." «]e crois que ce serait merveilleux, Tatie », dit ma femme. Elle avait un visage joliment modelé, et ses yeux et son sourire s’illuminaient comme si mes projets étaient autant de présents que je lui offrais. « Quand partons-nous ? 108 "Oh, I want to right away. Didn't you know?" "Maybe it will be fine and clear when we come back. It can be very fine when it is clear and cold." "I'm sure it will be," she said. "Weren't you good to think of going, too." 2 Miss Stein Instructs — Quand tu voudras. —Oh l je veux partir tout de suite. Tu ne t’en doutais pas ? —Peut-être qu’il fera beau et que le temps sera clair, quand nous reviendrons. Il peut faire très beau si le temps est froid et sec. —Je suis sûre qu’il fera beau, dit-elle. Tu es tellement gentil d’avoir pensé à ce voyage. » 2 Miss Stein fait la leçon When we come back to Paris it was clear and cold and lovely. The city had accommodated itself to winter, there was good wood for sale at the wood and coal place across our street, and there were braziers outside of many of the good cafés so that you could keep warm on the terraces. Our own apartment was warm and cheerful. We burned boulets which were molded, egg-shaped lumps of coal dust, on the wood fire, and on the streets the winter light was beautiful. Now you were accustomed to see the bare trees against the sky and you walked on the fresh-washed gravel paths through the Luxembourg gardens in the clear sharp wind. The trees were beautiful without their leaves when you were reconciled to them, and the winter winds blew across the surfaces of the ponds and the fountains were blowing in the bright light. All the distances were short now since we had been in the mountains. Quand nous rentrâmes à Paris, le temps était sec et froid et délicieux. La ville s’était adaptée à l’hiver, il y avait du bon bois en vente chez le marchand de bois et de charbon, de l’autre côté de la rue, et il y avait des braseros à la terrasse de beaucoup de bons cafés pour tenir les consommateurs au chaud. Notre propre appartement était chaud et gai. Dans la cheminée nous brûlions des boulets, faits de poussière de charbon agglomérée et moulée en forme d’œufs, et dans les rues la lumière hivernale était merveilleuse. On s’habituait à voir se détacher les arbres dépouillés sur le fond du ciel, et l’on marchait sur le gravier fraîchement lavé, dans les allées du Luxembourg, sous le vent sec et coupant. Pour qui s’était réconcilié avec ce spectacle, les arbres sans feuilles ressemblaient à autant de sculptures, et les vents d’hiver soufflaient sur la surface des bassins et les fontaines soufflaient leurs jets d’eau dans la lumière brillante. Toutes les distances nous paraissaient courtes, à notre retour de la montagne. Because of the change in altitude I did not notice the grade of the hills except with pleasure, and the climb up to the top floor of the hotel where I worked, in a room that looked across all the roofs and the chimneys of the high hill of the quarter, was a pleasure. The fireplace drew well in the room and it was warm and pleasant to work. I brought mandarines and roasted chestnuts to the room in paper packets and peeled and ate the À cause du changement d’altitude, je ne me rendais plus compte de la pente des collines, sinon pour prendre plaisir à l’ascension, et j’avais même plaisir à grimper jusqu’au dernier étage de l’hôtel, où je travaillais dans une chambre qui avait vue sur tous les toits et les cheminées de la haute colline de mon quartier. La cheminée tirait bien dans la chambre, où il faisait chaud et où je travaillais agréablement. ]’apportais des mandarines et des 109 small tangerine-like oranges and threw their skins and spat their seeds in the fire when I ate them and roasted chestnuts when I was hungry. I was always hungry with the walking and the cold and the working. Up in the room I had a bottle of kirsch that we had brought back from the mountains and I took a drink of kirsch when I would get toward the end of a story or toward the end of the day’s work. When I was through working for the day I put the notebook, or the paper, away in the drawer of the table and put any mandarines that were left in my pocket. They would freeze if they were left in the room at night. marrons grillés dans des sacs en papier et j’épluchais et mangeais de petites oranges semblables à des mandarines et jetais leurs écorces et crachais les pépins dans le feu tout en les mangeant, ainsi que les marrons grillés, quand j’avais faim.]’avais toujours faim à cause de la marche et du froid et du travail. Là-haut, dans la chambre, j’avais une bouteille de kirsch que nous avions rapportée de la montagne et je buvais une rasade de kirsch quand j’arrivais à la conclusion d’un conte ou vers la fin d’une journée de travail. Quand j’avais achevé le travail de la journée, je rangeais mon cahier ou mes papiers dans le tiroir de la table et fourrais dans mes poches les oranges qui restaient. Elles auraient gelé si je les avais laissées dans la chambre pendant la nuit. It was wonderful to walk down the long flights of stairs knowing that I’d had good luck working. I always worked until I had something done and I always stopped when I knew what was going to happen next. That way I could be sure of going on the next day. But sometimes when I was starting a new story and I could not get it going, I would sit in front of the fire and squeeze the peel of the little oranges into the edge of the flame and watch the sputter of blue that they made. I would stand and look out over the roofs of Paris and think, “Do not worry. You have always written before and you will write now. All you have to do is write one true sentence. Write the truest sentence that you know.” So finally I would write one true sentence, and then go on from there. It was easy then because there was always one true sentence that you knew or had seen or had heard someone say. If I started to write elaborately, or like someone introducing or presenting something, I found that I could cut that scrollwork or ornament out and throw it away and start with the first true simple declarative sentence I had written. Up in that room I decided that I would write one story about C’était merveilleux de descendre l’interminable escalier en pensant que j’avais eu de la chance dans mon travail. je travaillais toujours jusqu’au moment où j’avais entièrement achevé un passage et m’arrêtais quand j’avais trouvé la suite. Ainsi, j’étais sûr de pouvoir poursuivre le lendemain. Mais parfois, quand je commençais un nouveau récit et ne pouvais le mettre en train, je m’asseyais devant le feu et pressais la pelure d’une des petites oranges au-dessus de la flamme et contemplais son crépitement bleu. Ou bien je me levais et regardais les toits de Paris et pensais : « Ne t’en fais pas. Tu as toujours écrit jusqu’à présent, et tu continueras. Ce qu’il faut c’est écrire une seule phrase vraie. Écris la phrase la plus vraie que tu connaisses. » Ainsi, finalement, j’écrivais une phrase vraie et continuais à partir de là. C’était facile parce qu’il y avait toujours quelque phrase vraie que j’avais lue ou entendue ou que je connaissais. Si je commençais à écrire avec art, ou comme quelqu’un qui annonce ou présente quelque chose, je constatais que je pouvais aussi bien déchirer cette fioriture ou cette arabesque et la jeter au panier et commencer par la première affirmation simple et vraie qui était venue sous ma plume. Là-haut, dans ma chambre, je décidai que j’écrirais une histoire 110 each thing that I knew about. I was trying to sur chacun des sujets que je connaissais. Je tâchai do this all the time I was writing, and it was de m’en tenir là pendant tout le temps que je passais â écrire et c’était une discipline sévère et good and severe discipline. utile. It was in that room too that I learned not to think about anything that I was writing from the time I stopped writing until I started again the next day. That way my subconscious would be working on it and at the same time I would be listening to other people and noticing everything, I hoped; learning, I hoped; and I would read so that I would not think about my work and make myself impotent to do it. Going down the stairs when you had worked well, and that needed luck as well as discipline, was a wonderful feeling and I was free then to walk anywhere in Paris. If I walked down by different streets to the Jardin du Luxembourg in the afternoon I could walk through the gardens and then go to the Musée du Luxembourg where the great paintings were that have now mostly been transferred to the Louvre and the Jeu de Paume. I went there nearly every day for the Cézannes and to see the Manets and the Monets and the other Impressionists that I had first come to know about in the Art Institute at Chicago. I was learning something from the painting of Cézanne that made writing simple true sentences far from enough to make the stories have the dimensions that I was trying to put in them. I was learning very much from him but I was not articulate enough to explain it to anyone. Besides it was a secret. But if the light was gone in the Luxembourg I would walk up through the gardens and stop in at the studio apartment where Gertrude Stein lived at 27 rue de Fleurus. C’est dans cette chambre que j’appris à ne pas penser à mon récit entre le moment où je cessais d’écrire et le moment où je me remettais au travail, le lendemain. Ainsi, mon subconscient était à l’œuvre et en même temps je pouvais écouter les gens et tout voir, du moins je l’espérais ; je m’instruirais, de la sorte ; et je lirais aussi afin de ne pas penser à mon œuvre au point de devenir incapable de l’écrire. En descendant l’escalier, quand j’avais bien travaillé, aidé par la chance autant que par ma discipline, je me sentais merveilleusement bien et j’étais libre de me promener n’importe où dans Paris. Si je descendais, par des rues toujours différentes, vers le jardin du Luxembourg, l’après-midi, je pouvais marcher dans les allées, et ensuite entrer au musée du Luxembourg où se trouvaient des tableaux dont la plupart ont été transférés au Louvre ou au jeu de Paume. ]’y allais presque tous les jours pour les Cézanne et pour voir les Manet et les Monet et les autres Impressionnistes que j’avais découverts pour la première fois à l’Institut artistique de Chicago. Les tableaux de Cézanne m’apprenaient qu’il ne me suffirait pas d’écrire des phrases simples et vraies pour que mes œuvres acquièrent la dimension que je tentais de leur donner. ]’apprenais beaucoup de choses en contemplant les Cézanne mais je ne savais pas m’exprimer assez bien pour l’expliquer à quelqu’un. En outre, c’était un secret. Mais s’il n’y avait pas assez de lumière au Luxembourg, je traversais le jardin et gagnais le studio où vivait Gertrude Stein, 27, rue de Fleurus. My wife and I had called on Miss Stein, and she and the friend who lived with her had 111 been very cordial and friendly and we had loved the big studio with the great paintings. It was like one of the best rooms in the finest museum except there was a big fireplace and it was warm and comfortable and they gave you good things to eat and tea and natural distilled liqueurs made from purple plums, yellow plums or wild raspberries. These were fragrant, colorless alcohols served from cutglass carafes in small glasses and whether they were quetsche, mirabelle or framboise they all tasted like the fruits they came from, converted into a controlled fire on your tongue that warmed you and loosened your tongue. Miss Stein was very big but not tall and was heavily built like a peasant woman. She had beautiful eyes and a strong German-Jewish face that also could have been Friulano and she reminded me of a northern Italian peasant woman with her clothes, her mobile face and her lovely, thick, alive immigrant hair which she wore put up in the same way she had probably worn it in college. She talked all the time and at first it was about people and places. Ma femme et moi avions été nous présenter à Miss Stein, et celle-ci, ainsi que l’amie qui vivait avec elle, s’était montrée très cordiale et amicale et nous avions adoré le vaste studio et les beaux tableaux: on eût dit l’une des meilleures salles dans le plus beau musée, sauf qu’il y avait une grande cheminée et que la pièce était chaude et confortable et qu’on s’y voyait offrir toutes sortes de bonnes choses à manger et du thé et des alcools naturels, fabriqués avec des prunes rouges ou jaunes ou des baies sauvages. C’étaient des liqueurs odorantes, incolores, renfermées en des carafons de cristal taillé, et servies dans de petits verres, et qu’il s’agît de quetsche, de mirabelle ou de framboise, toutes avaient le parfum du fruit dont elles étaient tirées, converti en un feu bien entretenu sur votre langue, pour la délier et vous réchauffer. Miss Stein était très forte, mais pas très grande, lourdement charpentée comme une paysanne. Elle avait de beaux yeux et un visage rude de juive allemande, qui aurait aussi bien pu être friulano, et elle me faisait penser à quelque paysanne du nord de l’ltalie par la façon dont elle était habillée, par son visage expressif, et sa belle chevelure, lourde, vivante, une chevelure d’immigrante, qu’elle relevait en chignon, sans doute depuis le temps où elle était à l’université. Elle parlait sans cesse et Her companion had a very pleasant voice, was surtout des gens et des lieux · small, very dark, with her hair cut like Joan of Arc in the Boutet de Monvel illustrations and had a very hooked nose. She was working on a piece of needlepoint when we first met Sa compagne, qui avait une voix très agréable, était them and she worked on this and saw to the petite, très brune, avec des cheveux coiffes à la food and drink and talked to my wife. She jeanned’Arc— comme sur les tableaux de Boutet made one conversation and listened to two de Monvel — et un nez très crochu. Elle travaillait à and often interrupted the one she was not une tapisserie la première que nous la vîmes, et making. Afterwards she explained to me that tout en s’occupant de son ouvrage elle veillait à la she always talked to the wives. The wives, my nourriture et à la boisson et bavardait avec ma wife and I felt, were tolerated. But we liked femme. Elle pouvait entretenir une conversation et Miss Stein and her friend, although the friend en suivre deux autres en même temps tout en was frightening, and the paintings and the interrompant souvent l’une de ces dernières. Elle m’expliqua ensuite qu’elle faisait toujours la 112 cakes and the eau-de-vie were truly wonderful. They seemed to like us too and treated us as though we were very good, wellmannered and promising children and I felt that they forgave us for being in love and being married—time would fix that—and when my wife invited them to tea, they accepted. When they came to our flat they seemed to like us even more; but perhaps that was because the place was so small and we were much closer together. Miss Stein sat on the bed that was on the floor and asked to see the stories I had written and she said that she liked some of them except one called “Up in Michigan.” conversation avec les épouses. Les épouses, comme ma femme et moi nous le comprîmes aussitôt, n’étaient que tolérées. Mais nous aimions Miss Stein et son amie, bien que cette amie fût terrifiante· Les tableaux et les gâteaux et l'eau-devie étaient de vraies merveilles. Les deux hôtesses semblaient nous avoir pris en sympathie, elles aussi, et nous traitaient comme des enfants très sages et bien élevés dont on pouvait beaucoup attendre, et je sentis qu’elles nous pardonnaient d’être mariés et amoureux —le temps arrangerait cela — et, lorsque ma femme les convia à prendre le thé elles acceptèrent. Elles semblèrent nous aimer plus encore lorsqu’elles vinrent none voir dans notre appartement: peut-être en raison de l’exigüité des lieux qui nous rapprochait davantage. Miss Stein s’assit sur le lit, posé à même le plan- Chen et demanda à voir les nouvelles que j’avais “It’s good,” she said. “That’s not the question écrites et elle dit qu’elle les aimait, sauf celle que at all. But it is inaccrochable. That means it is j’avais intitulée : Là-haut, dans le Michigan. like a picture that a painter paints and then he « C’est bon, dit-elle, il n’y a pas de doute là-dessus. cannot hang it when he has a show and Mais c’est inaccrochable. je veux dire que c’est nobody will buy it because they cannot hang comme un tableau peint par un artiste qui ne peut it either.” pas l’accrocher dans une exposition et personne ne “But what if it is not dirty but it is only that you are trying to use words that people would actually use? That are the only words that can make the story come true and that you must use them? You have to use them.” l’achètera non plus parce que nul ne trouvera un endroit où l’accrocher. —Mais pourquoi, s’il n’y a rien de grossier dans le texte et si l’on essaie simplement d’utiliser les mots dont tout le monde se sert dans la vie courante ? Si ce sont les seuls mots qui peuvent introduire de la vérité dans un récit, et s’il est nécessaire de les “But you don’t get the point at all,” she said. utiliser, il faut les utiliser ? “You mustn’t write anything that is inaccrochable. There is no point in it. It’s —Mais vous n’y êtes pas du tout, dit-elle, Vous ne devez rien écrire qui soit inaccrochable. Cela ne wrong and it’s silly.” mène à rien. C’est une erreur et une bêtise. » “I see,” I said. I did not agree at all but it was a point of view and I did not believe in arguing «Je vois », dis-je. je n’étais absolument pas with my elders. I would much rather hear d’accord, mais chacun son opinion, et puis je them talk and many of the things that n’aimais pas contredire mes aînés. je préférais de 113 Gertrude said were very intelligent. She told me that sooner or later I must give up journalism and I could not have agreed with her more. She herself wanted to be published in the Atlantic Monthly, she told me, and she would be. She told me that I was not a good enough writer to be published there or in The Saturday Evening Post but that I might be some new sort of writer in my own way but the first thing to remember was not to write stories that were inaccrochable. I did not argue about this nor try to explain again what I was trying to do about conversation. That was my own business and it was much more interesting to listen. That afternoon, too, she told us how to buy pictures. beaucoup les écouter, et Gertrude avait quantité de choses fort intelligentes à dire. Elle me confia que tôt ou tard il me faudrait laisser tomber le journalisme et, sur ce point, je ne pouvais qu’abonder dans son sens. Elle voulait elle-même être publiée dans l’Atlantic Monthly, me dit-elle, et elle y parviendrait. Elle me dit aussi que je n’étais pas un assez bon écrivain pour être publié dans cette revue ou dans le Saturday Evening Post, mais que je pourrais devenir un écrivain d’un genre nouveau, à ma façon, mais que la première chose que je devais retenir, c’était de ne rien y écrire qui fût inaccrochable je n’en discutai pas et ne tentai pas non plus de lui expliquer à nouveau ce que je tentais de faire en matière de dialogues. C’était ma propre affaire et je préférais de beaucoup écouter. Cet après-midi-là, elle nous apprit aussi comment acheter des tableaux. “You can either buy clothes or buy pictures,” she said. “It’s that simple. No one who is not very rich can do both. Pay no attention to your clothes and no attention at all to the mode, and buy your clothes for comfort and durability, and you will have the clothes and money to buy pictures.” « Vous pouvez acheter soit des vêtements, soit des tableaux, dit-elle. C’est tout le problème. Sauf les gens très riches, personne ne peut acheter à la fois les uns et les autres. Ne faites pas attention à la façon dont vous êtes habillés et encore moins à la mode, et achetez des vêtements qui soient solides “But if I never bought any more clothing et confortables, et l’argent que vous aurez ever,” I said, “I wouldn’t have enough to buy économisé vous servira à l’achat des tableaux. the Picassos that I want.” — Mais même si je n’achetais plus jamais un seul “No. He’s out of your range. You have to buy costume, dis-je, je n’aurais jamais assez d’argent the people of your own age—of your own pour acheter le Picasso dont j’ai envie. military service group. You’ll know them. You’ll meet them around the quarter. There —Non, il n’est pas dans vos prix. Achetez les are always good new serious painters. But it’s tableaux artistes de votre âge—des gens qui ont not you buying clothes so much. It’s your wife fait leurs classes, dans l’armée, en même temps always. It’s women’s clothes that are que vous. Vous ferez leur connaissance. Vous en rencontrerez dans le quartier. Il y a toujours de expensive.” bons peintres parmi les jeunes. Mais il ne s’agit pas tant de vos costumes à vous que des robes de votre femme. Ce sont les I saw my wife trying not to look at the vêtements de femme qui coûtent cher. » strange, steerage clothes that Miss Stein wore Je remarquai que ma femme s’efforçait de ne pas and she was successful. When they left we examiner les étranges oripeaux de Miss Stein, et 114 were still popular, I thought, and we were elle parvint à se contenir. Quand nos visiteuses nous quittèrent, nous étions toujours bien en cour, asked to come again to 27 rue de Fleurus. pensai-je, et nous fûmes conviés à retourner au 27 rue de Fleurus. It was later on that I was asked to come to the studio any time after five in the winter time. I had met Miss Stein in the Luxembourg. I cannot remember whether she was walking her dog or not, nor whether she had a dog then. I know that I was walking myself, since we could not afford a dog nor even a cat then, and the only cats I knew were in the cafés or small restaurants or the great cats that I admired in concierges’ windows. Later I often met Miss Stein with her dog in the Luxembourg gardens; but I think this time was before she had one. Il se passa du temps avant que je fusse invité à me rendre au studio à n’impo1·te quel moment après cinq heures, en hiver. j’avais rencontré Miss Stein au Luxembourg. je ne me rappelle plus si elle promenait son chien ou non, ni si elle avait un chien en ce temps-là. Je sais que je me promenais moi-même, car nous ne pouvions pas nous payer un chien, alors, ni même un chat, et les seuls chats que je connaissais étaient ceux des cafés ou des petits restaurants, ou les gros chats que j’admirais à la fenêtre des loges de concierge. Plus tard, je rencontrai souvent Miss Stein avec son chien dans le jardin du Luxembourg, mais je crois que cette fois-là elle n’en avait pas encore. But I accepted her invitation, dog or no dog, and had taken to stopping in at the studio, and she always gave me the natural eau-devie, insisting on my refilling my glass, and I looked at the pictures and we talked. The pictures were wonderful and the talk was very good. She talked, mostly, and she told me about modern pictures and about painters— more about them as people than as painters—and she talked about her work. She showed me the many volumes of manuscript that she had written and that her companion typed each day. Writing every day made her happy, but as I got to know her better I found that for her to keep happy it was necessary for this steady daily output, which varied with her energy, but was regular, and therefore became huge, to be published and that she receive official recognition. j’acceptai donc son invitation, avec ou sans chien, et pris l’habitude de lui rendre visite, dans son studio, et elle m’offrait toujours quelque eau-de-vie fruitée, insistant pour remplir plusieurs fois mon verre, et je regardais les tableaux et nous bavardions. Les peintures étaient fort intéressantes et la conversation très instructive. C’était elle qui parlait surtout et elle m’initiait à la peinture et aux peintres modernes — insistant davantage sur la personnalité de ceux-ci que sur leur art— et commentait ses propres œuvres. Elle me montra de nombreux manuscrits qu’elle avait rédigés, et que sa compagne dactylographiait chaque jour. Ecrire chaque jour la rendait heureuse, mais quand je la connus mieux, je compris que pour rester heureuse il lui faudrait bientôt voir publier le produit de son travail quotidien et persévérant — dont le volume variait d’ailleurs selon son énergie à l’ouvrage et— obtenir quelque consécration. This had not become an acute situation when La situation n’était pas dramatique quand je fis la I first knew her, since she had published three connaissance de Miss Stein, car elle avait publié trois nouvelles, aisément compréhensibles pour 115 stories that were intelligible to anyone. One of these stories, “Melanctha,” was very good and good samples of her experimental writing had been published in book form and had been well praised by critics who had met her or known her. She had such a personality that when she wished to win anyone over to her side she could not be resisted, and critics who met her and saw her pictures took writing of hers that they could not understand on trust because of their enthusiasm for her as a person, and their confidence in her judgment. She had also discovered many things about rhythms and the uses of words in repetition that were valid and valuable and she talked well about them. n’importe quel lecteur. L’une de ces nouvelles, Melcmctha, était excellente, et des échantillons significatifs de ses œuvres expérimentales avaient été publiés sous forme de recueil et avaient été favorablement accueillis par des critiques qui l’avaient rencontrée ou la connaissaient. Elle avait une telle personnalité qu’elle pouvait mettre n’importe qui de son côté, si elle le voulait, et qu’on ne pouvait lui résister, et les critiques qui l’avaient rencontrée ou qui avaient vu sa collection de tableaux prenaient ses œuvres au sérieux, même s’ils n’y comprenaient rien, tant ils étaient enthousiasmés par sa personne et avaient confiance en son jugement. Elle avait aussi découvert plusieurs vérités relatives au rythme et à l’emploi des répétitions; ces découvertes étaient valables et utiles et elle en parlait avec persuasion. Mais elle n’aimait ni peiner sur les corrections, ni But for her to continue to write each day without the drudgery of revision nor the obligation to make her writing intelligible and continue to have the true happiness of creation, it was beginning to become necessary for her to have publication and official acceptance, especially for the unbelievably long book called The Making of Americans. This book began magnificently, went on very well for a long way with stretches of great brilliance and then went on endlessly in repetitions that a more conscientious and less lazy writer would have put in the waste basket. I came to know it very well as I got Ford Madox Ford to publish it in The Transatlantic Review serially—forced, perhaps would be the word—knowing that it would outrun the life of the review. I was overly familiar with the review’s finances, and I had to read all of Miss Stein’s proof for her as this was a work which gave her no happiness. rendre sa prose intelligible, malgré son vif désir d’être publiée et d’obtenir une consécration officielle, tout particulièrement pour l’un de ses livres, incroyablement long, intitulé Américains d’Amérique. Le début de ce livre était merveilleux et la suite était très bonne, jusqu’à un certain point, avec des morceaux extrêmement brillants, mais tout cela aboutissait à des répétitions interminables qu’un écrivain plus consciencieux ou moins paresseux aurait jetées dans la corbeille à papier.]’en vins à le connaître très bien, car j’incitai—obligeai plutôt — Ford Madox Ford à le publier en feuilletons dans la Transatlantic Review, tout en sachant que la vie de la revue ne pourrait suffire à la publication. Il me fallut relire toutes les épreuves d’imprimerie moimême, car c’était là un travail dont Miss Stein ne tirait aucune satisfaction. 116 On this cold afternoon when I had come past the concierge’s lodge and the cold courtyard to the warmth of the studio, all that was years ahead; and on this day Miss Stein was instructing me about sex. By that time we liked each other very much and I had already learned some time before that everything I did not understand probably had something to it. Miss Stein thought that I was what we would probably call now a square about sex and I must admit that I had certain prejudices against homosexuality since I knew its more primitive aspects. I knew it was why you carried a knife and would use it when you were in the company of tramps when you were a boy in the days when wolves was not a slang term for men obsessed by the pursuit of women. I knew many inaccrochable terms and phrases from Kansas City days and the mores of different parts of that city, Chicago and the lake boats. Under questioning I tried to tell Miss Stein that when you were a boy and moved in the company of men, you had to be prepared to kill a man, know how to do it and really know that you would do it in order not to be interfered with. That was the term that was accrochable. If you knew you would kill, other people sensed it very quickly and you were let alone; but there were certain situations you could not allow yourself to be forced into or trapped into. I could have expressed myself more vividly by using an inaccrochable phrase that wolves used on the lake boats, “Oh gash may be fine but one eye for mine.” But I was always careful of my language with Miss Stein even when true phrases might have clarified or better expressed a prejudice. Mais en ce jour froid où j’avais dépassé la loge du concierge et traversé la cour froide pour me réfugier dans la chaleur du studio, rien de tout cela n’était encore arrivé et il s’en fallait de plusieurs années. Cet après-midi-là, donc, Miss Stein faisait mon éducation en matière de vie sexuelle. À cette époque, nous étions très liés et j’avais déjà appris que tout ce que je ne comprenais pas avait sans doute quelque rapport avec la sexualité. Miss Stein pensait que j’étais trop ignare en la matière et je dois admettre que j’entretenais certains préjugés contre homosexualité, n’en ayant jamais eu qu’une connaissance fort primaire. je savais que c’était la raison pour laquelle il fallait avoir un couteau et pouvoir s’en servir quand on se trouvait avec des vagabonds, lorsqu’on était encore un jeune garçon, à une époque où le mot « dragueur » ne désignait pas encore, en argot, l’homme obsédé par le désir d’une femme. je connaissais bien des expressions et des mots inaccrochables que j’avais appris à Kansas City, ou des coutumes en usage dans certains quartiers de Chicago et sur les bateaux des Grands Lacs. Sous prétexte de l’interroger, j’essayai d’expliquer à Miss Stein qu’un jeune garçon, fourvoyé dans la compagnie des hommes, doit se sentir prêt à tuer un homme, et savoir comment le faire, et savoir aussi qu’il peut être vraiment amené à le faire pour ne pas être « embêté » par des hommes. Ce terme était accrochable. Si vous vous savez prêt à tuer, les autres le sentent très vite et vous laissent tranquille. Mais il est certaines situations dans lesquelles il ne faut pas se laisser mettre ni s’enferrer. j’aurais pu m’exprimer de façon plus claire, en employant un dicton inaccrochable que les dragueurs citaient sur les bateaux des Grands Lacs: « Suffit pas de baiser, faut garer son cul. » Mais je surveillais toujours mon langage devant Miss Stein, même lorsqu’une phrase vraie aurait pu mettre en lumière ou mieux exprimer un préjugé. Corpus Lepinay 117 Chapter One 22 juin 1911 June 22, 1911 Le jour où le roi George V fut couronné à On the day King George V was crowned at l’abbaye de Westminster à Londres, Billy Westminster Abbey in London, Billy Williams Williams descendit pour la première fois à la went down the pit in Aberowen, South Wales. mine, à Aberowen, dans le sud du pays de Galles. The twenty-second of June, 1911, was Billy's En ce 22 juin 1911, Billy fêtait ses treize ans. thirteenth birthday. He was woken by his father. Son père le réveilla. La méthode de Da était plus Da's technique for waking people was more efficace que tendre. Il lui tapota la joue, à un effective than it was kind. He patted Billy's rythme régulier, fermement, avec insistance. cheek, in a regular rhythm, firmly and insistently. Billy dormait à poings fermés et, pendant Billy was in a deep sleep, and for a second he quelques instants, il essaya de l’ignorer, mais les tried to ignore it, but the patting went on petites claques continuaient impitoyablement. Il relentlessly. Momentarily he felt angry; but then éprouva un élan de colère puis se rappela qu’il he remembered that he had to get up, he even devait se lever, qu’il voulait même se lever. Il wanted to get up, and he opened his eyes and ouvrit les yeux et s’assit d’un bond. sat upright with a jerk. "Four o'clock," Da said, then he left the room, his « Quatre heures », annonça Da avant de sortir boots banging on the wooden staircase as he de la chambre et de descendre bruyamment went down. l’escalier de bois. Today Billy would begin his working life by Aujourd’hui, Billy commençait à travailler. Il becoming an apprentice collier, as most of the serait apprenti mineur, comme la plupart des men in town had done at his age. He wished he hommes de la ville l’avaient été à son âge. Il felt more like a miner. But he was determined regrettait de ne pas se sentir tout à fait dans la not to make a fool of himself. David Crampton peau du personnage. Mais il était bien décidé à had cried on his first day down the pit, and they ne pas se ridiculiser. David Crampton avait still called him Dai Crybaby, even though he was pleuré la première fois qu’il était descendu au twenty-five and the star of the town's rugby fond on l’appelait encore Dai Ouin-Ouin, alors team. qu’il avait déjà vingt-cinq ans et était la vedette de l’équipe de rugby de la ville. It was the day after midsummer, and a bright early light came through the small window. Billy looked at his grandfather, lying beside him. Gramper's eyes were open. He was always awake, whenever Billy got up; he said old people did not sleep much. Billy got out of bed. He was wearing only his underdrawers. In cold weather he wore his shirt to bed, but Britain was enjoying a hot summer, and the nights were mild. He pulled the pot from under the bed and took off the lid. There was no change in the size of his penis, which he called his peter. It was still the childish stub it had always been. He had hoped it might have started to grow on the night before his birthday, or perhaps that he might see just one black hair sprouting somewhere near it, but he was disappointed. His best friend, Tommy Griffiths, who had been born on the same day, was different: he had a cracked voice and a dark fuzz on his upper lip, and his peter was like a En ce lendemain du solstice d’été, la petite fenêtre laissait passer la lumière claire de l’aube. Billy se tourna vers son grand-père, allongé à côté de lui. Les yeux de Gramper étaient ouverts. Il était toujours éveillé quand Billy se levait ; il disait que les vieux, ça ne dort pas beaucoup. Billy sortit du lit. Il ne portait que son caleçon. Par temps froid, il gardait sa chemise pour dormir, mais cette année-là, la Grande-Bretagne bénéficiait d’un bel été et les nuits étaient douces. Il tira le pot de chambre rangé sous le lit et en ôta le couvercle. La taille de son sexe, « sa bite » comme il l’appelait, n’avait pas changé : toujours riquiqui comme celle d’un gosse. Billy avait espéré qu’elle se mettrait à pousser dans la nuit qui précéderait son anniversaire, ou même qu’un unique poil noir surgirait dans les parages, en vain. Son meilleur ami, Tommy Griffiths, qui était né le même jour que lui, avait déjà la voix rauque, un duvet foncé sur la lèvre supérieure et 118 man's. It was humiliating. As Billy was using the pot, he looked out of the window. All he could see was the slag heap, a slate-gray mountain of tailings, waste from the coal mine, mostly shale and sandstone. This was how the world appeared on the second day of Creation, Billy thought, before God said: "Let the earth bring forth grass." A gentle breeze wafted fine black dust off the slag onto the rows of houses. Inside the room there was even less to look at. This was the back bedroom, a narrow space just big enough for the single bed, a chest of drawers, and Gramper's old trunk. On the wall was an embroidered sampler that read: BELIEVE ON THE LORD JESUS CHRIST AND THOU SHALT BE SAVED There was no mirror. One door led to the top of the stairs, the other to the front bedroom, which could be accessed only through this one. It was larger and had space for two beds. Da and Mam slept there, and Billy's sisters had too, years ago. The eldest, Ethel, had now left home, and the other three had died, one from measles, one from whooping cough, and one from diphtheria. There had been an older brother, too, who had shared Billy's bed before Gramper came. Wesley had been his name, and he had been killed underground by a runaway dram, one of the wheeled tubs that carried coal. Billy pulled on his shirt. It was the one he had worn to school yesterday. Today was Thursday, and he changed his shirt only on Sunday. However, he did have a new pair of trousers, his first long ones, made of the thick waterrepellent cotton called moleskin. They were the symbol of entry into the world of men, and he pulled them on proudly, enjoying the heavy masculine feel of the fabric. He put on a thick leather belt and the boots he had inherited from Wesley, then he went downstairs. un sexe d’homme. C’était humiliant. Tout en servant du pot, Billy regarda par la fenêtre. Il ne voyait que le crassier, une montagne de résidus de broyage gris ardoise, déchets de la mine de charbon, essentiellement composés de schiste et de grès. Le visage du monde au second jour de la Création, songea-t-il avant que Dieu ne dise : » Que la terre se couvre de verdure. » Une brise légère soulevait la fine poussière noire du terril qui se déposait sur les rangées de maisons. Il y avait encore moins de choses à voir à l’intérieur de la pièce, une chambre exiguë au fond de la maison, sans miroir, où tenaient à peine un lit d’une personne, une commode et la vieille malle de Gramper. Sur le mur, une broderie au point de croix proclamait : CROIS AU SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ET TU SERAS SAUVÉ Une porte ouvrait sur le palier, l’autre sur la chambre de devant, à laquelle on accédait en traversant celle-ci. Elle était plus vaste, assez spacieuse pour abriter deux lits. C’était là que dormaient Da et Mam, et les sœurs de Billy, bien des années plus tôt. L’aînée, Ethel, avait quitté la maison à présent ; et les trois autres étaient mortes, l’une de la rougeole, la deuxième de la coqueluche et la dernière de la diphtérie. Il y avait eu un grand frère aussi, qui avait partagé le lit de Billy avant l’arrivée de Gramper. Il s’appelait Wesley, et avait été tué au fond de la mine par une berline emballée, un des wagonnets qui transportaient le charbon. Billy enfila sa chemise, celle qu’il avait portée la veille pour aller à l’école. On était jeudi, et il n’en changeait que le dimanche. Mais il avait un pantalon neuf, ses premières culottes longues, coupées dans de la « moleskine », une épaisse cotonnade imperméable : le symbole de son entrée dans le monde des hommes. Il l’enfila fièrement appréciant le toucher lourd et viril de l’étoffe, il passa une solide ceinture de cuir et mit les grosses chaussures qu’il avait héritées de Wesley. Puis il descendit. La plus grande partie du rez-de-chaussée était 119 Most of the ground floor was taken up by the living room, fifteen feet square, with a table in the middle and a fireplace to one side, and a homemade rug on the stone floor. Da was sitting at the table reading an old copy of the Daily Mail, a pair of spectacles perched on the bridge of his long, sharp nose. Mam was making tea. She put down the steaming kettle, kissed Billy's forehead, and said: "How's my little man on his birthday?" Billy did not reply. The "little" was wounding, because he was little, and the "man" was just as hurtful because he was not a man. He went into the scullery at the back of the house. He dipped a tin bowl into the water barrel, washed his face and hands, and poured the water away in the shallow stone sink. The scullery had a copper with a fire grate underneath, but it was used only on bath night, which was Saturday. They had been promised running water soon, and some of the miners' houses already had it. It seemed a miracle to Billy that people could get a cup of cold clear water just by turning the tap, and not have to carry a bucket to the standpipe out in the street. But indoor water had not yet come to Wellington Row, where the Williamses lived. He returned to the living room and sat at the table. Mam put a big cup of milky tea in front of him, already sugared. She cut two thick slices off a loaf of homemade bread and got a slab of dripping from the pantry under the stairs. Billy put his hands together, closed his eyes, and said: "Thank you Lord for this food amen." Then he drank some tea and spread dripping on his bread. Da's pale blue eyes looked over the top of the paper. "Put salt on your bread," he said. "You'll sweat underground." Billy's father was a miners' agent, employed by the South Wales Miners' Federation, which was the strongest trade union in Britain, as he said whenever he got the chance. He was known as Dai Union. A lot of men were called Dai, occupée par la salle de séjour, un carré de quatre mètres cinquante de côté, avec une cheminée, une table au milieu et un tapis grossier pour réchauffer le sol de pierre. Assis à la table, Da lisait un vieux numéro du Daily Mail , ses lunettes perchées sur l’arête de son long nez pointu. Mam préparait le thé. Elle posa la bouilloire fumante, embrassa Billy sur le front et dit : « Bon anniversaire, Billy. Comment va mon petit homme ? » Billy ne répondit pas. « Petit » était blessant parce qu’il l’était effectivement, « homme » l’était tout autant parce qu’il n’en était pas un. Il passa à l’arrière-cuisine. Il plongea une cuvette de fer-blanc dans le tonneau rempli d’eau, se lava la figure et les mains, et vida la bassine dans l’évier de pierre peu profond. L’arrière-cuisine contenait aussi une cuve à lessive sur une grille de cheminée, mais on ne s’en servait que le soir du bain, le samedi. On leur avait promis l’eau courante pour bientôt et certaines maisons de mineurs en étaient déjà équipées. Billy trouvait miraculeux de pouvoir remplir une tasse d’eau propre en tournant simplement un robinet, sans avoir à porter un seau jusqu’à la colonne d’alimentation dans la rue. Mais cette commodité moderne n’était pas encore arrivée jusqu’à Wellington Row, où habitaient les Williams. Il retourna dans la salle et s’assit à table. Mam plaça devant lui une grande tasse de thé au lait déjà sucré. Elle coupa deux grosses tranches dans une miche de pain de ménage et alla chercher un morceau de graisse dans le gardemanger, sous l’escalier. Billy joignit les mains en fermant les yeux : « Merci, Seigneur, pour cette nourriture. Amen. » Puis il but son thé et étala la graisse sur son pain. Da leva ses yeux bleu pâle de son journal. « Mets du sel sur ton pain, conseilla-t-il. Tu vas transpirer au fond. » Le père de Billy était représentant des mineurs, employé par la fédération des mineurs de Galles du sud, le plus puissant syndicat de Grande-Bretagne, comme il ne manquait pas de le préciser à la moindre occasion. On le surnommait Dai Syndicat. Beaucoup d’hommes ici s’appelaient Dai, que l’on prononçait Daï, un 120 pronounced "die," short for David, or Dafydd in Welsh. Billy had learned in school that David was popular in Wales because it was the name of the country's patron saint, like Patrick in Ireland. All the Dais were distinguished one from another not by their surnames—almost everyone in town was Jones, Williams, Evans, or Morgan—but by a nickname. Real names were rarely used when there was a humorous alternative. Billy was William Williams, so they called him Billy Twice. Women were sometimes given their husband's nickname, so that Mam was Mrs. Dai Union. Gramper came down while Billy was eating his second slice. Despite the warm weather he wore a jacket and waistcoat. When he had washed his hands he sat opposite Billy. "Don't look so nervous," he said. "I went down the pit when I was ten. And my father was carried to the pit on his father's back at the age of five, and worked from six in the morning until seven in the evening. He never saw daylight from October to March." "I'm not nervous," Billy said. This was untrue. He was scared stiff. However, Gramper was kindly, and he did not press the point. Billy liked Gramper. Mam treated Billy like a baby, and Da was stern and sarcastic, but Gramper was tolerant and talked to Billy as to an adult. "Listen to this," said Da. He would never buy the Mail, a right-wing rag, but he sometimes brought home someone else's copy and read the paper aloud in a scornful voice, mocking the stupidity and dishonesty of the ruling class. "'Lady Diana Manners has been criticized for wearing the same dress to two different balls. The younger daughter of the Duke of Rutland won "best lady's costume" at the Savoy Ball for her off-the-shoulder boned bodice with full hooped skirt, receiving a prize of two hundred and fifty guineas.'" He lowered the paper and said: "That's at least five years' wages for you, Billy boy." He resumed: "'But she drew the frowns of the cognoscenti by wearing the same diminutif de David, ou Dafydd en gallois. Billy avait appris à l’école que ce prénom était populaire au pays de Galles, parce que c’était le nom de son saint patron, comme Patrick en Irlande. Pour distinguer tous ces Dai, on n’utilisait pas leurs patronymes – dans la ville, il n’y avait presque que des Jones, des Williams, des Evans ou des Morgan - , mais des sobriquets. Il était bien rare qu’on les appelle par leur vrai nom quand on pouvait faire un peu d’humour à leurs dépens. Billy s’appelant Williams Williams, il était devenu Billy Deux-fois. Dans certains cas, on donnait aux femmes le surnom de leur mari ; ainsi, Mam était Mrs Dai Syndicat. Gramper arriva au moment où Billy entamait sa deuxième tartine. Malgré la chaleur, il portait une veste et un gilet. Après s’être lavé les mains, il s’assit en face de Billy. « Ne te fais pas de cheveux, va, dit-il. Je suis descendu à la mine quand j’avais dix ans. Et figure-toi que mon père n’avait que cinq ans quand son propre père l’a porté en bas, sur son dos. Il travaillait de six heures du matin à sept heures du soir. D’octobre à mars, il ne voyait jamais la lumière du jour. - Je ne m’en fais pas », mentit Billy qui en réalité était mort de peur. Gramper était gentil et n’insista pas. Billy l’aimait bien. Mam le traitait comme un bébé, Da était sévère et sarcastique, mais Gramper était tolérant et parlait à Billy comme à un adulte. « Écoutez ça », lança Da. Il n’aurait jamais acheté le Mail, une feuille de droite. Il lui arrivait d’en rapporter un numéro que quelqu’un avait laissé trainer et d’en lire des articles tout haut d’une voix méprisante, persiflant la stupidité et la mauvaise foi de la classe au pouvoir. « Lady Diana Manners a été critiquée pour avoir porté la même robe à deux bals différents. La benjamine du duc de Rutland a remporté le concours du ‘ plus beau costume féminin’ au bal du Savoy pour sa robe à corsage bustier sur une jupe à paniers, concours doté d’un prix de deux cent cinquante guinées. » Il baissa son journal pour préciser : « Ce qui fait au moins cinq ans de ton salaire, Billy boy. » Il reprit sa lecture : « Mais elle s’est attiré les foudres des connaisseurs en portant la même tenue à la réception donnée par Lord Winterton et F.E 121 dress to Lord Winterton and F. E. Smith's party at Claridge's Hotel. One can have too much of a good thing, people said.'" He looked up from the paper. "You'd better change that frock, Mam," he said. "You don't want to draw the frowns of the cognoscenti." Mam was not amused. She was wearing an old brown wool dress with patched elbows and stains under the armpits. "If I had two hundred and fifty guineas I'd look better than Lady Diana Muck," she said, not without bitterness. "It's true," Gramper said. "Cara was always the pretty one—just like her mother." Mam's name was Cara. Gramper turned to Billy. "Your grandmother was Italian. Her name was Maria Ferrone." Billy knew this, but Gramper liked to retell familiar stories. "That's where your mother gets her glossy black hair and lovely dark eyes— and your sister. Your gran was the most beautiful girl in Cardiff—and I got her!" Suddenly he looked sad. "Those were the days," he said quietly. Da frowned with disapproval—such talk suggested the lusts of the flesh—but Mam was cheered by her father's compliments, and she smiled as she put his breakfast in front of him. "Oh, aye," she said. "Me and my sisters were considered beauties. We'd show those dukes what a pretty girl is, if we had the money for silk and lace." Billy was surprised. He had never thought of his mother as beautiful or otherwise, though when she dressed for the chapel social on Saturday evening she did look striking, especially in a hat. He supposed she might once have been a pretty girl, but it was hard to imagine. "Mind you," said Gramper, "your gran's family were clever, too. My brother-in-law was a miner, but he got out of the industry and opened a café in Tenby. Now there's a life for you—sea breezes, and nothing to do all day but make coffee and count your money." Smith au Claridge’s. Il ne faut pas abuser des bonnes choses, a-t-on observé. » Il leva les yeux au-dessus de son journal. « Tu devrais changer de robe, Mam. Tu ne voudrais tout de même pas t’attirer les foudres des connaisseurs. » Cela ne fit pas rire Mam. Elle portait une vieille robe de laine brune aux coudes rapiécés, décolorée aux aisselles. «Si j’avais deux cent cinquante guinées, j’aurais plus d’allure que Lady Diana de Crotte, marmonna-t-elle non sans amertume. - C’est sûr, approuva Gramper. Cara a toujours été jolie fille, comme sa mère. » Le prénom de Mam était Cara. Gramper se tourna vers Billy. « Ta grand-mère était italienne. Elle s’appelait Maria Ferrone. » Billy le savait, mais Gramper aimait répéter les mêmes histoires. « C’est d’elle que ta mère tient ses cheveux noirs brillants et ses beaux yeux sombres, ta sœur aussi. Ta grand-mère était la plus jolie fille de Cardiff – et c’est moi qui l’ai eue ! » Son visage se rembrunit. « C’était le bon temps », dit-il tout bas. Da esquissa une grimace de réprobation – ces propos évoquaient les plaisirs de la chair -, mais le compliment fit plaisir à Mam qui sourit en posant son petit déjeuner devant son père. « Oh oui, renchérit-elle. On passait pour des beautés, mes sœurs et moi. On pourrait leur montrer, à tous ces ducs, ce que c’est qu’une jolie fille si on avait l’argent pour s’acheter de la soie et des dentelles. » Billy fut surpris. Il n’avait jamais pensé que sa mère puisse être belle. Tout de même, quand elle s’habillait pour aller à la réunion du temple le samedi soir, elle était drôlement bien, tout particulièrement avec son chapeau. Après tout, elle avait peut être été jolie un jour, même s’il avait du mal à l’imaginer. « Remarque, reprit Gramper, que dans la famille de ta grand-mère, on avait aussi de la cervelle. Mon beau-frère était mineur, mais il a quitté l’industrie pour ouvrir un café à Tenby. Une vraie vie de cocagne : la brise marine, et rien à faire de toute la journée sauf préparer du café et compter tes sous. » Da lut un autre article. « Dans le cadre des Da read another item. "'As part of the préparatifs du couronnement, Buckingham 122 preparations for the coronation, Buckingham Palace has produced a book of instructions two hundred and twelve pages long.'" He looked over the paper. "Mention that down the pit today, Billy. The men will be relieved to know that nothing has been left to chance." Billy was not very interested in royalty. What he liked was the adventure stories the Mail often printed about tough rugby-playing public-school men catching sneaky German spies. According to the paper, such spies infested every town in Britain, although there did not seem to be any in Aberowen, disappointingly. Billy stood up. "Going down the street," he announced. He left the house by the front door. "Going down the street" was a family euphemism: it meant going to the toilets, which stood halfway down Wellington Row. A low brick hut with a corrugated iron roof was built over a deep hole in the earth. The hut was divided into two compartments, one for men and one for women. Each compartment had a double seat, so that people went to the toilet two by two. No one knew why the builders had chosen this arrangement, but everyone made the best of it. Men looked straight ahead and said nothing, but—as Billy could often hear—women chatted companionably. The smell was suffocating, even when you experienced it every day of your life. Billy always tried to breathe as little as possible while he was inside, and came out gasping for air. The hole was shoveled out periodically by a man called Dai Muck. When Billy returned to the house he was delighted to see his sister Ethel sitting at the table. "Happy birthday, Billy!" she cried. "I had to come and give you a kiss before you go down the pit." Ethel was eighteen, and Billy had no trouble seeing her as beautiful. Her mahogany-colored hair was irrepressibly curly, and her dark eyes twinkled with mischief. Perhaps Mam had looked like this once. Ethel wore the plain black Palace a publié un recueil d’instructions de deux cent douze pages. » Il reposa le journal. « Raconte-leur ça à la mine tout à l’heure, Billy. Les gars seront soulagés d’apprendre qu’on n’a rien laissé au hasard. » La famille royale n’intéressait pas beaucoup Billy. Ce qu’il aimait, c’étaient les récits d’aventures que le Mail publiait régulièrement, des histoires d’anciens élèves d’écoles privées, de rudes joueurs de rugby, qui capturaient de fourbes espions allemands. Á en croire le journal, la Grande-Bretagne en était infestée, mais il ne semblait pas y en avoir à Aberowen, ce qui était vraiment dommage. Billy se leva. « Je descends la rue », annonça-til. Il se dirigea vers la porte d’entrée et sortit. « Descendre la rue » était un euphémisme familial pour dire qu’on allait aux cabinets, lesquels se trouvaient à mi-parcours de Wellington Row. On avait bâti une petite cahute de brique couverte d’un toit en tôle ondulée audessus d’un trou profondément creusé dans le sol. La cabane était divisée en deux compartiments, un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Chaque compartiment possédait un double siège, si bien qu’on allait aux toilettes deux par deux. Personne ne savait pourquoi les constructeurs avaient choisi cette disposition, mais tout le monde en prenait son parti. Les hommes regardaient droit devant eux et se taisaient, alors que les femmes – comme Billy l’avait souvent constaté- bavardaient cordialement. L’odeur était suffocante, même pour ceux qui la supportaient tous les jours. Billy essayait toujours de retenir son souffle quand il était à l’intérieur, et ressortait, haletant. La fosse était régulièrement vidangée par un homme qu’on surnommait Dai Gadoue. En revenant dans la maison, Billy fut enchanté de voir sa sœur Ethel assise à table. « Bon anniversaire, Billy ! s’écria-t-elle. Je suis venue t’embrasser avant que tu descendes à la mine. » Ethel avait dix-huit ans, et Billy n’avait aucun mal à voir qu’elle était belle, elle. Ses cheveux acajou encadraient son visage de boucles rebelles, ses yeux bruns étincelaient d’espièglerie. Peut-être Mam lui avait-elle ressemblé un jour. Ethel portait une seyante tenue de bonne, une robe noire unie avec une 123 dress and white cotton cap of a housemaid, an outfit that flattered her. Billy worshipped Ethel. As well as pretty, she was funny and clever and brave, sometimes even standing up to Da. She told Billy things no one else would explain, such as the monthly episode women called the curse, and what was the crime of public indecency that had caused the Anglican vicar to leave town in such a hurry. She had been top of the class all the way through school, and her essay "My Town or Village" had taken first prize in a contest run by the South Wales Echo. She had won a copy of Cassell's Atlas of the World. She kissed Billy's cheek. "I told Mrs. Jevons the housekeeper that we were running out of boot polish and I'd better get some more from the town." Ethel lived and worked at T? Gwyn, the vast home of Earl Fitzherbert, a mile away up the mountain. She handed Billy something wrapped in a clean rag. "I stole a piece of cake for you." "Oh, thanks, Eth!" said Billy. He loved cake. Mam said: "Shall I put it in your snap?" "Aye, please." Mam got a tin box from the cupboard and put the cake inside. She cut two more slabs of bread, spread them with dripping, sprinkled salt, and put them in the tin. All the miners had a tin "snap." If they took food underground wrapped in a rag, the mice would eat it before the midmorning break. Mam said: "When you bring me home your wages, you can have a slice of boiled bacon in your snap." Billy's earnings would not be much, at first, but all the same they would make a difference to the family. He wondered how much Mam would allow him for pocket money and whether he would ever be able to save enough for a bicycle, which he wanted more than anything else in the world. Ethel sat at the table. Da said to her: "How are coiffe de coton blanc. Billy adorait sa sœur. En plus d’être jolie, elle était drôle, intelligente et courageuse : elle n’hésitait pas quelquefois à tenir tête à Da. Elle expliquait à Billy des choses dont tout le monde refusait de lui parler, ce que les femmes appelaient leurs « règles » par exemple, ou en quoi consistait le crime d’attentat à la pudeur qui avait obligé le pasteur anglican à quitter précipitamment la ville. Elle avait été première de sa classe pendant toute sa scolarité et sa rédaction sur « Ma ville ou mon village » avait remporté le premier prix à un concours organisé par le South Wales Echo qui lui avait valu de gagner un exemplaire de l’Atlas du monde de Cassell. Elle embrassa Billy sur la joue. « J’ai dit à l’intendante, Mrs Jevons, que nous allions être à court de cirage et qu’il fallait que j’aille en ville en chercher. » Ehtel vivait et travaillait à Tŷ Gwyn, le château du comte Fitzherbert, à un peu plus d’un kilomètre de la ville, dans la montagne. Elle tendit à Billy un petit paquet emballé dans un chiffon propre. « J’ai volé un bout de gâteau pour toi. -Oh, merci, Eth ! » Billy adorait les gâteaux. « Tu veux que je le mette dans ta gamelle ? proposa Mam. - Oui, s’il te plaît. » Mam sortit une boîte métallique du placard et l’y déposa avec deux tranches de pain tartinées de graisse et saupoudrées de sel. Tous les mineurs avaient une gamelle en fer-blanc. S’ils emportaient dans la fosse leur repas enveloppé d’un chiffon, les souris dévoraient tout avant la pause de la matinée. Mam dit : « Quand tu me rapporteras ta paye, tu auras une tranche de lard bouilli dans ta gamelle. » Billy ne toucherait pas grand-chose au début, mais cela ferait tout de même une petite différence pour sa famille. Il se demanda combien Mam lui laisserait d’argent de poche et s’il arriverait à économiser assez pour s’acheter la bicyclette de ses rêves. Ethel s’assit à la table. « Comment ça va, au château ? demanda Da. 124 things at the big house?" "Nice and quiet," she said. "The earl and princess are in London for the coronation." She looked at the clock on the mantelpiece. "They'll be getting up soon—they need to be at the abbey early. She won't like it—she's not used to early hours— but she can't be late for the king." The earl's wife, Bea, was a Russian princess, and very grand. Da said: "They'll want to get seats near the front, so they can see the show." "Oh, no, you can't sit anywhere you like," Ethel said. "They've had six thousand mahogany chairs made special, with the names of the guests on the back in gold writing." Gramper said: "Well, there's a waste! What will they do with them after?" -C’est bien calme. Le comte et la princesse sont à Londres pour le couronnement. » Elle regarda la pendule posée sur la cheminée. « Ils ne vont pas tarder à se lever : il faut qu’ils soient à l’abbaye de bonne heure. Ca ne va pas lui plaire, à elle – ce n’est pas une lève-tôt -, mais elle ne peut pas se permettre d’être en retard un jour comme aujourd’hui. » La femme du comte, Bea, une princesse russe, se donnait des grands airs. « Ils voudront avoir des places devant, pour mieux voir, dit Da. - Oh, tu sais, on ne peut pas se mettre où on veut, expliqua Ethel. Ils ont fait fabriquer tout spécialement six mille chaises en acajou, avec les noms des invités en lettres d’or sur le dossier. - Quel gâchis ! s’écria Gramper. Qu’est-ce qu’ils vont en faire après ? - Je ne sais pas. Peut-être que chacun va "I don't know. Perhaps everyone will take them remporter la sienne, en souvenir. home as souvenirs." Da said dryly: "Tell them to send a spare one to us. There's only five of us here, and already your mam's got to stand." When Da was being facetious there might be real anger underneath. Ethel leaped to her feet. "Oh, sorry, Mam, I didn't think." "Stay where you are, I'm too busy to sit down," said Mam. The clock struck five. Da said: "Best get there early, Billy boy. Start as you mean to go on." Billy got to his feet reluctantly and picked up his snap. Ethel kissed him again, and Gramper shook his hand. Da gave him two six-inch nails, rusty and a bit bent. "Put those in your trousers pocket." "What for?" said Billy. "You'll see," Da said with a smile. Mam handed Billy a quart bottle with a screw top, full of cold tea with milk and sugar. She said: "Now, Billy, remember that Jesus is always with you, even down the pit." "Aye, Mam." - Dis-leur de nous en envoyer une s’ils en ont trop, lança Da d’un ton ironique. Nous ne sommes que cinq ici, et pourtant ta Mam est obligée de rester debout. » Les plaisanteries de Da pouvaient dissimuler une vraie irritation. Ethel se leva d’un bond. « Oh, pardon, Mam ! Je n’ai pas fait attention. - Reste où tu es, je suis trop occupée pour m’asseoir », protesta sa mère. La pendule sonna cinq coups. « Il vaut mieux que tu y sois de bonne heure, Billy boy, dit Da. Autant partir d’un bon pied. » Billy se leva à regret et attrapa sa gamelle. Ethel l’embrassa encore et Gramper lui serra la main. Da lui donna deux clous de quinze centimètres, rouillés et un peu tordus. « Fourre ça dans ta poche. - Pour quoi faire ? - Tu verras », répondit Da avec un sourire. Mam tendit à Billy une bouteille d’un litre fermée par un bouchon à vis, remplie de thé froid au lait sucré. « Billy, rappelle-toi que Jésus est toujours avec toi, même au fond de la mine. - Oui, Mam » Il vit qu’elle avait la larme à l’œil et se He could see a tear in her eye, and he turned détourna promptement, pour ne pas se mettre à 125 away quickly, because it made him feel weepy too. He took his cap from the peg. "Bye, then," he said, as if he was only going to school; and he stepped out of the front door. The summer had been hot and sunny so far, but today was overcast, and it even looked as if it might rain. Tommy was leaning against the wall of the house, waiting. "Aye, aye, Billy," he said. "Aye, aye, Tommy." They walked down the street side by side. Aberowen had once been a small market town, serving hill farmers round about, Billy had learned in school. From the top of Wellington Row you could see the old commercial center, with the open pens of the cattle market, the wool exchange building, and the Anglican church, all on one side of the Owen River, which was little more than a stream. Now a railway line cut through the town like a wound, terminating at the pithead. The miners' houses had spread up the slopes of the valley, hundreds of gray stone homes with roofs of darker-gray Welsh slate. They were built in long serpentine rows that followed the contours of the mountainsides, the rows crossed by shorter streets that plunged headlong to the valley bottom. "Who do you think you'll be working with?" said Tommy. Billy shrugged. New boys were assigned to one of the colliery manager's deputies. "No way to know." "I hope they put me in the stables." Tommy liked horses. About fifty ponies lived in the mine. They pulled the drams that the colliers filled, drawing them along railway tracks. "What sort of work do you want to do?" Billy hoped he would not be given a task too heavy for his childish physique, but he was not willing to admit that. "Greasing drams," he said. "Why?" "It seems easy." They passed the school where yesterday they had been pupils. It was a Victorian building with pleurer lui aussi. Il décrocha sa casquette de la patère. « Bon, eh bien au revoir », dit-il comme s’il allait simplement à l’école, puis il franchit la porte. Le temps avait été chaud et ensoleillé jusque-là, mais aujourd’hui, le ciel était couvert. On allait peut-être même avoir de la pluie. Tommy l’attendait, adossé au mur de la maison. « Salut, Tommy. » Ils descendirent la rue côte à côte. Billy avait appris à l’école qu’autrefois, Aberowen était une petite bourgade qui attirait tous les éleveurs de moutons des montagnes environnantes. Du haut de Wellington Row, on voyait le vieux centre marchand, avec les enclos ouverts du marché aux bestiaux, la bourse de la laine et l’église anglicane, tous sur la même rive de l’Owen, qui n’était guère qu’un ruisseau. À présent, la ligne de chemin de fer coupait la ville en deux comme une balafre, pour aboutir sur le carreau de la mine. Les maisons des mineurs avaient gravi les versants de la vallée, des centaines d’habitations grises aux toits en ardoise galloise, d’un gris plus foncé. Elles dessinaient de longues rangées sinueuses à flanc de coteau, reliées par des rues transversales plus courtes qui plongeaient, tête la première, vers le fond de la vallée. « Avec qui tu vas travailler, tu crois ? » demanda Tommy. Billy haussa les épaules. Les nouveaux étaient confiés à l’un des adjoints du directeur des houillères. « Comment tu veux que je sache ? - J’espère qu’ils vont me mettre aux écuries. » Tommy aimait les chevaux. Il y en avait presque cinquante dans la mine, attelés aux berlines que remplissaient les mineurs et qu’ils tiraient sur des rails. « Quel genre de travail tu as envie de faire ? » Billy espérait qu’on ne lui confierait pas une tâche trop épuisante pour son corps d’enfant, mais il ne l’aurait admis pour rien au monde. « Graisser les berlines, dit-il. - Pourquoi ? - Ca a l’air facile. » Ils passèrent devant l’école sur les bancs de laquelle ils étaient encore assis la veille. Ce bâtiment victorien aux fenêtres en ogives, 126 pointed windows like a church. It had been built by the Fitzherbert family, as the headmaster never tired of reminding the pupils. The earl still appointed the teachers and decided the curriculum. On the walls were paintings of heroic military victories, and the greatness of Britain was a constant theme. In the Scripture lesson with which every day began, strict Anglican doctrines were taught, even though nearly all the children were from Nonconformist families. There was a school management committee, of which Da was a member, but it had no power except to advise. Da said the earl treated the school as his personal property. In their final year Billy and Tommy had been taught the principles of mining, while the girls learned to sew and cook. Billy had been surprised to discover that the ground beneath him consisted of layers of different kinds of earth, like a stack of sandwiches. A coal seam—a phrase he had heard all his life without really understanding it—was one such layer. He had also been told that coal was made of dead leaves and other vegetable matter, accumulated over thousands of years and compressed by the weight of earth above it. Tommy, whose father was an atheist, said this proved the Bible was not true; but Billy's da said that was only one interpretation. The school was empty at this hour, its playground deserted. Billy felt proud that he had left school behind, although part of him wished he could go back there instead of down the pit. As they approached the pithead, the streets began to fill with miners, each with his tin snap and bottle of tea. They all dressed the same, in old suits that they would take off once they reached their workplace. Some mines were cold but Aberowen was a hot pit, and the men worked in underwear and boots, or in the coarse linen shorts they called bannickers. Everyone wore a padded cap, all the time, because tunnel roofs were low and it was easy to bang your semblables à celles d’une église, avait été construit par la famille Fitzherbert, comme le directeur ne se lassait pas de le rappeler aux élèves. Le comte nommait toujours les instituteurs et établissait le programme. Les murs étaient couverts de peintures représentant des victoires militaires héroïques, et la grandeur de la Grande-Bretagne était un thème récurrent. Pendant l’heure de catéchisme par laquelle commençait chaque journée, les maîtres enseignaient exclusivement le dogme anglican, alors que presque tous les enfants étaient issus de familles non conformistes. L’école possédait un conseil d’administration, dont Da était membre, mais son pouvoir était strictement consultatif. Da disait que le comte considérait l’école comme sa propriété personnelle. Au cours de leur dernière année de classe, Billy et Tommy avaient appris les principes de l’industrie minière, tandis que les filles s’initiaient à la couture et à la cuisine. Billy avait découvert avec étonnement que, sous ses pieds, le sol était formé de couches de différentes sortes de terre, comme une pile de sandwichs. Les veines de charbon – une expression qu’il avait entendue toute sa vie sans vraiment la comprendre – constituaient certaines de ces couches. On lui avait aussi expliqué que le charbon était fait de feuilles mortes et d’autres matières végétales accumulées au cours des millénaires et comprimées par le poids de la terre qui se trouvait dessus. Selon Tommy, dont le père était athée, cela prouvait que ce que disait la Bible n’était pas vrai, à quoi Da répliquait que cette interprétation n’engageait que lui. L’école était vide à cette heure-ci et la cour déserte. Billy était fier d’en avoir fini avec la classe pourtant, tout au fond de lui, il aurait bien voulu y retourner au lieu de descendre à la mine. Comme ils approchaient du carreau, les rues commencèrent à se remplir de mineurs, chargés de leurs gamelles et de leurs bouteilles de thé. Ils étaient tous habillés à l’identique, de vieux costumes qu’ils retiraient dès qu’ils étaient arrivés sur leur lieu de travail. Certaines mines étaient froides, mais Aberowen était un puits chaud, et les hommes y travaillaient en sousvêtements et en chaussures, ou en shorts de lin grossier appelés bannikers. Tout le monde portait en permanence un chapeau rembourré, la barrette, parce que le plafond des galeries 127 head. Over the houses Billy could see the winding gear, a tower topped by two great wheels rotating in opposite directions, drawing the cables that raised and lowered the cage. Similar pithead structures loomed over most towns in the South Wales valleys, the way church spires dominated farming villages. Other buildings were scattered around the pithead as if dropped by accident: the lamp room, the colliery office, the smithy, the stores. Railway lines snaked between the buildings. On the waste ground were broken drams, old cracked timbers, feed sacks, and piles of rusty disused machinery, all covered with a layer of coal dust. Da always said there would be fewer accidents if miners kept things tidy. Billy and Tommy went to the colliery office. In the front room was Arthur "Spotty" Llewellyn, a clerk not much older than they were. His white shirt had a dirty collar and cuffs. They were expected—their fathers had previously arranged for them to start work today. Spotty wrote their names in a ledger, then took them into the colliery manager's office. "Young Tommy Griffiths and young Billy Williams, Mr. Morgan," he said. Maldwyn Morgan was a tall man in a black suit. There was no coal dust on his cuffs. His pink cheeks were free of stubble, which meant he must shave every day. His engineering diploma hung in a frame on the wall, and his bowler hat—the other badge of his status—was displayed on the coat stand by the door. To Billy's surprise, he was not alone. Next to him stood an even more formidable figure: Perceval Jones, chairman of Celtic Minerals, the company that owned and operated the Aberowen coal mine and several others. A small, aggressive man, he was called Napoleon by the miners. He wore morning dress, a black tailcoat and striped gray trousers, and he had not taken off his tall était si bas qu’on s’y cognait souvent la tête. Au-dessus des maisons, Billy aperçut le chevalement, une tour surmontée de deux grandes roues, les molettes, qui tournaient en sens inverse l’une de l’autre, actionnant les câbles qui faisaient monter et descendre la cage. Des structures comparables surmontaient la plupart des localités des vallées de Galles du Sud, comme les clochers des églises qui dominent les villages agricoles. Autour du carreau de la mine, d’autres constructions semblaient disposées au petit bonheur la chance : la lampisterie, les bureaux de la houillère, la gorge, les entrepôts. Des rails serpentaient entre les bâtiments. Des berlines hors d’usage gisaient sur un terrain vague, à côté de vieux bois fendus, de sacs de fourrage et de tas de machines rouillées mises au rebut, le tout recouvert de poussière de charbon. Da disait toujours qu’il y aurait moins d’accidents si les mineurs étaient un peu plus ordonnés. Billy et Tommy se dirigèrent vers les bureaux des houillères. Dans la première salle, ils trouvèrent Arthur Llewellyn, qu’on appelait Grêlé, un commis de bureau à peine plus âgé qu’eux. Sa chemise blanche était grise au col et aux poignets. Ils étaient attendus – leurs pères avaient tout organisé pour qu’ils commencent à travailler aujourd’hui. Grêlé nota leurs noms dans un registre, puis les conduisit au bureau du directeur des houillères. « Le jeune Tommy Griffiths et le jeune Billy Williams, monsieur Morgan », annonça-t-il. Maldwyn Morgan était un homme de haute taille, vêtu d’un costume noir. Il n’y avait pas trace de poussière de charbon sur ses manchettes. Ses joues roses étaient parfaitement lisses, signe qu’il se rasait tous les jours. Son diplôme d’ingénieur encadré était accroché au mur, et son chapeau melon – autre insigne de son rang- occupait un portemanteau, à côté de la porte. Billy constata avec étonnement qu’il n’était pas seul. Un personnage encore plus imposant se tenait près de lui : Perceval Jones, président de Celtic Minerals, la compagnie qui possédait et exploitait la mine de charbon d’Aberowen et plusieurs autres houillères. Ce petit homme agressif que les mineurs surnommaient Napoléon était en tenue de ville, jaquette noire et pantalon gris rayé, et n’avait pas retiré son 128 black top hat. Jones looked at the boys with distaste. "Griffiths," he said. "Your father's a revolutionary socialist." "Yes, Mr. Jones," said Tommy. "And an atheist." "Yes, Mr. Jones." He turned his gaze on Billy. "And your father's an official of the South Wales Miners' Federation." "Yes, Mr. Jones." "I don't like socialists. Atheists are doomed to eternal damnation. And trade unionists are the worst of the lot." He glared at them, but he had not asked a question, so Billy said nothing. "I don't want troublemakers," Jones went on. "In the Rhondda Valley they've been on strike for forty-three weeks because of people like your fathers stirring them up." haut-de-forme noir. Jones posa un regard hautain sur les deux garçons. « Griffiths. Ton père est un socialiste révolutionnaire. -Oui, monsieur. - Et un athée. - Oui Il se tourna vers Billy. « Et le tien est un permanent de la fédération des mineurs de Galles du Sud. - Oui, monsieur - Je n’aime pas les socialistes. Les athées sont voués à la damnation éternelle. Quant aux syndicalistes, ce sont les pires de tous. » Ils les dévisagea d’un air furieux, mais comme il ne leur avait rien demandé, Billy resta silencieux. « Je ne veux pas d’agitateurs, poursuivit Jones. Dans la vallée du Rhondda, ils ont fait grève pendant quarante-trois semaines parce que des types comme vos pères leur ont monté la tête. » Billy savait que la grève du Rhondda n’avait pas été provoquée par des agitateurs, mais par les Billy knew that the strike in the Rhondda had not propriétaires de la mine d’Ely, à Penygraig, qui been caused by troublemakers, but by the avaient lock-outé leurs mineurs. Néanmoins il owners of the Ely Pit at Penygraig, who had n’ouvrit pas la bouche. locked out their miners. But he kept his mouth « Êtes-vous des agitateur ? » Jones pointa vers shut. Billy un index osseux, qui fit frémir le garçon. "Are you troublemakers?" Jones pointed a bony « Ton père t’a-t-il dit qu’il fallait que défendes finger at Billy, making Billy shake. "Did your tes droits quand tu travaillerais pour moi ? » Désarçonné par la mine menaçante de Jones, father tell you to stand up for your rights when Billy essaya de réfléchir. Da n’avait pas été très you're working for me?" Billy tried to think, though it was difficult when loquace ce matin ; la veille au soir, toutefois, il lui avait effectivement donné un conseil. « En Jones looked so threatening. Da had not said fait, monsieur, voilà ce qu’il m’a dit : ‘‘ Ne fais much this morning, but last night he had given pas l’insolent avec les patrons, c’est mon some advice. "Please, sir, he told me: 'Don't boulot.’’ » cheek the bosses, that's my job.' " Derrière lui, Grêlé Llewellyn rit sous cape. Behind him, Spotty Llewellyn sniggered. Perceval Jones was not amused. "Insolent Perceval Jones ne trouva pas cela drôle. « Tu savage," he said. "But if I turn you away, I'll have n’es qu’un petit impertinent. Mais si je refuse de t’embaucher, toute la vallée se mettra en the whole of this valley on strike." grève. » Billy had not thought of that. Was he so Billy n’y avait pas pensé. Etait-il donc si important? No—but the miners might strike for important ? Bien sûr que non – mais les mineurs the principle that the children of their officials pourraient faire grève par principe, parce qu’ils must not suffer. He had been at work less than ne voulaient pas que les enfants de leurs five minutes, and already the union was permanents aient à pâtir du statut de leurs pères. Cela faisait moins de cinq minutes qu’il protecting him. était au travail et, déjà, le syndicat le protégeait. "Get them out of here," said Jones. « Faites-les sortir d’ici », fit Jones. 129 Morgan nodded. "Take them outside, Llewellyn," Morgan hocha la tête. « Llewellyn, emmenezles, ordonna-t-il à Grêlé. Rhys Price s’occupera he said to Spotty. "Rhys Price can look after d’eux. » them." Billy groaned inwardly. Rhys Price was one of the more unpopular deputy managers. He had set his cap at Ethel, a year ago, and she had turned him down flat. She had done the same to half the single men in Aberowen, but Price had taken it hard. Spotty jerked his head. "Out," he said, and he followed them. "Wait outside for Mr. Price." Billy and Tommy left the building and leaned on the wall by the door. "I'd like to punch Napoleon's fat belly," said Tommy. "Talk about a capitalist bastard." "Yeah," said Billy, though he had had no such thought. Rhys Price showed up a minute later. Like all the deputies, he wore a low round-crowned hat called a billycock, more expensive than a miner's cap but cheaper than a bowler. In the pockets of his waistcoat he had a notebook and a pencil, and he carried a yardstick. Price had dark stubble on his cheeks and a gap in his front teeth. Billy knew him to be clever but sly. "Good morning, Mr. Price," Billy said. Price looked suspicious. "What business have you got saying good morning to me, Billy Twice?" "Mr. Morgan said we are to go down the pit with you." "Did he, now?" Price had a way of darting looks to the left and right, and sometimes behind, as if he expected trouble from an unknown quarter. "We'll see about that." He looked up at the winding wheel, as if seeking an explanation there. "I haven't got time to deal with boys." He went into the office. "I hope he gets someone else to take us down," Billy said. "He hates my family because my sister wouldn't walk out with him." "Your sister thinks she's too good for the men of Billy poussa un gémissement intérieur. Rhys Price était un des sous-directeurs les plus impopulaires. Il avait fait du plat à Ethel un an plus tôt, et elle l’avait envoyé balader. La moitié des célibataires d’Aberowen avaient subi le même sort, mais Price l’avait mal pris. Grêlé fit un signe de tête. « Sortez, dit-il, et il leur emboîta le pas. Attendez Mr Price dehors. » Billy et Tommy quittèrent le bâtiment et s’adossèrent au mur, près de la porte. « Ce Napoléon ! Je lui aurais bien balancé un coup de poing dans le bidon ! maugréa Tommy. Tu parles d’un salaud de capitaliste. - Tu l’as dit », répondit Billy, qui n’en pensait pas un mot Rhys Price arriva quelques instants plus tard. Comme tous les sous-directeurs, il était coiffé d’un chapeau à calotte basse et ronde qu’on appelait un billycock , plus onéreux qu’une barrette de mineur mais meilleur marché qu’un chapeau melon. Les poches de son gilet contenaient un carnet et un crayon, et il tenait un mètre à la main. Une barbe de plusieurs jours lui ombrait les joues et il lui manquait une incisive. Billy le savait intelligent mais sournois. « Bonjour, monsieur Price », lança Billy. Price prit l’air méfiant. « Te voilà bien poli aujourd’hui Billy Deux-fois ! - Mr Morgan a dit qu’on devait descendre à la fosse avec vous. - Ah oui ? » Price avait la manie de jeter des regards à droite et à gauche, et parfois même derrière lui, comme s’il craignait un mauvais coup. « On va voir ça. » Il leva les yeux vers la roue du chevalement, semblant y chercher une explication. « J’ai autre chose à faire qu’à m’occuper de gamins comme vous, ajouta-t-il en entrant dans le bureau. - J’espère qu’il va demander à quelqu’un d’autre de nous descendre, murmura Billy. Il déteste ma famille parce que ma sœur n’a pas voulu sortir avec lui. - Ta sœur ? Elle se croit trop bien pour les hommes d’Aberowen, lança Tommy, répétant 130 Aberowen," said Tommy, obviously repeating manifestement des propos qu’il avait entendus. something he had heard. -Elle est trop bien pour eux », rétorqua Billy "She is too good for them," Billy said stoutly. avec force. Price sortit. « C’est bon, venez par ici », dit-il Price came out. "All right, this way," he said, and avant de s’éloigner à grands pas. headed off at a rapid walk. Les garçons le suivirent dans la lampisterie dont The boys followed him into the lamp room. The le responsable tendit à Billy une lampe de sûreté lampman handed Billy a shiny brass safety lamp, en laiton brillant, qu’il accrocha à sa ceinture and he hooked it onto his belt as the men did. comme faisaient les hommes. On leur avait parlé des lampes des mineurs en He had learned about miners' lamps in school. classe. Un des dangers des mines de charbon Among the dangers of coal mining was methane, était le méthane, un gaz inflammable qui suintait the inflammable gas that seeped out of coal des veines de charbon. Les mineurs l’appelaient seams. The men called it firedamp, and it was le « grisou », il provoquait toutes les explosions the cause of all underground explosions. Welsh souterraines. Les mines galloises étaient pits were notoriously gassy. The lamp was notoirement grisouteuses. La lampe de sûreté ingeniously designed so that its flame would not était ingénieusement conçue pour éviter que sa ignite firedamp. In fact the flame would change flamme ne mette le feu au gaz. En présence de méthane, elle changeait de forme, s’allongeant its shape, becoming longer, thereby giving a et prévenant ainsi le mineur – le grisou était en warning—for firedamp had no smell. effet inodore. If the lamp went out, the miner could not relight Si la lampe s’éteignait, il était impossible au it himself. Carrying matches was forbidden mineur de la rallumer lui-même. Les allumettes underground, and the lamp was locked to étaient strictement interdites en bas et les discourage the breaking of the rule. An lampes verrouillées pour empêcher toute infraction à la règle. En cas de problème, il fallait extinguished lamp had to be taken to a lighting apporter la lampe à une station d’allumage, station, usually at the pit bottom near the shaft. située généralement tout au fond de la mine, This might be a walk of a mile or more, but it près du puits. Cela pouvait obliger le mineur à was worth it to avoid the risk of an underground parcourir plus d’un kilomètre, mais c’était indispensable pour éviter les risques d’explosion. explosion. À l’école, on avait expliqué aux garçons que la In school the boys had been told that the safety lamp was one of the ways in which mine owners généralisation de la lampe de sûreté montrait que les propriétaires de mines se souciaient de showed their care and concern for their la sécurité de leurs employés – « comme si, employees—"as if," Da said, "there was no répliquait Da, les patrons n’avaient pas intérêt à benefit to the bosses in preventing explosions éviter les explosions, qui provoque des arrêts de and stoppage of work and damage to tunnels." travail et endommagent les galeries ». Une fois munis de leurs lampes, les hommes After picking up their lamps, the men stood in faisaient la queue pour monter dans la cage. Un line for the cage. Cleverly placed alongside the queue was a notice board. Handwritten or panneau d’affichage avait été astucieusement placé le long de la file d’attente. Des avis écrits à crudely printed signs advertised cricket practise, la main ou en caractères d’imprimerie grossiers a darts match, a lost penknife, a recital by the annonçaient un entraînement de cricket, un Aberowen Male Voice Choir, and a lecture on concours de fléchettes, un canif perdu, un Karl Marx's theory of historical materialism at concert de la chorale d’hommes d’Aberowen et the Free Library. But deputies did not have to une conférence sur la théorie du matérialisme wait, and Price pushed his way to the front, with historique de Karl Mark à la bibliothèque municipale. Mais les sous-directeurs n’étaient the boys tagging along. pas obligés de prendre la file et Price s’avança jusqu’au premier rang, les garçons sur ses talons. 131 Like most pits, Aberowen had two shafts, with fans placed to force air down one and up the other. The owners often gave the shafts whimsical names, and here they were Pyramus and Thisbe. This one, Pyramus, was the up shaft, and Billy could feel the draft of warm air coming from the pit. Comme la plupart des mines, Aberowen avait deux puits. Un système de ventilation envoyait de l’air par l’un et l’aspirait par l’autre. Les propriétaires donnaient souvent aux puits des noms fantaisistes. Ici, c’étaient Pyrame et Thisbé. Ils se trouvaient à côté de la Purame, le puits d’extraction, et Billy sentait le courant d’air chaud monter du fond. Last year Billy and Tommy had decided they wanted to look down the shaft. On Easter Monday, when the men were not working, they had dodged the watchman and sneaked across the waste ground to the pithead, then climbed the guard fence. The shaft mouth was not completely enclosed by the cage housing, and they had lain on their bellies and looked over the rim. They had stared with dreadful fascination into that terrible hole, and Billy had felt his stomach turn. The blackness seemed infinite. He experienced a thrill that was half joy because he did not have to go down, half terror because one day he would. He had thrown a stone in, and they had listened as it bounced against the wooden cage-conductor and the brick lining of the shaft. It seemed a horrifically long time before they heard the faint, distant splash as it hit the pool of water at the bottom. L’année précédente, Billy et Tommy avaient décidé d’aller voir à quoi ressemblait le puits. Le lundi de Pâques, alors que les hommes ne travaillaient pas, ils avaient évité le gardien et s’étaient glissés à travers le terrain vague jusqu'au carreau. Puis ils avaient escaladé la clôture. La structure de la cage ne recouvrant pas entièrement la bouche du puits, ils s’étaient allongés à plat ventre, tout près du bord. Avec un mélange d’effroi et de fascination, ils avaient plongé le regard au fond de ce terrible trou, et Billy avait senti son cœur se soulever. La noirceur semblait infinie. Il avait éprouvé un frisson où se mêlaient de la joie, parce qu’il n’était pas forcé d’y descendre, et de l’épouvante parce qu’un jour il serait bien obligé d’y aller. Il avait jeté un caillou à l’intérieur et ils l’avaient entendu rebondir contre les glissières de bois de la cage et contre le revêtement de brique du puits. Ils avaient dû attendre un temps terrifiant avant de percevoir un faible clapotis, très loin, lorsqu’il avait enfin touché l’eau, au fond. Un an s’était écoulé, et il s’apprêtait à présent à suivre le trajet de cette pierre. Il ne voulait pas être un poltron. Il devait se conduire en homme, même s’il n’avait pas l’impression d’en être un. Le déshonneur serait pire que la mort. Now, a year later, he was about to follow the course of that stone. He told himself not to be a coward. He had to behave like a man, even if he did not feel like one. The worst thing of all would be to disgrace himself. He was more afraid of that than of dying. He could see the sliding grille that closed off the shaft. Beyond it was empty space, for the cage was on its way up. On the far side of the shaft he could see the winding engine that turned the great wheels high above. Jets of steam escaped from the mechanism. The cables slapped their guides with a whiplash sound. There was an odor of hot oil. With a clash of iron, the empty cage appeared behind the gate. The banksman, in charge of the cage at the top end, slid the gate back. Rhys Il apercevait la grille coulissante qui fermait le puits. Au-delà s’ouvrait le vide, car la cage était en train de remonter de l’autre côté du puits, le moteur d’extraction actionnait les molettes, tout en haut. Des jets de vapeur en sortaient. Les câbles claquaient contre leurs glissières avec un bruit de fouet. Une odeur d’huile chaude imprégnait l’atmosphère. Dans un cliquetis métallique, la cage vide surgit derrière la grille. Le moulineur, qui en contrôlait le chargement et le déchargement à l’étage supérieur, repoussa la grille. Rhys Price monta dans la cage vide et les deux garçons le 132 Price stepped into the empty cage and the two boys followed. Thirteen miners got in behind them—the cage held sixteen in total. The banksman slammed the gate shut. There was a pause. Billy felt vulnerable. The floor beneath his feet was solid, but he might without much difficulty have squeezed through the widely spaced bars of the sides. The cage was suspended from a steel rope, but even that was not completely safe: everyone knew that the winding cable at Tirpentwys had snapped one day in 1902, and the cage had plummeted to the pit bottom, killing eight men. He nodded to the miner beside him. It was Harry "Suet" Hewitt, a pudding-faced boy only three years older, though a foot taller. Billy remembered Harry in school: he had been stuck in Standard Three with the ten-year-olds, failing the exam every year, until he was old enough to start work. A bell rang, signifying that the onsetter at the pit bottom had closed his gate. The banksman pulled a lever and a different bell rang. The steam engine hissed, then there was another bang. The cage fell into empty space. Billy knew that it went into free fall, then braked in time for a soft landing; but no theoretical foreknowledge could have prepared him for the sensation of dropping unhindered into the bowels of the earth. His feet left the floor. He screamed in terror. He could not help himself. All the men laughed. They knew it was his first time and had been waiting for his reaction, he realized. Too late, he saw that they were all holding the bars of the cage to prevent themselves floating up. But the knowledge did nothing to calm his fear. He managed to stop screaming only by clamping his teeth together. At last the brake engaged. The speed of the fall slowed, and Billy's feet touched the floor. He grabbed a bar and tried to stop shaking. After a minute the fear was replaced by a sense of injury so strong that tears threatened. He looked into the laughing face of Suet and shouted over suivirent. Treize mineurs entrèrent derrière eux – la cage contenait seize personnes en tout. Le moulineur referma brutalement la grille. Pendant un moment, rien ne bougea. Billy se sentait terriblement vulnérable. Le sol était solide sous ses pieds, mais il aurait facilement pu glisser par les barreaux largement espacés de la cage. Même si celle-ci était suspendue à un filin d’acier, cela ne suffisait pas à assurer une parfaite sécurité : tout le monde savait que le câble de Tirpentwys s’était cassé un jour de 1902 et que la cage était tombée à pic jusqu’au fond, faisant huit morts. Il adressa un signe de tête au mineur à côté de lui. Harry Hewitt, dit Graisse-de-rognon, un garçon au visage bouffi, n’était son aîné que de trois ans, mais mesurait trente bons centimètres de plus. Billy se souvenait de lui, à l’école : il était resté en troisième année avec les petits de dix ans, ratant systématiquement l’examen de passage jusqu’à ce qu’il soit en âge de travailler. Une sonnerie se déclencha, signalant que l’encageur, au fond de la mine, avait fermé sa grille. Le moulineur actionna un levier puis un autre timbre retentit. Le moteur à vapeur siffla, et l’on entendit un claquement. La cage tomba dans le vide. Billy savait qu’elle descendait en chute libre un moment, avant de freiner pour se poser en douceur, mais aucune connaissance théorique préalable n’aurait pu le préparer à cette sensation de s’abîmer dans les entrailles de la terre. Ses pieds quittèrent le sol. Il ne put s’empêcher de hurler de terreur. Tous les hommes s’esclaffèrent. C’était son premier jour et ils attendaient sa réaction. Billy s’en rendit compte. Il remarqua aussi, mais trop tard, qu’ils se cramponnaient tous aux barreaux de la cage pour éviter de décoller. Comprendre ce qui se passait ne suffit pas à apaiser sa peur. Il finit par serrer les dents de toutes ses forces pour retenir ses cris. Enfin, les freins se mirent en prise, ralentissant la chute. Les pieds de Billy se reposèrent sur le plancher de la cage. Il attrapa un barreau en s’efforçant de maîtriser ses tremblements. Au bout d’une minute, la terreur s’atténua. Il était si mortifié que les larmes lui montèrent aux yeux. Devant le visage hilare de Graisse-de-rognon, il 133 the noise: "Shut your great gob, Hewitt, you shitbrain." Suet's face changed in an instant and he looked furious, but the other men laughed all the more. Billy would have to say sorry to Jesus for swearing, but he felt a bit less of a fool. He looked at Tommy, who was white-faced. Had Tommy screamed? Billy was afraid to ask in case the answer might be no. The cage stopped, the gate was thrown back, and Billy and Tommy walked shakily out into the mine. It was gloomy. The miners' lamps gave less light than the paraffin lights on the walls at home. The pit was as dark as a night with no moon. Perhaps they did not need to see well to hew coal, Billy thought. He splashed through a puddle, and looking down he saw water and mud everywhere, gleaming with the faint reflections of lamp flames. There was a strange taste in his mouth: the air was thick with coal dust. Was it possible that men breathed this all day? That must be why miners coughed and spat constantly. Four men were waiting to enter the cage and go up to the surface. Each carried a leather case, and Billy realized they were the firemen. Every morning, before the miners started, the firemen tested for gas. If the concentration of methane was unacceptably high they would order the men not to work until the ventilation fans cleared the gas. In the immediate neighborhood Billy could see a row of stalls for ponies and an open door leading to a brightly lit room with a desk, presumably an office for deputies. The men dispersed, walking away along four tunnels that radiated from the pit bottom. Tunnels were called headings, and they led to the districts where the coal was won. Price took them to a shed and undid a padlock. The place was a tool store. He selected two shovels, gave them to the boys, and locked up hurla pour couvrir le vacarme : « Ferme ta grande gueule, Hewitt, espèce de fichu crétin. » Graisse-de-rognon se renfrogna immédiatement, furieux, tandis que les autres riaient de plus belle. Billy devrait demander pardon à Jésus pour son juron, mais il se sentait un peu moins bête. Il se tourna vers Tommy, qui était blême. Avaitil crié, lui aussi. Craignant une réponse négative, Billy s’abstint de lui poser la question. La cage s’arrêta, l’encageur repoussa la grille, et Billy et Tommy se retrouvèrent dans la mine, les jambes en coton. Tout était sombre. Les lampes des mineurs éclairaient encore moins que les lampes à pétrole accrochées aux murs, à la maison. Il faisait aussi noir au fond de la mine que par une nuit sans lune. Peut-être n’était-il pas indispensable d’y voir clair pour abattre le charbon, songea Billy. Il posa le pied dans une flaque, et baissant les yeux, vit qu’il y avait partout de la boue et de l’eau, dans laquelle miroitait le faible reflet des flammes. Il avait un goût étrange dans la bouche : l’air était imprégné de poussière de charbon. Les hommes respiraient-ils vraiment cela toute la journée ? C’était sûrement pour cette raison que les mineurs n’arrêtaient pas de tousser et de cracher. En bas, quatre hommes attendaient la cage pour remonter à la surface. Ils portaient tous un coffret de cuir et Billy reconnut les pompiers. Tous les matins, ils vérifiaient la teneur en gaz avant que les mineurs ne commencent le travail. Si la concentration de méthane atteignait un niveau dangereux, ils donnaient consigne aux hommes d’attendre pour descendre que les ventilateurs aient purifié l’atmosphère. Tout près de lui, Billy aperçut une rangée de stalles destinées aux chevaux et une porte ouverte qui donnait sur une pièce bien éclairée, avec une table de travail, sans doute le bureau des sous-directeurs. Les hommes se dispersèrent, s’engageant dans quatre galeries qui rayonnaient à partir de la recette du fond. Les galeries, appelées « couloirs », conduisaient aux secteurs d’abattage du charbon. Price les dirigea vers une remise d’outils et défit le cadenas. Il choisit deux pelles, les tendit aux garçons et referma. Ils se rendirent ensuite aux écuries. Un 134 again. They went to the stables. A man wearing only shorts and boots was shoveling soiled straw out of a stall, pitching it into a coal dram. Sweat ran down his muscular back. Price said to him: "Do you want a boy to help you?" The man turned around, and Billy recognized Dai Ponies, an elder of the Bethesda Chapel. Dai gave no sign of recognizing Billy. "I don't want the little one," he said. "Right," said Price. "The other is Tommy Griffiths. He's yours." Tommy looked pleased. He had got his wish. Even though he would only be mucking out stalls, he was working in the stables. Price said: "Come on, Billy Twice," and he walked into one of the headings. Billy shouldered his shovel and followed. He felt more anxious now that Tommy was no longer with him. He wished he had been set to mucking out stalls alongside his friend. "What will I be doing, Mr. Price?" he said. "You can guess, can't you?" said Price. "Why do you think I gave you a fucking shovel?" Billy was shocked by the casual use of the forbidden word. He could not guess what he would be doing, but he asked no more questions. The tunnel was round, its roof reinforced by curved steel supports. A two-inch pipe ran along its crown, presumably carrying water. Every night the headings were sprinkled in an attempt to reduce the dust. It was not merely a danger to men's lungs—if that were all, Celtic Minerals probably would not have cared—but it constituted a fire hazard. However, the sprinkler system was inadequate. Da had argued that a pipe of six inches' diameter was needed, but Perceval Jones had refused to spend the money. homme vêtu en tout et pour tout d’un short et de bottes pelletait de la paille souillée qu’il sortait d’une stalle pour la jeter dans une berline à charbon. La sueur ruisselait de son dos musclé. Price lui demanda : « Vous avez besoin d’un coup de main ? Vous voulez un garçon ? » L’homme se retourna : Billy reconnut Dai Cheval, un aîné du temple Bethesda. Mais lui ne parut pas le reconnaître. « Pas le petit, dit-il. - Entendu, fit Price. Je vous laisse l’autre. C’est Tommy Griffiths. » Tommy était visiblement content. Il avait obtenu ce qu’il voulait. Même si son travail se limitait à vider le fumier, il travaillait aux écuries. « Viens par là, Billy Deux-fois », ordonna Price en s’engageant dans un des couloirs. La pelle sur son épaule, Billy le suivit, encore plus inquiet sans Tommy. Il aurait préféré être affecté au nettoyage des stalles avec son ami. « Qu’est ce que je vais devoir faire, monsieur Price ? - Tu peux le deviner, non ? À ton avis, pourquoi est-ce que je t’ai donné cette foutue pelle ? » Ce gros mot gratuit heurta Billy. Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il aurait à faire, mais préféra ne plus poser de questions. La galerie était arrondie et son toit renforcé par des supports d’acier incurvés. Un tuyau de cinq centimètres de diamètre courait sur la partie supérieure. Il contenait sans doute de l’eau. Toutes les nuits, en effet, on aspergeait les couloirs pour faire retomber la poussière. Non seulement mauvaise pour les poumons des mineurs – Celtic Mineral ne s’en serait certainement pas préoccupé si cela avait été le seul problème -, elle constituait aussi un risque d’incendie. Le système d’arrosage était cependant insuffisant. Da avait réclamé des tuyaux de quinze centimètres de diamètre, mais Perceval Jones avait refusé cette dépense supplémentaire. Après avoir parcouru quatre cents mètres, ils After about a quarter of a mile they turned into s’engagèrent dans une galerie latérale qui a cross tunnel that sloped upward. This was an remontait. C’était un passage plus ancien, plus older, smaller passage, with timber props rather étroit, où les étais de bois remplaçaient le than steel rings. Price had to duck his head cerclage d’acier. Price était obligé de baisser la 135 where the roof sagged. At intervals of about thirty yards they passed the entrances to workplaces where the miners were already hewing the coal. Billy heard a rumbling sound, and Price said: "Into the manhole." "What?" Billy looked at the ground. A manhole was a feature of town pavements, and he could see nothing on the floor but the railway tracks that carried the drams. He looked up to see a pony trotting toward him, coming fast down the slope, drawing a train of drams. "In the manhole!" Price shouted. Still Billy did not understand what was required of him, but he could see that the tunnel was hardly wider than the drams, and he would be crushed. Then Price seemed to step into the wall and disappear. tête là où le plafond s’enfonçait. Tous les trente mètres environ, ils passaient devant l’entrée d’ateliers où les mineurs abattaient déjà le charbon. Billy entendit un grondement et Price lança : « Dans la bouche ! - Quoi ? » Billy regarda par terre. Il y avait des bouches d’égout sur les trottoirs des villes, mais il ne distinguait rien sur le sol, à part les rails sur lesquels circulaient les berlines. Levant la tête il vit un cheval qui arrivait vers lui, descendant la pente d’un trot rapide, devant un convoi de berlines. « Dans la bouche ! » hurla Price. Billy ne comprenait toujours pas ce qu’il devait faire, il voyait bien que la galerie était à peine plus large que les berlines. Il allait se faire écraser. Price sembla soudain s’enfoncer dans le mur et disparaître. CorpusGohier 1 I ACCIDENTALLY VAPORIZE MY PRE-ALGEBRA TEACHER 1. Je pulvérise sans le faire exprès ma prof de Look, I didn't want to be a half-blood. If you're reading this because you think you might be one, my advice is: close this book right now. Believe whatever lie your mom or dad told you about your birth, and try to lead a normal life. Being a half-blood is dangerous. It's scary. Most of the time, it gets you killed in painful, nasty ways. If you're a normal kid, reading this because you think it's fiction, great. Read on. I envy you for being able to believe that none of this ever happened. But if you recognize yourself in these pages-if you feel something stirring inside-stop reading immediately. You might be one of us. And once you know that, it's only a matter of time before they sense it too, and they'll come for you. Don't say I didn't warn you. My name is Percy Jackson. I'm twelve years old. Until a few months ago, I was a boarding student at Yancy Academy, a private school for troubled kids in upstate New York. Am I a troubled kid? Yeah. You could say that. Croyez-moi, je n’ai jamais souhaité être un sang-mêlé. Si vous lisez ces lignes parce que vous soupçonnez en être un, vous aussi, écoutez mon conseil : refermez ce livre immédiatement. Prenez pour argent comptant le mensonge que vos parents vous ont raconté sur votre naissance et tentez de mener une vie normale. Une vie de sang-mêlé, c’est dangereux. C’est angoissant. Et, le plus souvent, ça se termine par une mort abominable et douloureuse. Si vous êtes un gamin normal qui avez ouvert ce livre en pensant qu’il s’agissait d’une œuvre de fiction, parfait. Poursuivez votre lecture. Je vous envie de pouvoir croire que rien de toute cette histoire n’est jamais arrivé. Mais si vous vous reconnaissez dans ces pages – si vous sentez quelque chose remuer en vous – arrêtez tout de suite de lire. Il se pourrait que vous soyez des nôtres. Or dès l’instant où vous le saurez, il ne leur faudra pas longtemps pour le percevoir, eux aussi, et se lancer à vos trousses. Je vous aurai prévenu, ne dites pas le contraire. Je m’appelle Percy Jackson. Il y a quelques mois encore, j’étais pensionnaire à l’Institut Yancy, une boîte privée pour enfants à problèmes qui se trouve dans le nord de l’État de New York. Suis-je un enfant à problèmes ? Oui. C’est une façon de le dire. 136 maths I could start at any point in my short miserable life to prove it, but things really started going bad last May, when our sixth-grade class took a field trip to Manhattan- twenty-eight mental-case kids and two teachers on a yellow school bus, heading to the Metropolitan Museum of Art to look at ancient Greek and Roman stuff. I know-it sounds like torture. Most Yancy field trips were. But Mr. Brunner, our Latin teacher, was leading this trip, so I had hopes. Mr. Brunner was this middle-aged guy in a motorized wheelchair. He had thinning hair and a scruffy beard and a frayed tweed jacket, which always smelled like coffee. You wouldn't think he'd be cool, but he told stories and jokes and let us play games in class. He also had this awesome collection of Roman armor and weapons, so he was the only teacher whose class didn't put me to sleep. I hoped the trip would be okay. At least, I hoped that for once I wouldn't get in trouble. Boy, was I wrong. See, bad things happen to me on field trips. Like at my fifth-grade school, when we went to the Saratoga battlefield, I had this accident with a Revolutionary War cannon. I wasn't aiming for the school bus, but of course I got expelled anyway. And before that, at my fourth-grade school, when we took a behind-the-scenes tour of the Marine World shark pool, I sort of hit the wrong lever on the catwalk and our class took an unplanned swim. And the time before that... Well, you get the idea. This trip, I was determined to be good. All the way into the city, I put up with Nancy Bobofit, the freckly, redheaded kleptomaniac girl, hitting my best friend Grover in the back of the head with chunks of peanut butter-and-ketchup sandwich. Grover was an easy target. He was scrawny. He cried when he got frustrated. He must've been held back several grades, because he was the only sixth grader with acne and the start of a wispy beard on his chin. On top of all that, he was crippled. He had a note excusing him from PE for the rest of his life because he had some kind of muscular disease in his legs. He walked funny, like every step hurt him, but don't let that fool you. You should've seen him run when it was Je pourrais en donner comme preuve n’importe quel moment de ma brève et pitoyable existence, mais c’est en mai dernier que les choses se sont vraiment gâtées, lorsque notre classe de sixième est partie à New York dans le cadre d’une sortie éducative : vingt-huit gamins perturbés et deux professeurs dans un car scolaire jaune, tous en route pour le musée des Beaux-Arts, département des antiquités grecques et romaines. Je sais : ça ressemble énormément à un supplice. Comme la plupart des sorties éducatives de Yancy. Seulement c’était M. Brunner, notre prof de latin, qui encadrait l’excursion, et cela me rendait optimiste. M. Brunner était un quinquagénaire en fauteuil roulant électrique. Il avait les cheveux clairsemés, la barbe hirsute et une veste en tweed élimée qui sentait toujours le café. À priori pas le portrait-robot du type super-cool, pourtant il racontait des histoires, plaisantait et nous faisait faire des jeux en cours. Comme, en plus, il avait une redoutable collection d’armes et d’armures romaines, c’était le seul professeur dont les cours ne m’endormaient pas. J’espérais que l’excursion se passerait bien. Enfin, j’espérais, pour une fois, ne pas m’attirer d’ennuis. Je me trompais, et comment. Vous comprenez, il m’arrive toujours un tas d’ennuis pendant les sorties éducatives. Par exemple, à l’école où j’étais en CM2, lorsque nous sommes allés au champ de bataille de Saratoga, j’ai provoqué un accident avec un canon de la guerre d’Indépendance. Je ne visais pas le car scolaire, mais je me suis fait renvoyer quand même, bien sûr. Et avant cela, à mon école de CM1, quand nous avons visité le bassin aux requins du Monde Aquatique par « l’envers du décor », j’ai, je ne sais trop comment, actionné la mauvaise manette sur la passerelle et toute la classe a piqué un plongeon qui n’était pas au programme. Et la fois d’avant… bref, vous voyez le topo. Alors, cette fois-ci, j’étais bien décidé à me tenir à carreau. Sur tout le trajet, j’ai laissé Nancy Bobofit, la cleptomane rousse aux taches de rousseur, bombarder mon meilleur ami Grover de boulettes de sandwich beurre de cacahouètesketchup dans la nuque. Grover était une cible facile. C’était un poids plume. Il pleurait quand il était frustré. Il avait dû redoubler plusieurs fois car il était le seul sixième à avoir de l’acné et une ombre de duvet sur le menton. Pour arranger le tout, il était handicapé. Il était dispensé de cours de gym à vie parce qu’il souffrait d’une maladie musculaire aux jambes. Il marchait d’une drôle de façon, comme si chaque pas lui faisait mal, mais il ne fallait pas se fier aux apparences : si vous l’aviez vu courir à la cafétéria le jour où on avait des enchiladas ! 137 enchilada day in the cafeteria. Anyway, Nancy Bobofit was throwing wads of sandwich that stuck in his curly brown hair, and she knew I couldn't do anything back to her because I was already on probation. The headmaster had threatened me with death by inschool suspension if anything bad, embarrassing, or even mildly entertaining happened on this trip. "I'm going to kill her," I mumbled. Grover tried to calm me down. "It's okay. I like peanut butter." He dodged another piece of Nancy's lunch. "That's it." I started to get up, but Grover pulled me back to my seat. "You're already on probation," he reminded me. "You know who'll get blamed if anything happens." Looking back on it, I wish I'd decked Nancy Bobofit right then and there. In-school suspension would've been nothing compared to the mess I was about to get myself into. Toujours est-il que Nancy Bobofit n’arrêtait pas de lui lancer des morceaux de sandwich qui se plantaient dans ses cheveux bruns et bouclés, sachant pertinemment que je ne pouvais pas riposter parce que j’étais déjà en période d’essai. Le directeur m’avait menacé de mort-par-heures-de-colle s’il se passait quoi que ce soit de mal, de gênant ou même d’un tout petit peu distrayant pendant cette excursion. — Je vais la tuer, ai-je grommelé. Grover a essayé de me calmer : — Ce n’est pas grave. J’aime bien le beurre de cacahouètes. Il a esquivé une autre bouchée du déjeuner de Nancy. Mr. Brunner led the museum tour. He rode up front in his wheelchair, guiding us through the big echoey galleries, past marble statues and glass cases full of really old blackand-orange pottery. It blew my mind that this stuff had survived for two thousand, three thousand years. He gathered us around a thirteen-foot-tall stone column with a big sphinx on the top, and started telling us how it was a grave marker, a stele, for a girl about our age. He told us about the carvings on the sides. I was trying to listen to what he had to say, because it was kind of interesting, but everybody around me was talking, and every time I told them to shut up, the other teacher chaperone, Mrs. Dodds, would give me the evil eye. Mrs. Dodds was this little math teacher from Georgia who always wore a black leather jacket, even though she was fifty years old. She looked mean enough to ride a Harley right into your locker. She had come to Yancy halfway through the year, when our last math teacher had a nervous breakdown. From her first day, Mrs. Dodds loved Nancy Bobofit and figured I was devil spawn. She would point her crooked finger at me and say, "Now, M. Brunner dirigeait la visite. Il avançait en tête du groupe dans son fauteuil roulant, nous faisant traverser les grandes galeries sonores du musée en longeant des statues de marbre et des vitrines pleines de poteries orange et noir vraiment très anciennes. J’étais sidéré de savoir que tous ces trucs-là avaient survécu à deux mille, et même trois mille ans. Il nous a rassemblés devant une colonne de pierre haute de quatre mètres surmontée d’un grand sphinx, et il s’est mis à nous expliquer que c’était une pierre tombale, une stèle, construite pour une fille de notre âge. Il nous a parlé des reliefs sculptés sur les côtés. J’essayais d’écouter ce qu’il avait à dire parce que c’était plutôt intéressant, mais tout le monde bavardait autour de moi et chaque fois que je leur disais de se taire, Mme Dodds, l’autre professeur qui encadrait le groupe, me fusillait du regard. Mme Dodds était une prof de maths pas très grande, originaire du sud des États-Unis et qui portait toujours un blouson de cuir noir malgré ses cinquante ans. Elle avait l’air assez méchante pour vous pilonner votre casier de vestiaire en rentrant dedans en Harley-Davidson. Elle était arrivée à Yancy au milieu de l’année, quand la professeur précédente avait fait une dépression nerveuse. Dès le premier jour, Mme Dodds a adoré Nancy Bobofit et décidé que j’étais un suppôt de Satan. Quand elle pointait sur moi son doigt crochu en disant : « Écoutez, mon chou… » d’un ton doucereux, je savais que j’allais écoper d’un mois de — Là, c’est bon. (J’ai voulu me lever mais Grover m’a forcé à me rasseoir.) — Tu es déjà en période d’essai, m’a-t-il rappelé. Tu sais sur qui ça va retomber s’il se passe quoi que ce soit. En y repensant, je regrette de ne pas avoir fichu une bonne raclée à Nancy Bobofit sur-le-champ. Passer des heures de colle enfermé dans une salle de classe, ce n’était rien comparé au pétrin dans lequel j’allais me fourrer. 138 honey," real sweet, and I knew I was going to get after-school detention for a month. One time, after she'd made me erase answers out of old math workbooks until midnight, I told Grover I didn't think Mrs. Dodds was human. He looked at me, real serious, and said, "You're absolutely right." Mr. Brunner kept talking about Greek funeral art. Finally, Nancy Bobofit snickered something about the naked guy on the stele, and I turned around and said, "Will you shut up?" It came out louder than I meant it to. The whole group laughed. Mr. Brunner stopped his story. "Mr. Jackson," he said, "did you have a comment?" My face was totally red. I said, "No, sir." Mr. Brunner pointed to one of the pictures on the stele. "Perhaps you'll tell us what this picture represents?" I looked at the carving, and felt a flush of relief, because I actually recognized it. "That's Kronos eating his kids, right?" "Yes," Mr. Brunner said, obviously not satisfied. "And he did this because ..." "Well..." I racked my brain to remember. "Kronos was the king god, and-" "God?" Mr. Brunner asked. "Titan," I corrected myself. "And ... he didn't trust his kids, who were the gods. So, um, Kronos ate them, right? But his wife hid baby Zeus, and gave Kronos a rock to eat instead. And later, when Zeus grew up, he tricked his dad, Kronos, into barfing up his brothers and sisters-" "Eeew!" said one of the girls behind me. "-and so there was this big fight between the gods and the Titans," I continued, "and the gods won." Some snickers from the group. Behind me, Nancy Bobofit mumbled to a friend, "Like we're going to use this in real life. Like it's going to say on our job applications, 'Please explain why Kronos ate his kids.'" "And why, Mr. Jackson," Brunner said, "to paraphrase Miss Bobofit's excellent question, does this matter in real life?" retenue après les cours. La fois où elle m’avait fait gommer les solutions écrites au crayon dans de vieux livres d’exercices jusqu’à minuit, j’ai dit à Grover que je pensais que Mme Dodds n’était pas humaine. Il m’avait regardé très sérieusement et répondu : — Tu as entièrement raison. M. Brunner nous parlait toujours de l’art funéraire grec. Nancy Bobofit a fini par sortir une idiotie sur l’homme nu sur la stèle, tout en gloussant, alors je me suis retourné et je lui ai lancé : — Tu vas pas la fermer ? Seulement j’avais parlé plus fort que je ne l’aurais voulu. Tout le groupe a ri. M. Brunner s’est interrompu. — Monsieur Jackson, a-t-il dit. Souhaitez-vous faire un commentaire ? Je me suis senti devenir écarlate. — Non, monsieur, ai-je répondu. M. Brunner a montré du doigt une des scènes gravées sur la stèle. — Peut-être pourriez-vous nous dire ce que représente cette gravure ? J’ai regardé la scène et je me suis senti soulagé car, en fait, je la reconnaissais. — C’est Cronos dévorant ses enfants, n’est-ce pas ? — Oui, a dit M. Brunner, qui n’avait pas l’air satisfait du tout. Et il a fait cela parce que… — Eh bien… (Je me suis creusé les méninges.) Cronos était le roi des dieux et… — Des dieux ? a interrogé M. Brunner. — Des Titans, ai-je rectifié. Et… il ne faisait pas confiance à ses enfants, qui étaient les dieux. Alors, euh, Cronos les a mangés, d’accord ? Mais sa femme a caché le petit bébé Zeus et donné à Cronos une pierre à manger à la place. Et plus tard, quand Zeus a grandi, il a recouru à la ruse pour pousser son père, Cronos, à vomir ses frères et sœurs… — Beurk ! a fait une des filles derrière moi. — … et ensuite, ai-je continué, il y a eu un grand combat entre les dieux et les Titans, et ce sont les dieux qui ont gagné. Quelques ricanements ont fusé du groupe. Derrière moi, Nancy Bobofit a murmuré à l’oreille d’une de ses copines : — Le truc qui va nous être vraiment utile dans la vraie vie. Genre tu te présentes à un boulot et sur le formulaire de candidature on va te demander : « Prière d’expliquer pourquoi Cronos a mangé ses enfants. » — Et en quoi, monsieur Jackson, a dit M. Brunner, cela a-t-il de l’importance dans la vraie vie, pour paraphraser l’excellente question de Mlle Bobofit ? 139 "Busted," Grover muttered. "Shut up," Nancy hissed, her face even brighter red than her hair. At least Nancy got packed, too. Mr. Brunner was the only one who ever caught her saying anything wrong. He had radar ears. I thought about his question, and shrugged. "I don't know, sir." "I see." Mr. Brunner looked disappointed. "Well, half credit, Mr. Jackson. Zeus did indeed feed Kronos a mixture of mustard and wine, which made him disgorge his other five children, who, of course, being immortal gods, had been living and growing up completely undigested in the Titan's stomach. The gods defeated their father, sliced him to pieces with his own scythe, and scattered his remains in Tartarus, the darkest part of the Underworld. On that happy note, it's time for lunch. Mrs. Dodds, would you lead us back outside?" The class drifted off, the girls holding their stomachs, the guys pushing each other around and acting like doofuses. Grover and I were about to follow when Mr. Brunner said, "Mr. Jackson." I knew that was coming. I told Grover to keep going. Then I turned toward Mr. Brunner. "Sir?" Mr. Brunner had this look that wouldn't let you go- intense brown eyes that could've been a thousand years old and had seen everything. "You must learn the answer to my question," Mr. Brunner told me. "About the Titans?" "About real life. And how your studies apply to it." "Oh." "What you learn from me," he said, "is vitally important.I expect you to treat it as such. I will accept only the best from you, Percy Jackson." I wanted to get angry, this guy pushed me so hard. I mean, sure, it was kind of cool on tournament days, when he dressed up in a suit of Roman armor and shouted: "What ho!'" and challenged us, sword-point against chalk, to run to the board and name every Greek and Roman person who had ever lived, and their mother, and what god they worshipped. But Mr. Brunner expected me to be as good as everybody else, despite the fact that I have — Et toc, prends-toi ça ! a marmonné Grover. — Tais-toi ! a persiflé Nancy, le visage encore plus flamboyant que ses cheveux roux. Au moins, Nancy se faisait rabrouer, elle aussi. M. Brunner était le seul à jamais la surprendre en train de dire quelque chose qu’il ne fallait pas. Il avait des oreilles radar. J’ai réfléchi à la question, puis j’ai haussé les épaules. — Je ne sais pas, monsieur. — Je vois. (M. Brunner a paru déçu.) Eh bien, monsieur Jackson, ce n’est qu’une moitié de bonne réponse. Zeus a effectivement donné à Cronos un mélange de vin et de moutarde qui l’a fait régurgiter ses cinq autres enfants, lesquels, bien sûr, étant des dieux immortels, avaient vécu et grandi jusqu’à présent dans le ventre du Titan sans être digérés du tout. Les dieux ont vaincu leur père, l’ont découpé en morceaux avec sa propre faux et ont jeté ses restes dans le Tartare, qui est le lieu le plus sombre des Enfers. Et sur cette note joyeuse, allons déjeuner. Madame Dodds, voulez-vous bien prendre la tête du groupe ? Les élèves se sont dirigés en désordre vers la sortie, les filles se tenant le ventre, les garçons se bousculant et faisant les imbéciles. Grover et moi allions les suivre quand M. Brunner a lancé : — Monsieur Jackson. J’ai deviné ce qui m’attendait. J’ai dit à Grover de continuer sans moi, puis je me suis tourné vers M. Brunner. — Oui, monsieur ? M. Brunner avait un de ces regards qui ne vous lâchent pas – des yeux bruns pleins de vie qui auraient pu avoir mille ans d’âge et semblaient avoir tout vu. — Vous devez apprendre la réponse à ma question, m’a dit M. Brunner. — Sur les Titans ? — Sur la vraie vie. Et sur le rôle qu’y jouent vos études. — Ah. — Ce que vous apprenez avec moi, a-t-il poursuivi, est d’une importance vitale. Je compte sur vous pour le traiter comme tel. Je n’accepterai que le meilleur de votre part, Percy Jackson. J’avais envie de me mettre en colère ; ce type était d’une telle exigence à mon égard ! Bien sûr, c’était plutôt sympa, les jours de tournoi, quand il arrivait en armure romaine, criait « À l’assaut ! » et nous mettait au défi, pointe de l’épée contre bâton de craie, de courir au tableau et de nommer tous les Grecs et les Romains qui aient jamais vécu, leurs mères et les dieux qu’ils adoraient. Seulement M. Brunner s’attendait à ce que je sois aussi bon que tous les autres, alors que je suis dyslexique, que je souffre du trouble du déficit de l’attention et que de ma vie entière, je n’ai jamais eu la moyenne. Non, il ne s’attendait 140 dyslexia and attention deficit disorder and I had never made above a C- in my life. No-he didn't expect me to be as good; he expected me to be better. And I just couldn't learn all those names and facts, much less spell them correctly. I mumbled something about trying harder, while Mr. Brunner took one long sad look at the stele, like he'd been at this girl's funeral. He told me to go outside and eat my lunch. The class gathered on the front steps of the museum, where we could watch the foot traffic along Fifth Avenue. Overhead, a huge storm was brewing, with clouds blacker than I'd ever seen over the city. I figured maybe it was global warming or something, because the weather all across New York state had been weird since Christmas. We'd had massive snow storms, flooding, wildfires from lightning strikes. I wouldn't have been surprised if this was a hurricane blowing in. Nobody else seemed to notice. Some of the guys were pelting pigeons with Lunchables crackers. Nancy Bobofit was trying to pickpocket something from a lady's purse, and, of course, Mrs. Dodds wasn't seeing a thing. Grover and I sat on the edge of the fountain, away from the others. We thought that maybe if we did that, everybody wouldn't know we were from that school-the school for loser freaks who couldn't make it elsewhere. "Detention?" Grover asked. "Nah," I said. "Not from Brunner. I just wish he'd lay off me sometimes. I mean-I'm not a genius." Grover didn't say anything for a while. Then, when I thought he was going to give me some deep philosophical comment to make me feel better, he said, "Can I have your apple?" I didn't have much of an appetite, so I let him take it. I watched the stream of cabs going down Fifth Avenue, and thought about my mom's apartment, only a little ways uptown from where we sat. I hadn't seen her since Christmas. I wanted so bad to jump in a taxi and head home. She'd hug me and be glad to see me, but she'd be disappointed, too. She'd send me right back to Yancy, remind me that I had to try harder, even if this was my sixth school in six years and I was probably going to be kicked out again. I wouldn't be able to stand that sad look she'd give me. Mr. Brunner parked his wheelchair at the base of pas à ce que je sois aussi bon que les autres ; il voulait que je sois meilleur. Et moi j’étais incapable d’apprendre tous ces noms et ces faits, encore moins de les écrire correctement. J’ai vaguement bredouillé que je m’appliquerais davantage, tandis que M. Brunner lançait un dernier regard empli de tristesse à la stèle, comme s’il était allé à l’enterrement de cette fille. Il m’a dit de sortir déjeuner avec mes camarades. Tous les élèves s’étaient rassemblés sur les marches du musée, d’où on pouvait regarder les gens qui passaient sur la Cinquième Avenue. Au-dessus de nous couvait une énorme tempête, avec des nuages plus noirs que je n’en avais jamais vu sur la ville. J’ai pensé que ça devait être un effet du réchauffement planétaire car, depuis Noël, le temps était détraqué dans tout l’État de New York. On avait eu de violentes tempêtes de neige, des inondations et des incendies provoqués par la foudre. Cela ne m’aurait pas étonné outre mesure qu’un ouragan se prépare. Personne, à part moi, ne semblait s’en apercevoir. Certains garçons bombardaient les pigeons avec des morceaux de biscuit, Nancy Bobofit essayait de voler quelque chose dans le sac à main d’une dame et Mme Dodds, comme de bien entendu, ne voyait rien. Grover et moi étions assis à l’écart, sur le rebord de la fontaine. Nous pensions que de cette façon, avec un peu de chance, les gens ne sauraient pas que nous appartenions à cette école – l’école des losers et des tarés dont on ne voulait nulle part ailleurs. — Collé ? m’a demandé Grover. — Non, ai-je répondu. Pas avec Brunner. Mais j’aimerais bien qu’il me lâche un peu les baskets. Je veux dire… je ne suis pas un génie. Grover s’est tu un bon moment. Puis, quand j’ai cru qu’il allait me gratifier d’un commentaire philosophique profond pour me remonter le moral, il m’a demandé : — Je peux prendre ta pomme ? Je n’avais pas très faim, alors je la lui ai donnée. J’ai regardé le flot des taxis qui descendaient l’avenue et j’ai pensé à l’appartement de ma mère, qui n’était pas bien loin de là où nous étions assis, au nord de la ville. Je ne l’avais pas vue depuis Noël. Je mourais d’envie de sauter dans un taxi et de rentrer à la maison. Elle serait contente de me voir et m’embrasserait, mais elle serait déçue, également. Elle me renverrait illico à Yancy en me rappelant que je devais m’appliquer davantage, même si c’était ma sixième école en six ans et que j’allais sans doute me faire renvoyer une fois de plus. Je ne supporterais pas la tristesse dans ses yeux. M. Brunner avait garé son fauteuil roulant au pied de la rampe d’accès pour handicapés. Il mangeait des bâtonnets de 141 the handicapped ramp. He ate celery while he read a paperback novel. A red umbrella stuck up from the back of his chair, making it look like a motorized cafe table. I was about to unwrap my sandwich when Nancy Bobofit appeared in front of me with her ugly friends-I guess she'd gotten tired of stealing from the tourists-and dumped her half-eaten lunch in Grover's lap. "Oops." She grinned at me with her crooked teeth. Her freckles were orange, as if somebody had spray-painted her face with liquid Cheetos. I tried to stay cool. The school counselor had told me a million times, "Count to ten, get control of your temper." But I was so mad my mind went blank. A wave roared in my ears. I don't remember touching her, but the next thing I knew, Nancy was sitting on her butt in the fountain, screaming, "Percy pushed me!" Mrs. Dodds materialized next to us. Some of the kids were whispering: "Did you see-" "-the water-" "-like it grabbed her-" I didn't know what they were talking about. All I knew was that I was in trouble again. As soon as Mrs. Dodds was sure poor little Nancy was okay, promising to get her a new shirt at the museum gift shop, etc., etc., Mrs. Dodds turned on me. There was a triumphant fire in her eyes, as if I'd done something she'd been waiting for all semester. "Now, honey-" "I know," I grumbled. "A month erasing workbooks." That wasn't the right thing to say. "Come with me," Mrs. Dodds said. "Wait!" Grover yelped. "It was me. I pushed her." I stared at him, stunned. I couldn't believe he was trying to cover for me. Mrs. Dodds scared Grover to death. She glared at him so hard his whiskery chin trembled. "I don't think so, Mr. Underwood," she said. "But-" "You-will-stay-here." Grover looked at me desperately. "It's okay, man," I told him. "Thanks for trying." "Honey," Mrs. Dodds barked at me. "Now." Nancy Bobofit smirked. I gave her my deluxe I'll-kill-you-later stare. Then I céleri tout en lisant un roman en édition de poche. Un parapluie rouge était planté à l’arrière de son fauteuil, ce qui lui donnait l’air d’une table de café motorisée. J’allais déballer mon sandwich quand Nancy Bobofit a débarqué devant moi avec ses horribles copines – elle avait dû se lasser de voler les touristes – et a jeté son pique-nique à moitié mangé sur les genoux de Grover. — Oh, pardon ! Elle m’a souri de toutes ses dents de travers. Son visage était couvert de taches de rousseur orange, comme si quelqu’un l’avait aspergé de mimolette liquéfiée. J’ai essayé de garder mon calme. La psychologue de l’école me l’avait dit mille fois : « Compte jusqu’à dix, maîtrise ta colère. » Mais j’étais tellement furieux que je ne pouvais plus penser. Une vague a rugi dans mes oreilles. Je ne me souviens pas de l’avoir touchée, pourtant tout d’un coup Nancy s’est retrouvée sur son derrière dans la fontaine et s’est mise à hurler : — Percy m’a poussée ! Mme Dodds s’est matérialisée devant nous. Certains gamins murmuraient : — Tu as vu… — … l’eau… — … comme si elle l’attrapait… Je ne comprenais pas de quoi ils parlaient. Tout ce que je savais, c’est que je m’étais encore attiré des ennuis. Après s’être assurée que la pauvre petite Nancy allait bien, lui avoir promis de lui acheter un tee-shirt neuf à la boutique du musée etc., etc., Mme Dodds s’est tournée vers moi. Il y avait une lueur de triomphe dans ses yeux, comme si j’avais fait quelque chose qu’elle attendait depuis le début du semestre. — Écoutez, mon chou… — Je sais, ai-je grommelé. Un mois à gommer des livres d’exercices. Ce n’était sans doute pas la chose à dire. — Venez avec moi, a rétorqué Mme Dodds. — Attendez ! a glapi Grover. C’était moi. C’est moi qui l’ai poussée. Je l’ai regardé, estomaqué. Je n’arrivais pas à en croire mes oreilles : Grover essayait de me couvrir. Lui qui était terrorisé par Mme Dodds. Elle l’a toisé avec une telle dureté que son menton duveteux s’est mis à trembler. — Je ne vous crois pas, monsieur Underwood. — Mais… — VOUS NE BOUGEZ PAS D’ICI. Grover m’a lancé un regard désespéré. — T’inquiète pas, vieux, lui ai-je dit. Merci d’avoir essayé. — On se dépêche, mon chou, a aboyé Mme Dodds. Nancy Bobofit a ricané. 142 turned to face Mrs. Dodds, but she wasn't there. She was standing at the museum entrance, way at the top of the steps, gesturing impatiently at me to come on. How'd she get there so fast? I have moments like that a lot, when my brain falls asleep or something, and the next thing I know I've missed something, as if a puzzle piece fell out of the universe and left me staring at the blank place behind it. The school counselor told me this was part of the ADHD, my brain misinterpreting things. I wasn't so sure. I went after Mrs. Dodds. Halfway up the steps, I glanced back at Grover. He was looking pale, cutting his eyes between me and Mr. Brunner, like he wanted Mr. Brunner to notice what was going on, but Mr. Brunner was absorbed in his novel. I looked back up. Mrs. Dodds had disappeared again. She was now inside the building, at the end of the entrance hall. Okay, I thought. She's going to make me buy a new shirt for Nancy at the gift shop. But apparently that wasn't the plan. I followed her deeper into the museum. When I finally caught up to her, we were back in the Greek and Roman section. Except for us, the gallery was empty. Mrs. Dodds stood with her arms crossed in front of a big marble frieze of the Greek gods. She was making this weird noise in her throat, like growling. Even without the noise, I would've been nervous. It's weird being alone with a teacher, especially Mrs. Dodds. Something about the way she looked at the frieze, as if she wanted to pulverize it... "You've been giving us problems, honey," she said. I did the safe thing. I said, "Yes, ma'am." She tugged on the cuffs of her leather jacket. "Did you really think you would get away with it?" The look in her eyes was beyond mad. It was evil. She's a teacher, I thought nervously. It's not like she's going to hurt me. I said, "I'll-I'll try harder, ma'am." Thunder shook the building. "We are not fools, Percy Jackson," Mrs. Dodds Je lui ai décoché mon regard le plus féroce, genre « Tu ne perds rien pour attendre ». Puis je me suis tourné vers Mme Dodds, mais elle n’était plus là. Elle était postée à l’entrée du musée, tout en haut des marches, et me faisait signe avec impatience de la rejoindre. Comment avait-elle fait pour arriver là-haut si vite ? C’est une chose qui m’arrive souvent, ces moments où mon cerveau s’absente ou s’endort, et je m’aperçois soudain que j’ai raté quelque chose, comme si un morceau de puzzle était tombé de l’univers et que je contemplais soudain l’espace vide qu’il laissait. La psychologue de l’école m’avait dit que ça faisait partie du syndrome d’HADA, « Hyperactivité Avec Déficit de l’Attention », que c’était mon esprit qui interprétait les choses de travers. Ça ne m’avait pas convaincu. Je suis parti rejoindre Mme Dodds. À mi-hauteur des marches, j’ai jeté un coup d’œil à Grover. Il était pâle et ses yeux faisaient le va-et-vient entre M. Brunner et moi, comme s’il souhaitait que M. Brunner remarque ce qui se passait, mais M. Brunner était absorbé par son roman. J’ai tourné la tête de nouveau. Et, de nouveau, Mme Dodds avait changé de place. Elle était entrée dans le bâtiment et elle se dirigeait vers le fond du hall. D’accord, ai-je pensé. Elle va me demander d’acheter un teeshirt neuf pour Nancy à la boutique de cadeaux. Mais visiblement, ce n’était pas son plan. Je l’ai suivie dans les profondeurs du musée. Lorsque je l’ai enfin rattrapée, nous étions de retour au département grécoromain. En dehors de nous, la galerie était déserte. Mme Dodds s’est plantée bras croisés devant une grande frise de marbre représentant les dieux grecs. Elle émettait un drôle de bruit de gorge, une sorte de grondement. Même sans ce bruit, j’aurais été mal à l’aise. C’était déjà bizarre d’être seul avec un professeur, et encore plus quand il s’agissait de Mme Dodds. Elle regardait la frise d’une manière troublante, comme si elle voulait la pulvériser… — Vous nous causez bien du souci, mon chou, a-t-elle dit. J’ai joué la prudence et répondu : — Oui, m’dame. Elle a tiré sur les poignets de son blouson de cuir. — Vous ne pensiez tout de même pas vous en tirer comme ça ? L’expression de son regard allait au-delà de la folie : c’était de la méchanceté à l’état pur. C’est un professeur, ai-je pensé avec inquiétude. Elle ne peut pas me faire de mal. — Je… je vais m’appliquer davantage, ai-je dit. Un roulement de tonnerre a secoué le bâtiment. — Nous ne sommes pas des imbéciles, Percy Jackson, a dit Mme Dodds. Nous t’aurions repéré tôt ou tard. Avoue et tu 143 said. "It was only a matter of time before we found you out. Confess, and you will suffer less pain." I didn't know what she was talking about. All I could think of was that the teachers must've found the illegal stash of candy I'd been selling out of my dorm room. Or maybe they'd realized I got my essay on Tom Sawyer from the Internet without ever reading the book and now they were going to take away my grade. Or worse, they were going to make me read the book. "Well?" she demanded. "Ma'am, I don't..." "Your time is up," she hissed. Then the weirdest thing happened. Her eyes began to glow like barbecue coals. Her fingers stretched, turning into talons. Her jacket melted into large, leathery wings. She wasn't human. She was a shriveled hag with bat wings and claws and a mouth full of yellow fangs, and she was about to slice me to ribbons. Then things got even stranger. Mr. Brunner, who'd been out in front of the museum a minute before, wheeled his chair into the doorway of the gallery, holding a pen in his hand. "What ho, Percy!" he shouted, and tossed the pen through the air. Mrs. Dodds lunged at me. With a yelp, I dodged and felt talons slash the air next to my ear. I snatched the ballpoint pen out of the air, but when it hit my hand, it wasn't a pen anymore. It was a sword-Mr. Brunner's bronze sword, which he always used on tournament day. Mrs. Dodds spun toward me with a murderous look in her eyes. My knees were jelly. My hands were shaking so bad I almost dropped the sword. She snarled, "Die, honey!" And she flew straight at me. Absolute terror ran through my body. I did the only thing that came naturally: I swung the sword. The metal blade hit her shoulder and passed clean through her body as if she were made of water. Hisss! Mrs. Dodds was a sand castle in a power fan. She exploded into yellow powder, vaporized on the souffriras moins. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle voulait dire. Les seules choses auxquelles j’ai pu penser, c’était que les professeurs avaient dû découvrir le stock de bonbons que je vendais illégalement dans ma chambre. Ou bien qu’ils s’étaient rendu compte que j’avais pompé ma rédaction sur Tom Sawyer sur Internet sans avoir lu le livre et qu’ils allaient annuler ma note. Ou, pire encore, me forcer à lire le livre. — Alors ? a-t-elle demandé. — M’dame, je… — Ton heure est venue, a-t-elle craché entre ses dents, et ses yeux ont lui comme des charbons de barbecue rougeoyants. Ses doigts se sont allongés et transformés en serres. Son blouson a fondu et s’est étiré en deux grandes ailes parcheminées. Elle n’était pas humaine. C’était une vieille sorcière flétrie ; elle avait des ailes de chauve-souris, des griffes et une bouche pleine de crocs jaunes et elle s’apprêtait à me mettre en lambeaux. Là-dessus, les choses sont devenues encore plus bizarres. M. Brunner, qui était devant le musée à peine une minute plus tôt, a franchi le seuil de la galerie dans son fauteuil roulant, un stylo-bille à la main. — À l’assaut, Percy ! a-t-il crié en lançant le stylo-bille dans ma direction. Mme Dodds s’est jetée sur moi. Étouffant un cri, j’ai esquivé et senti le souffle des griffes qui fendaient l’air tout contre mon oreille. J’ai cueilli le Bic en plein vol mais au contact de ma main, il a cessé d’être un stylo-bille. C’était maintenant une épée – l’épée de bronze de M. Brunner, dont il se servait toujours pour les tournois. Mme Dodds a pivoté, une lueur meurtrière dans le regard. J’avais les genoux en compote. Mes mains tremblaient si fort que j’ai presque lâché l’épée. — Meurs, mon chou ! a-t-elle aboyé. Une vague de terreur absolue a déferlé dans mon corps. J’ai fait l’unique chose qui me venait naturellement : un moulinet avec l’épée. La lame de métal a touché Mme Dodds à l’épaule et traversé son corps comme si elle était faite entièrement d’eau. Pfuitt ! Mme Dodds a disparu comme un château de sable devant un ventilateur. Elle a explosé en gerbe de poudre jaune et s’est 144 spot, leaving nothing but the smell of sulfur and a dying screech and a chill of evil in the air, as if those two glowing red eyes were still watching me. I was alone. There was a ballpoint pen in my hand. Mr. Brunner wasn't there. Nobody was there but me. My hands were still trembling. My lunch must've been contaminated with magic mushrooms or something. Had I imagined the whole thing? I went back outside. It had started to rain. Grover was sitting by the fountain, a museum map tented over his head. Nancy Bobofit was still standing there, soaked from her swim in the fountain, grumbling to her ugly friends. When she saw me, she said, "I hope Mrs. Kerr whipped your butt." I said, "Who?" "Our teacher. Duh!" I blinked. We had no teacher named Mrs. Kerr. I asked Nancy what she was talking about. She just rolled her eyes and turned away. I asked Grover where Mrs. Dodds was. He said, "Who?" But he paused first, and he wouldn't look at me, so I thought he was messing with me. "Not funny, man," I told him. "This is serious." Thunder boomed overhead. I saw Mr. Brunner sitting under his red umbrella, reading his book, as if he'd never moved. I went over to him. He looked up, a little distracted. "Ah, that would be my pen. Please bring your own writing utensil in the future, Mr. Jackson." I handed Mr. Brunner his pen. I hadn't even realized I was still holding it. "Sir," I said, "where's Mrs. Dodds?" He stared at me blankly. "Who?" "The other chaperone. Mrs. Dodds. The prealgebra teacher." He frowned and sat forward, looking mildly concerned. "Percy, there is no Mrs. Dodds on this trip. As far as I know, there has never been a Mrs. Dodds at Yancy Academy. Are you feeling all right?" volatilisée devant moi, laissant pour seules traces une odeur de soufre, un râle d’agonie et un frisson maléfique en suspension dans l’air, comme si ses deux yeux de braise me regardaient encore. J’étais seul. J’avais un stylo-bille à la main. M. Brunner n’était pas là. Il n’y avait personne d’autre que moi dans la galerie. Mes mains tremblaient toujours. Pas possible, mes céréales du petit déjeuner devaient avoir été en contact avec des champignons magiques. Avais-je imaginé toute cette histoire ? Je suis ressorti. Il avait commencé à pleuvoir. Grover était assis près de la fontaine, s’abritant la tête sous un plan du musée. Nancy Bobofit était encore là, trempée après son plongeon dans le bassin, et bavardait à mi-voix avec ses horribles copines. En me voyant, elle a dit : — J’espère que Mme Kerr t’a passé un bon savon. — Qui ça ? — Notre professeur, patate ! J’ai accusé le coup. Aucun de nos professeurs ne s’appelait Mme Kerr. J’ai demandé à Nancy ce qu’elle voulait dire. Elle a levé les yeux au ciel et s’est éloignée. J’ai demandé à Grover où était Mme Dodds. — Qui ça ? a-t-il répondu. Mais il avait hésité un bref instant et ne me regardait pas dans les yeux, alors j’ai pensé qu’il me faisait marcher. — Ce n’est pas drôle, vieux, ai-je dit. Je suis sérieux, là. Un coup de tonnerre a retenti. J’ai aperçu M. Brunner qui lisait son livre, assis sous son parapluie rouge, comme s’il n’avait jamais bougé. Je me suis approché de lui. Il a levé la tête, l’air un peu distrait. — Tiens, mon stylo-bille. À l’avenir, monsieur Jackson, vous serez gentil, vous penserez à prendre de quoi écrire avec vous. Je lui ai tendu le stylo-bille. Je ne m’étais même pas rendu compte que je le tenais encore dans ma main. — Monsieur, ai-je demandé. Où est Mme Dodds ? Il m’a regardé d’un œil impassible : — Qui donc ? — L’autre accompagnateur de l’excursion. Mme Dodds. Le professeur de mathématiques. M. Brunner s’est penché en avant en fronçant les sourcils, l’air un peu soucieux. — Percy, aucune Mme Dodds ne participe à cette excursion. Autant que je sache, il n’y a jamais eu de Mme Dodds à l’Institut Yancy. Vous vous sentez bien ? 2 THREE OLD LADIES KNIT 145 THE SOCKS OF DEATH I was used to the occasional weird experience, but usually they were over quickly. This twentyfour/seven hallucination was more than I could handle. For the rest of the school year, the entire campus seemed to be playing some kind of trick on me. The students acted as if they were completely and totally convinced that Mrs. Kerr-a perky blond woman whom I'd never seen in my life until she got on our bus at the end of the field trip-had been our pre-algebra teacher since Christmas. Every so often I would spring a Mrs. Dodds reference on somebody, just to see if I could trip them up, but they would stare at me like I was psycho. It got so I almost believed them-Mrs. Dodds had never existed. Almost. But Grover couldn't fool me. When I mentioned the name Dodds to him, he would hesitate, then claim she didn't exist. But I knew he was lying. Something was going on. Something had happened at the museum. I didn't have much time to think about it during the days, but at night, visions of Mrs. Dodds with talons and leathery wings would wake me up in a cold sweat. The freak weather continued, which didn't help my mood. One night, a thunderstorm blew out the windows in my dorm room. A few days later, the biggest tornado ever spotted in the Hudson Valley touched down only fifty miles from Yancy Academy. One of the current events we studied in social studies class was the unusual number of small planes that had gone down in sudden squalls in the Atlantic that year. I started feeling cranky and irritable most of the time. My grades slipped from Ds to Fs. I got into more fights with Nancy Bobofit and her friends. I was sent out into the hallway in almost every class. Finally, when our English teacher, Mr. Nicoll, asked me for the millionth time why I was too lazy to study for spelling tests, I snapped. I called him an old sot. I wasn't even sure what it meant, but it sounded good. The headmaster sent my mom a letter the 2. Trois vieilles dames tricotent les chaussettes de la mort J’avais l’habitude de vivre une expérience bizarre de temps à autre mais, d’ordinaire, elles se terminaient rapidement. Tandis que là, cette hallucination permanente, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c’était insupportable. Pendant le reste de l’année scolaire, j’ai eu l’impression que tout le monde à la pension me faisait marcher. Les élèves se comportaient tous comme s’ils étaient absolument persuadés que Mme Kerr – une jeune femme blonde pleine d’entrain que je n’avais jamais vue avant qu’elle monte dans notre car scolaire à la fin de la sortie éducative – était notre prof de maths depuis Noël. De temps en temps, je lançais une allusion à Mme Dodds en espérant que mon interlocuteur, pris par surprise, se trahirait, mais chaque fois, on me regardait comme si j’étais dérangé. J’en suis presque venu à les croire : Mme Dodds n’avait jamais existé. Presque. Mais Grover n’arrivait pas à me berner. Chaque fois que j’évoquais Mme Dodds, il hésitait d’abord, puis il affirmait qu’elle n’existait pas. Je savais qu’il mentait. Il y avait anguille sous roche. Il s’était véritablement passé quelque chose au musée. Je n’avais pas trop le temps d’y penser pendant la journée mais la nuit, je me réveillais avec des sueurs froides, en proie à des visions de Mme Dodds dotée de griffes et d’ailes de chauve-souris. Le temps a continué de se détraquer, ce qui n’arrangeait pas mon humeur. Une nuit, un orage a fait voler en éclats les carreaux de ma fenêtre. Quelques jours plus tard, la tornade la plus forte jamais relevée dans la vallée de l’Hudson est passée à quatre-vingts kilomètres seulement de Yancy. Entre autres phénomènes d’actualité, nous avions étudié en cours le nombre inhabituel de petits avions qui s’étaient abîmés dans l’Atlantique, pris dans une bourrasque soudaine, au cours de cette année. J’ai fini par me sentir irritable et de mauvaise humeur presque en permanence. Mes notes ont dégringolé de D à F. Je me disputais de plus en plus souvent avec Nancy Bobofit et sa clique. Je me faisais mettre à la porte de la plupart des cours. Pour finir, quand notre prof d’anglais, M. Nicoll, m’a demandé pour la millième fois pourquoi je ne me donnais même pas la peine de réviser avant les dictées, j’ai fait mon insolent. Je l’ai traité de vieux pochard. Je ne savais pas trop ce que ça signifiait, d’ailleurs, mais je trouvais que ça sonnait bien. La semaine suivante, le directeur a envoyé à ma mère une lettre qui officialisait la chose : je ne serais pas invité à revenir 146 following week, making it official: I would not be invited back next year to Yancy Academy. Fine, I told myself. Just fine. I was homesick. I wanted to be with my mom in our little apartment on the Upper East Side, even if I had to go to public school and put up with my obnoxious stepfather and his stupid poker parties. And yet... there were things I'd miss at Yancy. The view of the woods out my dorm window, the Hudson River in the distance, the smell of pine trees. I'd miss Grover, who'd been a good friend, even if he was a little strange. I worried how he'd survive next year without me. I'd miss Latin class, too-Mr. Brunner's crazy tournament days and his faith that I could do well. As exam week got closer, Latin was the only test I studied for. I hadn't forgotten what Mr. Brunner had told me about this subject being life-anddeath for me. I wasn't sure why, but I'd started to believe him. à l’Institut Yancy l’année suivante. The evening before my final, I got so frustrated I threw the Cambridge Guide to Greek Mythology across my dorm room. Words had started swimming off the page, circling my head, the letters doing one-eighties as if they were riding skateboards. There was no way I was going to remember the difference between Chiron and Charon, or Polydictes and Polydeuces. And conjugating those Latin verbs? Forget it. I paced the room, feeling like ants were crawling around inside my shirt. I remembered Mr. Brunner's serious expression, his thousand-year-old eyes. I will accept only the best from you, Percy Jackson. I took a deep breath. I picked up the mythology book. I'd never asked a teacher for help before. Maybe if I talked to Mr. Brunner, he could give me some pointers. At least I could apologize for the big fat F I was about to score on his exam. I didn't want to leave Yancy Academy with him thinking I hadn't tried. I walked downstairs to the faculty offices. Most of them were dark and empty, but Mr. Brunner's door was ajar, light from his window stretching across the hallway floor. I was three steps from the door handle when I La veille de l’examen, j’ai été pris d’un tel sentiment de frustration que j’ai balancé mon Guide de la mythologie grecque en travers de ma chambre. Les mots s’étaient mis à danser devant mes yeux, à tourner autour de ma tête, les lettres à faire des grands 8. Jamais je ne pourrais retenir la différence entre Chiron et Charon, Polydectès et Polydeucès. Et toutes ces conjugaisons latines ? N’en parlons pas. Bien, me suis-je dit. Parfait. J’avais le cafard. J’avais envie d’être avec ma mère dans notre petit appartement de New York, même si cela m’obligeait à aller à l’école publique et à supporter mon horrible beau-père et ses stupides parties de poker. Et pourtant… certaines choses à Yancy me manqueraient. La vue des bois par la fenêtre de la chambre que je partageais avec Grover, l’Hudson au loin, l’odeur des sapins. Grover me manquerait ; il avait toujours été un bon ami pour moi, même s’il était un peu bizarre. Je me demandais avec inquiétude comment il ferait pour survivre sans moi l’année prochaine. Et les cours de latin me manqueraient, eux aussi : les tournois fous de M. Brunner et sa foi dans ma capacité à réussir. À l’approche des examens de fin d’année, je ne révisais plus que mon latin. Je n’avais pas oublié que M. Brunner m’avait dit que cette matière était d’une importance vitale pour moi. J’ignorais pourquoi, mais j’avais fini par le croire. J’arpentais ma chambre avec la sensation d’avoir des fourmis qui grouillaient sur ma peau, sous mon tee-shirt. Je me suis souvenu de l’expression grave de M. Brunner, de ses yeux vieux de mille ans. Je n’accepterai que le meilleur de votre part, Percy Jackson. J’ai respiré à fond. J’ai ramassé le livre de mythologie. Je n’avais encore jamais demandé de l’aide à un professeur. Peut-être que si j’allais trouver M. Brunner, il pourrait me donner quelques tuyaux. Et, au moins, je pourrais m’excuser pour le gros « F » que je m’apprêtais à récolter à son examen. Je ne voulais pas quitter Yancy sans qu’il sache que j’avais essayé. Je suis descendu aux bureaux des enseignants. Pour la plupart, ils étaient vides et sombres, mais la porte de M. Brunner était entrebâillée ; la lumière de sa fenêtre s’étirait sur le sol du couloir. Je n’étais plus qu’à trois pas de la poignée quand j’ai entendu 147 heard voices inside the office. Mr. Brunner asked a question. A voice that was definitely Grover's said "... worried about Percy, sir." I froze. I'm not usually an eavesdropper, but I dare you to try not listening if you hear your best friend talking about you to an adult. I inched closer. "... alone this summer," Grover was saying. "I mean, a Kindly One in the school! Now that we know for sure, and they know too-" "We would only make matters worse by rushing him," Mr. Brunner said. "We need the boy to mature more." "But he may not have time. The summer solstice deadline- " "Will have to be resolved without him, Grover. Let him enjoy his ignorance while he still can." "Sir, he saw her... ." "His imagination," Mr. Brunner insisted. "The Mist over the students and staff will be enough to convince him of that." "Sir, I ... I can't fail in my duties again." Grover's voice was choked with emotion. "You know what that would mean." "You haven't failed, Grover," Mr. Brunner said kindly. "I should have seen her for what she was. Now let's just worry about keeping Percy alive until next fall-" The mythology book dropped out of my hand and hit the floor with a thud. Mr. Brunner went silent. My heart hammering, I picked up the book and backed down the hall. A shadow slid across the lighted glass of Brunner's office door, the shadow of something much taller than my wheelchair-bound teacher, holding something that looked suspiciously like an archer's bow. I opened the nearest door and slipped inside. A few seconds later I heard a slow clop-clop-clop, like muffled wood blocks, then a sound like an animal snuffling right outside my door. A large, dark shape paused in front of the glass, then moved on. A bead of sweat trickled down my neck. Somewhere in the hallway, Mr. Brunner spoke. "Nothing," he murmured. "My nerves haven't been right since the winter solstice." "Mine neither," Grover said. "But I could have sworn ..." des voix dans le bureau. M. Brunner a posé une question. Une voix qui était indiscutablement celle de Grover a répondu : — … du souci pour Percy, monsieur. Je me suis figé sur place. Je ne suis pas du genre à écouter aux portes, normalement, mais je vous mets au défi de vous retenir d’écouter si vous entendez votre meilleur ami parler de vous à un adulte. Je me suis rapproché. — … seul cet été, disait Grover. Je veux dire, une Bienveillante dans notre école ! Maintenant que nous en avons la certitude, et qu’ils le savent eux aussi… — Nous ne ferions qu’aggraver les choses en le bousculant, a dit M. Brunner. Il faut que ce garçon mûrisse davantage. — Mais il risque de ne pas en avoir le temps. L’échéance du solstice d’été… — … devra être résolue sans lui, Grover. Qu’il profite de son ignorance tant qu’il le peut encore. — Mais il l’a vue, monsieur… — Son imagination, a insisté M. Brunner. La Brume sur les élèves et les enseignants suffira à l’en convaincre. — Monsieur… je ne peux pas échouer à nouveau dans mes fonctions. (Grover avait la voix étranglée par l’émotion.) Vous savez ce que cela signifierait. — Ce n’était pas un échec, Grover, a dit M. Brunner avec gentillesse. J’aurais dû la reconnaître pour ce qu’elle était vraiment. À présent, soucions-nous plutôt de maintenir Percy en vie jusqu’à l’automne prochain… Le livre de mythologie m’a glissé des mains et s’est écrasé bruyamment par terre. M. Brunner s’est tu. Le cœur battant, j’ai ramassé le livre et rebroussé chemin le long du couloir. Une ombre est passée devant le panneau de verre de la porte du bureau de Brunner, l’ombre d’une créature bien plus grande que mon prof en fauteuil roulant, tenant dans ses mains ce qui ressemblait étrangement à un arc. J’ai ouvert la première porte et me suis glissé dans la pièce. Quelques secondes plus tard, j’ai entendu un lent clip-clop assourdi, comme des cubes de bois emmitouflés, puis un bruit d’animal reniflant juste derrière ma porte. Une grande forme sombre s’est immobilisée devant le panneau vitré, puis s’est éloignée. Une goutte de sueur a coulé le long de mon cou. Quelque part dans le couloir, Brunner a pris la parole. — Rien, a-t-il murmuré. J’ai les nerfs à fleur de peau depuis le solstice d’hiver. — Moi aussi, a répondu Grover. Pourtant j’aurais juré… — Il est temps d’aller se coucher, maintenant, Grover, lui a dit 148 "Go back to the dorm," Mr. Brunner told him. "You've got a long day of exams tomorrow." "Don't remind me." The lights went out in Mr. Brunner's office. I waited in the dark for what seemed like forever. Finally, I slipped out into the hallway and made my way back up to the dorm. Grover was lying on his bed, studying his Latin exam notes like he'd been there all night. "Hey," he said, bleary-eyed. "You going to be ready for this test?" I didn't answer. "You look awful." He frowned. "Is everything okay?" "Just... tired." I turned so he couldn't read my expression, and started getting ready for bed. I didn't understand what I'd heard downstairs. I wanted to believe I'd imagined the whole thing. But one thing was clear: Grover and Mr. Brunner were talking about me behind my back. They thought I was in some kind of danger. The next afternoon, as I was leaving the threehour Latin exam, my eyes swimming with all the Greek and Roman names I'd misspelled, Mr. Brunner called me back inside. For a moment, I was worried he'd found out about my eavesdropping the night before, but that didn't seem to be the problem. "Percy," he said. "Don't be discouraged about leaving Yancy. It's ... it's for the best." His tone was kind, but the words still embarrassed me. Even though he was speaking quietly, the other kids finishing the test could hear. Nancy Bobofit smirked at me and made sarcastic little kissing motions with her lips. I mumbled, "Okay, sir." "I mean ..." Mr. Brunner wheeled his chair back and forth, like he wasn't sure what to say. "This isn't the right place for you. It was only a matter of time." My eyes stung. Here was my favorite teacher, in front of the class, telling me I couldn't handle it. After saying he believed in me all year, now he was telling me I was destined to get kicked out. "Right," I said, trembling. "No, no," Mr. Brunner said. "Oh, confound it all. What I'm trying to say ... you're not normal, Percy. That's nothing to be-" M. Brunner. La journée sera longue, demain, avec tous les examens. — Je n’ai pas oublié. La lumière s’est éteinte dans le bureau de M. Brunner. J’ai attendu dans le noir pendant presque une éternité. Finalement, je me suis glissé dans le couloir et j’ai regagné la chambre à pas de loup. Grover était allongé sur son lit et révisait ses cours de latin comme s’il n’avait pas bougé de la soirée. — Hé, m’a-t-il dit, les yeux pleins de sommeil. Tu es prêt pour l’exam’ de latin ? Je n’ai pas répondu. — Dis donc, tu as une sale mine, a-t-il ajouté en fronçant les sourcils. Il y a quelque chose qui ne va pas ? — Je suis fatigué, c’est tout. Je lui ai tourné le dos pour qu’il ne puisse pas déchiffrer mon expression et je me suis préparé à me coucher. Je ne parvenais pas à comprendre ce que j’avais entendu en bas. Je voulais croire que j’avais tout imaginé. Cependant une chose était claire : Grover et M. Brunner parlaient de moi dans mon dos. Ils croyaient que j’étais en danger, d’une manière ou d’une autre. Le lendemain après-midi, au moment où je sortais de la salle de classe après les trois heures d’examen de latin, la tête pleine à craquer de tous ces noms grecs et romains que j’avais orthographiés de travers, M. Brunner m’a rappelé. J’ai eu peur un instant qu’il ait découvert que j’avais écouté à sa porte la veille, mais apparemment ce n’était pas de cela qu’il s’agissait. — Percy, a-t-il dit. Ne soyez pas découragé de quitter Yancy. C’est… ça vaut mieux comme ça. Le ton de sa voix était gentil, mais ses paroles m’embarrassaient. Il avait beau parler doucement, les autres gamins qui finissaient leur examen pouvaient l’entendre. Nancy Bobofit m’a adressé un petit sourire moqueur et fait mine de m’envoyer des baisers du bout des lèvres. — Oui, monsieur, ai-je bredouillé. — Je veux dire… (M. Brunner avançait et reculait avec son fauteuil roulant comme s’il ne savait pas trop quoi dire.) Ce n’est pas le bon endroit pour vous, ici. Ce n’était qu’une question de temps. J’ai senti les yeux me piquer. Mon professeur préféré me disait, devant toute la classe, que je n’assurais pas. Après m’avoir répété toute l’année qu’il croyait en moi, il m’expliquait que mon destin était de me faire virer. — D’accord, ai-je dit en tremblant. — Non, non, a fait M. Brunner. Oh, zut de zut ! Ce que j’essaie de vous dire… vous n’êtes pas normal, Percy. Il n’y a pas de quoi… 149 "Thanks," I blurted. "Thanks a lot, sir, for — Merci de me le rappeler, monsieur, ai-je explosé. Merci reminding me. beaucoup. "Percy-" — Percy… But I was already gone. Mais j’étais déjà parti. On the last day of the term, I shoved my clothes into my suitcase. The other guys were joking around, talking about their vacation plans. One of them was going on a hiking trip to Switzerland. Another was cruising the Caribbean for a month. They were juvenile delinquents, like me, but they were rich juvenile delinquents. Their daddies were executives, or ambassadors, or celebrities. I was a nobody, from a family of nobodies. They asked me what I'd be doing this summer and I told them I was going back to the city. What I didn't tell them was that I'd have to get a summer job walking dogs or selling magazine subscriptions, and spend my free time worrying about where I'd go to school in the fall. "Oh," one of the guys said. "That's cool." They went back to their conversation as if I'd never existed. The only person I dreaded saying good-bye to was Grover, but as it turned out, I didn't have to. He'd booked a ticket to Manhattan on the same Greyhound as I had, so there we were, together again, heading into the city. During the whole bus ride, Grover kept glancing nervously down the aisle, watching the other passengers. It occurred to me that he'd always acted nervous and fidgety when we left Yancy, as if he expected something bad to happen. Before, I'd always assumed he was worried about getting teased. But there was nobody to tease him on the Greyhound. Finally I couldn't stand it anymore. I said, "Looking for Kindly Ones?" Grover nearly jumped out of his seat. "Wha-what do you mean?" I confessed about eavesdropping on him and Mr. Brunner the night before the exam. Grover's eye twitched. "How much did you hear?" "Oh ... not much. What's the summer solstice dead-line?" He winced. "Look, Percy ... I was j ust worried for you, see? I mean, hallucinating about demon math teachers ..." "Grover-" Le dernier jour du trimestre, j’ai fourré mes vêtements dans ma valise. Les autres garçons plaisantaient entre eux, se racontaient leurs projets de vacances. L’un d’eux allait faire de la randonnée en Suisse. L’autre sillonnerait les Caraïbes pendant un mois. C’étaient des jeunes à problèmes, comme moi, mais des jeunes à problèmes qui avaient de l’argent. Leurs pères étaient cadres, ambassadeurs, stars. Moi, j’étais un rien du tout, issu d’une famille de riens du tout. Ils m’ont demandé ce que j’allais faire cet été et j’ai répondu que je rentrais à New York. Ce que je ne leur ai pas dit, c’est que j’allais devoir me trouver un boulot d’été, du genre promener des chiens ou vendre des abonnements à des revues, et que je passerais mon temps libre à m’inquiéter pour ma rentrée scolaire de l’automne. — Oh, c’est cool, a dit un des garçons. Et ils ont repris leur conversation comme si je n’avais jamais existé. La seule personne à qui je redoutais de dire au revoir était Grover, mais en fin de compte je n’ai pas eu à le faire. Il avait pris un billet pour New York par le même autocar que moi et nous nous sommes donc retrouvés côte à côte une fois de plus. Pendant tout le trajet, Grover n’a pas cessé de jeter des coups d’œil inquiets dans le couloir, d’observer les autres passagers. En fait, il s’était toujours montré nerveux et sur ses gardes chaque fois que nous quittions Yancy. Avant, je croyais juste qu’il avait peur qu’on l’embête. Mais il n’y avait personne pour l’embêter dans cet autocar. Finalement, j’ai craqué. Et j’ai dit : — Tu cherches des Bienveillantes ? Grover a failli sauter de son siège. — Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu veux dire ? Je lui ai avoué que je les avais surpris, M. Brunner et lui, la veille de l’examen. Grover a cligné des paupières. — Qu’as-tu entendu ? m’a-t-il demandé. — Oh, pas grand-chose. C’est quoi, l’échéance du solstice d’été ? Il a grimacé. — Écoute, Percy… je m’inquiétais pour toi, c’est tout, tu comprends ? Tu sais, avec tes hallucinations de prof de maths démoniaque… — Grover… 150 "And I was telling Mr. Brunner that maybe you were overstressed or something, because there was no such person as Mrs. Dodds, and ..." "Grover, you're a really, really bad liar." His ears turned pink. From his shirt pocket, he fished out a grubby business card. "Just take this, okay? In case you need me this summer. The card was in fancy script, which was murder on my dyslexic eyes, but I finally made out something like: — Et je disais à M. Brunner que tu étais peut-être hyperstressé ou quelque chose comme ça, parce qu’il n’y a jamais eu de Mme Dodds, et… — Grover, tu es un très, très mauvais menteur. Ses oreilles sont devenues toutes roses. De sa poche de chemise, il a extirpé une carte de visite en piteux état. — Prends ça, d’accord ? Au cas où tu aies besoin de moi cet été. La carte était imprimée en caractères alambiqués, ce qui était mortel pour mes yeux de dyslexique, mais j’ai fini par déchiffrer quelque chose du genre : Grover Underwood Keeper Half-Blood Hill Long Island, New York (800) 009-0009 Grover Underwood, Gardien Colline des Sang-Mêlé Long Island, New York (800) 009 – 0009 "What's Half-" "Don't say it aloud!" he yelped. "That's my, um ... summer address." My heart sank. Grover had a summer home. I'd never considered that his family might be as rich as the others at Yancy. — C’est quoi, la colline des Sang-… — Ne lis pas tout haut ! a-t-il glapi. C’est, euh… mon adresse d’été. J’ai eu un pincement de cœur. Grover avait une maison de vacances. Il ne m’avait jamais traversé l’esprit qu’il puisse venir d’une famille de riches, comme les autres à Yancy. — D’accord, ai-je dit d’un ton morose. Genre, si je veux visiter ton manoir. Il a hoché la tête : — Ou… ou si tu as besoin de moi. — Pourquoi aurais-je besoin de toi ? J’ai dit cela plus brutalement que je ne l’aurais voulu. Grover a rougi jusqu’à la pomme d’Adam. — Écoute, Percy, la vérité, c’est que je… je suis censé te protéger, en quelque sorte. Je l’ai dévisagé. J’avais passé toute l’année à me battre avec les garçons qui voulaient se défouler sur lui. J’avais eu des insomnies à la pensée qu’il risquait de se faire casser la figure l’année prochaine, sans moi. Et le voilà qui prétendait que c’était lui qui me défendait. — Grover, ai-je dit, de quoi me protèges-tu, au juste ? Un grincement strident a retenti sous nos pieds. Le tableau de bord s’est mis à déverser une épaisse fumée noire et une odeur d’œuf pourri a envahi le car. Avec un juron, le chauffeur s’est rangé sur la bande d’arrêt d’urgence. Au bout de quelques minutes à trifouiller sous le capot, il nous a annoncé que nous devions tous descendre. Grover et moi sommes sortis avec les autres passagers, à la queue leu leu. "Okay," I said glumly. "So, like, if I want to come visit your mansion." He nodded. "Or ... or if you need me." "Why would I need you?" It came out harsher than I meant it to. Grover blushed right down to his Adam's apple. "Look, Percy, the truth is, I-I kind of have to protect you." I stared at him. All year long, I'd gotten in fights, keeping bullies away from him. I'd lost sleep worrying that he'd get beaten up next year without me. And here he was acting like he was the one who defended me. "Grover," I said, "what exactly are you protecting me from?" There was a huge grinding noise under our feet. Black smoke poured from the dashboard and the whole bus filled with a smell like rotten eggs. The driver cursed and limped the Greyhound over to the side of the highway. After a few minutes clanking around in the engine compartment, the driver announced that we'd all have to get off. Grover and I filed outside with everybody else. We were on a stretch of country road-no place Nous étions en rase campagne, dans un coin qui ne 151 you'd notice if you didn't break down there. On our side of the highway was nothing but maple trees and litter from passing cars. On the other side, across four lanes of asphalt shimmering with afternoon heat, was an old-fashioned fruit stand. The stuff on sale looked really good: heaping boxes of bloodred cherries and apples, walnuts and apricots, jugs of cider in a claw-foot tub full of ice. There were no customers, just three old ladies sitting in rocking chairs in the shade of a maple tree, knitting the biggest pair of socks I'd ever seen. I mean these socks were the size of sweaters, but they were clearly socks. The lady on the right knitted one of them. The lady on the left knitted the other. The lady in the middle held an enormous basket of electric-blue yarn. All three women looked ancient, with pale faces wrinkled like fruit leather, silver hair tied back in white bandannas, bony arms sticking out of bleached cotton dresses. The weirdest thing was, they seemed to be looking right at me. I looked over at Grover to say something about this and saw that the blood had drained from his face. His nose was twitching. "Grover?" I said. "Hey, man-" "Tell me they're not looking at you. They are, aren't they?" "Yeah. Weird, huh? You think those socks would fit me?" "Not funny, Percy. Not funny at all." The old lady in the middle took out a huge pair of scissors-gold and silver, long-bladed, like shears. I heard Grover catch his breath. "We're getting on the bus," he told me. "Come on." "What?" I said. "It's a thousand degrees in there." "Come on!'" He pried open the door and climbed inside, but I stayed back. Across the road, the old ladies were still watching me. The middle one cut the yarn, and I swear I could hear that snip across four lanes of traffic. Her two friends balled up the electric-blue socks, leaving me wondering who they could possibly be for-Sasquatch or Godzilla. At the rear of the bus, the driver wrenched a big chunk of smoking metal out of the engine compartment. The bus shuddered, and the engine roared back to life. retiendrait pas l’attention à moins d’y tomber en panne. De notre côté de l’autoroute, il n’y avait rien d’autre à voir que des érables et des détritus jetés par les gens qui passaient en voiture. En face, de l’autre côté des quatre voies d’asphalte qui luisaient dans la chaleur de l’après-midi, se dressait un étal de fruits à l’ancienne. La marchandise était vraiment appétissante : des cageots débordant de cerises et de pommes vermillon, des noix et des abricots, de grandes bouteilles de jus de pomme dans une baignoire à pattes de griffon pleine de glace. Il n’y avait pas de clients, juste trois vieilles dames assises dans des rockingchairs à l’ombre d’un érable, qui tricotaient la plus grande paire de chaussettes que j’aie jamais vue. C’est simple, ces chaussettes avaient la taille d’un pull, mais c’étaient incontestablement des chaussettes. La dame qui était sur la droite en tricotait une. La dame assise à gauche tricotait l’autre. La dame du milieu tenait une énorme corbeille de fil à tricoter bleu électrique. Les trois femmes avaient un air antédiluvien avec leurs visages blêmes et ridés comme de vieilles pommes, leurs cheveux argent retenus par des bandanas blancs et leurs bras décharnés dans leurs robes de coton décolorées. Le plus étrange, c’était qu’elles semblaient avoir le regard rivé sur moi. J’ai tourné la tête pour en parler à Grover et j’ai vu qu’il était devenu livide. Son nez tressaillait. — Grover ? ai-je dit. Hé, mec… — Dis-moi qu’elles ne te regardent pas… elles te regardent, n’est-ce pas ? — Ouais. Bizarre, non ? Tu crois que ces chaussettes m’iraient ? — C’est pas drôle, Percy. Pas drôle du tout. La vieille dame du milieu a attrapé une énorme paire de ciseaux – or et argent, à longues lames comme des cisailles. J’ai entendu Grover retenir sa respiration. — On remonte dans le car, m’a-t-il dit. Viens. — Quoi ? Mais il fait mille degrés là-dedans ! — Viens ! Il a forcé la porte et il est entré dans le car, mais je suis resté dehors. De l’autre côté de la route, les vieilles dames m’observaient toujours. Celle du milieu a coupé le fil, et je vous jure que j’ai entendu ce clic-clac malgré les quatre voies de circulation. Ses deux amies ont roulé les chaussettes bleu électrique en boule, me laissant à ma perplexité : à qui étaient-elles destinées, au Yéti ou à Godzilla ? À l’arrière du car, le chauffeur a arraché un gros bout de métal fumant de sous le capot. Le car s’est ébranlé et le moteur s’est réveillé avec un grondement. 152 The passengers cheered. "Darn right!" yelled the driver. He slapped the bus with his hat. "Everybody back on board!" Once we got going, I started feeling feverish, as if I'd caught the flu. Grover didn't look much better. He was shivering and his teeth were chattering. "Grover?" "Yeah?" "What are you not telling me?" He dabbed his forehead with his shirt sleeve. "Percy, what did you see back at the fruit stand?" "You mean the old ladies? What is it about them, man? They're not like ... Mrs. Dodds, are they?" His expression was hard to read, but I got the feeling that the fruit-stand ladies were something much, much worse than Mrs. Dodds. He said, "Just tell me what you saw." "The middle one took out her scissors, and she cut the yarn." He closed his eyes and made a gesture with his fingers that might've been crossing himself, but it wasn't. It was something else, something almostolder. He said, "You saw her snip the cord." "Yeah. So?" But even as I said it, I knew it was a big deal. "This is not happening," Grover mumbled. He started chewing at his thumb. "I don't want this to be like the last time." "What last time?" "Always sixth grade. They never get past sixth." "Grover," I said, because he was really starting to scare me. "What are you talkingabout?" "Let me walk you home from the bus station. Promise me." This seemed like a strange request to me, but I promised he could. "Is this like a superstition or something?" I asked. No answer. "Grover-that snipping of the yarn. Does that mean somebody is going to die?" He looked at me mournfully, like he was already picking the kind of flowers I'd like best on my coffin. Les passagers ont applaudi. — Et voilà le travail ! a crié le chauffeur. (Il a fait claquer son chapeau sur la carrosserie.) En voiture tout le monde ! Une fois que nous eûmes démarré, j’ai commencé à me sentir fiévreux, comme si j’avais attrapé la grippe. Grover n’avait pas l’air en meilleure forme. Il frissonnait et claquait des dents. — Grover ? — Ouais ? — Qu’est-ce que tu me caches ? Il s’est tamponné le front avec sa manche de chemise. — Percy, qu’est-ce que tu as vu là-bas à l’étal de fruits ? — Tu veux dire les trois vieilles dames ? C’est quoi l’histoire, mec ? Elles ne sont pas… elles ne sont pas comme Mme Dodds, si ? L’expression de Grover était difficile à décrypter, mais j’ai eu l’impression que les dames de l’étal de fruits représentaient quelque chose de bien, bien pire que Mme Dodds. Pour toute réponse, il m’a dit : — Raconte-moi juste ce que tu as vu. — Celle du milieu a pris ses ciseaux et elle a coupé le fil. Il a fermé les yeux et fait un geste avec les doigts, un peu comme s’il se signait, mais ce n’était pas ça. C’était quelque chose d’autre, quelque chose de presque… plus ancien. Il a dit : — Tu l’as vue trancher le fil. — Ouais. Et alors ? ai-je rétorqué. (Mais je savais déjà que c’était grave.) — Je refuse d’y croire, a marmonné Grover. (Il s’est mis à mordiller son pouce.) Je ne veux pas que ça se passe comme la dernière fois. — Quelle dernière fois ? — Et toujours en sixième. Ils ne dépassent jamais la sixième. — Grover, ai-je dit, parce qu’il commençait vraiment à me faire peur, de quoi tu parles ? — Laisse-moi te raccompagner de la gare routière à chez toi. Promets-le-moi. Ça m’a paru une drôle de demande, mais je lui ai promis qu’il pourrait me raccompagner. — C’est une superstition ou quoi ? lui ai-je demandé. Pas de réponse. — Grover… ce fil tranché. Est-ce que ça signifie que quelqu’un va mourir ? Il m’a regardé tristement, comme s’il choisissait déjà les fleurs qui me plairaient le plus pour mon cercueil. Corpus Bellama 153 Imagine that you have to break someone’s arm. Right or left, doesn’t matter. The point is that you have to break it, because if you don’t . . . well, that doesn’t matter either. Let’s just say bad things will happen if you don’t. Now, my question goes like this: do you break the arm quickly - snap, whoops, sorry, here let me help you with that improvised splint - or do you drag the whole business out for a good eight minutes, every now and then increasing the pressure in the tiniest of increments, until the pain becomes pink and green and hot and cold and altogether howlingly unbearable? Imaginez que vous deviez casser le bras de quelqu’un. Le gauche ou le droit, aucune importance, la question étant de passer à l’acte, faute de quoi… enfin, qu’importe également. Disons seulement que, sinon, ça risque d’aller mal. Le problème est en réalité le suivant : allez-vous au plus vite – crac ! oh, désolé, laissez-moi vous mettre une attelle, monsieur – ou faites-vous traîner l’affaire pendant huit bonnes minutes, en procédant par minuscules poussées, certes de plus en plus fortes, jusqu’à ce que la douleur devienne verte et rose, glacée, brûlante, et finalement insupportable au point de le faire gueuler comme un veau. Eh oui, bien sûr. C’est évident. La chose à faire, la seule chose à faire, c’est d’en finir le plus rapidement possible. Cassez-moi ce bras, payez la tournée, soyez un bon citoyen. À moins que. Well exactly. Of course. The right thing to do, the only thing to do, is to get it over with as quickly as possible. Break the arm, ply the brandy, be a good citizen. There can be no other answer. Unless. Que, que, que… Unless unless unless. Et si vous détestiez la personne au bout dudit bras What if you were to hate the person on the other ? Ou, plus précisément : si vous la haïssiez grave ? end of the arm? I mean really, really hate them. Je devais maintenant y réfléchir. This was a thing I now had to consider. Je dis maintenant, mais en réalité je veux parler I say now, meaning then, meaning the moment I d’un moment passé ; le moment situé une fraction am describing; the moment fractionally, oh so de seconde – quelle fraction, cependant ! – avant bloody fractionally, before my wrist reached the que mon poignet arrive aux environs de ma nuque, back of my neck and my left humerus broke into et que mon humérus gauche se brise en deux at least two, very possibly more, floppily joined- éléments plus ou moins faciles à recoller. Deux, together pieces. voire beaucoup plus. The arm we’ve been discussing, you see, is mine. It’s not an abstract, philosopher’s arm. The bone, the skin, the hairs, the small white scar on the point of the elbow, won from the corner of a storage heater at Gateshill Primary School - they all belong to me. And now is the moment when I must consider the possibility that the man standing behind me, gripping my wrist and driving it up my spine with an almost sexual degree of care, hates me. I mean, really, really Parce que le bras dont on discute, voyez, c’est le mien. Pas le bras abstrait de quelque philosophe. L’os, la peau, les poils, la petite cicatrice blanche à la pointe du coude, cadeau d’un radiateur à accumulation de l’école primaire de Gateshill – tout ça, c’est à moi. C’est aussi le moment où je me demande si cet homme dans mon dos, qui me serre le poignet et le pousse avec un zèle quasi érotique en haut de ma colonne vertébrale… eh bien, si cet homme ne me haïrait pas. S’il ne me hait pas carrément. 154 hates me. Car il n’en finit pas. Nom de famille Rayner. Prénom inconnu. Enfin moi, je ne sais pas et, par conséquent et de toute His name was Rayner. First name unknown. By manière, vous non plus. me, at any rate, and therefore, presumably, by Je suppose que quelqu’un, quelque part, le connaît you too. – l’a baptisé ainsi, l’a gueulé dans l’escalier à I suppose someone, somewhere, must have l’heure du petit-déj’, lui a appris à known his first name - must have baptised him l’épeler – et d’autres l’ont certainement crié dans with it, called him down to breakfast with it, un bar pour lui offrir un verre, ou murmuré taught him how to spell it - and someone else pendant l’amour, ou l’ont inscrit dans la bonne must have shouted it across a bar with an offer case d’un formulaire d’assurance-vie. Je sais qu’ils of a drink, or murmured it during sex, or written ont fait ça. J’ai juste un peu de mal à me le it in a box on a life insurance application form. I représenter. know they must have done all these things. Just Rayner avait sans doute une dizaine d’années de hard to picture, that’s all. plus que moi. Ce qui ne pose en soi aucun Rayner, I estimated, was ten years older than problème. J’entretiens des relations chaleureuses, me. Which was fine. Nothing wrong with that. I sans bras cassés, avec quantité de personnes de have good, warm, non arm-breaking cet âge. Pour l’ensemble des gens admirables, relationships with plenty of people who are ten d’ailleurs. Mais il était en outre plus grand de sept years older than me. People who are ten years centimètres, plus lourd de vingt-cinq kilos et, en older than me are, by and large, admirable. But unités de violence, disons au moins huit de plus Rayner was also three inches taller than me, four que moi. Plus laid aussi qu’un parking, avec un stones heavier, and at least eight however-you- grand crâne chauve, plein de creux et de bosses, measure violence units more violent. He was qui ressemblait à un ballon rempli de clés à uglier than a car park, with a big, hairless skull molette. Il avait également un nez de boxeur, that dipped and bulged like a balloon full of qu’un tiers encore avait probablement aplati de la spanners, and his flattened, fighter’s nose, main gauche (ou du pied gauche), et qui serpentait apparently drawn on his face by someone using sous un front mal dégrossi. He is taking for ever. their left hand, or perhaps even their left foot, spread out in a meandering, lopsided delta under Dieu tout-puissant, quel front ! Chacun en leur the rough slab of his forehead. temps, briques, couteaux, bouteilles et divers And God Almighty, what a forehead. Bricks, arguments rationnels avaient rebondi sur cette knives, bottles and reasoned arguments had, in vaste surface en ne laissant que d’infimes their time, bounced harmlessly off this massive empreintes entre des pores profonds et très frontal plane, leaving only the feeblest espacés. Les pores les plus profonds et les plus indentations between its deep, widely-spaced espacés que je pense avoir jamais remarqués sur pores. They were, I think, the deepest and most une peau humaine. Ça me rappelait le golf widely-spaced pores I have ever seen in human municipal de Dalbeattie à la fin du long été sec de skin, so that I found myself thinking back to the 1976. council putting-green in Dalbeattie, at the end of Sur les côtés, nous découvrons que les oreilles de the long, dry summer of ‘76. Rayner ont jadis été mordues, arrachées et remises Moving now to the side elevation, we find that en place, la gauche étant franchement 155 Rayner’s ears had, long ago, been bitten off and spat back on to the side of his head, because the left one was definitely upside down, or inside out, or something that made you stare at it for a long time before thinking ‘oh, it’s an ear’. And on top of all this, in case you hadn’t got the message, Rayner wore a black leather jacket over a black polo-neck. But of course you would have got the message. Rayner could have swathed himself in shimmering silk and put an orchid behind each ear, and nervous passers-by would still have paid him money first and wondered afterwards whether they had owed him any. As it happened, I didn’t owe him money. Rayner belonged to that select group of people to whom I didn’t owe anything at all, and if things had been going a little better between us, I might have suggested that he and his fellows have a special tie struck, to signify membership. A motif of crossed paths, perhaps. But, as I said, things weren’t going well between us. A one-armed combat instructor called Cliff (yes, I know - he taught unarmed combat, and he only had one arm - very occasionally life is like that) once told me that pain was a thing you did to yourself. Other people did things to you - they hit you, or stabbed you, or tried to break your arm – but pain was of your own making. Therefore, said Cliff, who had spent a fortnight in Japan and so felt entitled to unload dogshit of this sort on his eager charges, it was always within your power to stop your own pain. Cliff was killed in a pub brawl three months later by a fifty-five-year-old widow, so I don’t suppose I’ll ever have a chance to set him straight. à l’envers, ou sens dessus dessous, suffisamment pour qu’on l’observe un certain temps avant de conclure : « Ah oui, c’est une oreille ! » Par-dessus tout ça, au cas où vous n’auriez pas pigé, il portait une veste en cuir noir sur un col roulé de même couleur. Mais, bien sûr, vous aviez pigé. Il aurait pu s’envelopper de soie miroitante et mettre des orchidées dans ses cheveux, les passants inquiets l’auraient payé avant de se poser la question de savoir s’ils lui devaient de l’argent. En ce qui me concerne, je ne lui en devais pas. Rayner fait partie d’un groupe très sélect à qui je ne dois rien du tout et, si ça s’était passé un peu mieux entre nous, je lui aurais suggéré, à lui et ses semblables, d’adopter un style de cravate particulier, comme les membres d’un même club. Avec pour motif des chemins qui se croisent, peutêtre. Mais comme je l’ai déjà dit, ça se passait mal. Un certain Cliff, professeur manchot de combat à mains nues (oui, je sais, il n’en avait qu’une, de main, mais la vie est comme ça, très rarement) m’a appris que la douleur est une chose qu’on s’inflige à soi-même. On peut nous faire toutes sortes de misères – nous frapper, nous poignarder, essayer de nous casser le bras –, mais la douleur, nous la créons tout seuls. Et donc, selon Cliff qui, après deux semaines au Japon, se croyait autorisé à vendre de telles conneries au prix fort, on est toujours capable de la faire cesser. Une veuve de cinquante-cinq ans l’ayant tué depuis au cours d’une bagarre dans un pub, je ne pense plus avoir l’occasion de lui souffler dans les bronches. La douleur est une réalité. Quand elle vous tombe Pain is an event. It happens to you, and you deal dessus, vous vous débrouillez au mieux. with it in whatever way you can. Mon seul avantage était que, jusque-là, je n’avais The only thing in my favour was that, so far, I produit aucun bruit. hadn’t made any noise. Il ne s’agit pas de courage, comprenez bien, tout Nothing to do with bravery, you understand, I simplement je n’en avais pas trouvé le temps. 156 simply hadn’t got round to it. Up until this moment, Rayner and I had been pinging off the walls and furniture in a sweatily male silence, with only the occasional grunt to show that we were both still concentrating. But now, with much more than five seconds to go before I passed out or the bone finally gave way – now was the ideal moment to introduce a new element. And sound was all I could think of. So I inhaled deeply through my nose, straightened up to get as close as I could to his face, held the breath for a moment, and then let out what Japanese martial artists refer to as a kiai - you’d probably call it a very loud noise, and that wouldn’t be so far off - a scream of such blinding, shocking, what-the-fuck-was-that intensity, that I frightened myself quite badly. Jusqu’alors, Rayner et moi avions rebondi sur les murs et les meubles dans un silence viril émaillé de sueur, en lâchant quelques grognements pour indiquer que nous étions concentrés. Toutefois, à cinq secondes de l’évanouissement ou de la fracture, il était temps d’introduire un élément nouveau, et émettre un son fut la seule chose qui me traversât l’esprit. Donc, respirant profondément par le nez, je rapprochai celui-ci autant que possible du visage de mon agresseur, je retins un instant mon souffle, puis je poussai ce que les artistes martiaux japonais appellent un kiai, que vous définiriez sans doute par « bruit retentissant » – ça ne serait pas trop tiré par les cheveux –, mais un cri d’une intensité à ce point aveuglante, choquante,« putain mais qu’est-ce que c’était ?», que j’en fus le premier effrayé. L’effet sur Rayner fut celui escompté puisque, se déportant malgré lui sur le côté, il a relâché mon bras pendant un douzième de seconde. J’en ai profité pour lui balancer un méchant coup de boule, assez fort pour sentir le cartilage de son nez s’ajuster sur l’arrière de mon crâne, tandis qu’une moiteur soyeuse se répandait sur mon scalp. Levant alors le talon vers son entrejambe pour lui racler l’intérieur de la cuisse, j’ai fait connaissance avec un appareil génital d’une taille quand même impressionnante. À la fin du douzième de seconde, Rayner ne me tenait plus du tout le bras, et je me suis rendu compte que j’étais en nage. On Rayner, the effect was pretty much as advertised, because he shifted involuntarily to one side, easing the grip on my arm for about a twelfth of a second. I threw my head back into his face as hard as I could, feeling the gristle in his nose adjust itself around the shape of my skull and a silky wetness spreading across my scalp, then brought my heel up towards his groin, scraping the inside of his thigh before connecting with an impressive bundle of genitalia. By the time the twelfth of a second had elapsed, Rayner was no longer breaking my arm, and I was aware, suddenly, of being drenched in sweat. Me détachant de lui en dansant sur la pointe des I backed away from him, dancing on my toes like pieds comme un vieux saint-bernard, j’ai cherché a very old St Bernard, and looked around for a autour de moi quelque chose qui me serve d’arme. weapon. The venue for this pro-am contest of one fifteenminute round was a small, inelegantly furnished sitting-room in Belgravia. The interior designer had done a perfectly horrible job, as all interior Ce tournoi pro-semi-pro d’un seul round (un quart d’heure) avait pour cadre un petit salon de mauvais goût à Belgravia. Comme tous ses confrères, à chaque fois sans exception, l’architecte d’intérieur avait fait un travail 157 designers do, every single time, without fail, no exceptions - but at that moment his or her liking for heavy, portable objets happened to coincide with mine. I selected an eighteen inch Buddha from the mantelpiece with my good arm, and found that the little fellow’s ears afforded a satisfyingly snug grip for the one-handed player. absolument épouvantable mais, à cet instant, son penchant pour les objets lourds et portatifs s’accordait bien avec le mien. Jetant mon dévolu sur le bouddha de quarante-cinq centimètres qui ornait la cheminée, j’ai découvert avec plaisir que ses ridicules esgourdes offraient une prise satisfaisante à ma seule main valide. Agenouillé par terre, Rayner vomissait tripes et boyaux sur le tapis chinois, dont les couleurs s’amélioraient à vue d’oeil. J’ai pris position, un peu d’élan et, me ruant sournoisement sur lui, j’ai frappé l’os tendre derrière l’oreille gauche avec le socle de la statuette. Le choc a produit un son mat, de ceux que seuls émettent les tissus humains dans ce cas, et Rayner a roulé sur le flanc. Rayner was kneeling now, vomiting on a Chinese carpet and improving its colour no end. I chose my spot, braced myself, and swung at him backhanded, plugging the corner of the Buddha’s plinth into the soft space behind his left ear. There was a dull, flat noise, of the kind that only human tissue under attack can make, and he Je ne me suis pas donné la peine de vérifier s’il rolled over on to his side. respirait encore. Cruel, peut-être, mais c’est ainsi. I didn’t bother to see whether he was still alive. J’ai essuyé quelques gouttes de transpiration sur Callous, perhaps, but there you go. mon visage en me rendant dans le couloir. J’ai I wiped some of the sweat from my face and prêté attention aux bruits bien que, s’il y en avait walked through into the hall. I tried to listen, but eu dans la maison ou au-dehors, je ne les aurais if there was any sound from the house or from pas entendus, puisque mon coeur jouait les the street outside I would never have heard it, marteaux-piqueurs. Ou peut-être y avait-il un vrai because my heart was going like a road drill. Or marteau-piqueur dehors mais, dans ce cas, j’étais perhaps there really was a road drill outside. I trop occupé à aspirer de grosses valises d’air pour was too busy sucking in great suitcase-sized le remarquer. chunks of air to notice. Ouvrant la porte d’entrée, j’ai senti une petite bruine froide me tomber dessus, se mélanger avec I opened the front door and immediately felt ma sueur, adoucir la douleur dans mon bras, et cool drizzle on my face. It mingled with the tout diluer au passage. J’ai fermé les yeux et laissé sweat, diluting it, diluting the pain in my arm, l’eau ruisseler sur ma peau. C’était une des choses diluting everything, and I closed my eyes and let les plus agréables qui me fussent arrivées à ce jour. it fall. It was one of the nicest things I’ve ever Vous me direz que j’ai mené une existence experienced. You may say that it’s a pretty poor misérable – je vous répondrai que le contexte a ses life I’ve been leading. But then, you see, context raisons. Refermant la porte sans la verrouiller, j’ai fait is everything. quelques pas sur le trottoir et allumé une cigarette. Mon coeur mécontent s’est remis à battre plus lentement, et mon souffle l’a suivi à peu de I left the door on the latch, stepped down on to distance. Mon bras souffrait le martyre, et j’étais the pavement and lit a cigarette. Gradually, bien conscient que ça durerait des jours, sinon des grumpily, my heart sorted itself out, and my semaines, mais au moins j’ai la chance de savoir breathing followed at a distance. The pain in my fumer des deux mains. arm was terrible, and I knew it would be with me 158 for days, if not weeks, but at least it wasn’t my À l’intérieur, j’ai retrouvé Rayner au même endroit, vautré dans une mare de vomi. S’il n’était pas smoking arm. mort, il était grièvement blessé et, dans un cas comme dans l’autre, ça me vaudrait au moins cinq I went back into the house and saw that Rayner ans. Dix, avec un rallongement de peine pour was where I’d left him, lying in a pool of vomit. mauvaise conduite. He was dead, or he was grievously-bodilyharmed, either of which meant at least five years. Ten, with time added on for bad behaviour. And this, from my point of view, was bad. I’ve been in prison, you see. Only three weeks, and only on remand, but when you’ve had to play chess twice a day with a monosyllabic West Ham supporter, who has ‘HATE’ tattooed on one hand, and ‘HATE’ on the other - using a set missing six pawns, all the rooks and two of the bishops - you find yourself cherishing the little things in life. Like not being in prison. I was contemplating these and related matters, and starting to think of all the hot countries I’d never got around to visiting, when I realised that that noise - that soft, creaking, shuffling, scraping noise - was definitely not coming from my heart. Nor from my lungs, nor from any other part of my yelping body. That noise was definitely external. Someone, or something, was making an utterly hopeless job of coming down the stairs quietly. I left the Buddha where it was, picked up a hideous alabaster table lighter and moved towards the door, which was also hideous. How can one make a hideous door? you may ask. Well, it takes some doing, certainly, but believe me, the top interior designers can knock off this kind of thing before breakfast. Ce qui, de mon point de vue, est très mauvais. J’ai déjà fait de la taule, voyez-vous. Seulement trois semaines, en détention provisoire, mais quand on est obligé de jouer aux échecs deux fois par jour avec un supporter de l’équipe de West Ham à tendance monosyllabique ; qui a le mot HAINE tatoué sur une main, et le mot HAINE tatoué sur l’autre main ; qu’en plus il manque six pions, toutes les tours et deux fous, eh bien on finit par attacher de l’importance aux petits plaisirs de l’existence. Comme celui d’éviter la taule, pour commencer. Je méditais cela et le reste, je pensais à tous les pays chauds que je n’avais jamais osé visiter quand j’ai compris que cette espèce de bruit – des pas prudents, légers, sur des lattes qui craquent malgré tout – ne venait pas de mon coeur. Ni de mes poumons, ni d’une quelconque partie de mon corps endolori. C’était, de fait, un bruit externe. Quelqu’un, ou quelque chose, s’efforçait de descendre silencieusement l’escalier. En vain. Sans toucher au bouddha par terre, je me suis muni d’un immonde briquet de table en albâtre avant de me diriger vers la porte, elle aussi immonde. Comment peut-on fabriquer d’immondes portes ? demanderez-vous. Ah, un certain savoir-faire est sûrement nécessaire mais, croyez-moi, les architectes d’intérieur vous pondent ce genre d’horreur avant le petit-déj’. Incapable de retenir mon souffle, j’ai attendu bruyamment. Un interrupteur a cliqueté quelque part, un instant, avant de recommencer dans l’autre sens. Une autre porte s’est ouverte. Silence. Rien là-dedans non plus. S’est refermée. Puis ne bougeons pas. Réfléchissons. Essayons le salon. 159 I tried to hold my breath and couldn’t, so I waited noisily. A light switch flicked on somewhere, waited, then flicked off. A door opened, pause, nothing there either, closed. Stand still. Think. Try the sitting-room. Des frous-frous, des pieds qui traînent sur la moquette et, sentant brusquement ma main se détendre autour du briquet en albâtre, je me suis adossé au mur avec un vague soulagement. Car, même blessé et terrifié comme je l’étais, j’aurais mis ma tête à couper qu’aucun boxeur ou There was a rustle of clothing, a soft footfall, and nervi ne porte Fleur de fleurs de Nina Ricci. then suddenly I found I was relaxing my grip on S’arrêtant à la porte, la fille a balayé la pièce du the alabaster lighter, and leaning back against regard. Les lampes étaient éteintes mais, avec les rideaux ouverts, les lumières de la rue éclairaient the wall in something close to relief. suffisamment la scène. Because even in my frightened, wounded state, I was ready to stake my life on the fact that Nina Ricci’s Fleur de Fleurs is just not a fighting scent. She stopped in the doorway and looked around the room. The lights were out, but the curtains were wide open and there was plenty of light coming in from the street. I waited until her gaze fell on Rayner’s body before I put my hand over her mouth. We went through all the usual exchanges dictated by Hollywood and polite society. She tried to scream and bite the palm of my hand, and I told her to be quiet because I wasn’t going to hurt her unless she shouted. She shouted and I hurt her. Pretty standard stuff, really. By and by she was sitting on the hideous sofa with half a pint of what I thought was brandy but turned out to be Calvados, and I was standing by the door wearing my smartest and best ‘I am psychiatrically A1’ expression. Les yeux de la fille ont trouvé le corps de Rayner, et j’ai mis une main sur ma bouche. Nous avons échangé des civilités. Mi-scénario hollywoodien, mibonne société. Elle a commencé à hurler, puis essayé de me mordre la main. J’ai promis de ne lui faire aucun mal si elle ne criait pas. Alors elle a crié et je lui ai fait mal. L’ordinaire, quoi. Elle a fini par s’asseoir sur le canapé avec un verre à bière à moitié plein de ce que j’ai pris pour du brandy (c’était en fait du calvados). Moi, j’affichais mon air le plus crédible « je suis parfaitement sain d’esprit ». J’avais auparavant poussé Rayner sur le flanc, dans une posture propice au rétablissement, ou ne serait-ce que pour l’empêcher d’étouffer dans son vomi. Et celui de quelqu’un d’autre, tant qu’on y était. La dame a voulu se lever, le tripoter, vérifier que ça allait – suggérant oreillers, gant de toilette mouillé, bandages – et je l’ai priée de rester où elle était. J’avais déjà appelé une ambulance, le mieux était de laisser ce monsieur tranquille. I’d rolled Rayner on to his side, into a kind of recovery position, to stop him from choking on his own vomit. Or anyone else’s, if it came to that. She’d wanted to get up and fiddle with him, Elle s’était mise à trembler légèrement. Des mains to see if he was all right - pillows, damp cloths, d’abord, serrées autour du verre, puis des coudes 160 bandages, all the things that help to make the bystander feel better - but I told her to stay where she was because I’d already called an ambulance, and all in all it would be better to leave him alone. She had started to tremble slightly. It started in the hands, as they clutched the glass, then moved to her elbows and up to her shoulders, and it got worse every time she looked at Rayner. Of course, trembling is probably not an uncommon reaction to discovering a mixture of dead person and vomit on your carpet in the middle of the night, but I didn’t want her getting any worse. As I lit a cigarette with the alabaster lighter - and yes, even the flame was hideous – I tried to take in as much information as I could before the Calvados booted her up and she started asking questions. I could see her face three times in that room: once in a silver-framed photograph on the mantelpiece, with her in Ray Bans, dangling from a ski-lift; once in a huge and terrible oil portrait, done by someone who can’t have liked her all that much, hanging by the window; and finally, and definitely the best of all, in a sofa ten feet away. She couldn’t have been more than nineteen, with square shoulders and long brown hair that waved and cheered as it disappeared behind her neck. The high, round cheek-bones implied Orientalness, but that disappeared as soon as you reached her eyes, which were also round, and large, and bright grey. If that makes any sense. She was wearing a red silk dressing-gown, and one elegant slipper with fancy gold thread across the toes. I glanced around the room, but its mate was nowhere to be seen. Maybe she could only afford one. She cleared some husk from her throat. ‘Who is he?’ she said. et enfin des épaules, chaque fois un peu plus lorsqu’elle regardait Rayner. Bien sûr, cela n’est pas anormal lorsqu’on découvre un alliage de cadavre et de vomi sur le tapis du salon au milieu de la nuit, mais je ne tenais pas à ce que ça empire. J’ai allumé une cigarette avec le briquet en albâtre – même la flamme était immonde – et je me suis efforcé d’obtenir autant d’informations que possible avant que, le calvados faisant effet, la dame m’inonde de questions. J’avais son visage en triple exemplaire : le premier dans le cadre en argent, posé sur le manteau de la cheminée, où elle posait en Ray Ban, suspendue à un tire-fesses ; le second sous forme d’un portrait à l’huile, aussi grand qu’effroyable, accroché près de la fenêtre (le peintre ne l’aimait sans doute pas beaucoup) ; enfin, sans conteste le meilleur des trois se trouvait sur le canapé, trois mètres devant moi. Elle avait dix-neuf ou vingt ans, des épaules carrées et de longs cheveux bruns qui ondulaient joyeusement avant de disparaître dans son dos. Hautes et rondes, ses pommettes avaient une touche orientale, qu’on oubliait en découvrant ses yeux, ronds également, mais grands et d’un gris lumineux. Si ça veut dire quelque chose. Elle portait un déshabillé de soie rouge, ainsi qu’une élégante pantoufle, décorée de fil d’or au niveau des orteils. J’ai cherché du regard la seconde dans la pièce – sans succès. Peut-être la dame n’avaitelle pas les moyens de les acheter par paires. Elle a sorti un chat de sa gorge. – Qui est-ce ? a-t-elle demandé. Avant même qu’elle ouvre la bouche, j’avais deviné qu’elle était américaine. Elle semblait trop saine pour un autre pays. Ils les trouvent où, d’ailleurs, leurs dents ? – Un certain Rayner, ai-je affirmé, me rendant compte aussitôt que c’était un peu léger, comme réponse. Un type très dangereux, ai-je donc ajouté. – Dangereux ? I think I’d known she was going to be American 161 before she opened her mouth. Too healthy to be anything else. And where do they get those teeth? ‘His name was Rayner,’ I said, and then realised that this sounded a little thin as an answer, so I thought I’d add something. ‘He was a very dangerous man.’ ‘Dangerous?’ She looked worried by that, and quite right too. It was probably crossing her mind, as it was crossing mine, that if Rayner was dangerous, and I’d killed him, then that, hierarchically speaking, made me very dangerous. Cela paraissait l’inquiéter, et elle n’avait pas tort. Il lui venait sans doute à l’esprit comme moi que, si cet homme était dangereux, je me situais plus haut dans cette menaçante hiérarchie. Puisque je l’avais tué. – Dangereux, ai-je répété, en étudiant attentivement la demoiselle qui détournait les yeux. Elle semblait trembler moins, ce qui était bien. Ou peut-être tremblais-je simultanément, et donc je ne m’apercevais plus de rien. – Et euh… Qu’est-ce qu’il fait là ? a-t-elle fini par s’inquiéter. Qu’est-ce qu’il voulait ? – Difficile à dire. ‘Dangerous,’ I said again, and watched her closely as she looked away. She seemed to be Pour moi du moins. trembling less, which was good. Or maybe her – Peut-être cherchait-il de l’argent ? ai-je pensé. trembling had just fallen into sync with mine, so I Ou l’argenterie… noticed it less. – Mais euh… Il ne vous l’a pas dit ? m’a-t-elle coupé ‘Well . . . what is he doing here?’ she said at last. d’une voix soudain sonore. Vous l’avez frappé sans ‘What did he want?’ savoir qui c’était ? Ni ce qu’il faisait ici? Malgré le choc, son cerveau semblait marcher fort ‘It’s difficult to say.’ bien. – Je l’ai frappé parce qu’il a essayé de me tuer. Je Difficult for me, at any rate. suis comme ça. J’ai tenté un sourire espiègle, que ‘Maybe he was after money, maybe the silver. . .’ je n’ai pas trouvé très efficace en l’apercevant dans ‘You mean . . . he didn’t tell you?’ le miroir au-dessus de la cheminée. – Vous êtes comme ça, a-t-elle répété, impitoyable. Her voice was suddenly loud. Et vous êtes qui ? ‘You hit this guy, without knowing who he was? What he was doing here?’ Despite the shock, her brain seemed to be Voilà autre chose. Il fallait marcher sur des oeufs. La situation risquait de s’aggraver méchamment. coming along pretty nicely. J’ai essayé un air surpris, voire un tantinet blessé. ‘I hit him because he was trying to kill me,’ I said. ‘I’m like that.’ I tried a roguish smile, then caught sight of it in the mirror over the mantelpiece and realised it – Comment, vous ne me reconnaissez pas ? – Non. hadn’t worked. ‘You’re like that,’ she repeated, unlovingly. ‘And – Ah. Curieux. Fincham, James Fincham. J’ai tendu ma main. Comme la demoiselle ne l’a who are you?’ pas prise, je l’ai passée dans mes cheveux d’un 162 Well now. I was going to have to wear some very soft shoes at this juncture. This was where things could suddenly get a lot worse than they already were. I tried looking surprised, and perhaps just a little bit hurt. geste nonchalant. ‘You mean you don’t recognise me?’ Elle a réfléchi un instant. ‘No.’ ‘Huh. Odd. Fincham. James Fincham.’ – Une relation d’affaires ? – C’est un nom, a-t-elle répondu. Ça ne me dit pas qui vous êtes. – Un ami de votre père. – Plus ou moins. I held out my hand. She didn’t take it, so I converted the movement into a nonchalant – Plus ou moins, a-t-elle répété avec une moue. Vous vous appelez James Fincham, vous êtes plus brush of the hair. ou moins une relation d’affaires, et vous venez plus ‘That’s a name,’ she said. ‘That’s not who you ou moins de tuer un homme chez nous. are.’ J’ai incliné la tête, histoire d’indiquer que, oui, nous ‘I’m a friend of your father’s.’ vivions vraiment dans un monde affreux. Elle m’a de nouveau montré ses dents. She considered this for a moment. Business friend?’ – Et c’est tout ? Votre CV s’arrête là ? ‘Sort of.’ J’ai refait mon espiègle sourire, sans plus de ‘Sort of.’ She nodded. ‘You’re James Fincham, succès. you’re a sort of business friend of my father’s, – Attendez, a-t-elle dit en jetant un coup d’oeil à and you’ve just killed a man in our house.’ Rayner. Elle s’est subitement redressée, comme si une idée lui traversait l’esprit. I put my head on one side, and tried to show that – Vous n’avez appelé personne, en fait ? a-t-elle yes, sometimes it’s an absolute bugger of a continué. En y repensant maintenant, tout bien considéré, je world. She showed her teeth again. lui donnais plutôt vingt-quatre ans. ‘And that’s it, is it? That’s your CV?’ – Vous voulez dire… Je m’enfonçais. I reprised the roguish smile, to no better effect. – Je veux dire qu’aucune ambulance n’arrivera ici. ‘Wait a second,’ she said. Mon Dieu ! She looked at Rayner, then suddenly sat up a little straighter, as if a thought had just struck Elle a posé son verre sur la moquette et, se levant, her. s’est dirigée vers le téléphone. ‘You didn’t call anybody, did you?’ Come to think of it, all things considered, she – Écoutez, lui ai-je dit. Avant de faire une bêtise… must have been nearer twenty-four. J’avançais vers elle, mais je me suis ravisé en la voyant bondir. Sans doute valait-il mieux ne pas bouger. Je n’avais pas envie de passer des ‘You mean . . .’ I was floundering now. semaines à extraire de mes joues des éclats de 163 ‘I mean,’ she said, ‘there’s no ambulance coming bakélite noire. À savoir ceux du combiné téléphonique, pour l’instant entier, qu’elle avait en here. Jesus.’ main. – Pas un geste, monsieur James Fincham, a-t-elle She put the glass down on the carpet by her feet, sifflé entre ses dents. Cela n’a rien d’une bêtise. got up and walked towards the phone. J’appelle une ambulance et j’appelle la police. C’est ‘Look,’ I said, ‘before you do anything silly . . .’ la procédure conseillée dans n’importe quel pays. I started to move towards her, but the way she Des gens armés de grands bâtons vont débarquer spun round made me realise that staying still was pour vous emmener ailleurs. Tout ce qu’il y a de probably the better plan. I didn’t want to be plus sensé. pulling bits of telephone receiver out of my face – Écoutez, je n’ai pas été tout à fait franc. for the next few weeks. Elle a plissé les yeux. Me comprenez-vous bien ? Il serait plus exact de dire plisser les paupières, mais en fait on ne les plisse pas, on les ferme à moitié. ‘You stay right there, Mr James Fincham,’ she hissed at me. ‘There’s nothing silly about this. I’m calling an ambulance, and I’m calling the police. This is an internationally approved procedure. Men come round with big sticks and take you away. Nothing silly about it at all.’ ‘Look,’ I said, ‘I haven’t been entirely straight with you.’ She turned towards me and narrowed her eyes. If you know what I mean by that. Narrowed them horizontally, not vertically. I suppose one should say she shortened her eyes, but nobody ever does. She narrowed her eyes. Elle a donc plissé les yeux. – Comment ça, « pas tout à fait franc » ? Vous ne m’avez dit que deux choses. L’une d’elles est fausse ou c’est les deux ? Sans le moindre doute, j’étais acculé. Dans le pétrin. D’un autre côté, elle n’avait composé que le premier 9 de police secours. – Je m’appelle Fincham et je connais réellement votre père. – Ouais, et il fume quelle marque de cigarettes ? – Des Dunhill. – Il n’a jamais fumé de sa vie. Elle avait peut-être vingt-huit ou vingt-neuf ans, ‘What the hell do you mean "not entirely finalement. Trente, dernier carat. J’ai inspiré straight"? You only told me two things. You profondément pendant que, se détournant, mean one of them was a lie?’ elle composait le deuxième 9. She had me on the ropes, there’s no question – D’accord, je ne le connais pas. Mais j’essaie de about that. I was in trouble. But then again, she’d l’aider. only dialled the first nine. – C’est ça, vous êtes venu réparer la douche. ‘My name is Fincham,’ I said, ‘and I do know your Troisième neuf. Sortir l’atout maître. father.’ – Quelqu’un en veut à ses jours. ‘Yeah, what brand of cigarette does he smoke?’ ‘Dunhill.’ Un petit clic et j’ai entendu quelqu’un, quelque ‘Never smoked a cigarette in his life.’ part, demander quel service nous désirions. 164 She was late-twenties, possibly. Thirty at a pinch. I took a deep breath while she dialled the second nine. ‘All right, I don’t know him. But I am trying to help.’ ‘Right. You’ve come to fix the shower.’ Third nine. Play the big card. ‘Someone is trying to kill him,’ I said. Éloignant le combiné de sa bouche, la dame s’est lentement retournée vers moi. ‘Someone is trying to kill your father,’ I repeated. ‘I don’t know who, and I don’t know why. But I’m trying to stop them. That’s who I am, and that’s what I’m doing here.’ She looked at me long and hard. A clock ticked somewhere, hideously. Ce qu’elle trouvait injuste, manifestement, Rayner n’étant pas en position de se défendre. Affectant d’être aussi perplexe et soucieux qu’elle, j’ai regardé autour de moi et poursuivi sur un ton plus doux : I could see that she thought this unfair, as Rayner was hardly in a position to contradict me; so I softened my tone a little, looking around anxiously as if I was every bit as mystified and fretted-up as she was. Elle m’observait toujours. À l’autre bout du fil, l’opérateur couinait des « allô » en essayant sûrement de trouver l’origine de l’appel. La dame a attendu. Quoi ? Mystère. – Qu’avez-vous dit ? J’ai insisté : – Quelqu’un a décidé de tuer votre père. Je ne sais pas qui, je ne sais pas pourquoi, et j’ai l’intention de l’en empêcher. Voilà pourquoi je suis ici. There was a faint click and I could hear Elle m’a observé longuement, d’un oeil sévère. Une somebody, somewhere, asking which service we horloge – immonde – égrenait les secondes en wanted. Very slowly she turned towards me, arrière-fond. holding the receiver away from her face. – Cet homme, ai-je dit en montrant Rayner, n’y est pas étranger. ‘What did you say?’ – Nous n’avons pas eu beaucoup le temps de ‘This man,’ I pointed at Rayner, ‘had something parler, donc je ne peux affirmer qu’il soit ici pour ça, mais ce n’est pas impossible. to do with it.’ ‘I can’t say he came here to kill,’ I said, ‘because we didn’t get a chance to talk much. But it’s not impossible.’ She carried on staring at me. The operator was squeaking hellos down the line and probably trying to trace the call. She waited. For what, I’m not sure. ‘Ambulance,’ she said at last, still looking at me, and then turned away slightly and gave the address. She nodded, and then slowly, very slowly, put the receiver back on its cradle and turned to me. There was one of those pauses – Une ambulance, a-t-elle finalement déclaré, avant de me tourner le dos pour donner son adresse. Elle a hoché la tête puis, lentement, très lentement, elle a reposé le combiné sur son support. A suivi un de ces silences dont on anticipe tout de suite la longueur. Aussi ai-je dégagé une autre cigarette de mon paquet pour la lui offrir. Me rejoignant, elle s’est plantée devant moi. Elle était plus petite qu’elle avait paru à l’autre bout de la pièce. Je lui ai souri et elle a pris la cigarette. Sans l’allumer, elle s’est contentée de jouer avec, puis elle a braqué deux yeux gris sur moi. Je dis deux yeux, mais non : c’était les siens. Elle n’a pas ouvert un tiroir pour en sortir ceux de quelqu’un d’autre et les poser sur moi. Non, non, elle me fixait avec ses deux immenses yeux gris pâle. Ses 165 that you know is going to be long as soon as it deux yeux pâles, immenses et gris. Le genre d’yeux starts, so I shook out another cigarette and qui pousseraient un adulte à babiller comme un offered her the packet. bébé. Enfin, ressaisis-toi, bordel ! She came towards me and stopped. She was shorter than she’d looked on the other side of the room. I smiled again, and she took a cigarette from the packet, but didn’t light it. She just played with it slowly, and then pointed a pair of grey eyes at me. I say a pair. I mean her pair. She didn’t get a pair of someone else’s out from a drawer and point them at me. She pointed her own pair of huge, pale, grey, pale, huge eyes at me. The sort of eyes that can make a grown man talk gibberish to himself. Get a grip, for Christ’s sake. ‘You’re a liar,’ she said. – Vous êtes un menteur, a-t-elle lâché. Sans peur et sans colère. Platement. Vous êtes un menteur. – D’une façon générale, oui, il m’arrive de mentir, ai-je admis. Mais à l’instant, précisément, je dis la vérité. Elle me dévisageait toujours, comme je le fais parfois moi-même après m’être rasé. Elle ne semblait pas avoir de meilleures réponses à fournir que le miroir de la salle de bains. Puis elle a cligné des yeux, une fois, et cela a suffi pour changer l’atmosphère. Quelque chose s’était libéré, ou éteint, ou apaisé. Je me suis senti plus Not angry. Not scared. Just matter-of-fact. You’re détendu. a liar. – Pourquoi voudrait-on tuer mon père ? ‘Well, yes,’ I said, ‘generally speaking, I am. But Sa voix était moins rêche. at this particular moment, I happen to be telling – Honnêtement, je l’ignore. Je viens juste the truth.’ d’apprendre qu’il ne fume pas. She kept on staring at my face, the way I Elle a poursuivi comme si elle ne m’avait pas sometimes do when I’ve finished shaving, but entendu. she didn’t seem to get any more answers than I ever have. Then she blinked once, and the – Et dites-moi, monsieur Fincham, comment savezblink seemed to change things somehow. vous qu’on veut le tuer ? Something had been released, or switched off, or Le point le plus délicat. Vraiment épineux. Un at least turned down a bit. I started to relax. cactus puissance trois. ‘Why would anyone want to kill my father?’ Her – Parce qu’on m’a proposé de le faire. voice was softer now. Elle avait le souffle coupé. Je veux dire : elle a ‘I honestly don’t know,’ I said. ‘I’ve only just littéralement arrêté de respirer. Et elle n’avait pas found out he doesn’t smoke.’ l’air de vouloir recommencer dans un proche She pressed straight on, as if she hadn’t heard avenir. J’ai continué aussi calmement que possible: – Quelqu’un m’a offert une grosse somme d’argent me. ‘And tell me Mr Fincham,’ she said, ‘how you pour l’assassiner, ai-je expliqué à la dame qui, incrédule, fronçait les sourcils. Et j’ai refusé. came by all this?’ Je n’aurais pas dû ajouter ça. Vraiment pas. Si elle This was the tricky bit. The really tricky bit. existait, la Troisième loi de Newton sur l’art de la conversation énoncerait que toute proposition Trickiness cubed. engendre son contraire. En affirmant que j’avais ‘Because I was offered the job,’ I said. refusé, je laissais entendre la possibilité inverse. Ce 166 She stopped breathing. I mean, she actually stopped breathing. And didn’t look as if she had any plans to start again in the near future. I carried on, as calmly as I could. n’était pas le genre de chose que je souhaitais voir flotter dans la pièce. Cependant mon interlocutrice s’est remise à respirer, et elle n’avait peut-être pas relevé. – Pourquoi ? ‘Someone offered me a lot of money to kill your father,’ I said, and she frowned in – Pourquoi quoi ? disbelief. ‘I turned it down.’ Elle avait à l’iris gauche un mince filet vert qui I shouldn’t have added that. I really shouldn’t. partait de la pupille vers le nord-ouest. Je regardais Newton’s Third Law of Conversation, if it existed, ses yeux en m’efforçant de ne pas le faire. J’étais would hold that every statement implies an présentement dans une situation épouvantable. À equal and opposite statement. To say that I’d bien des points de vue. turned the offer down raised the possibility that I might not have done. Which was not a thing I – Pourquoi avez-vous refusé ? wanted floating round the room at this moment. – Parce que… ai-je commencé sans finir tout de But she started breathing again, so maybe she suite, car je voulais être absolument clair. hadn’t noticed. – Oui ? ‘Why?’ – Parce que je ne tue pas les gens. ‘Why what?’ Her left eye had a tiny streak of green that went off from the pupil in a north-easterly direction. I stood there, looking into her eyes and trying not to, because I was in terrible trouble at this moment. In lots of ways. Elle retournait mes paroles dans sa bouche et le silence est revenu. Elle a rapidement inspecté le corps de Rayner. – Je vous ai dit, lui ai-je rappelé. C’est lui qui a commencé. ‘Why’d you turn it down?’ Sans arrêter de faire rouler sa cigarette entre ses ‘Because . . .’ I began, then stopped, because I doigts, elle m’a encore dévisagé pendant trois siècles. Alors, perdue dans ses pensées, elle s’est had to get this absolutely right. approchée du canapé. ‘Yes?’ – Sincèrement, ai-je poursuivi, en essayant d’être ‘Because I don’t kill people.’ maître des circonstances et de moi-même. Je suis There was a pause while she took this in and un mec bien. Je donne de l’argent à Oxfam, je swilled it round her mouth a few times. Then recycle les vieux journaux, tout ce que vous she glanced over at Rayner’s body. voudrez. Elle est revenue devant Rayner. ‘I told you,’ I said. ‘He started it.’ – Ça date de quand ? She stared into me for another three hundred years and then, still turning the cigarette slowly between her fingers, moved away towards the sofa, apparently deep in thought. ‘Honestly,’ I said, trying to get a hold of myself – Eh bien… il y a… un quart d’heure, ai-je balbutié. Elle a fermé les yeux un instant. – Je veux dire : quand vous a-t-on fait cette proposition ? 167 and the situation. ‘I’m nice. I give to Oxfam, I – Ah. Il y a dix jours. recycle newspapers, everything.’ – Où ça ? – À Amsterdam. She reached Rayner’s body and stopped. – En Hollande ? Un vrai soulagement. Je me sentais beaucoup mieux. J’aime bien que, de temps en temps, les ‘Well . . . just now,’ I stammered, like an idiot. jeunes consultent les vieux, ceux qui savent. Quoique seulement de temps en temps, car ça She closed her eyes for a moment. deviendrait lassant, autrement. ‘I mean you getting asked.’ – Oui, en Hollande. ‘Right,’ I said. ‘Ten days ago.’ – Et qui vous a proposé ça ? ‘Where?’ ‘Amsterdam.’ – Quelqu’un que je ne connaissais pas, et que je ‘Holland, right?’ n’ai jamais revu. ‘So when did all this happen?’ Se penchant pour récupérer son verre, elle a avalé une gorgée de calvados qui lui a inspiré une That was a relief. That made me feel a lot better. grimace. It’s nice to be looked up to by the young every – Et je suis censée vous croire ? now and then. You don’t want it all the time, just every now and then. – Euh… ‘Right,’ I said. ‘And who was it offered you the job?’ ‘Never seen him before or – Vous pourriez m’aider un peu, a-t-elle dit en haussant de nouveau le ton, le menton pointé vers Rayner. Je n’ai pas l’impression que ce type, là, since.’ confirmerait vos propos. Alors pourquoi devrais-je vous croire ? Parce que vous avez une bonne gueule ? Je n’ai pas pu m’empêcher. Je sais, j’aurais dû, mais She stooped for the glass, took a sip of Calvados je n’ai pas pu. and grimaced at the taste of it. – Pourquoi pas ? ai-je répondu de ma voix la plus charmante. Je suis bien prêt à croire tout ce que vous dites, moi. ‘And I’m supposed to believe this?’ Terrible, terrible, terrible erreur. L’une des ‘Well. . .’ remarques les plus lourdes, les plus grossières, les ‘I mean, help me out here,’ she said, starting to plus ridicules que j’ai faites, dans une existence get louder again. She nodded towards jonchée de remarques lourdes, ridicules et Rayner. ‘We have a guy here, who isn’t going to grossières. back up your story, I wouldn’t say, and I’m Très irritée, la dame s’est retournée vers moi. supposed to believe you because of what? – Arrêtez vos conneries tout de suite ! 168 Because you have a nice face?’ – Je voulais simplement dire que… I couldn’t help myself. I should have helped myself, I know, but I just couldn’t. ‘Why not?’ I said, and tried to look charming. ‘I’d believe anything you said.’ Elle m’a coupé, fort heureusement, car je ne savais pas ce que j’allais inventer. – J’ai dit : assez ! On a un mec en train de crever, là! J’ai hoché la tête d’un air coupable, et nous nous sommes tous deux penchés vers le mourant, Terrible mistake. Really terrible. One of the comme pour lui présenter nos respects. J’avais crassest, most ridiculous remarks I’ve ever soudain l’impression que la messe était dite, qu’on made, in a long, ridiculous-remark-packed life. passait à autre chose. La fille s’est calmée et m’a tendu son verre. She turned to me, suddenly very angry. ‘You can drop that shit right now.’ ‘All I meant. . .’ I said, but I was glad when she cut me off, because I honestly didn’t know what I’d meant. ‘I said drop it. There’s a guy dying in here.’ I nodded, guiltily, and we both bowed our heads at Rayner, as if paying our respects. And then she seemed to snap the hymn book shut and move on. Her shoulders relaxed, and she held out the glass to me. – Je m’appelle Sarah. Essayez de me trouver un Coca. Sarah a fini par avertir la police, qui est arrivée au moment précis où les ambulanciers plaçaient Rayner – qui respirait encore, apparemment – sur un brancard. En toussotant et en se raclant la gorge, les flics ont prélevé divers objets sur la cheminée, puis regardé sous les meubles, avec l’expression consommée de ceux qui ne demandent qu’à se trouver ailleurs. D’une façon générale, les policiers n’aiment pas qu’on leur soumette de nouvelles affaires. Non qu’ils soient paresseux. Comme tout un chacun, ils cherchent un sens, une logique dans ce grand bazar d’aléas et de malheurs qui est leur champ d’investigation. Si on les appelle sur les lieux d’un massacre alors qu’ils essayent de coffrer un jeune voleur d’enjoliveurs, ils ne peuvent s’empêcher de jeter un coup d’oeil sous le canapé au cas où les enjoliveurs seraient là. Ils s’efforcent de découvrir des faits reliés entre eux, qui leur permettront d’organiser le chaos, et alors ils se diront : ceci est la conséquence de cela. Faute de quoi – s’ils n’ont que des éléments épars à mettre dans un rapport qui sera classé, égaré, retrouvé au fond d’un tiroir puis de nouveau perdu, sans coupable à désigner – eh bien, ils sont déçus. ‘I’m Sarah,’ she said. ‘See if you can get me a Coke.’ She did ring the police eventually, and they turned up just as the ambulance crew were scooping Rayner, apparently still breathing, on to a collapsible stretcher. They hummed and barred, and picked things up off the mantelpiece and looked at the underneath, and generally had that air of wanting to be somewhere else. Policemen, as a rule, don’t like to hear of new cases. Not because they’re lazy, but because Notre histoire les a particulièrement déçus. Nous they want, like everyone else, to find a meaning, avions mis au point un scénario raisonnable, que a connectedness, in the great mess of random nous avons récité trois fois de suite à trois agents 169 unhappiness in which they work. If, in the middle of trying to catch some teenager who’s been nicking hub-caps, they’re called to the scene of a mass murder, they just can’t stop themselves from checking under the sofa to see if there are any hub-caps there. They want to find something that connects to what they’ve already seen, that will make sense out of the chaos. So they can say to themselves, this happened because that happened. When they don’t find it - when all they see is another lot of stuff that has to be written about, and filed, and lost, and found in someone’s bottom drawer, and lost again, and eventually chalked up against no one’s name they get, well, disappointed. distincts, dont le plus haut placé, un inspecteur du nom de Brock, était d’une jeunesse stupéfiante. Brock sat on the sofa, occasionally glancing at his fingernails, and nodded his youthful way through the story of the intrepid James Fincham, friend of the family, staying in the spare-room on the first floor. Heard noises, crept downstairs to investigate, nasty man in leather jacket and black polo-neck, no never seen him before, fight, fall over, oh my god, hit head. quelques musclés à cheveux ras de ne pas nous marcher sur la tête. Assis sur le canapé, il jetait de petits coups d’oeil à ses ongles tandis que ses oreilles juvéniles écoutaient le récit de l’intrépide James Fincham, proche de la famille, qui séjournait au premier étage dans la chambre d’amis. Entendu bruits, descendu prudemment en bas pour me rendre compte, tombé sur individu louche en col roulé et veste en cuir noirs, non, encore jamais vu, bagarre, chute, oh mon Dieu, touché à la tête. Sarah Woolf, date de naissance 29 août 1964, perçu bruits de lutte, descendue, a tout vu. They were particularly disappointed by our story. Quelque chose à boire, inspecteur? Thé? Pampryl ? Sarah and I had rehearsed what we thought was a reasonable scenario, and we played three De toute évidence, le décor aidait. Aurions-nous performances of it to officers of ascending rank, débité la même histoire dans un logement HLM de finishing up with an appallingly young inspector Deptford, nous nous serions retrouvés aussi sec who said his name was Brock. dans le panier à salade, où nous aurions prié Mais derrière les façades de stuc des vertes allées de Belgravia, les flics sont plutôt enclins à vous croire. Ça doit être compris dans la taxe d’habitation. Pendant que nous signions nos déclarations, ils nous ont priés de ne pas quitter le pays sans informer le commissariat du quartier, et nous ont encouragés à faire bien gentiment ce qu’on nous Sarah Woolf, d.o.b. 29th August, 1964, heard demanderait, quand on nous le demanderait. sounds of struggle, came down, saw the whole Deux heures après sa tentative infructueuse de me thing. Drink, Inspector? Tea? Ribena? casser le bras, il ne restait plus de Rayner, prénom inconnu, qu’une odeur. Yes, of course, the setting helped. If we’d tried the same story in a council flat in Deptford, we’d have been on the floor of the van in seconds, asking fit young men with short hair if they wouldn’t mind getting off our heads for a moment while we got comfortable. J’ai fait quelques pas dehors, où la douleur est revenue occuper le devant de la scène. J’ai allumé une cigarette avant de prendre à gauche dans une petite allée pavée où un bâtiment, transformé en maison d’habitation, avait jadis servi d’écurie. Pour y loger aujourd’hui, il faudrait être un cheval extrêmement riche. Mais ça sentait encore But in leafy, stuccoed Belgravia, the police are vaguement le crottin, c’est pourquoi j’avais garé 170 more inclined to believe you than not. I think it’s ma moto là, devant un seau d’avoine, avec un peu de paille fraîche sous la roue arrière. included in the rates. As we signed our statements, they asked us not to do anything silly like leave the country without informing the local station, and generally encouraged us to abide at every opportunity. Two hours after he’d tried to break my arm, all that was left of Rayner, first name unknown, was a smell. Elle était à l’endroit où je l’avais laissée, ce qui peut paraître banal, mais il ne faut pas s’y fier. Entre motards, on est toujours heureux de mentionner les lieux sombres où l’on retrouve son véhicule, le cadenas et l’alarme intacts, une heure après l’y avoir laissé. Plus particulièrement Kawasaki ZZR 1100. lorsqu’il s’agit d’une Je ne nierai pas que, à Pearl Harbor, les Japonais ont violé tous les articles du code militaire, et que leurs préparations culinaires à base de poisson manquent d’imagination – mais, bon sang, ils savent deux ou trois choses en matière de motocyclettes. Tournez la poignée de l’accélérateur sur n’importe quel rapport, et vous aurez les yeux précipités au fond du crâne. D’accord, ce n’est pas le genre de sensation qu’on recherche d’habitude en se déplaçant d’un point à un autre, mais j’ai gagné cette moto au backgammon, sur un coup de bol extraordinaire, et The bike was where I’d left it, which sounds like a j’en profite tant que je peux. dull remark, but isn’t these days. Among bikers, Elle est grosse, elle est noire et, tout pékin que leaving your machine in a dark place for more vous êtes, elle vous ouvre les portes des lointaines than an hour, even with padlock and alarm, and galaxies. finding it still there when you come back, is J’ai démarré le moteur, l’ai fait rugir ce qu’il fallait something of a talking point. pour réveiller les gras financiers de Belgravia, et en Particularly when the bike is a Kawasaki ZZR route pour Notting Hill. À vitesse réduite à cause 1100. de la pluie, j’avais tout le temps de réfléchir aux Now I won’t deny that the Japanese were well événements. off-side at Pearl Harbor, and that their ideas on Pendant que je zigzaguais dans les rues glissantes preparing fish for the table are undoubtedly poor sous l’éclairage jaunâtre, une chose me restait en - but by golly, they do know some things tête: Sarah me disant d’arrêter « mes conneries ». about making motorcycles. Twist the throttle Parce qu’il y avait un moribond dans la pièce. wide open in any gear on this machine, and it’d J’ai repensé : conversation newtonienne. push your eyeballs through the back of your L’affirmation contraire étant que j’aurais pu head. All right, so maybe that’s not a sensation continuer, s’il n’y avait pas eu le moribond. I let myself out of the house, and felt the pain creep back to centre stage as I walked. I lit a cigarette and smoked my way down to the corner, where I turned left into a cobbled mews that had once housed horses. It’d have to be an extremely rich horse who could afford to live here now, obviously, but the stabling character of the mews had hung about the place, and that’s why it had felt right to tether the bike there. With a bucket of oats and some straw under the back wheel. most people are looking for in their choice of personal transport, but since I’d won the bike in 171 a game of backgammon, getting home with an outrageously flukey only-throw 4-1 and three consecutive double sixes, I enjoyed it a lot. It was Ça m’a remonté le moral. Je me suis dit que, si je ne me débrouillais pas pour nous réunir à nouveau black, and big, and it allowed even the average quelque part, juste elle et moi, sans personne à rider to visit other galaxies. l’agonie, alors je ne m’appelais pas James Fincham. Ce qui, bien sûr, n’est pas mon nom. I started the motor, revved it loud enough to wake a few fat Belgravian financiers, and set off for Notting Hill. I had to take it easy in the rain, Corpus Tanova so there was plenty of time for reflection on the night’s business. The one thing that stayed in my mind, as I jinked the bike along the slick, yellow-lit streets, was Sarah telling me to drop ‘that shit’. And the reason I had to drop it was because there was a dying man in the room. Newtonian Conversation, I thought to myself. The implication was that I could have kept on holding that shit, if the room hadn’t had a dying man in it. That cheered me up. I started to think that if I couldn’t work things so that one day she and I would be together in a room with no dying men in it at all, then my name isn’t James Fincham. Which, of course, it isn’t. The morning air off the Mojave in late winter is as clean and crisp as you’ll ever breathe in Los Angeles County. It carries the taste of promise on it. When it starts blowing in like that I like to keep a window open in my office. There are a few people who know this routine of mine, people like Fernando Valenzuela. The bondsman, not the baseball pitcher. He called me as I was coming On ne saurait respirer air plus vif et plus propre dans le comté de Los Angeles que celui qui monte du désert de Mojave à la fm de l’hiver. C’est un goût de promesses qu’il porte en lui. Lorsqu’il se fait vent et se met à souffler, j’aime garder une fenêtre ouverte dans mon bureau. Rares sont ceux qui, comme Fernando Valenzuela, connaissent cette particularité qui m’est propre. Fernando Valenzuela le garant de cautions, pas 172 into Lancaster for a nine o’clock calendar call. He le lanceur de base-ball. J’arrivais juste à Lancaster pour must have heard the wind whistling in my cell une convocation à neuf heures lorsqu’il m’appela. ll phone. avait dû entendre le vent siffler dans mon portable car il me lança : "Mick," he said, "you up north this morning?" – Mick ! T’es dans le nord ce matin ? "At the moment,” I said as I put the window up to – Pour l’instant, oui, répondis-je en remontant ma vitre hear him better. "You got something?" pour mieux l’entendre. T’as quelque chose ? "Yeah, I got something. I think I got a franchise – Oui, j’ai quelque chose. Je pense tenir un client player here. But his first appearance is at eleven. pactole. Mais il ne se montrera qu’à onze heures. Tu Can you make it back down in time?" pourrais arriver ici en temps utile ? Valenzuela has a storefront office on Van Nuys C’est à une rue du centre administratif de Van Nuys Boulevard a block from the civic center, which Boulevard, qui abrite deux tribunaux et la prison, que includes two courthouses and the Van Nuys jail. se trouve le bureau de Valenzuela. Il a donné à son He calls his business Liberty Bail Bonds. His phone affaire le nom de Liberty Bail Bonds. Son numéro de number, in red neon on the roof of his téléphone – en gros néons rouges sur le toit de son establishment, can be seen from the high-power immeuble –, se voit de l’aile de haute surveillance du wing on the third floor of the jail. His number is troisième étage du pénitencier. Et, dans tous les autres scratched into the paint on the wall next to every quartiers de la prison, il est gravé sur les parois de pay phone on every other ward in the jail. chaque cabine téléphonique. You could say his name is also permanently On pourrait aussi dire qu’il est gravé en permanence scratched onto my Christmas list. At the end of sur ma liste de cadeaux de Noël. À la fin de l’année, the year I give a can of salted nuts to everybody j’offre en effet une boîte de fruits secs (Mélange du on it. Planters holiday mix. Each can has a ribbon Planteur « spécial Holidays ») à tous ceux que j’y ai and bow on it. But no nuts inside. Just cash. I have inscrits. La boîte s’orne d’un ruban avec un joli nœud. a lot of bail bondsmen on my Christmas list. I eat Mais il n’y a pas de fruits secs dans la boîte. Juste du holiday mix out of Tupperware well into spring. liquide. J’ai beaucoup de garants de conditionnelle sur Since my last divorce, it is sometimes all I get for ma liste. Le Mélange du Planteur « spécial Holidays », dinner. j’en mange dans un Tupperware jusqu’au cœur du printemps. Depuis mon dernier divorce, c’est même souvent tout ce que j’avale en guise de dîner. Before answering Valenzuela’s question I thought Avant de répondre à la question de Valenzuela, je about the calendar call I was headed to. My client réfléchis à ma convocation. Mon client s’appelait was named Harold Casey. If the docket was Harold Casey. A condition que le rôle des causes soit handled alphabetically I could make an eleven tenu selon l’ordre alphabétique je pouvais, et sans o’clock hearing down in Van Nuys, no problem. problème, arriver en temps voulu pour une audience But Judge Orton Powell was in his last term on the de onze heures. Sauf que le juge Orton Powell était en bench. He was retiring. That meant he no longer toute fin de carrière. Qu’il prenait sa retraite. Ce qui faced reelection pressures, like those from the voulait dire qu’au contraire de ses confrères du barreau private bar. To demonstrate his freedom—and il n’avait plus à gérer les pressions inhérentes au possibly as a form of payback to those he had processus de réélection. Et que, pour bien montrer been politically beholden to for twelve years—he qu’il était libre – et peut-être aussi pour rendre la liked to mix things up in his courtroom. monnaie de leur pièce à tous ceux et à toutes celles Sometimes the calendar went alphabetical, auxquels il avait été redevable douze ans durant –, il sometimes reverse alphabetical, sometimes by aimait assez mélanger un peu tout dans sa salle filing date. You never knew how the call would go d’audiences. Certaines fois il appelait les affaires par until you got there. Often lawyers cooled their ordre alphabétique, mais d’autres fois aussi dans heels for better than an hour in Powell’s l’ordre inverse, quand ce n’était pas par ordre courtroom. The judge liked that. d’inscription du dossier au greffe du tribunal. On ne savait donc jamais quand une affaire allait passer en audience jusqu’à ce qu’on soit devant lui. Il n’était pas rare que des avocats aient à battre la semelle pendant 173 "I think I can make eleven," I said, without knowing for sure. "What’s the case?" "Guy’s gotta be big money. Beverly Hills address, family lawyer waltzing in here first thing. This is the real thing, Mick. They booked him on a half mil and his mother’s lawyer came in here today ready to sign over property in Malibu to secure it. Didn’t even ask about getting it lowered first. I guess they aren’t too worried about him running." "Booked for what?" I asked. I kept my voice even. The scent of money in the water often leads to a feeding frenzy but I had taken care of Valenzuela on enough Christmases to know I had him on the hook exclusively. I could play it cool. "The cops booked him for ag-assault, GBI and attempted rape for starters," the bondsman answered. "The DA hasn’t filed yet as far as I know." The police usually overbooked the charges. What mattered was what the prosecutors finally filed and took to court. I always say cases go in like a lion and come out like a lamb. A case going in as attempted rape and aggravated assault with great bodily injury could easily come out as simple battery. It wouldn’t surprise me and it wouldn’t make for much of a franchise case. Still, if I could get to the client and make a fee agreement based on the announced charges, I could look good when the DA later knocked them down. "You got any of the details?” I asked. "He was booked last night. It sounds like a bar pickup gone bad. The family lawyer said the woman’s in it for the money. You know, the civil suit to follow the criminal case. But I’m not so sure. She got beat up pretty good from what I heard." "What’s the family lawyer’s name?" "Hold on a sec. I’ve got his card here somewhere." I looked out the window while waiting for Valenzuela to find the business card. I was two minutes from the Lancaster courthouse and twelve minutes from calendar call. I needed at plus d’une heure dans son tribunal. Ça lui plaisait beaucoup. – Onze heures ? Je devrais y arriver, répondis-je sans en être vraiment certain. C’est quelle affaire ? – Le mec doit avoir un tas de pognon. Adresse à Beverly Hills et l’avocat de la famille se pointe ici tout de suite. C’est pas du toc, Mick. Ils lui ont collé une caution d’un demi-million de dollars et l’avocat de sa mère s’est ramené aujourd’hui, tout prêt à garantir le truc avec une propriété à Malibu. Il n’a même pas demandé qu’on réduise le montant de la caution. Ils doivent pas trop avoir peur qu’il se taille. – Et c’est pour quel crime ? demandai-je. D’un ton égal. Pour les requins, l’odeur du fric conduit souvent à une fringale proprement frénétique, mais j’avais assez chouchouté Valenzuela à des tas de Noëls pour savoir que je le tenais, et pour moi tout seul. Je pouvais la jouer cool. – Les flics l’ont serré d’entrée de jeu pour voies de fait, blessures graves et tentative de viol, me répondit-il. A ma connaissance, le district attorney n’est pas encore entré dans la danse. La police a l’habitude d’en rajouter sur les charges. Ce qui compte, c’est ce que les procureurs finissent par retenir et porter devant la cour. Je dis toujours qu’au début les affaires rugissent comme des lions et qu’à la fin elles bêlent comme des agneaux. Une affaire de tentative de viol et voies de fait avec blessures graves est facilement requalifiée en simples coups et blessures. Ça n’est pas pour me surprendre et ne se termine pas forcément par le pactole. Il n’empêche : si j’arrivais à joindre le client et à conclure un accord financier sur la base des charges envisagées, je lui ferais très bonne impression lorsque le district attomey ramènerait tout ça à des accusations raisonnables. – Tu as des détails ? – Il s’est fait coincer hier soir, répondit Valenzuela. Ça ressemble pas mal à une histoire de nana qu’on lève dans un bar, l’affaire finissant par tourner mal. D’après l’avocat de la famille, la fille en voudrait à son fric. Tu sais bien… Le procès au civil après le procès au criminel. Mais je n’en suis pas sûr. D’après ce que j’ai entendu dire, elle s’est quand même fait salement amocher. – Comment s’appelle l’avocat de la famille ? – Attends une seconde. J’ai sa carte quelque part. Je jetai un coup d’œil par la vitre en attendant que Valenzuela la retrouve. J’étais à deux minutes du tribunal de Lancaster et à douze de mon rendez-vous. Et, là-dessus, il m’en fallait au moins trois pour conférer avec mon client et lui annoncer la mauvaise 174 least three of those minutes in between to confer with my client and give him the bad news. "Okay, here it is," Valenzuela said. “Guy’s name is Cecil C. Dobbs, Esquire. Out of Century City. See, I told you. Money." Valenzuela was right. But it wasn’t the lawyer’s Century City address that said money. It was the name. I knew of C. C. Dobbs by reputation and guessed that there wouldn’t be more than one or two names on his entire client list that didn’t have a Bel-Air or Holmby Hills address. His kind of client went home to the places where the stars seemed to reach down at night to touch the anointed. "Give me the client’s name," I said. “That would be Louis Ross Roulet." He spelled it and I wrote it down on a legal pad. "Almost like the spinning wheel but you pronounce it Roo—lay," he said. “You going to be here, Mick?" Before responding I wrote the name C. C. Dobbs on the pad. I then answered Valenzuela with a question. "Why me?" I asked. "Was I asked for? Or did you suggest me?" I had to be careful with this. I had to assume Dobbs was the kind of lawyer who would go to the California bar in a heartbeat if he came across a criminal defense attorney paying off bondsmen for client referrals. In fact, I started wondering if the whole thing might be a bar sting operation that Valenzuela hadn’t picked up on. I wasn’t one of the bar’s favorite sons. They had come at me before. More than once. "I asked Roulet if he had a lawyer, you know? A criminal defense lawyer, and he said no. I told him about you. I didn’t push it. I just said you were good. Soft sell, you know?" "Was this before or after Dobbs came into it?" "No, before. Roulet called me this morning from the jail. They got him up on high power and he saw the sign, I guess. Dobbs showed up after that. I told him you were in, gave him your pedigree, and he was cool with it. He’ll be there at eleven. You’ll see how he is." I didn’t speak for a long moment. I wondered how truthful Valenzuela was being with me. A guy like Dobbs would have had his own man. If it wasn’t his own forte, then he’d have had a criminal nouvelle. – Ah, voilà, reprit Valenzuela. Il s’appelle Cecil C. Dobbs, Esquire. Il habite à Century City. Tu vois, je te l’avais bien dit qu’y avait du fric à la clé. Il avait raison. Mais ce n’était pas l’adresse à Century City qui disait le fric. C’était le nom du type. Je connaissais ce bonhomme de réputation et me doutais que parmi ses clients il ne devait pas y avoir beaucoup plus d’un ou deux types qui n’habitaient pas à Bel-Air ou à Holmby Hills. Après le travail, ces messieurs et dames devaient regagner des maisons où, la nuit, les étoiles semblaient descendre du ciel pour adouber les puissants. – Tu me donnes le nom du client ? demandai-je. – Il s’agit d’un certain Louis Ross Roulet. Il m’épela le nom, je l’inscrivis sur un bloc-notes. – C’est presque comme la roulette, mais faut prononcer « Roulay », précisa-t-il. Alors, tu vas venir ? Avant de lui répondre, je portai aussi le nom de C. C. Dobbs sur mon bloc. Et finis par lui renvoyer une question en guise de réponse. – Bon mais... pourquoi moi ? demandai-je. C’est lui qui m’a demandé ? Ou c’est toi qui le lui as suggéré ? Parce que là, il fallait faire attention. Je devais absolument tenir pour acquis que Dobbs était le genre d’avocat à en appeler au barreau de Californie en un tourne-main si jamais il tombait sur un avocat de la défense qui paie des garants de caution pour se faire envoyer des clients. De fait, je commençais même à me demander si tout cela n’était pas un piège du barreau auquel Valenzuela n’avait vu que du feu. Il faut dire que ce barreau ne me portait pas vraiment dans son cœur. Qu’il avait déjà essayé de me coincer, et pas qu’une fois. – J’ai demandé à Roulet s’il avait un avocat, tu vois ? Un avocat de la défense et il m’a répondu que non. Alors, j’y ai causé de toi. Sans forcer. J’y ai juste dit que t’étais bon. La pédale douce, quoi, tu vois ? – Et t’as fait ça avant ou après que Dobbs se soit pointé ? – Avant. Roulet m’a appelé de la prison ce matin. Les flics lui ont mis sacrément la pression et il a dû comprendre. Dobbs s’est pointé après. J’y ai dit que t’étais sur le coup et qui t’étais et il a pas râlé. Il sera ici à onze heures. Tu verras comme il est. Je gardai longtemps le silence. Je me demandais jusqu’où Valenzuela me disait la vérité. Un type comme Dobbs devait avoir ce qu’il fallait. À supposer même que ce ne soit pas dans ses cordes, il avait sûrement un spécialiste du criminel dans son cabinet, à tout le 175 specialist in the firm or, at least, on standby. But Valenzuela’s story seemed to contradict this. Roulet came to him empty-handed. It told me that there was more to this case I didn’t know than what I did. "Hey, Mick, you there?" Valenzuela prompted. I made a decision. It was a decision that would eventually lead me back to Jesus Menendez and that I would in many ways come to regret. But at the moment it was made, it was just another choice made of necessity and routine. "I’ll be there," I said into the phone. “I’ll see you at eleven.” I was about to close the phone when I heard Valenzuela’s voice come back at me. “And you’ll take care of me for this, right, Mick? I mean, you know, if this is the franchise?” It was the first time Valenzuela had ever sought assurance of a payback from me. It played further into my paranoia and I carefully constructed an answer that would satisfy him and the bar—if it was listening. "Don’t worry, Val. You’re on my Christmas list." I closed the phone before he could say anything else and told my driver to drop me off at the employee entrance to the courthouse. The line at the metal detector would be shorter and quicker there and the security men usually didn’t mind the lawyers——the regulars—sneaking through so they could make court on time. As I thought about Louis Ross Roulet and the case and the possible riches and dangers that waited for me, I put the window back down so I could enjoy the morning’s last minute of clean, fresh air. It still carried the taste of promise. The courtroom in Department 2A was crowded with lawyers negotiating and socializing on both sides of the bar when I got there. I could tell the session was going to start on time because I saw the bailiff seated at his desk. This meant the judge was close to taking the bench. In Los Angeles County the bailiffs are actually sworn deputy sheriffs who are assigned to the jail division. I approached the bailiff, whose desk was right next to the bar railing so citizens could come up to ask questions without having to violate the space assigned to the lawyers, defendants and moins en stand-by. Sauf que l’histoire de Valenzuela semblait signifier le contraire. C’était sans rien dans les mains que Roulet était venu à lui. Et moi, cela me disait que, dans cette histoire, il y avait plus de trucs que j’ignorais que de trucs que je connaissais. – Hé, Mick ! T’es toujours avec moi? me lança Valenzuela. Je pris ma décision – une décision qui devait me ramener à Jesus Menendez et que je devais finir par regretter, et plutôt deux fois qu’une. Sauf qu’au moment où je la pris, elle ne reflétait qu’un choix tout droit sorti de l’habitude et de la nécessité. – J’y serai, dis-je dans mon téléphone. On se retrouve à onze heures. J’allais refermer l’appareil lorsque j’entendis la voix de Valenzuela me revenir. – Et tu vas pas m’oublier, hein, Mick ? Enfin tu vois… si c’est vraiment le client pactole. C’était la première fois qu’il me demandait de lui garantir un renvoi d’ascenseur. Cela ne faisant qu’accroître ma paranoïa, je lui concoctai une réponse qui puisse le satisfaire lui, mais aussi le barreau… si jamais j’étais sur écoutes. – T’inquiète pas, Val ! lui renvoyai-je. T’es sur ma liste du Père Noël. Et je refermai mon portable avant qu’il puisse ajouter quoi que ce soit et demandai à mon chauffeur de me déposer à l’entrée des employés du tribunal. La queue au portique de détection des métaux y serait plus courte et l’attente moins longue. Les types de la sécurité n’avaient en général rien contre le fait que les avocats, en tout cas les habitués de ce tribunal, passent par là pour arriver à l’heure en salle d’audience. C’est en repensant à Louis Ross Roulet, à son affaire, à tout ce pactole possible et aux dangers qui m’attendaient que je redescendis ma vitre pour goûter encore une minute à l’air propre et frais du désert. Il était toujours porteur de promesses. Quand j’y arrivais, la salle d’audience de la chambre 2A était pleine d’avocats en train de négocier et de bavarder des deux côtés de la barre. Je sus que la séance débuterait à l’heure en voyant que l’huissier avait pris place à son bureau. Cela voulait dire que le juge était sur le point de siéger. Dans le comté de Los Angeles, les huissiers sont en fait des adjoints au shérif assermentés détachés auprès du Service des prisons. Je m’approchai du mien, son bureau se trouvant juste à côté de la balustrade de la barre afin que les citoyens puissent venir poser des questions sans avoir à violer l’espace réservé aux 176 courtroom personnel. I saw the calendar on the clipboard in front of him. I checked the nameplate on his uniform——R. Rodriguez——before speaking. "Roberto, you got my guy on there? Harold Casey?" The bailiff used his finger to start down the list on the call sheet but stopped quickly. This meant I was in luck. "Yeah, Casey. He’s second up." "Alphabetical today, good. Do I have time to go back and see him?" "No, they’re bringing the first group in now. I just called. The judge is coming out. You’ll probably have a couple minutes to see your guy in the pen." “Thank you.” I started to walk toward the gate when he called after me. “And it’s Reynaldo, not Roberto.” “Right, right. I"m sorry about that, Reynaldo.” “Us bailiffs, we all look alike, right?” avocats, aux accusés et au personnel de la salle. Je vis le rôle accroché à une écritoire à pinces posée devant lui. Je vérifiai le nom porté sur sa plaque – R. Rodriguez –, avant de parler. – Roberto, lui lançai-je, vous avez mon gars sur votre feuille ? Harold Casey ? Il posa son doigt en haut de la liste et ne le descendit que très peu avant de me répondre. Autrement dit, j’avais de la chance. – Casey, dit-il, oui. C’est le deuxième. – On bosse en alphabétique aujourd’hui ? Génial. J’ai le temps de passer derrière et d’aller voir le mec ? – Non. On doit amener le premier groupe dans une minute. Je viens juste de les appeler. Le juge va arriver. Vous n’aurez que deux ou trois minutes pour voir votre type dans l’enclos. - Merci. Je me dirigeais vers le portillon lorsqu’il me rappela. During a calendar call incarcerated defendants are brought to the courtroom in groups of four and held in a wood-and-glass enclosure known as the pen. This allows the defendants to confer with their attorneys in the moments before their case is called for whatever matter is before the court. I got to the side of the pen just as the door from the interior holding cell was opened by a deputy, and the first four defendants on the docket were marched out. The last of the four to step into the pen was Harold Casey, my client. I took a position near the side wall so that we would have privacy on at least one side and signaled him over. - Et c’est Reynaldo, pas Roberto ! - D’accord, d’accord. Je m’excuse pour ce Roberto. - Parce que nous autres, huissiers, on a tous la même gueule, c’est ça ? Je ne savais pas trop s’il essayait de faire de l’humour ou s’il se foutait de moi. Je ne répondis pas, me conten- tai de sourire, franchis le portillon, saluai deux ou trois avocats que je ne connaissais pas, et deux ou trois autres que je connaissais. L’un d’eux m’arrêta pour me deman- der combien de temps je pensais tenir le juge, parce qu’il voulait avoir une idée de l’heure à laquelle revenir pour son client. Je lui répondis que je ne traînerais pas. Avant la séance, les prévenus incarcérés sont conduits à la salle d’audience par groupes de quatre et enfermés dans une enceinte tout en bois et verre appelée « l’enclos ». Cela leur permet de conférer avec leurs avocats avant que, leur affaire appelée, les charges retenues contre eux soient examinées par la cour. J’arrivai au bord de l’enclos au moment même où l'adjoint au shérif ayant ouvert la porte de la cellule, quatre premiers prévenus recevaient l’ordre d’avancer. Le dernier à entrer dans l’enclos fut Harold Casey, mon client. Je pris place près du mur latéral de façon à ce que nous soyons un peu à l’écart et lui fis signe d’approcher. Casey was big and tall, as they tend to recruit them in the Road Saints motorcycle gang—or club, as the membership prefers to be known. While being held in the Lancaster jail he had cut Casey était un grand costaud, du genre qu’on tend à recruter chez les Road Saints, un gang de motards qui, eux, préfèrent parler de « club ». Il avait profité de ce séjour à la prison de Lancaster pour se couper les cheveux et se raser, comme je le lui avais demandé. Il était I didn’t know if that was an attempt at humor or just a dig at me. I didn’t answer. I just smiled and went through the gate. I nodded at a couple lawyers I didn’t know and a couple that I did. One stopped me to ask how long I was going to be up in front of the judge because he wanted to gauge when to come back for his own client’s appear ance. I told him I was going to be quick. 177 his hair and shaved, as I had requested, and he looked reasonably presentable, except for the tattoos that wrapped both arms and poked up above his collar. But there is only so much you can do. I don’t know much about the effect of tattoos on a jury but I suspect it’s not overly positive, especially. when grining skulls are involved. I do know that jurors in general don’t care for ponytails—on either the defendants or the lawyers who represent them. Casey, or Hard Case, as the was known in the club, was charged with cultivation, possession and sale of marijuana as well as other drug and weapons charges, In a predawn raid on the ranch where he lived and worked, sheriff’s deputies found a barn and Quonset hut complex that had been turned into an indoor growing facility. More than two thousand fully mature plants were seized along with sixty-three pounds of harvested marijuana packaged in various weights in plastic bags. Additionally, twelve ounces of crystal meth which the packagers sprinkled on the harvested crop to give it an extra kick were seized, along with a small arsenal of weapons, many of them later determined to be stolen. It would appear that Hard Case was fucked. The state had him cold. He was actually found asleep on a couch in the barn, five feet from the packaging table. Added to this, he had twice previously been convicted of drug offenses and was currently still on parole for the most recent. In the state of California the third time is the charm. Realistically, Casey was facing at least a decade in prison, even with good time. But what was unusual about Casey was that he was a defendant who was looking forward to trial and even to the likelihood of conviction. He had refused to waive his - right to a speedy trial and now, less than three months after his arrest, eagerly wanted to bring it on. He was eager because it was likely that his only hope lay in an appeal of that likely conviction. Thanks to his attorney, Casey saw a glimmer of hope—that small, twinkling light that only a good attorney can bring to the darkness of a case like this. From this glimmer a case strategy was born that might ultimately work to free Casey. It was daring and donc relativement présentable, en dehors des tatouages qu’il avait sur les bras et de ceux qui dépassaient de son col de T-shirt. On fait ce qu’on peut. Je ne sais pas vraiment quel effet peuvent avoir des tatouages sur les jurés, mais je ne crois pas que ce soit vraiment positif, surtout lorsque ces tatouages représentent des crânes ricanants. Ce que je sais, c’est qu’en général les jurés n’aiment pas les queues-decheval, qu’elles oment la tête du pré- venu ou celle de l’avocat qui le représente. Et Casey, ou « Hard Case » comme l’appelaient les membres du « club », était accusé de cultiver, posséder et vendre de la marijuana, en plus d’autres délits ayant à Voir avec la drogue et les armes à feu. Lors d’une descente effectuée avant l’aube dans le ranch où il vivait et travaillait, les adjoints du shérif avaient découvert une grange et des baraquements militaires transformés en lieux de culture. Plus de deux mille plants de marijuana arrivés à parfaite maturité y avaient été saisis, sans par- ler de trente-deux kilos de la même marijuana mise en paquets plastique de divers poids. Et de 340 grammes de cristaux de méthédrine que les types chargés de l’emballage auraient dû éparpiller sur la récolte afin de lui donner un petit coup de fouet, tout cela saisi avec un petit arsenal dont il avait été plus tard reconnu que l’essentiel avait été volé. Bref, l'affaire Casey semblait bien foutue. La justice de Californie le tenait. ll avait été trouvé endormi sur un lit de camp dans la grange, à un mètre cinquante du plan d’emballage. Sans oublier qu’il avait été déjà condamné par deux fois pour trafic de drogue, et qu’il était encore en liberté conditionnelle pour sa dernière condamnation. Or, en Californie, le troisième coup est le bon. Soyons réalistes : Casey devait s’attendre à une décennie de taule, même en en défalquant ce qu’il s’était déjà tapé. A ceci près que, fait inhabituel, l’accusé Casey attendait avec impatience d’être jugé - et surtout condamné. Il avait refusé de renoncer au droit d’être jugé rapidement et là, moins de trois mois après son arrestation, il n’avait plus qu’une envie : passer devant une cour. Et s’il le voulait, c’était parce que son seul espoir raisonnable était de faire appel de sa très probable condamnation. Et c’est vrai que, grâce à son avocat, il avait un semblant d’espoir - cette petite lueur vacillante que seul un bon avocat peut apporter dans un dossier aussi sombre. De cette lueur une stratégie était née, qui plus tard pourrait contribuer à le libérer. C’était dangereux et osé, et lui coûterait de la taule en attendant l’appel, mais il savait aussi bien que moi que c’était sa seule chance véritable. 178 would cost Casey time as he waited out the appeal, but he knew as well as I did that it was the only real shot he had. The crack in the state’s case was not in its assumption that Casey was a marijuana grower, packager and seller. The state was absolutely correct in these assumptions and the evidence more than proved it. It was in how the state came to that evidence that the case tottered on an unsteady foundation. It was my job to probe that crack in trial, exploit it, put it on record and then convince an appellate court of what I had not been able to convince Judge Orton Powell of during a pretrial motion to suppress the evidence in the case. The seed of the prosecution of Harold Casey was planted on a Tuesday in mid-December when Casey walked into a Home Depot in Lancaster and made a number of mundane purchases that included three lightbulbs of the variety used in hydroponic farming. The man behind him in the checkout line happened to be an off-duty sheriff ’s deputy about to purchase outdoor Christmas lights. The deputy recognized some of the artwork on Casey’s arms—most notably the skull with halo tattoo that is the emblematic signature of the Road Saints—and put two and two together. The off-duty man then dutifully followed Casey’s Harley as he rode to the ranch in nearby Pearblossom. This information was passed to the sheriff ’s drug squad, which arranged for an unmarked helicopter to fly over the ranch with a thermal imaging camera. The subsequent photographs, detailing rich red heat blooms from the barn and Quonset hut, along with the statement of the deputy who saw Casey purchase hydroponic lights, were submitted in an affidavit to a judge. The next morning Casey was rousted from sleep on the couch by deputies with a signed search warrant. In an earlier hearing I argued that all evidence against Casey should be excluded because the probable cause for the search constituted an invasion of Casey’s right to privacy. Using an individual’s commonplace purchases at a hardware store as a springboard to conduct a further invasion of privacy through surveillance on the ground and in the air and by thermal imaging would surely be viewed as excessive by La faille du dossier de l'accusation ne résidait en effet pas du tout dans l’hypothèse selon laquelle Casey cultivait, emballait et vendait de la marijuana. De ce côtélà, le procureur avait parfaitement raison et les pièces à conviction le prouvaient plus qu’amplement. C’était plutôt dans la manière dont l'accusation en était venue à détenir ces éléments de preuve que ces charges vacillaient sur leurs bases. Il me revenait donc de titiller cette faille, de l'exploiter et de la faire apparaître aux minutes du procès afin d’emporter l’adhésion d’une cour d’appel quant à la validité de ma demande, repous- sée par le juge Orton Powell, de ne pas prendre ces éléments de preuve en considération. C’était un mardi de la mi-décembre qu’Harold Casey avait semé les germes de son accusation en entrant dans un Home Depot de Lancaster pour y faire l’acquisition d’un certain nombre d’articles courants dont trois ampoules du genre de celles qu’on utilise pour les cultures hydroponiques. Il se trouvait que le type qu’il avait derrière lui, dans la queue pour arriver à la caisse, était un adjoint au shérif qui s’apprêtait à acheter des guirlandes lumineuses pour Noël. Ledit adjoint, qui n’était pas en service, avait reconnu certains des tatouages que Casey avait sur les bras (surtout le crâne avec sa petite auréole qui est l'emblème des Road Saints) et avait aussitôt fait le lien. Il avait alors suivi Casey jusqu’à son ranch proche de Pearblossom. Le renseignement avait ensuite été transmis à la brigade antidrogue du shérif, lequel s’était alors arrangé pour qu’un hélico- ptère banalisé survole la propriété et en prenne des photos avec une caméra à imagerie thermique. Ces clichés, où l’on voyait en détails d’un beau rouge vif la grange et les baraquements, ajoutés aux déclarations de 1’adjoint qui avait vu Casey acheter des ampoules pour cultures hydroponiques, avaient été consignés dans un dossier qu’on avait transmis à un juge. Dès le lendemain matin, Casey était réveillé en plein sommeil sur son lit de camp par des adjoints au shérif munis de commissions rogatoires. Lors d’une audience précédente, j’avais soutenu que tous les éléments de preuve retenus contre mon client devaient être rejetés dans la mesure où la raison de la perquisition constituait une violation de la loi sur la protection de la vie privée. Il ne faisait en effet aucun doute que se servir des achats ordinaires d’un citoyen lambda dans une quincaillerie pour violer ensuite son espace privé à l’aide d’une surveillance terrestre et aérienne et de clichés pris avec une caméra à imagerie thermique ne pouvait être considéré que comme un procédé excessif par ceux qui avaient façonné la 179 the framers of the Constitution. Judge Powell rejected my argument and the case moved toward trial or disposition by plea agreement. In the meantime new information came to light that would bolster Casey’s appeal of a conviction. Analysis of the photographs taken during the flyover of Casey’s house and the focal specifications of the thermal camera used by the deputies indicated the helicopter was flying no more than two hundred feet off the ground when the photographs were taken. The U.S. Supreme Court has held that a law enforcement observation flight over a suspect’s property does not violate an individual’s right to privacy so long as the aircraft is in public airspace. I had Raul Levin, my investigator, check with the Federal Aviation Administration. Casey’s ranch was located beneath no airport flight pattem. The floor for public airspace above the ranch was a thousand feet. The deputies had clearly invaded Casey’s privacy while gathering the probable cause to raid the ranch. My job now was to take the case to trial and elicit testimony from the deputies and pilot as to the altitude they were flying when they went over the ranch. If they told the truth, I had them. If they lied, I had them. I don’t relish the idea of embarrassing law enforcement officers in open court, but my hope was that they would lie. If a jury sees a cop lie on the witness stand, then the case might as well end right there. You don’t have to appeal a not-guilty verdict. The state has no comebacks from a not-guilty verdict. Either way, I was confident had a winner. We just had to get to trial and there was only one thing holding us back. That was what I needed to talk to Casey about before the judge took the bench and called the case. My client sauntered over to the corner of the pen and didn’t offer a hello. I didn’t, either. He knew what I wanted. We’d had this conversation before. Constitution. Le juge Powell ayant rejeté mes arguments, il avait été décidé que l'affaire passerait devant une cour, avec possibilité de plaider coupable. Entre-temps, de nouveaux renseignements étaient apparus qui ne pouvaient que renforcer l’appel que Casey n’allait pas manquer d’interjeter. L’examen des photos prises pendant le survol de son ranch et l’analyse des focales utilisées avec la caméra thermique indiquaient en effet clairement que l’hélico ne se trouvait pas à plus de soixante mètres du sol lorsque les adjoints du shérif avaient photographié les lieux. Et si la Cour suprême des États-Unis a effectivement arrêté que le survol de l'habitation d’un suspect lors d’une surveillance aérienne ne constitue pas une violation des droits de ce dernier à être protégé dans sa vie privée, il convient néanmoins que l’aéronef reste dans les limites de l’espace aérien public. J’avais donc demandé à mon enquêteur, Raul Levin, de se renseigner auprès de la Federal Aviation Administration, et il avait découvert que, le ranch de Casey ne se trouvant pas dans le rayon de survol des avions mis en attente d’atterrissage dans un aéroport, le plancher de survol légal était à 600 mètres. Bref, les adjoints du shérif avaient manifestement violé l’espace privé de Casey en essayant de collecter des indices qui pourraient leur donner une raison juridiquement recevable de fouiller les lieux. Ma tâche consistait maintenant à présenter le dossier à la cour et à pousser mes adjoints au shérif et le pilote de l’hélico à dire à quelle altitude ils volaient lorsqu’ils étaient passés au-dessus du ranch. Qu’ils disent la vérité et je les tenais. Et qu’ils mentent et je les tenais aussi. Je n’aimais pas trop l’idée de coincer des représentants des forces de l’ordre en plein tribunal, mais j’espérais quand même bien qu’ils mentent. Dès qu’un jury s’aperçoit qu’un flic ment à la barre, l’accusation ferait mieux de tout laisser tomber. Et faire appel d’un verdict de non- culpabilité est inutile. On ne revient jamais sur un tel jugement. Dans un cas comme dans l’autre, j’étais sûr de l’emporter. Il nous fallait seulement passer devant la cour et une seule chose nous retenait de le faire. C’était pour ça que j’avais besoin de parler à Casey avant que le juge siège et appelle l’affaire. Mon client gagna le coin de l’enclos d’un pas nonchalant et ne me lança même pas un petit bonjour. Mais moi non plus : il savait ce que je voulais. Cet entretien, nous l’avions déjà eu. - Harold, lui dis-je, c’est l’heure. C’est là que je dis au juge si nous sommes prêts à passer devant un tribunal. 180 “Harold, this is calendar call,” I said. “This is when I tell the judge if we’re ready to go to trial. I already know the state’s ready. So today’s about us.” “So?” “So, there’s a problem. Last time we were here you told me I’d be getting some money. But here we are, Harold, and no money.” “Don’t worry. I have your money.” “That’s why I am worried. You have my money. I don’t have my money.” “It’s coming. I talked to my boys yesterday. It’s coming.” “You said that last time, too. I don’t work for free, Harold. The expert I had go over the photos doesn’t work for free, either. Your retainer is long gone. I want some more money or you’re going to have to get yourself a new lawyer. A public defender.” “No PD, man. I want you.” “Well, I got expenses and I gotta eat. You know what my nut is each week just to pay for the yellow pages? Take a guess.” Casey said nothing. “A grand. Averages out a grand a week just to keep my ad in there and that’s before I eat or pay the mortgage or the child support or put gas in the Lincoln. I’m not doing this on a promise, Harold. I work on green inspiration.” Casey seemed unimpressed. “I checked around,” he said. “You can’t just quit on me. Not now. The judge won’t let you.” A hush fell over the courtroom as the judge stepped out of the door to his chambers and took the two steps up to the bench. The bailiff called the courtroom to order. It was showtime. I just looked at Casey for a long moment and stepped away. He had an amateur, jailhouse knowledge of the law and how it worked. He knew more than most. But he was still in for a surprise. I took a seat against the rail behind the defendant’s table. The first case called was a bail reconsideration that was handled quickly. Then the clerk called the case of California v. Casey and I stepped up to the table. “Michael Haller for the defense,” I said. The prosecutor announced his presence as well. He was a young guy named Victor DeVries. He had no idea what was going to hit him when we Je sais déjà que le procureur est prêt, lui. Bref, aujourd’hui, c’est à nous de jouer. - Et alors ? - Et alors, y a un problème. La demière fois qu’on s’est vus, vous m’avez dit que je recevrais du fric. Sauf que nous revoilà ensemble et que je n’ai toujours rien. - T ’inquiète pas. Je l’ai, ton fric. - C’est bien pour ça que je suis inquiet : c’est vous qui l’avez. Et moi qui ne l’ai pas. - Il arrive. J ’en ai parlé à mes hommes hier. Il arrive. - Vous m’avez déjà dit ça la dernière fois. Je travaille pas à l’œil, Harry. Et l’expert auquel j’ai demandé d’analyser les photos non plus. Y a longtemps que votre dépôt de garantie a fondu. Je veux du fric, sinon va falloir que vous vous trouviez un autre avocat. Un avocat commis d’office. - Je veux pas d’avocat commis d’office, mec. Je te veux, toi. - Ben, j’ai des frais et faut que je bouffe, moi. Vous savez combien ça me coûte par semaine rien que pour payer les Pages jaunes ? Allez, devinez un peu. Il garda le silence. - Mille dollars. Ouais, mille dollars en moyenne rien que pour y garder ma pub et ça, c’est avant que je bouffe, que je paie mes traites, ma pension alimentaire et l’essence pour la Lincoln. Je travaille pas à crédit, Harold, Moi, c’est le billet vert qui m’inspire. Ça n’eut pas l’air de l’impressionner. - Je me suis renseigné, me renvoya-t-il. T’as même pas le droit de me lâcher. Pas maintenant. Le juge te l'interdira. Le silence se fit dans la salle lorsque ce dernier franchit la porte de son cabinet et gravit les deux marches qui conduisaient à son siège. L’huissier ouvrit la séance. Enfin du spectacle. Je me contentai de regarder longue- ment Casey, puis je m’éloignai. Sa connaissance du droit et de la façon dont ça fonctionnait était celle d’un amateur, d’un type qui a fait de la taule. Il en savait plus long que beaucoup. Mais il ne savait pas la surprise qui l'attendait. Je m’installai sur un siège adossé à la rambarde, derrière la table de la défense. La première affaire était une histoire de réduction de caution et fut vite expédiée. Puis l’huissier appela la nôtre - l’État de Californie contre Casey -, et je gagnai la table. - Michael Haller pour la défense, lançai-je. Le procureur signala lui aussi qu’il était là. Il était jeune, s’appelait Victor DeVries et n’avait aucune idée de ce qui allait lui tomber dessus lorsque nous irions au procès. Comme il est d’usage, le juge Orton Powell s’enquit de savoir si un arrangement de dernière 181 got to trial. Judge Orton Powell made the usual inquiries about whether a last-minute disposition in the case was possible. Every judge had an overflowing calendar and an overriding mandate to clear cases through disposition. The last thing any judge wanted to hear was that there was no hope of agreement and that a trial was inevitable. But Powell took the bad news from DeVries and me in stride and asked if we were ready to schedule the trial for later in the week. DeVries said yes. I said no. “Your Honor,” I said, “I would like to carry this over until next week, if possible.” “What is‘ the cause of your delay, Mr. Haller?” the judge asked impatiently. “The prosecution is ready and I want to dispose of this case.” “I want to dispose of it as well, Your Honor. But the defense is having trouble locating a witness who will be necessary to our case. An indispensable witness, Your Honor. I think a oneweek carryover should be sufficient. By next week we should be ready to go forward.” As expected, DeVries objected to the delay. “Your Honor, this is the first the state has heard about a missing witness. Mr. Haller has had almost three months to locate his witnesses. He’s the one who wanted the speedy trial and now he wants to wait. I think this is just a delay tactic because he’s facing a case that—” “You can hold on to the rest of that for the jury, Mr. DeVries,” the judge said. “Mr. Haller, you think one week will solve your problem?” “Yes, Your Honor.” “Okay, we’ll see you and Mr. Casey next Monday and you will be ready to go. Is that understood?” “Yes, Your Honor. Thank you.’ The clerk called the next case and I stepped away from the defense table. I watched a deputy lead my client out of the pen. Casey glanced back at me, a look on his face that seemed to be equal parts anger and confusion. I went over to Reynaldo Rodriguez and asked if I could be allowed back into the holding area to further confer with my client. It was a professional minute ne pouvait pas être conclu. Tous les juges croulent sous les affaires et doivent faire de leur mieux pour les évacuer à l'amiable. La dernière chose qu’ils ont envie d’entendre est bien qu’il n’y a aucun espoir d’accord et que le passage devant une cour est inévitable. Cela dit, Powell accueillit comme si de rien n’était la mauvaise nouvelle que DeVries et moi lui avions réservée et nous demanda si nous étions prêts à fixer la date du procès à un peu plus tard dans la semaine. DeVries répondit que oui. Et moi que non. - Monsieur le juge, lui lançai-je, j’aimerais bien repousser le jugement à la semaine prochaine, si c’est possible. - Pourquoi ce délai, maître Haller ? me demanda-t-il d’un ton impatient. L’ accusation est prête et j’aimerais en finir avec ce dossier. - Tout comme moi, monsieur le juge. Sauf que la défense a du mal à localiser un témoin qui lui sera nécessaire. Un témoin indispensable, monsieur le juge. Un report d’une semaine devrait suffire. Nous devrions pouvoir y aller la semaine prochaine. Comme prévu, DeVries éleva une objection. - Monsieur le juge ! s’écria-t-il. C’est bien la première fois que l’accusation entend parler d’un témoin manquant. Maître Haller a eu presque trois mois pour retrou- ver son témoin. C’est lui qui voulait un jugement rapide et voilà qu’il nous demande d’attendre ? Il ne s’agit sans doute que d’une demande de report motivée par le fait qu’il se trouve devant un dossier qui le... - Vous pouvez garder le reste de votre phrase pour les jurés, maître DeVries. Maître Haller, vous êtes sûr qu’une semaine devrait vous permettre de résoudre votre problème ? - Oui, monsieur le juge. - Parfait. Nous vous reverrons donc, vous et M. Casey, lundi prochain et vous devrez être prêts. Est-ce bien compris ? - Oui, monsieur le juge. Merci. L'huissier appelant l'affaire suivante, je m’écartai de la table de la défense. Puis je regardai un adjoint au shérif faire sortir mon client de l’enc1os. Casey me coula un regard par-dessus son épaule, un regard où la perplexité le disputait à la colère. Je m’approchai de Reynaldo Rodriguez et lui demandai la permission de me rendre à la cellule de détention pour conférer avec mon client. C’est là une faveur qu’on accorde à pratiquement tous les habitués. Rodriguez se leva, déverouilla une porte derrière son bureau et me laissa 182 courtesy allowed to most of the regulars. Rodriguez got up, unlocked a door behind his desk and ushered me through. I made sure to thank him by his correct name. Casey was in a holding cell with one other defendant, the man whose case had been called ahead of his in the courtroom. The cell was large and had benches running along three sides. The bad thing about getting your case called early in the courtroom is that after the hearing you have to sit in this cage until it fills with enough people to run a full bus back to the county jail. Casey came right up to the bars to speak to me. "What witness were you talking about in there?" he demanded. "Mr. Green,” I said. "Mr. Green is all we need for this case to go forward." Casey’s face contorted in anger. I tried to cut him off at the pass. "Look, Harold, I know you want to move this along and get to the trial and then the appeal. But you’ve got to pay the freight along the way. I know from long, hard experience that it does me no good to chase people for money after the horse is out of the barn. You want to play now, then you pay now.” I nodded and was about to turn back to the door that led to freedom. But then I spoke to him again. ‘And don’t think the judge in there didn’t know what was going on," I said. “You got a young prosecutor who’s wet behind the ears and doesn’t have to worry about where his next paycheck’s coming from. But Orton Powell spent a lot of years in the defense bar before he got to the bench. He knows about chasing indispensable witnesses like Mr. Green and he probably won’t look too kindly upon a defendant who doesn’t pay his lawyer. I gave him the wink, Harold. If I want off the case, I’ll get off. But what I’d rather do is come in here next Monday and stand up out there and tell him we found our witness and we are ready to go. You understand?" Casey didn’t say anything at first. He walked to the far side of the cell and sat down on the bench. He didn’t look at me when he finally spoke. "As soon as I get to a phone," he said. "Sounds good, Harold. I’ll tell one of the deputies passer. Je veillai à le remercier en l'appelant par le prénom qui convenait. Casey se trouvait dans une cellule avec un autre accusé, celui dont on avait appelé l’affaire avant la nôtre. La cellule était grande et munie de bancs sur trois côtés. L’ennui, lorsque son affaire est appelée tôt, est qu’après on est obligé de rester dans cette cage jusqu'à ce qu’elle soit assez pleine d’accusés pour remplir le bus qui les ramènera à la prison du comté. Casey se rua sur les barreaux pour me parler. - De quel témoin tu causais ? voulut-il savoir. - M. Billetvert, lui répondis-je. M. Billetvert est le seul individu dont nous ayons besoin pour faire avancer notre affaire. Son visage se crispa sous la colère. J’essayai de coincer mon bonhomme au tournant. - Écoutez-moi, Harold. Je sais que vous voulez que ça avance et qu’on arrive à la condamnation pour pouvoir interjeter appel. Mais va falloir payer le fret à un moment donné du parcours. Et je sais de très longue et de très douloureuse expérience que ça ne me fait aucun bien de traquer des gens pour qu’ils me paient ce qu’ils me doivent une fois que l’oiseau s’est envolé. Vous voulez jouer le coup tout de suite, vous payez tout de suite. Je hochai la tête et m’apprêtai à regagner la porte qui conduisait à la liberté. Mais recommençai à parler. - Et n’allez pas croire que le juge n’a pas compris ce qui se passe, repris-je. Vous avez affaire à un jeune procureur que, si on lui pressait le nez, il en sortirait du lait ; mais lui n’a pas à s’inquiéter de savoir d’où lui tombera le chèque à la fin du mois. Il se trouve qu’Orton Powell, lui, a passé quatre ans du côté de la défense avant de devenir juge. Il sait donc parfaitement ce que ça veut dire de retrouver des témoins indispensables du genre de M. Billetvert et y a des chances qu’il n’ait guère de sympathie pour un accusé qui ne paie pas son baveux. Je lui ai fait un clin d’œil, Harold. Si je veux lâcher l'affaire, je la lâcherai. Cela dit, je préférerais beaucoup qu’on se retrouve ici lundi prochain et que je me lève pour lui dire qu’on a retrouvé notre témoin et que nous sommes prêts à foncer. Vous comprenez ? ll commença par ne rien dire. Il gagna l’autre bout de la cellule et s’assit sur un banc. Et ne me regarda même pas lorsque enfin il parla : - Dès que j’ai accès à un téléphone, dit-il. - Ça me paraît bien, lui renvoyai-je. Je vais dire à un des adjoints au shérif que vous avez un appel à passer. Vous le passez, vous faites pas de conneries et on se 183 you have to make a call. Make the call, then sit retrouve la semaine prochaine. Ça va gazer, vous tight and I’ll I see you next week. We’ll get this verrez. thing going." Sur quoi je regagnai la porte d’un pas rapide. Je déteste me trouver à l'intérieur d’une prison. Je ne sais pas I headed back to the door, my steps quick. I hate trop pourquoi. Faut croire que j’ai parfois l’impression being inside a jail. I’m not sure why. I guess it’s que la frontière est bien mince − la frontière qui sépare because sometimes the line seems so thin. The l’avocat au criminel de l’avocat qui l’est. Il y a des line between being a criminal attorney and a moments où je ne sais plus trop de quel côté de la criminal attorney. Sometimes I’m not sure which barre je me trouve. À mes yeux, pouvoir ressortir par le side of the bars I am on. To me it’s always a chemin par lequel je suis entré a toujours quelque dead—bang miracle that I get to walk out the way chose de miraculeux. I walked in. Ayant retrouvé les couloirs du tribunal, je rallumai mon portable et appelai mon chauffeur pour l’avertir que In the hallway outside the courtroom I turned my j’arrivais. Puis je vérifiai ma boîte vocale et y trouvai cell I phone back on and called my driver to tell des messages de Lorna Taylor et de Fernando him I was coming out. I then checked voicemail Valenzuela. Je décidai d’attendre d’être à nouveau dans and found messages from Lorna Taylor and ma voiture pour leur répondre. Fernando Valenzuela. I decided to wait until I was Earl Briggs, mon chauffeur, avait garé la Lincoln juste in the car to make the callbacks. devant le tribunal. Il n’en descendit pas pour m’ouvrir Earl Briggs, my driver, had the Lincoln right out la portière ou autre. Selon notre arrangement, il devait front. Earl didn’t get out and open the door or simplement me conduire à droite et à gauche, cela afin anything. His deal was just to drive me while he de me régler les honoraires qu’il me devait suite à la worked off the fee he owed me for getting him conditionnelle que je lui avais décrochée après sa probation on a cocaine sales conviction. I paid condamnation pour trafic de cocaïne. Je le payais vingt him twenty bucks an hour to drive me but then dollars de l’heure, mais en retenais la moitié. Ce n’était held half of it back to go against the fee. It wasn’t pas vraiment ce qu’il gagnait en vendant du crack dans quite what he was making dealing crack in the les cités, mais c’était légal et moins dangereux et projects but it was safer, legal and something that pouvait figurer sur un CV. Earl disait vouloir rentrer could go on a résumé. Earl said he wanted to go dans le droit chemin et je le croyais. straight in life and I believed him. J’entendis du hip-hop pulser derrière les vitres en m'approchant de la Lincoln Town Car. Mais Earl l'arrêta I could hear the sound of hip-hop pulsing behind net dès que je tendis la main vers la poignée de la the closed windows of the Town Car as I portière. Je me glissai à l'arrière et lui demandai de approached. But Earl killed the music as soon as I prendre la direction de Van Nuys. reached for the door handle. I slid into the back - Qui est-ce que vous écoutiez ? lui demandai-je. and told him to head toward Van Nuys. - Euh… le Three Six Mafia. "Who was that you were listening to?" I asked - Sud crade ? him. - Voilà ! "Um, that was Three Six Mafia." Au fil des ans je me suis familiarisé avec les distinctions "Dirty south?" subtiles - régionales et autres -, qui ont cours dans le "That’s right." rap et le hip-hop. Quels qu’ils soient, pratiquement Over the years, I had become knowledgeable in tous mes clients en écoutent, nombre d’entre eux en the subtle distinctions, regional and otherwise, in tirant même des stratégies de vie. rap and hip—hop. Across the board, most of my Je me penchai en avant, attrapai la boîte à chaussures clients listened to it, many of them developing pleine de cassettes consacrées à l'affaire Boyleston et their life strategies from it. en choisis une au hasard. Puis je notai l’heure et le I reached over and picked up the shoebox full of numéro de la cassette dans le petit carnet que je cassette tapes from the Boyleston case and chose gardais dans la boîte à chaussures et passai la bande à one at random. I noted the tape number and the Earl par-dessus le dossier du siège. Il la glissa dans le time in the little logbook I kept in the shoebox. I lecteur du tableau de bord. Je n’eus pas besoin de lui handed the tape over the seat to Earl and he slid demander de baisser suffisamment le son pour 184 it into the dashboard stereo. I didn’t have to tell him to play it at a volume so low that it would amount to little more than background noise. Earl had been with me for three months. He knew what to do. Roger Boyleston was one of my few court— appointed clients. He was facing a variety of federal drug—trafficking charges. DEA wiretaps on Boyleston’s phones had led to his arrest and the seizure of six kilos of cocaine that he had planned to distribute through a network of dealers. There were numerous tapes—more than fifty hours of recorded phone conversations. Boyleston talked to many people about what was coming and when to expect it. The case was a slam dunk for the government. Boyleston was going to go away for a long time and there was almost nothing I could do but negotiate a deal, trading Boyleston’s cooperation for a lower sentence. That didn’t matter, though. What mattered to me were the tapes. I took the case because of the tapes. The federal government would pay me to listen to the tapes in preparation for defending my client. That meant I would get a minimum of fifty billable hours out of Boyleston and the government before it was all settled. So I made sure the tapes were in heavy rotation whenever I was riding in the Lincoln. I wanted to make sure that if I ever had to put my hand on the book and swear to tell the truth, I could say in good conscience that I played every one of those tapes I billed Uncle Sugar for. I called Lorna Taylor back first. Lorna is my case manager. The phone number that runs on my half-page ad in the yellow pages and on thirty-six bus benches scattered through high—crime areas in the south and east county goes directly to the office/second bedroom of her Kings Road condo in West Hollywood. The address the California bar and all the clerks of the courts have for me is the condo as well. Lorna is the first buffer. To get to me you start with her. My cell number is given out to only a few and Lorna is the gatekeeper. She is tough, smart, professional and beautiful. Lately, though, I n’entendre qu’un bruit de fond. Earl travaillait pour moi depuis trois mois et savait ce qu’il fallait faire. Roger Boyleston était un des clients que m’avait envoyés le tribunal. Il devait répondre de diverses accusations de trafic de drogue. Des écoutes téléphoniques de la DEA (Drug Enforcement Administration) avaient conduit à son arrestation et à la saisie de six kilos de cocaïne qu’il prévoyait de distribuer grâce à un réseau de dealers. Les bandes étaient nombreuses - il y en avait pour plus de cinquante heures d'enregistrement. Boyleston avait dit à beaucoup de gens ce qui allait arriver et à quel moment s’y attendre. Pour le parquet, l'affaire était dans le sac. Boyleston allait en prendre pour longtemps et je ne pouvais pratiquement rien faire, hormis négocier sa coopération contre une diminution de peine. Mais cela n’avait guère d'importance. Ce qui en avait à mes yeux, c’était les bandes. C’était à cause d’elles que j’avais pris l'affaire. L’administration fédérale était obligée de me payer pour que je les écoute et puisse ainsi défendre mon client. Ce qui voulait dire que j’allais toucher un minimum de cinquante heures d’écoute, payables par mon client et par l'administration avant que tout soit réglé. Voilà pourquoi je m’assurais que ces bandes tournent toujours comme il faut quand je me trouvais dans ma Lincoln. Je voulais être certain de pouvoir dire en conscience que j’avais bien écouté tout ce dont je m’étais fait payer l’écoute par Uncle Sugar (NdT : Surnom de l'Oncle Sam quand il paie les avocats commis d'office) si jamais je devais un jour poser la main sur la Bible et jurer de dire la vérité. Ce fut Lorna Taylor que je rappelai en premier. Lorna s’occupe de gérer mes dossiers. Le numéro de téléphone que l’on découvre sur ma demi-page de publicité dans les Pages jaunes et sur les trente-six bancs d’abribus éparpillés dans les zones de haute criminalité du sud et de l’est du comté est celui de son bureau/chambre d’ami de l'appartement en copropriété qu’elle occupe dans Kings Road, à West Hollywood. L'adresse que j’ai communiquée au barreau de Californie et à tous les huissiers des tribunaux est, elle aussi, celle de cet appartement. Lorna est donc mon premier rempart. Pour m’atteindre, il faut d’abord passer par elle. Mon numéro de portable n’étant connu que de quelques personnes, Lorna est celle qui monte la garde à ma porte. Elle est dure, elle est maligne, elle est professionnelle - et belle. Depuis quelque temps néanmoins, je ne vérifie ce dernier point qu’environ 185 only get to verify this last attribute once a month une fois par mois, lorsque je l'emmène déjeuner et or so when I take her to lunch and sign checks— signer des chèques - car c’est aussi elle qui tient ma she’s my bookkeeper, too. comptabilité. - Cabinet d’avocat, lança-t-elle quand je l’appelai. - Je m’excuse. J’étais encore au tribunal, lui dis-je pour "Law office," she said when I called in. lui expliquer que je n’avais pas pu prendre son appel. "Sorry, I was still in court," I said, explaining why I Quoi de neuf ? didn’t get her call. "What’s up?" - T’as parlé avec Val ? - Oui. À l’heure qu’il est, je me dirige vers Van Nuys. J’ai "You talked to Val, right?” eu l'affaire à onze heures. "Yeah. I’m heading down to Van Nuys now. I got - Il a appelé ici pour être sûr. Il a l’air inquiet. that at eleven." - Il croit que c’est la poule aux œufs d’or et veut être "He called here to make sure. He sounds sûr de pas rater le coche. Je le rappelle pour le rassurer. nervous." "He thinks this guy is the golden goose, wants to - J’ai procédé aux premières vérifications sur le make sure he’s along for the ride. I’ll call him back dénommé Louis Ross Roulet. Le crédit est excellent. to reassure him." Son nom apparaît plusieurs fois dans les archives du "I did some preliminary checking on the name Times. Tout dans l'immobilier. On dirait qu’il travaille Louis Ross Roulet. Credit check is excellent. The pour une boîte de Beverly Hills, la Windsor Residential name in the Times archive comes up with a few Estates. Ils s’occupent de biens exclusifs - pas le genre hits. All real estate transactions. Looks like he de maisons devant lesquelles on plante un panneau works for a real estate firm in Beverly Hills. It’s « A vendre ». called Windsor Residential Estates. Looks like they - Très bien, ça. Autre chose ? handle all exclusive pocket listings—not the sort - Sur ça, non. Et rien que de très habituel côté of properties where they put a sign out front." téléphone... pour l'instant. "That’s good. Anything else?" Ce qui signifiait qu’elle avait vérifié le nombre habituel "Not on that. And just the usual so far on the d’appels provenant des Pages jaunes et des abribus, phone." tous d’individus qui voulaient engager les services d’un Which meant that she had fielded the usual avocat. Avant de pouvoir me parler, ils doivent number of calls drawn by the bus benches and convaincre Lorna qu’ils ont les moyens de me payer. the yellow pages, all from people who wanted a Lorna, c’est comme l'infirmière à la réception des lawyer. Before the callers hit my radar they had to urgences : il faut arriver à la convaincre qu’on a une convince Lorna that they could pay for what they bonne assurance-maladie avant qu’elle vous donne wanted. She was sort of like the nurse behind the l'autorisation d’aller voir le médecin dans la salle du desk in the emergency room. You have to fond. A côté de son téléphone, elle a affiché un tarif convince her you have valid insurance before she qui démarre à 5 000 dollars pour conduite en état sends you back to see the doc. Next to Lorna’s d’ivresse et monte jusqu’à ce que j’exige de I’heure en phone she keeps a rate schedule that starts with a cas de poursuites au criminel. Elle s’assure que tout $5 ,000 flat fee to handle a DUI and ranges to the client potentiel sera un client qui paie et saura ce qu’il hourly fees I charge for felony trials. She makes lui en coûtera que je le défende pour le crime dont on sure every potential client is a paying client and l’accuse. Il y a un dicton qui déclare : «Tu veux pas la knows the costs of the crime they have been prison, tu fais pas le couillon.» Lorna, elle, aime à dire charged with. There’s that saying, Don’t do the qu’avec moi cela devient : «T’as pas le pognon, tu fais crime if you can’t do the time. Lorna likes to say pas le couillon.» Elle accepte Visa et Master Card et that with me, it’s Don’t do the crime if you can’t demande à vérifier la solvabilité du client avant qu’il pay for my time. She accepts MasterCard and Visa puisse me contacter. and will get purchase approval before a client - Personne qu’on connaîtrait ? lui demandai-je. ever gets to me. - Laura Larsen a appelé des Tours jumelles. Je poussai un grognement. Situées en centre-ville, les "Nobody we know‘?" I asked. Tours jumelles sont la prison principale du comté. Elles "Gloria Dayton called from Twin Towers." abritent des femmes dans l’une et des hommes dans 186 I groaned. The Twin Towers was the county’s main lockup in downtown. It housed women in one tower and men in the other. Gloria Dayton was a high-priced prostitute who needed my legal services from time to time. The first time I represented her was at least ten years earlier, when she was young and dmg-free and still had life in her eyes. Now she was a pro bono client. I never charged her. I just tried to convince her to quit the life. "When did she get popped?" "Last night. Or rather, this morning. Her first appearance is after lunch." "I don’t know if I can make that with this Van Nuys thing." "There’s also a complication. Cocaine possession as well as the usual." I knew that Gloria worked exclusively through contacts made on the Internet, where she billed herself on a variety of websites as Glory Days. She was no street-walker or barroom troller. When she got popped, it was usually after an undercover vice officer was able to penetrate her check system and set up a date. The fact that she had cocaine on her person when they met sounded like an unusual lapse on her part or a plant from the cop. "Alright, if she calls back tell her I will try to be there and if I’m not there I will have somebody take it. Will you call the court and firm up the hearing?" "I’m on it. But, Mickey, when are you going to tell her this is the last time?" "I don’t know. Maybe today. What else?" l’autre. Laura Larsen était une prostituée de haut vol qui avait besoin de mes services de temps en temps. Au moins dix ans s’étaient écoulés depuis que je l’avais représentée pour la première fois - elle était alors jeune et, n’ayant pas touché à la drogue, avait encore de la vie dans le regard. Elle n’était plus maintenant qu’une cliente que je prenais pro bono. Je ne la faisais jamais payer. Je me contentais d’essayer de l'amener à renoncer à l'existence qu’elle menait. - Quand est-ce qu’elle s’est fait serrer ? - Hier soir. Non, plutôt ce matin. Elle doit comparaître après le déjeuner. - Je ne sais pas si je vais y arriver avec mon truc à Van Nuys. - Et y a une complication. Possession de cocaïne en plus des trucs ordinaires. Je savais que Laura ne travaillait que par contacts sur Internet, où elle se mettait en vitrine sur divers sites sous le nom de Laura Larceny (NdT : soit «Laura Délit»). Pas question pour elle de faire le trottoir ou de jouer les entraîneuses de bar. Quand elle se faisait gauler, c’était en général après qu’un flic des Mœurs en civil avait pu passer à travers ses vérifications et prendre rendez-vous avec elle. Qu’elle ait été prise avec de la coke sur elle me faisait l’effet d’un relâchement fort étonnant de sa part. Ou alors c’était le flic qui la lui avait glissée dans la poche pour la compromettre. - Bon. Si elle rappelle, dis-lui que j'essaierai d’y être et que si je ne peux pas je lui trouverai quelqu’un d’autre pour la représenter. Tu téléphones au greffe pour confirmer qu’on y sera ? - Je m’en occupe, mais... Mickey, quand vas-tu lui dire que c’est la dernière fois ? - Je ne sais pas. Peut-être aujourd’hui. Quoi d’autre ? - Ça fait pas assez pour une journée ? - Bah, faudra sans doute faire avec. Nous parlâmes encore un peu de mon emploi du temps pour le reste de la semaine, puis j’ouvris mon portable sur la tablette repliable du dossier de façon à pouvoir synchroniser nos agendas. J ’avais deux ou trois audiences chaque matin et une qui durerait toute la journée de jeudi. Rien que des affaires de drogue dans le sud du comté. Mon ordinaire. A la fin de notre entretien, je l’avertis que je l'appellerais après l’audience à Van Nuys pour lui dire si et comment l'affaire Roulet risquait de modifier la donne. "Isn’t that enough for one day?" "It’ll do, I guess." We talked a little more about my schedule for the rest of the week and I opened my laptop on the fold—down table so I could check my calendar against hers. I had a couple hearings set for each morning and a one-day trial on Thursday. It was all South side drug stuff. My meat and potatoes. At the end of the conversation I told her that I would call her after the Van Nuys hearing to let - Un dernier truc, ajoutai-je. Tu m’as bien dit que her know if and how the Roulet case would Roulet travaille dans une boîte où on gère de 187 impact things. l’immobilier plutôt sélect, non ? "One last thing," I said. "You said the place Roulet works handles pretty exclusive real estate deals, - Si, si. D’après les archives, aucune des affaires qu’il a right?" gérées ne s’est traitée à moins d’un million de dollars. Certaines ont même dépassé les dix. Holmby Hills, Bel"Yeah. Every deal his name was attached to in the Air, voilà le genre d’endroits. archives was in seven figures. A couple got up into Je hochai la tête en me disant que le standing du the eights. Holmby Hills, Bel—Air, places like monsieur risquait d’intéresser les médias. that.” - Bon, mais… pourquoi ne pas en glisser un mot à Sticks I nodded, thinking that Roulet’s status might ? make him a person of interest to the media. - Vraiment ? "Then why don’t you tip Sticks to it," I said. - Mais oui ! On pourrait peut-être faire quelque chose. - D’accord. "You sure?" - À plus. "Yeah, we might be able to work something Lorsque je refermai mon portable, Earl m’avait déjà there." ramené à l’Antelope Valley Freeway, direction sud. "Will do." Nous roulions bien, arriver à Van Nuys pour la "Talk to you later." première comparution de Roulet ne poserait pas de By the time I closed the phone, Earl had us back problème. J’appelai Fernando Valenzuela pour le lui on the Antelope Valley Freeway heading south. dire. We were making good time and getting to Van Nuys for Roulet’s first appearance wasn’t going to - Ça, c’est vraiment bien ! s’exclama-t-il. Je t’attends. be a problem. I called Fernando Valenzuela to tell Je lui parlais encore lorsque je vis deux motards passer him. le long de ma portière. L’un comme l’autre, ils "That’s real good," the bondsman said. "I’ll be portaient un gilet en cuir noir avec un crâne et son waiting." auréole cousus dans le dos. As he spoke I watched two motorcycles glide by - Autre chose ? demandai-je. my window. Each rider wore a black leather vest - Oui, un autre truc qu’il faut sans doute que je te dise, with the skull and halo patch sewn on the back. reprit Valenzuela. En vérifiant au greffe pour savoir "Anything else?" I asked. quand il devait comparaître, je me suis aperçu qu’on "Yeah, one other thing I should probably tell you," aurait Maggie McFierce en face de nous. Je sais pas si Valenzuela said. "I was double—checking with the ça va te poser un problème ou pas. court on when his first appearance was going to be and I found out the case was assigned to Maggie McFierce (NdT : soit Maggie «McFéroce»), Maggie McFierce. I don’t know if that’s going to autrement dit Margaret McPherson, une des adjointes be a problem for you or not." du procureur les plus dures et, oui, les plus féroces Maggie McFierce as in Margaret McPherson, who affectées au tribunal de Van Nuys. Et, ça aussi, mon exhappened to be one of the toughest and, yes, épouse. fiercest deputy district attorneys assigned to the - Ça ne sera pas un problème, lui répondis-je sans Van Nuys courthouse. She also happened to be hésitation. Le problème, c’est elle qui l’aura. my first ex—wife. Le prévenu ayant le droit de choisir son avocat, s’il y a "It won’t be a problem for me," I said without conflit d'intérêts entre l’avocat de la défense et le hesitation. "She’s the one who’ll have the procureur, c’est ce dernier qui doit s’incliner. Je savais problem." que Maggie me tiendrait pour personnellement The defendant has the right to his choice of responsable si ce qui pouvait devenir une grosse affaire counsel. If there is a conflict of interest between lui échappait, mais je n’y pouvais rien. Ce n’était pas la the defense lawyer and the prosecutor, then it is première fois que ça se produisait. Dans mon the prosecutor who must bow out. I knew Maggie ordinateur portable, j’avais encore une demande de would hold me personally responsible for her désistement pour la dernière affaire qui nous avait losing the reins on what might be a big case but I opposés. Si c’était nécessaire, je n’aurais qu’à changer couldn’t help that. It had happened before. In my le nom du prévenu avant de l'imprimer. J’étais donc 188 laptop I still had a motion to disqualify from the last case in which we had crossed paths. If necessary, I would just have to change the name of the defendant and print it out. I’d be good to go and she’d be as good as gone. The two motorcycles had now moved in front of us. I turned and looked out the back window. There were three more Harleys behind us. "You know what that means, though," I said. "No, what?" "She’ll go for no bail. She always does with crimes against women." "Shit, can she get it? I’m looking at a nice chunk of change on this, man." “I don’t know. You said the guy’s got family and C. C. Dobbs. I can make something out of that. We’ll see." "Shit." Valenzuela was seeing his major payday disappear. "I’ll see you there, Val." I closed the phone and looked over the seat at Earl. "How long have we had the escort?" I asked. "Just came up on us," Earl said. "You want me to do something?" "Let’s see what they—” I didn’t have to wait until the end of my sentence. One of the riders from the rear came up alongside the Lincoln and signaled us toward the upcoming exit for the Vasquez Rocks County Park. I recognized him as Teddy Vogel, a former client and the highest—ranked Road Saint not incarcerated. He might have been the largest Saint as well. He went at least 350 pounds and he gave the impression of a fat kid riding his little brother’s bike. "Pull off, Earl,” I said. "Let’s see what he’s got." We pulled into the parking lot next to the jagged rock formation named after an outlaw who had hid in them a century before. I saw two people sitting and having a pic-nic on the edge of one of the highest ledges. I didn’t think I would feel comfortable eating a sandwich in such a dangerous spot and position. I lowered my window as Teddy Vogel approached on foot. The other four Saints had killed their engines but remained on their bikes. Vogel leaned down to the window and put one of his giant forearms on the sill. I could feel the car tilt down prêt à y aller, et elle à boire la tasse ou presque. En attendant, les deux motards nous étaient passés devant. Je me retournai et jetai un coup d’œil par la lunette arrière. Nous avions trois Harley de plus derrière nous. - Mais tu sais ce que ça veut dire, non ? enchaînai-je. - Non, quoi ? - Ça veut dire qu’elle ne voudra pas de caution. C’est toujours ce qu’elle fait quand la victime est une femme. - Merde. Et elle pourrait gagner ? C’est que j’en attends un paquet de petite monnaie, moi, de cette affaire. - Je ne sais pas. T’as pas dit qu’il avait de la famille et C. C. Dobbs avec lui ? Je devrais pouvoir en tirer quelque chose. Nous verrons. - Merde, répéta-t-il. Il voyait disparaître son pactole. - On se retrouve là-bas, Val. Je refermai mon téléphone et jetai un coup d’œil à Earl par-dessus le dossier du siège. - On a cette escorte depuis longtemps ? lui demandaije. - Non, ils viennent juste de nous rattraper. Vous voulez que je fasse quelque chose ? - Voyons voir ce qu’ils… Je n’eus même pas à aller jusqu’au bout de ma phrase. Un des motards derrière nous s’avança le long de la voiture et nous fit signe de sortir à la prochaine bretelle, celle du parc du comté de Vasquez Rocks. Je reconnus en lui un certain Teddy Vogel, un de mes anciens clients et le Road Saint le plus haut dans la hiérarchie à ne pas être encore incarcéré. Et le plus large de carrure aussi, ce n’est pas impossible. Avec ses quelque cent soixante kilos, il ressemblait à un gamin grassouillet juché sur la bécane de son petit frère. - Arrêtez-vous, Earl ! Voyons voir ce qu’il veut. Nous entrâmes dans le parking proche de l’amas de rochers déchiquetés qui doit son nom au hors-la-loi qui s’y était planqué un siècle plus tôt. Je vis deux personnes en train de pique-niquer, perchées sur la corniche la plus élevée. Je ne crois pas que je me serais senti très à l’aise pour manger un sandwich dans un endroit aussi dangereux. J'abaissai ma vitre en voyant Teddy Vogel approcher à pied. Les quatre autres Saints avaient coupé les gaz, mais restaient assis sur leurs engins. Vogel se pencha à ma fenêtre et posa un de ses gigantesques avant-bras sur le rebord. Je sentis la voiture s'incliner de quelques centimètres. - Comment ça va, l’avocat ? me lança-t-il. - Ça va bien, Ted, répondis-je en refusant de l'appeler 189 a few inches. "Counselor, how’s it hanging?" he said. "Just fine, Ted," I said, not wanting to call him by his obvious gang sobriquet of Teddy Bear. "What’s up with you?” "What happened to the ponytail?” “Some people objected to it, so I cut it off." "A jury, huh? Must’ve been a collection of stiffs from up this way." "What’s up, Ted?" "‘I got a call from Hard Case over there in the Lancaster pen. He said I might catch you heading south. Said you were stalling his case till you got some green. That right, Counselor?" It was said as routine conversation. No threat in his voice or words. And I didn’t feel threatened. Two years ago I got an abduction and aggravated assault case against Vogel knocked down to a disturbing the peace. He ran a Saints—owned strip club on Sepulveda in Van Nuys. His arrest came after he learned that one of his most productive dancers had quit and crossed the street to work at a competing club. Vogel had crossed the street after her, grabbed her off the stage and carried her back to his club. She was naked. A passing motorist called the police. Knocking the case down was one of my better plays and Vogel knew this. He had a soft spot for me. "He’s pretty much got it right," I said. "I work for a living. If he wants me to work for him he’s gotta pay me." "We gave you five grand in December," Vogel said. "That’s long gone, Ted. More than half went to the expert who is going to blow the case up. The rest went to me and I already worked off those hours. If I’m going to take it to trial, then I need to refill the tank." "You want another five?” "No, I need ten and I told Hard Case that last week. It’s a three—day trial and I’ll need to bring my expert in from Kodak in New York. I’ve got his fee to cover and he wants first class in the air and the Chateau Marmont on the ground. Thinks he’s going to be drinking at the bar. with movie stars or something. That place is four hundred a night par le surnom évident qu’on lui donnait dans le gang, celui de Teddy Bear (NdT : soit « Gros Nounours »). Quoi de neuf par chez vous ? - Ben... et la queue-de-cheval ? - Y avait des gens à qui ça plaisait pas, alors je l’ai coupée. - Des jurés, c’est ça ? Ça devait être des culs serrés de par là-bas. - Qu’est-ce qui vous amène, Ted ? - J’ai reçu un coup de fil de Hard Case, là-bas, à l’enclos de Lancaster. Il m’a dit que je pourrais te rattraper sur la voie sud. L’a ajouté que tu lui ferais faire du sur-place tant qu’y aurait pas des billets verts. C’est vrai, l’avocat ? Conversation de routine, et rien de plus. Aucune menace ni dans le ton ni dans les mots. Et je ne me sentais pas menacé. Deux ans plus tôt, j’avais réussi à réduire son accusation de coups et blessures à un simple trouble à l’ordre public. Vogel tenait un club de strip-tease des Saints dans Sepulveda Boulevard, à Van Nuys. Son arrestation s’était produite après qu’il avait appris qu’une de ses danseuses les plus rentables l’avait laissé tomber pour aller bosser dans le club d’en face. Il avait traversé la rue, puis il l’avait fait descendre de la scène et l’avait ramenée dans son club. Toute nue. Un motocycliste qui passait par là avait appelé la police. Avoir réduit son chef d'inculpation avait été un de mes plus jolis coups et il le savait. Bref, il m’aimait bien. - Ben, en gros, il a bien pigé, le Hard Case. Je bosse pour gagner ma croûte, moi. S’il veut que je travaille pour lui, faut qu’il me paie. - On t’a filé cinq mille dollars en décembre, me renvoya Vogel. - Y a longtemps qu’y en a plus, Ted. Plus de la moitié est allée à l’expert qui va casser la baraque de l’accusation. Le reste m’est revenu, mais ça couvre pas toutes les heures que j’y ai mises. Et s’il veut que je porte l’affaire devant le tribunal, va falloir qu’il me remplisse le réservoir. - T’en veux cinq de mieux. - Non, dix, et ça, je le lui ai dit la semaine dernière. Il y aura trois jours d’audience et faudra que je fasse venir mon expert de chez Kodak de New York. Faudra que je le paie et lui, il veut de la première classe dans les airs et le Château Marmont sur terre. Il se voit déjà en train de boire au bar avec des stars de cinéma. Et c’est du quatre cents dollars la nuit pour les chambres les moins chères. - Tu me tues, le baveux. Et ton slogan dans les Pages Jaunes, hein ? « Un doute raisonnable pour un tarif 190 just for the cheap rooms." "You’re killing me, Counselor. Whatever happened to slogan you had in the yellow pages? ‘Reasonable doubt for a reasonable fee.’ You call ten grand reasonable?" "I liked that slogan. It brought in a lot of clients. But the California bar wasn’t so pleased with it, made me get rid of it. Ten is the price and it is reasonable, Ted. If you can’t or don’t want to pay it, I’ll file the paperwork today. I’ll drop out and he can go with a PD. l’ll tum everything I have over. But the PD probably won’t have the budget to fly in the photo expert." Vogel shifted his position on the window sill and the car shuddered under the weight. "No, no, we want you. Hard Case is important to us, you know what I mean? I want him out and back to work." I watched him reach inside his vest with a hand that was so fleshy that the knuckles were indented. It came out with a thick envelope that he passed into the car to me. "Is this cash?" I asked. "That’s right. What’s wrong with cash?" _ "Nothing. But I have to give you a receipt. It’s an IRS reporting requirement. This is the whole ten?" "It’s all there." I took the top off of a cardboard file box I keep on the seat next to me. My receipt book was behind the current case files. I started writing out the receipt. Most lawyers who get disbarred go down because of financial violations. The mishandling or misappropriation of client fees. I kept meticulous records and receipts. I would never let the bar get to me that way. "So you had it all along," I said as I wrote. "What if l had backed down to five? What would you have done then?" Vogel smiled. He was missing one of his front teeth on the bottom. Had to have been a fight at the club. He patted the other side of his vest. “I got another envelope with five in it right here, Counselor," he said. "I was ready for you." "Damn, now I feel bad, leaving you with money in your pocket." I tore out his copy of the receipt and handed it out the window. raisonnable. » Tu trouves que dix mille dollars, c’est raisonnable ? - Je l’aimais bien, moi, ce slogan. Il me rapportait pas mal de clients. Mais le barreau de Californie n’appréciait pas des masses et m’a obligé à m’en débarrasser. Dix, c’est mon prix et c’est un prix raisonnable, Ted. Si vous pouvez pas ou ne voulez pas le payer, je fais la paperasse dès aujourd’hui. Je laisse tomber et il pourra avoir un avocat commis d’office. Je lui passerai tout le dossier. Mais y a des chances pour qu’il ait pas assez de fric pour faire venir l'expert en photo. Vogel changea de position, la Lincoln frémissant sous son poids. - Non, non, c’est toi qu’on veut. Hard Case, c’est un mec important pour nous, tu vois c’que j’veux dire ? Je veux qu’il sorte et qu’il se remette au boulot. Je le regardai glisser dans son gilet une main tellement pleine de chair qu’il en avait les articulations en creux. Elle en ressortit avec une grosse enveloppe qu’il me passa par la vitre. - C’est du liquide ? - Du liquide, ouais. Y a un problème ? - Non. Mais faut que je vous donne un reçu. C’est les Impôts qui l'exigent. Les dix y sont ? - Ils y sont. J’ôtai le couvercle d’une boîte-classeur que je garde sur le siège près de moi. Mon carnet de reçus se trouvait derrière les dossiers en cours. Je commençai à écrire mon reçu. Les trois quarts des avocats qui se font virer du barreau tombent pour des délits financiers. On a mal géré, voire détourné les honoraires du client. Moi, j’en tenais un décompte méticuleux, avec reçus à la clé. Il n’était pas question que le barreau me flingue de cette manière. - Alors comme ça, vous aviez la somme dès le début, dis-je en continuant d’écrire. Qu’est-ce qui se serait passé si j’étais descendu à cinq ? Qu’est-ce que vous auriez fait ? Il sourit. Il lui manquait une dent de devant, en bas. Une bagarre au club, il y avait des chances. Il tapota l’autre côté de son gilet. - J’avais une autre enveloppe avec cinq dedans, l’avocat. J ’étais prêt. - Putain ! Du coup, j’me sens mal de vous laisser avec tout ce fric sur vous. J’arrachai le reçu du carnet et le lui passai par la vitre. - C’est au nom de Casey. C’est lui le client. - Ça me gêne pas. Il me prit le reçu et ôta son bras de la voiture en se redressant. La Lincoln retrouva son niveau normal. 191 “I receipted it to Casey. He’s the client." "Fine with me." He took the receipt and dropped his arm off the window sill as he stood up straight. The car returned to a normal level. I wanted to ask him where the money came from, which of the Saints’ criminal enterprises had earned it, whether a hundred girls had danced a hundred hours for him to pay me, but that was a question I was better off not knowing the answer to. I watched Vogel saunter back to his Harley and struggle to swing a trash can—thick leg over the seat. For the first time I noticed the double shocks on the back wheel. I told Earl to get back on the freeway and get going to Van Nuys, where I now needed to make a stop at the bank before hitting the courthouse to meet my new client. As we drove I opened the envelope and counted out the money, twenties, fifties and hundreddollar bills. It was all there. The tank was refilled and I was good to go with Harold Casey. I would go to trial and teach his young prosecutor a lesson. I would win, if not in trial, then certainly on appeal. Casey would return to the family and work of the Road Saints. His guilt in the crime he was charged with was not something I even considered as I filled out a deposit slip for my client fees account. "Mr. Haller?" Earl said after a while. "What, Earl?" "That man you told him was coming in from New York to be the expert? Will I be picking him up at the airport?" I shook my head. "There is no expert coming in from New York, Earl. The best camera and photo experts in the world are right here in Hollywood." Now Earl nodded and his eyes held mine for a moment in the rearview mirror. Then he looked back at the road ahead. "I see," he said, nodding again. And I nodded to myself. No hesitation in what I had done or said. That was my job. That was how it worked. After fifteen years of practicing law I had come to think of it in very simple terms. The law was a large, rusting machine that sucked up people and lives and money. I was just a mechanic. I had become expert at going into the machine and fixing things and extracting what I needed from it in return. J’eus envie de lui demander d’où venait l’argent, par quelle entreprise criminelle les Saints s’en étaient rendus maîtres, si une centaine de filles avaient dansé des centaines d’heures pour me payer, mais c’était là des questions dont il valait mieux ne pas connaître la réponse. Je regardai Vogel se traîner jusqu’à sa Harley et se battre pour faire passer une patte grosse comme une poubelle par-dessus le siège. Et, pour la première fois, je remarquai les amortisseurs doubles sur la roue arrière. Je dis à Earl de reprendre le freeway en direction de Van Nuys, où j’avais maintenant besoin de m’arrêter à la banque avant de regagner le tribunal pour y retrouver mon nouveau client. Tandis que nous roulions, j’ouvris l'enveloppe et comptai l’argent. Rien que des billets de vingt, de cinquante et de cent, mais le compte y était. J’avais fait le plein et j’étais prêt à reprendre l'affaire Harold Casey. J’irais jusqu’au procès et ferais la leçon à ce jeune procureur. Je gagnerais, sinon au procès, à tout le moins en appel. Casey retrouverait sa famille et reprendrait son boulot chez les Road Saints. Sa culpabilité dans le crime dont on l’accusait ? Je ne m’y arrêtai même pas en rédigeant une fiche de dépôt pour le compte où je déposais mes honoraires. - Monsieur Haller ? me lança Earl au bout d’un instant. - Qu’est-ce qu’il y a, Earl ? - Le type que vous lui avez dit qu’il arrivait de New York pour faire l'expert… Va falloir que j’aille le chercher à l'aéroport ? Je hochai la tête. - Il n’y a pas d’expert qui arrive de New York, Earl. Les meilleurs experts en photo et matériel photographique sont tous ici, à Hollywood. Ce fut à son tour de hocher la tête, son regard soutenant le mien un instant dans le rétroviseur. Enfin il reporta les yeux sur la route. - Je vois, dit-il en hochant encore une fois la tête. Je me hochai, moi aussi, la tête à moi-même. Je n’avais eu aucune hésitation à faire et dire ce que j’avais fait et dit. C’était mon boulot. C’était comme ça que ça marchait. Après quinze ans de pratique du droit, j’envisageais la chose en des termes fort simples. Le droit était une grande machine toute rouillée qui avalait des gens, des vies et de l’argent. Moi, je n’étais que mécano. J’étais devenu expert dans l’art d’entrer dans la machine, d’y réparer des trucs et de soustraire à x ou à y ce dont j’avais besoin en retour. Le droit n’avait plus rien pour me séduire. Les idées qu’on ingurgite en faculté sur les vertus du système du débat contradictoire, des contrepoids et de la 192 There was nothing about the law that I cherished anymore. The law school notions about the virtue of the adversarial system, of the system’s checks and balances, of the search for truth, had long since eroded like the faces of statues from other civilizations. The law was not about truth. It was about negotiation, amelioration, manipulation. I didn’t deal in guilt and innocence, because everybody was guilty. Of something. But it didn’t matter, because every case I took on was a house built on a foundation poured by overworked and underpaid laborers. They cut comers. They made mistakes. And then they painted over the mistakes with lies. My job was to peel away the paint and find the cracks. To work my fingers and tools into those cracks and widen them. To make them so big that either the house fell down or, failing that, my client slipped through. Much of society thought of me as the devil but they were wrong. I was a greasy angel. I was the true road saint. I was needed and wanted. By both sides. I was the oil in the machine. I allowed the gears to crank and turn. I helped keep the engine of the system running. But all of that would change with the Roulet case. For me. For him. And certainly for Jesus Menendez. Louis Ross Roulet was in a holding tank with seven other men who had made the half-block bus ride from the Van Nuys jail to the Van Nuys courthouse. There were only two white men in the cell and they sat next to each other on a bench while the six black men took the other side of the cell. It was a form of Darwinian segregation. They were all strangers but there was strength in numbers. Since Roulet supposedly came from Beverly Hills money, I looked at the two white men and it was easy to choose between them. One was rail thin with the desperate wet eyes of a hype who was long past fix time. The other looked like the proverbial deer in the headlights. I chose him. "Mr. Roulet‘?" I said, pronouncing the name the way Valenzuela had told me to. The deer nodded. I signaled him over to the bars so I could talk quietly. “My name is Michael Haller. People call me recherche de la vérité s’étaient depuis longtemps érodées comme les visages sur les statues de civilisations antérieures. Pour moi, le droit n’avait rien à voir avec la vérité. Mais tout avec la négociation, l’amélioration et la manipulation. Je ne faisais ni dans la culpabilité ni dans l'innocence, parce que tout le monde était coupable. De quelque chose. De toute façon cela n’avait aucune importance, parce que toutes les affaires que je prenais tenaient de la maison construite sur des fondations creusées par des ouvriers surmenés et sous-payés. On avait rogné sur les coûts. On avait commis des erreurs. Et après, on avait couvert les erreurs de peinture au mensonge. Mon travail consistait à écailler la peinture et à trouver les failles. À y faire entrer mes doigts et mes outils et à les agrandir. À les rendre si énormes que c’était la maison qui s’écroulait ou mon client qui filait au travers. Les trois quarts de la société me prenaient pour le diable, mais les trois quarts de la société avaient tort. Je n’étais qu’un ange crapoteux. Le véritable saint du voyage, c’était moi. On avait besoin de moi, on me voulait. Des deux côtés. J ’étais l’huile dans la machine. C’était moi qui permettais aux rouages de tourner. Qui aidais à ce que le moteur du système continue de tourner. Mais tout cela devait changer avec l'affaire Roulet. Pour moi. Pour lui. Et plus que certainement pour Jesus Menendez. Louis Ross Roulet était dans une cellule avec sept autres types qui avaient fait le parcours en bus de la prison de Van Nuys au tribunal. Il ne s’y trouvait que deux Blancs, et ces deux Blancs étaient assis côte à côte sur un banc alors que les six autres détenus, tous Noirs, occupaient l’autre côté de la cellule. C’était là une manière de ségrégation darwinienne. Personne ne se connaissait, mais le nombre faisait la force. Roulet étant censé représenter le fric de Beverly Hills, je regardai mes deux Blancs et n’eus aucun mal à le reconnaître. Maigre comme un clou et le regard mouillé de l’accro qui n’a pas eu son fix depuis longtemps, tel était le premier. Le second, lui, avait tout du cerf pris dans le faisceau des phares d’une voiture. C’est à lui que je m’adressai. - Monsieur Roulet ? lançai-je en prononçant son nom comme Valenzuela m’avait dit de le faire. Le cerf acquiesça d’un hochement de tête. Je lui fis signe de s’approcher des barreaux afin que je puisse lui parler tout bas. - Mon nom est Michael Haller, lui dis-je. Tout le monde m’appelle Mickey. C’est moi qui vous représenterai pour cette première comparution aujourd’hui même. 193 Mickey. I will be representing you during your first Nous nous trouvions au quartier des cellules de appearance today." détention, juste derrière la chambre des mises en accusation. We were in the holding area behind the C’est là que les avocats ont communément le droit de arraignment court, where attorneys are routinely conférer avec leurs clients avant l’audience. Une ligne allowed access to confer with clients before court bleue y est peinte par terre, devant les cellules. La ligne begins. There is a blue line painted on the floor des un mètre. J’étais tenu de rester à cette distance. outside the cells. The three-foot line. I had to Roulet s’agrippa aux barreaux en face de moi. Comme keep that distance from my client. les autres détenus, il était enchaîné aux chevilles, aux poignets et à la taille. Ces chaînes ne pourraient lui Roulet grasped the bars in front of me. Like the être enlevées qu’au moment où il entrerait dans la others in the cage, he had on ankle, wrist and salle d’audience. Il avait aux environs de trente ans et, belly chains. They wouldn’t come off until he was bien que faisant au moins un mètre quatre-vingts pour taken into the courtroom. He was in his early quatre- vingt-dix kilos, il paraissait frêle. La prison. Il thirties and, though at least six feet tall and 180 avait les yeux bleu pâle et je n’avais que rarement eu pounds, he seemed slight. Jail will do that to you. l’occasion de voir la panique que j’y décelai alors. Les His eyes were pale blue and it was rare for me to trois quarts du temps, mes clients ont déjà fait de la see the kind of panic that was so clearly set in taule et ont le regard froid du prédateur. C’est ainsi them. Most of the time my clients have been in qu’ils survivent en prison. Roulet, lui, était différent. ll lockup before and they have the stone—cold look avait plutôt l’air d’une proie. Il avait peur et se moquait of the predator. It’s how they get by in jail. bien de savoir qui le voyait et savait. But Roulet was different. He looked like prey. He – C’est un coup monté, me lança-t-il tout fort et d’un was scared and he didn’t care who saw it and ton pressant. ll faut que vous me sortiez d’ici. J’ai fait knew it. une erreur avec cette femme, c’est tout. Elle essaie de "This is a setup," he said urgently and loudly. “You me coincer et… have to get me out of here. I made a mistake with Je levai les mains en l’air pour l’arrêter. that woman, that’s all. She’s trying to set me up – Ici, faut faire attention à ce qu’on dit, lui fis-je savoir à and——" voix basse. De fait même, faites très attention à tout ce I put my hands up to stop him. que vous direz avant de sortir d’ici et de pouvoir me “Be careful what you say in here," I said in a low parler en privé. voice. "In fact, be careful what you say until we Il regarda autour de lui comme s’il ne comprenait pas. get you out of here and can talk in private." – On ne sait jamais dans quelles oreilles ça peut tomber, lui expliquai-je. Et on ne sait jamais non plus He looked around, seemingly not understanding. qui dira vous avoir entendu dire ceci ou cela, même si "You never know who is listening," I said. "And vous n’avez rien dit du tout. Le mieux est de ne pas you never know who will say he heard you say parler de votre affaire. Vous comprenez ? Le mieux est something, even if you didn’t say anything. Best de ne dire absolument rien à personne, point à la ligne. thing is to not talk about the case at all. You Il acquiesça d’un hochement de tête et je lui fis signe understand? Best thing is not to talk to anyone de s’asseoir sur le banc près des barreaux. about anything, period." He nodded and I signaled him down to the bench – En fait, je ne suis ici que pour faire votre next to the bars. There was a bench against the connaissance et vous dire qui je suis, enchaînai-je. opposite wall and I sat down. Nous parlerons de l’affaire après que nous vous aurons "I am really here just to meet you and tell you sorti d’ici. Je me suis laissé dire que vous aviez un who I am," I said. "We’ll talk about the case after avocat personnel, nous nous contenterons donc de we get you out. I already spoke to your family dire au juge que vous êtes prêt à accepter une mise en lawyer, Mr. Dobbs, out there and we will tell the liberté sous caution. Est-ce que j’ai bien compris ? judge that we are prepared to post bail. Do I have J’ouvris un classeur Mont Blanc en cuir et me préparai all of that right?" à prendre des notes. Roulet acquiesça. Il apprenait. – Bien, repris-je. Parlez-moi de vous. Dites-moi votre I opened a leather Mont Blanc folder and âge, si vous êtes marié, ce qui vous lie à votre 194 prepared to take notes on a legal pad. Roulet nodded. He was learning. "Good," I said. “Tell me about yourself. How old you are, whether you’re married, what ties you have to the community." "Um, I’m thirty—two. I’ve lived here my whole life—even went to school here. UCLA. Not married. No kids. I work—" "Divorced?" "No, never married. I work for my family’s business. Windsor Residential Estates. It’s named after my mother’s second husband. It’s real estate. We sell real estate." I was writing notes. Without looking up at him, I quietly asked, "How much money did you make last year?" When Roulet didn’t answer I looked up at him. "Why do you need to know that?" he asked. “Because I am going to get you out of here before the sun goes down today. To do that, I need to know everything about your standing in the community. That includes your financial standing." "I don’t know exactly what I made. A lot of it was shares in the company." "You didn’t file taxes?" Roulet looked over his shoulder at the others in the cell and then whispered his answer. "Yes, I did. On that my income was a quarter million.” "But what you’re saying is that with the shares you earned in the company you really made more." "Right." One of Roulet’s cellmates came up to the bars next to him. The other white man. He had an agitated manner, his hands in constant motion, moving from hips to pockets to each other in desperate grasps. "Hey, man, I need a lawyer, too. You got a card?" "Not for you, pal. They’ll have a lawyer out there for you." I looked back at Roulet and waited a moment for the hype to move away. He didn’t. I looked back at him. "Look, this is private. Could you leave us alone?" The hype made some kind of motion with his hands and shuffled back to the corner he had come from. I looked back at Roulet. "What about charitable organizations?" I asked. communauté… – Euh… J’ai trente-deux ans. J’ai toujours habité ici… J’y suis même allé en fac. À UCLA. Pas marié. Pas d’enfants. Je travaille… – Divorcé ? – Non, jamais marié. Je travaille dans l’affaire familiale. La Windsor Residential Estates. Du nom du deuxième époux de ma mère. C’est dans l’immobilier. On vend des biens. Je prenais des notes. Sans le regarder, je lui demandai tout bas : – Combien avez-vous gagné l’année dernière ? Ne l’entendant pas répondre, je levai les yeux sur lui. – Pourquoi avez-vous besoin de le savoir ? me répondit-il. – Parce que je vais vous faire sortir d’ici avant que le soleil se couche. Et que pour y arriver, il faut que je sache absolument tout de votre position dans la société. Position financière comprise. – Je ne sais pas exactement combien j’ai gagné. Il y en a beaucoup dans les actions de la société. – Vous n’avez pas fait de déclaration d’impôts ? Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, regarda ses codétenus et me chuchota sa réponse. – Si, si, dit-il. J’ai déclaré deux cent cinquante mille dollars de revenus. – Mais ce que vous êtes en train de me dire, c’est qu’avec ces actions que vous avez dans votre société, en fait, vous avez gagné plus. – Voilà. Un des codétenus se colla aux barreaux près de lui. L’autre Blanc. Agité, il n’arrêtait pas de bouger les mains, celles-ci passant de ses hanches à ses poches avant de se refermer sur elles-mêmes en des étreintes désespérées. – Hé, mec, moi aussi, j’ai besoin d’un avocat. T’as une carte de visite ? – Pas pour toi, l’ami. Un avocat, ils t’en donneront un là-bas. Je me retournai vers Roulet et attendis un moment que l’accro se soit éloigné. Mais pas moyen. Je le regardai à nouveau. – Écoute, mec. Ceci est un entretien privé. Tu vas nous laisser tranquilles ? Il fit un geste bizarre avec ses mains et regagna son coin. Je revins à Roulet. – Et côté organismes charitables ? lui demandai-je. – Que voulez-vous dire ? – Avez-vous des liens avec un quelconque organisme de charité ? Avez-vous donné de l’argent à des œuvres 195 "What do you mean?" Roulet responded. "Are you involved in any charities? Do you give to any charities?" "Yeah, the company does. We give to Make a Wish and a runaway shelter in Hollywood. I think it’s called My Friend’s Place or something like that." "Okay, good." "Are you going to get me out?" "I’m going to try. You’ve got some heavy charges on you——I checked before coming back here— and I have a feeling the DA is going to request no bail, but this is good stuff. I can work with it." I indicated my notes. "No bail?" he said in a loud, panicked voice. The others in the cell looked in his direction because what he had said was their collective nightmare. No bail. "Calm down," I said. "I said that is what she is going to go for. I didn’t say she would get it. When was the last time you were arrested?" I always threw that in out of the blue so I could watch their eyes and see if there was going to be a surprise thrown at me in court. "Never. I’ve never been arrested. This whole thing is—" "I know, I know, but we don’t want to talk about that here, remember?" He nodded. I looked at my watch. Court was about to stand and I still needed to talk to Maggie McFierce. "I’m going to go now," I said. "I’ll see you out there in a few minutes and we’ll see about getting you out of here. When we are out there, don’t say anything until you check with me. If the judge asks you how you are doing, you check with me. Okay?" "Well, don’t I say ‘not guilty’ to the charges?" "No, they’re not going to even ask you that. Today all they do is read you the charges, talk about bail and set a date for an arraignment. That’s when we say ‘not guilty.’ So today you say nothing. No outbursts, nothing. Got that?" He nodded and frowned. "Are you going to be all right, Louis?" ? – Oui, c’est la société qui s’en charge. Nous donnons à Make a Wish et à un relais pour fugueurs d’Hollywood. Ça doit s’appeler My Friend’s Place ou un truc comme ça. – Bien, parfait. – Vous allez me sortir d’ici ? – Je vais essayer. Les charges retenues contre vous ne sont pas rien, j’ai vérifié avant de venir, et j’ai l’impression que le district attorney ne voudra pas de la caution, mais ce sera bon pour nous. Je pourrai m’en débrouiller. Je lui montrai mes notes. – Pas de caution ? répéta-t-il tout haut d’un ton paniqué. Les autres se tournèrent dans sa direction : ce qu’il venait de dire était leur pire cauchemar. Pas de caution. – Calmez-vous. Je viens juste de vous dire ce qu’elle va essayer d’obtenir. Je ne vous ai pas dit qu’elle réussirait. Quand avez-vous été arrêté pour la dernière fois ? Je balançais toujours ça sans avertir de façon à regarder l’inculpé dans les yeux et voir s’il ne me réservait pas une surprise pour l’audience. – Jamais. Je n’ai jamais été arrêté. Toute cette histoire est une… – Je sais, je sais, mais ça, on ne veut pas en parler ici, vous vous rappelez ? Il acquiesça. Je consultai ma montre. L’audience allait commencer et je devais encore m’entretenir avec Maggie McFierce. – Bon, je vais y aller, lui dis-je. Je vous retrouve là-bas dans quelques minutes et on s’occupe de vous faire sortir de là. Ah… Quand on sera de l’autre côté, vous ne dites rien sans mon accord. Si le juge vous demande comment ça va, vous me consultez avant de répondre. D’accord ? – Eh bien mais… faut pas que je dise « non coupable » quand on me lira les charges ? – Non, parce que ça, on ne vous le demandera même pas. Aujourd’hui, on ne fera que vous lire l’acte d’accusation. Après quoi on parlera caution et date de votre inculpation formelle. C’est ce jour-là que vous direz « non coupable ». Bref, aujourd’hui vous ne dites rien. Pas question d’exploser ou de déclarer quoi que ce soit. Pigé ? Il acquiesça d’un signe de tête et fronça les sourcils. – Ca va aller, Louis ? Il hocha de nouveau la tête d’un air lugubre. – Juste pour que vous sachiez… Je prends deux mille cinq cents dollars pour une première comparution avec 196 He nodded glumly. "Just so you know," I said. "I charge twenty-five hundred dollars for a first appearance and bail hearing like this. Is that going to be a problem?" He shook his head no. I liked that he wasn’t talking. Most of my clients talk way too much. Usually they talk themselves right into prison. "Good. We can talk about the rest of it after you are out of here and we can get together in private." I closed my leather folder, hoping he had noticed it and was impressed, then stood up. "One last thing," I said. "Why’d you pick me? There’s a lot of lawyers out there, why me?" It was a question that didn’t matter to our relationship but I wanted to test Valenzuela’s veracity. Roulet shrugged. "I don’t know,” he said. "I remembered your name from something I read in the paper." "What did you read about me?" “It was a story about a case where the evidence got thrown out against some guy. I think it was drugs or something. You won the case because they had no evidence after that." "The Hendricks case?" It was the only one I could think of that had made the papers in recent months. Hendricks was another Road Saint client and the sheriff’s department had put a GPS bug on his Harley to track his deliveries. Doing that on public roads was fine. But when he parked his bike in the kitchen of his home at night, that bug constituted unlawful entry by the cops. The case was tossed by a judge during the preliminary hearing. It made a decent splash in the Times. "I can’t remember the name of the client," Roulet said. "I just remembered your name. Your last name, actually. When I called the bail bondsman today I gave him the name Haller and asked him to get you and to call my own attorney. Why?" “No reason. Just curious. I appreciate the call. I’ll see you in the courtroom." I put the differences between what Roulet had said about my hiring and what Valenzuela had told me into the bank for later consideration and made my way back into the arraignment court. I saw Maggie McFierce sitting at one end of the prosecution table. She was there along with five other prosecutors. The table was large and L- établissement de la caution. ça va vous poser un problème ? Il fit non de la tête. Qu’il ne parle pas me plut assez. Les trois quarts de mes clients jacassent trop. Jusqu’à s’expédier eux-mêmes en prison. – Bien. Nous parlerons de la suite quand vous serez sorti et que nous pourrons discuter en privé. Je refermai mon classeur en cuir en espérant qu’il le remarque et en soit impressionné, puis je me levai. – Une dernière chose, ajoutai-je. Pourquoi m’avez-vous choisi ? Ce ne sont pas les avocats qui manquent. Pourquoi moi ? Nos relations ne dépendaient pas de sa réponse, c’était juste une façon de savoir si Valenzuela ne m’avait pas menti. Il haussa les épaules. – Je ne sais pas, dit-il. Je me suis rappelé avoir lu votre nom dans un article de journal. – Un article qui disait quoi ? – C’était à propos d’une affaire où les preuves à charge avaient été rejetées. Une histoire de drogue ou autre. Vous avez gagné parce que après votre intervention l’accusation n’avait plus rien. – L’affaire Hendricks ? C’était la seule qui, dans mon souvenir, avait été relatée dans la presse depuis quelque temps. Hendricks était lui aussi un Road Saint, dont le shérif avait suivi les livraisons en collant un GPS sur sa Harley. Faire ce genre de choses sur la voie publique ne pose pas de problèmes. Sauf que lorsque Hendricks garait sa bécane dans sa cuisine le soir venu, la pose de ce mouchard constituait une violation de domicile. L’accusation avait été rejetée par le juge dès l’audience préliminaire. Cela m’avait valu un joli coup de projecteur dans le Times. – Je ne me rappelle plus le nom du client, enchaîna Roulet. Je me suis juste rappelé le vôtre. Et quand j’ai appelé le mec des cautions, je lui ai donné le nom de Haller en lui demandant de vous contacter et de passer un coup de fil à mon avocat. Pourquoi cette question ? – Pour rien. Simple curiosité. Merci d’avoir pensé à moi. On se retrouve en salle d’audience. Je regagnai le prétoire et y découvris Maggie McFierce assise au bout de la table de l’accusation. Elle s’y trouvait avec cinq autres procureurs. En forme de L, cette table était assez grande pour accueillir une incessante procession d’avocats et leur permettre de faire face au juge. Tout procureur dépêché au prétoire devait gérer la plupart des comparutions ordinaires et des mises en accusation prévues du début jusqu’à la fin de la journée. Cela étant, certaines affaires attiraient les gros canons du bureau du district attorney situé au 197 shaped so it could accommodate an endlessly revolving number of lawyers who could sit and still face the bench. A prosecutor assigned to the courtroom handled most of the routine appearances and arraignments that were paraded through each day. But special cases brought the big guns out of the district attorney’s office on the second floor of the courthouse next door. TV cameras did that, too. As I stepped through the bar I saw a man setting up a video camera on a tripod next to the bailiff’s desk. There was no network symbol on the camera or the man’s clothes. The man was a freelancer who had gotten wind of the case and would shoot the hearing and then try to sell it to one of the local stations whose news director needed a thirty-second story. When I had checked with the bailiff earlier about Roulet’s place on the calendar, he told me the judge had already authorized the filming. I walked up to my ex-wife from behind and bent down to whisper into her ear. She was looking at photographs in a file. She was wearing a navy suit with a thin gray stripe. Her raven-colored hair was tied back with a matching gray ribbon. I loved her hair when it was back like that. "Are you the one who used to have the Roulet case?" She looked up, not recognizing the whisper. Her face was involuntarily forming a smile but then it turned into a frown when she saw it was me. She knew exactly what I had meant by using the past tense and she slapped the file closed. "Don’t tell me," she said. "Sorry. He liked what I did on Hendricks and gave me a call.” "Son of a bitch. I wanted this case, Haller. This is the second time you’ve done this to me." "I guess this town ain’t big enough for the both of us," I said in a poor Cagney imitation. She groaned. "All right," she said in quick surrender. “I’ll go peacefully after this hearing. Unless you object to even that." "I might. You going for a no-bail hold?" "That’s right. But that won’t change with the prosecutor. That was a directive from the second floor." I nodded. That meant a case supervisor must have called for the no-bail hold. "He’s connected in the community. And has never deuxième étage du tribunal voisin. Même chose pour les caméras de télé. Je venais de passer devant la barre lorsque je vis un type installer une caméra vidéo sur un trépied, près du bureau de l’huissier. Il n’y avait aucun logo de chaîne de télé sur l’appareil ou sur le bonhomme. Il s’agissait donc d’un type qui travaillait en free-lance. Il avait eu vent de l’affaire et décidé de vidéoter l’audience dans l’espoir de vendre son enregistrement à une des stations de télé locales en mal de sujets de trente secondes. Lorsque je lui avais demandé à quelle heure Roulet devait passer, l’huissier m’avait dit que le juge avait autorisé le vidéotage. Je m’approchai de mon ex par derrière et me penchai en avant pour lui chuchoter à l’oreille. Elle regardait des photos dans un dossier. Elle portait un tailleur bleu marine à fines rayures grises. Ses cheveux d’un noir de jais étaient retenus en arrière par un ruban du même gris. J’adorais ses cheveux quand elle les coiffait de cette façon. – C’est toi qui avais l’affaire Roulet ? lui demandai-je. Sans m’avoir reconnu, elle leva le nez. Le sourire qui se formait involontairement sur son visage se transforma en froncement de sourcils quand elle vit que c’était moi. Elle savait parfaitement pourquoi je m’étais servi d’un imparfait et referma son dossier d’un coup sec. – Non, ne me dis pas que…! me lança-t-elle. – Désolé. Il a bien aimé mon boulot dans l’affaire Hendricks et m’a passé un coup de fil. – Fils de pute! Je le voulais, moi, ce dossier. C’est la deuxième fois que tu me fais le coup, Haller. – Faut croire que cette ville n’est pas assez grande pour nous deux, lui répliquai-je en une pâle imitation de James Cagney. Elle grogna. – Bon, bon, dit-elle en capitulant aussitôt. Je me retire sur la pointe des pieds dès la fin de l’audience. À moins que même ça, tu me le refuses. – Ce n’est pas impossible. Tu pensais à la préventive sans possibilité de caution ? – C’est ça même. Mais ça ne changera pas avec le nouveau procureur. L’ordre vient du deuxième étage. J’acquiesçai d’un signe de tête. Cela signifiait qu’un superviseur avait dû demander le refus de caution. – Il est bien connecté dans la communauté, lui fis-je remarquer. Et il n’a jamais été arrêté. J’étudiai sa réaction, car je n’avais pas eu le temps de m’assurer que Roulet m’avait bien dit la vérité sur ce 198 been arrested." I studied her reaction, not having had the time to make sure Roulet’s denial of ever being previously arrested was the truth. It’s always amazing how many clients lie about previous engagements with the machine, when it is a lie that has no hope of going the distance. But Maggie gave no indication that she knew otherwise. Maybe it was true. Maybe I had an honest-to-goodness first-time offender for a client. "It doesn’t matter whether he’s done anything before”, Maggie said. "What matters is what he did last night. She opened the file and quickly checked through the photos until she saw the one she liked and snatch it out. "Here’s what your pillar of the community did last night. So I don’t really care what he did before. I’m just going to make sure he doesn’t get out to do this again. The photo was an 8 × 10 close-up of a woman’s face. The swelling around the right eye was so extensive that the eye was completely and tightly closed. The nose was broken and pushed off center. Blood-soaked gauze protruded from each nostril. There was a deep gash over the right eyebrow that had been closed with nine butterfly stitches. The lower lip was cut and had a marblesized swelling as well. The worst thing about the photo was the eye that was undamaged. The woman looked at the camera with fear, pain and humiliation undeniably expressed in that one tearful eye. "If he did it,” I said, because that is what I would be expected to say. "Right," Maggie said. “Sure, if he did it. He was only arrested in her home with her blood on him, but you’re right, that’s a valid question." "I like it when you’re sarcastic. Do you have the arrest report there? I’d like to get a copy of it.” "You can get it from whoever takes the case over from me. No favors, Haller. Not this time." I waited, expecting more banter, more indignation, maybe another shot across the bow, but that was all she said. I decided that getting more out of her on the case was a lost cause. I changed the subject. "So," I said. "How is she?" "She’s scared shitless and hurting like hell. How point. Ça m’étonne toujours de voir combien de clients mentent dès qu’on leur demande s’ils ont déjà eu maille à partir avec la justice, alors que ce genre de mensonges n’a aucune chance de résister à l’examen. Mais Maggie ne me laissa pas entendre qu’il en serait allé autrement. Il n’était donc pas impossible que ce soit vrai. Peut-être tenais-je enfin un client qui ne mentait pas en affirmant ne pas être récidiviste. – De toute façon, me précisa-t-elle, qu’il ait ou n’ait pas fait quelque chose avant n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est ce qu’il a fait hier soir. Elle rouvrit son dossier et feuilleta rapidement les photos avant de m’en sortir une qui lui plaisait bien. – Tiens! Voilà ce que ton pilier de la communauté a fait hier soir. Voilà pourquoi je me fiche pas mal de ce qu’il a pu faire avant. Je vais m’assurer qu’il ne puisse jamais ressortir de taule pour recommencer ce genre de choses. De format 18 × 24, le cliché montrait un visage de femme en gros plan. Les chairs autour de l’œil droit étaient tellement gonflées qu’il était complètement fermé. Le nez, lui, était cassé et décentré, de la gaze trempée de sang sortant des deux narines. Au-dessus du sourcil droit, une profonde entaille avait été recousue à I’aide de neuf points de suture. La lèvre inférieure était coupée et s’ornait d’une grosseur de la taille d’une bille. Le pire était encore l’œil qui n’avait pas souffert. La victime regardait l’appareil photo d’un air apeuré, la douleur et l’humiliation se lisant clairement dans cet œil qui pleurait. – Si c’est bien lui qui a fait ça, lui renvoyai-je parce que c’était ce qu’on attendait de moi. – Évidemment, dit-elle, si c’est bien lui qui a fait ça. On l’a arrêté chez elle et on a trouvé du sang de la victime sur lui, mais tu as raison : c’est une question qui se pose. – J’adore quand tu fais dans le sarcasme. Tu as le PV d’arrestation ? J’aimerais bien en avoir une copie. – Tu pourras en demander une à la personne qui reprendra l’affaire après moi. Pas question de te rendre service, monsieur Haller. Pas ce coup-ci. Je m’attendais à d’autres railleries, à plus d’indignation, voire à une flèche décochée en traître, mais elle n’en dit pas plus, Je compris qu’essayer de lui soutirer autre chose sur cette affaire serait peine perdue. Je changeai de sujet. – Bon, dis-je, comment va-t-elle ? – Elle a une trouille à chier et souffre le martyre. Qu’est-ce que tu crois ? Elle me regarda et, dans l’instant, je retrouvai la condamnation dans ses yeux. 199 else would she be?" She looked up at me and I saw the immediate recognition and then judgment in her eyes. "You weren’t even asking about the victim, were you?" I didn’t answer. I didn’t want to lie to her. "Your daughter is doing fine," she said perfunctorily. “She likes the things you send her but she would rather you show up a little more often." That wasn’t a shot across the bow. That was a direct hit and it was deserved. It seemed as though I was always chasing cases, even on weekends. Deep down inside I knew I needed to start chasing my daughter around the backyard more often. The time to do it was going by. "I will," I said. “Starting right now. What about this weekend?" "Fine. You want me to tell her tonight?" "Uh, maybe wait until tomorrow so I know for sure." She gave me one of those knowing nods. We had been through this before. “Great. Let me know tomorrow." This time I didn’t enjoy the sarcasm. "What does she need?" I asked, trying to stumble back to just being even. "I just told you what she needs. More of you in her life." "Okay, I promise. I will do that." She didn’t respond. "I really mean that, Maggie. I’ll call you tomorrow." She looked up at me and was ready to hit me with both barrels. She had done it before, saying I was all talk and no action when it came to fatherhood. But I was saved by the start of the court session. The judge came out of chambers and bounded up the steps to the bench. The bailiff called the courtroom to order. Without another word to Maggie l left the prosecution table and went back to one of the seats along the bar. The judge asked his clerk if there was any business to be discussed before the custodies were brought out. There was none, so the judge ordered the first group out. As with the courtroom in Lancaster, there was a large holding area for in-custody defendants. I got up and moved to the opening in the glass. When I saw Roulet come through the door I signaled him over. – Ce n’était même pas de la victime que tu parlais, n’est-ce pas ? Je gardai le silence. Je n’avais pas envie de lui mentir. – Ta fille va bien, me répondit-elle d’un ton indifférent. Ce que tu lui as envoyé lui plaît, mais elle préférerait que tu te pointes un peu plus souvent. Ce n’était pas un coup en traître. Il avait fait mouche et je le méritais. En vérité, je passais mon temps à courir après le client, y compris le week-end. Tout au fond de moi, je savais que j’aurais mieux fait de courir un peu plus souvent après ma fille dans le jardin. L’heure d’y aller avait plus que sonné. – Je vais le faire, dis-je. Tout de suite. Qu’est-ce que tu dirais de ce week-end ? – Parfait. Tu veux que je le lui annonce ce soir ? – Euh... vaudrait peut-être mieux attendre demain, que je sois sûr. Elle m’asséna un de ses petits regards entendus. Ce n’était pas la première fois qu’on jouait à ça. – Génial. Tu me dis demain. Cette fois, je n’appréciai guère le sarcasme. – De quoi a-t-elle besoin ? lui demandai-je en essayant d’être au moins à égalité avec elle. – Ce dont elle a besoin, je viens de te le dire. Que tu existes plus dans sa vie. – D’accord, c’est promis. Je m’y attaque. Elle ne réagit pas. – Et je ne plaisante pas, Maggie. Je t’appellerai demain. Elle me regarda – elle était prête à me flinguer plein pot. Elle l’avait déjà fait en me signifiant que côté paternité, je n’étais qu’un baratineur qui ne faisait jamais rien. Je fus sauvé par l’ouverture de la séance. Le juge venait de sortir de son cabinet, déjà il bondissait sur les marches pour gagner son siège. L’huissier ayant rappelé tout le monde à l’ordre, je quittai la table de l’accusation et regagnai un des sièges près de la barre sans ajouter un mot à l’adresse de Maggie. Le juge demanda à l’huissier s’il y avait des problèmes de procédure à discuter avant qu’on fasse appeler les prévenus. Il n’y en avait pas, il ordonna qu’on fasse entrer le premier groupe. Comme au tribunal de Lancaster, ils avaient droit à un grand box. Je me levai et me dirigeai vers l’ouverture pratiquée dans le panneau en verre. Dès que je le vis franchir la porte, je fis signe à Roulet de s’approcher. – C’est vous qui passez en premier, lui dis-je. J’ai demandé au juge de me rendre un service et de ne pas vous prendre par ordre alphabétique. Je vais essayer 200 “You’re going first," I told him. "I asked the judge de vous faire sortir d’ici au plus vite. to take you out of order as a favor. I want to try to Ce n’était pas vrai. Je n’avais rien demandé au juge et get you out of here." même si je l’avais fait, il n’aurait jamais fait un truc pareil pour me rendre service. Si Roulet passait en This was not the truth. I hadn’t asked the judge premier, c’était parce qu’il y avait des médias dans la anything, and even if I had, the judge would do no salle et qu’il était de coutume de traiter en premier les such thing for me as a favor. Roulet was going first affaires qui attiraient leur présence. Simple courtoisie because of the media presence in the courtroom. envers des cameramen que, sans doute, d’autres It was a general practice to deal with the media tâches attendaient. Cela permettait aussi qu’il y ait cases first. This was a courtesy to the cameramen moins de tensions dans la salle lorsque avocats, who supposedly had other assignments to get to. prévenus, voire le juge lui-même, tout le monde But it also made for less tension in the courtroom pouvait enfin travailler sans avoir de caméras de when lawyers, defendants and even the judge télévision braquées sur soi. could operate without a television camera on – Pourquoi il y a cette caméra ? me chuchota Roulet them. d’un ton paniqué. C’est pour moi ? – Oui, c’est pour vous. Quelqu’un a dû les mettre au “Why’s that camera here?" Roulet asked in a courant de votre affaire. Si vous ne voulez pas être panicked whisper. "Is that for me?" filmé, essayez de vous planquer derrière moi. "Yes, it’s for you. Somebody tipped him to the Il changea de position afin que je puisse bloquer la vue case. If you don’t want to be filmed, try to use me à l’opérateur qui avait pris place à l’autre bout de la as a shield." salle. La manœuvre diminuerait les chances qu’aurait Roulet shifted his position so I was blocking the ce dernier de pouvoir vendre son reportage à une view of him from the camera across the chaîne d’infos locales. Ce qui était bon. Cela signifiait courtroom. This lowered the chances that the aussi que, si jamais il y arrivait, ce serait moi qui serais cameraman would be able to sell the story and au centre de l’image. Ce qui était bon aussi. film to a local news program. That was good. It L’affaire étant appelée par un huissier qui écorcha le also meant that if he was able to sell the story, I nom du prévenu, Maggie annonça qu’elle plaiderait would be the focal point of the images that went pour l’accusation avant que je déclare assurer la with it. This was also good. défense de Roulet. Maggie en avait rajouté sur les The Roulet case was called, his name charges – Maggie McFierce ne procédait jamais mispronounced by the clerk, and Maggie autrement. Roulet devait maintenant répondre d’une announced her presence for the prosecution and accusation de tentative de meurtre en plus de celle de then I announced mine. Maggie had upped the tentative de viol. Plaider pour la mise en détention charges, as was her usual MO as Maggie sans possibilité de libération sous caution n’en serait McFierce. Roulet now faced attempted murder que plus facile pour elle. along with the attempted rape count. It would Le juge informa Roulet des droits qui lui étaient make it easier for her to argue for a no-bail hold. garantis par la Constitution et fixa la date de la mise en accusation formelle au 2l mars. Au nom de mon client, The judge informed Roulet of his constitutional je demandai à plaider contre la mise en détention sans rights and set an arraignment date for March 21. possibilité de libération sous caution. Cela déclencha Speaking for Roulet, I asked to address the no-bail une série d’échanges houleux entre Maggie et moi, hold. This set off a spirited back-and-forth échanges qu’arbitra le juge qui savait fort bien que between Maggie and me, all of which was nous avions été mariés, ayant lui-même assisté à la refereed by the judge, who knew we were cérémonie. Maggie dressant la liste des atrocités formerly married because he had attended our infligées à la victime, je lui renvoyai celle des liens qui wedding. While Maggie listed the atrocities unissaient mon client à la communauté. J’y ajoutai ses committed upon the victim, I in turn listed dons aux œuvres, montrai du doigt C. C. Dobbs qui se Roulet’s ties to the community and charitable trouvait dans le public et proposai qu’il vienne dire à la efforts and pointed to C. C. Dobbs in the gallery barre combien mon client était respectable. Dobbs and offered to put him on the stand to further était mon atout maître. Sa propre respectabilité dans discuss Roulet’s good standing. Dobbs was my ace le monde de la justice allait s’imposer à la place de 201 in the hole. His stature in the legal community would supersede Roulet’s standing and certainly be influential with the judge, who held his position on the bench at the behest of the voters—and campaign contributors. “The bottom line, Judge, is that the state cannot make a case for this man being a flight risk or a danger to the community," I said in closing. "Mr. Roulet is anchored in this community and intends to do nothing other than vigorously attack the false charges that have been leveled against him." I used the word attack purposely in case the statement got on the air and happened to be watched by the woman who had leveled the charges. "Your Honor," Maggie responded, "all grandstanding aside, what should not be forgotten is that the victim in this case was brutally——” "Ms. McPherson," the judge interrupted. "I think we have gone back and forth on this enough. I am aware of the victim’s injuries as well as Mr. Roulet’s standing. I also have a busy calendar today. I am going to set bail at one million dollars. I am also going to require Mr. Roulet to be supervised by the court with weekly check-ins. If he misses one, he forfeits his freedom." I quickly glanced out into the gallery, where Dobbs was sitting next to Fernando Valenzuela. Dobbs was a thin man who shaved his head to hide male—pattern balding. His thinness was exaggerated by Valenzuela’s girth. I waited for a signal as to whether I should take the judge’s bail order or try to argue for a lower amount. Sometimes, when a judge thinks he is giving you a gift, it can backfire to press for more—or in this case less. Dobbs was sitting in the first seat in the first row. He simply got up and started to walk out of the courtroom, leaving Valenzuela behind. I took that to mean that I should leave well enough alone, that the Roulet family could handle the million. I turned back to the bench. "Thank you, Your Honor," I said. The clerk immediately called the next case. I glanced at Maggie as she was closing the file on the case she would no longer prosecute. She then celle de Roulet et influencer en bien un juge qui ne devait son poste qu’au bon vouloir des électeurs... et de ceux et celles qui contribuaient à sa campagne. – Le fond du problème, monsieur le juge, c’est que l’accusation est dans l’impossibilité d’arguer que cet homme puisse vouloir s’enfuir ou constituer un danger pour la communauté, lançai-je en guise de conclusion. M. Roulet est profondément ancré dans cette communauté et a pour seule et unique intention celle de s’attaquer avec la dernière vigueur aux accusations portées contre lui. J’avais eu recours au mot « s’attaquer » au cas où, ma déclaration passant à la télé, la victime aurait pu m’entendre. – Monsieur le juge, me contra Maggie, toute démagogie mise à part, ce qu’il ne faut pas oublier dans cette affaire, c’est que la victime a été brutalement… – Maître McPherson, l’interrompit le juge, je pense que nous en avons assez entendu sur ce point. Je suis tout aussi conscient des blessures de la victime que de la place de M. Roulet dans la communauté. Sans même parler du fait que j’ai beaucoup d’affaires à régler aujourd’hui. Je vais donc ordonner une caution d’un million de dollars. Et je vais aussi exiger que M. Roulet soit suivi par la cour à raison d’une visite par semaine. Qu’il en manque une seule et ce sera la fin de sa liberté. Je m’empressai de jeter un coup d’œil à la galerie, où Dobbs avait pris place à côté de Fernando Valenzuela. Maigre, Dobbs était un monsieur qui se rasait la tête afin de cacher un début de mâle calvitie. Sa maigreur était accentuée par l’embonpoint de Valenzuela. J’attendis qu’il me fasse signe d’accepter la caution ou d’essayer d’en abaisser le montant. Il arrive que, un juge pensant vous avoir fait un cadeau, l’affaire se retourne contre vous et que le client demande plus – ou, dans ce cas, moins. Dobbs s’était posé sur le premier siège du premier rang. ll se contenta de se lever et de se diriger vers la sortie en laissant Valenzuela derrière lui. J’en conclus que je pouvais laisser tomber, la famille Roulet ne trouvant rien à redire à ce million. Je me retournai vers le juge. – Merci, monsieur le juge, lui lançai-je. L’huissier appela aussitôt l’affaire suivante. Je jetai un coup d’œil à Maggie, qui refermait déjà ce dossier qui lui échappait. Elle se leva, longea la barre et descendit dans l’allée centrale de la salle d’audience. Elle n’avait rien ajouté et ne regarda pas une fois en arrière. – Monsieur Haller ? 202 stood up and walked out through the bar and down the center aisle of the courtroom. She spoke to no one and she did not look back at me. "Mr. Haller?” I turned to my client. Behind him I saw a deputy coming to take him back into holding. He’d be bused the half block back to jail and then, depending on how fast Dobbs and Valenzuela worked, released later in the day. "I’ll work with Mr. Dobbs and get you out," I said. "Then we’ll sit down and talk about the case." "Thank you," Roulet said as he was led away. "Thank you for being here." "Remember what I said. Don’t talk to strangers. Don’t talk to anybody.” "Yes, sir." After he was gone I walked to the bar. Valenzuela was waiting at the gate for me with a big smile on his face. Roulet’s bail was likely the highest he had ever secured. That meant his cut would be the highest he’d ever received. He clapped me on the arm as I came through the gate. Je me retoumai vers mon client. Derrière lui, je vis arriver l’adjoint au shérif qui allait le ramener en cellule. Roulet serait ensuite reconduit à la prison en bus, puis, plus ou moins vite selon la manière dont Dobbs et Valenzuela s’y prendraient, libéré dans la journée. – Je vais travailler avec Dobbs pour vous faire sortir, lui dis-je. Après quoi, nous discuterons de votre affaire. – Merci, répondit-il alors qu’on l’emmenait. Merci d’être venu. – N’oubliez pas ce que je vous ai dit. On ne parle pas à un inconnu. On ne parle à personne. – Oui, monsieur. Après son départ, je gagnai la barre. Valenzuela m’attendait au portillon avec un grand sourire sur la figure. La caution de Roulet devait être la plus forte qu’il ait jamais eu à garantir. Cela voulait dire que son pourcentage serait lui aussi le plus haut qu’il ait jamais empoché. ll me flanqua une grande claque sur le bras au moment où je franchissais le portillon. – Qu’est-ce que j’t’avais dit ? me lança-t-il. On se le tient, ce pactole, Boss ! – Nous verrons bien, Val, lui répliquai-je. Nous verrons "What’d I tell you?" he said. "We got ourselves a bien. franchise here, boss." Corpus Viralsovy "We’ll see, Val," I said. "We’ll see." At lunchtime the next day, Becca and I walk up the road to get a sandwich, and I tell her about GoodNews, and the theatre, and the street kid, and even about the lovemaking. (‘Ugh!’ she says. ‘Your own husband? How disgusting!’) And then, suddenly, she grabs my arm. ‘Katie! My God!’ ‘What?’ ‘Shit!’ ‘What? You’re frightening me.’ ‘David’s sick.’ ‘How do you know?’ ‘Change of personality. And did you say something about a headache?’ My stomach lurches. This is text-book stuff. This is the sinister medical explanation for his behaviour. David almost certainly has a brain tumour. How could I have been so oblivious? I run back to work and phone him. À l’heure du déjeuner le lendemain, tandis que Becca et moi nous remontons la rue pour acheter un sandwich, je lui raconte GoodNews, le théâtre, le SDF, et même la par-lie de jambes en l’air. (« Pouah! s’exclame-t-elle. Avec ton propre mari? Mais c’est dégoûtant! ») Et puis, tout d’un coup, elle me prend le bras. — Katie! Bon Dieu! — Quoi? — Merde! — Quoi? u me fais peur. — David est malade. — Comment tu sais? — Altération de la personnalité. Et tu ne m’as pas dit qu’il avait mal à la tête? J’en ai l’estomac retourné. Moi, un médecin. Mais bien sûr, voilà l’explication à sa conduite une sinistre histoire médicale. David a une tumeur au cerveau. Comment ai-je pu être aveugle à ce point? Je rentre en courant à la clinique et je lui téléphone. 203 ‘David. I don’t want you to panic, but please listen carefully and do exactly what I say. You probably have a brain tumour. You have to go to hospital and have a CAT scan, urgently. We can get you the referral here, but…' ‘Katie...’ ‘Please listen. We can get you the referral here, but….' ‘Katie, there’s nothing wrong with me.’ ‘Well, let’s hope not. But these are classic symptoms. ‘Are you saying this because I’ve started to be nice to you?’ ‘Well, yes. And then there was the theatre.’ ‘You think that if I enjoyed a play I must have a brain tumour?’ ‘And the money. And the sex the other night.’ There’s a long pause. ‘Katie, I’m so sorry. ‘And that’s the other thing. You keep apologizing all the time. David, I think you may be very ill.’ ‘It’s so sad.’ ‘It might not be. But I do think...’ ‘No, no. Not that. It’s so sad that the only explanation you can come up with for all this is that I’m about to die. I’m really not, I promise. We should talk.’ And he puts the phone down. David won’t discuss his tumour until we are alone, and even then I don’t really grasp what he’s saying. ‘He didn’t use cream,’ is how he chooses to begin. ‘I’m sorry?’ ‘DJ GoodNews. He didn’t use cream.' ‘Right. So...' I attempt to locate the import of this clearly important announcement, and fail. ‘So ... Molly was right? Is that it?’ ‘Oh. Yes. Sure. Absolutely. She was right all along. But don’t you see? He just used his hands.’ ‘Right. No cream, then.’ ‘No.’ ‘OK. Thank you for telling me. I've…I’ve got a clearer picture of the whole thing now.’ ‘That’s what all this is about. How it all started, David, pas de panique, mais écoute-moi bien et fais ce que je te dis. Tu as sans doute une tumeur au cerveau. Il faut que tu fonces à l’hôpital et que tu te fasses faire d’urgence un IRM. On leur téléphonera d’ici pour les prévenir, mais... — Katie. — Ecoute-moi, je t’en prie. On va te faire une ordonnance, mais... — Katie, je vais très bien. — Bon, espérons. Mais ce sont des symptômes classiques. — Tu crois ça parce que je suis devenu gentil avec toi? — Eh bien, oui. Et puis il y a le théâtre. — Tu crois que j’ai aimé la pièce parce que j’ai une tumeur au cerveau? — Sans parler du SDF. Et du lit l’autre soir. Longue pause. — Katie, je suis désolé. — Justement. Tu n’arrêtes pas de t’excuser. David, je crois que hi es très malade. — C’est triste. — Je me trompe peut-être. Mais je pense que... — Non, non. Je ne parle pas de ça. Je trouve attristant que la seule explication que tu trouves, c’est que je suis mourant. Je vais très bien, je te jure. Il faut qu’on se parle. Sur quoi il raccroche. David refuse de discuter de sa tumeur tant que nous ne sommes pas seuls tous les deux, et même alors je ne comprends pas très bien ce qu’il raconte. — Il ne s’est pas servi de crème, déclare-t-il en guise d’entrée en matière. — Quoi? — D.J. GoodNews. Il n’a pas utilisé de crème. — Bien. Alors... J’essaye en vain de saisir le sens caché de ce détail à mes yeux insignifiant. — ... Alors Molly avait raison? C’est ça? — Oui. Bien sûr. C’est cela même. Elle avait raison. Tu vois ce que je veux dire? Il s’est juste servi de ses mains. — Bien. Pas de crème. — Non. — Bon. Merci de me le dire. J’ai... les idées un peu 204 anyway.' ‘All what?’ David gestures outwards impatiently, at everything in the world. ‘All … well, me. This. The money the other night. The…the problem with my column. All of it. The change of... I don’t know, the change of atmosphere. You’ve presumably noticed the change in atmosphere? I mean, that’s why you thought I was ill, right? Well. That’s... That’s where it all comes from.' ‘It all comes from your friend GoodNews not using cream?’ ‘Yeah. Sort of. I mean, no cream was... That was the… Oh, I can’t explain this. I thought I could and I can’t.’ I cannot recall David ever being like this — inarticulate, agitated, acutely embarrassed. ‘I’m sorry.' ‘That’s OK. Take your time.’ ‘That’s where I went. For my two days. I went to stay with GoodNews.’ ‘Oh. Right.’ This is how we were taught to respond: listen carefully to what the patient says, don’t interject, let him finish, even if that patient is your husband and he has gone completely mad. ‘You don’t think I’ve gone completely mad?’ ‘No. Of course not. I mean, if that’s what you thought you wanted to do, and it helped...’ ‘He’s changed my life.’ ‘Yes. Well. Good for you! And good for him!’ ‘You’re patronizing me.' ‘I’m sorry. I’m finding it difficult to... to grasp, all this.’ ‘I can understand that. It’s... It’s all a bit weird.’ ‘Can I ask a question?’ ‘Yes. Of course.' ‘Will you explain about the cream?’ ‘He wasn’t using any.’ ‘Sure, sure, I have understood that much. He wasn’t using any cream. I’m just trying to make plus claires. — C’est toute l’histoire. C’est comme ça que tout ça a commencé. — Quoi... tout ça? David ouvre les bras d’un geste impatient, comme pour englober le monde entier. — Ah... eh bien, moi. Ça. L’argent l’autre soir. Le... le problème avec ma rubrique. Tout ça, quoi. Le changement de... je ne sais pas, le changement d’atmosphère. Tu as remarqué, pour l’atmosphère? Je veux dire, c’est pour ça que tu pensais que j’étais malade, hein ? Eh bien. C’est que tout...tout vient de là. — Tout vient de ce que ton ami GoodNews ne s’est pas servi de crème? — Ouais. Plus ou moins. Je veux dire, l’absence de crème... Ça a été le... Oh, je ne trouve pas mes mots. Je pensais que je pourrais expliquer, mais je ne peux pas. Je n’ai jamais vu David dans cet état bredouillant, ne tenant pas en place, presque gêné. — Je suis désolé. — Ça ne fait rien. Prends ton temps. — C’est chez lui que j’étais. Pendant ces deux jours. Chez GoodNews. — Ah, d’accord. C’est ainsi qu’on nous apprend à nous comporter devant un malade écouter ce qu’il nous dit, ne pas intervenir, le laisser finir, même si ce malade se trouve être votre mari et qu’il a perdu la tête. — Tu ne penses pas que j’ai perdu la tête? — Non. Bien sûr que non. Je veux dire, si c’est ce que tu avais envie de faire, et si ça t’a fait du bien. . . — Il a changé ma vie. — Oui. Bien. Tant mieux pour toi! Tant mieux pour lui! — Tu as un ton condescendant. — Excuse-moi. Mais je trouve que c’est difficile à comprendre... tout ça. — Je sais. C’est... c’est bizarre. — Je peux te poser une question? — Oui. Bien sûr. — Vas-tu m’expliquer cette histoire de crème? — Il n’en a pas mis. — Oui, oui, cette partie-là, j’ai pigé. Il ne s’est pas servi de crème. J’essaye d’établir un lien logique 205 the link between… between him not using any cream and you giving eighty quid to that homeless kid. It’s not immediately obvious.’ ‘Yes. Right. OK.’ He takes a deep breath. ‘I only went to see him in the first place because I thought it would annoy you.' ‘I guessed.’ ‘Yes, well. I’m sorry. Anyway. He lives in this little fiat above a minicab office behind Finsbury Park station, a real dump, and I was just going to go home. But I sort of felt sorry for him, so... I told him about my back, and where it hurt, and I asked him what he thought he could do for me. Because if he’d said he was going to manipulate me or, you know, do anything that would make it worse, I wouldn’t have let him anywhere near me. But he just said that he’d touch it, nothing more, just put his hands there and the pain would go away. He said it would take him two seconds, and if nothing happened I wouldn’t have to pay him. So I thought, what the hell, and anyway he’s only a skinny little guy and... Anyway. I took my shirt off and lay down on his couch, face down — he hasn’t even got a treatment table or anything — and he touched me and his hands got incredibly hot.’ ‘How do you know they weren't hot already?’ ‘They were cold when he ... when he first put them on my back, and they just started to warm up. And that’s why I thought he was using Deep Heat or something. But he didn’t massage me, or rub anything in. He just touched me, very gently, and... and all the pain went. Straight away. Like magic.’ ‘So this guy’s a healer. Like a faith healer.’ ‘Yeah.’ He thinks for a moment, as if trying to think of something that might make this easier for a couple of middle-class, universityeducated literalists to understand — by which I mean, I suppose, that he would like to find something that makes it seem more difficult — less straightforward, more complicated, cleverer. It’s not very hard to grasp that entre... entre l’absence de crème et les quatre-vingts livres que tu as données à ce jeune SDF. Ça ne saute pas aux yeux. — Bon, d’accord. Il prend une profonde inspiration avant d’ajouter: — Au départ, si je suis allé le voir, c’est parce que je me suis dit que ça allait t’emmerder. — C’est bien ce que je pensais. — Bon. Écoute, je suis désolé. En tout cas... Je suis allé le voir dans son petit appart au-dessus d’un bureau de radio-taxis derrière la station Finsbury Park, un vrai taudis, je te dis que ça, et sur le moment j’ai bien failli repartir aussi sec. Mais il m’a fait pitié, alors... Je lui ai parlé de mon dos, je lui ai décrit la douleur, et je lui ai demandé s’il pensait pouvoir faire quelque chose pour moi. S’il avait répondu qu’il allait me manipuler, ou faire un truc qui risquait d’aggraver mon état, je ne l’aurais pas laissé approcher. Mais il m’a promis qu’il se contenterait de toucher le point douloureux, rien de plus, juste poser sa main dessus, et que je n’aurais plus mal. Ça prendrait deux secondes, et si rien ne se passait, je n’aurais pas à le payer. Alors je me suis dit, pourquoi pas, je risque rien avec ce petit maigrichon... Et voilà. J’ai enlevé ma chemise et je me suis allongé à plat ventre sur son canapé ; il n’a même pas de table d’examen, rien. Et il m’a touché et ses mains sont devenues très chaudes. — Elles l’étaient peut-être déjà? — Elles étaient froides quand il... la première fois qu’il les a posées sur mon dos, et ensuite elles ont commencé à se réchauffer. C’est pour ça que je me suis dit qu’il devait utiliser une crème. Mais il ne m’a pas fait de massage, rien. Il m’a juste touché, très doucement... et la douleur est partie. Tout de suite. Comme par magie. — C’est une sorte de guérisseur spirituel, en somme, ce type. — Ouais. Il réfléchit un moment, comme pour trouver un angle qui faciliterait la compréhension de ce phénomène par un couple éduqué, petit-bourgeois et rationnel — un angle, je suppose, qui rendrait la chose un peu plus complexe, moins évidente, plus intellectuelle. Car c’est si simple, après tout: le guérisseur spirituel vous touche, vous vous sentez mieux, vous rentrez chez 206 someone is a healer, after all: he touches you, you feel better, you go home. What is there not to understand? It’s just that everything else you have ever believed about life becomes compromised as a result. David gives up the struggle to complexify with a shrug. ‘Yeah. It’s... amazing. He has a gift.’ ‘So. Great. Hurrah for GoodNews. He’s made your back better, and he made Molly’s eczema go away. We’re lucky you found him.’ I try to say all this in a way that draws a line under this whole conversation, but I’m guessing that this is not the end of the story. ‘I didn’t want him to be a healer.’ ‘What did you want him to be?’ ‘Just... I don’t know. Alternative. That’s why me and Molly had that row about the cream. It freaked me out a bit, and I wanted there to be this, I don’t know, this magic cream from Tibet or somewhere that conventional medics knew nothing about. I didn’t want it just to be his hands. Do you understand?’ ‘Yes. Sort of. You’re happier with magic cream than with magic hands. Is that it?’ ‘Cream’s not magic, is it? It’s just... medicine.' This is typical of ignorant rationalists. For all they know, aspirin could be the most dramatic example of white witchcraft known to mankind, but because you can buy it in Boots it doesn’t count. ‘It’d be magic if it cured back pain and eczema. ‘Anyway. It freaked me out a bit. And then the thing with the headache...’ ‘I had forgotten about the headache.’ ‘Well that was when things started to go weird. Because ... I don’t even know why I told him I had a headache, but I did, and he looked at me, and he said, I can help you with a lot of things that are troubling you, and he touched me on the… here...’ ‘The temples.’ ‘Right, he touched me on the temples, and the headache went, but I started to feel... vous. Qu’y a-t-il à comprendre? Sauf que toutes les notions que vous avez acquises sont ébranlées. David abandonne avec un haussement d’épaules. — Quais. C’est... incroyable. Il a un don. — Bon. Bravo. Bravo GoodNews. Il t’a fait du bien au dos, et il a fait disparaître l’eczéma de Molly. Tu as du bol d’être tombé sur lui. Je m’exprime sur un ton qui signifie : et maintenant, tournons la page, bien que je devine que son histoire n’est pas terminée. — Je ne voulais pas qu’il soit un guérisseur spirituel. — Tu voulais qu’il soit quoi? — Juste... je ne sais pas. Une médecine parallèle. C’est pourquoi j’ai houspillé Molly. Ça m’a fichu la trouille, j’aurais préféré qu’on vienne de découvrir une nouvelle crème, une crème tibétaine, mettons, dont les médecins n’auraient jamais entendu parler. Je n’arrivais pas à accepter que ce soient seulement ses mains. Tu comprends? — Oui. Plus ou moins. Tu aurais préféré une crème magique à des mains magiques. C’est ça? — Une crème ne peut pas être magique, si? C’est un... médicament. Voilà qui est typique du rationalisme quand il se double d’ignorance. L’aspirine est peut-être l’exemple le plus spectaculaire de magie blanche connu à ce jour, mais parce que l’aspirine s’achète en pharmacie, cela ne compte pas. — Elle serait considérée comme magique si elle guérissait à la fois le mal de dos et l’eczéma. — Toujours est-il que ça m’a fichu la trouille. Et ensuite, il y a eu ce truc avec mon mal de tête... — J’avais oublié la tête. — C’est là que ça a commencé à devenir bizarre. Parce que... Je ne sais même pas pourquoi je lui ai dit que j’avais mal au crâne, mais je l’ai fait, et il m’a regardé, et puis il m’a dit, je peux vous aider avec beaucoup de choses qui ne vont pas chez vous, et il m’a touché ici... là... — Les tempes. — Qui, il m’a touché les tempes, et mon mal de tête est parti, mais après je me suis senti... différent. 207 different.’ ‘What kind of different?’ ‘Just... Calmer.’ ‘That was when you told me you were going away and I had to tell the kids we were getting divorced.’ ‘I was calm. I didn’t rant and rave. I didn’t get sarcastic.’ I remember my feeling that there was something different about him then, and in remembering find a new way to become sad and regretful and self-pitying: my husband visits a healer, is thus magically rendered calmer, and the only benefit for me is that he expresses without viciousness his desire for a separation. Except, of course, things have moved on since then, and there are countless benefits for me, none of which I enjoy. I hear my brother’s ‘Diddums’ ringing in my ear. ‘And then you went to stay with him?’ ‘I didn’t know I was going to stay with him. I just... I wanted to see if he could do the thing with the head again, and maybe try to find out what was going on when he did it. I was thinking of writing about him, about the eczema and everything, and... I just ended up staying and talking for a couple of days.’ ‘As one does.' ‘Please, Katie. I don’t know how to talk about this. Don’t make it hard.’ Why not? I want to ask. Why shouldn’t I make it hard? How often have you made things easy for me? ‘Sorry,’ I say. ‘Go on.’ ‘He doesn’t say very much. He just looks at you with these piercing eyes and listens. I’m not even sure whether he’s very bright. So it was me who did all the talking. He just sort of sucked it all out of me.’ ‘He seems to have sucked everything out of you.’ ‘Yes, he did. Every bad thing. I could almost see it coming out of me, like a black mist. I didn’t realize I was so full of all this stuff.’ ‘And what makes him so special? How come — Comment cela, différent? — Juste... Plus calme. — Ça c’est quand tu m’as annoncé que tu partais et que je devais dire aux enfants que nous allions divorcer. — J’étais calme. Finis la colère, les cris, les sarcasmes. Je me rappelle en effet l’avoir trouvé changé ce jour-là, et ce souvenir me donne une nouvelle raison d’être triste et nostalgique, de m’apitoyer sur moi-même : mon mari va voir un guérisseur spirituel, comme par magie il est soudain plus calme, et le seul avantage que j’en tire, c’est qu’il exprime sans méchanceté son désir de séparation. Sauf, bien entendu, que les choses ont évolué depuis, et que les avantages se sont multipliés, sans que je profite d’un seul d’entre eux, hélas. J’entends d’ici les «Tu m’en diras tant» de mon frère. — Ensuite tu es parti chez lui? — Je ne savais pas que j’allais dormir chez lui. Je... je voulais voir s’il pouvait refaire le truc de la tête, pour comprendre ce qui s’était passé. Je me disais que j’allais écrire un article sur lui, sur cette histoire d’eczéma et tout, et... Eh bien, j’ai fini par passer deux jours chez lui. — Ce sont des choses qui arrivent. — Je t’en prie, Katie. J’ai déjà du mal à parler de tout ça. Tu ne me facilites pas la tâche. Et pourquoi je te la faciliterais? ai-je envie de répliquer. Il n’y a pas de raison. Combien de fois m’as-tu facilité les choses, à moi? — Pardon, dis-je tout haut. Continue. — Il n’est pas bavard. Il se contente de te regarder avec ses yeux perçants et il t’écoute. Je ne suis même pas certain qu’il soit intelligent. Bref, c’est moi qui ai parlé tout le temps. Il a juste aspiré tout ce que j’avais en moi. — On dirait bien en effet qu’il a tout aspiré. — Oui. Tout ce qui était mauvais en moi. J’ai vu tout ça sortir de moi, comme un brouillard noir. J’étais bouffé à l’intérieur, lu vois. — Et qu’est-ce qui le rend si spécial? Comment se fait208 he can do it and no one else could?’ ‘I don’t know. He just... He just has this aura about him. This’ll sound stupid, but... He touched my temples again, when I was talking to him, and I just felt this, this amazing warmth flood right through me, and he said it was pure love. And that’s what it felt like. Do you understand how panicky it made me feel?’ I do understand, and not just because David is an unlikely candidate for a love bath. Love baths are... not us. Love baths are for the gullible, the credulous, the simple-minded, people whose brains have been decayed like teeth by soft drugs, people who read Tolkien and Erich Von Daniken when they are old enough to drive cars ... let’s face it, people who don’t have degrees in the arts or sciences. It is frightening enough just listening to David’s story, but to undergo the experience must have been terrifying. ‘So now what?’ ‘The first thing I thought afterwards was that I had to do everything differently. Everything. What I have been doing isn’t enough. Not enough for you. Not enough for me. Not enough for the kids, or the world, or... or...' He grinds to a halt again, presumably because even though the laws of rhetoric and rhythm require a third noun, the reference to the world has left him with nowhere to go, unless he starts babbling about the universe. ‘I still don’t understand what you talked about for two days.’ ‘Neither do I. I don’t know where the time went. I was amazed when he told me it was Tuesday afternoon. I talked about... about you a lot, and how I wasn’t good to you. And I talked about my work, my writing, and I found myself saying that I was ashamed of it, and I hated it for its, I don’t know, its unkindness, its lack of charity. Now and again he made me... God, I’m embarrassed.’ A sudden thought — it may or may not be a fear, I’ll have to think about that another time — comes to me. ‘There’s nothing funny going on, is there?’ il que personne d’autre n’y soit arrivé? — Je sais pas. Il a juste… cette aura. Ça a l’air idiot, mais... Il m’a touché les tempes de nouveau, pendant que je lui parlais, et je me suis senti traversé par ce flot brûlant incroyable et il a dit que c’était de l’amour à l’état pur. Et ça collait bien avec la sensation. Tu comprends pourquoi j’ai paniqué? Je comprends, et pas seulement parce que David est un candidat improbable pour un love bath. Ces choseslà... ça ne nous ressemble pas. C’est pour les gogos, les crédules, les simples d’esprit, les gens dont le cerveau est carié par les drogues douces, les gens qui lisent encore Tolkien et Erich Von Daniken alors qu’ils ont l’âge de conduire une voiture… ne tournons pas autour du pot, je parle des gens qui n’ont pas une licence ès quelque chose. On tremble rien qu’à écouter le récit de l’expérience de David, alors la vivre! Ça a dû être terrifiant. — Et après? — La première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est qu’il fallait que je change dans tous les domaines. Tous. Je n’en ai pas fait assez. Pas assez pour moi. Ni pour les enfants, ni pour le monde, ni pour... pour... Il sèche de nouveau, pour la bonne raison que même si les règles de la rhétorique et du rythme appellent l’usage d’un troisième substantif, l’allusion au monde lui laisse peu d’options si ce n’est celle d’embrayer sur l’univers. — Je n’ai toujours pas saisi de quoi tu as parlé pendant ces deux jours. — Moi non plus. Je n’ai pas vu le temps passer. J’étais stupéfait quand il m’a annoncé qu’on était mardi après-midi. J’ai parlé de... de toi, beaucoup, et de mon manque de gentillesse à ton égard. J’ai aussi parlé de mon travail, de ce que j’écrivais, et je me suis surpris à lui avouer que j’avais honte de ma prose, que je détestais tout ce fiel, cette absence de charité. De temps à autre, il m’a obligé à... Mon Dieu, que c’est gênant. Une pensée me traverse l’esprit — une crainte, peutêtre, je ne sais pas trop encore. — Il ne s’est rien passé de bizarre entre vous? 209 ‘What do you mean?’ ‘You’re not sleeping with him, are you?’ ‘No,’ he says, but blankly, with no sense of amusement or outrage or defensiveness. ‘No, I’m not. It’s not like that.’ ‘Sorry. So what did he make you do?’ ‘He made me kneel on the floor and hold his hand.’ ‘And then what?’ ‘He just asked me to meditate with him.’ ‘Right.’ David is not homophobic, although he has expressed occasional mystification at gay culture and practices (it’s the Cher thing that particularly bewilders him), but he is certainly heterosexual, right down to his baggy Y-fronts and his preference for Wright’s Coal Tar soap. There is no ambiguity there, if you know what I mean. And yet it is easier for me to imagine him going down on GoodNews than it is for me to picture him kneeling on the floor and meditating. ‘And that was OK, was it? When he asked you to meditate? You didn’t, you know, hit him or anything?’ ‘No. The old David would have, I know. And that would have been wrong.’ He says this with such earnestness that I am temporarily tempted to abandon my own position on domestic violence. ‘I must admit, it did make me feel a little uncomfortable at first, but there’s so much to think about. Isn’t there?’ I agree that yes, there is an enormous amount to think about. ‘I mean, just thinking about one’s own personal circumstances… ('One’s own personal circumstances’? Who is this man, who talks to his own wife in his own bed in phrases from ‘Thought for the Day’?)'... That could occupy you for hours. Days. And then there’s everything else...' ‘What, the world and all that? Suffering and so on?’ It is impossible not to be facetious, I am beginning to find, with someone from whom — Comment ça? — Tu ne couches pas avec lui? — Non, répond-il d’une voix neutre, ni amusé, ni choqué, et encore moins sur la défensive. Non, pas du tout. Ce n’est pas ça. — Pardon. Alors qu’est-ce qu’il t’a fait faire? — Il m’a fait agenouiller par terre et m’a tenu la main. — Et ensuite? — il m’a demandé de méditer avec lui. — Bien. David n’est pas homophobe, même s’il lui arrive de tourner en dérision la culture et les pratiques «gay» (c’est surtout le gay lesbien à la Cher qui a le don de l’interloquer). N’empêche qu’il est hétéro jusqu’à l’entrejambe flottant de son pantalon à pinces et jusqu’à sa prédilection pour le savon au coaltar. Làdessus, aucun doute possible — Si VOUS voyez ce que je veux dire. Mais curieusement, il m’est plus facile de l’imaginer s’envoyant en l’air avec GoodNews qu’à genoux en train de méditer. — Et ça s’est bien passé? Quand il t’a demandé de méditer? Tu ne lui as pas envoyé ton poing dans la figure ou un truc dans le genre? — Non. Le David d’avant l’aurait fait. C’est sûr. Et il aurait eu tort. Je suis tellement sidérée par la candeur avec laquelle il a prononcé ces derniers mots, que je suis tentée d’abandonner mon point de vue sur la violence dans le couple. — Je dois avouer qu’au début c’était un peu embarrassant, mais il y a tant de pensées qui méritent d’être examinées. N’est-ce pas? Je fais signe que oui, énormément. — Je veux dire, rien qu’au niveau de nos propres circonstances personnelles... (Nos «circonstances personnelles » ? Qui est cet homme qui s’adresse à sa femme, au lit qui plus est, en employant des phrases qu’on dirait extraites de «Une bonne pensée pour chaque jour »?) — …il y a de quoi s’occuper pendant des heures. Des jours. Sans compter tout le reste... — Tu veux dire la souffrance dans le monde et 210 all trace of facetiousness, every atom of self- tout ce qui s’ensuit? irony, seems to have vanished. Impossible de ne pas se montrer ironique avec quelqu’un chez qui toute ironie, même vis-à-vis de luimême, semble s’être évaporée. ‘Yes, of course. I had no idea how much people — Oui, bien sûr. Je ne m’étais jamais rendu suffered until I was given the time and space compte à quel point tant de gens souffraient jusqu’à ce to think about it. qu’on m’ait donné le temps et la possibilité d’y ‘So now what?’ I don’t want to go through this réfléchir. process. I want to take a short cut and go right — Bon, et maintenant? to the part where I find out what all this means En fait, je n’ai aucune envie d’entendre tout ce baratin. for me me me. Je veux prendre un raccourci jusqu’à la partie qui ne concerne que moi, moi, moi! ‘I don’t know. All I know is I want to live a — Je n’en sais rien. Tout ce que je souhaite, c’est better life. I want us to live a better life.’ mener une vie meilleure. Que nous menions une vie ‘And how do we do that?’ meilleure. ‘I don’t know. — Et comment on s’y prend? I cannot help but feel that all this sounds very — Je ne sais pas. ominous indeed. Je ne peux pas m’empêcher de penser que tout ça est Stephen leaves a message on my mobile. I de bien mauvais augure. don’t return the call. Stephen laisse un message sur mon portable. Je ne le rappelle pas. I come home the next night to the sound of Je rentre le lendemain soir de la clinique pour trouver trouble; even as I’m putting the key in the lock la maison sens dessus dessous ; je n’ai pas plus tôt I can hear Tom shouting and Molly crying. enfoncé la clé dans la serrure que j’entends les cris de ‘What’s going on?’ David and the kids are Tom et les pleurs de Molly. sitting around the kitchen table, David at the — Qu’est-ce qu’il y a? head, Molly to his left, Tom to his right. The David et les enfants sont assis autour de la table de la table has been cleared of its usual detritus — cuisine, David préside, avec Molly à sa gauche et Tom à post, old newspapers, small plastic models sa droite. Le dessus de la table a été débarrassé du found in cereal packets —apparently in an fatras habituel — courrier, vieux journal, petits gadgets attempt to create the atmosphere of a en plastique des paquets de céréales — dans le but conference. apparent de créer une ambiance de conférence. ‘He’s given my computer away,’ says Tom. — Il a donné mon ordinateur, m’annonce Tom. Tom doesn’t often cry, but his eyes are Tom ne pleure pas souvent, mais il a les yeux qui brilglistening, either with fury or tears, it’s hard to lent, de rage ou de chagrin, difficile à dire. tell. — Et maintenant il faut que je partage le mien ‘And now I’ve got to share mine,’ says Molly, avec lui, enchérit Molly, dont les talents de pleureuse whose ability to cry has never been in any ne sont plus à prouver et qui en l’occurrence a l’air de doubt, and who now looks as though she has porter le deuil de toute une famille disparue dans un been mourning the deaths of her entire family accident de la route. in a car crash. — On n’en avait pas besoin de deux, décrète ‘We didn’t need two,’ says David. ‘Two is ... David. Je n'irai pas jusqu’à dire que c’était obscène, Not obscene, exactly. But certainly greedy. non. Mais c’était une preuve d’avidité à n’en pas They’re never on the things at the same time.’ douter. Ils ne s’en servent jamais en même temps. ‘So you just gave one away. Without consulting — Alors tu en as donné un. Sans les consulter. Ni 211 them. Or me.’ ‘I felt that consultation would have been pointless.’ ‘You mean that they wouldn’t have wanted you to do it?’ ‘They maybe wouldn’t have understood why I wanted to.’ It was David, of course, who insisted on the kids having a computer each for Christmas last year. I had wanted them to share, not because I’m mean, but because I was beginning to worry about spoiling them, and the sight of these two enormous boxes beside the tree (they wouldn’t fit under it) did nothing to ease my queasiness. This wasn’t the kind of parent I wanted to be, I remember thinking, as Tom and Molly attacked the acres of wrapping paper with a violence that repelled me; David saw the look on my face and whispered to me that I was a typical joyless liberal, the sort of person who would deny their kids everything and themselves nothing. And here I am six months later, outraged that my son and daughter aren’t allowed to keep what is theirs, and yet still, somehow, on the wrong side, an agent of the forces of darkness. ‘Where did you take it?’ ‘The women’s refuge in Kentish Town. I read about it in the local paper. They had nothing there for the kids at all.’ I don’t know what to say. The frightened, unhappy children of frightened, unhappy women have nothing; we have two of everything. We give away some, a tiny fraction, of what we have too much of. What is there for me to be angry about? ‘Why does it have to be us who gives them something? Why can’t the Government?’ asks Tom. ‘The Government can’t pay for everything,’ says David. ‘We’ve got to pay for some things ourselves. ‘We did,’ says Tom. ‘We paid for that computer ourselves. ’ ‘I mean,’ says David, ‘that if we’re worried about what’s happening moi. — J’ai estimé que c’était inutile. — Tu veux dire qu’ils s’y seraient opposés? — Ils n’auraient peut-être pas compris mon objectif. C’était bien entendu David qui avait insisté pour que les enfants reçoivent chacun un ordinateur pour Noël dernier. Pour ma part, j’aurais préféré qu’ils en partagent un ; non pas parce que je suis méchante, mais pour la bonne raison que j’ai peur de trop les gâter, et que la vue de ces deux énormes boîtes à côté du sapin (trop grandes pour être glissées dessous) n’avait pas contribué à dissiper mon malaise. Ce n’était pas de cette façon que je voulais élever mes enfants, m’étais-je dit alors, au moment où Tom et Molly se jetaient toutes griffes dehors sur ces montagnes de papier d’emballage avec une violence qui m’avait coupé le souffle ; en voyant mon air déconfit, David m’avait murmuré que j’étais une rabat-joie, comme tous les libéraux de mon espèce, le genre de gens qui privent leurs enfants de tout et eux-mêmes de rien. Et me voilà, six mois plus tard, outrée parce que mon fils et ma fille ne peuvent pas garder ce qui leur appartient, et, par une ironie du sort, de nouveau dans le mauvais camp, celui des forces de l’obscurantisme. — Où l’as-tu emporté? — Au foyer pour femmes seules de Kentish Town. J’ai lu un article dans le journal. Là-bas, les enfants n’ont rien. Les mots me manquent. Ces pauvres enfants malheureux de pauvres mères malheureuses n’ont rien ; et nous, nous avons tout en double. Nous donnons une partie, oh, une toute petite partie, de ce que nous avons en trop. De quoi je me plains? — Pourquoi c’est nous qui sommes obligés de leur donner quelque chose? Le gouvernement ne peut rien faire pour eux? demande Tom. — Le gouvernement ne peut pas tout assumer, répond David. Il faut bien qu’on en paye une part nousmêmes. — C’est ce qu’on a fait, dit Tom. On a payé ces ordinateurs nous-mêmes. — Ce que je veux dire, reprend David, c’est que si l’on 212 to poor people, we can’t wait for the se soucie de ce qui arrive aux pauvres, on ne va pas Government to do anything. We have to do attendre que le gouvernement fasse quelque chose. what we think is right.’ Nous devons faire ce que nous estimons qu’il est bien de faire. ‘Well, I don’t think this is right,’ says Tom. — Eh bien, je ne pense pas que c’est bien de faire ‘Why not?’ ça, repartit Tom. ‘Because it’s my computer. — Pourquoi pas? David merely flashes him a beatific smile. — Parce que c’est mon ordinateur. En guise de réponse, David lui adresse un grand sourire béat. ‘Why isn’t it just their bad luck?’ Molly asks — Pourquoi ce serait pas pour eux? « C’est la him, and I laugh. ‘Just your bad luck’ was, until faute à pas de chance »? lui demande Molly. relatively recently, David’s explanation for why Je ne peux m’empêcher de rire. Ce « C’est la faute à our kids didn’t own a Dreamcast, or a new pas de chance » était jusqu’à il y a peu l’expression Arsenal away shirt, or anything else that every bateau que David servait aux enfants quand ceux-ci se other person at school owns. plaignaient de ne pas posséder une Dreamcast, ou un ‘These children don’t have much luck anyway,’ maillot d’Arsenal ou je ne sais quoi que tout le monde David explains with the slow, over-confident avait soi-disant à l’école. patience of a recently created angel. ‘Their — Ces enfants n’ont pas eu de chance dans la vie, leur dads have been hitting their mums, and explique David avec une lenteur, une patience, une they’ve had to run away from home and hide, bonne volonté dignes d’un ange fraîchement promu. and they haven’t got their toys with them... Leur père battait leur mère, et ils ont dû s’enfuir de You have lots of luck. Don’t you want to help chez eux et se cacher, et ils n’ont pas pris leurs them?’ jouets...Vous, vous avez beaucoup de chance. Vous ne ‘A bit,’ says Tom grudgingly. ‘But not as much voulez pas les aider? as a whole computer. — Un peu, admet à regret Tom. Mais pas leur ‘Let’s go and see them,’ says David. ‘Then you donner un ordinateur entier. can tell them that. You can say you want to — Allons leur rendre visite, dit David. Tu n’auras help them a bit and then ask for your qu’à leur dire ce que tu viens de me dire. Tu veux bien computer back.’ les aider un peu mais tu veux qu’ils te rendent ton ordinateur. ‘David, this is outrageous.' — David, tu vas trop loin. ‘Why?’ — Pourquoi? ‘You can’t blackmail your own children like — Tu ne peux pas faire du chantage à tes propres that.’ enfants. I’m beginning to feel better. I was struggling Je commence à me sentir mieux. Je m’étais jusqu’ici for a while back there, pinned back by the tenue à l’écart de la discussion, épinglée par la force moral force of David’s arguments, but now I morale des arguments de David, mais à présent je me can see that he’s gone mad, that he wants to dis qu’il a disjoncté, et qu’il ne cherche qu’à nous humiliate us all. How could I have forgotten humilier. Comment ai-je pu oublier que c’est le destin that this is what always happens with zealots? des zélateurs? Ils vont au-delà des limites, au défi de They go too far, they lose all sense of toute logique, et ne s’intéressent au bout du compte appropriateness and logic, and ultimately they qu’à leur propre personne, à rien d’autre qu’à leur are interested in nobody but themselves, bigoterie. nothing but their own piousness. David pianote du bout des doigts sur la table, il a l’air 213 David drums his fingers on the table and thinks furiously. ‘No, I’m sorry, you’re right. It is outrageous. I’ve overstepped the mark. Please forgive me.’ Shit. It is a fractious family dinner. Somehow David has managed to recruit Molly to the cause — possibly because she has spotted an opportunity to taunt Tom, possibly because Molly has never been able to see her father as anything less than a perfect and perfectly reasonable man, possibly because the computer David gave away was in Tom’s bedroom rather than hers, although the one we have left has now been placed in the neutral territory of the spare bedroom. Tom, however, is clinging stubbornly to his deeply held Western materialist beliefs. ‘You’re just being selfish, Tom. Isn’t he, Dad?’ David refuses to be drawn. ‘There are children there who don’t have anything,’ she continues. ‘And you’ve got lots.’ ‘I haven’t got anything now. He’s given it all away.’ ‘What are all those things in the bedroom, then?’ asks David gently. ‘And you’ve got half a computer.’ ‘Can I get down?’ Tom has hardly eaten anything, but he’s clearly had his fill of the great steaming bowls of sanctimony being pushed at him from all directions, and I can’t say I blame him. ‘Finish your dinner,’ says David. He opens his mouth to say something else — almost certainly something about how fortunate Tom is to have a plate of lukewarm spaghetti bolognese in front of him given the plight of blah blah blah — but he catches my eye and thinks better of it. ‘Do you really not want anything else?’ I ask Tom. ‘I want to go on the computer before she gets it.’ ‘Go on, then.’ Tom shoots off ‘You shouldn’t have let him, Mummy. He’ll de réfléchir furieusement. — Non. Je suis désolé, tu as raison. C’est grotesque. Je suis allé trop loin. Pardonnez-moi. Merde. Le dîner n’est qu’une longue querelle. D’une façon ou d’une autre, David a réussi à rallier Molly à sa cause — peut-être parce qu’elle a vu là l’occasion d’embêter Tom, ou parce que Molly n’a jamais été capable de voir en son père autre chose qu’un monsieur raisonnable et incritiquable, ou enfin parce que l’ordinateur donné se trouvait dans la chambre de Tom plutôt que dans la sienne, bien que celui qui reste soit relégué à présent en territoire neutre, dans la chambre d’amis. Tom, quant à lui, se cramponne obstinément à ses croyances matérialistes si malencontreusement ancrées dans l’esprit occidental. — Tu es égoïste, Tom, c’est tout, hein, Papa? David refuse de s’en mêler. — Il y a des enfants qui n’ont rien, continue la donzelle. Et toi tu as beaucoup de choses. — Je n’ai plus rien maintenant. Il a tout donné. — Et toutes ces choses dans ta chambre, alors? demande David avec douceur. — Et tu as une moitié d’ordinateur. — Je peux me lever? Tom n’a rien mangé, mais il faut bien avouer qu’il a soupé de bonnes paroles ; je le comprends. — Finis ton assiette, dit David. Il ouvre la bouche pour ajouter quelque chose — sans doute à propos de la chance extraordinaire qu’a Tom d’avoir devant lui une assiette fumante de spaghetti bolognaise étant donné le malheur du blablabla... Mais nos regards se croisent et il se ravise. — Tu ne veux rien d’autre? dis-je à Tom. — Je veux aller faire de l’ordinateur avant elle. — Bon, alors vas-y. Tom file comme un dard. — Tu n’aurais pas dû le laisser, Maman. Il ne va 214 think he never has to eat his dinner now. ‘Molly, shut up. ‘She’s right.’ ‘Oh, you shut up, too.’ I need to think. I need guidance. I’m a good person, I’m a doctor, and here I am championing greed over selflessness, cheering on the haves against the have-nots. Except I’m not really championing anything, am I? I am not, after all, standing up to my unbearably smug husband and — now — my unbearably smug eight-year-old daughter and saying, ‘Now look here, we worked jolly hard to pay for that computer, and if some women are daft enough to shack up with men who beat them, that’s hardly our fault, is it?’ That would be championing. All I’m doing is thinking unworthy thoughts that nobody can hear, and then sniping about unfinished spaghetti bolognese. If I had any real conviction, I’d be passing on some offensive piece of homespun wisdom about how the Good Samaritan could only afford to be the Good Samaritan because he held on to his old computers and… and...gave them to a charity shop when they were knackered. Something like that, anyway. So what do I believe? Nothing much, apparently. I believe that there shouldn’t be homelessness, and I’d definitely be prepared to argue with anyone who says otherwise. Ditto battered women. Ditto, I don’t know, racism, poverty and sexism. I believe that the National Health Service is underfunded, and that Red-Nose Day is a sort of OK thing, although slightly annoying, I grant you, when young men dressed as Patsy and Edina from Absolutely Fabulous come up to you in Waitrose and wave buckets in your face. And, finally, I am of the reasonably firm conviction that Tom’s Christmas presents are his, and shouldn’t be given away. There you are. That is my manifesto. Vote for me. Three days later the children seem to have forgotten that they ever needed two computers — Molly has lost the little interest plus jamais vouloir finir son assiette maintenant. — Molly, tais-toi. — Elle a raison. — Toi aussi, tais-toi. J’ai besoin de réfléchir. J’ai besoin de conseils. Je suis quelqu’un de gentil, je suis médecin, et me voilà en train de prendre la défense de la convoitise contre la générosité, de me faire l’avocate du tout contre le rien. Sauf que je ne suis l’avocate de rien ni de personne, n’est-ce pas? Après tout, je ne suis pas en train de tenir tête à mon mari, si content de lui, et à ma fille de huit ans, contente d’elle, en leur disant «Ecoutez, on a travaillé vraiment dur pour payer cet ordinateur, et si ces bonnes femmes sont assez bêtes pour se coller avec des brutes qui les battent, c’est quand même pas de notre faute, si?» Ça, ce serait une vraie plaidoirie. Or je me contente de ruminer d’indignes pensées en promenant une fourchetée de spaghetti bolognaise autour de mon assiette. Si j’étais convaincue de la justesse de ma cause, je serais en train de leur distiller de sages paroles sur le fait que le Bon Samaritain ne pouvait se permettre d’être un bon samaritain que parce qu’il gardait ses vieux ordinateurs et... et ne les donnait aux bonnes oeuvres qu’à partir du moment où ils tombaient en rade. Quelque chose dans ce style. À quoi est-ce que je crois, alors? À pas grand-chose, apparemment. Je crois qu’il devrait y avoir moins de sans abri, et je suis prête à me bagarrer avec toute personne prétendant le contraire. Idem pour les femmes battues. Idem pour, je ne sais pas, la précarité et le sexisme. Je pense que l’Assistance publique a un budget insuffisant, et que c’est très bien de faire un «Jour des Nez rouges» au profit des causes liées à l’enfance, même si c’est un peu énervant, je vous l’accorde, de voir des hurluberlus déguisés en clown de sexe indéterminé faire la quête dans les travées du supermarché. Enfin, j’ai la ferme conviction que les cadeaux de No~l de Tom sont à Tom, et qu’on ne devrait pas les donner à son insu. Voilà. Voilà mon programme. Votez pour moi. Trois jours plus tard, les enfants semblent avoir oublié qu’ils ont un jour eu besoin de deux ordinateurs — Molly a perdu le peu d’intérêt qu’elle avait jamais eu 215 she had in the first place, and Tom is spending most of his time on Pokémon — and we receive a letter from the women’s refuge telling us that we have made an enormous difference to some very unhappy young lives. I still believe the other things, though, the things about poverty and Health Service underfunding. You won’t shake me on those — unless, that is, you have any sort of persuasive evidence at all to the contrary. David has abandoned his novel, now, as well as his column. ‘No longer appropriate’ — like just about everything else he ever thought or did or wanted to do. During the day, as far as I can tell, he sits in his office reading; late afternoons he cooks, he plays, he helps with homework, he wants to talk about the days that everyone has had… in short, he is a model husband and father. I described him as such to Becca the other day, and a picture of a model husband and father came unbidden into my head: this particular model, however, is made of plastic and has his features moulded into a permanent expression of concern and consideration. David has become a sort of happy-clappy right-on Christian version of Barbie’s Ken, except without Ken’s rugged good looks and contoured body. And I don’t think that David has become a Christian, although it is hard to fathom precisely what he has become. Asking him directly doesn’t really clarify things. The evening after we get the letter from the women’s refuge, Tom asks — mournfully but rather percipiently, I thought — whether we are all going to have to start going to church. ‘Church?’ says David — but gently, not with the explosion of anger and disdain that would have accompanied that word in any context just a few weeks ago. ‘Of course not. Why? Do you want to go to church?’ ‘No.’ ‘So why did you ask?’ ‘Dunno,’ Tom says. ‘Just, I thought, that’s what we’d have to do now. pour la chose, et Tom passe le plus clair de son temps à jouer aux Pokemon — et puis nous recevons une lettre du foyer nous remerciant d’avoir ensoleillé les vies des malheureux petits. Je crois toujours à tout ce que je viens de dire, à la précarité et à la nécessité d’augmenter les fonds de l’Assistance publique. Vous ne me ferez pas revenir là-dessus, sauf si vous avez des preuves tangibles du contraire. David a laissé tomber son roman, au même titre que sa rubrique. «Désormais inappropriée» — comme tout ce qu’il a pensé et fait et désiré jusqu’ici. Il passe sa journée, autant que je sache, à lire dans son bureau ; enfin d’après-midi, il se met aux fourneaux, il joue à des jeux de société, il aide aux devoirs, il veut parler de la journée de tout un chacun... bref, c’est un mari et un père modèles. C’est ainsi que je l’ai qualifié à l’intention de Becca l’autre jour, et une image de cette perfection s’est imposée d’elle-même une poupée en Celluloïd aux traits figés dans une expression de sollicitude inquiète. David serait devenu un Ken de Barbie version nouveau chrétien du genre qui tape dans ses mains, sans le côté beau gosse et musclé de Ken. En réalité, je ne pense pas que David ait trouvé la foi, ce qu’il est aujourd’hui est un mystère pour moi. Lui poser la question carrément ne sert à rien. Le lendemain du jour où nous avons reçu la lettre du foyer, Tom demande à l’heure du dîner — d’un ton geignard mais non dépourvu, à mon avis, d’une certaine perspicacité — s’il va falloir dorénavant aller à l’église. — A l’église? répète David — mais avec une grande douceur, à mille lieues de l’explosion de colère et de mépris qui aurait accompagné ce mot pris dans n’importe quel contexte il y a quelques semaines. Bien sûr que non. Pourquoi? Tu veux y aller? — Non. — Alors pourquoi tu me poses cette question? — Je sais pas moi, dit Tom. Juste comme ça, je me suis dit qu’on allait devoir le faire à partir de 216 ‘Why now?’ ‘Because we give things away. That’s what they do in church, isn’t it?’ ‘Not as far as I know. And that’s the end of it; Tom’s fears are assuaged. Later, though, when David and I are on our own, I make my own enquiries. ‘That was funny, wasn’t it? Tom thinking we’d have to go to church now?’ ‘I didn’t understand where all that came from. Just because we gave a computer to someone. ‘I don’t think it’s just that.’ ‘What else is there?’ ‘They both know about you giving the money away. And anyway, it’s ... You asked me if I’d noticed a change of atmosphere. Well, I think they have, too. And they sort of associate it with church, somehow.’ ‘Why?’ ‘I don’t know. I suppose... You do give off the air of someone who has undergone a religious conversion.’ ‘Well, I haven’t.’ ‘You haven’t become a Christian?’ ‘No.’ ‘What are you, then?’ ‘What am I?’ ‘Yes, what are you? You know, Buddhist or, or...' I try to think of other world religions that might fit the bill, and fail. Moslem doesn’t seem right, nor Hindu... Maybe a Hare Krishna offshoot, or something involving self-denial and some podgy guru driving around in an Alfa Romeo? ‘I’m nothing. I’ve just seen sense. ‘But what does that mean?’ ‘We’ve all been living the wrong life, and I want to put that right.’ ‘I don’t feel I’ve been living the wrong life.’ ‘I disagree.’ ‘Oh, is that right?’ ‘You live the right life during the working week, I suppose. But the rest of the time..' maintenant. — Pourquoi à partir de maintenant? — Parce qu’on donne nos affaires. C’est ce qu’ils font à l’église, non? — Pas que je sache. Fin de la conversation ; les craintes de Tom sont apaisées. Un peu plus tard, cependant, une fois que je suis seule avec David, j’embraye sur mon propre interrogatoire. — C’était drôle, hein? Que Tom ait cru que nous irions à l’église? — Je ne comprends pas du tout d’où ça lui est venu. Juste parce qu’on a donné un ordinateur. — Il y a autre chose, à mon avis. — Quoi? — Ils savent tous les deux que tii as offert cet argent. Et de toute façon, c’est... Tu m’as demandé si j’avais remarqué un changement d’atmosphère. Eh bien, eux aussi, je crois. Et ils l’associent avec l’idée qu’ils se font de l’Église. — Pourquoi? — Je n’en sais rien. Je suppose que... tu donnes l’impression de quelqu’un qui s’est converti. — Eh bien, non. — Tu as trouvé la foi, tu es devenu chrétien? — Non. — Alors? — Alors quoi? — Tu es bouddhiste ou, ou... Je me racle les méninges pour trouver d’autres religions assez universelles. L’islam, non, l’hindouisme, pas davantage... Peut-être un Hare Krishna à l’extrême rigueur, ou une secte qui pratiquerait l’autodénigrement, ou un gros gourou se promenant en Alfa Romeo? — Je ne suis rien. Je viens de voir la lumière. — Que veux-tu dire? — Nous avons vécu une vie mauvaise, je veux changer. — Je n’ai pas l’impression que ma vie était mauvaise. — Je ne suis pas d’accord. — Ah? — Tu pratiques la bonté pendant la semaine. Mais le reste du temps... 217 ‘What?’ ‘There’s your sexual conduct, for a start. My sexual conduct... For a moment I forget that for the last twenty years I have had a monogamous relationship with my husband, punctuated only recently by a brief and rather hapless affair (and what happened to him, by the way? A couple of unreturned phone calls seem to have dampened his ardour considerably). The phrase enables me to see myself as someone who may have to check herself into one of those sex addiction clinics that Hollywood stars have to go to, someone who, despite her best intentions, cannot keep her pants on. It’s quite a thrilling picture, but its main purpose, I can see, is to convince me that David is being preposterous; the truth is that I am a married woman who was sleeping with someone else just a couple of weeks ago. David’s language might be pompous, but there is, I suppose, a case to answer. ‘You’ve never wanted to talk about that.’ ‘There isn’t much to talk about, is there?’ I think about whether this is true and decide that it is. I could waffle on about context, but he knows about that already; the rest of it makes for a short and banal little story without much resonance. ‘So what else do I do wrong?’ ‘It’s not what you do wrong. It’s what we all do wrong.' ‘Which is?’ ‘We don’t care enough. We look after ourselves and ignore the weak and the poor. We despise our politicians for doing nothing, and think that this is somehow enough to show we care, and meanwhile we live in centrally heated houses that are too big for us. ‘Hey, hold on...’ Our dream — before DJ GoodNews came into our lives, was to move out of our poky terraced house and into something that gave us room to turn around in — Quoi? — Ton comportement sexuel, pour commencer. Mon comportement sexuel... l’espace d’un instant, j’oublie que cela fait vingt ans que je vis une relation monogame avec mon mari, ponctuée récemment d’une brève et plutôt piteuse liaison (et que lui est-il arrivé, au fait, à celui-là ? Deux messages sans réponse semblent avoir tiédi son ardeur). Cette petite phrase me permet de me mettre tout d’un coup dans la peau d’un drogué du sexe à qui l’on conseille un petit séjour dans une de ces cliniques où sont parfois envoyées les stars d’Hollywood, bref de me considérer comme une personne qui, en dépit des meilleures intentions du monde, ne peut pas s’empêcher de baisser sa culotte. L’image est plutôt excitante, mais le but, je le vois bien, est de plaider le faux pour faire valoir le vrai ; c’est-àdire que je suis une femme mariée qui couchait avec un autre homme il y a tout juste deux semaines. David a beau employer un langage un peu pompeux, je peux faire usage du droit de réponse, me semble-t-il. — Tu n’as jamais voulu qu’on en parle. — Il n’y a pas grand-chose à en dire, si? Après un instant de réflexion, je décide que c’est juste. Je pourrais faire un peu de blabla sur les circonstances, mais il est déjà au courant ; le reste tient en un petit paragraphe sans aucun impact et d’une banalité désolante. — Mais en dehors de ça, qu’est-ce que j’ai fait de mal? - Il ne s’agit pas du mal que tu as fait. Mais du mal que nous faisons tous. — Qui est? — On ne partage pas assez avec les autres. Chacun s’occupe de soi et ignore ceux qui souffrent. Nous reprochons à nos politiciens de ne rien faire pour eux, pensant que cela suffit à montrer que le sort de tous ces pauvres gens nous tient à cœur, alors que nous continuons à vivre dans des maisons qui ont le chauffage central et sont beaucoup trop grandes pour nous... — Dis donc! Attends... Notre rêve — avant l’arrivée de D. J. GoodNews dans notre vie — était de quitter notre rangée de petites baraques pour nous installer dans quelque chose de 218 without knocking a child over in the process. Now, suddenly, we are rattling around in Holloway’s equivalent of Graceland. But I am allowed to say none of this, because David has the bit between his teeth. ‘We have a spare bedroom, and a study, and meanwhile people are sleeping outside on pavements. We scrape perfectly edible food into our compost maker, and meanwhile people at the end of our road are begging for the price of a cup of tea and a bag of chips. We have two televisions, we did have three computers until I gave one away — and even that was a crime, apparently, reducing the number of computers available to a family of four by one third. We think nothing of spending ten pounds each on a takeaway curry. I plead guilty to this. I thought David was going to say’... forty pounds a head on a meal in a smart restaurant’, which we have done, on occasions — occasions which have, of course, prompted all sorts of doubts and qualms. But ten pounds on a takeaway? Yes, guilty, I admit it: I have frequently thought nothing of spending ten pounds on a takeaway, and it has never occurred to me that my thoughtlessness was negligent or culpable in any way. One has to respect David for this thoroughness, at least. ‘We spend thirteen pounds on compact discs which we already own in a different format...' ‘That’s you, not me.' '... We buy films for our children that they’ve already seen at the cinema and never watch again...’ There ensues a long list of similar crimes, all of which sound petty and, in any other household, completely legal, but which suddenly seem, with David’s spin on them, selfish and despicable. I drift off for a while. ‘I’m a liberal’s worst nightmare,’ David says at the end of his litany, with a smile that could be described, were one feeling uncharitable or paranoid, as malicious. ‘What does that mean?’ plus spacieux. Et voilà que, par la grâce du Saint-Esprit, nous habitons soudain le «Graceland» d’Holloway. Mais je ne peux rien dire: David a le mors aux dents. — Nous avons une chambre d’amis et un bureau, alors qu’il y a des gens qui dorment dans la rue. Nous bourrons notre compostier du jardin de nourriture tout à fait mangeable, pendant qu’au bout de la rue il y a des gens qui mendient le prix d’une tasse de thé et d’un paquet de chips. Nous avons deux télévisions, nous avions trois ordinateurs jusqu’à ce que j’en donne un — et même ce geste, apparemment, a été considéré comme un crime : réduire d’un tiers le parc d’ordinateurs d’une famille! Nous trouvons normal de dépenser dix livres par tête pour un curry à emporter... Là, je plaide coupable. Et je m’attends à ce que David ajoute: «... et quarante livres par personne dans un bon restaurant », ce qui nous est arrivé, à l’occasion — occasions qui ont bien sûr suscité chez nous scrupules et remords. Mais dix livres chez le traiteur? Oui, je l’avoue: il m’est souvent arrivé de dépenser dix livres chez le traiteur sans y penser, et il ne m’a jamais traversé l’esprit que cette irréflexion pourrait être taxée de regrettable et de fautive. Coup de chapeau à David : il ne fait pas les choses à moitié. — On achète des CD à treize livres alors qu’on a déjà les mêmes morceaux sur vinyle... — Ça c’est ton rayon, pas le mien. — ...On achète aux enfants des vidéos de films qu’ils ont deja vus au cinéma et qu’ils ne regardent en tout et pour tout qu’une fois... Suit une longue liste de délits analogues, tous mineurs et qui ne seraient même pas illicites dans une autre famille mais qui sous les projecteurs de David deviennent monstrueux d’égoïsme, honteux, abjects. Je me perds dans mes pensées. — Je suis le pire cauchemar de la gauche, laisse tomber David à la fin de sa litanie, avec un sourire qui pourrait être qualifié de malveillant par une personne d’humeur peu charitable et paranoïaque. — Que veux-tu dire? 219 ‘I think everything you think. But I’m going to walk it like I talk it. On Sunday my mother and father visit for lunch. They don’t come very often — usually we all have to go there — and when they do come I have somehow allowed myself to turn the day into An Occasion, thus inflicting on my children the misery that was inflicted on me during equivalent Occasions in my childhood: combed hair, the best clothes they possess, assistance in tidying up, attendance at table compulsory for the whole of the meal, even though my mother talks so much that the last mouthful of Viennese Whirl does not disappear down her throat for what seems like hours after the rest of us have finished. And, of course, a roast dinner, which my brother and I detested (very possibly because it was invariably detestable: gristly, dry lamb, overcooked cabbage, lumpy Bisto, greasy and disintegrating roast potatoes, the usual 1960s wartime fare), but which Tom and Molly love. Unlike either of my parents, David and I can cook; unlike either of my parents, we very rarely bother to waste this skill on our children. Finally the clothes argument is over, the tidying has been done, my parents have arrived, and we are drinking our dry sherry and eating our mixed nuts in the living room. David has just gone into the kitchen to carve the beef and make the gravy. Moments later —much too soon to have achieved the tasks he disappeared to do —he comes back. ‘Roast beef and roast potatoes? Or frozen lasagne?’ ‘Roast beef and roast potatoes,’ the kids yell happily, and my mum and dad chuckle. ‘I think so, too,’ says David, and disappears again. ‘He’s a tease, your dad, isn’t he?’ says my mum to Tom and Molly — an appropriate response to what she has just seen and heard in just about any domestic situation but ours. David isn’t a tease. He wasn’t a tease before (he — Je pense tout ce que tu penses. Mais je fais ce que je dis que je vais faire. Le dimanche suivant, ma mère et mon père viennent déjeuner à la maison. Comme cela n’arrive pas souvent — en général nous devons tous aller chez eux —, je me permets de transformer leur visite en une petite fête, et d’infliger à mes enfants le supplice que j’ai moimême enduré dans des circonstances analogues quand j’étais petite : se coiffer, bien s’habiller, ranger, ne pas quitter la table avant la fin du repas, même si ma mère est tellement bavarde que la dernière bouchée de gâteau viennois semble s’éterniser sur son assiette des heures après que nous avons nettoyé la nôtre. Sans oublier le menu, ce menu que mon frère et moi avions en abomination, pour la bonne raison qu’il l’était, abominable : agneau trop sec et plein de nerfs, chou trop cuit, sauce lyophilisée grumeleuse, pommes de terre au four aussi huileuses que farineuses (style rationnement des années 60) ; ce menu dont Tom et Molly raffolent en revanche. (Contrairement à mes parents, non seulement David et moi sommes de fins cuisiniers, mais encore nous ne prenons pas la peine de gaspiller ce talent pour nos enfants.) La question vestimentaire est réglée, tout est bien rangé, mes parents sont arrivés, et nous prenons notre dry sherry et mélange apéritif dans le salon. David disparaît dans la cuisine pour couper la viande et préparer la sauce. Quelques instants plus tard — trop vite pour avoir eu le temps d’accomplir la tâche qu’il s’était fixé — il revient. —Rôti et pommes de terre au four? Ou lasagne surgelée? — Rôti et pommes de terre au four! s’écrient les enfants, tout joyeux, tandis que les grands-parents rient sous cape. — C’est aussi mon avis, dit David en s’éclipsant de nouveau. — C’est un sacré taquin, votre papa, vous ne trouvez pas? lance ma mère à Tom et à Molly. 220 hated my parents’ visits, and would never have been able to muster the kind of cheery goodwill necessary for joshing everyone along), and he certainly isn’t a tease since his sense of humour disappeared into DJ GoodNews’s fingertips along with his back pain. I excuse myself and go into the kitchen, where David is transferring everything we have spent the last couple of hours cooking into the largest Le Creuset casserole dish we own. ‘What are you doing?’ I ask calmly. ‘I can’t do this,’ he says. ‘What?’ ‘I can’t sit here and eat this while there are people out there with nothing. Have we got any paper plates?’ ‘No, David.’ ‘We have. We had loads left over from the Christmas party. ‘I’m not talking about the plates. You can’t do this.’ ‘I have to.’ ‘I... I understand if you can’t eat it.’ (I don’t understand at all, of course, but I’m trying to talk him off the ledge.) ‘You could refuse, and… and.., tell us all why.’ There is no point in worrying just yet about the excruciating lunch ahead of us, the embarrassment and bewilderment as my poor mother and father (Tories both, but neither of them actively evil, in the accepted non-David use of the word) receive a lecture about their wicked, wicked ways. In fact I vow to myself that if we get as far as the lunch, if this food is actually served on to actual plates and people (by which I mean people I know, God forgive me) actually sit down to eat it, I will not worry at all; I will listen to David’s views with sympathy and interest. I watch while David crams the Deliastyle roast potatoes into the dish. The painstakingly achieved crunchy golden shells start to crumble as he attempts to wedge them down the side of the joint. ‘I have to give this away,’ says David. ‘I went to the freezer to get the stock Out and I saw all La remarque de ma mère s’accorde avec ce qu’elle a vu et entendu jusqu’ici dans toutes les familles, sauf la nôtre. David n’a rien d’un taquin. Il n’a jamais fait marcher personne (il détestait les visites de mes parents, et pour rien au monde il n’aurait joué au boute-en-train), et c’est encore plus vrai aujourd’hui que son sens de l’humour a fondu en même temps que son mal de dos entre les doigts de D. J. GoodNews. Je prie tout le monde de m’excuser et je vais le retrouver dans la cuisine où il est en train de mettre le fruit de notre travail des deux dernières heures dans notre plus grosse cocotte Le Creuset. — Qu’est-ce que tu fais? dis-je très calme. — Je peux pas. — Quoi? — Je peux pas manger tout ça quand je sais qu’il y a des gens qui n’ont rien. On a encore des assiettes en papier? — Non. — Si. Il nous en reste des tonnes du repas de Noël. — Il ne s’agit pas des assiettes. Tu ne peux pas faire ça. — Il 1e faut. — Je... je comprends que tu ne puisses pas manger. (Je ne comprends pas du tout, mais j’essaye de gagner du temps.) Tu peux t’abstenir, et... et... nous expliquer tes raisons. Je préfère ne pas penser à l’horreur que va être ce déjeuner, à l’embarras et à la perplexité de mes pauvres parents (tous les deux tories, mais ni l’un ni l’autre sataniques dans l’acception non-davidienne du terme) quand il les sermonnera sur leurs viles et basses actions. Je me jure que si nous parvenons à nous attabler devant ce repas, si cette nourriture finit dans des assiettes (les assiettes de ceux que je connais, Dieu me pardonne), je ne m’inquiéterai de rien ; j’écouterai David exposer ses idées avec intérêt et sympathie. En attendant, je regarde David tasser les pommes de terre en robe des champs dans la cocotte ; les belles peaux dorées et croustillantes qui nous ont donné tant de mal s’émiettent sur les bords tandis qu’il écrase le tout autour de la viande. — Il faut que je donne tout ça, dit David. Quand j’ai ouvert le congélateur pour sortir la sauce surgelée et 221 that stuff in there and ...I just realized that I can’t sustain my position any more. The homeless …' ‘FUCK YOUR POSITION! FUCK THE HOMELESS!’ Fuck the homeless? Is this what has become of me? Has a Guardian-reading Labour voter ever shouted those words and meant them in the whole history of the liberal metropolitan universe? ‘Katie! What’s going on?’ My parents and my children have gathered in the doorway to watch; my father, still every inch of him a headmaster despite the decade of retirement, is red-faced with anger. ‘David’s gone mad. He wants to give our lunch away.’ ‘To whom?’ ‘Tramps. Alkies. Drug addicts. People who have never done an honest day’s work in their lives.’ This is a desperate and blatant appeal to win my father over to my side, and I’m not proud of it, but I want my roast lunch. I WANT MY ROAST LUNCH. ‘Can I come, Daddy?’ says Molly, whom I am learning to despise. ‘Of course,’ says David. ‘Please, David,’ I say again. ‘Please let us have a nice lunch.’ ‘We can have a nice lunch. Just, not this lunch.’ ‘Why can’t they have the other lunch?’ ‘I want to give them the hot one.’ ‘We can make the other stuff hot. The lasagne. We’ll microwave it and take it down this afternoon. Family outing.’ David pauses. We have, I feel, reached the moment in the movie when the armed but scared criminal pointing the gun at the unarmed policewoman begins to doubt the wisdom of what he is doing; the scene always ends with him throwing the gun on the ground and bursting into tears. In our version, David will take the lasagne out of the freezer tray and burst into tears. Who says that you can’t make authentic British thrillers? What could be more thrilling than that? David thinks. ‘It’s que j’ai vu tout ce qu’il y a là-dedans... je me suis dit que c’était intenable. Les sans-abri... — J’en ai rien à foutre! Rien à foutre des sansabri! Rien à foutre des sans-abri? Où est-ce que j’en suis ? A-t-on jamais entendu une lectrice du Guardian votant travailliste crier un truc pareil dans toute l’histoire de la gauche londonienne? — Katie! Que se passe-t-il? Mes parents et mes enfants sont agglutinés sur le seuil de la cuisine ; mon père, plus que jamais «Monsieur le Proviseur » même au bout de dix années de retraite, est rouge de colère. — David est complètement fou. Il veut donner notre déjeuner. — A qui? — À des clochards. Des ivrognes. Des drogués. Des gens qui n’ont jamais travaillé de leur vie. Je choisis les mots les plus propres à gagner mon père à mon point de vue, ce dont je ne suis pas fière, mais, bon, je tiens à mon rôti. JE VEUX GARDER MON RÔTI. — Je peux entrer, Papa? demande Molly que j’apprends à chaque instant à mépriser davantage. — Bien sûr, répond David. — S’il te plaît, David, dis-je. Laisse-nous notre bon déjeuner. — On aura un bon déjeuner. Mais pas celui-ci. — Pourquoi ils ne pourraient pas avoir l’autre? — Je veux leur donner le repas chaud. — On peut la réchauffer, la lasagne. On n’a qu’à la mettre dans le micro-ondes et la leur apporter cet après-midi. Ça nous fera une petite promenade digestive. David marque une pause. Nous sommes arrivés au moment où, au cinéma, le criminel armé mais terrorisé pointe son pistolet sur la femme flic qui, elle, n’est pas armée et se dit qu’il est en train de commettre une fatale erreur ; pour finir il jette le pistolet par terre et éclate en sanglots. Rideau. Dans notre version, David sort la lasagne de son emballage et éclate en sanglots. Qui dit que les Anglais sont nuls en matière de suspense? Trouvez donc mieux pour tenir le spectateur en haleine! 222 more convenient for them, lasagne, isn’t it?’ ‘Absolutely.’ ' 'Cos you don’t have to carve it.’ David est soudain pensif. — C’est plus commode pour eux, la lasagne, tu crois? — Tout à fait. ‘No. You could just take the ladle.’ — On n’a pas besoin de la couper. ‘Yeah. Or even the, you know, the metal — Non. Il suffit de prendre une louche. spatula.’ — Ouais. Ou même, tu sais, la spatule en métal. ‘If you want.’ — Si tu préfères. He stares at the joint and the beaten-up roast Il contemple le rôti et les patates écrabouillées. potatoes for a moment longer. — Bon, d’accord. ‘OK, then.’ Ma mère, mon père et moi laissons échapper le soupir My mum and dad and I breathe the sigh of the de la femme flic, et nous mettons à table en silence. unarmed policewoman, and we sit down to eat in silence. Corpus GOOD 2 2 At home, I found another shock from the past. Une autre surprise du passé m’attendait à la maison. I live across the George Washington Bridge from Manhattan—in the typical Americandream suburb of Green River, New Jersey, a township with, despite the moniker, no river and shrinking amounts of green. Home is Grandpa’s house. I moved in with him and a revolving door of foreign nurses when Nana died three years ago. J’habite de l’autre côté du pont GeorgeWashington, dans une banlieue résidentielle du nom de Green River, dans le New Jersey, où, contrairement à l’appellation, il n’y a pas de rivière et où la verdure est toute rabougrie. J’habite dans la maison de mon grand-père. Je suis venu vivre avec lui et tout le cortège de gardes-malades d’origine étrangère qui se sont succédé quand Nana est morte il y a trois ans. Grandpa has Alzheimer’s. His mind is a bit like an old black-and-white TV with damaged rabbit-ear antennas. He goes in and out and some days are better than others and you have to hold the antennas a certain way and not move at all, and even then the picture does the intermittent vertical spin. At least, that was how it used to be. But lately—to keep within this metaphor—the TV barely flickers on. Grand-père a la maladie d’Alzheimer. Son cerveau est un peu comme un vieux poste de télévision en noir et blanc dont l’antenne en V serait endommagée. Il fonctionne par intermittence, certains jours mieux que d’autres; il faut tenir les branches de l’antenne d’une façon précise, sans bouger, mais malgré tout l’image continue àsauter. Enfin, c’est comme ça que ça se passait jusqu’à ces derniers temps. A présent — pour s’en tenir à la métaphore —‘ la télé s’allume à peine. I never really liked my grandfather. He was a domineering man, the kind of oldfashioned, lift-by-the-bootstraps type whose affection was meted out in direct proportion to your success. He was a gruff man of tough love and old-world machismo. A grandson who was both sensitive and unathletic, even with good grades, was Je n’ai jamais beaucoup aimé mon grand-père. C’était un personnage autoritaire, à l’ancienne mode, arrivé à la force du poignet, et qui dispensait son affection proportionnellement à votre réussite. Un type bourru, peu expansif, un macho de la vieille école. Alors un petit-fils à la fois sensible et peu sportif, même avec de bonnes notes, n’avait pas grand intérêt à ses yeux. 223 easily dismissed. The reason I agreed to move in with him was that I knew if I didn’t, my sister would have taken him in. Linda was like that. When we sang at Brooklake summer camp that “He has the whole world in His hands,” she took the meaning a little too much to heart. She would have felt obligated. But Linda had a son and a life partner and responsibilities~ I did not. So I made a preemptive strike by moving in. I liked living here well enough, I guess. It was quiet. Chloe, my dog, ran up to me, wagging her tail. I scratched her behind the floppy ears. She took it in for a moment or two and then started eyeing the leash. “Give me a minute,” I told her. Chloe doesn’t like this phrase. She gave me a look—no easy feat when your hair totally covers your eyes. Chloe is a bearded collie, a breed that appears far more like a sheepdog than any sort of collie I’ve ever seen. Elizabeth and I had bought Chloe right after we got married. Elizabeth had loved dogs. I hadn’t. I do now. Chloe leaned up against the front door. She looked at the door, then at me, then back at the door again. Hint, hint. Grandpa was slumped in front of a TV game show. He didn’t turn toward me, but then again, he didn’t seem to be looking at the picture either. His face was stuck in what had become a steady, pallid deathfreeze. The only time I saw the death-freeze melt was when he was having his diaper changed. When that happened, Grandpa’s lips thinned and his face went slack. His eyes watered and sometimes a tear escaped. I think he is at his most lucid at the exact moment he craves senility. God has some sense of humor. The nurse had left the message on the kitchen table: CALL SHERIFF LOWELL. Si j’étais venu m’installer avec lui, c’est parce que je savais que, sans ça, ma soeur l’aurait accueilli chez elle. Elle était comme ça, Linda. Quand on chantait à la colonie de vacances de Brooklake qu’ « Il tient le monde entier entre ses mains », elle prenait les paroles un peu trop àcoeur. Elle se serait sentie obligée de le faire. Sauf que Linda avait un fils, une compagne, des responsabilités. Et pas moi. J’ai donc déménagé, histoire de la devancer. J’aimais bien vivre ici, du reste. C’était tranquille. Chloe, ma chienne, a accouru en remuant la queue. Je l’ai grattée derrière ses oreilles tombantes. Elle s’est abandonnée un petit moment, puis s’est mise à lorgner sa laisse. — Donne-moi une minute, lui ai-je dit. Chloe n’aime pas cette phrase. Elle m’a jeté un regard — chose pas facile quand vos poils vous cachent totalement les yeux. Chloe était un bearded collie, le parangon des chiens de berger. Elizabeth et moi l’avions achetée juste après notre mariage. Elizabeth adorait les chiens. Moi pas, àl’époque. Mais maintenant, si. Chloe s’est plaquée contre la porte d’entrée. Elle a regardé la porte, puis m’a regardé moi, puis à nouveau la porte. Le message était on ne peut plus clair. Grand-père était avachi devant un jeu télévisé. Il ne s’est pas tourné vers moi; à vrai dire, il n’avait pas l’air de voir l’écran non plus. Son visage était figé en une sorte de masque pâle et rigide, le masque de la mort. Le masque se décomposait quand on lui changeait sa couche. Alors ses lèvres se pinçaient, ses traits s’affaissaient. Ses yeux s’embuaient, et quelquefois une larme s’en échappait. A mon avis, c’est là qu’il est le plus lucide, dans ces moments où il préférerait de loin être sénile. Dieu ne manque pas d’humour. La garde-malade avait laissé un mot sur la table de cuisine Rappeler le shérif Lowell. Avec un numéro de téléphone griffonné dessous. There was a phone number scribbled under it. My head began to pound. Since the attack, I suffer migraines. The blows cracked my skull. I was hospitalized for five days, Ma tête s’est mise à palpiter. Depuis l’agression, je 224 though one specialist, a classmate of mine at medical school, thinks the migraines are psychological rather than physiological in origin. Maybe he’s right. Either way, both the pain and guilt remain. I should have ducked. I should have seen the blows coming. I shouldn’t have fallen into the water. And finally, I somehow summoned up the strength to save myself—shouldn’t I have been able to do the same to save Elizabeth? souffre de migraines. Les coups m’ont fêlé le crâne. J’ai été hospitalisé pendant cinq jours, bien qu’un spécialiste, un ancien camarade de fac, pense que mes migraines soient davantage d’ordre psychologique que physiologique. Il a peut-être raison. Cela dit, douleur et culpabilité sont toujours là. J’aurais dû esquiver les coups. J’aurais dû les voir venir. Et ne pas tomber àl’eau. Et pour finir, puisque j’avais trouvé la force de m’en sortir... n’aurais-je pas pu en faire autant pour sauver Elizabeth? Futile, I know. I read the message again. Chloe started whining. I put up one finger. She stopped whining but started doing her glance-at-meand-the-door again. I hadn’t heard from Sheriff Lowell in eight years, but I still remembered him looming over my hospital bed, his face etched with doubt and cynicism. What could he want after all this time? I picked up the phone and dialed. A voice answered on the first ring. “Dr. Beck, thank you for calling me back.” I am not a big fan of caller ID—too Big Brother for my tastes. I cleared my throat and skipped the pleasantries. “What can I do for you, Sheriff?” “I’m in the area,” he said. “I’d very much like to stop by and see you, if that’s okay.” “Is this a social ‘call?” I asked. “No, not really.” He waited for me to say something. I didn’t. “Would now be convenient?” Lowell asked. “You mind telling me what it’s about?” “I’d rather wait until—” “And I’d rather you didn’t.” Vaines considérations, je sais. J’ai relu le mot. Chloe commençait à geindre. J’ai levé le doigt. Elle a cessé de geindre et a repris son manège un coup je te regarde, un coup je regarde la porte. Ça faisait huit ans que je n’avais pas eu de nouvelles du shérif Lowell, mais je le revoyais encore, penché sur mon lit d’hôpital, l’air cynique et dubitatif. Que me voulait-il, après tout ce temps? J’ai décroché le téléphone et composé le numéro. Une voix a répondu dès la première sonnerie. — Merci de me rappeler, docteur Beck. Je ne suis pas fana de la présentation du numéro — ça fait trop Big Brother à mon goût. Je me suis éclairci la voix et, sans perdre mon temps en civilités : — Que puis-je pour vous, shérif? — Je suis dans les parages, a-t-il dit. J’aimerais passer vous voir, si ça ne vous dérange pas. — Une visite de politesse? — Non, pas vraiment. Il attendait que j’ajoute quelque chose. Mais je me taisais. — Maintenant, ça vous va? a demandé Lowell. — Ça vous ennuie de m’expliquer de quoi il s’agit? — Je préfère attendre qu’on... 225 — Pas moi. I could feel my grip on the receiver tighten. J’ai senti mes doigts se crisper sur le combiné. “Okay, Dr. Beck, I understand.” He cleared his throat in a way that indicated he was trying to buy some time. “Maybe you saw on the news that two bodies were found in Riley County.” — Très bien, docteur Beck, je comprends. I hadn’t. “What about them?” Il s’est raclé la gorge comme quelqu’un qui cherche à gagner du temps. — Vous avez peut-être vu au journal télévisé qu’on a découvert deux corps dans le comté de Riley. “They were found near your property” Je n’avais rien vu de tel. “It’s not my property It’s my grandfather’s.” — Et alors? “But you’re his legal custodian, right?” — Ils ont été trouvés non loin de votre propriété. “No,” I said. “My sister is.” “Perhaps you could call her then. I’d like to speak with her too.~~ “The bodies were not found on Lake Charmaine, right?” “That’s correct. We found them on the western neighboring lot. County property actually.” ‘Then what do you want from us?” — Ce n’est pas ma propriété. C’est celle de mon grand-père. — Mais légalement, vous êtes son tuteur, non? — Non, ai-je répondu. C’est ma soeur. — Vous pourriez peut-être la contacter. J’aimerais lui parler également. — Ces corps n’ont pas été trouvés du côté du lac Charmaine, n’est-ce pas? — C’est exact. On les a découverts sur le terrain voisin. Un terrain qui appartient au comté. There was a pause. “Look, I’ll be there in an hour. Please see if you can get Linda to come by, will you?” — Dans ce cas, que nous voulez-vous? He hung up. — Ecoutez, je serai là dans une heure. Arrangezvous, s’il vous plaît, pour que Linda soit là, d’accord? Il y a eu une pause. Et il a raccroché. The eight years had not been kind to Sheriff Lowell, but then again, he hadn’t been Mel Gibson to begin with. He was a mangy mutt of a man with features so extra-long hangdog that he made Nixon look as though he’d gotten a nip and tuck. The end of his nose was bulbous to the nth degree. He kept taking out a much-used hanky, carefully unfolding it, rubbing his nose, carefully refolding it, jamming it deep into his back pocket. Linda had arrived. She leaned forward on the couch, ready to shield me. This was how she often sat. She was one of those people Ces huit années n’avaient pas été clémentes avec le shérif Lowell, même si dès le départ il n’avait rien d’un Mel Gibson. Avec sa tête de bouledogue, il me faisait penser à un chien galeux; à côté de lui, Nixon semblait avoir subi un lifting. Il avait un nez en forme de patate régulièrement, il sortait un mouchoir usé, le dépliait avec soin, s’essuyait le nez, le repliait tout aussi soigneusement et l’enfouissait dans sa poche arrière. Linda était arrivée. Assise sur le canapé, elle se penchait en avant, prête à me protéger. C’est sa façon de se tenir. Elle fait partie de ces gens qui vous 226 who gave you their full, undivided attention. She fixed you with those big brown eyes and you could look nowhere else. I’m definitely biased, but Linda is the best person I know. Corny, yes, but the fact that she exists gives me hope for this world. The fact that she loves me gives me whatever else I have left. We sat in my grandparents’ formal living room, which I usually do my utmost to avoid. The room was stale, creepy, and still had that old-people’s-sofa smell. I found it hard to breathe. Sheriff Lowell took his time getting situated. He gave his nose a few more swipes, took out a pocket pad, licked his finger, found his page. He offered us his friendliest smile and started. “Do you mind telling me when you were last at the lake?” “I was there last month,” Linda said. But his eyes were on me. “And you, Dr. Beck?” “Eight years ago. He nodded as though he’d expected that response. “As I explained on the phone, we found two bodies near Lake Charmaine.” “Have you identified them yet?” Linda asked. “No.” “Isn’t that odd?” Lowell thought about that one while leaning forward to pull out the hanky again. “We know that they’re both male, both full-grown, both white. We’re now searching through missing persons to see what we can come up with. The bodies are rather old.” “How old?” I asked. Sheriff Lowell again found my eyes. “Hard to say Forensics is still running tests, but we figure they’ve been dead at least five years. They were buried pretty good too. We’d have never found them except there was a landslide from that record rainfall, and a prêtent vraiment attention quand ils vous regardent. Vous ne voyez alors que ses grands yeux marron. Certes, je suis totalement partial, mais j’affirme que Linda est la personne la meilleure que je connaisse. Eh oui, c’est ringard. Il n empêche que son existence me redonne de l’espoir. Et l’amour qu’elle me porte demeure mon seul bien en ce monde. On s’était installés dans le salon de réception de mes grands-parents, pièce que généralement j’évite de mon mieux. L’air y était confiné, l’atmosphère lugubre, et ça sentait le canapé, comme souvent chez les gens âgés. J’avais du mal à respirer. Le shérif Lowell a mis du temps à trouver ses marques. Il s’est mouché à plusieurs reprises, a sorti un calepin, s’est humecté le doigt, a cherché la bonne page. Puis il nous a gratifiés de son plus chaleureux sourire avant de commencer. — Pourriez-vous me dire quand vous êtes allé au lac pour la dernière fois? — J’y étais le mois dernier, a répondu Linda. Mais c’était moi qu’il regardait. — Et vous, docteur Beck? — Il y a huit ans. Il a hoché la tête comme s’il avait attendu cette réponse. — Ainsi que je l’ai expliqué par téléphone, on a découvert deux corps près du lac Charmaine. — Les avez-vous identifiés? a questionné Linda. — Non. — Vous ne trouvez pas ça bizarre? Lowell a réfléchi tout en se penchant pour ressortir son mouchoir. — Il s’agit de deux hommes, adultes, blancs tous les deux. Pour le moment, on recherche parmi les personnes disparues, des fois qu’on aurait une piste. Les corps sont assez anciens. — Anciens comment? ai-je demandé. À nouveau, son regard a rencontré le mien. — Difficile à dire. Les analyses sont toujours en 227 bear came up with an arm. My sister and I looked at each other. “Excuse me?” Linda said. Sheriff Lowell nodded. “A hunter shot a bear and found a bone next to the body It’d been in the bear’s mouth. Turned out to be a human arm. We traced it back. Took some time, I can tell you. We’re still excavating the area.” cours, mais d’après le labo, la mort remonte à cinq bonnes années. Ils ont été drôlement bien planqués. Jamais on ne les aurait retrouvés s’il n’y avait pas eu un glissement de terrain à cause de toutes ces pluies, et si un ours n’avait pas déterré un bras. Ma soeur et moi, on s’est regardés. — Pardon? a fait Linda. Le shérif Lowell a hoché la tête. — Un chasseur a tué un ours et trouvé un os à côté du cadavre. L’ours l’avait dans la gueule. “You think there may be more bodies?” “Can’t say for sure. I sat back. Linda stayed focused. “So are you here to get our permission to dig on Lake Charmaine property?” “In part.” We waited for him to say more. He cleared his throat and looked at me again. “Dr. Beck, you’re blood type B positive, isn’t that right?” I opened my mouth, but Linda put a protective hand on my knee. “What does that have to do with anything?” she asked. “We found other things,” he said. “At the grave site.” “What other things?” “I’m sorry. That’s confidential.” Ça s’est révélé être un bras humain. Du coup, on a fouillé la zone. Ç’a pris du temps, croyez-moi. D’ailleurs, on continue à creuser. — Vous pensez qu’il pourrait y avoir d’autres cadavres? — On ne sait jamais. Je me suis enfoncé dans le canapé. Linda, elle, ne s’est pas départie de sa concentration. — Vous êtes donc venu pour nous demander l’autorisation de creuser autour du lac Charmaine? — En partie, oui. On a attendu la suite. Il s’est raclé la gorge et m’a dévisagé une fois de plus. — Docteur Beck, votre groupe sanguin, c’est bien B+, n’est-ce pas? J’ai ouvert la bouche, mais Linda a posé une main protectrice sur mon genou. — Quel rapport? a-t-elle demandé. — On a découvert d’autres choses. À l’endroit où ils ont été ensevelis. “Then get the hell out,” I said. — Quelles autres choses? Lowell did not seem particularly surprised by my outburst. “I’m just trying to conduct—” — Désolé, c’est confidentiel. “I said, get out.” — Dans ce cas, fichez le camp ! me suis-je exclamé. Lowell n’a pas eu l’air particulièrement surpris par mon éclat. Sheriff Lowell didn’t move. “I know that your wife’s murderer has already been brought to justice,” he said “And I know it — J’essaie juste de mener... 228 must hurt like hell to bring this all up again.” — Je vous ai dit de ficher le camp. “Don’t patronize me,” I said. Le shérif n’a pas bronché. “That’s not my intent.” “Eight years ago you thought I killed her.” — Je sais que l’assassin de votre femme a déjà été traduit en justice. Et que ça doit faire sacrément mal de ramener le sujet sur le tapis. “That’s not true. You were her husband. In such cases, the odds of a family member’s involvement—” — Epargnez-moi votre pitié. “Maybe if you didn’t waste time with that crap, you would have found her before—” I jerked back, feeling myself choking up. I turned away Damn. Damn him. Linda reached for me, but I moved away — Il y a huit ans, vous pensiez que je l’avais tuée. “My job was to explore every possibility,” he droned on. “We had the federal authorities helping us. Even your father-inlaw and his brother were kept informed of all developments. We did everything we could.” I couldn’t hear to hear another word. “What the hell do you want here, Lowell?” He rose and hoisted his pants onto his gut. I think he wanted the height advantage. To intimidate or something. “A blood sample,” he said. “From you. “Why?” “When your wife was abducted, you were assaulted.” “So?” “You were hit with a blunt instrument.” “You know all this.” — Ce n’était pas ce que j’avais en tête. — Ce n’est pas vrai. Vous étiez son mari. Dans les affaires de ce genre, les chances qu’un proche soit impliqué... — Si vous n’aviez pas perdu de temps à ces conneries-là, vous l’auriez peut-être retrouvée avant... Je me suis redressé, avec l’impression d’étouffer. J’ai tourné la tête. Le diable l’emporte ! Linda a tendu la main vers moi, mais je me suis écarté. — Mon boulot était d’examiner toutes les possibilités, a-t-il poursuivi d’une voix monocorde. On avait fait appel aux autorités fédérales. Même le père et l’oncle d’Elizabeth étaient tenus au courant de l’évolution de l’enquête. On a fait tout ce qui était en notre pouvoir. Je ne supportais plus cette conversation. — Bon sang, vous voulez quoi, Lowell? Il s’est levé, a glissé les pouces sous sa ceinture afin de remonter son pantalon. Pour me dominer, je pense. Histoire de mieux m’intimider. — Un prélèvement sanguin. Votre sang. — Pour quoi faire? — Au moment de l’enlèvement de votre femme, vous avez été agressé. — Et alors? — On vous a frappé avec un instrument contondant. “Yes,” Lowell said. He gave his nose another wipe, tucked the hanky away, and started pacing. “When we found the bodies, we also found a baseball bat.” — Vous le savez, tout ça. — Oui, a dit Lowell. Il s’est encore essuyé le nez et, après avoir rangé 229 The pain in my head started throbbing again. “A bat?” Lowell nodded. “Buried in the ground with the bodies. There was a wooden bat.” Linda said, “I don’t understand. What does this have to do with my brother?” “We found dried blood on it. We’ve typed it as B positive.” He tilted his head toward me. “Your blood type, Dr. Beck.” son mouchoir, s’est mis à arpenter la pièce. — Quand on a découvert les corps, on a trouvé également une batte de base-ball. Ma tête recommençait à palpiter douloureusement. — Une batte? Il a acquiescé. — Enterrée avec les cadavres. Une batte en bois. — Je ne comprends pas, a coupé Linda. Quel rapport avec mon frère? We went over it again. The tree-carving anniversary, the swim in the lake, the sound of the car door, my pitifully frantic swim to shore. “You remember falling back in the lake?” Lowell asked me. “Yes.” “And you heard your wife scream?” “Yes.” “And then you passed out? In the water?” I nodded. — On a relevé du sang séché dessus. Qu’on a identifié comme appartenant au groupe B+. Il a incliné la tête vers moi. — Votre groupe sanguin, docteur Beck. On a tout repris depuis le début. Le rituel de l’encoche sur l’arbre, la baignade dans le lac, le bruit de la portière, mes fébriles et pitoyables efforts pour regagner la rive. — Vous vous rappelez être retombé dans le lac? m’a-t-il demandé. — Oui. — Et vous avez entendu votre femme crier? — Oui. “How deep would you say the water was? Where you fell in, I mean?” “Didn’t you check this eight years ago?” I asked. “Bear with me, Dr. Beck.” “I don’t know. Deep.” “Over-your-head deep?” “Yes.” — Puis vous avez perdu connaissance? Dans l’eau? J’ai fait oui de la tête. — A votre avis, quelle était la profondeur à cet endroit? Là où vous êtes tombé. — Vous n’avez pas mesuré, il y a huit ans? “Right, okay Then what do you remember?” — Encore un peu de patience, docteur Beck. — Je n’en sais rien. C’était assez profond. “The hospital,” I said. “Nothing between the time you hit the water and the time you woke up at the hospital?” “That’s right.” — Vous n’aviez pas pied? — Non. — Bon, très bien. Que vous rappelez-vous, ensuite? “You don’t remember getting out of the 230 water? You don’t remember making your way to the cabin or calling for an ambulance? You did all that, you know. We found you on the floor of the cabin. The phone was still off the hook.” “I know, but I don’t remember.” Linda spoke up. “Do you think these two men are more victims of”—she hesitated— ”KillRoy?” She said it in a hush. KillRoy Just uttering his name chilled the room. Lowell coughed into his fist. “We’re not sure, ma am. KillRoy’s only known victims are women. He never hid a body before—at least, none that we know about. And the two men’s skin had rotted so we can’t tell if they’d been branded.” Branded. I felt my head spin. I closed my eyes and tried not to hear any more. 3 I rushed to my office early the next morning, arriving two hours before my first scheduled patient. I flipped on the computer, found the strange email, clicked the hyperlink. Again it came up an error. No surprise really I stared at the message, reading it over and over as though I might find a deeper meaning. I didn’t. Last night, I gave blood. The DNA test would take weeks, but Sheriff Lowell thought they might be able to get a preliminary match earlier. I pushed him for more information, but he remained tight-lipped. He was keeping something from us. What, I had no idea. As I sat in the examining room and waited for my, first patient, I replayed Lowell’s visit. I thought about the two bodies. I thought about the bloody wooden bat. And I let myself think about the branding. Elizabeth’s body was found off Route 80 five — L’hôpital. — Rien entre le moment où vous vous êtes retrouvé dans l’eau et le moment de votre réveil à l’hôpital? — Rien. — Vous ne vous souvenez pas être sorti de l’eau ? Vous ne vous souvenez pas être allé jusqu’à la cabane, avoir appelé une ambulance? Car vous avez fait tout ça. On vous a découvert sur le plancher de la cabane. Le téléphone était décroché. — Je sais, mais je ne m’en souviens pas. Linda a pris la parole. — Vous croyez que ces deux hommes sont eux aussi victimes de... — elle a hésité — … KillRoy? Elle avait baissé la voix. KillRoy. Le simple fait de prononcer son nom a jeté un froid dans la Lowell a toussé dans son poing. — Aucune idée, m’dame. Les seules victimes connues de KillRoy sont des femmes. Il n’a jamais caché un corps auparavant... en tout cas, pas à notre connaissance. Et comme les deux cadavres étaient décomposés, on ne sait pas s’ils ont été marqués. Marqués. J’ai été pris de vertige. Fermant les yeux, je me suis efforcé de ne plus écouter. 3 Le lendemain matin, j’ai foncé au bureau très tôt, pour arriver deux heures avant mon premier rendezvous. J’ai pianoté sur le clavier de l’ordinateur, retrouvé l’étrange e-mail, cliqué sur le lien. A nouveau, l’écran a affiché « Erreur ». Ce n’était pas vraiment une surprise. J’ai relu le message, encore et encore, comme pour en décrypter le sens caché. En vain. La veille au soir, j’avais subi une prise de sang. Les tests ADN allaient prendre plusieurs semaines, mais le shérif Lowell pensait pouvoir récupérer les premiers résultats comparatifs plus rapidement. J’avais essayé de lui soutirer davantage d’informations, mais il n’avait pas desserré les dents. 231 days after the abduction. The coroner estimated that she’d been dead for two days. That meant she spent three days alive with Elroy Kellerton, aka KillRoy. Three days. Alone with a monster. Three sunrises and sunsets, scared and in the dark and in immense agony I try very hard not to think about it. There are some places the mind should not go; it gets steered there anyway. KillRoy was caught three weeks later. He confessed to killing fourteen women on a spree that began with a coed in Ann Arbor and ended with a prostitute in the Bronx. All fourteen women were found dumped on the side of the road like so much refuse. All had also been branded with the letter K. Branded in the same way as cattle. In other words, Elroy Kellerton took a metal poker, stuck it in a blazing fire, put a protective mitt on his hand, waited until the poker turned molten red with heat, and then he seared my Elizabeth’s beautiful skin with a sizzling hiss. My mind took one of those wrong turns, and images started flooding in. I squeezed my eyes shut and wished them away It didn’t work. He was still alive, by the way KillRoy, I mean. Our appeals process gives this monster the chance to breathe, to read, to talk, to be interviewed on CNN, to get visits from do-gooders, to smile. Meanwhile his victims rot. Like I said, God has some sense of humor. I splashed cold water on my face and checked the mirror. I looked like hell. Patients started filing in at nine o clock. I was distracted, of course. I kept one eye on the wall clock, waiting for “kiss time”—6: 15 P.M. The clock’s hands trudged forward as though bathed in thick syrup. I immersed myself in patient care. I’d always had that ability. As a kid, I could study for hours. As a doctor, I can disappear into my work. I did that after Elizabeth died. Some people point out that I hide in my work, that I choose to work instead of live. To that cliché I respond with a simple “What’s your point?” At noon, I downed a ham sandwich and Diet Coke and then I saw more patients. One Il nous dissimulait quelque chose. Quoi, aucune idée. En attendant mon premier patient, j’ai revisionné mentalement notre entretien. J’ai pensé aux deux cadavres. A la batte maculée de sang. Je me suis laissé aller jusqu’à penser aussi au marquage. Le corps d’Elizabeth avait été trouvé au bord de la route 80 cinq jours après l’enlèvement. Le coroner a estimé qu’elle était morte depuis deux jours. Autrement dit, elle avait passé trois jours avec Elroy Kellerton, alias KillRoy. Trois jours. Seule avec un monstre. Trois levers et trois couchers de soleil, terrifiée, dans le noir et dans d’atroces souffrances. Je fais mon possible pour ne pas y songer. Il y a des lieux où il vaut mieux que l’esprit ne s’aventure pas; parce qu’il s’y égare nécessairement. KillRoy avait été capturé trois semaines plus tard. Il avait reconnu avoir tué dix-huit femmes, lors d’une virée qui avait commencé par une étudiante à Ann Arbor et s’était terminée par une prostituée dans le Bronx. Les dix-huit victimes avaient été retrouvées au bord de la route, jetées là tel un tas d’ordure. Toutes marquées de la lettre K. Comme on marque le bétail. En d’autres termes, Elroy Kellerton avait pris un tisonnier en métal, l’avait plongé dans le feu, avait enfilé un gant de protection et, une fois le tisonnier chauffé à blanc, l’avait appliqué sur la jolie peau de mon Elizabeth dans un gresillernent de chair brûlée. Mon esprit partait dans la mauvaise direction, les images commençaient à affluer. Serrant les paupières, je me suis forcé à les chasser. Ça n’a pas marché. A propos, il était toujours en vie, KillRoy. Notre système d’appel offrait à ce monstre la possibilité de respirer, de lire, de parler, d’être interviewé sur CNN, de recevoir des visites de la part d’âmes charitables, de sourire. Pendant que ses victimes pourrissaient. Comme je l’ai déjà dit, Dieu ne manque pas d’humour. Je me suis aspergé le visage d’eau froide et j’ai jeté un coup d’oeil au miroir: une mine épouvantable. Les patients ont commencé à arriver à neuf heures. J’étais déconcentré, bien sûr. Je gardais un oeil sur l’horloge murale, attendant l’« heure du baiser », six heures et quart. Mais les aiguilles avançaient comme si elles avaient baigné dans la mélasse. Je me suis immergé dans le travail. J’ai toujours eu 232 eight-year-old boy had visited a chiropractor for “spinal alignment” eighty times in the past year. He had no back pain. It was a con job perpetrated by several area chiropractors. They offer the parents a free TV or VCR if they bring their kids in. Then they bill Medicaid for the visit. Medicaid is a wonderful, necessary thing, but it gets abused like a Don King undercard. I once had a sixteen-year-old boy rushed to the hospital in an ambulance—for routine sunburn. Why an ambulance instead of a taxi or subway? His mother explained that she’d have to pay for those herself or wait for the government to reimburse. Medicaid pays for the ambulance right away At five o’clock, I said good-bye to my last patient. The support staff headed out at five-thirty I waited until the office was empty before I sat and faced the computer. In the background I could hear the clinic s phones ringing. A machine picks them up after five-thirty and gives the caller several options, but for some reason, the machine doesn’t pick up until the tenth ring. The sound was somewhat maddening. I got online, found the email, and clicked on the hyperlink yet again. Still a no-go. I thought about this strange email and those dead bodies. There had to be a connection. My mind kept going back to that seemingly simple fact. I started sorting through the possibilities. Possibility one: These two men were the work of KillRoy True, his other victims were women and easily found, but did that rule out his killing others? Possibility two: KillRoy had persuaded these men to help him abduct Elizabeth. That might explain a lot. The wooden bat, for one thing, if the blood on it was in-deed mine. It also put to rest my one big question mark about the whole abduction. In theory, KillRoy, like all serial killers, worked alone. How, I’d always wondered, had he been able to drag Elizabeth to the car and at the same time lie in wait for me to get out of the water? Before her body surfaced, the authorities had assumed there had been cette capacité-là. Gamin, je pouvais étudier des heures durant. A mon cabinet médical, je peux m’absorber dans le travail. C’est ce que j’ai fait après la mort d’Elizabeth. Certains me font remarquer que j’ai choisi de travailler plutôt que de vivre. Ce cliché, j’y réponds d’un simple: «En quoi ça vous regarde ? » À midi, j’ai avalé un sandwich au jambon et un Coca light avant de recevoir une nouvelle fournée de patients. Un garçon de huit ans avait vu un chiropracteur pour « réalignement vertébral » quatre vingts fois au cours de l’année passée. Il n’avait pas mal au dos. C’était une arnaque montée par plusieurs chiropracteurs du coin. Ils offraient aux parents un poste de télévision ou un magnétoscope s’ils leur amenaient leurs gamins. Puis ils envoyaient la facture à Medicaid. Medicaid est une institution extraordinaire, indispensable, mais bonjour les abus. J’ai eu le cas d’un garçon de seize ans transporté en ambulance à l’hôpital... pour un vulgaire coup de soleil. Pourquoi une ambulance plutôt qu’un taxi ou le métro? Sa mère m’a expliqué qu’elle aurait dû payer le transport de sa poche ou bien attendre que l’État la rembourse. Alors que l’ambulance, c’est aux frais de Medicaid. À cinq heures, j’ai salué mon dernier patient. Le personnel d’accueil partait à cinq heures et demie. J’ai attendu que le bureau soit vide pour m’installer devant l’ordinateur. A distance, j’entendais sonner les téléphones de la clinique. A partir de cinq heures et demie, les appels sont interceptés par un répondeur, qui fournit au correspondant plusieurs options possibles. Mais, pour une raison ou une autre, l’appareil ne se déclenche qu’à la dixième sonnerie. Ce bruit me tapait sur les nerfs. Je me suis connecté, j’ai trouvé l’e-mail et ai à nouveau cliqué sur le lien. Toujours sans résultat. J’ai pensé à cet étrange message et aux deux cadavres. Il devait forcément y avoir une relation. Mon esprit me ramenait sans cesse à ce fait apparemment simple. J’ai donc entrepris de passer en revue tous les cas de figure. Hypothèse numéro un: ce double assassinat était l’oeuvre de KillRoy. Certes, ses victimes étaient des femmes, et on les a retrouvées sans difficulté, mais cela l’empêchait-il d’avoir commis d’autres meurtres? Hypothèse numéro deux : KillRoy avait persuadé ces hommes de l’aider à enlever Elizabeth. Ceci expliquerait cela. La batte en bois, par exemple, si le sang séché était effectivement le mien. Et ça 233 more than one abductor. But once her corpse was found branded with the K, that hypothesis was finessed. KillRoy could have done it, it was theorized, if he’d cuffed or somehow subdued Elizabeth and then gone after me. It wasn’t a perfect fit, but if you pushed hard enough, the piece went in. Now we had another explanation. He had accomplices. And he killed them. Possibility three was the simplest: The blood on the bat was not mine. B positive is not common, but it’s not that rare either. In all likelihood, these bodies had nothing to do with Elizabeth’s death. I couldn’t make myself buy it. I checked the computer’s clock. It was hooked into some satellite that gave the exact time. 6:04.42 P.M. Ten minutes and eighteen seconds to go. To go to what? The phones kept ringing. I tuned them out and drummed my fingers. Under ten minutes now. Okay, if there was going to be a change in the hyperlink, it would have probably happened by now. I put my hand on the mouse and took a deep breath. My beeper went off. I wasn’t on call tonight. That meant it was either a mistake—something made far too often by the clinic night operators—.-or a personal call. It beeped again. Double beep. That meant an emergency I looked at the display It was a call from Sheriff Lowell. It was marked Urgent. Eight minutes. I thought about it but not for very long. Anything was better than stewing with my own thoughts. I decided to call him back. Lowell again knew who it was before he supprimerait mon grand point d’interrogation concernant toute cette affaire. Théoriquement, comme tous les tueurs en série, KillRoy operait seul. Comment, me suis-je toujours demandé, avait-il réussi à traîner Elizabeth jusqu’à la voiture et pu en même temps guetter le moment où j’allais sortir de l’eau ? Avant qu’on ne découvre son corps, la police était partie du principe qu’il y avait eu plus d’un agresseur. Une fois qu’on eut retrouvé son cadavre marqué d’un K, cette hypothèse fut abandonnée. KillRoy aurait pu faire ça tout seul, avait-on estimé, s’il avait menotté ou neutralisé d’une quelconque façon Elizabeth avant de s’attaquer à moi. C’était un peu brut de décoffrage, mais ça pouvait coller. Maintenant, nous avions une autre explication. Il avait des complices. Et il les avait tués. Hypothèse numéro trois : c’était la plus simple. Le sang sur la batte n’était pas le mien. Le groupe B+ n’est pas très courant, mais il n’est pas rare non plus. Selon toute vraisemblance, ces deux cadavres n’avaient rien à voir avec la mort d’Elizabeth. Seulement, je n’y croyais pas. J’ai consulté l’horloge de l’ordinateur. Elle était réglée sur une espèce de satellite censé donner l’heure exacte. 18:04:42. Encore dix minutes et vingt-huit secondes à attendre. Attendre quoi? Les téléphones continuaient à sonner. J’ai essayé de faire la sourde oreille en tambourinant sur la table. Moins de dix minutes maintenant. 0K, s’il devait y avoir un changement côté lien, ce serait déjà arrivé. La main sur la souris, j’ai inspiré profondément. Mon biper s’est mis à grésiller. Je n’étais pas de garde ce soir. Donc, c’était soit une erreur — les standardistes de nuit étaient réputées pour —‘ soit un appel personnel. Ça a recommencé. Un double bip. Cela signifiait une urgence. J’ai regardé l’affichage. C’était un appel du shérif Lowell. Avec la mention « Urgent ». Huit minutes. J’ai hésité, mais pas très longtemps. Tout plutôt que de mariner dans mes propres interrogations. J’ai 234 picked up. “Sorry to bother you, Doc.” Doc, he called me now. As though we were chums. “But I just have a quick question.” I put my hand back on the mouse, moved the cursor over the hyperlink, and clicked. The Web browser stirred to life. “I’m listening,” I said. The Web browser was taking longer this time. No error message appeared. “Does the name Sarah Goodhart mean anything to you?” I almost dropped the phone. “Doc?” I pulled the receiver away and looked at it as though it had just materialized in my hand. I gathered myself together a piece at a time. When I trusted my voice, I put the phone back to my ear. “Why do you ask?” Something started coming up on the computer screen. I squinted. One of those sky cams. Or street cam, I guess you’d call this one. They had them all over the Web now. I sometimes used the traffic ones, especially to check out the morning delay on the Washington Bridge. “It’s a long story,” Lowell said. I needed to buy time. “Then I’ll call you baék.” I hung up. Sarah Goodhart. The name meant something to me. It meant a lot. What the hell was going on here? décidé de le rappeler. Une fois de plus, Lowell a su qui c’était avant de décrocher. — Désolé de vous déranger, Doc. Il m’appelait Doc maintenant. Comme si on était copains. — Juste une petite question à vous poser. La main sur la souris, j’ai fait glisser le curseur sur le lien et cliqué. Le navigateur s’est mis en branle. — Je vous écoute, ai-je grogné. Le logiciel de navigation mettait plus de temps, ce coup-ci. Sans afficher le message d’erreur. — Le nom de Sarah Goodhart, ça vous dit quelque chose? J’ai failli lâcher le téléphone. — Doc? J’ai écarté le combiné et l’ai contemplé comme s’il venait de se matérialiser dans ma main. Je me suis recomposé morceau par morceau. Une fois recouvré l’usage de ma voix, j’ai rapproché le téléphone de mon oreille. — Pourquoi me demandez-vous ça? Quelque chose est apparu sur l’écran de l’ordinateur. J’ai plissé les yeux. C’était une webcam. Une caméra de surveillance extérieure. Il y en a partout sur la Toile. Moi-même, j’utilisais quelquefois celles qui étaient réservées à la circulation, notamment pour surveiller les embouteillages matinaux sur le pont Washington. — C’est une longue histoire, a fait Lowell. J’avais besoin de gagner du temps. — Dans ce cas, je vous rappellerai. J’ai raccroché. Sarah Goodhart, ce nom avait un sens pour moi. Et quel sens! Que diable se passait-il? The browser stopped loading. On the monitor, I saw a street scene in black and white. The rest of the page was blank. No banners or titles. I knew you could set it up so that you grabbed only a certain feed. That was what we had here. Le navigateur a fini de télécharger. Sur l’écran, j’ai vu un paysage urbain en noir et blanc. Le reste de la page était vide. Sans bannières ni titres. Je savais qu’il était possible de réduire l’image à sa portion congrue. C’était le cas ici. I checked the computer clock. J’ai jeté un coup d’oeil sur l’horloge de l’ordinateur. 235 6:12.18 P.M. The camera was pointing down at a fairly busy street corner, from maybe fifteen feet off the ground. I didn’t know what corner it was or what city I was looking at. It was definitely a major city, though. Pedestrians flowed mostly from right to left, heads down, shoulders slumped, briefcases in hand, downtrodden at the end of a workday, probably heading for a train or bus. On the far right, I could see the curb. The foot traffic came in waves, probably coordinated with the changing of a traffic light. I frowned. Why had someone sent me this feed? The clock read 6:14.21 P.M. Less than a minute to go. I kept my eyes glued to the screen and waited for the countdown as though it were New Year’s Eve. My pulse started speeding up. Ten, nine, eight... 18: 12:18. La caméra était braquée sur un carrefour passablement animé, qu’elle surplombait peut-être de quatre ou cinq mètres. J’ignorais où se trouvait ce carrefour et quelle était la ville qui s’étendait sous mes yeux. Mais aucun doute, c’était une grande ville. Les piétons affluaient principalement du côté droit, tête basse, épaules rentrées, attaché-case à la main, épuisés après une journée de travail, se dirigeant probablement vers une gare ou un arrêt d’autobus. Au bout, à droite, on distinguait le trottoir. Les gens arrivaient par vagues, sûrement en fonction du changement des feux tricolores. J’ai froncé les sourcils. Pourquoi m’avoir envoyé cette image-là? L’horloge affichait 18:14: 21. Moins d’une minute à attendre. Les yeux rivés sur l’écran, je suivais le compte à rebours comme si on était la veille du jour de l’an. Mon pouls s’est accéléré. Dix, neuf, huit... Another tidal wave of humanity passed from right to left. I took my eyes off the clock. Four, three, two. I Un nouveau raz de marée humain a traversé l’écran de droite à gauche. J’ai détaché le regard de l’horloge. Quatre, trois, deux. Retenant mon held my breath and waited. When I glanced at the clock again, it read: souffle, j’attendais. Quand j’ai jeté un coup d’oeil sur l’horloge, elle affichait 18:15 : 02. 6:15.02 P.M. Nothing had happened—but then again, what had I expected? Il ne s’était rien passé, mais bon... qu’allais-je imaginer? The human tidal wave ebbed and once again, for a second or two, there was nobody in the picture. I settled back, sucking in air. A joke, I figured. A weird joke, sure. Sick even. But nonetheless— And that was when someone stepped out from directly under the camera. It was as though the person had been hiding there the whole time. La marée humaine s’est retirée et, l’espace d’une seconde ou deux, il n’y a eu personne à l’écran. Je me suis carré dans mon fauteuil, aspirant l’air entre mes dents. C’était une blague. Une blague bizarre, certes. Malsaine même. Mais enfin... I leaned forward. It was a woman. That much I could see even though her back was to me. Short hair, but definitely a woman. From my angle, I hadn’t been able to make out any faces so far. This was no different. Not at first. The woman stopped. I stared at the top of Sur ce, quelqu’un est sorti directement de sous la caméra. On aurait dit que cette personne était cachée là pendant tout ce temps. Je me suis penché en avant. C’était une femme. Je le voyais bien, même si elle me tournait le dos. Cheveux courts, mais indubitablement une femme. De là où j’étais, je n’avais pas réussi à distinguer les visages. Le sien 236 her head, almost willing her to look up. She took another step. She was in the middle of the screen now. Someone else walked by. The woman stayed still. Then she turned around and slowly lifted her chin until she looked straight up into the camera. My heart stopped. I stuck a fist in my mouth and smothered a scream. I couldn’t breathe. I couldn’t think. Tears filled my eyes and started spilling down my cheeks. I didn’t wipe them away. I stared at her. She stared at me. Another mass of pedestrians crossed the screen. Some of them bumped into her, but the woman didn’t move. Her gaze stayed locked on the camera. She lifted her hand as though reaching toward me. My head spun. It was as though whatever tethered me to reality had been severed. I was left floating helplessly. She kept her hand raised. Slowly I managed to lift my hand. My fingers brushed the warm screen, trying to meet her halfway. More tears came. I gently caressed the woman’s face and felt my heart crumble and soar all at once. “Elizabeth,” I whispered. n’était pas une exception. Jusqu’à un certain moment. La femme s’est arrêtée. Je fixais le sommet de sa tête, comme pour la conjurer de lever les yeux. Elle a fait un pas. A présent, elle se trouvait au milieu de l’écran. Quelqu’un est passé à côté d’elle. La femme ne bougeait pas. Puis elle s’est retournée et, lentement, a levé le menton de façon à regarder la caméra bien en face. Mon coeur a cessé de battre. J’ai enfoncé mon poing dans ma bouche pour étouffer un cri. J’étais incapable de respirer. Incapable de réfléchir. Les larmes me sont montées aux yeux, m’ont coulé sur les joues sans que je les essuie. Je la dévisageais. Elle me dévisageait. Un autre flot de passants a submergé l’écran. Quelques-uns l’ont bousculée, mais la femme n’a pas bronché. Son regard était fixé sur la caméra. Elle a levé la main pour la tendre vers moi. La tête me tournait. Comme si le lien qui me rattachait à la réalité venait d’être tranché. Et je voguais, impuissant, à la dérive. Elle gardait la main en l’air. Lentement, j’ai réussi à lever la mienne. Mes doigts ont effleuré l’écran tiède, s’efforçant de l’atteindre. Les larmes coulaient à nouveau. J’ai caressé doucement le visage de la femme ; mon coeur a chaviré et s’est embrasé tout à la fois. — Elizabeth, ai-je murmuré. She stayed there for another second or two. Then she said something into the camera. I couldn’t hear her, but I could read her lips. Elle est restée là encore une seconde ou deux. Puis elle a dit quelque chose à la caméra. Je ne pouvais l’entendre, mais j’ai lu sur ses lèvres. “I’m sorry,” my dead wife mouthed. — Pardon, a articulé silencieusement ma femme morte. And then she walked away. Et elle est partie. 4 4 Vic Letty looked both ways before he ped inside the strip mall’s Mail Boxes Etc. His gaze slid across the room. Nobody was watching. Perfect. Vic couldn’t help but Vic Letty a jeté un coup d’oeil à droite et à gauche avant de pénétrer en clopinant chez Boîtes Postales Etc. Son regard a fait le tour de la pièce. Personne ne se préoccupait de lui. Parfait. Vic n’a pas pu 237 smile. His scam was foolproof. There was no way to trace it back to him, and now it was going to make him big-time rich. s’empêcher de sourire. Son arnaque était en béton. Il n’y avait aucun moyen de remonter jusqu’à lui, et son plan était sur le point d’en faire un homme riche. The key, Vic realized, was preparation. That was what separated the good from the great. The greats covered their tracks. The greats prepared for every eventuality La clé, se disait Vic, c’était la préparation. C’est ça qui faisait toute la différence entre un type doué et un génie. Le génie brouillait les pistes. Le génie parait à toutes les éventualités. The first thing Vic did was get a fake ID from that loser cousin of his, Tony. Then, using the fake ID, Vic rented a mailbox under the pseudonym UYS Enterprisès. See the brilliance? Use a fake ID and a pseudonym. So even if someone bribed the bozo behind the desk, even if someone could find out who rented the UYS Enterprises box, all you’d come up with was the name Roscoe Taylor, the one on Vic’s fake ID. Pour commencer, Vic s’était procuré de fauxpapiers d’identité auprès de son tocard de cousin, Tony. Ensuite, avec ces faux papiers, il avait loué une boîte postale sous le pseudonyme UYS Enter-prises. Vous pigez l’astuce ? On utilise un faux nom et un pseudonyme. Comme ça, même si quelqu’un suborne le crétin derrière le comptoir, même si quelqu’un découvre qui loue la boîte d’UYS Enterprises, le seul nom qui ressortira sera No way to trace it back to Vic himself. celui de Roscoe Taylor, qui figure sur la fausse carte d’identité de Vic. From across the room, Vic tried to see in the little window for Box 417. Hard to make out much, but there was something there for sure. Beautiful. Vic accepted only cash or money orders. No checks, of course. Nothing that could be traced back to him. And whenever he picked up the money, he wore a disguise. Like right now. He had on a baseball cap and a fake mustache. He also pretended to have a limp. He read somewhere that people notice limps, so if a witness was asked to identify the guy using Box 417, what would the witness say? Simple. The man had a mustache and a limp. And if you bribed the dumb-ass clerk, you’d conclude some guy named Roscoe Taylor had a mustache and a limp. And the real Vic Letty had neither. But Vic took other precautions too. He never opened the box when other people were around. Never. If someone else was getting his mail or in the general vicinity, he’d act as though he was opening another box or pretend he was filling out a mailing form, something like that. When the coast was clear—and only when the coast was clear—would Vic go over to Box 417. Vic knew that you could never, ever be too careful. Even when it came to getting here, Vic took precautions. He’d parked his work truck—Vic handled repairs and installations for CableEye, the East Coast’s biggest cable Il n’y avait aucun moyen de remonter jusqu’à Vic lui-même. À travers la pièce, Vic a scruté par la petite fenêtre la boîte 417. On n’y voyait pas très clair, mais manifestement il y avait quelque chose. Magnifique. Vic n’acceptait que les espèces ou les mandats. Pas de chèques, évidemment. Rien qui puisse conduire jusqu’à lui. Et quand il venait chercher l’argent, il prenait soin de se déguiser. Comme maintenant. Il portait une casquette de base-ball et une fausse moustache. Il faisait aussi semblant de boiter. Il avait lu quelque part qu’un boitillement, ça se remarque ; donc, si on demandait à un témoin de décrire l’individu utilisant la boîte 417, que dirait-il ? Facile. Un type avec une moustache et qui boitait. Et si on graissait la patte à cet abruti d’employé, on en déduirait que le dénommé Roscoe Taylor avait une moustache et boitait. Alors que le véritable Vic Letty n’était ni boiteux ni moustachu. Néanmoins, Vic prenait d’autres précautions. Il n’ouvrait jamais la boîte s’il y avait des gens autour. Jamais. Si quelqu’un venait chercher son courrier ou bien traînait dans les parages, il faisait mine d’ouvrir une autre boîte ou de remplir un formulaire de la poste, un truc comme ça. Quand la voie était libre — et seulement quand la voie était libre —‘Vic allait vers la boîte 417. On n’est jamais trop prudent. 238 TV operator—four blocks away. He’d ducked through two alleys on his way here. He wore a black windbreaker over his uniform coverall so no one would be able to see the “Vic” sewn over the shirt’s right pocket. He thought now about the huge payday that was probably in Box 417, not ten feet from where he now stood. His fingers felt antsy. He checked the room again. There were two women opening their boxes. One turned and smiled absently at him. Vic moved toward the boxes on the other side of the room and grabbed his key chain—he had one of those key chains that jangled off his belt—and pretended to be sorting through them. He kept his face down and away from them. More caution. Two minutes later, the two women had their mail and were gone. Vic was alone. He quickly crossed the room and opened his box. Oh wow. One package addressed to UYS Enterprises. Wrapped in brown. No return address. And thick enough to hold some serious green. Vic smiled and wondered: Is that what fifty grand looks like? He reached out with trembling hands and picked up the package. It felt comfortably heavy in his hand. Vic’s heart starte a jackhammering. Oh, sweet Jesus. He’d been running this scam for four months now. He’d been casting that net and landing some pretty decent fish. But oh lordy, now he’d landed a friggin’ whale! Checking his surroundings again, Vic stuffed the package into the pocket of his windbreaker and hurried outside. He took a different route back to his work truck and started for the plant. His fingers found the package and stroked it. Fifty grand. Fifty thousand dollars. The number totally blew his mind. Même pour venir ici, Vic prenait des précautions. Il garait le camion de l’entreprise — Vic s’occupait de dépannage et d’installation pour le compte de CableEye, la plus grosse compagnie de câble de la côte est — quatre rues plus loin. Il se faufilait à travers deux passages. Il portait un coupe-vent noir par-dessus son bleu de travail, pour qu’on ne voie pas « Vic » cousu sur sa poche de poitrine. En songeant maintenant à la somme colossale qui devait l’attendre dans la boîte 417, à trois mètres de là, il avait des fourmis dans les doigts. A nouveau, il a inspecté la pièce. Deux femmes étaient en train d’ouvrir leurs boîtes. L’une d’elles s’est retournée et lui a souri distraitement. Vic s’est dirigé vers les boîtes situées à l’opposé en tripotant son porte-clés — il avait un de ces porte-clés qui se fixent par une chaîne à la ceinture — et a feint d’examiner ses clés une par une. Tête baissée, il leur tournait le dos. Prudence. Deux minutes plus tard, les femmes sont reparties avec leur courrier. Vic était seul. Rapidement, il a traversé la pièce et ouvert sa boîte. Nom d’un chien. Un paquet adressé à UYS Enterprises. Enveloppé de papier brun. Sans adresse de l’expéditeur. Et suffisamment épais pour contenir une bonne liasse de billets verts. Vic a souri en pensant : Voilà donc à quoi ça ressemble, cinquante mille dollars. Les doigts tremblants, il a pris le paquet. S’est délecté de son poids entre ses mains. Son coeur s’est mis à cogner. Oh, nom de Dieu ! Cette arnaque, il la pratiquait depuis quatre mois déjà. Quelques gros poissons s’étaient pris dans ses filets. Mais ce coupci, bon sang de bonsoir, il avait pêché une drôle de baleine Après avoir regardé autour de lui, Vic a fourré le paquet dans la poche de son coupe-vent et s’est dépêché de sortir. Il a regagné le camion en changeant d’itinéraire et a repris le chemin de l’usine. Ses doigts ont trouvé le paquet, l’ont caressé. Cinquante mille. Cinquante mille dollars. Le chiffre le By the time Vic drove to the CableEye plant, 239 night had fallen. He parked the truck in the back and walked across the footbridge to his own car, a rusted-out 1991 dépassait complètement. Honda Civic. He frowned at the car and thought, Not much longer. Le temps d’arriver chez CableEye, la nuit était tombée. Vic a garé le camion à l’arrière et traversé la passerelle pour récupérer sa propre voiture, une Honda Civic de 1991 mangée par la rouille. Il l’a contemplée en fronçant les sourcils : plus pour longtemps. The employee lot was quiet. The darkness started weighing against him. He could hear his footsteps, the weary slap of work boots against tar. The cold sliced through his windbreaker. Fifty grand. He had fifty grand in his pocket. Vic hunched his shoulders and hurried his step. The truth was, Vic was scared this time. The scam would have to stop. It was a good scam, no doubt about it. A great one even. But he was taking on some big boys now. He had questioned the intelligence of such a move, weighed the pros and cons, and decided that the great ones—the ones who really change their lives—go for it. And Vic wanted to be a great one. The scam was simple, which was what made it so extraordinary. Every house that had cable had a switch box on the telephone line. When you ordered some sort of premium channel like HBO or Showtime, your friendly neighborhood cable man came out and flicked a few switches. That switch box holds your cable life. And what holds your cable life holds all about the real you. Cable companies and hotels with in-room movies always point out that your bill will not list the names of the movies you watch. That might be true, but that doesn’t mean they don’t know. Try fighting a charge sometime. They’ll tell you titles until you’re blue in the face. What Vic had learned right away—and not to get too technical here-was that your cable choices worked by codes, relaying your order information via the cable switch box to the computers at the cable company’s main station. Vic would climb the telephone poles, open the boxes, and read off the numbers. When he went back to the office, he’d plug in the codes and Le parking du personnel était désert. L’obscurité commençait à l’oppresser. Ses boots de travail claquaient monotonement sur le bitume. Le froid s insinuait sous le coupe-vent. Cinquante mille. Il avait cinquante mille dollars dans sa poche. Rentrant la tête dans les épaules, Vic a pressé le pas. Pour tout dire, cette fois il avait peur. Il était temps qu’il arrête. Son arnaque était bonne, aucun doute à ce sujet. Géniale même. Mais il jouait maintenant dans la cour des grands. Il s’était interrogé sùr le bien-fondé de cette démarche, avait pesé le pour et le contre et décidé que les génies — ceux qui changent réellement de vie — ne reculent pas devant le risque. Or Vic avait envie de faire partie des génies. C’était la simplicité même de son arnaque qui la rendait extraordinaire. Chaque logement câblé avait un commutateur sur sa ligne téléphonique. Quand on voulait s’abonner à une chaîne comme HBO ou Showtime, le gentil installateur venait bidouiller les interrupteurs. Votre vie sur le câble était contenue dans ce commutateur. Et ce qui contient votre vie sur le câble contient tout ce qu’il y à savoir sur vous. Les opérateurs du câble et les hôtels qui offrent l’accès au kiosque multivision prennent soin de spécifier que les titres des films que vous regardez n’apparaissent pas sur la facture. C’est peut-être vrai, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne les connaissent pas. Essayez donc de ne pas payer, à l’occassion. Ils vont vous dresser toute la liste jusqu’à plus soif. Vic avait eu tôt fait d’apprendre — sans trop entrer dans les détails techniques — que les choix effectués sur le câble étaient régis par des codes, transmettant votre commande via le commutateur au terminal informatique de l’opérateur. Il grimpait sur les poteaux télégraphiques, ouvrait les boîtiers et 240 learn all. He’d learn, for example, that at six P.M. on February 2, you and your family rented The Lion King on pay-per-view. Or for a much more telling example, that at ten-thirty P.M. on February 7, you ordered a double bill of The Hunt for Miss October and On Golden Blonde via Sizzle TV. See the scam? At first Vic would hit random houses. He’d write a letter to the male owner of the residence. The letter would be short and chilling. It would list what porno movies had been watched, at what time, on what day. It would make it clear that copies of this information would be disseminated to every member of the man’s family, his neighbors, his employer. Then Vic would ask for $500 to keep his mouth shut. Not much money maybe, but Vie thought it was ‘the perfect amount—high enough to give Vie some serious green yet low enough so that most marks wouldn’t balk at the price. Still—and this surprised Vie at first—only about ten percent responded. Vie wasn’t sure why. Maybe watching porno films wasn’t the stigma it used to be. Maybe the guy’s wife already knew about it. Hell, maybe the guy’s wife watched them with him. But the real problem was Vie’s scam was too scattershot. He had to be more focused. He had to cherry-pick his marks. That was when he came up with the idea of concentrating on people in certain professions, ones who would have a lot to lose if the information came out. Again the cable computers had all the info he needed. He started hitting up schoolteachers. Day care workers. Gynecologists. Anyone who worked in jobs that would be sensitive to a scandal like this. Teachers panicked the most, but they had the least money He also made his letters more specific. He would mention the wife by name. He would mention the employer by name. With teachers, he’d promise to flood the Board of Education and the parents of his students with “proof of perversion,” a phrase Vie came up with on his own. With doctors, relevait les chiffres. De retour au bureau, il tapait les codes et découvrait tout. Il découvrait par exemple qu’à dix-huit heures, le 2 février, vous et votre famille aviez loué par le biais du kiosque Le Roi Lion. Ou, pour prendre un exemple beaucoup plus parlant, qu’à vingt-deux heures trente, le 7 février, vous vous étiez payé A la poursuite de Miss Octobre et Sur la blonde dorée sur Sizzle TV. Vous voyez l’arnaque? Au début, Vic choisissait ses cibles au hasard. Il adressait une lettre au chef de famille. Une lettre brève et réfrigérante. Dedans, il énumérait tous les films porno qui avaient été commandés, avec la date et l’heure. En précisant que des copies de cette information seraient diffusées à tous les membres de sa famille, à ses voisins, à son employeur. Après quoi, Vic réclamait cinq cents dollars en échange de son silence. Ce n’était peut-être pas grand-chose, mais pour lui c’était la somme idéale: suffisante pour se constituer un petit pactole, et en même temps pas assez importante pour que ses victimes renâclent à payer. Néanmoins — et il en avait été surpris au début — , seuls dix pour cent environ lui répondaient. Vic ne savait pas très bien pourquoi. Peut-être que le fait de regarder des films porno n’était plus une tare, comme autrefois. Peut-être que la femme du type était déjà au courant. Bon sang, peut-être qu’elle les regardait avec lui ! Mais le vrai problème de Vic était qu’il s’éparpillait trop. Il fallait se recentrer davantage. Trier ses cibles. D’où son idée de viser certaines professions, celles qui auraient beaucoup à perdre si l’information venait à être divulguée. Une fois de plus, les ordinateurs de la compagnie lui ont fourni tous les renseignements dont il avait besoin. Il a commence à frapper chez les enseignants. Le personnel des crèches. Les gynécologues. Quiconque exerçant une fonction susceptible de pâtir d’un scandale de ce genre. C’étaient les professeurs qui paniquaient le plus, mais e’étaient aussi eux qui avaient le moins d’argent. Par ailleurs, ses lettres étaient maintenant plus ciblées. Il mentionnait le nom de la femme. Le nom de l’employeur. Aux profs, Vic promettait 241 he’d threaten to send his “proof” to the specific licensing board, along with the local papers, neighbors, and patients. Money started coming in faster. To date, Vic’s scams had netted him Close to forty thousand dollars. And now he had landed his biggest fish yet—such a big fish that at first Vic had considered dropping the matter altogether. But he couldn’t. He couldn’t just walk away from the juiciest Score of his life. Yes, he’d hit someone in the spotlight. A big, big big-time spotlight. Randall Scope. Young, handsome, rich, hottie wife, 2.4 kids, political aspirations, the heir apparent to the Scope fortune. And Scope hadn’t ordered just One movie. Or even two. During a one-month stint, Randall Scope had ordered twenty-three pornographic films. Ee-yow. Vic had spent two nights drafting his demands, but in the end he stuck with the basics: short, chilling, and very specific. He asked Scope for fifty grand. He asked that it be in his box by today And unless Vie was mistaken, that fifty grand was burning a hole in his windbreaker pocket. Vic wanted to look. He wanted to look right now. But Vic was nothing if not disciplined. He’d wait until he got home. He’d lock his door and sit on the floor and slit open the package and let the green pour out. Serious big-time. Vic parked his car on the street and headed up the driveway The sight of his living quarters—an apartment over a crappy garage—depressed him. But he wouldn’t be there much longer. Take the fifty grand, add the almost forty grand he had hidden in the apartment, plus the ten grand in savings... The realization made him pause. One hundred thousand dollars. He had one hundred grand in cash. Hot damn. d’inonder le conseil de l’établissement et les parents d’élèves de « preuves de perversité », une expression de son cru. Les médecins, il les menaçait d’envoyer ses « preuves » au conseil de l’ordre, sans oublier la presse locale, les voisins et les patients. L’argent a commencé à rentrer plus vite. Jusqu’à ce jour, l’arnaque avait rapporté à Vic près de quarante mille dollars. Et voilà qu’il avait ferré son plus gros poisson, tellement gros que son premier réflexe avait été de laisser tomber. Mais il n’avait pas pu. Il n’avait pas eu le coeur de renoncer à la prise la plus fabuleuse de sa vie. Eh oui, il s’était fait quelqu’un de connu. Quelqu’un de haut placé. Randall Scope. Jeune, beau, riche, femme sexy, 2,4 enfants, ambiti onsj politiques, l’héritier en vue de l’empire Scope. Et il n’avait pas commandé un film. Ni même deux. En l’espace d’un mois, Randall Scope avait visionné vingt-trois films pornographiques. Waouh! Vic avait passé deux nuits à rédiger le brouillon de sa lettre, pour finalement s’en tenir à la version de base : brève, froide et extrêmement précise. Il réclamait à Scope cinquante mille dollars. Il les voulait dans sa boîte pour aujourd’hui. Et, sauf erreur de sa part, ces cinquante mille dollars étaient en train de lui brûler la poche. Vic aurait bien aimé y jeter un oeil. Là, tout de suite. Mais il était la discipline incarnée. Il attendrait d’être chez lui d’abord. Il verrouillerait sa porte, s’installerait par terre, ouvrirait le paquet et en ferait pleuvoir les billets verts. Ce coup-ci, c’était du sérieux. Vic a garé sa voiture dans la rue et s’est engagé dans l’allée. La vue de son logement — un appartement au-dessus d’un garage minable — le déprimait. Mais il n’allait pas y rester. Avec ces cinquante mille dollars, plus les quarante mille ou presque qu’il avait planqués chez lui, plus les dix mille qu’il avait économisés... À cette idée, il a fait une pause. Cent mille. Il avait cent mille dollars en liquide. Sacré nom de Dieu! He’d leave right away Take this money and 242 head out to Arizona. He had a friend out there, Sammy Viola. He and Sammy were going to start their own business, maybe open a restaurant or nightclub. Vie was tired of New Jersey. Il allait partir immédiatement. Prendre l’argent et filer en Arizona. Il avait un ami là-bas, Sammy Viola. À eux deux, ils ouvriraient un commerce, un restaurant ou une boîte de nuit. Vic en avait marre du New Jersey. It was time to move on. Start fresh. Vie headed up the stairs toward his apartment. For the record, Vie had never carried out his threats. He never sent out any letters to anyone. If a mark didn’t pay, that was the end of it. Harming them after the fact wouldn’t do any good. Vie was a scam artist. He got by on his brains. He used threats, sure, but he’d never carry through with them. It would only make someone mad, and hell, it would probably expose him too. He’d never really hurt anyone. What would be the point) He reached the landing and stopped in front of his door. Pitch dark now. The damn lightbulb by his door was out again. He sighed and heaved up his big key chain. He squinted in the dark, trying to find the right key He did it mostly through feel. He fumbled against the knob until the key found the lock. He pushed open the door and stepped inside and something felt wrong. Something crinkled under his feet. Vic frowned. Plastic, he thought to himself. He was stepping on plastic. As though a painter had laid it down to protect the floor or something. He flicked on the light switch, and that was when he saw the man with the gun. Il était temps de tourner la page. Recommencer a zéro. Il a gravi l’escalier menant à l’appartement. Pour la petite histoire, Vic n’avait jamais mis ses menaces à exécution. Jamais envoyé de lettre à quiconque. Si une de ses victimes ne voulait pas payer, c’était fini, on n’en parlait plus. Lui nuire après coup n’aurait servi à rien. Vic était un artiste de l’arnaque. Son arme, c’était son cerveau. Il recourait aux menaces, certes, mais sans passer a l’acte. Car ça risquait seulement de provoquer la colère de l’autre et, qui sait, de lui retomber dessus. Il n’avait jamais réellement fait de mal à personne. A quoi bon? Arrivé sur le palier, Vic s’est arrêté devant sa porte. Il faisait noir comme dans un four. Cette maudite ampoule avait encore grillé. Avec un soupir, il a tiré sur sa lourde chaîne porte-clés. Plissant les yeux dans l’obscurité, il a essayé de trouver la bonne clé. A tâtons, essentiellement. Puis il a tâtonné sous la poignée jusqu’à ce que la clé glisse dans la serrure. Il a poussé la porte, est entré. Quelque chose clochait. Un truc froufroutait sous ses pieds. Vic a froncé les sourcils. Du plastique. Il marchait sur du plastique. Comme celui qu’un peintre aurait posé pour protéger le plancher, ce genre-là. Il a appuyé sur l’interrupteur, et c’est là qu’il a vu l’homme avec le flingue. “Hi, Vie.” Vie gasped and took a step back. The man in front of him looked to be in his forties. He was big and fat with a belly that battled against the buttons of his dress shirt and, in at least one place, won. His tie was loosened and he had the worst comb-over imaginable—eight braided strands pulled ear to ear and greased against the dome. The man’s features were soft, his chin sinking into folds of flab. He had his feet up on the trunk Vie used as a coffee table. — Salut, Vic. Étouffant une exclamation, Vic a reculé d’un pas. L’homme en face de lui était âgé d’une quarantaine d’années. Grand et gros, avec un ventre qui se battait contre les boutons de sa chemise de soirée et qui, à un endroit au moins, avait déjà gagné. Sa cravate était desserrée, et sa coiffure était un vrai cauchemar: huit mèches tressées d’une oreille à l’autre et plaquées avec du gel au sommet de son crâne. Les traits de son visage étaient mous ; son 243 Replace the gun with a TV remote and the man would be a weary dad just home from work. The other man, the one who blocked the door, was the polar opposite of the big guy—in his twenties, Asian, squat, granitemuscular and cube-shaped with bleachedblond hair, a nose ring or two, and a yellow Walkman in his ears. The only place you might think to see the two of them together would be on a subway, the big man frowning behind his carefully folded newspaper, the Asian kid eyeing you as his head lightly bounced to the too-loud music on his headset. Vic tried to think. Find out what they want. Reason with them. You’re a scam artist, he reminded himself. You’re smart. You’ll find a way out of this. Vic straightened himself up. menton disparaissait dans des replis de graisse. Il avait posé les pieds sur le coffre que Vic utilisait en guise de table basse. Remplacez le flingue par une télécommande, et vous auriez eu devant vous un père de famille harassé, tout juste rentré du travail. L’autre homme, celui qui bloquait la porte, était tout le contraire du gros. Un Asiatique d’environ vingt ans, trapu, taillé comme un bloc de granite, carré, les cheveux décolorés, un piercing ou deux dans le nez et un Walkman jaune sur les oreilles. Le seul endroit où on aurait pu les voir ensemble, ces deux-là, ç’aurait été dans le métro, le gros fronçant les sourcils derrière son journal soigneusement plié, et le jeune vous observant tout en dodelinant de la tête au son de la musique qui beuglait dans son casque. Vic a tenté de réfléchir. Essaie de savoir ce qu’ils veulent. Raisonne-les. Tu es un artiste de l’arnaque. Un cerveau. Tu vas t’en sortir. Il s’est redressé. “What do you want?’ Vic asked. The big man with the comb-over pulled the trigger. Vic heard a pop and then his right knee exploded. His eyes went wide. He screamed and crumbled to the ground, holding his knee. Blood poured between his fingers. “It’s a twenty-two,” the big man said, motioning toward the gun. “A small-caliber weapon. What I like about it, as you’ll see, is that I can shoot you a lot and not kill you. With his feet still up, the big man fired again. This time, Vic’s shoulder took the hit. Vic could actually feel the bone shatter. His arm flopped away like a barn door with a busted hinge. Vic fell flat on his back and started breathing too fast. A terrible cocktail of fear and pain engulfed him. His eyes stayed wide and unblinking, and through the haze, he realized something. — Qu’est-ce que vous voulez? Le gros avec les tresses a appuyé sur la détente. Vic a entendu un bruit sec, puis son genou droit a explosé. Les yeux écarquillés, il a poussé un cri et s’est effondré en se tenant la jambe. Le sang a coulé entre ses doigts. — C’est un vingt-deux, a dit le gros en parlant de son arme. Un petit calibre. Ce qui me plaît là-dedans, comme tu vas le constater, c’est que je peux te tirer dessus autant que je veux sans te tuer. Les pieds toujours sur le coffre, l’homme a tiré à nouveau. Cette fois, c’est l’épaule de Vic qui a pris. Il a senti l’os éclater. Son bras est retombé telle une porte de grange dont un gond aurait lâché. Vic s’est renversé sur le dos en haletant, saoulé par un terrible cocktail de douleur et de peur. Les yeux grands ouverts et fixes dans le brouillard, il a soudain compris quelque chose. The plastic on the ground. He was lying on it. More than that, he was bleeding on it. That was what it was there for. The men had put it down for easy cleanup. “Do you want to start telling me what I want to hear,” the big man said, “or should I Le plastique par terre. Il était couché dessus. Pire, il saignait dessus. C’était pour ça qu’on l’avait déposé là. Ces hommes l’avaient étendu sur le sol afin de se simplifier le nettoyage. 244 shoot again?” Vie started talking. He told them everything. He told them where the rest of the money was. He told them where the evidence was. The big man asked him if he had any accomplices. He said no. The big man shot Vie’s other knee. He asked him again if he had accomplices. Vic still said no. The big man shot him in the right ankle. An hour later, Vie begged the big man to shoot him in the head. Two hours after that, the big man obliged. — Tu veux me raconter ce que j’ai envie d’entendre, a fait le gros, ou je recommence? Vic s’est mis à parler. Il leur a tout lâché. Il leur a avoué où était le reste de l’argent. Où se trouvaient les preuves. Le gros lui a demandé s’il avait des complices. Il a dit que non. Alors l’homme lui a tiré dans l’autre genou. Il a redemandé si Vic avait des complices. Vic a répété que non. L’homme lui a tiré dans la cheville droite. Une heure plus tard, Vic a supplié le gros de lui mettre une balle dans la tête. Deux heures après, son voeu a été exaucé. Corpus Coben 245 "FOLLOW ME" NORMANDYJune 6,1944 « Suivez-moi ! » Normandie 6 juin 1944 They jumped much too low from planes that were flying much too fast. They were carrying far too much equipment and using an untested technique that turned out to be a major mistake. As they left the plane, the leg bags tore loose and hurtled to the ground, in nearly every case never to be seen again. Simultaneously, the prop blast tossed them this way and that. With all the extra weight and all the extra speed, when the chutes opened, the shock was more than they had ever experienced. Jumping at 500 feet, and even less, they hit the ground within seconds of the opening of the chute, so they hit hard. The men were black and blue for a week or more afterward as a result. Ils ont sauté alors que les avions volaient trop bas et trop vite. Ils étaient trop chargés et utilisaient une nouvelle technique qu’ils n’avaient pas eu le temps d’expérimenter. À la sortie de l’avion, leurs leg bags se sont détachés, sont tombés comme des pierres et ils ne les ont presque jamais retrouvés. Les rafales de vent les ballottaient de côté et d’autre. À cause du poids de leur paquetage et de la vitesse excessive des C-47, la secousse provoquée par l’ouverture de leur parachute a été plus violente que tout ce qu’ils avaient connu jusque-là. Ayant sauté de 170 in d’altitude, parfois moins, ils ont atterri quelques secondes seulement après l’ouverture de leur parachute, et l’atterrissage a été rude. Résultat: ils ont été couverts de bleus pendant au moins une semaine. In a diary entry written a few days later, Lieutenant Winters tried to re-create his thoughts in those few seconds he was in the air: "We're doing 150 MPH. O.K., let's go. G-D, there goes my leg pack and every bit of equipment I have. Watch it, boy! Watch it! JC, they're trying to pick me up with those machine-guns. Slip, slip, try and keep close to that leg pack. There it lands beside that hedge. G-D that machine-gun. There's a road, trees-hope I don't hit them. Thump, well that wasn't too bad, now let's get out of this chute." Dans un passage de son journal, écrit quelques jours plus tard, le lieutenant Winters a essayé de retrouver quelles avaient été ses pensées durant ces quelques secondes passées dans les airs : «Nous volons à près de 250 km/h. OK, allons-y. Bon Dieu, mon leg pack fout le camp et mon équipement avec! Fais gaffe, mon gars ! Fais gaffe ! Nom de Dieu, ils essaient de m’avoir avec leurs mitrailleuses ! Laisse-toi dériver par là, essaie de te rapprocher de ce fichu leg pack. Le voilà qui atterrit là côté de cette haie. Bon Dieu, cette mitrailleuse ! Il y a une route et des arbres - j’espère que je vais pouvoir les éviter. Boum ! Je ne m’en suis pas trop mal tiré. Vite, il faut que je me débarrasse de ce parachute. ». Burt Christenson jumped right behind Winters. "I don't think I did anything I had been trained to do, but suddenly I got a tremendous shock when my parachute opened." His leg bag broke loose and "it was history." He could hear a bell ringing in Ste. Mere-Eglise, and see a fire burning in town. Machine-gun bullets "are gaining on me. I climb high into my risers. Christ, I'm headed for that line of trees. I'm descending too Burt Christenson a sauté juste derrière Winters. « Rien ne se passait comme à l’entraînement et brusquement il y a eu une secousse terrible quand mon parachute s’est ouvert. ›> Son leg bag s’est détaché, et il l’a perdu de vue. Il pouvait entendre la cloche de Sainte-Mère-Église, et apercevoir un feu qui brûlait dans ce même village. «Une mitrailleuse m’a pris pour cible. J’ai tiré de toutes mes forces sur les suspentes. Nom de Dieu ! Je me dirigeais tout 246 rapidly." As he passed over the trees, he pulled his legs up to avoid hitting them. "A moment of terror seized me. 70 ft. below and 20 ft. to my left, a German quad mounted 20 mm antiaircraft gun is firing on the C-47's passing overhead." Lucky enough for Christenson, the Germans' line of fire was such that their backs were to him, and the noise was such that they never heard him hit, although he was only 40 yards or so away. droit vers une rangée d’arbres. Je descendais trop vite. » Il a dû lever les jambes pour éviter les branches les plus hautes. « J ‘ai été pris de panique. À une vingtaine de mètres au-dessous de moi, et à moins de 10 m sur ma gauche, une batterie de quatre pièces antiaériennes de20 mm tirait sur un C-47 qui nous survolait. » Heureusement pour Christenson, les artilleurs allemands lui tournaient le dos, et le vacarme les a empêchés de l’entendre atterrir à moins de 40 m d’eux. Christenson cut himself out of his chute, pulled his six-shot revolver, and crouched at the base of an apple tree. He stayed still, moving only his eyes. Christenson a coupé au couteau les sangles de son harnais pour se débarrasser au plus vite de son parachute. ll a dégainé son six-coups et s’est accroupi au pied d’un pommier. Il est demeuré immobile un moment, bougeant seulement les yeux. "Suddenly I caught movement ten yards away, a silhouette of a helmeted man approaching on all fours. I reached for my cricket and clicked it once, click-clack. There was no response. The figure began to move toward me again." « Soudain, quelque chose a remue à une dizaine de mètres de moi, et j’ai aperçu la silhouette d’un homme casqué se déplaçant à quatre pattes. J ‘ai sorti mon grillon et j’ai appuyé une fois sur la lamelle, “clic-clac”. Pas de réponse. La silhouette avançait dans ma direction. ». Christenson pointed his revolver at the man's chest and click-clacked again. The man raised his hands. "For Christ sake, don't shoot." It was Pvt. Woodrow Robbins, Christenson's assistant gunner on the machine-gun. Christenson a braqué son revolver sur l’inconnu et appuyé à nouveau sur la lamelle de son « grillon », « clic-clac ». L’homme a levé les mains. «Pour l’amour de Dieu, ne tire pas ! » Il s’agissait du soldat Woodrow Robbins, qui devait aider Christenson à servir une des mitrailleuses. "You dumb shit, what the hell's wrong with you? Why didn't you use your cricket?" Christenson demanded in a fierce whisper. "I lost the clicker part of the cricket." Slowly the adrenalin drained from Christenson's brain, and the two men began backing away from the German position. They ran into Bull Randleman, who had a dead German at his feet. Randleman related that the moment he had gotten free of his chute he had fixed his bayonet. Suddenly a German came charging, his bayonet fixed. Randleman knocked the weapon aside, then impaled the - Bougre d’imbécile ! a grondé à voix basse Christenson. Tu es complètement dingue ! Pourquoi tu ne t’es pas servi de ton « grillon » ? - J ‘ai perdu la lamelle souple. Le taux d’adrénaline de Christensen a baissé lentement. En cherchant à s’éloigner des positions ennemies, les deux hommes se sont heurtés à Bull Randleman. Montrant le cadavre qui gisait à ses pieds, Randleman leur a expliqué qu’après s’être débarrassé de son parachute, il avait commencé par fixer sa baïonnette au bout de son fusil. Bien lui en avait pris, car brusquement un Allemand l’avait chargé baïonnette au canon. Randleman avait détourné l’arme de son adversaire et celui-ci était 247 German on his bayonet. "That Kraut picked venu s’empaler sur sa baïonnette. «Ce mangeur de the wrong guy to play bayonets with," choucroute avait mal choisi son homme pour un Christenson remarked. combat à la baïonnette », m’a expliqué Christenson. Quand le sous-lieutenant Welsh a sauté, l’avion se Lieutenant Welsh's plane was at 250 feet, "at trouvait « au maximum» à 90m d’altitude. Au the most," when he jumped. As he emerged moment où il s’est jeté dans le vide, un autre Cfrom the C-47, another plane crashed 47s’est écrasé juste au-dessous de lui. Le souffle de immediately beneath him. He claimed that l’explosion l’a projeté vers le haut et sur le côté, lui the blast from the explosion threw him up sauvant la vie. Son parachute a eu tout juste le and to the side "and that saved my life." His temps de ralentir suffisamment sa chute pour que le chute opened just in time to check his choc de l’atterrissage, bien que très douloureux, ne descent just enough to make the "thump" soit pas fatal. when he landed painful but not fatal. Most of the men of Easy had a similar experience. Few of them were in the air long enough to orient themselves with any precision, although they could tell from the direction the planes were flying which was the way to the coast. La plupart des hommes de la compagnie E ont connu une expérience similaire. Très peu d’entre eux sont restés dans les airs suffisamment longtemps pour avoir la possibilité de s’orienter avec précision. Ils ont seulement pu déterminer où se trouvait la côte en se basant sur la direction de vol des avions. They landed to hell and gone. The tight pattern within the DZ near Ste. Marie-duMont that they had hoped for, indeed had counted on for quick assembly of the company, was so badly screwed up by the evasive action the pilots had taken when they hit the cloud bank that E Company men were scattered from Carentan to Ravenoville, a distance of 20 kilometers. The Pathfinders, Richard Wright and Carl Fenstermaker, came down in the Channel after their plane was hit (they were picked up by H.M.S. Tartar, transferred to Air Sea Rescue, and taken to England). Pvt. Tom Burgess came down near Ste. MereEglise. Like most of the paratroopers that night, he did not know where he was. Lowflying planes roared overhead, tracers chasing after them, the sky full of descending Americans, indistinct and unidentifiable figures dashing or creeping through the fields, machine-guns pop-pop-popping all around. After cutting himself out of his chute Ils ont atterri très loin les uns des autres. Ils avaient espéré que la zone de largage, centrée sur SainteMarie-du-Mont, serait la plus restreinte possible afin de pouvoir se regrouper rapidement, mais la décision des pilotes de rompre la formation en entrant dans le banc de nuages avait brouillé tous leurs plans, les éparpillant de Carentan, au sud, à Ravenoville, au nord, soit une distance de 18 km à vol d’oiseau. Quant aux éclaireurs de la compagnie, le caporal Richard Wright et le soldat Carl Fenstermaker, ils avaient amerri dans la Manche, leur avion ayant été abattu (recueillis par le HMS Tartar, ils devaient être ramenés en Angleterre par les soins du Air Sea Rescue). Le soldat Tom Burgess a atterri près de Sainte-MèreÉglise. Comme la plupart des autres parachutistes, il ignorait où il se trouvait. Au-dessus de lui, des avions passaient à basse altitude en vrombissant, poursuivis par des balles traçantes. Le ciel était plein de parachutistes américains, des silhouettes indistinctes et impossibles à identifier couraient ou rampaient dans les prés, et des mitrailleuses crépitaient de tous les côtés. Après avoir coupé au 248 with his pocket knife, he used his cricket to identify himself to a lieutenant he did not know. Together they started working their way toward the beach, hugging the ubiquitous hedgerows. Other troopers joined them, some from the 82nd (also badly scattered in the jump), some from different regiments of the 101st. They had occasional, brief firefights with German patrols. couteau le harnais de son para-« Suivez-moi ! » 121chute, Burgess s’est servi de son « grillon» en réponse au « clic-clac » d’un lieutenant qu’il ne connaissait pas. Ensemble, ils ont pris la direction de la plage ensuivant les haies. D’autres soldats les ont rejoints. Ils appartenaient à différents régiments de la 82e et de la l0le. En chemin, ils ont eu de brefs accrochages avec des patrouilles allemandes. The lieutenant made Burgess the lead scout. At first light, he came to a corner of the hedgerow he was following. A German soldier hiding in the junction of hedgerows rose up. Burgess didn't see him. The German fired, downward. The bullet hit Burgess's cheekbone, went through the right cheek, fractured it, tore away the hinge of the jaw, and came out the back of his neck. Blood squirted out his cheek, from the back of his neck, and from his ear. He nearly choked to death. "I wanted to live," Burgess recalled forty-five years later. "They had hammered into us that the main thing if you get hit is don't get excited, the worst thing you can do is go nuts." So he did his best to stay calm. The guys with him patched him up as best they could, got bandages over the wounds, and helped him into a nearby barn, where he collapsed into the hay. He passed out. At midnight, a French farmer "came out to the barn and sat there and held my hand. He even kissed my hand." He brought a bottle of wine. On the morning of June 7, the farmer fetched two medics and lent them a horsedrawn cart, which they used to take Burgess down to the beach. He was evacuated to England, then back to the States. He arrived in Boston on New Year's Eve, 1944. He was on a strictly liquid diet until March 1945, when he took his first bite of solid food since his last meal at Uppottery, June 5, 1944. Choisi comme éclaireur de tête par le lieutenant, Burgess s’est retrouvé, au point du jour, à l’intersection de deux haies, Dissimulé derrière l’une d’elles, un soldat allemand s’est dressé brusquement dans le dos de Burgess et a tiré sur lui. La balle a traversé la joue droite, fracturé l’os malaire et démantibulé l’articulation temporomandibulaire avant de ressortir par l’arrière du cou. Du sang giclant de sa joue, de son cou et de son oreille, Burgess suffoquait. « Je voulais vivre, se souviendra-t-il quarante-cinq ans plus tard. On nous avait inculqué que la meilleure chose à faire en cas de blessure, c’était de ne pas paniquer. ». Il s’est donc efforcé de rester calme. Ses compagnons l’ont pansé de leur mieux et emmené jusqu’à une grange proche. Une fois là, il s’est écroulé dans le foin et évanoui. « La nuit suivante, un paysan français est entré dans la grange, s’est assis à côté de moi et m’a pris la main. Il l’a même embrassée. ». Il avait apporté une bouteille de vin. Au matin du 7 juin, il est allé chercher deux infirmiers et leur a prêté une charrette attelée d’un cheval avec laquelle ils ont pu transporter le blessé jusqu’à la plage. Évacué vers l’Angleterre puis vers les États-Unis, Burgess a débarqué là Boston la veille de Noël 1944. Longtemps réduit à ne consommer que des aliments liquides, il a pu à nouveau mâcher pour la première fois en mars 1945, soit neuf mois après le dernier repas pris à Uppottery, le 5 juin 1944, la veille du jour J. 249 Private Gordon hit hard. He had no idea where he was, but he had a definite idea of what he was determined to do first— assemble his machine-gun. He tucked himself into a hedgerow and did the job. As he finished, "I noticed this figure coming, and I realized it was John Eubanks from the way he walked." Shortly thereafter Forrest Guth joined them. Another figure loomed in the dark. "Challenge him," Gordon to Eubanks. Before Eubanks could do so, the man called out, "Flash." Eubanks forgot the countersign ("Thunder") and forgot that the clicker was an alternative identification option, and instead said, "Lightning." The man lobbed a grenade in on the three E Company men. They scattered, it went off, fortunately no one was hurt, the soldier disappeared, which was probably good for the group, as he was clearly much too nervous to trust. Gordon, Eubanks, and Guth started moving down a hedgerow toward the beach. They saw an American paratrooper running through the field, crouch, and jump into a drainage ditch (there was a three-quarters moon that night, and few clouds over the land, so visibility was fair). Gordon told the others to stay still, he would check it out. He crept to the ditch, where "I encountered these two eyeballs looking up at me and the muzzle of a pistol right in my face." "Gordon, is that you?" It was Sgt. Floyd Talbert. Now there were four. Together they continued creeping, crawling, moving toward the beach. A half- hour or so before first light, Guth heard what he was certain was the howling and whining of a convoy of 2'/2 ton G.I. trucks going past. How could that be? The seaborne invasion hadn't even started, much less put truck convoys ashore. Some Le soldat Gordon a atterri très brutalement. Il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait, mais savait parfaitement ce qu’il voulait faire en premier: assembler sa mitrailleuse. Il s’est caché dans une haie et a procédé à l’assemblage à tâtons. À peine avait-il fini qu’il a vu une silhouette se diriger dans sa direction. « J’ai reconnu John Eubanks à sa démarche. »Peu après, Forrest Guth les a rejoints. Une autre silhouette est sortie de l’obscurité. Gordon a demandé à Eubanks de lancer l’interpellation convenue, mais avant même qu’Eubanks n’ait eu le temps de réagir, la silhouette a crié: «Flash ! ». Surpris, Eubanks s’est trompé de mot de passe, répondant «éclair» au lieu de « tonnerre », et la silhouette a réagi immédiatement en dégoupillant une grenade et en la lançant sans attendre dans la direction des trois hommes de la compagnie E. Fort heureusement, ils ont eu le temps de se disperser avant l’éclatement de la grenade et n’ont pas été atteints. Lorsqu’ils se sont relevés, la silhouette avait disparu, ce qui a été probablement une bonne chose pour eux dans la mesure où le nouvel arrivant était vraiment trop nerveux pour qu’on puisse lui faire confiance. Le trio a suivi une haie en direction de la plage. Un parachutiste américain a traversé le pré en courant, s’est accroupi et a sauté dans un fossé (la visibilité était excellente car le ciel s’était dégagé, découvrant la lune qui était dans son troisième quartier). Gordon a demandé à ses deux compagnons de ne pas bouger pendant qu’il allait aux nouvelles. Il a rampé jusqu’au fossé. « Je me suis trouvé face à deux pupilles dilatées et à la gueule d’un pistolet.» « C’est toi, Gordon ? » a lancé le sergent Floyd Talbert. Ils étaient désormais quatre et ils se sont dirigés vers la plage en marchant à quatre pattes et en rampant. Une demi-heure environ avant le point du jour, Guth a cru entendre le bruit caractéristique d’un convoi de camions transportant une unité d’infanterie américaine. Pourtant, c’était impossible, le débarquement n’avait pas encore commencé. De formidables explosions se sont produites à l’intérieur des terres, mettant un terme 250 tremendous bursts coming from inland answered the question: the noise Guth heard came from the shells passing overhead, shells from the 16-inch naval guns on the battleships offshore. The E Company foursome joined up with a group from the 502nd that had just captured a German strong point in a large farm complex that dominated the crossroads north of the beach at Ravenoville. They spent the day defending the fortress from counterattacks. In the morning of D-Day plus one, they set out southward in search of their company. Jim Alley crashed into a wall behind a house, one of those French walls with broken glass imbedded in the top. He was cut and bleeding in several places. He backed into the corner of a garden and was in the process of cutting himself out of the harness when someone grabbed his arm. It was a young woman, standing in the bushes. à ses interrogations. Le bruit qu’il avait entendu était celui des obus de gros calibre tirés par les canons des bâtiments de guerre qui avaient pris position au large de la plage. "Me American," Alley whispered. "Go vay, go vay." She went back into her house. « Me, American, a-t-il chuchoté. Go away, go away ! »La jeune femme est repartie vers la maison. Ayant retrouvé son leg bag, Alley found his leg pack, got his gear together (thirteen rounds of 60 mm mortar ammunition, four land mines, ammunition for his M-l, hand grenades, food, the base plate for the mortar and other stuff), climbed to the top of the wall, and drew machine-gun fire. It was about a foot low. He got covered with plaster before he could fall back into the garden. He lay down to think about what to do. He ate one of his Hershey bars and decided to go out the front way. Before he could move, the young woman came out of the house, looked at him, and proceeded out the front gate. Alley figured, "This is it. I'll make my stand here." Soon she returned. A soldier stepped through the gate after her. "I had my gun on him and he had his on me." They recognized Les quatre de la compagnie E ont finalement rejoint un groupe du 502’ RIP qui venait tout juste de s’emparer d’un point fortifié allemand installé dans une grosse ferme dominant plusieurs carrefours, à Ravenoville, au nord d’Utah Beach. Ils ont passé la journée du 6 juin à aider ceux du 502’ à repousser plusieurs contre-attaques ennemies et, au matin du 7, ils sont partis vers le sud à la recherche de leur compagnie. Jim Alley a atterri derrière une maison, sur un de ces murs français couronnés de morceaux de verre. Victime de plusieurs coupures, il s’est réfugié au fond du jardin. Tandis qu’il était occupé à se débarrasser de son harnais de parachute à l’aide de son couteau, quelqu’un lui a saisi le bras. Il s’est retourné et a vu une jeune femme sortie d’un buisson. Alley a fait l’inventaire de son paquetage (13 obus de mortier de 60 mm, 4 mines terrestres, des munitions pour son fusil M-1, des grenades à. main, des rations, le socle du mortier, etc.) et a entrepris d’escalader le mur. En arrivant au sommet, il a essuyé un tir de mitrailleuse. La rafale l’a manqué d’une trentaine de centimètres, le couvrant de plâtre avant qu’il ait le temps de se laisser retomber dans le jardin. Il est resté allongé un moment, réfléchissant à ce qu’il devait faire. Après avoir mangé une de ses Hershey bars, il a décidé de partir par le devant de la maison. Mais il n’a pas eu le temps de mettre son projet à exécution, car la jeune femme est ressortie de la maison et l’a regardé avant de franchir le portail. Alley a pensé : « C’est foutu. Cette fois-ci, c’est la bonne ! Il va falloir que j’affronte l’ennemi ici même. » La jeune femme est revenue, suivie par un 251 each other,- he was from the 505th. "Where the hell am I?" Alley demanded. He was told "Ste. Mere-Eglise." He joined up with the 505th. At about daybreak he ran into Paul Rogers and Earl McClung from Easy. They spent the day, and the better part of the week that followed, fighting with the 505th. All across the peninsula, throughout the night and into the day of D-Day, paratroopers were doing the same— fighting skirmishes, joining together in ad hoc units, defending positions, harassing the Germans, trying to link up with their units. This was exactly what they had been told to do. Their training and confidence thus overcame what could have been a disaster, and thereby turned the scattered drop from a negative into a plus. The Germans, hearing reports of action here, there, everywhere, grossly overestimated the number of troopers they were dealing with, and therefore reacted in a confused and hesitant manner. Winters had come down on the edge of Ste. Mere-Eglise. He could see the big fire near the church, hear the church bell calling out the citizens to fight the fire. He could not find his leg bag. The only weapon he had was his bayonet, stuck into his boot. His first thought was to get away from the machine-gun and small arms fire in the church square. Just as he started off, a trooper landed close by. Winters helped him out of his chute, got a grenade from him, and said "Let's go back and find my leg bag." The trooper hesitated. "Follow me," Winters ordered and started off. A machine- gun opened up on them. "To hell with the bag," Winters said. He set out to the north to bypass Ste. Mere-Eglise before soldat. « J ‘ai braqué mon fusil sur lui, et il a fait de même. » Heureusement, ils se sont reconnus à temps. Le nouveau venu appartenait au 505e RIP. - Mais bon sang, demanda Alley, où est-ce que j’ai atterri ? - À Sainte-Mère-Église. Il a rejoint les rangs du 505e. Au lever du jour, il est tombé sur Paul Rogers et Earl McClung, deux hommes de la compagnie E, et tous trois ont passé une bonne partie de la semaine qui a suivi à combattre avec le 505e. Dans toute la presqu’île du Cotentin, durant la nuit du 5 au 6 juin, puis la journée du 6, tous les parachutistes américains ont agi de même, participant à des escarmouches, se regroupant en unités de circonstance, harcelant les Allemands, défendant les positions conquises, puis tentant de rejoindre leur unité d’origine. C’était exactement ce qu’on leur avait demandé de faire. La qualité de leur entraînement et leur confiance en eux ont renversé une situation qui aurait pu tourner au désastre, en tirant paradoxalement avantage du fait que les parachutages avaient été trop dispersés, ce qui aurait dû être un grave inconvénient. Confrontés à des informations relatant une multitude d’actions sur toute la région, les Allemands ont surestimé grossièrement le nombre de leurs adversaires et réagi de façon confuse et hésitante. Winters avait atterri à la lisière de Sainte-MèreÉglise. Il pouvait voir l’incendie qui faisait rage près de l’église, et entendre la cloche qui appelait les habitants du village à combattre le feu. Comme il n’avait pas retrouvé son leg bag, il ne possédait qu’une arme, sa baïonnette, fixée à l’un de ses brodequins. Son premier soin fut de s’éloigner des tirs de mitrailleuses et d’armes légères qui se répondaient sur ‘la place de l’église. Au moment où il se mettait en route, un parachutiste atterrit juste à côté de lui. Il l’aida à se débarrasser de son parachute et, après lui avoir emprunté une grenade, décida : « Revenons vers l’église et essayons de retrouver. mon leg bag. » Voyant que le soldat hésitait, Winters lui donna l’ordre de le suivre, mais 252 turning east to the coast. In a few minutes, he saw some figures and used his cricket. He got a reassuring double click- clack from Sergeant Lipton. Lipton had landed in a walled-in area behind the hotel de ville (city hall) in Ste. MereEglise, a block from the church. Like Winters, he had lost his weapon when he lost his leg bag. In his musette bag he had two grenades and a demolitions kit, plus his trench knife. He climbed over a gate and worked his way down the street, away from the church and the fire. At the edge of town there was a low, heavy concrete signpost with the name of the village on it. Lipton put his face up close to the letters and moved along them, reading them one by one, until he knew that the sign read "Ste. Mere-Eglise." Paratroopers were coming down around him. Not wanting to get shot by a nervous American, when he saw two coming down close together, he ran right under them. When they hit the ground, before they could even think about shooting, Lipton was already talking to them. They were from the 82nd Airborne, 10 kilometers away from where they were supposed to be. Sergeant Guarnere joined up, along with Don Malarkey, Joe Toye, and Popeye Wynn. A few minutes later, Lipton ran into Winters. "I saw a road sign down there," Lipton reported. "Ste. Mere-Eglise." "Good," Winters answered. "I know where that is. I can take it from here." He set out at the head of the group, objective Ste. Mariedu-Mont. They joined a bunch from the alors qu’ils revenaient sur leurs pas, une mitrailleuse les prit pour cible. « Tant pis pour ce ñchu leg bag », marmonna Winters. Ils repartirent en direction du nord afin de contourner Sainte-Mère-Église avant de se diriger vers l‘est et la plage. Quelques minutes plus tard, apercevant plusieurs silhouettes, Winters se servit de son « grillon ». Un double « clic-clac » lui répondit, et le sergent Lipton fit son apparition. Lipton avait atterri dans un jardin clos de murs, derrière la mairie de Sainte-Mère-Église, à proximité de l’église. En perdant son leg bag, il avait perdu son arme, mais il possédait toujours son poignard et, dans une musette, deux grenades et du matériel de démolition. Il avait franchi une porte et suivi une rue qui l’éloignait de l’église et de l’incendie. Au-delà de la dernière maison il y avait un gros poteau indicateur en ciment sur lequel était écrit le nom du village. Lipton s’était approché très près pour déchiffrer les lettres une à une malgré l’obscurité : « Sainte-Mère-Église ». Le ciel était plein de parachutistes. Ne voulant pas risquer de servir de cible à un compatriote trop nerveux, Lipton avait couru se placer près du point de chute de deux d’entre eux et, sans leur laisser le temps d’avoir une réaction malheureuse, s’était empressé de se faire connaître. Les deux parachutistes appartenaient à la 82€ division aéroportée et se trouvaient à une dizaine de kilomètres de ce qui aurait dû être leur point de chute. Le sergent Guarnere, puis Don Malarkey, le caporal Joe Toye et Robert « Popeye » Wynn les avaient rejoints. Quelques minutes plus tard, Lipton et ses compagnons tombaient sur Winters. - J ‘ai vu un poteau indicateur par là-bas, expliqua Lipton. Le village s’appelle SainteMère-Église. - Parfait, répondit Winters. Je sais où nous sommes. À partir de là, je peux m’orienter. Il 253 502nd. About 0300 hours they spotted a German patrol, four wagons coming down the road. They set up an ambush, and there Guarnere got his first revenge for his brother, as he blasted the lead wagons. The other two got away, but E Company took a few prisoners. A German machine-gun opened fire on the group. When it did, the prisoners tried to jump the Americans. Guarnere shot them with his pistol. "No remorse," he said when describing the incident forty-seven years later. "No pity. It was as easy as stepping on a bug." After a pause, he added, "We are different people now than we were then." At about 0600 hours they ran into Capt. Jerre Gross of D Company and forty of his men. They joined forces to head toward Ste. Marie-du-Mont, some 8 kilometers southeast. In a few minutes they ran into the 2nd Battalion staff with about forty more men. Winters found an M-l, then a revolver, belt, canteen, and lots of ammunition, "so I was feeling ready to fight —especially after I bummed some food from one of the boys." Lipton found a carbine. The others armed themselves. As the Americans moved toward Ste. Mariedu-Mont, so did the commander of the German unit defending the area, Col. Frederick von der Heydte of the 6th Parachute Regiment. He was an experienced soldier, having been in the German Army since the mid-1920s and having led men in combat in Poland, France, Russia, Crete, and prit la tête du petit groupe, les entraînant dans la direction de Sainte-Marie-du-Mont. En chemin, ils furent rejoints par plusieurs hommes du 502e RIP. Vers 3 heures, voyant venir sur la route une patrouille motorisée allemande, ils lui tendirent une embuscade, et Guarnere put venger son frère une première fois en faisant sauter les deux camions de tête. Les deux autres ont réussi à continuer leur route, mais les Américains firent quelques prisonniers. Peu après, une mitrailleuse les prit pour cible et leurs prisonniers en profitèrent pour tenter de s’échapper, mais Guarnere les abattit froidement à coups de pistolet. «Sans remords », a-t-il précisé en évoquant l’incident, quarante-sept ans plus tard. « Sans pitié. Aussi facilement qu’on écrase un cafard. » Après une pause, il a ajouté : « Aujourd’hui, nous sommes différents de ce que nous étions à l’époque. ». Vers 6 heures, le groupe Winters rejoignit le capitaine Jerre Gross (commandant la compagnie D) et une quarantaine de ses hommes. Ensemble, ils progressèrent vers Sainte-Marie-du-Mont situé à environ 8 km au sud-est. Quelques minutes plus tard, ils tombèrent sur l’état-major du 2e bataillon du 506e RIP, commandé par le lieutenant-colonel Robert Strayer, qui avait déjà réussi à regrouper une quarantaine d’hommes. Winters put récupérer un fusil M-1, un revolver, une cartouchière, un bidon et une provision de munitions. « Je me suis senti enfin prêt à combattre; surtout après avoir emprunté de quoi manger à l’un des gars. »Lipton trouva une mitraillette et les autres purent compléter leur armement. Tandis que les Américains faisaient mouvement vers Sainte-Marie-du-Mont, depuis le nord, le colonel Frederick Von der Heydte, l’officier allemand qui commandait le 6e régiment de parachutistes l’unité chargée de la défense de la zone - en faisait autant, depuis le sud. C’était un officier expérimenté, sorti de l’école militaire au milieu des 254 North Africa. Colonel von der Heydte was the senior German officer present, as the division commanders were in Rennes, on the Seine River, for a war game. He had one battalion in and around Ste. Mere-Eglise, another near Ste. Marie-du-Mont, the third in Carentan. All his platoons were standing too, some were trying to engage the Americans, but confusion caused by reports of landings here, there, seemingly everywhere had made concerted counterattacks impossible. Colonel von der Heydte wanted to see for himself. He drove his motorcycle from Carentan to Ste. Marie-du- Mont, where he climbed to the top of the church steeple, 50 or 60 meters above the ground. There he had a magnificent view of Utah Beach. What he saw quite took his breath away. "All along the beach," he recalled in a 1991 interview, "were these small boats, hundreds of them, each disgorging thirty or forty armed men. Behind them were the warships, blasting away with their huge guns, more warships in one fleet than anyone had ever seen before." Around the church, in the little village and beyond in the green fields crisscrossed by hedgerows, all was quiet. The individual firefights of the night had tapered off with the coming of light. Von der Heydte could see neither American nor German units. Climbing down from the steeple, the colonel drove his motorcycle a couple of kilometers north to Brecourt Manor, where the German artillery had a battery of four 105 mm cannon dug in and camouflaged. There were no artillery men around; evidently they had scattered in the night after the airborne landings began. Von der Heydte roared back to Carentan, where he ordered his 1st années 20 et qui avait combattu en Pologne, en France, en Russie, en Crète et en Afrique du Nord. Il était ce jour-là l’officier allemand du rang le plus élevé présent dans la région, car les officiers généraux commandant les deux divisions stationnées dans le Cotentin se trouvaient à Rouen pour participer à un jeu de stratégie militaire. Des trois bataillons que commandait le colonel Von der Heydte, un se trouvait à Carentan, un autre à SainteMarie-du-Mont, et le troisième à Sainte-MèreÉglise. Tous les hommes des deux derniers s’efforçaient de localiser et d’attaquer l’ennemi, mais la confusion provoquée par les informations faisant état d’une multitude de parachutages rendait toute contre-attaque concertée impossible. Voulant se rendre compte par lui-même, le colonel Von der Heydte a fait le trajet en moto de Carentan à Sainte-Marie-du-Mont, et il est monté au dernier étage du curieux clocher Renaissance de l’église paroissiale. De là, à 50 ou 60 m de haut, on a une vue magnifique sur Utah Beach. Ce qu’il a vu lui a coupé le souffle. «Tout le long de la plage, se rappelait-il en 1991, à l’occasion d’une interview, des centaines de petits bateaux déversaient chacun 30 ou 40 hommes. Derrière eux, on apercevait des bâtiments de guerre dont les canons de gros calibre tiraient en continu. Personne jusque-là n’avait vu une flotte de guerre aussi nombreuse. ». Autour de l’église, dans le petit village et au-delà dans les prés verts quadrillés de haies, tout était calme. Les fusillades sporadiques de la nuit avaient cessé au lever du jour. N’apercevant ni soldats allemands ni soldats américains, Von der Heydte redescendit du clocher et poussa jusqu’au manoir de Brécourt, à moins de 2 km au nord, où l’artillerie allemande avait installé une batterie de quatre pièces de 88 mm, enterrées et camouflées. Les artilleurs allemands n’étaient pas à leur poste ; de toute évidence, ils s’étaient 255 Battalion to occupy and hold Ste. Marie-duMont and Brecourt, and to find some artillerymen to get that battery working. It was perfectly placed to lob shells on the landing craft on Utah Beach, and to engage the warships out in the Channel. By this time, about 0700, E Company consisted of two light machine-guns, one bazooka (no ammunition), one 60 mm mortar, nine riflemen, and two officers. As the 2nd Battalion moved into a group of houses in a tiny village called Le GrandChemin, just three kilometers or so short of Ste. Marie-du-Mont, it drew heavy fire from up-front. The column stopped; Winters and his men sat down to rest. Ten or fifteen minutes later, battalion S-l Lt. George Lavenson, formerly of E Company, came walking down the road. "Winters," he said, "they want you up-front." Captain Hester, S-3, and Lieutenant Nixon, S2, both close friends of Winters, told him there was a four-gun battery of German 105 mm cannon a few hundred meters across some hedgerows and open fields, opposite a large French farmhouse called Brecourt Manor. Intelligence had not spotted the cannon, as they were dug into the hedgerow, connected by an extensive trench system, covered by brush and trees. There was a fiftyman platoon of infantry defending the position (part of Colonel von der Heydte's 1st Battalion); the cannon had just gone into action, firing on Utah Beach, some 4 or 5 kilometers to the northeast. The 2nd Battalion was less than 100 men strong at that point. Lieutenant Colonel Strayer had responsibilities in all four directions from Le Grand-Chemin. He was trying to build his battalion up to somewhere near its full strength of 600 men, and to defend from dispersés après les parachutages de la nuit. Von der Heydte repartit en trombe à Carentan où il donna l’ordre à son bataillon d’aller occuper Sainte-Mariedu-Mont et Brécourt, et de trouver les artilleurs nécessaires pour servir la batterie de Brécourt qui était très bien placée pour canonner les barges de débarquement et les bâtiments de guerre qui se trouvaient au large. Au même moment, c’est-à-dire vers 7 heures environ, la compagnie E ne se composait encore que de deux officiers, trois sous-officiers et sept hommes de troupe disposant de deux mitrailleuses, un bazooka (sans munitions) et un mortier de 60 mm. Quand le 2e bataillon du 506e RIP de la 101e division aéroportée américaine a atteint un hameau appelé Le Grand-Che-min, à 3 km environ au nord de Sainte-Marie-du-Mont, il a essuyé un feu nourri. La colonne s’est arrêtée. Winters et ses hommes se sont assis par terre pour se reposer. Dix minutes ou un quart d’heure plus tard, le lieutenant George Lavenson, un ancien de la compagnie E devenu officier personnel du bataillon, est arrivé en suivant la route et a lancé: « Winters, on vous demande en première ligne.» Devenus respectivement officier des opérations et officier du renseignement du bataillon, le capitaine Hester et le lieutenant Nixon, deux amis intimes de Winters, lui ont expliqué qu’à quelques centaines de mètres en avant d’eux, au-delà des haies qui leur bouchaient la vue, et à proximité d’une grosse ferme appelée Manoir de Brécourt, il y avait une batterie allemande de quatre pièces de 88 que les services de renseignements alliés n’avaient pas repérées parce qu’elles étaient enterrées, dissimulées par des haies et reliées par un réseau de tranchées couvert de broussailles et d’arbres. La position était défendue par une section forte d’une cinquantaine d’hommes (appartenant au bataillon du colonel Von der Heydte). La batterie venait d’entrer en action, canonnant Utah Beach, à5 km au nord-est. À ce moment-là, le 2e bataillon du 506e RIP n’était fort que d’une centaine d’hommes, alors que son effectif normal s’élevait à 600 hommes, et 256 counterattacks. He could only afford to send one company to attack the German battery. Hester told Winters to take care of that battery. It was 0830. Captain Sobel was about to get a little revenge on Hitler, the U.S. Army was about to get a big payoff from its training and equipment investment, the American people were about to get their reward for having raised such fine young men. The company that Sobel and the Army and the country had brought into being and trained for this moment was going into action. Winters went to work instinctively and immediately. He told the men of E Company to drop all the equipment they were carrying except weapons, ammunition, and grenades. He explained that the attack would be a quick frontal assault supported by a base of fire from different positions as close to the guns as possible. He set up the two machine- guns to give covering fire as he moved the men forward to their jump-off positions. The field in which the cannon were located was irregular in shape, with seven acute angles in the hedgerow surrounding it. This gave Winters an opportunity to hit the Germans from different directions. Winters placed his machine-guns (manned by Pvts. John Plesha and Walter Hendrix on one gun, Cleveland Petty and Joe Liebgott on the other) along the hedge leading up to the objective, with instructions to lay down covering fire. As Winters crawled forward to the jump-off position, he spotted a German helmet— the man was moving down the trench, crouched over, with only his head above ground. Winters took aim with his M-l and squeezed off two shots, killing the Jerry. le lieutenant-colonel Strayer devait occuper toute la zone s’étendant autour du Grand-Chemin et la défendre des contre-attaques ennemies. Il ne pouvait pas se permettre de distraire une trop grande partie de ses faibles forces pour attaquer la batterie de Brécourt. Hester a donc demandé à Winters de s’en charger. Il était 8 h 30. Le capitaine Sobel n’allait pas tarder à prendre une petite revanche sur Hitler, l’armée de terre américaine était sur le point d’encaisser les bénéfices de ses investissements en- entraînement et en équipement; quant au peuple américain, il allait être récompensé d’avoir élevé une aussi admirable jeunesse. La compagnie que Sobel, l’armée de terre américaine et les États-Unis avaient créée et entraînée à cet effet se préparait à passer à l’action. Winters se mit au travail immédiatement et instinctivement. Il demanda à ses hommes de se débarrasser dé tout ce qu’ils transportaient à l’exception de leurs armes, munitions et grenades, puis leur expliqua qu’il avait opté pour une rapide attaque frontale sous le couvert de tirs de protection provenant de diverses positions aussi proches que possible des pièces d’artillerie. Le pré dans lequel se trouvait la batterie avait une forme très irrégulière ; les haies qui l’entouraient formaient sept angles aigus, ce qui offrait à Winters la possibilité de canarder les Allemands de différentes directions tout en avançant vers l’ennemi, il disposa ses deux mitrailleuses (servies par les soldats John Plesha, Walter Hendrix, Cleveland Petty et Joe Liebgott) de part et d’autre de la haie conduisant à l’objectif. Tout en rampant vers sa position d’attaque, Winters aperçut un casque allemand qui se déplaçai tau niveau du sol— le soldat qui le portait marchait à croupetons le long d’une tranchée, et seule sa tête était visible. Winters tira sur lui à deux reprises avec son M-l et le soldat s’écroula. Winters told Lieutenant Compton to take 257 Sergeants Guarnere and Malarkey, get over to the left, crawl through the open field, get as close to the first gun in the battery as possible, and throw grenades into the trench. He sent Sergeants Lipton and Ranney out along the hedge to the right, alongside a copse of trees, with orders to put a flanking fire into the enemy position. Winters would lead the charge straight down the hedge. With him were Pvts. Gerald Lorraine (of regimental HQ; he was Colonel Sink's jeep driver) and Popeye Wynn and Cpl. Joe Toye. Here the training paid off. "We fought as a team without standout stars," Lipton said. "We were like a machine. We didn't have anyone who leaped up and charged a machine-gun. We knocked it out or made it withdraw by maneuver and teamwork or mortar fire. We were smart; there weren't many flashy heroics. We had learned that heroics was the way to get killed without getting the job done, and getting the job done was more important." When Ranney and Lipton moved out along the hedge, they discovered they could not see the German positions because of low brush and ground cover. Lipton decided to climb a tree, but there were none of sufficient size to allow him to fire from behind a trunk. The one he picked had many small branches,- he had to sit precariously on the front side, facing the Germans, exposed if they looked his way, balancing on several branches. About 75 meters away, he could see about fifteen of the enemy, some in the trenches, others prone in the open, firing toward E Company, too intent on the activity Puis Winters donna l’ordre au sous-lieutenant Compton de prendre avec lui le sergent Guarnere et le soldat Malarkey et de faire mouvement vers la gauche en rampant à travers le pré, afin de s’approcher le plus près possible de la première pièce d’artillerie pour pouvoir lancer des grenades dans la tranchée. Enfin, il envoya les sergents Lipton et Ranney sur sa droite, le long d’un taillis, avec l’ordre d attaquer la position ennemie parle flanc. Winters se réservait de conduire l’attaque frontale en suivant la haie, entraînant avec lui le caporal Joe Toye, les soldats Robert « Popeye » Wynn et Gerald Lorraine (ce dernier appartenait à l’état-major du régiment , il était le chauffeur de la jeep du colonel Sink). L’entrainement qu’ils avaient reçu se révéla efficace Lipton expliquera : « Nous combattions en équipe. Personne ne cherchait à jouer les vedettes. Nous étions comme une machine bien rodée. Aucun d’entre nous ne bondissait pour prendre d’assaut une mitrailleuse, nous la réduisions au silence par une habile manoeuvre, un travail d’équipe ou un tir de mortier. Usant de ruse, nous évitions les actes d’héroïsme. Nous avions appris que les héros se faisaient tuer avant d’avoir fait leur boulot, alors qu’il n’y avait rien de plus important que de remplir sa mission. » En suivant le taillis, Ranney et Lipton se rendirent compte qu’ils ne pouvaient pas voir les positions allemandes à cause des broussailles et des replis du terrain. Lipton décida donc de grimper dans un arbre, mais il n’y en avait pas d’assez gros pour qu’il puisse se dissimuler derrière le tronc. Celui qu’il choisit avait de nombreuses petites branches sur lesquelles il s’assit en équilibre précaire. Les branches se balançaient et il serait exposé à la vue des Allemands s’ils regardaient dans sa direction. À environ 75 m de lui, il pouvait apercevoir une quinzaine de soldats ennemis, certains accroupis 258 to their front to notice Lipton. Lipton was armed with a carbine he had picked up during the night. He fired at a German in the field. The enemy soldier seemed to duck. Lipton fired again. His target did not move. Not certain that the carbine had been zeroed in, Lipton aimed into the dirt just under the man's head and squeezed off another round. The dirt flew up right where he aimed; Lipton now knew that the carbine's sights were right and his first shot had killed the man. He began aiming and firing as fast as he could from his shaky position. Lieutenant Compton was armed with a Thompson submachine-gun that he had picked up during the night (he got it from a lieutenant from D Company who had broken his leg in the jump). Using all his athletic skill, he successfully crawled through the open field to the hedge, Guarnere and Malarkey alongside him. The Germans were receiving fire from the machine-gun to their left, from Lipton and Ranney to their rear, and from Winters' group in their front. They did not notice Compton's approach. When he reached the hedge, Compton leaped over and through it. He had achieved complete surprise and had the German gun crew and infantry dead in his sights. But when he pulled the trigger on the borrowed tommy-gun, nothing happened. It was jammed. At that instant, Winters called, "Follow me," and the assault team went tearing down the hedge toward Compton. Simultaneously, Guarnere leaped into the trench beside Compton. The German crew at the first gun, under attack from three directions, fled. The infantry retreated with them, tearing down dans des tranchées, d’autres couchés sur le ventre, à découvert. Tous tiraient en direction du lieutenant Winters et étaient bien trop occupés par ce qui se passait devant eux pour remarquer la présence de Lipton. Armé d’une carabine récupérée pendant la nuit, Lipton tira sur un des Allemands qui se tenaient à découvert. Celui-ci parut piquer du nez. Lipton tirade nouveau, mais sa cible ne bougea pas et il se demanda si la hausse de la carabine avait été correctement réglée. Il tira pour la troisième fois, juste au-dessous de la tête de l’Allemand et la poussière vola à l’endroit précis où il avait visé. Le réglage de la hausse était donc bon et sa première balle avait fait mouche. Alors, il se mit à tirer aussi vite que possible depuis son poste de tir branlant. Le sous-lieutenant Compton était armé d’une mitraillette Thompson que lui avait donnée un lieutenant de la compagnie D qui s’était cassé la jambe à l’atterrissage. Flanqué de Guarnere et Malarkey, il rampa à travers le pré jusqu’à la haie. Pris sous le feu, croisé de la mitrailleuse qui se trouvait sur leur gauche, de Lipton et Ranney qui étaient derrière eux, et du groupe Winters qui les attaquait de front, les Allemands ne virent pas venir Compton, Guarnere et Malarkey. Lorsque Compton franchit la haie, l’effet de surprise fut total. Artilleurs et fantassins ennemis étaient à sa merci, mais lorsqu’il appuya sur la détente de la mitraillette, il ne se passa rien! L’arme était enrayée. Au même moment, Guarnere sauta dans la tranchée, à côté de Compton, Winters cria « Suivezmoi ! » et le groupe d’assaut se rua dans la direction du groupe Compton. Se voyant attaqués de toutes parts, les artilleurs allemands prirent la fuite, imités 259 the trench, away from Compton, Guarnere, and Malarkey. The Easy Company men began throwing grenades at the retreating enemy. Compton had been an All-American catcher on the UCLA baseball team. The distance to the fleeing enemy was about the same as from home plate to second base. Compton threw his grenade on a straight line—no arch—and it hit a German in the head as it exploded. He, Malarkey, and Guarnere then began lobbing grenades down the trench. Winters and his group were with them by now, firing their rifles, throwing grenades, shouting, their blood pumping, adrenalin giving them Superman strength. Wynn was hit in the butt and fell down in the trench, hollering over and over, "I'm sorry, Lieutenant, I goofed off, I goofed off, I'm sorry." A German potato masher sailed into the trench,-everyone dived to the ground. "Joe, look out!" Winters called to Toye. The grenade had landed between his legs as he lay face down. Toye flipped over. The potato masher hit his rifle and tore up the stock as it exploded, but he was uninjured. "If it wasn't for Winters," Toye said in 1990, "I'd be singing high soprano today." Winters tossed some grenades down the trench, then went tearing after the retreating gun crew. Private Lorraine and Sergeant Guarnere were with him. Three of the enemy infantry started running cross-country, away toward Brecourt Manor. "Get 'em!" Winters yelled. Lorraine hit one with his tommy-gun,- Winters aimed his M-l, squeezed, and shot his man through the back of his head. Guarnere missed the third Jerry, but Winters put a bullet in his back. Guarnere followed that up by pumping the wounded man full of lead from his tommy-gun. The par les fantassins et Compton, Guarnere et Malarkey leur lancèrent des grenades Compton avait fait partie de l’équipe de baseball de l’UCLA et avait été élu meilleur joueur universitaire de la saison à son poste. La distance qui le séparait des fuyards était à peu près équivalente à la distance entre la home plate et la deuxième base d’un terrain de base-ball. Il effectua un tir tendu et sa grenade frappa un Allemand à la tête avant d’exploser. Tirant avec leurs fusils, lançant des grenades et criant à tue-tête, Winters et son groupe rejoignirent Compton, Guarnere et Malarkey. Le sang battait à tout rompre dans leurs veines, et l’adrénaline leur donnait une force surhumaine. Blessé au postérieur, Wynn tomba dans la tranchée. Il ne cessait de brailler: « Je suis désolé, lieutenant j’ai fait le con ! Je suis désolé... » Voyant arriver une grenade allemande, ils se jetèrent tous à plat ventre. « Joe ! Fais gaffe ! » hurla Winters. La grenade avait atterri entre les jambes de Joe Toye. Alerté par le cri de Winters Toye fit un bond de côté. En explosant, la grenade brisa le fût de son fusil, mais lui-même n’était pas blesse «Si Winters n’avait pas été là, j’aurais aujourd’hui une voix de soprano », a reconnu Toye en1990. Winters lança encore quelques grenades avant de poursuivre les fuyards en compagnie du sergent Guarnere et du soldat Gerald Lorraine. Trois des artilleurs allemands se mirent à. courir à travers prés en direction du Manoir de Brécourt. «Ne les laissez pas filer ! » hurla Winters. Lorraine en abattit un avec sa mitraillette ; Winters épaula son fusil pressa la détente et tua son homme d’une balle en pleine tête ; Guarnere rata le troisième, mais Winters eut le temps de lui loger une balle 260 German kept yelling, "Help! Help!" Winters told Malarkey to put one through his head. A fourth German jumped out of the trench, about 100 yards up the hedge. Winters saw him, lay down, took careful aim, and killed him. Fifteen or twenty seconds had passed since he had led the charge. Easy had taken the first gun. Winters' immediate thought was that there were plenty of Germans further up the trench, and they would be counterattacking soon. He flopped down, crawled forward in the trench, came to a connecting trench, looked down, "and sure enough there were two of them setting up a machine-gun, getting set to fire. I got in the first shot and hit the gunner in the hip; the second caught the other boy in the shoulder." Winters put Toye and Compton to firing toward the next gun, sent three other men to look over the captured cannon, and three to cover to the front. By this time Lipton had scrambled out of his tree and was working his way to Winters. Along the way he stopped to sprinkle some sulfa powder on Wynn's butt and slap on a bandage. Wynn continued to apologize for goofing off. Warrant Officer Andrew Hill, from regimental HQ, came up behind Lipton. "Where's regimental HQ?" he shouted. "Back that way," Lipton said, pointing to the rear. Hill raised his head to look. A bullet hit him in the forehead and came out behind his ear, killing him instantly. After that, all movement was confined to the trench system, and in a crouch, as German machine-gun fire was nearly continuous, cutting right across the top of the trench. But dans le dos. L’Allemand n’étant que blessé, Guarnere le truffa de plomb avec sa mitraillette. Comme il criait toujours « À l’aide 1 à l’aide ! », Winters ordonna à Malarkey de l’achever d’une balle dans la tête. Un quatrième Allemand jaillit de la tranchée, une centaine de mètres plus loin. Winters le vit, adopta la position du tireur couché, visa posément et tua son homme une fois encore. Quinze ou vingt minutes s’étaient écoulées depuis qu’i1 avait commandé l’assaut et les hommes de la compagnie E venaient de s’emparer du premier des quatre canons. Winters se dit que les Allemands étaient encore nombreux et n’allaient pas tarder à contre-attaquer. Ilse laissa tomber dans la tranchée, rampa jusqu’à une intersection et jeta un oeil dans la tranchée perpendiculaire. « Deux Allemands étaient en train d’installer une mitrailleuse et se préparaient à ouvrir le feu. J ‘ai tiré le premier, blessant l’un à la hanche et l’autre à l’épaule. ». Revenu en arrière, Winters demanda» à Toye et Compton. de tirer en direction du deuxième canon et regagna le premier canon. Entre-temps, Lipton était descendu de son perchoir et se dirigeait lui aussi vers le premier canon. Au passage, il s’arrêta pour saupoudrer des sulfamides sur la blessure de Wynn et lui faire un pansement. Wynn s’excusait encore d’avoir gaffé. L’officier-technicien Andrew Hill, qui appartenait à l’état-major du régiment, arriva sur ces entrefaites. - Où se trouve l’état-major du régiment ? cria-t-il à Lipton. - Par là, derrière, répondit Lipton en indiquant de la main la direction. Hill leva la tête pour mieux voir, et une balle le frappa en plein front, ressortant derrière l’oreille, 261 Malarkey saw one of the Germans killed by Winters, about 30 yards out in the field, with a black case attached to his belt. Malarkey thought it must be a Luger. He wanted it badly, so he ran out into the field, only to discover that it was a leather case for the 105 mm sight. Winters was yelling at him, "Idiot, this place is crawling with Krauts, get back here!". Evidently the Germans thought Malarkey was a medic; in any case the machine-gunners did not turn on him until he started running back to the trench. With bullets kicking up all around him, he dived under the 105. Winters was at the gun, wanting to disable it but without a demolition kit. Lipton came up and said he had one in his musette bag, which was back where the attack began. Winters told him to go get it. Time for the second gun, Winters thought to himself. He left three men behind to hold the first gun, then led the other five on a charge down the trench, throwing grenades ahead of them, firing their rifles. They passed the two Jerries at the machine-gun who had been wounded by Winters and made them prisoners. The gun crew at the second gun fell back; Easy took it with only one casualty. With the second gun in his possession, and running low on ammunition, Winters sent back word for the four machine-gunners to come forward. Meanwhile six German soldiers decided they had had enough; they came marching down the connecting trench to the second gun, hands over their heads, calling out "No make dead! No make dead!" Pvt. John D. Hall of A Company joined the group. Winters ordered a charge on the third gun. Hall led the way, and got killed, but the gun was taken. Winters had three of his men le tuant sur le coup. Après cela, les hommes de la compagnie E ne se déplacèrent qu’en suivant les tranchées à croupetons, car les mitrailleuses allemandes tiraient pratiquement en continu. Seul Malarkey fit exception. Voyant que l’un des deux Allemands tués par Winters - et qui gisait à une trentaine de mètres de la tranchée - avait un étui noir à la ceinture, il pensa qu’il contenait un Lüger. Brûlant d’envie de posséder un de ces pistolets, il sortit de la tranchée et courut à travers le pré, pour découvrir finalement que l’étui ne contenait qu’un viseur de canon. « Idiot ! Ça grouille de Boches par ici ! Reviens ! » hurla Winters. Apparemment, les Allemands ont dû croire que Malarkey était infirmier; toujours est-il que les mitrailleurs ne s’intéressèrent à lui qu’au moment où il revint encourant vers la tranchée. Tandis que les balles sifflaient autour de lui, il plongea dans l’encuvement où se trouvait le premier canon capturé par la compagnie E. Winters aurait voulu rendre cette pièce d’artillerie inutilisable, mais c’était difficile sans matériel de démolition. Lipton arriva à ce moment-là et lui dit qu’il en avait dans la musette qu’il avait laissée en arrière, avant l’assaut. Winters lui donna l’ordre d’aller la chercher, puis jugea qu’il était temps de s’occuper du deuxième canon. Laissant trois hommes à la garde du premier, il prit la tête d’un groupe de cinq hommes et tous les six suivirent la tranchée en lançant des grenades et en tirant avec leurs fusils. Ils retrouvèrent les deux Allemands à la mitrailleuse que Winters avait blessés et les firent prisonniers. Les artilleurs qui servaient le deuxième canon préférèrent se replier, et Winters put s’emparer de cette deuxième pièce de 88 en n’ayant qu’un seul tué. Manquant d’hommes et de munitions pour poursuivre son avance, Winters envoya un courrier demander à ses mitrailleurs de le rejoindre. Entretemps, six soldats allemands qui en avaient assez de la guerre s’avancèrent dans la tranchée qui conduisait à l’encuvement du deuxième canon, les 262 secure it. With eleven men, he now controlled three 105s. At the second gun site, Winters found a case with documents and maps showing the positions of all the guns and machine-gun positions throughout the Cotentin Peninsula. He sent the documents and maps back to battalion, along with the prisoners and a request for more ammunition and some reinforcements, because "we were stretched out too much for our own good." Using grenades, he set about destroying the gun crew's radio, telephone, and range finders. Captain Hester came up, bringing three blocks of TNT and some phosphorus incendiary grenades. Winters had a block dropped down the barrel of each of the three guns, followed by a German potato-masher grenade. This combination blew out the breeches of the guns like half-peeled bananas. Lipton was disappointed when he returned with his demolition kit to discover that it was not needed. Reinforcements arrived, five men led by Lt. Ronald Speirs of D Company. One of them, "Rusty" Houch of F Company, raised up to throw a grenade into the gun positions and was hit several times across the back and shoulders by a burst from a machine-gun. He died instantly. Speirs led an attack on the final gun, which he took and destroyed, losing two men killed. Winters then ordered a withdrawal, because the company was drawing heavy machinegun fire from the hedges near Brecourt Manor, and with the guns destroyed there was no point to holding the position. The machine-gunners pulled back first, followed by the riflemen. Winters was last. As he was mains sur la tête et criant : « Pas tuer ! Pas tuer ! ». Rejoint par ses mitrailleurs et le soldat D. Hall, de la compagnie A, Winters commanda l’assaut contre le troisième canon. Hall, qui chargeait en tête, fut tué, mais le canon tomba aux mains des hommes de la compagnie E. Winters en laissa trois pour garder sa nouvelle prise, puis revint vers le deuxième canon. Sur place, il trouva une boîte contenant des documents et des cartes qui indiquaient les emplacements de toutes les batteries d’artillerie et de tous les nids de mitrailleuses de la presqu’île du Cotentin. Il s’empressa d’envoyer cartes et documents, mais également ses prisonniers et une demande de munitions ct de renforts, à son chef de bataillon. « Nous étions trop peu nombreux et trop dispersés. C’était dangereux pour notre sécurité. » À l’aide des grenades qui lui restaient, Winters entreprit de détruire les postes de radio, les téléphones de campagne et les télémètres pris aux Allemands. ». Le capitaine Hester le rejoignit le premier, apportant avec lui des paquets de TNT et quelques grenades incendiaires au phosphore. Winters introduisit un paquet de TNT purs une grenade dans le tube de chacune des trois pièces d’artillerie, ce qui eut pour effet de faire éclater la culasse, donnant a chaque canon l’aspect d une banane a demi pelée. Lorsqu’il revint avec son matériel de démolition, Lipton fut très déçu de constater que celui ci n’était plus nécessaire. Les renforts arrivèrent peu après : cinq hommes commandés par le lieutenant Ronald Speirs de la compagnie D. L’un d’eux, « Rusty » Houch, de la compagnie F sortit de la tranchée pour lancer une grenade en direction du quatrième canon. Atteint par une rafale de mitrailleuse, il fut tué sur le coup. Speirs mena l’attaque contre la dernière pièce de 88, réussissant a la mettre hors d’usage, au prix de 263 leaving he took a final look down the trench. "Here was this one wounded Jerry we were leaving behind trying to put a MG on us again, so I drilled him clean through the head." It was 1130. About three hours had passed since Winters had received the order to take care of those guns. With twelve men, what amounted to a squad (later reinforced by Speirs and the others), Company E had destroyed a German battery that was looking straight down causeway No. 2 and onto Utah Beach. That battery had a telephone line running to a forward observer who was in a pillbox located at the head of causeway No. 2. He had been calling shots down on the 4th Infantry as it unloaded. The significance of what Easy Company had accomplished cannot be judged with any degree of precision, but it surely saved a lot of lives, and made it much easier—perhaps even made it possible in the first instance— for tanks to come inland from the beach. It would be a gross exaggeration to say that Easy Company saved the day at Utah Beach, but reasonable to say that it made an important contribution to the success of the invasion. Winters' casualties were four dead, two wounded. He and his men had killed fifteen Germans, wounded many more, and taken twelve prisoners; in short, they had wiped out the fifty man platoon of elite German paratroops defending the guns, and scattered the gun crews. In an analysis written in 1985, Lipton said, "The attack was a unique example of a small, well-led assault force overcoming and routing a much larger defending force in prepared positions. It was the high morale of the E Company men, the quickness and audacity of the frontal attack, and the fire into their positions from several deux tués. Voyant que ses hommes et ceux du lieutenant Speirs étaient pris sous le feu continu des mitrailleuses installées dans les haies proches du Manoir de Brécourt Winters leur commanda de battre en retraite. Les quatre canons étant détruits, il n y avait aucune raison de tenir la position conquise Les mitrailleurs se replièrent les premiers suivis par les fusiliers. Winters fermait la marche. Avant de s’en aller il jeta un dernier coup d’œil dans la tranchée « Un des Allemands blessés que nous laissions derrière nous essayait encore de braquer une mitrailleuse dans notre direction J ai du l’achever d une balle en pleine tête. » Il était 11h30. Trois heures s’étaient écoulées depuis que Winters avait reçu l ordre de détruire la batterie du Manoir de Brécourt. Réduite à une douzaine d’hommes -l’équivalent d’un groupe - , renforcée à la fin par Speirs et ses hommes, la compagnie E venait de réduire au silence une batterie allemande qui commandait la chaussée n°2 et tenait Utah Beach sous son feu. Une ligne téléphonique reliait cette batterie à un observateur d’artillerie installé dans une casemate située à l’extrémité ouest de la chaussée n°2, et celui-ci avait réglé le tir de la batterie sur les hommes de la 4e division d‘infanterie au moment où ils commençaient à débarquer sur la plage. L’importance du rôle joué par la compagnie E est difficile à évaluer avec précision, mais son action a certainement sauvé bien des vies et facilité voire rendu possible la progression des chars vers l’intérieur des terres. Il serait très exagéré de prétendre que la compagnie E a sauvé la situation à Utah Beach, mais parfaitement justifié d’affirmer qu’elle a largement contribué au succès du débarquement. Winters avait perdu quatre de ses hommes et deux autres étaient blessés. Lui et son groupe avaient tué 5 ennemis, en avaient blessé beaucoup plus et fait 12 prisonniers; autant dire qu’ils avaient anéanti la section d’élite (forte d‘une cinquantaine de 264 different directions that demoralized the German forces and convinced them that they I were being hit by a much larger force." There were other factors, including the excellent training the company had received, and that this was their baptism of fire. The men had taken chances they would not take in the future. Lipton said he never would have climbed that tree and so exposed himself had he been a veteran. "But we were so full of fire that day." "You don't realize, your first time," Guarnere said. "I'd never, never do again what I did that morning." Compton would not have burst through that hedge had he been experienced. "I was sure I would not be killed," Lipton said. "I felt that if a bullet was headed for me it would be deflected or I would move." In his analysis, Winters gave credit to the Army for having prepared him so well for this moment ("my apogee," he called it). He had done everything right, from scouting the position to laying down a base of covering fire, to putting his best men (Compton, Guarnere, and Malarkey in one group, Lipton and Ranney in the other) on the most challenging missions, to leading the charge personally at exactly the right moment. Winters felt that if Sobel had been in command, he would have led all thirteen men on a frontal assault and lost his life, along with the lives of most of the men. Who can say he was wrong about that? But then, who can say that the men of Easy would have had the discipline, the endurance (they had been marching since 0130, after a night of little or no real sleep; they were battered and parachutistes appartenant au bataillon du colonel Von der Heydte) qui défendait les quatre pièces d’artillerie, et mis en fuite les artilleurs qui servaient ces canons. Dans une analyse rédigée en l.985, Lipton écrit :« Cette attaque est un rare exemple d’opération au cours de laquelle un petit groupe d’assaut bien commandé a vaincu et mis en déroute une force de défense occupant des positions fortifiées. C’est le moral de fer des hommes de la compagnie E, la rapidité et l’audace de l’attaque frontale, le fait d’être pris sous un feu croisé, qui ont démoralisé les Allemands et les ont convaincus qu’ils étaient attaqués par des forces beaucoup plus importantes.» D’autres facteurs ont également joué un rôle, par exemple l’excellence de l’entraînement ‘suivi par la compagnie E, sans oublier qu’il s’agissait de son baptême du feu. Le 6 juin 1944, les hommes ont pris des risques qu’ils n’ont pas repris par la suite. Lipton a reconnu que s’il avait été un vétéran, il n’aurait pas grimpé dans cet arbre et ne se serait pas exposé à ce point. « Mais ce jour-là, on était déchaînés. » «La première fois, on ne réalise pas bien, m’a confié Guarnere. Ce que j’ai fait ce matin-là, je ne l’ai plus jamais refait. Jamais. » S’il avait eu un tant soit peu d’expérience, Compton aurait agi différemment, il n’aurait pas franchi cette haie aussi imprudemment. « J ‘étais persuadé d’être invulnérable, m’a aussi expliqué Lipton. J ‘avais l’impression que si une balle venait dans ma direction elle serait détournée, ou bien que je bougerais au dernier moment. » Dans son analyse de la mission, Winters rend hommage à l’armée de terre américaine qui l’a si bien préparé pour ce qu’il appelle « mon apogée ». Il avait tout fait juste, repérant soigneusement les positions à attaquer, disposant ses mitrailleurs et ses tireurs d’élite de façon à bénéficier de tirs de protection, choisissant ses meilleurs hommes (Compton, Guarnere et Malarkey d’une part, Lipton et Ranney de l’autre) pour les missions les plus dangereuses, et menant lui-même l’assaut au moment opportun. 265 bruised from the opening shock and the hard landing) or the weapons skills to carry off this fine feat of arms, had it not been for Sobel? Sink put Winters in for the Congressional Medal of Honor. Only one man per division was to be given that ultimate medal for the Normandy campaign,- in the 101st it went to Lt. Col. Robert Cole for leading a bayonet charge,- Winters received the Distinguished Service Cross. Compton, Guarnere, Lorraine, and Toye got the Silver Star,- Lipton, Malarkey, Ranney, Liebgott, Hendrix, Plesha, Petty, and Wynn got Bronze Stars. A month or so later, Winters was called into regimental HQ. Sink, Strayer, and the staff were sitting in a tent. At the head of a table was S. L. A. Marshall, the Army's combat historian. The atmosphere around the table was "electric," Winters remembered. "Those West Pointers would have 'killed' to have the opportunity I had to be sitting in the chair across from Marshall." "O.K., Lieutenant," Marshall said, "tell me what you did out there on D-Day. You took that battery of 105s, didn't you?" "Yes, sir, that's right." "Tell me how you did it." "Well, sir, I put down a base of fire, we moved in under the base of fire, and we took the first gun. And then we put down another base of fire and we moved to the second gun and the third gun and the fourth gun." "O.K., anything else?" Winters pensait que si Sobel avait commandé ce jour-là, il aurait entraîné ses 13 hommes dans un assaut frontal au cours duquel il aurait été tué ainsi que la plupart de ses subordonnés. Comment savoir s’il avait tort ou raison de penser ainsi? Comment savoir si les hommes de la compagnie E auraient pu accomplir cet exploit, auraient été aussi disciplinés, aussi endurants (ils étaient sur le terrain depuis 1 h 30 du matin, après un début de nuit sans sommeil ; ils étaient meurtris et couverts de bleus à cause de la violence de la secousse consécutive à l’ouverture de leur parachute et de la rudesse de l’atterrissage), aussi experts à manier toutes sortes d’armes s’ils n’avaient pas été formés par Sobel ? Le colonel Sink a proposé Winters pour la médaille d’honneur du Congrès, mais en ce qui concerne la campagne de Normandie, cette décoration exceptionnelle n’a été décernée qu’à un seul homme par division ; à la 101e division aéroportée, le lieutenant-colonel Robert Cole (chef du 3e bataillon du 502e RIP), qui avait mené une charge à la baïonnette, a été l’heureux élu. Winters a reçu la Distinguished Service Cross ; Compton, Guarnere, Lorraine et Toye ont obtenu la Silver Star (l’étoile d’argent), et Lipton, Malarkey, Ranney, Liebgott, Hendrix, Plesha, Petty et Wynn, la Bronze Star (l’étoile de bronze). Environ un mois plus tard, Winters a été convoqué à l‘état-major de son régiment. Sink, Strayer et tous les officiers d’état-major étaient assis à une table sous une tente. À la place d’honneur siégeait S. L. A. Marshall, l’historien de l’armée de terre américaine. Winters se souviendra qu’il y avait de « l‘électricité » dans l’air. « Tous ces diplômés de West Point auraient été capables de ‘tuer’ pour se trouver à ma place, pour avoir l’occasion d’être assis en face de Marshall. - OK, lieutenant, a commencé Marshall, racontezmoi ce que vous avez fait là-bas le jour J. Vous avez pris cette batterie de pièces de 88 mm, c’est ça ? - Oui, monsieur, c’est exact. 266 "No, sir, that's basically it." As a junior officer facing all that brass, Winters figured he had better not lay it on too thick. So he made it sound like a routine training problem. When Marshall wrote his book, Night Drop, to Winters' disgust he left out Easy Company, except to say "the deployed [2nd] battalion had kept the German battery entertained at long range…" He did give a full account of the capture of a battery at Holdy, near causeway No. 1, by the 1st Battalion, 506th. Marshall wrote that the battalion had 195 men lined up to take the battery. Winters commented, "With that many E Co. men, I could have taken Berlin!" At about 1215, Sgt. Leo Boyle joined up. He had been dropped in the 82nd's DZ, gotten lost, figured out where he was, marched toward Ste. Marie-du-Mont, and found his company. "The first man I met was Winters. He was tired. I reported in to him. He grunted and that's all I got out of him. I thought maybe he'd be a little more happy to see me, but he'd been under tremendous stress." The men were congratulating one another, talking about what they had accomplished, trying to piece together the sequence of events. They were the victors, happy, proud, full of themselves. Someone found some cider in a cellar. It got passed around. When the jug got to Winters, he decided he was "thirsty as hell, and needed a lift." He shocked his men by taking a long pull, the first alcohol he had ever tasted. "I thought at the time it might slow down my thoughts and reactions, but it didn't." Lieutenant Welsh reported for duty. He had - Expliquez-moi comment vous avez fait. - Eh bien, monsieur, j’ai établi une base de feux, nous avons progressé sous le couvert de cette base de feux et nous avons pris le premier canon. Puis nous avons répété la manœuvre pour le deuxième, le troisième et le quatrième canon. - OK. Avez-vous autre chose à ajouter ? - Non, monsieur, c’est tout. » En tant qu’officier subalterne confronté à tous ces officiers d’étatmajor, Winters s’était dit qu’il valait mieux ne pas trop en faire et présenter l’affaire comme l’application pure et simple d’une tactique répétée àl’ entraînement. Quand le livre de Marshall intitulé Night Drop (Parachutage de nuit) est paru, Winters a constaté, écœuré, que l’historien avait oublié la compagnie E, se contentant d’écrire que « le [2e] bataillon déployé avait amusé la batterie allemande de loin... >›, alors qu’il faisait le récit complet de la prise d’une batterie d’obusiers de 105 mm au Holdy, à l’ouest de Sainte-Marie-du-Mont, par le 1er bataillon du 506e RIP. Marshall écrit que le 1er bataillon alignait pour l’occasion 195 hommes. « Avec le même nombre d’hommes de la compagnie E, j’aurais pu prendre Berlin ! » a commenté Winters. Vers 12 h 15, le sergent Leo Boyle rejoignit sa compagnie. Il avait atterri dans la zone de largage de la 82e division aéroportée, s‘était perdu, avait réussi à comprendre où il se trouvait, s’était dirigé vers Sainte-Marie-du-Mont et avait fini par retrouver la compagnie E. « Je suis tombé en premier sur Winters. Il était fatigué. Je me suis présenté à lui. Il a grommelé, c’est tout ce que j‘ai réussi à obtenir de lui. Je pensais qu’il serait plus heureux de me voir, mais il venait de vivre des moments de très grande tension. » Les hommes se congratulaient les uns les autres, discutant de ce qu’ils avaient accompli, tentant de reconstituer le déroulement des événements. Ils 267 been in various firefights alongside some men from the 82nd. In his backpack he was carrying his reserve parachute; he carried it throughout the Normandy campaign. "I wanted to send it back to Kitty to make a wedding gown for our marriage after the war. (Optimism?)" German machine-gun fire from the hedgerow across the road from Brecourt Manor was building up. Winters put his machine-gunners to answering with some harassing fire of their own. Malarkey found his mortar tube, but not the base plate or tripod. Setting the tube on the ground, he fired a dozen rounds toward the Manor. Guarnere joined him, working another mortar tube. They discovered later that every round hit its target. "That kind of expertise you don't teach," Winters commented. "It's a Godgiven touch." When Malarkey ran out of mortar rounds, his tube was almost completely buried. An old French farmer got a shovel to help him dig it out. Along about noon, infantry from the 4th Division began to pass Le Grand-Chemin: Welsh remembered "the faces of the first foot soldiers coming up from the beach while they puked their guts out from the sight of the distorted and riddled bodies of dead troopers and Germans." There were about fifty E Company men together by then. No one knew of Lieutenant Meehan's fate, but Winters had become the de facto company commander. Lieutenant Nixon came forward, with four Sherman tanks following. He told Winters to point out the enemy position to the tankers, then use E Company to provide infantry support for an attack. Winters climbed onto the back of the first tank and told the commander, "I want fire along those hedgerows over there, and there, and there, and against the Manor. Clean out anything étaient victorieux, heureux, fiers, conscients de leur importance. L’un d’eux avait trouvé du cidre dans un cellier. Le cruchon circula de main en main. Quand il arriva dans celles de Winters, celui-ci se dit qu’il « mourait de soif et avait besoin de se remonter le moral ». Il surprit ses hommes en buvant une grande goulée - le premier alcool qu’il ait jamais bu. « Sur le coup, j’ai pensé que ça me calmerait, mais il n’en a rien été. » Le sous-lieutenant Welsh rejoignit la compagnie à son tour. Il avait participé à divers accrochages aux côtés des hommes de la 829 Il transportait son parachute de secours dans son sac à dos. «Je voulais l’envoyer à Kitty en lui demandant de se confectionner une robe pour notre mariage qui devait avoir lieu après la guerre. J’étais résolument optimiste. » Les tirs de mitrailleuses venus de la haie qui se trouvait de l’autre côté de la route, en face du Manoir de Brécourt, se sont intensifiés. Winters disposa ses mitrailleurs afin de répondre par un tir de harcèlement. Malarkey avait retrouvé le tube de son mortier mai spas le socle. Il planta le tube dans le sol et tira une douzaine d’obus en direction du Manoir. Guarnere mit un autre mortier en batterie et l’imita. Ils ont découvert par la suite que chacun de leurs coups avait fait mouche.« Ce genre de savoir-faire ne s’apprend pas, c’est un don du ciel », a remarqué Winters. Quand Malarkey s’est trouvé à court de munitions, le tube de son mortier était presque complètement enterré, et un vieux paysan a dû prendre une pelle pour l’aider à le dégager. Vers midi, les premiers éléments de la 4’ division d’infanterie débarquée à Utah Beach sont arrivés au Grand-Chemin. Welsh se souviendra des « visages des premiers fantassins arrivant de la plage et qui dégueu-laient tripes et boyaux à la vue des cadavres convulsé set criblés de balles des soldats américains et allemands ». La compagnie E était forte désormais d’une cinquantaine d’hommes. Personne ne sachant ce qu’était devenu le lieutenant Meehan, Winters se 268 that's left." The tanks roared ahead. For the tankers, this was their first time in combat, their first chance to fire their weapons at the enemy. They had a full load of ammunition, for their 50-caliber and their 30-caliber machine-guns, and for their 75 mm cannon. "They just cut those hedgerows to pieces," Welsh remembered. "You thought they would never stop shooting." By midafternoon, Brecourt Manor was secured. The de Vallavieille family came out of the house, headed by Colonel de Vallavieille, a World War I veteran, along with Madame and the two teen-age sons, Louis and Michel. Michel stepped into the entry into the courtyard with his hands raised over his head, alongside some German soldiers who had remained behind to surrender. An American paratrooper shot Michel in the back, either mistaking him for a German or thinking he was a collaborator. He lived, although his recovery in hospital (he was the first Frenchman evacuated from Utah Beach to England) took six months. Despite the unfortunate incident, the brothers became close friends with many of the E Company men. Michel became mayor of Ste. Marie-duMont, and the founder and builder of the museum at Utah Beach. By late afternoon, the Germans had pulled out of Ste. Marie-du-Mont, as Easy and the rest of 2nd Battalion moved in, then marched south-southwest a couple of kilometers to the six-house village of Culoville, where Strayer had 2nd Battalion's CP. Winters got pie men settled down for the night, with his outposts in place. The men ate their K rations. Winters went on a patrol by himself, outside the village, he heard troops marching down a cobbled road. The sound of hobnailed boots told him they were Krauts. He hit the ditch; the German squad marched past him. He could smell the distinct odor of the retrouvait de facto commandant de compagnie. Le lieutenant Nixon est arrivé sur ces entrefaites, suivi de quatre chars Sherman. Il a demandé à Winters d’indiquer les positions ennemies aux tankistes, puis de fournir l’appui d’infanterie nécessaire pour une attaque. Winters a grimpé à l’arrière du premier char et a dit à son chef :« Tirez le long de ces haies là-bas, et là, et là, et en direction du Manoir. Nettoyez tout ce qui reste. » Les chars ont avancé en vrombissant. Pour les tankistes, c’était le baptême du feu, la première occasion de tirer sur l’ennemi avec leurs mitrailleuses de calibres 7,62 mm et 12,7 mm, et leur canon de 75 mm. « Ils ont littéralement coupé les haies en petits morceaux, se souvient Welsh. On aurait pu croire qu’ils ne s’arrêteraient jamais de tirer. » En milieu d’après-midi, le Manoir étant aux mains des hommes de la compagnie E, la ‘famille de Valavieille sortit de sa demeure ancestrale. En tête venaient le colonel de Valavieille, un vétéran de la Grande Guerre, et Mme de Valavieille, suivis de leurs deux fils Louis et Michel, deux adolescents. Michel est sorti dans la cour les mains au-dessus de la tête, en compagnie de quelques soldats allemands qui étaient restés en arrière pour se rendre. Prenant Michel pour un Allemand ou pour un collaborateur, un parachutiste américain lui a tiré dans le dos. Michel de Valavieille a survécu, mais il lui a fallu six mois pour guérir de ses blessures dans un hôpital anglais (il a été le premier blessé français évacué par Utah Beach). Il est devenu par la suite maire de Sainte-Marie-du-Mont, puis fondateur et conservateur du musée d’Utah Beach, avant de décéder il y a quelques années. En fin d’après-midi, les Allemands se retirèrent de Sainte-Marie-du-Mont ; la compagnie E et le reste du 2e bataillon y firent leur entrée, puis 269 Germans. It was a combination of 'sweatsoaked leather and tobacco. That's too close for comfort, Winters thought. Lieutenant Welsh remembered walking around among the sleeping men, and thinking to himself that "they had looked at and smelled death all around them all day but never even dreamed of applying the term to themselves. They hadn't come here to fear. They hadn't come to die. They had come to win." Before Lipton went to sleep, he recalled his discussion with Sergeant Murray before they jumped on what combat would be like and what they would do in different situations. He drifted off feeling "gratified and thankful that the day had gone so well." As Winters prepared to stretch out, he could hear "Germans shooting their burp guns, evidently in the air, for they did no harm, and hollering like a bunch of drunk kids having a party," which was probably what was happening. Before lying down, Winters later wrote in his diary, "I did not forget to get on my knees and thank God for helping me to live through this day and ask for his help on D plus one." And he made a promise to himself: if he lived through the war, he was going to find an isolated farm somewhere and spend the remainder of his life in peace and quiet. s’avancèrent, en direction du sud-sud-ouest, jusqu’au hameau de Culoville où le lieutenantcolonel Strayer établit son PC. Winters installa ses hommes pour la nuit, mit en place des sentinelles et des postes avancés. Chacun mangea ses rations K, puis Winters s’en alla seul effectuer une patrouille de reconnaissance. S’éloignant du village, il entendit le bruit des pas d’une troupe marchant sur une route pavée. Le son particulier des bottes cloutées indiquait qu’il s’agissait de soldats allemands. Il s’allongea dans un fossé et la patrouille ennemie passa tout près de lui sans le voir. Il pouvait sentir l’odeur caractéristique des soldats allemands, un mélange de tabac, et de cuir trempé de sueur: « Cette fois-ci, ça n’est pas passé loin ! » se dit-il. Le sous-lieutenant Welsh se souviendra quant à lui d’avoir fait les cent pas parmi les hommes endormis en songeant qu’ils avaient vu la mort de près, qu’elle leur avait tourné autour durant toute la journée, mais qu’ils ne s‘étaient jamais sentis concernés. « Ils n’étaient pas venus jusque-là pour avoir peur ni pour mourir, mais pour vaincre. ». Sur le point de s’endormir, Lipton se remémora la discussion qu’il avait eue dans l’avion avec le sergent Murray, à propos de leur baptême du feu et de ce qu’ils feraient dans telle ou telle situation ;puis il sombra dans le sommeil « content et reconnaissant que la journée se soit si bien passée ».Alors qu’il préparait son couchage, Winters entendit les Allemands « tirer des rafales de mitraillettes, de toute évidence en l’air, et brailler à tue-tête comme une bande de gamins ivres en train de faire la fête ». Avant de se coucher, il nota dans son journal : «Je n’ai pas oublié de m’agenouiller afin de remercier Dieu de m’avoir aidé à survivre à cette journée, et de lui demander son aide pour le lendemain du jour J. » Après quoi, il s’est fait une promesse : s‘il revenait de cette guerre, il chercherait une ferme isolée, quelque part, et passerait le reste de sa vie au calme et en paix. 270 CorpusGuernier 271 ONE Un FOR A MAN of his age, fifty-two, divorced, he has, to his mind, solved the problem of sex rather well. On Thursday afternoons he drives to Green Point. Punctually at two p.m. he presses the buzzer at the entrance to Windsor Mansions, speaks his name, and enters. Waiting for him at the door of No. 113 is Soraya. He goes straight through to the bedroom, which is pleasant-smelling and softly lit, and undresses. Soraya emerges from the bathroom, drops her robe, slides into bed beside him. 'Have you missed me?' she asks. 'I miss you all the time,' he replies. He strokes her honey-brown body, unmarked by the sun; he stretches her out, kisses her breasts; they make love. Pour un homme de son âge, cinquante-deux ans,divorcé, il a, lui semble-t-il, résolu la question de sa vie sexuelle de façon plutôt satisfaisante. Le jeudi après-midi il prend sa voiture pour se rendre à Green Point. A deux heures pile il appuie sur le bouton de la porte d’entrée de Windsor Mansions, il donne son nom et il entre. Il trouve Soraya qui l’attend sur le pas de la porte de l’appartement n° 113. Il va tout droit jusqu’à la chambre, plongée dans une lumière douce où flotte une odeur agréable, et il se déshabille. Soraya sort de la salle de bains, laisse tomber son peignoir et se glisse contre lui sous les draps. « Je t’ai manqué ? » demande-t-elle. « Tu me manques tout le temps », répond-il. Il caresse son corps ambré couleur de miel, qu’elle n’a pas exposé au soleil; il lui écarte bras et jambes, lui embrasse les seins; ils font l’amour. Soraya is tall and slim, with long black hair and dark, liquid eyes. Technically he is old enough to be her father; but then, technically, one can be a father at twelve. He has been on her books for over a year; he finds her entirely satisfactory. In the desert of the week Thursday has become an oasis of luxe et volupté. Soraya est grande et mince; elle a les cheveux longs,noirs, et des yeux sombres et limpides. Chronologiquement parlant, il a l’âge d’être son père; mais si l’on va par là, on peut être père à l’âge de douze ans. Cela fait maintenant un an qu’il est un de ses clients réguliers; elle lui donne toute satisfaction. Dans le désert aride qu’est la semaine, le jeudi est une oasis de luxe et volupté. In bed Soraya is not effusive. Her temperament is in fact rather quiet, quiet and docile. In her general opinions she is surprisingly moralistic. She is offended by tourists who bare their breasts ('udders', she calls them) on public beaches; she thinks vagabonds should be rounded up and put to work sweeping the streets. How she reconciles her opinions with her line of business he does not ask. Au lit Soraya n’est guère démonstrative. Elle est en fait d’un tempérament placide, placide et docile. Les opinions qu’elle a partent d’un point de vue moral qui peut surprendre. Elle s’offusque de voir les touristes exhiber leurs seins (qu’elle qualifie de « mamelles ») sur nos plages; elle trouve qu’on devrait ramasser les clochards qui traînent et leur faire balayer les rues. Il ne cherche pas à savoir comment elle fait cadrer ce genre d’opinions avec le métier qu’elle pratique. Because he takes pleasure in her, because his pleasure is unfailing, an affection has grown up in him for her. To some degree, he believes, this affection is reciprocated. Affection may not be love, but it is at least its cousin. Given their unpromising beginnings, they have been lucky, the two of them: he to have Comme elle lui dome du plaisir, qu’elle ne manquejamais de lui donner du plaisir, il s’est peu à peu pris d’affection pour elle. Et il croit que, dans une certaine mesure, cette affection est réciproque. L’affection n’est pas l’amour, mais ces sentiments entretiennent une relation de 272 found her, she to have found him. cousinage. Vu les débuts peu prometteurs de leurs relations, ils ont eu de la chance, l’un comme l’autre : lui de tomber sur elle et elle sur lui. His sentiments are, he is aware, complacent, even uxorious. Nevertheless he does not cease to hold to Ses sentiments, il s’en rend compte, ne sont pas sans une them. certaine complaisance qui va même jusqu’à l’attachement d’un mari possessif pour sa femme. Néanmoins il ne cherche pas à s’en départir. For a ninety-minute session he pays her R400, of which half goes to Discreet Escorts. It seems a pity Pour l’heure et demie que dure la rencontre, il la paie that Discreet Escorts should get so much. But they quatre cents rands, dont la moitié va à l’agence Discreet own No. 113 and other flats in Windsor Mansions; in a Escorts qui emploie Soraya. Il est bien dommage que sense they own Soraya too, this part of her, this l’agence prenne un si gros bénéfice. Mais c’est l’agence function. qui est propriétaire de l’appartement ll3, ainsi que d’autres dans l’immeuble; en un sens Soraya leur appartient aussi, dans cet aspect de sa vie, dans la fonction qu’elle exerce. He has toyed with the idea of asking her to see him in her own time. He would like to spend an evening with her, perhaps even a whole night. But not the morning after. He knows too much about himself to subject her to a morning after, when he will be cold, surly, impatient to be alone. Il s’est plu à envisager de lui demander de le voir à titre privé. Il aimerait passer une soirée avec elle, peut-être même toute une nuit. Mais pas se retrouver avec elle au réveil. Il se connaît assez pour ne pas lui infliger sa compagnie au matin d’une nuit passée ensemble : il sera froid, de mauvaise humeur, il lui tardera de se retrouver seul. That is his temperament. His temperament is not going to change, he is too old for that. His temperament is fixed, set. The skull, followed by the temperament: the two hardest parts of the body. C’est une affaire de tempérament. Il est trop vieux, il ne va pas changer: le tempérament à son âge est bien établi, solidement figé. D’abord le crâne, ensuite le tempérament : les deux parties du corps les plus dures. Follow your temperament. It is not a philosophy, he would not dignify it with that name. It is a rule, like the Rule of St Benedict. He is in good health, his mind is clear. By profession he is, or has been, a scholar, and scholarship still engages, intermittently, the core of him. He lives within his income, within his temperament, within his emotional means. Is he happy? By most measurements, yes, he believes he is. However, he has not forgotten the last chorus of Oedipus: Call no man happy until he is dead. Suivre ce que dicte le tempérament. Ce n’est pas une philosophie, cela ne mérite pas un nom aussi noble. C’est une règle, comme la règle des bénédictins. Il est en bonne santé, il a l’esprit clair. De métier il est, il a été, chercheur, et de temps à autre, au fond de luimême, il sent encore un élan qui le porte à la recherche. Il vit dans les limites de ses revenus, de son tempérament, selon ses moyens, pour ses émotions et le reste. Est-il heureux ? A l’aune, quelle qu’elle soit, dont on mesure le bonheur, oui, il croit qu’il est heureux. Cependant il n’a pas oublié ce que chante le chœur à la fin d’OÉdipe : Ne dis jamais qu’un homme est heureux avant sa mort. In the field of sex his temperament, though intense, Dans les rapports sexuels, son tempérament lui donne has never been passionate. Were he to choose a de l’ardeur, sans cependant faire de lui un amant pastotem, it would be the snake. Intercourse between sionné. S ’il devait choisir un totem personnel, ce serait le 273 Soraya and himself must be, he imagines, rather like serpent. Ses rapports avec Soraya, à ce qu’il imagine, the copulation of snakes: lengthy, absorbed, but doivent ressembler à la copulation des serpents : l’un et rather abstract, rather dry, even at its hottest. l’autre s’absorbent dans une rencontre prolongée, qui reste plutôt abstraite, sèche, même au comble de Is Soraya's totem the snake too? No doubt with other l’ardeur. men she becomes another woman: la donna è mobile. Est-ce que le serpent est aussi le totem personnel de Yet at the level of temperament her affinity with him Soraya? Il est sûr qu’avec d’autres hommes c’est une femme différente : la donna è mobile. Pourtant, elle ne can surely not be feigned. peut sûrement pas feindre l’affinité de tempérament qu’il y a entre eux. Though by occupation she is a loose woman he trusts her, within limits. During their sessions he speaks to her with a certain freedom, even on occasion unburdens himself. She knows the facts of his life. She has heard the stories of his two marriages, knows about his daughter and his daughter's ups and downs. She knows many of his opinions. Of her life outside Windsor Mansions Soraya reveals nothing. Soraya is not her real name, that he is sure of. There are signs she has borne a child, or children. It may be that she is not a professional at all. She may work for the agency only one or two afternoons a week, and for the rest live a respectable life in the suburbs, in Rylands or Athlone. That would be unusual for a Muslim, but all things are possible these days. About his own job he says little, not wanting to bore her. He earns his living at the Cape Technical University, formerly Cape Town University College. Once a professor of modern languages, he has been, since Classics and Modern Languages were closed down as part of the great rationalization, adjunct professor of communications. Like all rationalized personnel, he is allowed to offer one special-field course a year, irrespective of enrolment, because that is good for morale. This year he is offering a course in the Romantic poets. For the rest he teaches Communications 101, 'Communication Skills', and Communications 201, 'Advanced Communication Skills'. Bien que de métier ce soit une femme légère, il lui fait confiance, jusqu’à un certain point. Au cours de leurs rencontres il lui parle assez librement, il lui arrive même de se livrer à elle. Elle connaît les détails de sa vie. Il a raconté l’histoire de ses deux mariages, elle sait qu’il a une fille, et que sa fille a des hauts et des bas. Elle connaît ses opinions sur beaucoup de choses. De sa vie en dehors de Windsor Mansions, Soraya ne dévoile rien. Soraya n’est pas son vrai nom, cela est sûr. A certains signes on voit qu’elle a eu un enfant, ou plusieurs enfants. Il se peut que ce ne soit pas du tout une professionnelle, qu’elle travaille pour l’agence un ou deux après-midi par semaine; le reste du temps elle mène une vie respectable en banlieue, à Rylands ou à Athlone. Ce serait inattendu de la part d’une musulmane, mais tout est possible de nos jours. Il en dit peu sur son travail, il ne veut pas l’ennuyer. Il gagne sa vie à l’Université technique du Cap, qui faisait naguère partie du Collège universitaire du Cap, où il avait une chaire de langues modemes. Mais à la suite des mesures de rationalisation et de la fermeture du département de langues classiques et modernes, il se retrouve professeur associé en communications. Comme tous les enseignants touchés par la rationalisation, il lui est permis d’enseigner un cours par an dans sa spécialité, quel que soit le nombre des inscrits, parce qu’on a souci de soutenir le moral du corps enseignant. Cette année il a décidé de donner un cours sur les poètes romantiques. Le reste de son service se fait en première année de communications, cours 101 : « Techniques de communication », et deuxième aimée, cours 201, « 274 Techniques de communication, niveau avancé ». Although he devotes hours of each day to his new discipline, he finds its first premise, as enunciated in the Communications 101 handbook, preposterous: 'Human society has created language in order that we may communicate our thoughts, feelings and intentions to each other.' His own opinion, which he does not air, is that the origins of speech lie in song, and the origins of song in the need to fill out with sound the overlarge and rather empty human soul. In the course of a career stretching back a quarter of a century he has published three books, none of which has caused a stir or even a ripple: the first on opera (Boito and the Faust Legend: The Genesis of Mefistofele), the second on vision as eros (The Vision of Richard of St Victor), the third on Wordsworth and history (Wordsworth and the Burden of the Past). In the past few years he has been playing with the idea of a work on Byron. At first he had thought it would be another book, another critical opus. But all his sallies at writing it have bogged down in tedium. The truth is, he is tired of criticism, tired of prose measured by the yard. What he wants to write is music: Byron in Italy, a meditation on love between the sexes in the form of a chamber opera. Through his mind, while he faces his Communications classes, flit phrases, tunes, fragments of song from the unwritten work. He has never been much of a teacher; in this transformed and, to his mind, emasculated institution of learning he is more out of place than ever. But then, so are other of his colleagues from the old days, burdened with upbringings inappropriate to the tasks they are set to perform; clerks in a postreligious age. Bien qu’il consacre chaque jour des heures à sa nouvelle discipline, il trouve que le principe sur lequel elle repose, tel qu’il est exprimé dans la brochure de Communications 101, est ridicule : « La société humaine a créé le langage pour nous permettre de communiquer nos pensées, nos sentiments et nos intentions les uns aux autres. » A son avis, qu’il se garde bien d’exprimer en public, la parole trouve son origine dans le chant, et le chant est né du besoin de remplir de sons l’âme humaine, trop vaste et plutôt vide. Au cours d’une carrière qui s’étend sur un quart de siècle, il a publié trois livres, qui sont tous passés inaperçus et n’ont fait aucun bruit dans le monde universitaire: le premier porte sur l’opéra (Boïto et la Légende de Faust: la Genèse de Méphistophélès); le deuxième est une étude de la vision comme principe érotique (La Vision de Richard de Saint-Victor); le troisième sur les rapports de Wordsworth avec l’histoire (Wordsworth et le Fardeau du passé). Au cours de ces dernières années, il a caressé le projet d’un ouvrage sur Byron. Il avait d’abord pensé que ce serait un livre de plus, une étude critique comme ses travaux antérieurs. Mais chaque fois qu’il s’est lancé dans la rédaction, son élan s’est enlisé dans l’ennui. La vérité est qu’il est las de l’activité critique, las de produire de la prose au mètre. Ce qu’il voudrait écrire, c’est de la musique Byron en Italie, une méditation sur l’amour entre un homme et une femme sous forme d’un Kammeroper, un opéra de chambre. Il lui passe par l’esprit, tandis qu’il fait ses cours de communications, des phrases, des airs, des fragments de chant qui auraient leur place dans l’ouvrage à écrire. Enseignant plutôt médiocre, il lui semble que dans cet établissement d’enseignement, dans sa nouvelle formule émasculée, il est moins à sa place que jamais. Mais c’est le cas de certains de ses collègues d’antan, encombrés de formations qui ne les ont pas préparés aux tâches qu’on leur confie; autant de clercs, à l’époque post-chrétienne 275 Because he has no respect for the material he teaches, he makes no impression on his students. They look through him when he speaks, forget his name. Their indifference galls him more than he will admit. Nevertheless he fulfils to the letter his obligations toward them, their parents, and the state. Month after month he sets, collects, reads, and annotates their assignments, correcting lapses in punctuation, spelling and usage, interrogating weak arguments, appending to each paper a brief, considered critique. He continues to teach because it provides him with a livelihood; also because it teaches him humility, brings it home to him who he is in the world. The irony does not escape him: that the one who comes to teach learns the keenest of lessons, while those who come to learn learn nothing. It is a feature of his profession on which he does not remark to Soraya. He doubts there is an irony to match it in hers. que nous vivons. Comme il n’a aucun respect pour ce qu’il doit enseigner, il laisse ses étudiants indifférents. Ils le regardent sans le voir quand il fait cours, ils ne savent pas son nom. Leur indifférence le blesse plus qu’il ne voudrait l’admettre. Il ne s’en acquitte pas moins à la lettre des obligations qu’il a envers eux, envers leurs parents et envers l’État. Au fil des mois de l’année universitaire, il donne des devoirs, il les ramasse, il les lit, il les annote, il corrige les fautes de ponctuation, d’orthographe, les impropriétés, souligne la faiblesse de l’argumentation, ajoute en bas de chaque copie un commentaire bref et bien pesé. Il continue à enseigner parce que cela lui donne de quoi vivre; et aussi parce que c’est une leçon d’humilité, cela lui fait comprendre la place qui est la sienne dans le monde. Ce qu’il y a là d’ironique ne lui échappe pas : c’est celui qui enseigne qui apprend la plus âpre des leçons, alors que ceux qui sont là pour apprendre quelque chose n’apprennent rien du tout. C’est une des caractéristiques de sa profession dont il ne parle pas à Soraya. Il doute qu’il y ait pareille ironie dans le métier qu’elle exerce. In the kitchen of the flat in Green Point there are a kettle, plastic cups, a jar of instant coffee, a bowl with sachets of sugar. The refrigerator holds a supply of bottled water. In the bathroom there is soap and a pile of towels, in the cupboard clean bedlinen. Soraya keeps her makeup in an overnight bag. A place of assignation, nothing more, functional, clean, well regulated. Dans la cuisine de l’appartement de Green Point, il y a une bouilloire électrique, des tasses en plastique, un bocal de café en poudre, une coupe de sachets de sucre. Dans le réfrigérateur, des bouteilles d’eau minérale. Dans la salle de bains, on trouve du savon, une pile de serviettes, et des draps de rechange dans le placard. Soraya laisse ses produits de maquillage dans un petit sac de voyage. C’est un lieu de rendez-vous, ni plus ni moins, The first time Soraya received him she wore vermilion fonctionnel, propre, bien tenu. lipstick and heavy eyeshadow. Not liking the stickiness La première fois que Soraya l’a accueilli, elle avait un of the makeup, he asked her to wipe it off. She obeyed, and has never worn it since. A ready learner, rouge à lèvres vermillon et une grosse couche d’ombre à paupières. Ce maquillage poisseux lui a déplu et il lui a compliant, pliant. demandé de se démaquiller. Elle a obéié et ne s’est plus He likes giving her presents. At New Year he gave her maquillée depuis. Prête à apprendre, docile, conciliante. an enamelled bracelet, at Eid a little malachite heron Il aime lui faire des cadeaux. Pour le Nouvel An il lui a that caught his eye in a curio shop. He enjoys her pleasure, which is quite unaffected. offert un bracelet d’émail, et pour les fêtes de la fin du Ramadan un petit héron en malachite qui lui avait plu 276 It surprises him that ninety minutes a week of a woman's company are enough to make him happy, who used to think he needed a wife, a home, a marriage. His needs turn out to be quite light, after all, light and fleeting, like those of a butterfly. No emotion, or none but the deepest, the most unguessed-at: a ground bass of contentedness, like the hum of traffic that lulls the city-dweller to sleep, or like the silence of the night to countryfolk. dans une boutique de souvenirs. Il se plaît à lui faire plaisir, et elle manifeste son plaisir sans affectation. Il est surpris de voir qu’il lui suffit d’une heure et demie par semaine en compagnie d’une femme pour être heureux, lui qui croyait qu’il lui fallait une épouse, un foyer, le mariage. Ses besoins s’avèrent assez modestes, tout compte fait, modestes et éphémères, comme les besoins d’un papillon. Nulle émotion, si ce n’est l’émotion la plus profonde, la plus insoupçonnée une basse continue exprimant le contentement, comme le bourdonnement sourd de la circulation qui berce le citadin, ou le silence de la nuit pour les paysans. He thinks of Emma Bovary, coming home sated, glazen-eyed, from an afternoon of reckless fucking. So this is bliss!, says Emma, marvelling at herself in the mirror. So this is the bliss the poets speak of! Well, if poor ghostly Emma were ever to find her way to Cape Town, he would bring her along one Thursday afternoon to show her what bliss can be: a moderate bliss, a moderated bliss. Il pense à Emma Bovary qui rentre chez elle assouvie, l’œil vitreux après un après-midi de baise effrénée. C’est donc cela le bonheur! dit Emma, émerveillée par l’image que lui renvoie son miroir. C’est de ce bonheur que parlent les poètes ! Eh bien, si jamais le fantôme de cette pauvre Emma trouvait le moyen d’arriver jusqu’au Cap, il l’amènerait à Windsor Mansions un jeudi après-midi pour lui montrer ce que le bonheur peut être : le bonheur dans Then one Saturday morning everything changes. He is la modération, un bonheur modéré. in the city on business; he is walking down St George's Street when his eyes fall on a slim figure ahead of him Et puis, un samedi matin, tout change. Il est en ville où il in the crowd. It is Soraya, unmistakably, flanked by a des courses à faire; comme il descend St. George ’s Street, son regard tombe sur une silhouette mince two children, two boys. They are carrying parcels; they devant lui dans la foule. C’est Soraya, il n’y a pas d’erreur, have been shopping. accompagnée de deux enfants, deux garçons. Ils portent He hesitates, then follows at a distance. They des paquets; ils ont fait des achats. disappear into Captain Dorego's Fish Inn. The boys have Soraya's lustrous hair and dark eyes. They can Il hésite un instant et se met à les suivre de loin. Ils disparaissent dans le restaurant Captain Dorego. Les only be her sons. garçons ont les cheveux brillants de Soraya et ses yeux He walks on, turns back, passes Captain Dorego's a sombres. Ils ne peuvent être que ses fils. second time. The three are seated at a table in the Il continue à marcher, fait demi-tour, repasse devant le window. For an instant, through the glass, Soraya's restaurant. Ils sont tous les trois installés à une table à eyes meet his. côté de la fenêtre. Le temps d’un bref instant, à travers la vitre, le regard de Soraya rencontre le sien. He has always been a man of the city, at home amid a flux of bodies where eros stalks and glances flash like arrows. But this glance between himself and Soraya he regrets at once. Il a toujours été un homme de la ville, à l’aise dans le flot des corps qui circulent, où le désir est aux aguets et où les regards étincelants se décochent comme des flèches. Mais il regrette immédiatement le regard qu’il échange 277 ce jour-là avec Soraya. At their rendezvous the next Thursday neither mentions the incident. Nonetheless, the memory hangs uneasily over them. He has no wish to upset what must be, for Soraya, a precarious double life. He is all for double lives, triple lives, lives lived in compartments. Indeed, he feels, if anything, greater tenderness for her. Your secret is safe with me, he would like to say. But neither he nor she can put aside what has happened. The two little boys become presences between them, playing quiet as shadows in a corner of the room where their mother and the strange man couple. In Soraya's arms he becomes, fleetingly, their father: foster-father, step-father, shadow-father. Leaving her bed afterwards, he feels their eyes flicker over him covertly, curiously. Lors de leur rendez-vous le jeudi suivant, ni l’un ni l’autre ne fait allusion à l’incident. Mais le souvenir qu’ils en ont pèse sur, leur rencontre. Il n’a pas la moindre intention de mettre le désordre dans ce qui doit être pour Soraya une double vie précaire. Il est tout à fait pour les doubles vies, les vies triples, les vies parallèles, compartimentées. A dire vrai, il n’en éprouve que plus de tendresse pour elle. Ton secret ne risque rien avec moi, voilà ce qu’il aimerait lui dire. Mais ni l’un ni l’autre ne peut faire comme si rien n’était arrivé. Les deux petits garçons deviennent des tiers présents entre eux, qui jouent comme des ombres dans un coin de la pièce où leur mère s’accouple avec un inconnu. Dans les bras de Soraya, fugitivement, il devient leur père nourricier, leur beau-père, leur père fantôme. Et après, lorsqu’il quitte le lit de Soraya, il sent qu’ils lui jettent à la dérobée des regards furtifs, curieux. His thoughts turn, despite himself, to the other father, the real one. Does he have any inkling of what his wife Il se met, malgré lui, à penser à l’autre père, le vrai. A-t-il is up to, or has he elected the bliss of ignorance? la moindre idée de ce que trafique sa femme, ou a-t-il choisi de rester dans une ignorance bénie ? He himself has no son. His childhood was spent in a family of women. As mother, aunts, sisters fell away, they were replaced in due course by mistresses, wives, a daughter. The company of women made of him a lover of women and, to an extent, a womanizer. With his height, his good bones, his olive skin, his flowing hair, he could always count on a degree of magnetism. If he looked at a woman in a certain way, with a certain intent, she would return his look, he could rely on that. That was how he lived; for years, for decades, that was the backbone of his life. Lui-même n’a pas de fils. Il a eu une enfance dans une famille de femmes. Au fur et à mesure que disparaissaient la mère, les tantes, les sœurs, elles étaient remplacées par des maîtresses, des épouses, une fille. La compagnie des femmes a fait de lui un homme qui aime les femmes et, dans une certaine mesure, un homme à femmes. Beau garçon, bien charpenté, le teint mat, les cheveux souples, tout cela lui donnait du charme et de l’assurance. Il lui suffisait de regarder une femme d’une certaine manière, d’un regard qui disait ses intentions, et elle lui retournerait son regard, il pouvait compter sur ce magnétisme. C’est ainsi qu’il avait vécu, Then one day it all ended. Without warning his powers pendant des années, des dizaines d’années, cela avait fled. Glances that would once have responded to his constitué l’essentiel de sa vie. slid over, past, through him. Overnight he became a ghost. If he wanted a woman he had to learn to Et puis, un beau jour, tout cela prit fin. Sans le moindre signe avant-coureur, le pouvoir de son charme 278 l’abandonna. Ces regards, qui naguère auraient répondu aux siens, glissaient sur lui, se portaient ailleurs, ne le voyaient plus. Du jour au lendemain, il ne fut plus qu’un fantôme. S’il voulait une femme, il devait apprendre à lui courir après; et souvent, d’une manière ou d’une autre, He existed in an anxious flurry of promiscuity. He had l’acheter. affairs with the wives of colleagues; he picked up tourists in bars on the waterfront or at the Club Italia; Son existence se résumait à rechercher fébrilement les occasions de coucheries. Il eut des aventures avec des he slept with whores. femmes de collègues; il levait des touristes dans les bars sur le front de mer ou au Club Italia; il couchait avec des putains. His introduction to Soraya took place in a dim little sitting-room off the front office of Discreet Escorts, La première rencontre avec Soraya eut lieu dans le petit with Venetian blinds over the windows, pot plants in salon, chichement éclairé, qui donnait sur la réception de the corners, stale smoke hanging in the air. She was l’agence Discreet Escorts : stores vénitiens aux fenêtres, on their books under 'Exotic'. The photograph showed plantes vertes dans les coins de la pièce, odeur de tabac her with a red passion-flower in her hair and the froid. Son nom apparaissait dans la liste de l’agence sous faintest of lines at the corners of her eyes. The entry la rubrique « exotique ». Sur la photo elle avait une fleur said 'Afternoons only'. That was what decided him: de la passion rouge dans les cheveux et des rides à peine the promise of shuttered rooms, cool sheets, stolen perceptibles au coin des yeux. A côté de son nom il était hours. précisé : « Après-midi seulement ». C’est ce détail qui l’avait décidé : la promesse de volets clos, de draps frais, From the beginning it was satisfactory, just what he d’heures volées. wanted. A bull's eye. In a year he has not needed to go Dès le début ce fut satisfaisant, exactement ce qu’il back to the agency. voulait. Il avait mis dans le mille. De toute l’année il Then the accident in St George's Street, and the n’avait pas eu besoin de retourner à l’agence. strangeness that has followed. Though Soraya still keeps her appointments, he feels a growing coolness Et puis il y eut cet accident dans St George ’s Street, et as she transforms herself into just another woman ensuite cette impression d’étrangeté. Bien que Soraya continue à être aux rendez-vous, il sent s’installer de and him into just another client. semaine en semaine un peu plus de froideur, comme si elle se transformait en une autre femme et lui en un autre client. He has a shrewd idea of how prostitutes speak among themselves about the men who frequent them, the Il se fait une assez bonne idée des propos que les older men in particular. They tell stories, they laugh, prostituées échangent sur les hommes qui les but they shudder too, as one shudders at a cockroach fréquentent, les hommes d’un certain âge en particulier. in a washbasin in the middle of the night. Soon, Elles se racontent des histoires, elles rient, mais elles daintily, maliciously, he will be shuddered over. It is a frissonnent aussi, comme on frissonne quand on trouve fate he cannot escape. un cafard dans le lavabo au milieu de la nuit. Bientôt c’est sur son compte qu’on aura ce genre de petit frisson On the fourth Thursday after the incident, as he is malicieux. Voilà le sort qui l’attend. leaving the apartment, Soraya makes the announcement he has been steeling himself against. Le quatrième jeudi après l’incident, comme il quitte 'My mother is ill. I'm going to take a break to look l’appartement, Soraya lui annonce ce qu’il redoutait: « pursue her; often, in one way or another, to buy her. 279 after her. I won't be here next week.' 'Will I see you the week after?' 'I'm not sure. It depends on how she gets on. You had better phone first.' 'I don't have a number.' 'Phone the agency. They'll know.' Ma mère est malade. Je vais m’arrêter quelque temps pour m’occuper d’elle. Je ne serai pas là la semaine prochaine. — Est-ce que tu seras là la semaine suivante ? — Ce n’est pas sûr. ça dépendra de son état. Il vaudra mieux téléphoner avant de venir. — Je n’ai pas ton numéro. He waits a few days, then telephones the agency. — Appelle l’agence. Ils sauront si je suis là ou pas. » Soraya? Soraya has left us, says the man. No, we cannot put you in touch with her, that would be Il laisse passer quelques jours, puis il téléphone à against house rules. Would you like an introduction to l’agence. « Soraya? Soraya ne travaille plus pour nous, lui another of our hostesses? Lots of exotics to choose répond l’homme au bout du fil. Non, nous nepouvons pas from - Malaysian, Thai, Chinese, you name it. vous mettre en contact avec elle, c’est contre le règlement de la maison. Pouvons-nous vous présenter une autre de nos hôtesses ? Dans la catégorie "exotique", nous avons le choix : Malaises, Thaïlandaises, Chinoises, vous n’avez qu’à demander. » He spends an evening with another Soraya - Soraya has become, it seems, a popular nom de commerce - Il passe une soirée avec une autre Soraya - Soraya, in a hotel room in Long Street. This one is no more semble-t-il, est devenu un nom à la mode dans ce than eighteen, unpractised, to his mind coarse. 'So commerce - dans une chambre d’hôtel de Long Street. what do you do?' she says as she slips off her clothes. Celle-ci n’a pas plus de dix-huit ans, elle est 'Export-import,' he says. 'You don't say,' she says. inexpérimentée, il la trouve fruste. « Alors comme ça, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » demande-t-elle en se déshabillant. « Import-export », dit-il. « Ca alors! » dit-elle. There is a new secretary in his department. He takes Il y a une nouvelle secrétaire à son département. Il her to lunch at a restaurant a discreet distance from l’emmène déjeuner au restaurant, à distance respectable the campus and listens while, over shrimp salad, she du campus, et, devant leur salade aux crevettes, il complains about her sons' school. Drug-pedlars hang l’écoute se plaindre de l’école de ses fils. On leur vend de around the playing-fields, she says, and the police do la drogue sur les terrains de sport, dit-elle, et la police ne nothing. For the past three years she and her husband fait rien. Ca fait trois ans qu’elle et son mari sont sur une have had their name on a list at the New Zealand liste d’attente du consulat de Nouvelle-Zélande pour consulate, to emigrate. 'You people had it easier. I émigrer là-bas. mean, whatever the rights and wrongs of the « Pour vous autres, c’était plus facile. Je veux dire, la situation, at least you knew where you were.' situation était ce qu’elle était, avec ce qu’il y avait de bon 'You people?' he says. 'What people?' et de mauvais, mais au moins vous saviez à quoi vous en 'I mean your generation. Now people just pick and tenir. choose which laws they want to obey. It's anarchy. — Vous autres ? Qui ça, vous autres? How can you bring up children when there's anarchy — Je veux dire votre génération. De nos jours, les gens all around?' choisissent les lois qu’i1s veulent bien respecter. C’est l’anarchie. Comment peut-on élever des enfants dans Her name is Dawn. The second time he takes her out une anarchie pareille ? » they stop at his house and have sex. It is a failure. Bucking and clawing, she works herself into a froth of Elle s’appelle Dawn. La deuxième fois qu’il la soit, ils 280 excitement that in the end only repels him. He lends s’arrêtent chez lui et couchent ensemble. C’est raté. Elle her a comb, drives her back to the campus. se cabre, elle l’agrippe, pour arriver à mouiller et se mettre dans un état d’excitation qui en fin de compte lui répugne. Il lui prête un peigne et la ramène au campus. After that he avoids her, taking care to skirt the office where she works. In return she gives him a hurt look, Par la suite il l’évite, fait un détour pour ne pas passer devant le bureau où elle travaille. En retour elle lui jette then snubs him. des regards ulcérés, puis elle l’ignore. He ought to give up, retire from the game. At what age, he wonders, did Origen castrate himself? Not the Il devrait renoncer à ce jeu, abandonner la partie. A quel most graceful of solutions, but then ageing is not a âge, se demande-t-il, Origène s’est-il châtré? Ce n’est graceful business. A clearing of the decks, at least, so guère une solution élégante, mais il n’y a rien d’élégant à that one can turn one's mind to the proper business of vieillir. Cela pennettrait au moins de donner un bon coup de balai, de faire place nette et de se consacrer à ce qui the old: preparing to die. reste à faire quand on est vieux : se préparer à mourir. Might one approach a doctor and ask for it? A simple enough operation, surely: they do it to animals every Ne pourrait-on pas demander à un médecin de procéder day, and animals survive well enough, if one ignores a à la chose ? Cela doit être une opération assez simple : certain residue of sadness. Severing, tying off: with elle se pratique tous les jours sur les animaux, et les local anaesthetic and a steady hand and a modicum of animaux survivent plutôt bien, si on n’attache pas phlegm one might even do it oneself, out of a d’importance à une certaine tristesse qui leur reste. On textbook. A man on a chair snipping away at himself: tranche, on ligature : avec une anesthésie locale, une an ugly sight, but no more ugly, from a certain point of main sûre et un minimum de sang-froid on pourrait view, than the same man exercising himself on the même faire ça soi-même en suivant les instructions d’un manuel. Un homme assis sur une chaise, les ciseaux à la body of a woman. main pour couper ce qui dépasse : ce n’est guère un beau spectaclel mais d’une certaine manière, ce n’est pas plus affreux qu’un homme qui s’échine sur le corps d’une femme. There is still Soraya. He ought to close that chapter. Instead, he pays a detective agency to track her down. Et puis il reste Soraya. Il devrait tourner la page. Au lieu Within days he has her real name, her address, her de cela, il a recours à une agence de détectives pour telephone number. He telephones at nine in the retrouver sa trace. Au bout de quelques jours, on lui morning, when the husband and children will be out. fournit son nom, son adresse, son numéro de téléphone. 'Soraya?' he says. 'This is David. How are you? When Il appelle un matin à neuf heures, une fois le mari et les enfants partis. « Soraya? dit-il. David à l’appareil. can I see you again?' Comment vas-tu? Quand est-ce qu’on se revoit? » A long silence before she speaks. 'I don't know who Après un long silence, elle répond: « Je ne vous connais you are,' she says. 'You are harassing me in my own pas. Vous venez me harceler jusque chez moi. Je vous house. I demand you will never phone me here again, demande instamment de ne plus jamais me téléphoner never.' ici, plus jamais. » ` Demand. She means command. Her shrillness surprises him: there has been no intimation of it before. But then, what should a predator expect when Demande instamment. C’est un ordre plutôt, un he intrudes into the vixen's nest, into the home of her commandement, donné sur un ton aigu et crispé qui le 281 cubs? surprend et que rien ne lui avait fait soupçonner dans le passé. Mais évidemment, c’est ce à quoi un prédateur doit s’attendre quand il se glisse dans le terrier de la renarde et menace les renardeaux. He puts down the telephone. A shadow of envy passes Il repose le combiné. Il sent passer sur lui l’ombre de over him for the husband he has never seen. l’envie : il envie le mari qu’il n’a jamais vu. TWO Deux WITHOUT THE Thursday interludes the week is as featureless as a desert. There are days when he does Sans l’interlude du jeudi, la semaine est comme un désert dont rien ne brise la monotonie. Il y a des jours où, dans not know what to do with himself. son désœuvrement, il ne sait que faire. He spends more time in the university library, reading all he can find on the wider Byron circle, adding to notes that already fill two fat files. He enjoys the lateafternoon quiet of the reading room, enjoys the walk home afterwards: the brisk winter air, the damp, gleaming streets. Il passe plus de temps qu’avant à la bibliothèque à lire tout ce qu’il trouve qui touche de près ou de loin à Byron, et les notes qu’il prend s’ajoutent à celles que contiennent deux gros dossiers. Il se plaît dans le calme qui règne dans la salle de lecture en fin d’après-midi, il aime rentrer chez lui à pied ensuite : l’air vif, l’humidité, He is returning home one Friday evening, taking the le bitume qui luit. long route through the old college gardens, when he notices one of his students on the path ahead of him. C