Otto Pacht << Simon Marmion myt der handt >> L'aquarelle representant une huppe (fig. 2) dont nous allons nous occuper ici (Vienne, Bibi. Nat., Cod. Min. 42, f. 55) 1, a ete collee, vers la fin du xvi e siecle, avec plusieurs centaines d'autres etudes de plantes et d'anirnaux du xv• et xvi• siecles, dans un album qui a du etre con�u des le debut comme une collection d'illustrations zoologiques et botaniques 2• Cet album a ete transfere en 1783, en meme temps qu'une serie d'autres volumes de dessins et quelques manuscrits somptueux, du Tresor a la Bibliotheque Imperiale, et c'etait tres probablement aussi dans le Tresor qu'il fut garde des l'origine 3• Differents indices concourent a rendre probable, que cette importante collection d'illustrations zoologiques et botaniques re�ut son aspect actuel a Prague, a la cour de l'empereur Rodolphe II, en puisant dans les fonds plus anciens de la maison imperiale 4• Comme on pouvait s'y attendre, seule une partie infime des auteurs des dessins et aquarelles assembles dans le Cod. Min. 42 sont connus par des signatures; il est d'autant plus etonnant de lire a cote de l'etude d'oiseau du feuillet 55 !'inscription : « Simon Mormion myt der handt 5 ». Des criteres paleographiques per­ mettent de dater cette inscription (fig. 3) vers le debut du xvi• siecle 6• Lorsque, grace a l'amabilite de la direction du departement des manuscrits de la Bibliotheque Nationale d'Autriche, l'aquarelle a pu etre detachee de son support, il s'est avere qu'au verso se trou­ vait egalement un dessin, comme il est usuel pour un feuillet d'un album d'esquisses; il s'agit d'une deuxieme etude de huppe, cette fois non pas en couleur mais au crayon (fig. 5 ). Et de nouveau une inscription s'y trouve apposee, cette fois en italien : « Man propria di M. Simon Mormion fiamengo miniatore » (fig. 4). Elle doit etre assez posterieure a !'inscription allemande du recto; en tout cas la fin du xv1e siecle, c'est-a-dire le moment ou toutes ces etudes d'apres nature ont ete reunies en album, donne un terminus ante quern. « Simon Mormion » ne peut indiquer personne d'autre que Simon Marmion, l'un des rares artistes du xv• siecle originaire d'entre Paris et la Flandre dont la reputation a trouve une expression litteraire. Originaire d'Amiens, Simon Marmion s'est etabli dans les annees cinquante a Valenciennes, dans le Hainaut, qui etait une des residences de la cour bourguignonne, et ce sont deux poetes de la cour domicilies precisement a Valenciennes qui ont repandu sa gloire 7• Jean Molinet, historiographe des souverains bourgui­ gnons, habitant a ce titre le chateau de Valenciennes, depuis 1493 bibliothecaire de Marguerite d'Autriche rentree de France, est !'au­ teur de l'epitaphe du peintre mort en 1489 et enterre dans la cha­ pelle Saint-Luc a Valenciennes 8• Le disciple et successeur de Molinet dans sa fonction de poete de cour fut Jean Lemaire, au service de Marguerite d'Autriche depuis 1504. C'est lui qui a imagine l'epi­ thete si pertinente de « prince de l'enluminure » pour caracteriser le rang artistique de Marmion•. La reputation de Marmion ne semble cependant jamais avoir depasse les milieux de la cour bour­ guignonne. Les derniers auteurs qui le mentionnent sont le theo- logien de Louvain Molanus, qui relate en 1570 que Vasque de Lucene - un Portugais tres estime a la cour bourguignonne en sa qualite de traducteur de textes latins - aurait legue en 1512 a l'hopital de Louvain un tableau de la main de Marmion « nobi­ lissimi pictoris » representant une Vierge 10; et L. Guicciardini, qui parle dans sa « Descrittione de'Paesi Bassi » (Anv&s, 1581) de « Simone Marmion di Valenzina eccellentissimo pittore e gran lit­ terato 11 ». Ni Vasari ni van Mander ne le connaissent plus. On est done porte a supposer que !'identification de l'auteur de l'aqua­ relle a la huppe est due a la tradition qui s'est conservee a la cour de la Regente des Pays-Bas. Mais ceci ne peut etre pour le moment qu'une hypothese. Il convient cependant de le souligner : la men­ tion inscrite sur notre aquarelle d'oiseau est un exemple tres pre­ coce d'authentification d'une ceuvre non signee comme original d'un artiste de renom. Le portrait de huppe au recto du feuillet de Vienne n'est nulle­ ment la premiere representation naturaliste en aquarelle de cet oiseau que l'on connaisse. Une huppe se trouve deja dans le car­ net d'esquisses de de'Grassi conserve a la Bibliotheque de Ber­ game (fig. 1) 12; de plus, le Louvre possede, sur un feuillet du Codex Vallardi, deux etudes de huppe attribuees generalement a Pisanello lui-meme (fig. 6), dont l'une, executee a l'aquarelle, montre l'oi­ seau vu de profil, tandis que l'autre, un dessin a la plume, le represente de face, en raccourci 13• Meme dans la peinture du Nord des Alpes, on rencontre tres tot des etudes naturalistes de cet oiseau; il ne s'agit pas alors, il est vrai, de representation autonome et independante. Ainsi on reconnait clairement-entre autres especes une huppe parmi les oiseaux et papillons dissemines autour des armoiries papales de la Bible enluminee par Jacquemart de Hesdin (fig. 7) et offerte a l'antipape Clement VII entre 1389 et 1394 14• Ce n'est certes pas un hasard que l'on puisse ajouter a cet exemple des precurseurs anglais. Ceux-ci, dans des illustrations de l'Apo­ calypse datant du debut du xiv• siecle, voulant representer tous les oiseaux du ciel appeles par l'ange a se rassembler pour participer au repas divin (fig. 8 ), ont figure, parmi ceux qui ont repondu a !'invitation de l'ange, la huppe, reconnaissable a premiere vue a son plumage si particulier 15• Ceci etait, apparemment, une nou­ veaute, car dans les manuscrits de bestiaires precedant immediate­ ment ces illustrations d'Apocalypses, les representations de cette espece n'offrent pas la moindre ressemblance avec la nature, on n'y voit meme pas la crete de plumes mentionnee dans le texte du bestiaire (« gemmatas explicat alas ») 16• Pour la fidelite a la nature, la huppe de Marmion (fig. 2) sur­ passe de loin celles de ses deux predecesseurs italiens. Dans l'etude de de'Grassi (fig. 1 ), la crete de plumes est comme annexee a une tete bien determinee, complete en soi et discernee comme telle. Dans l'aquarelle de Marmion au contraire il n'existe aucune ligne de -demarcation entre la tete de l'oiseau et la crete de plumes qui la 7