Chapitre 10 Frises et mosaı̈ques Yvan Saint-Aubin Les frises et les mosaı̈ques sont des éléments de décoration architecturaux qui sont utilisés depuis quelques millénaires. Les grandes civilisations sumérienne, égyptienne et maya les utilisaient avec brio. Inutile de prétendre dans ce cas que ce sont les mathématiques qui ont contribué à l’établissement de cette “nouvelle” technologie. L’étude des frises et mosaı̈ques, comme sujet mathématique, est relativement récent, deux siècles maximum. Le mémoire de Bravais [1] pourrait être le premier texte scientifique sur ce sujet. Les mathématiques peuvent cependant revendiquer une étude et une classification systématique des patrons que l’on retrouve en architecture. Ces classifications ont amené les mathématiciens à préciser les règles. Ce faisant, ils ont permis à ceux qui les utilisaient de les mieux comprendre et donc de pouvoir les enfreindre pour innover. 10.1 Frises, groupe de transformation et classification Le Petit Robert définit frise comme suit : bordure ornementale en forme de bandeau continu (d’un mur, d’une cheminée, d’un chambranle, d’un meuble, etc.). La figure 10.1 présente sept frises. Pour discuter mathématiquement ces objets, nous ajouterons à la définition du Robert, les éléments suivants : (i) une frise possèdera une largeur constante finie (la hauteur des frises dans la figure 10.1) et elle sera infinie dans la direction perpendiculaire (l’horizontale ici) et (ii) elle sera périodique, c’est-à-dire qu’il existera une distance minimale L non-nulle telle qu’une translation de longueur L de la frise dans sa direction où elle est infinie la laisse inchangée. Le nombre L sera appelé la période de la frise. Cette définition ne colle donc pas immédiatement aux frises de la figure puisque ces dernières ne sont pas infinies. Mais il n’est pas difficile d’imaginer coller un nombre infini de copies d’une frise bout à bout de façon à produire une frise 239 240 CHAPITRE 10. FRISES ET MOSAÏQUES F IG . 10.1 – Sept frises. 10.1. FRISES, GROUPE ET CLASSIFICATION 241 F IG . 10.2 – A nouveau sept frises. idéalisée. (La géométrie euclidienne nous a habitué à cet exercice mental : les points géométriques n’ont pas de dimension et les droites sont infinies.) La figure 10.2 présente également sept frises. Leur dessin est plus épuré et il est peut-être plus simple de les étudier. Ces sept frises ont la même période L, la distance entre deux barres verticales. Dans ce qui suit ces barres verticales seront considérées comme ne faisant pas partie du patron de la frise. Elles n’ont été tracées que pour aider l’oeil. A l’invariance sous une translation par une distance L, certaines de ces frises sont invariantes sous d’autres opérations géométriques. Par exemple si on bascule la troisième ou la septième frise en échangeant le bas et le haut, ces deux frises demeurent inchangées. Nous dirons qu’elles sont invariantes sous l’opération de réflexion dans un miroir horizontal. La seconde, la sixième et la septième sont invariantes sous une réflexion dans un miroir vertical qui échange la gauche et la droite. Ces distinctions entre 242 CHAPITRE 10. FRISES ET MOSAÏQUES frises soulèvent une question naturelle : est-il possible de classifier les frises selon l’ensemble des opérations géométriques qui les laissent inchangées ? Par exemple l’ensemble d’opérations qui laisse la première frise inchangée n’inclut ni le miroir horizontal ni le miroir vertical. Cet ensemble est donc distinct de l’ensemble laissant la troisième frise inchangée. Une transformation affine du plan est une transformation (x, y) ∈ R2 → 0 (x , y 0 ) ∈ R2 de la forme x 0 = ax + by + p y 0 = cx + dy + q. Cette transformation peut être écrite sous forme matricielle 0 x a = y0 c b x p + . d y q (10.1) a b est une transformation linéaire et les p et q représentent les c d translations dans les directions x et y respectivement. Dans ce qui suit nous ne considérons que des transformations affines propres (ou régulières) ; par définition ce sont les transformations affines bijectives. Cette propriété supplémentaire a b ajoute la condition d’inversibilité de la matrice 2 × 2 . Remarquons que c d la notation matricielle suivante décrit la même transformation affine : 0 x a b p x y 0 = c d q y . (10.2) 1 0 0 1 1 La matrice Si on compose deux transformations affines (x, y) → (x 0 , y 0 ) et (x 0 , y 0 ) → (x 00 , y 00 ) données par x 0 = a1 x + b1 y + p1 y 0 = c1 x + d1 y + q1 et x 00 = a2 x 0 + b2 y 0 + p2 y 00 = c2 x 0 + d2 y 0 + q2 , le résultat sur (x, y) peut être obtenu comme suit x 00 = a2 x 0 + b2 y 0 + p2 = a2 (a1 x + b1 y + p1 ) + b2 (c1 x + d1 y + q1 ) + p2 = (a2 a1 + b2 c1 )x + (a2 b1 + b2 d1 )y + (a2 p1 + b2 q1 + p2 ) 10.1. FRISES, GROUPE ET CLASSIFICATION 243 et y 00 = c2 x 0 + d2 y 0 + q2 = c2 (a1 x + b1 y + p1 ) + d2 (c1 x + d1 y + q1 ) + q2 = (c2 a1 + d2 c1 )x + (c2 b1 + d2 d1 )y + (c2 p1 + d2 q1 + q2 ). Notons qu’à nouveau cette transformation peut être écrite sous forme de produit matriciel à l’aide d’une matrice 3 × 3 00 a2 a1 + b2 c1 a2 b1 + b2 d1 a2 p1 + b2 q1 + p2 x x y 00 = c2 a1 + d2 c1 c2 b1 + d2 d1 c2 p1 + d2 q1 + q2 y . 1 0 0 1 1 Cette dernière notation révèle la puissance de la notation matricielle car le produit des deux matrices 3 × 3 représentant les deux transformations affines originales est précisément la matrice ci-dessus : a2 b2 p2 a1 b1 p1 a2 a1 + b2 c1 a2 b1 + b2 d1 a2 p1 + b2 q1 + p2 c2 d2 q2 c1 d1 q1 = c2 a1 + d2 c1 c2 b1 + d2 d1 c2 p1 + d2 q1 + q2 . 0 0 1 0 0 1 0 0 1 Cette propriété remarquable permet d’étudier les transformations affines et leur composition à l’aide de cette représentation matricielle 3 × 3 et la simple multiplication matricielle. Le problème géométrique est donc remplacé par un problème matriciel. Pour montrer la puissance de la représentation matricielle, nous calculerons l’inverse d’une transformation affine propre. Cet inverse est la transformation qui associe (x 0 , y 0 ) → (x, y) où x 0 = ax + by + p et y 0 = cx + dy + q. Puisque la composition des transformations affines est représentée par la multiplication matricielle, il faut que la transformation affine inverse soit représentée par l’inverse matriciel qui est aisément calculé : d/D −b/D (−dp + bq)/D −c/D a/D (cp − aq)/D 0 0 1 a b où D = det = ad − bc. C’est encore la matrice d’une transformac d tion affine propre. (Exercice : Que devez-vous vérifier pour vous assurer qu’elle est propre ? Faites-le.) Si on écrit la représentation matricielle de la transformation affine originale sous la forme A ~t 0 1 où A= et 0 = 0 a c b d 0 et ~t = p , q 244 CHAPITRE 10. FRISES ET MOSAÏQUES alors son inverse peut être écrit comme −1 −1 A ~t A = 0 1 0 −A−1~t . 1 L’ensemble des transformations affines propres forme un groupe. D ÉFINITION 1 Un ensemble E muni d’une opération multiplicative E × E → E est un groupe si l’opération satisfait les propriétés : ∀a, b, c ∈ E ; (i) associativité : (ab)c = a(bc), (ii) existence d’un élément neutre : ∀a ∈ E et il existe un élément e ∈ E tel que ea = ae = a, (iii) existence d’éléments inverses : ∀a ∈ E, ∃b ∈ E tel que ab = ba = e. L’inverse de l’élément de a est habituellement noté a−1 . Il est facile de vérifier que l’ensemble des transformations affines propres forme un groupe en utilisant leur représentation matricielle. Une matrice A ~t 0 1 représentant une transformation affine propre est telle que A est une matrice 2 × 2 inversible et donc que la matrice 3 × 3 ci-dessus est elle-même inversible. Donc la condition (iii) est vérifiée. La propriété (i) n’est que l’associativité de la multiplication matricielle et la propriété (ii) est vérifiée puisque la matrice identité (le neutre multiplicatif) représente la transformation affine suivante : 1 0 0 0 0 1 0 0 1 ←→ x0 y0 =x =y On appelle ce groupe le groupe affin. Puisque la composition de deux transformations affines laissant une frise inchangée laisse elle-même la frise inchangée, alors l’ensemble de ces transformations affines propres forme un sous-ensemble du groupe affin qui est lui-même un groupe. D’où la définition suivante. D ÉFINITION 2 Le groupe de symétrie d’une frise est le sous-groupe du groupe affin qui laissent la frise inchangée. Nous sommes prêts à énumérer les transformations affines laissant inchangées certaines des frises de la figure 10.2. Pour cela nous utiliserons leur représentation matricielle. 10.1. FRISES, GROUPE ET CLASSIFICATION 245 L EMME 1 Le groupe de symétrie de toute frise contient les transformations 1 0 0 0 nL 1 0 , n ∈ Z, 0 1 et ce sont les seules translations de ce groupe. P REUVE : En effet pour les frises de période L, la translation 1 tL = 0 0 0 L 1 0 0 1 les laisse invariantes. Remarquons que l’inverse de cette translation est t−L 1 = 0 0 0 −L 1 0 . 0 1 et que son produit n fois avec elle-même donne tnL 1 = 0 0 0 nL 1 0 . 0 1 (Exercice !) Aucune translation de la forme 1 0 a 0 1 b 0 0 1 avec b 6= 0 peut laisser une frise inchangée car certains points de la frise seront amenés hors de la frise par la translation verticale. Nous avons introduit plus tôt les réflexions par rapport à un miroir horizontal et vertical. Pour définir la matrice représentant ces transformations, nous devons fixer l’origine. Nous la placerons toujours à égale distance entre les extrémités supérieure et inférieure de la frise. Ceci laisse tout de même un choix énorme pour l’origine : tout point sur l’axe horizontal au centre de la frise est possible. (Nous utiliserons cette grande liberté dans la démonstration du Lemme 3.) Cette origine fixée, la réflexion horizontale qui échange le haut et le bas (c’est-à-dire qui échange le demi-axe vertical positif avec le demi-axe négatif) est 0 1 0 r h 0 où rh = 0 −1 0 0 1 246 CHAPITRE 10. FRISES ET MOSAÏQUES et la réflexion verticale qui échange la gauche et la droite est 0 −1 0 rv 0 où rv = . 0 1 0 0 1 (Exercice : vous convaincre de ces énoncés !) Quelles sont les transformation linéaires qui peuvent laisser inchangée une frise ? L EMME 2 Les transformations linéaires A ~0 0 1 d’un groupe de symétrie d’une frise ne peuvent avoir que 1 0 −1 0 A= , , rh et rv . 0 1 0 −1 P REUVE : Une transformation laissant une frise inchangée ne peut changer ni la largeur de la frise ni sa période. Elle doit donc laisser les distances inchangées. Pour une transformation linéaire 0 x x =A , y0 y la condition de préserver les distances signifie (distance entre (x10 , y10 ) et (x20 , y20 ))2 = x10 − x20 = x 1 − x2 x10 − x20 y10 − y20 x − x2 y1 − y2 At A 1 y1 − y2 y10 − y20 = (distance entre (x1 , y1 ) et (x2 , y2 ))2 où la dernière égalité sera valide siA est une matrice orthogonale : At A = a b AAt = 1. Si A est de la forme , alors la condition d’orthogonalité se lit c d a b a c 1 0 = c d b d 0 1 et donc 1 = a2 + b 2 1 = c2 + d2 0 = ac + bd. 10.1. FRISES, GROUPE ET CLASSIFICATION 247 Les deux premières équations indiquent que les deux points (a, b) et (c, d) sont sur le cercle de rayon unité. Il existe donc deux nombres θ1 , θ2 ∈ [0, 2π) tels que a = cos θ1 , c = sin θ2 , b = sin θ1 , d = cos θ2 . La dernière équation dit alors 0 = ac + bd = cos θ1 sin θ2 + sin θ1 cos θ2 = sin(θ1 + θ2 ) et la somme des deux angles est donc un multiple entier de π. Puisqu’il est suffisant de restreindre θ1 et θ2 à l’intervalle [0, 2π), alors la somme ne peut être que 0, π, 2π ou 3π menant aux quatre possibilités θ1 θ1 θ1 θ1 = θ2 = 0, = π − θ2 , = 2π − θ2 et = 3π − θ2 . Dans le premier cas, la matrice est l’identité. Pour les autres cas, on trouve cos θ1 sin θ1 cos θ1 sin θ1 2nd cas : = , sin θ2 cos θ2 sin θ1 − cos θ1 cos θ1 sin θ1 cos θ1 sin θ1 3e cas : = , sin θ2 cos θ2 − sin θ1 cos θ1 cos θ1 sin θ1 cos θ1 sin θ1 4e cas : = . sin θ2 cos θ2 sin θ1 − cos θ1 Ainsi A doit être une rotation ou une rotation suivie de l’opération miroir rh : cos θ sin θ cos θ sin θ cos θ sin θ ou rh = . − sin θ cos θ − sin θ cos θ sin θ − cos θ Est-ce que toutes les valeurs de θ sont possibles ? Non. Si 0 < θ < π et nous étudions la première des deux possibilités ci-dessus, alors 1 > sin θ > 0 avec x 0 = x cos θ + y sin θ y 0 = −x sin θ + y cos θ et, en augmentant x suffisamment sans changer y, la valeur de y 0 diminuera sous les valeurs possibles de y, c’est-à-dire que le point (x 0 , y 0 ) sortira de la frise. Un argument semblable permet de rejeter les valeurs π < θ < 2π. Le cos θ sin θ second cas se traite de la même façon. Ainsi θ = 0 ou π et les sin θ − cos θ seules valeurs de A possibles sont les quatre suivantes 1 0 −1 0 A= , , rh et rv , (10.3) 0 1 0 −1 248 CHAPITRE 10. FRISES ET MOSAÏQUES ce qui termine la preuve. Notons que −1 0 = rh rv 0 −1 et donc, une rotation d’un angle π peut être obtenue comme une réflexion par rapport à un miroir vertical suivie d’une réflexion par rapport à un miroir horizontal. Existe-t-il d’autres transformations de la forme A ~t 0 1 avec une matrice A différant de l’identité et ~t non-nul ? Le dernier lemme répond à cette question. L EMME 3 Par une redéfinition de l’origine, il est possible la liste des transde réduire A ~t avec A différent de formations affines d’un groupe de symétrie de la forme 0 1 l’identité et ~t non-nul aux transformations de la forme : nL 1 0 L/2 + nL A , n ∈ Z. 0 −1 0 0 ou 0 0 1 0 0 1 P REUVE : La contrainte de préserver les distances doit toujours être respectée. Puisque la distance entre deux points est identique à celle entre deux points translatés, il faudra encore que la matrice A soit orthogonale et donc qu’elle prenne une des quatre valeurs (10.3). De plus, si ty 6= 0 dans a b tx c d ty , 0 0 1 alors y 0 = cx + dy + ty quittera la frise pour certains x et y. (Pour le voir, il faut réfléchir séparément aux quatre A prévus par le Lemme 2.) Donc ty doit être nul. Puisqu’un groupe de symétrie contient les translations par un multiple entier de L le long de l’axe horizontal, la présence de a 0 tx 0 d 0 0 0 1 dans le groupe implique la présence de 1 0 nL a 0 tx a 0 0 1 0 0 d 0 = 0 d 0 0 1 0 0 1 0 0 tx + nL 0 1 10.1. FRISES, GROUPE ET CLASSIFICATION 249 pour tout n ∈ Z. De cet ensemble un élément sera tel que 0 ≤ tx0 = tx + nL < L. Soit A = rh . Alors le carré de tx0 rh 0 0 0 1 doit être également dans le groupe de la frise. Or 2 1 0 tx0 1 0 2tx0 0 −1 0 = 0 1 0 0 0 1 0 0 1 est une translation et donc il existe m ∈ Z tel que 2tx0 = mL. Puisque 0 ≤ tx0 < L, on a que 0 ≤ 2tx0 < 2L. Si tx0 = 0, la partie translation est triviale. Si non, il faut que tx0 = L/2 et la transformation affine est 1 0 L/2 0 −1 0 . (10.4) 0 0 1 −1 0 −1 0 Restent les deux cas A = et . Nous allons utiliser ici la 0 −1 0 1 liberté du choix de l’origine. (Voir le commentaire après la preuve du Lemme 1.) Considérons un changement de l’origine par une translation le long de l’axe des x par la quantité a. La transformation affine −1 0 tx0 0 ±1 0 (10.5) 0 0 1 sera alors représentée par la matrice 1 0 a −1 0 tx0 1 0 −a 0 1 0 0 ±1 0 0 1 0 0 0 1 0 0 1 0 0 1 0 −1 0 tx − a 1 0 a −1 0 tx0 − 2a 0 0 1 0 = 0 ±1 0 . = 0 ±1 0 0 1 0 0 1 0 0 1 Ainsi la transformation affine (10.5) n’est rien d’autre que la transformation affine −1 0 0 0 ±1 0 (10.6) 0 0 1 si l’origine a été déplacée précisément par a = tx0 /2. Notons enfin que, si le 0 groupe de la frise contenait deux transformations de type (10.5) avec tx1 et 250 CHAPITRE 10. FRISES ET MOSAÏQUES 0 tx2 distincts, alors le déplacement de l’origine assure que (10.6) est dans le groupe de symétrie. Après ce changement d’origine, la seconde transformation multipliée par (10.6) doit être un multiple entier d’une translation ou être de la forme (10.4). Les lemmes ci-dessus permettent maintenant de terminer la classification des groupes de symétrie des frises et de répondre par l’affirmative à la question que nous nous étions posée : est-il possible de classifier les frises selon l’ensemble des opérations géométriques qui les laissent inchangées ? T H ÉOR ÈME 1 (C LASSIFICATION DES GROUPES DES FRISES ) Le groupe de symétrie d’une frise est un des sept suivants. 1. htL i 2. htL , rv i 3. htL , rh i 4. htL , tL/2 rh i 5. htL , rh rv i 6. htL , tL/2 rh , rh rv i 7. htL , rh , rv i Ces groupes sont décrits par un ensemble de générateurs et sont donnés dans l’ordre des frises apparaissant aux figures 10.1 et 10.2. P REUVE : Tous les groupes contiendront les translations par un multiple entier de L. Désignons par tL la translation par L le long de l’axe horizontal. Par un choix approprié de l’origine, les seuls autres générateurs des groupes de symétrie seront les transformations linéaires décrites par A = rh , rv ou rh rv et la transformation affine donnée dans le lemme 3 qui est l’opération rh suivie d’une translation par la moitié de la période. Nous dénoterons donc cette symétrie par tL/2 rh . (Les opérations se lisent de droite à gauche !) Notons que, si un groupe possède deux des trois rh , rv et rh rv , il possède automatiquement les trois. (Les opérations de symétrie forment un groupe !) La liste de toutes les combinaisons possibles de générateurs contient donc les sept données dans l’énoncé ainsi que 8. htL , tL/2 rh , rh i 9. htL , tL/2 rh , rv i 10. htL , tL/2 rh , rh , rv i Pour le cas 8, notons que l’existence parmi les générateurs de tL/2 rh et rh implique que le groupe contiendra également leur produit tL/2 rh × rh , c’est-àdire la translation par L/2 ce qui contredit le fait que la frise est périodique de période (minimale) L. Ce cas doit donc être rejeté. Pour le cas 9, notons que le produit des générateurs tL/2 rh et rv est de la forme discutée dans le Lemme 3. Par translation de l’origine ce produit peut être mis sous la forme (10.6) avec A = rh rv . Mais en changeant la position 10.2. MOSAÏQUES 251 B f-f' f' q O f A F IG . 10.3 – Le point O et deux de ses images A, B par translation. de l’origine, le générateur rv n’est plus une symétrie. On obtient donc que les générateurs 9 engendrent le sous-groupe généré par ceux de 6. Le dernier cas 10 contient, parmi ses générateurs, ceux des cas 8 et 9 et est donc à éliminer pour les mêmes raisons. 10.2 Mosaı̈ques Les mosaı̈ques sont aussi populaires sinon plus que les frises en architecture. Une mosaı̈que sera pour nous un patron remplissant le plan qui possède deux directions linéairement indépendantes de périodicité. Ainsi il existe deux vecteurs ~t1 et ~t2 linéairement indépendants le long desquels une translation de la mosaı̈que la laisse inchangée. Comme pour les frises, les mosaı̈ques peuvent être étudiées grâce aux opérations de symétrie qui les laissent inchangées. Et comme pour les groupes des frises, il est possible de classifier les groupes de mosaı̈ques. Il y en a 17. Nous n’obtiendrons pas cette classification. Notre travail se limitera à énumérer les rotations pouvant intervenir dans les groupes de mosaı̈ques et à comprendre la description de la classification. L EMME 4 Les rotations laissant une mosaı̈que inchangée sont parmi les rotations π π d’angle π, 2π 3 , 2 et 3 . 252 CHAPITRE 10. FRISES ET MOSAÏQUES f'' f+f'' f F IG . 10.4 – Le cas d’une rotation d’angle 2π 5 . Preuve : Soit un point O dans une mosaı̈que qui est le centre d’une rotation laissant la mosaı̈que inchangée. Soit θ = 2π n l’angle de rotation le plus petit en ce centre. Puisque la mosaı̈que est périodique dans deux directions linéairement indépendantes, il existera une infinité de points possédant la même propriété. Soit ~f un vecteur joignant O à un point A parmi les points les plus proches de O qui peuvent être obtenus de O par des translations laissant la mosaı̈que inchangée. La translation le long de ~f appartient donc au groupe de la mosaı̈que. En faisant tourner la mosaı̈que autour de O de l’angle θ, on obtient un point B et le vecteur ~f 0 joignant O à B désigne également une symétrie de la mosaı̈que. La distance entre A et B est la longueur du vecteur ~f 0 − ~f et doit donc être plus grande ou égale à la longueur de ~f par hypothèse. (A était une des images par translation de O les plus proches de O.) Puisque ~f et ~f 0 sont de 2π même longueur, il faut donc que l’angle θ = 2π n soit plus grand ou égal à 6 , o 0 0 ~ ~ ~ ~ c’est-à-dire à 60 , l’angle qui est tel que f, f et f − f soient les trois de même 2π 2π π 2π 2π π longueur. Les seules possibilités sont donc 2π 2 = π, 3 , 4 = 2 , 5 et 6 = 3 . La valeur 2π 5 ne peut cependant pas être l’angle d’une rotation d’une mosaı̈que. La figure 10.4 montre ~f et son image ~f 00 par une rotation de 4π 5 . La trans00 ~ ~ lation le long de f + f sera aussi une symétrie mais elle est plus courte que ~f, une contradiction. Il faut donc rejeter cet angle. Les éléments des groupes de mosaı̈ques sont semblables à ceux que l’on re- 10.3. EXERCICES 253 trouve dans les groupes de frises : les translations, les réflexions, les réflexions suivi d’une translation (tel tL/2 rh pour les frises) et les rotations. Plutôt que de dresser une liste de générateurs pour les 17 groupes de mosaı̈que, nous reproduisons en annexe, parmi les Planches, les pages 41–43 de [2]. Sur ces planches les 17 groupes sont représentés par des lignes et des symboles. En voici la liste. Le choix des deux vecteurs ~t1 et ~t2 de translation linéairement indépendants est indiqué par les côtés d’un parallélogramme gris. Un trait plein indique une ligne de réflexion. Une droite en tirets avec des flèches indique une réflexion suivie d’une translation. Les autres symboles sont les suivants. centre d’une rotation d’angle π 4 centre d’une rotation d’angle centre d’une rotation d’angle 2π 3 π 2 hexagone centre d’une rotation d’angle π 3 Les mêmes symboles pleins (N, , etc.) sont utilisés pour dénoter un centre de rotation. La rotation est du même angle que le symbole vide qui est sur une ligne de réflexion. On dit que l’Alhambra, ancienne cité de gouvernement des princes arabes de Grenade au sud de l’Espagne contemporaine, contient des mosaı̈ques appartenant à chacun des 17 groupes de symétrie. Les architectes maures n’avaient peut-être pas de preuve de cette classification mais il est difficile d’imaginer qu’ils ne la connaissaient pas. 10.3 Exercices 1. On dit que deux opérations a, b ∈ E de symétrie commutent si ab = ba. (a) Est-ce que les opérations de translation commutent ? (b) Est-ce que rh , rv et rh rv commutent entre elles ? (c) Est-ce que rh , rv et rh rv commutent avec les translations ? 2. Trouver les conditions pour qu’une transformation linéaire a b 0 c d 0 0 0 1 et une translation 1 0 0 0 p 1 q 0 1 commutent entre elles. 3. (a) Indiquer sur la frise proposée la période L du patron (Figure 10.5). 254 CHAPITRE 10. FRISES ET MOSAÏQUES F IG . 10.5 – La frise de l’exercice 3. (b) Vrai ou faux, les transformations tL , rh , tL/2 rh , rv , rh rv laissent la frise invariante ? (c) Quel est le groupe de symétrie de cette frise parmi les sept groupes possibles des frises ? (d) Ajouter un point par période à la frise de façon à réduire le groupe à {tL } et à ne pas changer la période. 4. Déterminer auquel des sept groupes des frises appartient chacune des frises des Planches 1 et 2. (Ces frises sont tirées de [3].) 5. (a) Identifiez le groupe de symétrie de la frise. F IG . 10.6 – Frise pour l’exercice 5. (b) En retirant deux triangles de chaque période de la frise proposée en (a), construisez une frise dont le groupe de symétrie est le groupe 5 de la classification. 6. Déterminer auquel des 17 groupes des mosaı̈ques appartiennent les gravures d’Escher reproduites aux Planches 3 et 4. Ignorer les couleurs. (Une transformation affine envoyant un poisson rouge dans un jaune de même forme est une symétrie.) Ces gravures sont tirées de [4]. 7. (a) Le patron de la Figure 10.7 possède une ellipse le long de l’axe des x aux coordonnées (2i , 0). En ce point, les axes principaux de l’ellipse sont rx = 2i−2 , ry = 1. Ce patron est donc dessiné dans la demi-bande infinie (0, ∞) × [− 12 , 12 ]. Ce patron n’est pas une frise puisqu’elle n’est pas périodique. Sauriezvous changer la condition de périodicité pour que ce patron soit une frise ? (b) Sauriez-vous écrire la transformation qui envoie une ellipse sur sa voisine immédiate ? Est-elle linéaire ? L’ensemble de ces transformations forme-t-il un groupe ? 10.3. EXERCICES 255 F IG . 10.7 – Un patron qui n’est pas périodique. 8. Les points sur la spirale (Figure 10.8) sont aux coordonnées ( 32 )ln r (cos 2π( 23 )ln r , sin 2π( 32 )ln r ) pour r = 15 , 25 , 35 , 45 , . . . et leur rayon est proportionnel à ( 23 )ln r . Existe-t-il une transformation affine qui envoie simultanément tous les points de cette spirale sur des points de la spirale ? Si oui, l’obtenir ; si non, expliquer. 0.5 -2 -1.5 -1 -0.5 0.5 -0.5 -1 F IG . 10.8 – Des points sur une spirale. 9. Un défi : obtenir la classification des mosaı̈ques. 1 256 CHAPITRE 10. FRISES ET MOSAÏQUES Bibliographie [1] Bravais, A., Mémoire sur les systèmes formés par des points distribués régulièrement sur un plan ou dans l’espace, Journal de l’Ecole Polytechnique, 19, 1–128 (1850). [2] Grünbaum, B., Shephard, G.C., Tilings and patterns, W.H. Freeman, New York (1987). [3] Arabic Art in Color, édité par Prisse d’Avennes, Dover (1978). (Ce livre présente quelques reproductions de l’oeuvre monumentale de Prisse d’Avennes, “L’art arabe d’après les monuments du Kaire depuis le VIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIe siècle”, qu’il réalisa entre 1869 et 1877 et qui fut publiée en 1877 à Paris par Morel.) [4] Escher, M.C., Visions of Symmetry : Notebooks, Periodic Drawings, and Related Work of M.C. Escher, avec texte et commentaires de D. Schattschneider, W.H. Freeman, New York. 257