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Rente immobilière

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Fiche d’information
Rente immobilière
Rente immobilière : les leçons de Ricardo
Au début du XIX e siècle, l'économiste David Ricardo a donné une définition claire de la rente
foncière et de la fiscalité à appliquer pour ne pas pénaliser l'économie. A la lumière de ses
théories, l'idée d'un ISF immobilier présente plusieurs avantages.
Par Francois Meunier (économiste, membre du jury du prix Turgot)
Les Echos
https://www.lesechos.fr/2017/08/rente-immobiliere-les-lecons-de-ricardo-1116639
Publié le 23 août 2017 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00
En ces temps de réforme de la fiscalité immobilière (taxe d'habitation et limitation de l'ISF au
patrimoine immobilier), un retour aux écrits de David Ricardo est utile. Il est l'économiste qui
a donné, dès les années 1820, la formulation la plus limpide de ce qu'est la rente foncière, ainsi
que de la fiscalité qui doit en découler.
Rappelons le contexte, celui des « Corn Laws », ou lois sur le blé, qui au sortir des guerres
napoléoniennes interdisaient les importations de blé au Royaume-Uni. Leur vote a déclenché
un violent débat qui n'a trouvé son terme qu'en 1846, lors du vote qui les a abolies. Les lords
britanniques, dont beaucoup vivaient de leurs terres agricoles, étaient contre une abolition qui
allait réduire le prix du blé par hausse des importations. Les classes industrielles montantes
étaient pour, voyant l'effet du prix du blé, et donc du pain, sur le pouvoir d'achat du salaire et
sur le coût du travail.
Dans un des premiers exemples de raisonnement hypothético-déductif propre à cette économie
politique naissante, Ricardo partait du constat de terres plus ou moins fertiles, et donc plus ou
moins coûteuses à exploiter. De façon rationnelle, les propriétaires mettent en culture leurs
terres tant que leur exploitation est profitable, c'est-à-dire tant que le prix du blé reste supérieur
au coût de production, un coût incluant une rémunération normale du capital. Si jamais la
demande de blé s'accroît, par exemple sous l'effet d'une pression démographique, ce sont des
terres les moins fertiles qui seront mises en culture, mais dont le coût de production est plus
élevé, ce qui renchérit le prix du blé. Ce faisant, les propriétaires des terres fertiles dégagent
une rente au-delà de leur propre coût de production. La valeur de leur capital s'élève, puisque
le prix d'une terre agricole est la somme des revenus qu'on peut en tirer.
Ricardo en fait une théorie novatrice de la fiscalité, à savoir un impôt qui obère le moins
possible les performances de l'économie. Il montre, contre une certaine intuition, qu'une taxe
proportionnelle à la rente foncière est parfaitement neutre. Elle affecte les propriétaires des
terres les plus productives, celles qui dégagent une rente. Mais le propriétaire « marginal »,
celui dont la terre est la dernière mise en culture, ne paiera pas d'impôt puisqu'il n'en dégage
aucune. Plus encore, le prix du blé et la quantité qui en est produite restent inchangés : l'équilibre
économique n'est en rien affecté. On aurait ainsi le Graal en matière fiscale.
L'immobilier est, comme la terre agricole, ancré dans le sol. Celui de la ville plutôt que de la
campagne. Le raisonnement de Ricardo s'y applique très largement. Nos grandes métropoles
génèrent de la rente immobilière de façon accélérée depuis deux ou trois décennies, de par
l'attraction qu'elles exercent, notamment en leurs centres-villes (l'équivalent des terres fertiles),
où la politique urbaine concentre souvent le gros des aménités de transport, de scolarité pour
les enfants, de culture, etc. Le propriétaire en place s'enrichit non de l'amélioration intrinsèque
du logement, c'est-à-dire de son investissement et de son risque, mais de facteurs fortuits, d'une
manne qui échappe à son effort, par exemple d'une hausse de la demande de logement ou d'un
investissement urbain financé par la collectivité.
Ces phénomènes de rente se rencontrent beaucoup plus rarement pour le capital industriel, en
raison de sa bien plus grande mobilité. De fait, toutes les observations conduites récemment
mettent le doigt sur le capital immobilier comme facteur principal de l'inégalité croissante des
patrimoines dans les grands pays développés.
On a ainsi, comme à l'époque de Ricardo, un argument fort pour différencier la taxation qui
porte sur le capital industriel (ou les revenus qui en sont tirés) et le capital immobilier, surtout
s'il est possible de taxer ce dernier de façon relativement neutre. A cette aune, un ISF immobilier
a certaines bonnes propriétés.
Tout d'abord au regard de la taxe foncière aujourd'hui en vigueur en France. L'ISF s'applique
aux prix de marché courants et non aux prix assez arbitraires que sont ceux du cadastre de
l'année 1970. Le prix est de plus déclaratif (par le contribuable) et donc moins coûteux à mettre
à jour, administrativement et politiquement, qu'un prix cadastral. Enfin, l'impôt pèse au-delà
d'un certain seuil de capital immobilier alors que la taxe foncière est au premier euro, et donc
frappe également la partie de la valeur immobilière qui n'est pas de la rente.
Ce n'est pas, bien sûr, l'impôt neutre du raisonnement ricardien. Il assimile à de la rente pure un
investissement que le propriétaire ferait sur son bien pour l'améliorer. Il frappe tout le
patrimoine immobilier au-delà d'un certain seuil, alors qu'on cherche dans l'idéal à n'atteindre
que la rente portée par chacun des actifs immobiliers détenus. En tout cas, l'ISF immobilier
aurait toute vocation à devenir au fil du temps la base d'une taxe foncière rénovée, faisant mieux
revenir à la collectivité une part de ce que les externalités et l'effort public ont pu produire
comme plus-values privatisées.
A supprimer l'ISF sur le capital mobilier, n'introduit-on pas un coin fiscal, qui pourrait détourner
de l'investissement en pierre ? Pourquoi pas, si c'est au bénéfice de l'investissement industriel.
Mais le problème du capital immobilier est avant tout qu'on y investit mal, surtout sur le marché
secondaire, ce qui fait monter les prix, plutôt que sur le marché du neuf, qui les fait baisser.
Libérer l'offre ne viendra pas tant d'une rentabilité accrue que de la levée de certains blocages
qui pèsent aujourd'hui, comme par exemple un code foncier ou de la location inadaptés. L'impôt
y est pour peu de chose.
François Meunier
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