Méthode pour la dissertation en philosophie « Pour atteindre la vérité, il faut une fois dans la vie se défaire de toutes les opinions qu'on a reçues. » Descartes, Discours de la méthode En dissertation, comme dans d’autres domaines, on ne peut pas progresser sans se libérer de certains préjugés - c’est même la première chose à faire. Je commence donc par te révéler les 3 vérités cachées de la dissertation. Je ne garantis pas que ton prof apprécie... Lis attentivement cet e-mail, et tu gagneras déjà des points lors de ta prochaine épreuve. #1 : les connaissances ne sont pas essentielles On connaît tous quelqu’un qui cartonne en dissertation sans maîtriser le cours. En général, cet élève écrit plutôt bien, il a une bonne méthode, et il fait les choses simplement. Moi, c’était une amie de terminale : comme elle était passionnée de cinéma, elle travaillait très peu ; mais ça ne l’empêchait pas de majorer en philo avec très peu de connaissances. Je me souviens encore de son écriture énorme, avec ses lettres rondes, parce que je relisais ses copies pour m’en inspirer. Mais je ne comprenais pas ; je pensais qu’elle avait un don. Aujourd’hui, je sais que ses copies étaient bonnes parce qu’elles assuraient l’essentiel - or, le cours, et plus généralement les connaissances, n’en font pas partie. Malheureusement, la plupart des élèves confondent encore l’exercice de la dissertation avec les contrôles de connaissances du collège. Pourquoi le cours est-il secondaire ? Parce que la dissertation est un exercice d’argumentation. Les connaissances y ont un rôle bien précis : elles servent à donner plus de force à un argument. « La présence de telle ou telle référence, dans une copie, n'a aucune valeur en soi, pas plus que le nombre de citations : seule compte la pertinence de l'usage qui en est fait dans le cadre d'une argumentation suivie. » (Rapport du jury de la dissertation de culture générale, HEC 2018) Par exemple, pour défendre l’idée qu’une méthode de raisonnement est nécessaire pour trouver la vérité, tu peux faire référence au Discours de la méthode de Descartes. Seulement, tu dois d’abord présenter l’idée en mettant en évidence sa pertinence par rapport au sujet ; tu dois ensuite la développer pour l’expliquer ; enfin, tu as la possibilité d’étayer l’argument en montrant que Descartes va dans le même sens. C’est l’argumentation qui est cruciale, pas les connaissances. Se focaliser sur les connaissances est même dangereux : 1. tu risques de négliger l’argumentation et la nécessité d’acquérir une méthode efficace pour l’élaborer ; 2. plus tu possèdes de connaissances, moins tu les maîtrises et moins tu es capable de les mobiliser (il y a un « arbitrage » entre la quantité et la qualité, comme dirait un économiste). En conclusion, tu dois changer ton rapport à ton cours si tu veux progresser en dissertation. Ça ne signifie pas qu’il faut le mettre à la poubelle, mais que tu as intérêt à estimer son utilité plus stratégiquement, c’est-à-dire dans la perspective spécifique de l’épreuve. Voici maintenant ce que tu peux faire pour tirer parti de cette 1ère vérité cachée : estime précisément la quantité de connaissances nécessaire à ton épreuve de dissertation (par exemple, 30 références, 20 dates et 10 statistiques) ; préformate ces connaissances en vue de la dissertation : as-tu besoin de 2-3 phrases ? d’un paragraphe entier ? (inutile, par exemple, de connaître par cœur le Discours de la méthode si tu ne peux l’évoquer qu’en quelques lignes) ; regroupe-les dans un fichier UNIQUE (pas de dispersion). #2 : le fond compte moins que la forme Une fois par an, je reçois plusieurs centaines de messages d’un seul coup, en l’espace de quelques minutes, sur Facebook. En substance, ils disent tous : « Il fallait parler de ça, non ? ». Je ne peux pas répondre à tout le monde, mais j’écris invariablement aux premiers : « Je ne sais pas, ça dépend. ». Les candidats sont tellement stressés à la sortie de l’épreuve qu’ils oublient qu’une dissertation n’est pas un exercice de maths, qu’il n’y a pas une seule et unique bonne réponse. Et pour preuve, des tas de copies très différentes obtiennent les mêmes notes. Le but de la dissertation n’est pas de dire la vérité sur le sujet, seulement de proposer des éléments de réponse intelligents et pertinents à un problème intellectuel. En effet, les questions des énoncés ont déjà, et depuis longtemps, opposé différentes réflexions assez élaborées. Mais surtout, on ne peut pas non plus attendre de toi, un jeune étudiant qui n’a eu que relativement peu de temps à consacrer à la matière, qui disserte dans conditions stressantes, et parfois pour un enjeu important - on ne peut pas attendre de toi que tu « délivres » la vérité dans ces circonstances. La remarque est certes à nuancer selon les matières. L’histoire fait par exemple un peu exception dans la mesure où elle traite de la « matière factuelle », comme dit Hannah Arendt. Si diverses interprétations des événements sont toujours possibles, l’une d’entre elles est généralement prédominante à une époque donnée - c’est celle qui est retenue par ton cours et tes manuels, celle qu’attend le correcteur. C’est aussi le cas en économie, même si les oppositions entre les écoles offrent plus de liberté d’argumentation. Donc pas de réhabilitation du maréchal Pétain au concours de SciencesPo, ni d’apologie du communisme à celui de HEC, d’accord ? De manière générale, tu dois simplement « défendre » de manière efficace des idées conventionnelles. C’est surtout L’EFFICACITÉ DE LA MANIÈRE qui importe. Je rappelle souvent à mes élèves que les 2 enjeux de la dissertation sont la réflexion et l’expression. Cependant, comme la marge de manœuvre de la réflexion est réduite, c’est finalement l’expression qui prime. Autrement dit, ta note reflète en priorité ta capacité à communiquer efficacement des idées à l’écrit. Cette capacité permet même de dissimuler la superficialité de la réflexion. Or, l’inverse n’est pas vrai : les qualités de la pensée ne seront pas reconnues si elles ne sont pas présentées efficacement. La forme est survalorisée en dissertation. « La qualité de l'expression écrite et la maîtrise de l'orthographe s'avèrent, au fil des ans, de plus en plus discriminantes. » (Rapport du jury des compositions de littérature et de philosophie, Sciences Po Paris 2016) Inutile, donc, de fantasmer sur « le bon plan », ou de te prendre la tête avec une idée particulière. Je te donnerai des conseils plus spécifiques à propos de la forme de la dissertation dans les prochains e-mails. Voici tout de même comment tu peux mettre en pratique cette deuxième vérité cachée : donne-toi toujours un délai pour trouver un plan, une idée, ou même une référence, et ne le dépasse pas (tu auras donc besoin d’un compte à rebours) ; formule-les avec modération (étant donné qu’ils sont des éléments de réponse, et non pas la vérité définitive) : tu peux utiliser les verbes « pouvoir », « sembler », « paraître », « apparaître », et/ou le conditionnel présent ; n’y pense plus en sortant de l’épreuve #3 : le correcteur n’en a rien à faire de ta copie Un correcteur du concours d’entrée de Sciences-Po Paris a avoué passer, en rythme de croisière, 1 minute par copie… Tu te prépares pendant des années ; tu t’entraînes pendant des mois ; tu révises pendant des semaines ; tu dissertes pendant des heures ; et tu as le droit à… 1 minute ! Lis la suite plus attentivement qu'on ne lit ta copie, et tu comprendras pourquoi. J’étais fort en dissertation ; mais je suis devenu bien meilleur quand je suis passé « de l’autre côté de la barrière » et que j’ai dû corriger des dizaines, des centaines de copies. Peut-être oublies-tu, comme la plupart des élèves, qu’une bonne note est le résultat d’une chaîne d’événements au bout de laquelle se trouve un être humain, le correcteur. Une dissertation est réussie si et seulement si le correcteur, qui n’est pas Dieu ni une machine, en décide ainsi. Qui est-il ? Il est prof ; il a fait de longues études pour obtenir un diplôme prestigieux dans la matière qu’il enseigne ; et il est passionné par sa discipline au point de posséder une véritable expertise. En revanche, il est aussi une personne avec des sentiments, des préjugés, et des passions - il peut très bien ne pas te sentir à travers ta copie. Comme tout le monde, il est parfois fatigué, malade, ou déprimé ; il se débat peut-être avec des problèmes professionnels, financiers, sentimentaux, etc. Et puis, son métier n’est probablement pas aussi épanouissant qu’il l’espérait. Il existe, il faut le dire, un véritable fossé entre, d’une part, l'ambition intellectuelle du professeur, et d’autre part, l’ignorance, et plus que rarement la niaiserie de ses élèves. Autrement dit, la correction de ta dissertation, un texte d’un niveau ridicule par rapport à ses références, ça n’est pas le job de ses rêves. Corriger ta dissertation, c’est pénible. Soyons réalistes : le correcteur lit des dizaines ou des centaines de copies qui traitent du même sujet ; la plupart proposent la même réflexion, limitée et sans relief ; les élèves oublient ou massacrent des références essentielles pourtant vues en cours ; le vocabulaire est pauvre, le style obscur ; les fautes d’orthographe et de grammaire sont si nombreuses qu’il ne les relève plus (véridique). « Les points de vue sont assez stéréotypés et les références, parfois utilisées de façon inappropriée, sont trop souvent superficielles et identiques. » (Rapport du jury de la dissertation de question contemporaine, ENA 2016) La vérité, c’est que ta copie le laissera indifférent, qu’il la trouvera probablement nulle - mais la majorité des dissertations de sa pile le sont tout autant, sinon plus - et qu’il l’aura oubliée sitôt qu’il sera passé à la suivante. Tous les étudiants sont logés à la même enseigne. Tu n’as donc pas le choix : ta dissertation doit produire une bonne première impression. Voici comment tu peux prendre en compte cette 3ème vérité cachée : soigne le design de ta copie : écris lisiblement, fais des alinéas, saute des lignes, mets en évidence les références, aère les parties, etc. ; rédige avec un style simple, clair, et classique qui soit facile à lire et que le correcteur puisse apprécier dès sa première (et souvent unique) impression ; ne perds pas de temps avec tous les détails qui ne sont pas décelables avec une correction expéditive, comme une phrase de conclusion, des jeux de mots, etc. En raison de ces circonstances de correction si particulières, ce sont les élèves les plus méthodiques et les mieux préparés qui s’en sortent le mieux. En résumé, les 3 vérités cachées de la dissertation sont : 1. que le cours, ou les connaissances, sont en réalité un aspect secondaire (mais non négligeable) de l’exercice parce qu’ils sont un facteur secondaire de la qualité de l’argumentation ; 2. que la manière dont tu présentes tes idées est plus importante que les idées elles-mêmes, car l’enjeu de la dissertation n’est pas de « donner la bonne réponse » comme en mathématiques ; 3. que le correcteur n’a ni l’envie ni les moyens de consacrer de l’attention à ta copie, c’est pourquoi tu dois faire en sorte que ta dissertation produise une bonne première impression. Je te présente aujourd’hui 7 erreurs à éviter absolument. Applique les conseils de cet e-mail et tu atteindras ton potentiel actuel en dissertation. #1 : travailler la veille de l’épreuve Je reçois souvent des messages d’élèves les vendredi et le dimanche soirs, aux alentours de minuit, et ça me désole… Je leur réponds toujours la même chose : « Arrête de te prendre la tête. Range tout, éteins tout, et va te coucher. Tu feras de ton mieux demain. ». Si tu es bien préparé(e), tu n’as pas besoin de travailler la veille de l’épreuve. C’est au contraire la pire chose à faire : tu privilégies les connaissances, qui sont en réalité d’une importance secondaire (cf. mon e-mail d’hier), au détriment de la méthode ; tu seras focalisé(e) sur ce que tu as révisé la veille au lieu d’analyser le sujet dans la perspective de tout le programme de la matière ; enfin, tu puises excessivement dans tes réserves d’énergie et de concentration, alors que tu en auras grand besoin le lendemain (il vaut bien mieux être à 80 % de ses capacités plutôt qu’à 50 % avec quelques heures de révision en plus). Bref, c’est aller droit à la catastrophe. Les élèves les mieux préparés ne mettent pas un coup de collier à la dernière minute ; ils s’y sont pris très à l’avance, le plus tôt possible. Ils ont travaillé régulièrement, par petites doses, dès le premier jour, afin d’acquérir et de maîtriser la méthode de la dissertation. Voici ce que je te conseille de faire la veille de l’épreuve : évite toute activité scolaire ou intellectuelle - dans la soirée si c’est une épreuve isolée, dans la journée complète si c’est un examen ou un concours - afin d’être en pleine possession de tes moyens le lendemain ; passe du temps (au moins 1-2 heures) à la lumière du jour, idéalement en te déplaçant ou en faisant du sport ; couche-toi le plus tôt possible, dès que tu ressens les premiers signes de fatigue, et lis un livre de fiction avant de t’endormir. #2 : recracher ton cours Les élèves qui commettent la première erreur ont tendance à continuer sur leur lancée avec la deuxième : ils recrachent le cours pour prouver au correcteur qu’ils ont travaillé et pour se rassurer eux-mêmes. Seulement, on n’est plus en CM2. Comme je te l’ai dit hier, la dissertation est une épreuve d’argumentation, pas un contrôle de connaissances. Les références ne doivent te servir qu’à donner plus de force aux arguments. À trop t’appuyer sur le cours, tu risques de perdre de vue les véritables enjeux de l’exercice (je me répète pour que ça rentre). Le seul espace dans lequel tu peux te mettre en mode « récitation », c’est le développement de la référence au sein de chaque paragraphe, c’est-àdire les phrases après l’introduction de la référence qui servent à montrer que tu la maîtrises. Mais de manière générale, le cours est la dernière chose à laquelle tu dois penser (consciemment) lorsque tu élabores ton plan détaillé : tu cherches les grandes parties ; tu les remplis avec des arguments ; et enfin tu essaies d’étayer chaque argument par une référence pertinente. #3 : tartiner des copies doubles Je t’ai expliqué hier que la correction de ta dissertation est expéditive. Voici la vérité : le correcteur pèse la copie sur une balance de cuisine ; il applique une formule mathématique (fournie par le concepteur du sujet), et ça donne la note. Je plaisante, mais à entendre certains élèves, on croirait que ça se passe comme ça. Les « meilleures » copies peuvent aussi donner cette idée si on confond l’exception, qui constitue rarement un bon modèle, et la règle, à savoir que la grande majorité des élèves qui réussissent l’épreuve n’écrivent pas beaucoup plus que ceux qui la ratent (on ne te montre pas non plus les copies très longues qui ont été mal notées). « Les compositions pléthoriques se révèlent, sauf exception, écrites au fil de la plume et incapables d'éviter la redondance ou les digressions. » (Rapport du jury de la dissertation de question contemporaine, ENA 2017) C’est la qualité de la dissertation qui fait la différence. Bien sûr, une copie d’un recto verso est « indigente », mais un élève raisonnablement préparé ne se retrouvera jamais dans cette situation. À l’autre extrême, une copie dont la longueur ne se justifie pas par la qualité du propos sera sanctionnée. Si tu es bien préparé(e), la question de la quantité ne se pose pas. En pratique, il sera impossible que tu tombes dans un des deux excès (copie trop courte ou trop longue) en reprenant les structures d’introduction et de développement que je te montrerai dans les prochains jours. #4 : miser sur l’originalité « Romain, j’ai trouvé une citation d’un poète japonais unijambiste sur la danse. Ça peut faire sortir ma copie du lot, non ? » Oui, peut-être… si le correcteur tombe sur ta citation… et s’il aime la poésie, la danse et le Japon. Et surtout, si le reste de la copie tient la route. En mathématiques, ça s’appelle une intersection d’événements, et sa probabilité est en principe faible, voire très faible. Ce qui est probable, en revanche, c’est que tout le temps perdu à chercher les références ou les citations les plus originales le soit au détriment de la préparation aux dimensions essentielles de l’exercice de la dissertation - à savoir la problématisation, l’organisation des idées, l’argumentation, ou encore l’expression écrite. « Dès lors qu’était défaillante l’argumentation et que le sujet n’était pas traité avec logique, rien ne servait au candidat de produire quelque référence que ce fût. D’où la sanction d’une note médiocre. Il en ira de même l’an prochain. » (Rapport du jury de la dissertation de culture générale, HEC 2014) C’est toujours la même chose : chaque seconde que tu accordes à un détail, c’est une seconde de perdue pour l’essentiel. Rien ne sert d’être original, par ailleurs, quand on est lu en diagonale. Une dissertation sort du lot par la pertinence de la réflexion et la clarté de l’expression qui, elles, sautent aux yeux avec une lecture superficielle. Concentre-toi sur ces deux qualités, et oublie les poètes japonais unijambistes #5 : commencer un paragraphe par une référence C’est ma petite astuce personnelle pour savoir, à la première lecture d’une copie, si l’élève maîtrise l’exercice de la dissertation : un soulignement (qui signale une référence) dans une première phrase de paragraphe, et j’ai un a priori négatif - or il est très rare que la seconde lecture infirme le préjugé. Les connaissances ont un rôle précis dans une dissertation, c’est pourquoi elles ont une place précise dans le texte. Les élèves qui savent disserter mobilisent les références en soutien des arguments, ceux qui ne savent pas font du name dropping. « Bon nombre de copies, offrant de fort bons exemples, ne les mettent pas suffisamment en valeur, en oubliant de justifier le lien qui les unit à la logique de la démonstration. Il faut cependant rappeler que l’argumentation ne tient pas dans le seul temps où l’argument est posé, mais aussi dans la justification de ce dernier par les œuvres. » (Rapport du jury de la composition française, ENS 2018) Voici plus précisément comment construire un paragraphe du développement : 1. 2. 3. 4. 5. énonciation de l’argument ; développement de l’argument ; introduction de la référence ; développement de la référence ; conclusion partielle (qui reprend l’argument). Certes, j’ai déjà vu des paragraphes qui commençaient par la référence dans des « bonnes » copies de concours - mais c’est l’exception qui confirme la règle et, de mémoire, j’ai trouvé les dissertations surnotées (un 16 peut se transformer en 11-12 avec un autre correcteur un peu moins pressé, ou plus simplement en début plutôt qu’en fin de pile). #6 : psychoter sur les transitions Je me souviens d’une correction de copie que j’avais faite par Skype depuis une terrasse de Lisbonne. Il faisait beau, j’avais devant moi un café américain et un pastel de nata (délicieux) auxquels je touchais de temps à autre, quand l’élève m’a coupé : « Non, mon prof dit que mon gros problème, c’est les transitions (entre les grandes parties) ». Je suis resté perplexe. Dire ça à un élève, c’est comme dire à un footballeur que son principal défaut, c’est le retourné ; ou à un tennisman, que son point faible, c’est le smash entre les jambes. Les transitions entre les grandes parties sont un détail, elles ne peuvent donc pas être un « gros problème ». Une fois, et seulement une fois l’essentiel de l’exercice assuré, alors tu pourras t’en préoccuper - mais crois-moi, il y a déjà fort à faire avec l’essentiel. Enfin, si tu te souviens de mon e-mail d’hier, tu imagines bien que le correcteur, lui, ne va pas s’en préoccuper plus que ça. Ne psychote donc pas sur les transitions. Voici ma recette simple : 2 phrases plutôt courtes (idéalement un seul verbe conjugué) ; la première résume la grande partie qui s’achève ; la seconde énonce ce qui, dans la grande partie qui s’achève, justifie de passer à la suivante. #7 : terminer par une ouverture Il faut rendre à César ce qui est à César : j’ai contracté cette très mauvaise habitude en terminale, mais je ne l’ai pas gardée longtemps - je l’ai perdue l’année suivante grâce à mon prof de culture générale de prépa HEC. Heureusement qu’il était là, parce que j’aurais pu perdre un temps précieux à fignoler mes conclusions aux concours. Concocter une ouverture est une mauvaise idée pour des raisons évidentes : tu risques de souligner une idée qui aurait mérité de figurer dans le développement ; c’est compliqué à faire et on ne te donne pas de consignes précises ; comme tu es à la toute fin de l’épreuve, tu manques probablement de temps. Mais plus fondamentalement, une ouverture est, encore plus que les transitions, un détail dont tu te préoccuperas au détriment de l’essentiel. La solution est donc simple : pas d’ouverture, un point c’est tout. Moi qui rédige chaque année des dizaines de dissertations en deux fois moins de temps qu’un élève, je pourrais ajouter la cerise sur le gâteau mais je ne le fais pas. Je préfère que ma conclusion referme le propos, et je ne veux pas non plus donner le mauvais exemple. Contente-toi, pour conclure, de rappeler les résultats de ta réflexion en grosso modo deux tiers d’un paragraphe du développement. Et plus généralement, ne te prends pas la tête avec les détails. ✩✩✩ Les 7 erreurs à éviter forment ce qu’on appelle une not-to-do list, soit l’inverse d’une to-do list : non pas une liste de choses à faire, mais une liste de choses à bannir pour progresser, jusqu’à atteindre l’objectif. Voici donc, en résumé, ta not-to-do list de la dissertation : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. ne pas travailler la veille de l’épreuve ; ne pas recracher tes connaissances ; ne pas tartiner des copies doubles ; ne pas essayer d’être original(e) ; ne pas évoquer une référence au début d’un paragraphe ; ne pas psychoter sur les transitions ; ne pas faire d’ouverture à la fin de la conclusion. Il ressort de cette liste 3 principes pour réussir la dissertation : 1. rester concentré(e) sur les enjeux de l’exercice ; 2. écrire uniquement pour le correcteur ; 3. donner la priorité à l’essentiel (et reléguer les détails à l’arrièreplan). J’aurais pu résumer la via negativa en un mot : simplicité. Les processus qui gagnent en complexité perdent en efficacité, c’est pourquoi il faut commencer par retirer ce qui nuit. Je vais aujourd’hui te présenter ma technique simple pour problématiser n’importe quel sujet. Elle se décompose en 2 étapes : 1. trouver le point de départ de ta réflexion ; 2. en déduire le problème intellectuel à résoudre et l’exprimer sous la forme d’une question, la problématique. Tu pourras procéder comme cela quel que soit le sujet et quelle que soit la matière (je vais te donner quelques exemples). Lis attentivement cet e-mail, car cette technique te facilitera la vie dès la prochaine épreuve. ÉTAPE #1 : trouver le point de départ de la réflexion Un raisonnement commence toujours quelque part, donc autant le dire clairement. Son point de départ, ou « tremplin » comme j’aime à dire, ne devrait pas être difficile à trouver puisque la plupart des énoncés sont justement faits pour provoquer la réflexion. Certaines matières - comme la philosophie ou la culture générale - sont certes plus propices à la problématisation, mais les autres ne requièrent pas moins la mise en évidence et la formulation du problème intellectuel derrière l’énoncé. Qu’est-ce que le point de départ de la réflexion ? C’est l’aspect le plus évidemment frappant du sujet, une idée à la fois évidente et simple qui y est contenue. Exemples : « Philosopher, est-ce apprendre à mourir ? » (philosophie) : l’évocation de la mort ne peut laisser indifférent, c’est pourquoi la réduction de la philosophie à l’apprentissage de la mort apparaît comme une hypothèse radicale. « Les régimes totalitaires dans l’entre-deux-guerres : genèse, points communs, spécificités. » (histoire, Sciences-Po 2017) : dans cet énoncé moins facile à problématiser, l’adjectif « totalitaires » présuppose une homogénéité de la catégorie des régimes totalitaires, ce que renforcent, dans le libellé du sujet, les indications données après les deux points (« points communs », « spécificités »). « L’entreprise (depuis le XIXe siècle) peut-elle se passer de l’entrepreneur ? » (économie, HEC 2017) : ce qui frappe dans ce sujet, c’est que le verbe « pouvoir » présuppose que l’entrepreneur est un acteur incontournable de l’entreprise depuis le XIXe siècle (et la question porte sur les possibles exceptions). Si le point de départ doit être une idée frappante, il n’est pas toujours facile de la trouver, comme le montre le deuxième exemple. En effet, ma technique est simple, mais elle n’est pas une recette miracle (il n’en existe pas, l’effort est inéluctable). Pour qu’elle porte ses fruits, il faut que tu t’entraînes avec tous les sujets qui te tombent sous la main. Une fois que tu as trouvé le tremplin de ta réflexion, tu peux passer à la seconde étape de la problématisation. ÉTAPE #2 : trouver la problématique La problématique est la question qui exprime le problème intellectuel à résoudre dans la dissertation. Il s’agit toujours d’une question. Pour la trouver, il faut d’abord déduire le problème intellectuel du point de départ de la réflexion sans se prendre la tête à le formuler ; puis, dans un second temps, le rédiger sous la forme d’une question, qui sera la problématique. Cette question doit satisfaire à 2 conditions : 1. elle doit être différente du libellé du sujet, car la convention veut que tu reformules les énoncés qui sont déjà des questions ; 2. elle doit être « fermée », c’est-à-dire qu’elle cadre les réponses possibles (souvent « oui » vs. « non »). « Il faut absolument éviter cet écueil : proposer une question ouverte qui ne fait que reprendre certains mots de la citation (ou pire, tous). » (Rapport du jury de la composition française, ENS 2018) Exemples : « Philosopher, est-ce apprendre à mourir ? » (philosophie) : comme l’équivalence suggérée par l’énoncé entre la philosophie et l’apprentissage de la mort semble de prime abord réductrice - c’est mon point de départ - le problème intellectuel consiste simplement à vérifier cette impression. On pourrait donc formuler la problématique comme suit : « La philosophie peut-elle se réduire à la préparation à la mort ? ». « Les régimes totalitaires dans l’entre-deux-guerres : genèse, points communs, spécificités. » (histoire, Sciences-Po 2017) : on déduit facilement de notre point de départ que le problème intellectuel est la pertinence de la catégorie des régimes dits « totalitaires » pour regrouper des gouvernements historiquement divers, ce qui peut être formulé de la manière suivante : « Les régimes totalitaires de l’entre-deux-guerres sont-ils vraiment assimilables ? ». « L’entreprise (depuis le XIXe siècle) peut-elle se passer de l’entrepreneur ? » (économie, HEC 2017) : le problème intellectuel est transparent dans cet énoncé - vérifier si l’entrepreneur est un acteur aussi indispensable qu’il n’y paraît - de telle sorte qu'il suffit de reformuler la question (pour satisfaire à la 1ère condition). J’écrirais par exemple : « Peut-on imaginer une entreprise sans entrepreneur ? ». Je n’ai pas choisi des sujets très difficiles, mais tu constates déjà que l’enjeu de problématisation varie selon les énoncés. Pour autant, ma technique reste la même quel que soit l'énoncé et quelle que soit la matière. C’est comme le service au tennis : la direction, l’intensité, l’effet, et l’adversaire changent, mais le procédé ne change pas. Encore une fois, le savoir-faire le plus simple au monde n’admet pas de raccourci. Par conséquent, tu ne pourras maîtriser ma technique et l’appliquer avec efficacité qu’avec un minimum d’entraînement. Le plan convenable qui fait l’affaire vaut mieux que le plan « parfait » que tu ne trouves pas dans les temps. « Le jury n’attend pas de plan type. L’argumentation peut en effet prendre diverses configurations. » (Rapport du jury de la dissertation de français, Polytechnique 2018) Pour « faire l’affaire », un plan doit satisfaire à 4 conditions : 1. être pertinent, c’est-à-dire répondre précisément à la problématique ; 2. être fluide, c’est-à-dire que ses parties sont articulées logiquement ; 3. être progressif, c’est-à-dire que son mouvement reflète l’avancée de la réflexion ; 4. être cohérent, c’est-à-dire que ses éléments ne se contredisent pas et forment un tout. Pour autant, je te recommande de t’en tenir, par simplicité, au seul plan « dialectique » (thèse, antithèse, dépassement), qui est de loin le plus utile et le plus flexible. Au sens strict, ce plan commence forcément par une opposition ; mais dans la pratique, le balancement peut concerner le grand II et le grand III, tant que les trois parties sont structurées par des liens logiques (opposition, cause, conséquence, addition, illustration) qui mettent en évidence la progression de la réflexion. Dans cet e-mail, je vais te proposer une approche simple pour élaborer un plan « détaillé » de dissertation, soit : 1. trouver les grandes parties du développement ; 2. trouver les arguments pour les remplir ; 3. sélectionner les connaissances pour étayer les arguments. Je prends en exemple le sujet de philosophie « La philosophie se réduitelle à la préparation à la mort ? ». Imprègne-toi de cette approche et tu trouveras un meilleur plan en deux fois moins de temps dès la prochaine épreuve. ÉTAPE #1 : trouver les grandes parties Pour dire les choses clairement, la problématique est la question, le plan la réponse. « Une problématique est la mise en tension de l’esprit par dévoilement d’une logique mise en œuvre dans le plan. » (Rapport du jury de la composition française, ENS 2018) Dans le détail, les grandes parties du plan sont des éléments de réponse généraux, intelligents et pertinents - l’humilité n’étant pas incompatible avec le discernement - au problème intellectuel de la dissertation. Elles sont des idées générales qui répondent à la question de la problématique par laquelle tu conclus l’introduction (d’où la logique d’annoncer le plan juste après avoir posé la problématique). Comment trouver les grandes parties sans se prendre la tête ? Il suffit d’essayer de répondre à la problématique se disant « On pourrait répondre ça », « On pourrait répondre ça », etc. (« On pourrait répondre ça », c’est un élément de réponse général à la problématique, potentiellement une grande partie). Je te rappelle que le but de la dissertation n’est pas de dire la vérité sur le sujet, mais seulement de proposer humblement - je dirais même « scolairement », parce que c’est bien d’une épreuve « scolaire » dont il s’agit - des éléments de réponse intelligents et pertinents à un problème intellectuel (cf. e-mail n°1). En général, le point de départ de la réflexion (dont je t’ai parlé hier) mérite déjà une grande partie, de telle sorte qu’il n’en reste plus que 1-2-3 (selon ton type de plan) à trouver. Si tu as trop d’éléments de réponse généraux ce qui est un « problème de riche » - alors tu dois ou bien i) élire ceux que tu juges les plus pertinents et les plus importants, ou bien ii) en fusionner certains. C’est à toi de décider au cas par cas, et plus tu t’entraînes, meilleures seront tes décisions. Une fois que tu as le nombre d’idées générales requises, il ne reste plus qu’à les classer par ordre d’évidence décroissante (de la plus évidente à la moins évidente) afin que ton plan reflète la progression de ta réflexion ; puis à les articuler logiquement. Dans la plupart des plans en 3 parties, le grand I sert à développer dans le détail le point de départ de ta réflexion - puisque c’est l’idée la plus évidente qui émane de l’énoncé ; le grand II s’y oppose, et le grand III dépasse, sans les annuler, les 2 premières idées. En revanche, il n’existe malheureusement pas de formule magique pour trouver la dernière grande partie - et je suis d’accord, c’est parfois difficile. Si tu es pragmatique, 3 options s’offrent à toi : 1. la déduire logiquement des parties précédentes (si tu y arrives) en s’assurant qu’elle soit bien l’aboutissement de ta réponse à la problématique ; 2. repenser à tous les plans que tu as déjà rencontrés pour essayer de t’en inspirer ; 3. reprendre une astuce qui permet de créer - certes un peu artificiellement - une troisième partie à partir des précédentes (par exemple, diviser l’avant-dernière grande partie, passer de l’échelle individuelle à l’échelle sociale, etc.). Dans tous les cas, ne néglige pas la dernière idée générale de ton plan, et fais en sorte qu’elle soit cohérente avec les précédentes. Pour paraphraser Peter Thiel, « une mauvaise dernière partie vaut mieux que pas de dernière partie ». Les correcteurs sanctionnent systématiquement les dissertations dont la dernière partie est « indigente » ou trop courte par rapport aux précédentes. Exemple : Problématique : « La philosophie peut-elle se réduire à la préparation à la mort ? » on pourrait tout d’abord répondre que l’équivalence suggérée par l’énoncé entre la philosophie et l’apprentissage de la mort semble réductrice, parce que la « surface intellectuelle » de la philosophie paraît bien plus large (c’est le point de départ de ma réflexion) ; mais on pourrait aussi répondre que l’activité philosophique visait à l’origine (dans l’Antiquité, notamment) une sagesse existentielle permettant de dominer les passions, en particulier la peur de la mort ; on peut finalement répondre que le sens de la philosophie et le contenu de l’activité philosophique ont évolué et se sont enrichis depuis les origines, oscillant entre l’éloignement et le rappel de leur rapport à la mort. Mon plan serait donc : « Si la réflexion philosophique semble de prime abord embrasser un champ bien plus large que le seul thème de la préparation à la mort (I), celui-ci apparaît cependant fondamental dans la sagesse existentielle que s’efforçaient d’atteindre les premiers philosophes (II), ce qui révèle l’évolution du sens et du contenu de l’activité philosophique jusqu’à l’époque contemporaine (III). ». ÉTAPE #2 : trouver les arguments Les arguments sont des idées plus précises qui servent à développer chaque grande partie. Ils doivent donc être cohérents par rapport à l’élément de réponse général. Pour les trouver, il suffit de répéter les opérations de l’étape #1 à une échelle inférieure : tu te dis « Pour montrer [l’idée générale de la grande partie], on pourrait dire ça. » jusqu’à avoir assez d’arguments ; si tu en as trop, tu en élimines ou tu en fusionnes ; enfin, tu les classes dans un ordre clair et logique (par exemple, du plus évident au moins évident). Je te rappelle que l’argument ne doit pas être une connaissance en ellemême (cf. e-mails n°1 et 2), même s’il peut bien sûr être inspiré, consciemment ou inconsciemment, par une connaissance. Exemple : I) La réflexion philosophique semble de prime abord embrasser un champ bien plus large que le seul thème de la préparation à la mort : 1. on pourrait dire qu’une grande part de la réflexion philosophique porte sur l’organisation de la vie (c’est la philosophie politique) ; 2. on pourrait dire qu’elle s’intéresse plus fondamentalement à la possibilité de la connaissance (c’est l’épistémologie) ; 3. on pourrait enfin dire qu’elle traite également de questions qui dépassent la perspective de l’existence humaine (c’est la métaphysique). ÉTAPE #3 : trouver les « références » Petite précision : j’emploie, par facilité, le mot « référence » dans un sens très général, pour désigner une portion de savoir de la discipline dans laquelle tu dissertes. Cela peut être un ouvrage, un fait ou une évolution historique, une statistique, une loi « scientifique », etc. Comme je te l’ai déjà dit, les références ne servent qu’en soutien des arguments ; c’est pourquoi tu ne dois en chercher qu’à la fin de l’élaboration du plan détaillé. Tu seras bien sûr dans l’embarras si tu n’as pas un minimum de connaissances pertinentes par rapport au sujet, donc je pars du principe que tu n’as pas l’esprit totalement vierge. Je te rappelle que l’objectif est, à cet égard, d’estimer la quantité de connaissances nécessaires à la dissertation et de les préformater (cf. e-mail n°1). Dans le plan détaillé, l’idéal est de renforcer chaque argument par une référence. Pour autant, ce n’est pas la mort si tu n’atteins pas cet idéal, tant que tu t’en approches. Quand tu es en panne de référence, contente-toi de développer un peu plus l’idée et essaie de l’accompagner d’un exemple précis qui te semble « noble ». Pour faire simple, je te recommande de suivre les 4 règles suivantes : 1. une seule et unique « référence » par argument ; 2. pas deux fois la même référence (idéalement) dans une dissertation ; 3. maximum 20 % de références originales ; 4. pas de référence controversée (Hitler, Dieudonné, etc.) si tu ne la tires pas d’une source « conventionnelle » (cours ou manuel). Exemple : I) La réflexion philosophique semble de prime abord embrasser un champ bien plus large que le seul thème de la préparation à la mort : 1. Une grande part de la réflexion philosophique porte sur l’organisation de la vie (Les politiques, Aristote : l’homme est « un animal politique ») ; 2. La réflexion philosophique interroge plus fondamentalement la possibilité même de la connaissance (Discours de la méthode, Descartes : la faillibilité des sens requiert de pratiquer le doute et de raisonner avec méthode) ; 3. La réflexion philosophique se mesure enfin à des questions qui transcendent la perspective de l’existence humaine, de la vie et de la mort (Phédon, Platon : l’essence de la réalité ne résiderait pas dans le monde sensible). En définitive, un plan « détaillé » en 3 parties suit cette structure : I) Idée générale 1 1. Idée précise 1 (Référence 1) 2. Idée précise 2 (Référence 2) 3. Idée précise 3 (Référence 3) II) Idée générale 2 1. Idée précise 4 (Référence 4) 2. Idée précise 5 (Référence 5) 3. Idée précise 6 (Référence 6) III) Idée générale 3 1. Idée précise 7 (Référence 7) 2. Idée précise 8 (Référence 8) 3. Idée précise 9 (Référence 9) Pour les plans en 2 ou 4 parties, je te renvoie à mon article « Les 7 plans de dissertation ». Après avoir lu des centaines de copies, j’ai compris qu’il existe une sorte de Craigslist Penis Effect en dissertation. Pas besoin de faire des vers ou d’écrire comme Proust pour que la copie sorte du lot - il suffit de suivre quelques consignes simples. « Bien que, presque chaque année, et à la demande des professeurs des classes préparatoires, le jury dans son rapport rappelle ce qu’il entend par « dissertation », il apparaît que la majorité des candidats ne sait toujours pas en rédiger. » (Rapport du jury de la dissertation culture générale, HEC 2014) Dans cet e-mail, je vais te montrer comment rédiger efficacement : l’introduction et la conclusion ; les paragraphes du développement ; les introductions et les conclusions partielles (qui encadrent les grandes parties). Souviens-toi, comme le demande Jack London, que tu écris pour le correcteur, qui n’a ni l’envie ni le temps de te lire. Les qualités de ta rédaction doivent donc être grossières pour sauter aux yeux lors de la première lecture (qui sera souvent la seule). Lis attentivement cet e-mail et tu pourras transformer un 8 en un 12, un 12 en un 16, et - qui sait - un 16 en un 19. ENJEU #1 : l’introduction et la conclusion Le correcteur lit souvent l’introduction et la conclusion à la suite pour se faire une bonne idée de ta dissertation sans avoir à se coltiner le développement. L’introduction a un poids disproportionné dans la notation, et elle peut même suffire à juger la copie dans sa totalité. En clair, tu as intérêt à la rédiger avec soin. Pour cela, je te conseille de lire mon article « Réussir l’introduction de la dissertation », dans lequel je te donne toutes les consignes nécessaires. Tu en connais probablement déjà une partie, donc prends des notes afin de retenir l’essentiel qui te permettra de progresser. → Clique ici pour lire l’article. En résumé, tu dois structurer l’introduction en fonction de ses enjeux : le 1er paragraphe (3-4 phrases) sert à accrocher le correcteur et à justifier l’intérêt de l’énoncé ; le 2ème sert à définir les termes du sujet ; le 3ème sert à expliciter le point de départ de la réflexion (2-3 phrases) et à mettre en évidence les sous-problèmes du problème principal (3 questions et 2 phrases de liaison) ; le 4ème sert à présenter la problématique ; le 5ème (après un saut de ligne) sert à annoncer le plan. LA CONCLUSION a, elle, un poids très faible dans la notation. En effet, elle ne sert qu’à résumer les résultats de la réflexion (pas d’ouverture, je te rappelle [cf. e-mail n°2]). Ce n’est toutefois pas une raison pour la bâcler, car si le correcteur ne valorisera pas une conclusion « réussie », il sanctionnera une conclusion trop courte ou maladroite. Voici mes conseils pour satisfaire le correcteur : résume le développement en 5-6 phrases (plus, c’est inutile) ; soigne un minimum la rédaction (par exemple, en utilisant des liens logiques) ; si tu es pris(e) par le temps, contente-toi de reformuler ton annonce de plan (2 phrases par grande partie). Avec une introduction solide et une conclusion honnête, tu mets toutes les chances de ton côté. ENJEU #2 : les paragraphes du développement Je t’ai déjà parlé des paragraphes du développement à propos de l’erreur consistant à mobiliser une connaissance dans la 1ère phrase (cf. e-mail n°2). En effet, le but d’un paragraphe est de présenter, puis de développer l’idée de l’argument. Voici plus précisément la structure que je te recommande (quelle que soit la matière dans laquelle tu dissertes) : 1. présenter l’argument en une seule phrase courte (un seul verbe conjugué) ; 2. le développer en 2-4 phrases (toujours pas de connaissance) ; 3. introduire une connaissance pertinente (mise en évidence) avec une phrase claire ; 4. développer cette connaissance en au moins 2 phrases, idéalement en incluant une citation ; 5. conclure avec une phrase qui reformule l’argument. Voici par exemple un paragraphe extrait de mon manuel 50 paragraphes tout cuits : [1] La mémoire peut être conçue comme un espace. [2] Elle permettrait alors de fixer, puis de conserver les souvenirs de la même manière que des marchandises sont stockées dans un entrepôt. Dans cette conception, le facteur primordial de l’efficacité de la mémoire est l’ergonomie de l’entrepôt mental : on se souviendrait d’une chose dans un esprit organisé aussi facilement qu’on retrouve un objet dans une pièce bien rangée. [3] Telle est l’hypothèse qui fonde la tradition occidentale de la mnémotechnie. [4] Perpétuée par les champions de la mémoire, elle était cependant plus développée dans l’Antiquité, où les orateurs tiraient leur prestige de discours très longs et très travaillés. La mémoire constituait ainsi la quatrième des cinq parties de la rhétorique, certains auteurs affirmant même que la sophistication de la mnémotechnie avait donné naissance à un véritable « art de la mémoire » (ars memoriae). Cicéron étaye cette thèse dans sa Rhétorique à Hérennius en exposant la fameuse méthode des « lieux de mémoire ». Celleci rend possible une mémoire artificielle dont la puissance résulte principalement de l’ordre mis dans l’espace virtuel : « Quand les lieux de mémoire sont bien classés, l’image nous rappelle la chose ». Idéalement, ces lieux sont de taille moyenne, bien distincts, et peu fréquentés. [5] L’efficacité prouvée de cette technique plaide en faveur d’une conception spatiale de la mémoire. Bien sûr, la taille des paragraphes varie selon la durée de l’épreuve et, à l’intérieur d’une même copie, selon les fluctuations de ton inspiration. En revanche, je te conseille de respecter scrupuleusement la structure en 5 parties avec leurs proportions. Tu seras rapidement à l’aise avec cette structure simple, et tu peux même « prérédiger » des paragraphes avec les connaissances nécessaires à ton épreuve et les apprendre afin de les réutiliser (en les adaptant à ton argumentation) dans ta copie. ENJEU #3 : les introductions et les conclusions partielles Tu te souviens du 3ème principe pour réussir la dissertation (cf. fin de l'email n°2) ? Donner la priorité à l’essentiel (et reléguer les détails à l’arrière-plan). Or, les introductions et les conclusions partielles sont des détails. Elles n’ont jamais suffi à réussir ni à rater une dissertation. Par conséquent, tu peux tout à fait ne pas t’en préoccuper et les expédier le jour J si tu considères que tu as suffisamment à faire avec les deux premiers enjeux de rédaction. Sinon, je te conseille de suivre quelques règles simples : évite les questions, qui demandent un effort supérieur de formulation ; ne perds pas de temps à exprimer précisément le lien entre deux grandes parties si c’est trop compliqué ; introduis chaque grande partie en reformulant la phrase de l’annonce de plan ; conclus chaque grande partie avec la « recette simple » que je t’ai donnée dans l’e-mail n°2 (erreur #6). Je sais bien que certains profs ne se satisfont pas de cette solution très simple ; seulement, le peu que tu gagnes en la raffinant, tu le perds autre part dans la dissertation (par exemple, en soignant moins l’introduction et les paragraphes). C’est l’éternel arbitrage de l’essentiel et de l’accessoire