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L'ANALYSTE RÊVE-ÉVEILLÉ EN VISITE CHEZ HARRY POTTER
Marianne Simond
L’Esprit du temps | « Imaginaire & Inconscient »
2001/3 no 3 | pages 85 à 104
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ISSN 1628-9676
ISBN 2913062679
L’analyste rêve-éveillé en visite
chez Harry Potter
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Les ouvrages de Mme Rowling (6) qui tracent les aventures d’Harry Potter
sont maintenant connus largement ; il y a un an, quelques articles commençaient
à éveiller l’attention dans le grand public et à susciter une rencontre non encore
advenue. La lecture des premiers livres de la série (Rappelons que, dans le
premier ouvrage Harry Potter à l’école des sorciers, Harry découvre, pour son
onzième anniversaire, qu’il est un sorcier ; du même coup, il est convoqué au
Collège de Poudlard pour y effectuer sa scolarité. L’ouvrage raconte sa
douzième année. Le deuxième, Harry Potter et la chambre des secrets, se
déroule l’année suivante : Harry a douze ans et vit sa treizième année dans ce
même collège. Ainsi se succèdent les ouvrages, sept, au total, sont prévus)
permet d’entrer très rapidement dans un monde à la fois identique au nôtre et
en même temps évoquant une altérité radicale. En effet, l’auteur fait apparaître,
par les mots, par les descriptions qu’elle agence, une vie de famille qu’on n’a
guère envie de partager, puis, toujours par son art du dire, des phénomènes
étranges, des situations impossibles, des bizarreries cocasses. Le lecteur
apprend alors, assez rapidement, que le monde des personnes est divisé en
deux : les sorciers et les « moldus » (les non-sorciers). Bien entendu, sachant (en
principe) sur quelle terre se posent ses pieds, il doit rapidement convenir qu’il
est alors lui-même un « moldu ». Cette construction du lien à l’alter ego que
représente le personnage principal de l’ouvrage, construction complexe
puisqu’elle manie alternativement identité et altérité, et simultanément
émotions et création, cette construction me paraît une des particularités remarquables de cette série d’ouvrages de J.K. Rowling.
Le détour par l’imaginaire est largement utilisé par cet auteur. De quelle
manière ? C’est ce que je voudrais détailler ici, en cherchant à mettre en
Imaginaire & Inconscient, 2001/3, 85-104.
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Marianne Simond
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IMAGINAIRE & INCONSCIENT
évidence que les images, que recèlent chaque ouvrage d’Harry Potter et leur
enchaînement, donnent, comme dans une cure Rêve-Eveillé, l’étoffe, la base
créative du vivre et illustrent le cheminement psychique du sujet.
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Le (jeune ?) lecteur, quel que soit son âge exact, s’il s’intéresse à cette
lecture, fête, lui aussi, ses onze ans avec Harry. Harry, par les images qui sont
données de lui, se prête à l’identification avec maintien de la « bonne distance » :
il est à la fois proche et différent ; sa condition d’être au monde appelle la possibilité d’être Harry Potter quand on le lit, et de cesser de l’être dès qu’on relève
le nez.
Harry Potter est orphelin, il ignore tout d’abord ou méconnaît ce qui est
arrivé à ses parents... et à lui-même. On comprend d’ailleurs, au bout de
plusieurs ouvrages, que telle sera sa quête au long cours, retrouver les traces de
lui-même et de ses proches, dans un passé où nul ne peut retourner (dans notre
monde réel en tout cas) et élaborer ce qu’il en est du traumatisme initial. On sait
seulement, rapidement, dès qu’Harry l’apprend, que la cicatrice qu’il porte au
front, en forme d’éclair, est trace d’une lutte à mort, dans laquelle Harry, âgé
alors d’un an, mais également entouré par l’amour de sa mère, encadré par le
couple de ses parents, valeureux et aimants, a pu se sauver lui-même de la mort
qui a anéanti ses parents. Harry a vécu ses premières années dans un cadre peu
chaleureux quoique familial (la sœur de sa mère et le mari de cette tante, leur
fils insupportable)... bien assez pour n’avoir qu’une envie, celle de prendre ses
distances avec cette famille-là. Symboliquement, ce personnage résume ainsi
plusieurs des aspects qui touchent l’enfant lors de son passage progressif vers
l’âge adulte, avec la tentation du clivage entre la bonne famille, rêvée, idéalisée
et l’horrible famille de tous les jours, celle où chacun côtoie des « autres » dont
il perçoit prioritairement la différence avec lui-même, ou, au contraire les
ressemblances qui « brûlent », celle où les disputes, les gênes, les désagréments
occupent une partie de l’espace relationnel, induisant le pré-adolescent à
éprouver que son désir ne pourra trouver à se réaliser qu’en dehors de la famille.
Pour Harry, pour le lecteur, les « vrais » parents, c’est-à-dire ici les parents
idéaux, sont hors de cause, dans leur absence actuelle et définitive (encore
que...), ils sont ainsi, dans leurs figures idéales, bien protégés contre toute
attaque dévalorisante.
Bien sûr, cette configuration fait aussi du rapport aux parents réels un
rapport impossible, ouvrant un espace de liberté pour le lecteur, même si on y
ajoute, du côté des émotions, les connotations liées à une séparation radicale et
précoce.
Le statut d’orphelin, venu dans cette famille à l’âge d’un an, fait aussi
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Harry Potter et ses images
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d’Harry Potter un étranger sur lequel, petit à petit, les « traits » identitaires vont
venir se poser et, tout à la fois, décrire sa vie, sa personnalité mais aussi le faire
exister. Cette recherche, par le lecteur, de ce qui fait l’identité d’Harry se fait
en parallèle et en intrication d’une recherche un peu similaire, par Harry luimême, de sa propre identité : une question, cruciale à chaque tournant de la vie
et, en particulier à l’adolescence, qui prend donc une tonalité particulière du fait
de cette organisation de l’intrigue.
De même qu’on dit parfois que tout mythe est un mythe d’origine, que tout
conte est une métaphore de l’adolescence, de même on peut voir, dans chacun
des ouvrages qui mettent en scène une année de la vie d’Harry, un développement de ce travail psychique qui conduit, par la prise de conscience, par le
vécu des expériences de chaque jour et de certaines expériences fondatrices, le
sujet à s’éprouver lui-même et à faire connaissance avec lui-même, à faire
retour sur ce qui le fonde, à construire sa propre histoire.
Ainsi Harry apprend-il, d’abord en vivant certaines expériences curieuses
(il communique avec un serpent ; ses cheveux, rebelles mais coupés à ras par
son oncle furieux, repoussent pendant la nuit ; poursuivi, il s’envole sur un toit),
puis, une fois dévoilée sa « qualité » de sorcier, qu’il dispose de certains
pouvoirs.
Pour autant il ne dispose pas de tous les pouvoirs. D’ailleurs, l’intrigue ellemême, qui met Harry face au danger que représentent des désirs hostiles à son
égard, désirs de mort plus ou moins clairs selon les personnes qui les éprouvent,
cette intrigue repose aussi sur le fait qu’aucun sorcier ne dispose de tous les
pouvoirs.
La nécessité d’une scolarité (au Collège très spécial de Poudlard), tout aussi
conséquente que celle des collégiens-lycéens entre onze et dix-sept ans, prouve
également que la toute-puissance n’est pas plus du monde des sorciers que de
celui des « moldus ». Parallèlement à cela, la parole de Georges Brassens trouve
ici une illustration : « Sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie ».
Aucun don ne peut se satisfaire d’une absence de « travail ».
En entrant dans le monde d’Harry à travers les ouvrages de J.K. Rowling,
nous expérimentons une possibilité de nous sentir à la fois tout proche, presque
semblable et puis éloigné, séparé. Ce mouvement qui peut se réaliser sous une
forme de va-et-vient est lui-même à l’image du travail psychique de l’adolescent, dans le jeu de ses identifications et de ses désidentifications.
Au fond, Harry est autre, tout en étant tellement même. La jubilation de la
lecture tient probablement à la rencontre, toujours inopinée tant les trouvailles
de l’auteur sont originales, de ce qui est tellement autre, tant dans le monde des
sorciers que chez Harry lui-même.
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La quête d’identité d’Harry me paraît un des thèmes majeurs de cette
histoire, un des thèmes majeurs de l’adolescence et de chaque étape importante
de notre devenir, puisque nous avons tout autant besoin de nous définir dans ce
qui nous fait ressembler aux autres que dans ce qui nous en distingue; à chaque
étape de changement, il nous faut aussi nous redéfinir dans ce qui nous fait
semblable à ce que nous connaissons de nous et dans ce qui marque la différence par rapport à l’avant. C’est la combinaison de ces deux « trajets » qui
orchestre notre évolution.
Les images, les métaphores, moyens privilégiés de traduire cette alternance
du même et de l’autre, de transposer de manière perceptible, et, sur le plan littéraire, de manière « parlante », ces va-et-vient qui nous reflètent, se distribuent
dans « Harry Potter » selon plusieurs veines. Après avoir défini et montré Harry
à la lumière de son cousin Dudley (il est de la même famille mais...si différent),
le récit qui relate la préparation puis l’arrivée d’Harry au Collège donne au
moins deux grandes occasions d’illustrer notre propos.
Une baguette pour un sorcier
La première est l’achat de la baguette magique d’Harry. Nous sommes alors
au chapitre 5, Hagrid, le géant, « gardien des clés » (du Collège de Poudlard),
un des personnages protecteurs, ou plutôt facilitateurs pour Harry, accompagne
ce dernier dans les magasins spécialisés. Après l’achat de la robe de sorcier, du
parchemin, des plumes d’oie, des manuels, d’un chaudron, d’un télescope
pliable, d’une balance, des ingrédients pour potions, de la chouette, cadeau
d’Hagrid, il ne reste plus, sur la liste des fournitures scolaires, que la baguette
magique ; l’auteur ajoute «... le rêve d’Harry ».
Bien entendu, quel que soit notre âge, une fibre en nous résonne à cette
phrase. Souvent, pour expliquer à un enfant que, nous aussi, nous sommes
confrontés à la réalité dans sa résistance et sa dureté, nous disons « je n’ai pas
de baguette magique ». À côté du symbolisme phallique, et du renvoi à la
castration symbolique que cette phrase peut évoquer, l’aire du rêve est accessible alors. « Je n’ai pas »... « oui, mais »... oui, mais on peut toujours rêver,
prenons un livre. Avec le oui, il y a amorce au moins d’acceptation, et, en contrepartie, de renoncement et par le rêve, il y a ce détour qui va faire travailler le
temps du trajet vers une acceptation plus profonde ; détour qui est également
signe à la fois de l’hésitation peut-être encore en vigueur et du fait que le sujet
sait déjà l’issue de cette hésitation. À ma connaissance, les enfants chez qui l’on
peut repérer que cette hésitation penche au contraire du côté de : « et si on
essayait encore », c’est-à-dire du côté de l’acte et non du côté du rêve, acceptent
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Harry, dis-nous tes images, dis-nous qui tu es
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mal le détour par le rêve ; la capacité de rêver, au sens d’imaginer, en séance ou
dans les jeux symboliques, est bien le signe qu’une étape primordiale a été
parcourue, dépassée. En ce sens, les enfants qui acceptent de lire Harry Potter,
ceux qui y trouvent du plaisir, contrairement à ce qui peut parfois être dit, en
particulier quand on croit qu’un enfant qui s’identifie fortement à un héros
magique vit lui-même dans la magie, ces enfants donc manifestent leur
avancement, au moins, dans cette « hésitation », du côté du choix du rêve.
Rêvons donc... De baguette magique, personne n’en a jamais vu au sens de
la réalité (à moins que...!), et pourtant, nos représentations sont multiples. La
télévision, le cinéma permettent des montages où les baguettes magiques sont
actives et efficaces ; les enfants, au spectacle de telle ou telle série, en ont
intériorisé certaines possibilités. De notre point de vue d’éducateurs ou de
psychologues veillant au bon développement des enfants, en particulier quand
ils regardent ce genre d’émissions télévisées, tout va bien s’ils gardent suffisamment les pieds sur terre pour savoir, se rappeler, que « c’est du cinéma ». Le
prestidigitateur aussi utilise la baguette, qu’il appelle « magique » éventuellement mais nous savons aussi qu’il s’agit d’illusion. La baguette magique
permet des transformations, en un instant... au lieu que la réalité, pour ses
modifications, demande que le temps s’écoule, permettant les étapes, les intermédiaires ; lorsqu’il y a immédiateté de la transformation, on est, en principe
dans quelque chose de brutal, violent, éventuellement catastrophique et
destructeur (images d’explosions, de réactions chimiques dégageant une
énergie considérable).
Cette correspondance entre le nom de la baguette magique et sa fonction
dans une histoire nous touche et nous ne pouvons manquer de la souligner.
Mais dans cet épisode, ce que je voudrais mettre en évidence, c’est la
manière dont l’auteur fait percevoir que Harry ne peut avoir une baguette
magique : il va avoir sa baguette magique... ou plutôt c’est, comme le dit Mr
Ollivander (« Ollivander – fabricants de baguette magiques depuis 382 avant
J.-C. ») « la baguette qui choisit son maître. » Par ces mots, l’auteur met l’accent
sur les qualités propres de ce morceau de bois qui va devenir la baguette
magique de ce client. Il dit aussi que ce morceau de bois a une vie propre et, très
vite, on va s’apercevoir qu’il a aussi une identité.
Mr Ollivander, doué d’une grande mémoire ou bon professionnel de la
baguette magique, commence en effet par reconnaître Harry (sa cicatrice, son
nom sont connus de tous les sorciers); il le reconnaît parce qu’il s’attend à le
voir, et aussi parce que : « vous avez les yeux de votre mère » lui dit-il. Mr
Ollivander associe alors immédiatement avec la première baguette magique de
la mère d’Harry : « je me souviens (...) c’était hier, 25,6 centimètres, souple et
rapide, bois de saule. Excellente baguette pour les enchantements. »
C’est, bien sûr, une image de sa mère que reçoit ainsi Harry, avec la
description de la baguette, par sa taille, très précise, sa consistance, ses qualités
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physiques, et son essence (cette spécialisation du mot existe-t-elle en anglais ?
pour nous, la concordance entre cette référence à l’arbre et la référence à l’être
est, elle aussi, génératrice de ce plaisir de lire et de penser que l’on éprouve, en
visite chez Harry Potter).
Il reçoit, peu après, des indications sur son père, à travers la description de
la baguette qui avait convenu au père d’Harry : « une baguette d’acajou, 27,5
centimètres. Flexible. Un peu plus puissante et remarquablement efficace pour
les métamorphoses. »
Enfin, sans lui laisser le temps de beaucoup respirer, Mr Ollivander
distingue la cicatrice au front d’Harry et lui dit : « J’en suis désolé, mais c’est
moi qui ai vendu la baguette responsable de cette cicatrice, 33,75 centimètres.
En bois d’if. Une baguette puissante, très puissante (...)».
Avisant Hagrid, Mr Ollivander décrit la baguette qu’il avait vendue à ce
dernier.
Il prend ensuite les mesures d’Harry, lui évoque la composition possible des
baguettes, en particulier celle des substances magiques qu’elles peuvent
contenir. Les précisions données alors appartiennent toujours à cette veine de
l’identité, celle qui permet à chacun de se situer en référence aux autres et de
pouvoir se sentir parfaitement unique : « de même qu’on ne trouve pas deux
licornes, deux dragons ou deux phénix exactement semblables, il n’existe pas
deux baguettes de chez Ollivander qui soient identiques. »
Enfin, Mr Ollivander fait essayer des baguettes à Harry. Chacune d’entre
elles est une proposition identitaire. Les trois premières sont détaillées : « Elle
est en bois de hêtre et contient du ventricule de dragon, 22,5 centimètres. Très
flexible, agréable à tenir en main. » – «Bois d’érable et plume de phénix, 17,5
centimètres, très flexible. » – « bois d’ébène et crin de licorne, 21,25 centimètres, très souple. » À chaque fois, Mr Ollivander tend la baguette à Harry et
lui dit : « Prenez-la et agitez-la un peu » – « Essayez... » – « Allez-y, essayez. »
Harry « essaie » mais Mr Ollivander les lui arrache des mains presque
aussitôt.
Aucune ne convient.
On comprend ou l’on peut imaginer que la taille de la baguette peut être
référencée à la génération à laquelle appartient la personne. Le père et la mère
d’Harry sont venus choisir leur première baguette, également avant de partir
pour Poudlard. La baguette de celui qui a tenté de tuer Harry était une baguette
d’adulte, celle qui doit convenir maintenant à Harry doit rester, en principe, une
baguette de préadolescent. Images de conformation perceptive de cette
baguette, de la longueur du morceau de bois, images qui s’allient à celles des
noms génériques d’arbres ; chacun peut voir la couleur, la texture, la dureté du
bois concerné, mais s’y ajoutent aussi la sonorité, la musicalité du mot utilisé :
chaque nom d’arbre est aussi un nom propre donné, entre autres, à chaque
baguette. C’est bien l’image du mot, cette fois, qui s’ajoute et répond à l’image
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que le mot a pu faire naître.
Harry est caché derrière tous ces assemblages, où se conjuguent la taille de
la pièce, son essence, la spécificité de l’ajout magique (plume de phénix, crin
de licorne, ventricule de dragon).
« Harry l’essaya, puis une autre encore. Il ne comprenait pas ce que voulait
Mr Ollivander. Bientôt, il y eut un monceau de baguettes magiques posées sur
la chaise en bois mince, mais aucune ne convenait.
Un client difficile commenta Mr Ollivander d’un air satisfait. Mais nous
finirons bien par trouver celle qui vous convient. »
La quête d’identité est confuse : le sujet sait qu’il cherche quelque chose,
mais souvent il ne sait pas comment cela doit se passer. Ici, Mr Ollivander est
un peu comme un analyste (toutes proportions gardées, en particulier, du côté
de la technique et du contexte ! En effet, si Mr Ollivander était un analyste,
plusieurs aspects dans ses attitudes, ses actes, seraient paradoxaux ou contradictoires) qui bombarderait le patient de propositions identitaires. D’ailleurs
Harry ne sait plus trop où il en est. Mais Mr Ollivander, lui, sait. Il est même
satisfait d’être confronté à un exercice un peu difficile. Il n’est pas chagriné
comme le serait un vendeur de chaussures dont le magasin entier aurait été
déballé. Bien sûr, il y a déjà un monceau de baguettes sorties, mais il y en a
encore et toujours, semble-t-il, en réserve. Et ce qui satisfait Mr Ollivander, ne
serait-ce pas, justement, d’avoir à chercher encore et encore mieux ?
Et pourtant, il y a effectivement un savoir, que Mr Ollivander possède, que
ni Harry ni nous lecteurs ne devinons mais que nous enseigne le paragraphe
suivant. Nouvelle tentative : « Voyons celle-ci. Une combinaison originale : bois
de houx et plume de phénix, 27,5 centimètres. Facile à manier, très souple. » La
suite du texte révèle le savoir caché derrière la brusquerie passée des mouvements de Mr Ollivander arrachant des mains d’Harry une baguette pour lui en
tendre une autre : quelque chose ne s’était pas encore produit, quelque chose qui
devait signer l’adéquation recherchée.
« Harry prit la baguette et sentit aussitôt une étrange chaleur se répandre
dans ses doigts. Il la leva au-dessus de sa tête, puis l’abaissa en la faisant siffler
dans l’air. Une gerbe d’étincelles rouge et or jaillit alors de l’extrémité de la
baguette, projetant sur les murs des lueurs mouvantes. »
De même que l’interprétation adéquate entraîne une attitude, un sentiment
d’adhésion, de reconnaissance, de congruence, de même la prise en main de la
bonne baguette se manifeste par une émotion intérieure, une sensation physique
et des images visibles pour tous (enfin, dans le monde des sorciers !), des images
magiques elles aussi, évoquant un peu un feu d’artifice, que plusieurs adjectifs
ou substantifs précisent dans une tonalité mesurée : en particulier « étincelles »
dont la désinence est minorative, « lueurs » dont la brillance est faible et floue
et « mouvantes » qui, se rapportant à « lueurs », amplifie cette notion de flou.
À ce bombardement d’interprétations successivement proposées, non
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suivies de lueur, répond le « mystère » au sens médiéval de mise en scène, l’épiphanie, au sens profane, de la « bonne » baguette, de l’interprétation juste. Du
moins pourrait-on dire qu’il s’agit ici, à notre sens, d’une métaphore éventuelle
de la rencontre efficace. Cette métaphore se réfèrerait à un modèle de
« magasin », de « réserve », qui renvoie aussi à l’agent principal de ce magasin,
celui qui, non seulement sait ce qu’il a en stock mais de plus se rappelle ce qu’il
a eu et, enfin, qui souligne l’individualité spécifique de chaque sujet.
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Cette révélation ne se fait pas à travers des mots directs et autoritaires
adressés à Harry (ces mots qui renverraient à la violence de l’interprétation (1),
dans leur mouvement qui dicterait au sujet le sens de ce qu’il éprouve alors)
mais bien plutôt à travers cette émotion et ces illustrations qui nous atteignent
avec leurs caractéristiques sensibles. Ici, on pourrait même dire perceptibles.
Les mots, c’est à nous lecteurs, qu’ils sont adressés.
L’identité ainsi traduite par des images décrivant une des représentations
possibles d’Harry (ici, comme pour un titre de tableau, on pourrait dire « Portrait
du héros avec baguette ») n’est pas celle d’un sorcier agressif et cherchant à
prendre le pouvoir sur ce qui l’entoure ou à le conserver coûte que coûte mais
celle d’un pré-adolescent ni trop grand ni trop petit, juste comme il est, qui
utilise ce qu’il a à sa disposition pour produire un effet, un effet qui peut être
artistique mais qui ne confine pas pour autant à l’exploit interstellaire, un effet
relativement discret et pourtant émouvant.
Un dernier détail mérite d’être signalé avant de clore l’évocation de cette
scène : Mr Ollivander est ravi, il prépare la baguette d’Harry, pour qu’il
l’emporte, et il s’interroge à haute voix, attirant la curiosité d’Harry à qui il
précise alors : « je me souviens de chaque baguette que j’ai vendue, Mr Potter
(...). Or, le phénix sur lequel a été prélevée la plume qui se trouve dans votre
baguette a également fourni une autre plume à une autre baguette. Il est très
étrange que ce soit précisément cette baguette qui vous ait convenu, car sa sœur
n’est autre que celle qui...qui vous a fait cette cicatrice au front. » Ainsi Mr
Ollivander ajoute-t-il des informations identitaires concernant le traumatisme
initial. Ces informations toutefois se présentent pour Harry plutôt sous forme
d’énigme que de réponse : l’auteur de la cicatrice frontale d’Harry
a-t-il une quelconque parenté avec lui ? La quête d’identité à venir ne concerne
pas seulement le sujet et son rapport avec lui-même mais aussi le réseau dans
lequel il s’inscrit, réseau familial et extra-familial.
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De quelle identité s’agit-il dans ce passage ? Il me semble qu’il est question
des qualités de sorcier d’Harry ; certes, sa baguette se révèle à lui à travers cette
production d’images que les autres baguettes ne permettaient pas. Mais on est
plus enclin encore à penser qu’il s’agit d’une rencontre entre un sujet et sa
baguette et qu’au fond, la baguette révèle ainsi à Harry qu’il est.
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Dans le processus décrit de la recherche de la baguette magique, on a pu voir
que chaque baguette proposée se caractérisait par des aspects perceptifs spécifiques : Harry Potter y allait à la recherche de lui-même par l’essai de chaque
image possible.
Pour nous, lecteurs, comme pour le Harry du livre, se dessinaient ainsi une
ou plusieurs des caractéristiques propres d’Harry, en refusant, tour à tour, celles
qui pouvaient peut-être, a priori, lui être attribuées mais qui, finalement, ne lui
correspondaient pas.
S’il s’agissait d’une recherche de vêtement dans un commerce, le sujet serait
perçu comme extrêmement pointilleux dans ses choix ; pour ce qui est d’Harry,
le jeu en vaut la chandelle, la minutie dans cette épreuve est génératrice de
précision et, en sortant de chez Mr Ollivander, Harry dispose d’éléments
nouveaux sur ses parents, sur lui-même, sur sa cicatrice et ce dont elle est le
signe. Il en a également sur le marchand de baguettes magiques lui-même. Les
sentiments qu’il peut éprouver ne sont pas pour autant uniquement empreints
de satisfaction. La quête d’identité est en cours, loin d’être terminée et un
mélange d’inquiétude, d’excitation, de curiosité, de soulagement, mais aussi
peut-être de fatigue, d’épuisement, de soulagement peut succéder à ce passage.
De quelle maison es-tu?
Un autre type de recherche complémentaire sur ce chemin de la quête
d’identité est proposé par l’auteur dans un autre épisode ; l’existence même de
plusieurs démarches dans ce chemin nous montre d’ailleurs le souci que peut
avoir J.K Rowling concernant ce thème.
Cet épisode est celui de la répartition des élèves selon les quatre maisons de
Poudlard. Ces quatre maisons sont définies par leur nom, évocateur d’un animal
ou d’une idée, correspondant de manière assez globale à une constitution
physique, une attirance psychologique, des capacités naturelles ou encore un
choix de vie.
En arrivant à Poudlard, aucun des nouveaux élèves ne sait à quelle maison
il va appartenir, il peut avoir des désirs, il peut espérer être dans la même maison
que certaines personnes de sa famille ou que certaines personnes connues. Il
peut, au contraire, vouloir intensément ne pas se trouver dans la même maison
que telle personne détestée ou crainte.
Le nouvel élève qu’est Harry ne sait pas non plus comment va se faire cette
attribution. Selon un schéma presque inversé par rapport au choix de la baguette
magique, cette fois-ci, c’est un seul objet qui va passer en revue tous les
nouveaux élèves et s’engager face à chacun d’entre eux. Le terme d’objet,
encore une fois est à la limite de l’inadéquat tant l’objet magique est décrit
comme une « chose » vivante : il s’agit ici du « choixpeau magique ».
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MARIANNE SIMOND • L’ANALYSTE RÊVE-ÉVEILLÉ EN VISITE
CHEZ HARRY POTTER
IMAGINAIRE & INCONSCIENT
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En fait, c’est le titre du chapitre, mais au fil du texte, à une exception près,
seul le mot « chapeau » est utilisé.
La cérémonie de la Répartition va commencer. Les nouveaux élèves se
demandent, s’inquiètent : comment vont-ils être sélectionnés ? des tests ? devant
tout le monde ? En fait voici comment tout ceci va débuter : sur un tabouret,
devant les nouveaux élèves, est posé un chapeau de sorcier, « râpé, sale,
rapiécé ». Dans le silence de l’attention de tous, le chapeau se met à chanter. Son
chant explique la notion de choix. Si chaque baguette pouvait être présentée
comme celle d’une seule personne, le chapeau magique, lui, sert à tous. Si le
« choix » de la baguette magique pouvait se faire selon ce sentiment d’adéquation qui nous a tellement évoqué le sentiment éprouvé face à une
interprétation efficace, cette fois, le choix est entièrement le pouvoir du
chapeau ; notons aussi qu’il choisit pour tous mais ne choisit rien pour luimême. Il ne choisit que pour les autres.
Dans sa chanson, le chapeau expose également les qualités et spécificités
de chacune des quatre maisons et termine en faisant référence au sens : c’est sur
la base de la pensée du chapeau que se fera le choix et non par hasard ou lubie.
Comme le dit le nouvel ami d’Harry : « Alors, il suffit de porter le chapeau ».
Chaque élève, à son tour, s’assied donc sur le tabouret et « après un instant de
silence », le chapeau crie le nom de la maison à laquelle l’élève appartiendra.
La scène de la répartition, avec l’objet médiateur qu’est le chapeau, tiers
séparateur, est une modulation différente du travail de l’identité en
construction : c’est un travail ici qui traite de l’appartenance.
La qualité, les qualités, la variété, la richesse mais aussi ou sinon la solidité,
la cohésion des appartenances à un ou plusieurs groupes de références (groupes
familiaux, groupes de pairs, groupes de travail, entre autres) peuvent être pris
comme repères (qualitativement et quantitativement parlant) de l’insertion
d’une personne.
Pour l’adolescent, à l’aube ou au cours de ce bouleversement, la
construction des appartenances, leurs modifications au fil des changements
sociaux, leur tempo représentent aussi des repères possibles quand on cherche
à évaluer le bien-être, l’évolution du sujet durant cette période (ainsi qu’à
d’autres périodes de la vie d’ailleurs).
L’appartenance est ici désignée comme une inscription, au début des années
de collège, dans un groupe identitaire. Les personnes qui relèvent de chaque
« maison » disposent d’une ou plusieurs qualités communes entre elles. Le
repérage de l’existence de ces qualités est l’œuvre du « choixpeau » magique.
La magie ici relève tout autant de la rapidité avec laquelle ce magicien de tissu
ou de feutre effectue ses pointages et ses déductions que de la capacité à le faire.
En effet, ce genre d’analyse, dans notre monde, demande, lui aussi, beaucoup
de temps et n’est parfois même pas possible, en particulier pour ce qui est de
la dominance d’un trait ou d’une qualité ou d’une combinaison multiforme. Il
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s’agit bien là d’une nouvelle « trouvaille » de l’auteur, aussi bien du côté de
l’idée des « maisons » que du côté du rite qui oriente chacun vers l’une d’elles.
L’existence du « choixpeau » magique est couplée avec celle des maisons. C’est
bien parce qu’est résolue la question de la répartition que peuvent exister les
maisons, telles qu’elles sont ici définies. Inversement, c’est par l’efficacité du
choix effectué que les maisons se vivent comme telles, avec des membres qui
correspondent « effectivement » à ce qui en a été dit, lors du rite initial. Bien sûr,
on peut y voir un artifice d’auteur, perpétuellement reconduit au cours de
l’ouvrage. Il n’empêche... cette cohésion joue un rôle indéniable dans l’évolution d’Harry au cours de son adolescence.
La répartition est publique, c’est d’ailleurs ce qui gêne le plus Harry. Le
texte, en effet, après avoir dit : « Harry eut un haut-le-corps. Des tests ? Devant
tout le monde ? Alors qu’il ne savait pas faire le moindre tour de magie ? »,
poursuit plus tard : « Essayer un chapeau valait beaucoup mieux que d’être
obligé de jeter un sort mais il aurait préféré ne pas avoir à le faire devant tout
le monde ». Et pourtant Harry doit surmonter sa nausée et lorsque son nom sera
appelé, lui aussi, se rendre sur le tabouret, placer le chapeau sur la tête. Sur la
tête ? oui, c’est un chapeau pointu de sorcier...mais on apprend, en fait, quand
le premier enfant appelé met le chapeau, qu’il lui tombe sur les yeux. Lorsque
c’est le tour de Harry, l’auteur nous dit : «(...) le chapeau lui tombe devant les
yeux en le plongeant dans le noir absolu (...)».
La scène se déroule bien devant les regards des autres, les spectateurs que
sont les professeurs et les élèves des années précédentes, les spectateurs –
acteurs que sont les nouveaux élèves, mais le choix se déroule entre l’individu
concerné et le chapeau lui-même. Cette disposition attribue donc bien à chacun
son rôle avec précision : seul est vraiment « impliqué » dans le choix celui qui
est sur le tabouret, tous les autres sont témoins de la répartition. Ils pourront
attester mais peuvent, d’ores et déjà, fixer, au sens photographique, au sens du
développement photographique, l’appartenance de chacun. Ce sont leurs
regards qui ont cette fonction. Ce qui se passe en dehors de leurs regards, les
rêves exprimés avant la Cérémonie, les supputations appartiennent au monde
imaginaire, les regards joints de toutes les personnes présentes font exister la
scène dans la réalité (des sorciers).
J.K. Rowling rappelle ainsi que l’identité se construit d’abord par le regard
des autres, même si l’analyse plus fine montre un jeu de va-et-vient entre
regards du regard et émotions intimes, entre idéal rêvé et perception de la
réalité. Le nom donné à l’enfant, avant qu’il soit en mesure de le prononcer luimême, souligne ce détour par la présence, l’existence de l’autre : il est regardé
et nommé, il est regardé en train d’être nommé.
Le groupe social entend la nomination et l’entérine. Le « choixpeau » (ici)
la prononce. C’est aussi en cela qu’il joue ce rôle de tiers séparateur signalé plus
haut.
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CHEZ HARRY POTTER
IMAGINAIRE & INCONSCIENT
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Dans le cas d’Harry, il nous a fallu, nous aussi, lecteurs, nous mettre dans
le personnage d’Harry qui craint cette cérémonie, qui l’appréhende mais
n’imagine pas d’y échapper, qui s’apprête à affronter ce qu’elle peut représenter
pour lui de mise en « examen » (notre nouvelle terminologie judiciaire joint
maintenant une connotation de jugement possible à celle qui était simplement
exprimée auparavant de la sorte ; cette évolution de notre langue peut enrichir
notre lecture). Il nous a été possible de nous vivre comme spectateurs, parfois
amusés, de la manière dont les autres nouveaux élèves affrontaient l’événement
et dont ils ressortaient, « nommés » pour la durée de leurs études ou de leur vie.
Quand Harry s’installe à son tour sur le tabouret, il va nous être enfin
possible, comme à lui, de savoir ce qui se vit.
Le chapeau sur les yeux, dans le « noir absolu », Harry communique avec
le chapeau. Ce chapeau profond, de tissu ou de feutre, constitue une nouvelle
enveloppe ; bien sûr elle est interface avec l’extérieur mais, du côté intérieur,
elle protège intensément. Cette protection assurée par le chapeau concerne
également l’espace sonore : pour les autres nominations, un instant de silence
précède le prononcé du choix fait. Les pensées ne traversent pas l’épaisseur du
chapeau. Le chapeau protège l’intimité de la pensée. Un « dialogue » s’engage
entre Harry et le chapeau, ce dernier semble examiner les propositions (désirs,
idéaux ?) d’Harry, il semble évaluer des possibilités, imaginer des développements, il finit par faire son choix. Pendant tout ce temps, Harry est, au fond, seul
avec lui-même. Tourné vers sa propre face cachée... tout en se préoccupant de
ce qui sera sa face visible aux yeux de tous, son appartenance, sa maison
d’appartenance.
Ainsi après avoir entendu (cette voix n’est donc pas audible pour les assistants) le chapeau lui énumérer ses qualités et caractéristiques les plus fortes, puis
exprimer son interrogation, Harry répond à cette interrogation, mais comme en
lui-même, sans imaginer tout de suite peut-être (à moins qu’il ne l’espère) qu’il
puisse s’agir d’un « dialogue » télépathique. « Pas à Serpentard, pas à
Serpentard, pensa-t-il avec force. » Cette pensée d’Harry montre également que
l’identification commence parfois (ou souvent,... ou toujours ?) par une contreidentification. En effet, Serpentard est la maison d’appartenance de plusieurs
personnes qui déplaisent à Harry et dont il craint les attaques, même s’il ne les
évalue pas clairement.
La « petite voix » du chapeau (on ne peut s’empêcher de penser à la petite
voix de la « conscience », de Pinocchio ; sur le plan graphique, cela pourrait
correspondre aussi aux petites représentations manichéennes qu’utilise Hergé,
avec le capitaine Haddock, avec Milou, figurant un petit diable et son trident,
bien rouge, ou un autre soi-même, ailé cette fois) exprime alors les deux voies
possibles pour Harry ; le choix, c’est bien lui qui le fait, finalement, en
exprimant quelque chose de l’ordre du désir ou du non-désir ; ici, Harry est
invité à exprimer ce qu’il en est de son désir de puissance, de son désir de
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MARIANNE SIMOND • L’ANALYSTE RÊVE-ÉVEILLÉ EN VISITE
CHEZ HARRY POTTER
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grandeur. La petite voix insiste et tient compte, finalement, de la confiance
d’Harry en des valeurs qu’on pourrait dire morales et qui se préciseront dans
la suite du texte. Le chapeau crie alors le nom de la maison d’appartenance
d’Harry ; toute la salle entend ce nom, Harry l’entend résonner. Il peut ôter le
chapeau.
La cérémonie se termine avec lui : il est le dernier sur la liste alphabétique.
Elle constitue un nouveau miroir tendu à Harry (et au lecteur), dans lequel le
sujet cherche à voir sa propre image en même temps qu’il tend, lui-même, les
éléments nécessaires à l’effet final.
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Sans pouvoir citer tout ce qui fait des livres d’Harry Potter des livres
d’images de l’enfance, de la préadolescence, de l’adolescence, je me bornerai
maintenant à faire allusion à deux éléments plus ou moins fondamentaux dans
la scolarité d’Harry.
Il s’agit d’abord, parmi les matières enseignées à Poudlard, du Cours de
Métamorphose. Le sens de ce mot, changement de forme, appliqué à l’espèce
humaine, caractérise tout particulièrement ce changement qui affecte l’adolescent, même si l’adolescence n’est pas une simple modification de la forme.
Le cours, toutefois, tel qu’il est conduit, enseigne aux jeunes élèves l’effort
particulièrement difficile de se transformer. La métamorphose, plus généralement, caractérise des changements profonds : si on ne les a pas vus se produire
ou si on n’a pas su qu’ils s’étaient produits, on peut ignorer la continuité entre
deux images d’un même sujet : passage du bourgeon à la fleur, de la larve à la
nymphe, de la nymphe à l’imago. Cette recherche du « changement
complet », de sa maîtrise, n’étonne pas chez les sorciers. On se rappelle la
version de Walt Disney du combat de métamorphoses entre l’enchanteur Merlin
et la méchante Mme Mim, combat qui faisait se succéder les idées les plus
brillantes dans l’affrontement possible des espèces, dans lequel les règles
existaient... pour se voir transgressées par cette protagoniste du « Mal ». On se
rappelle aussi comment, dans le Chat Botté, le Chat invite l’ogre du château à
lui montrer ses capacités de transformation et, en particulier, à se transformer
devant lui en souris, pour pouvoir se jeter sur lui et le croquer.
Ce Cours de Métamorphose redouble l’accent mis sur la démarche de transformation, d’auto-transformation à laquelle l’adolescent doit s’atteler.
Le deuxième élément à signaler concerne un autre cours ; dont les professeurs, pour les trois premiers ouvrages, se succèdent chaque année. Il s’agit du
Cours de Défense contre les Forces du Mal. Une bonne partie de l’intrigue
repose souvent sur ce cours et son professeur. Je mentionnerai simplement que,
dans le troisième ouvrage, Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, l’ensei-
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J.K. Rowling, d’inspiration analytique ou psychologique...?
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IMAGINAIRE & INCONSCIENT
gnement dispensé précise avec acuité le travail à effectuer pour construire,
constituer une véritable défense. D’ailleurs, on la voit en action, dans un des
matches du fameux sport des sorciers, le Quidditch. Harry, en danger de mort
à chaque ouvrage, réussit, grâce aux qualités de l’enseignement du professeur,
à trouver une partie des ressources nécessaires dans cette lutte pour la vie.
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Ce qui vient d’être cité, certes de manière très allusive, développe la notion
de combat. Plusieurs modèles existent de cet échange avec l’autre ou avec
l’environnement, qui nécessite une grande énergie, une certaine stratégie, une
motivation non négligeable et qui se situe dans le registre de l’agressivité. Harry
est attaqué, si son énergie se mobilise, c’est pour sa défense ; ainsi se trouve
justifié son propre recours à l’agressivité interne comme force de vie. C’est sous
cet angle qu’est spécifiée la catégorie du désir dans ce registre.
On peut faire le parallèle entre Harry menacé avant même d’en avoir
conscience et Œdipe « exposé », tout bébé, à la demande de ses parents. Cela
nous ramène à la thèse de J. Bergeret dans La violence fondamentale (2). Le
modèle général de violence que développe, à l’encontre d’Harry, celui et ceux
qui veulent sa mort, s’apparente à la réponse à un sentiment de menace définitif
et universel dont l’origine serait attribuée à Harry ou à ses parents.
L’adolescence aussi se développe, à certains de ses virages, dans une
dimension qui se rapproche de la violence fondamentale ; lutte contre les
adultes et leur monde inacceptable, lutte contre des parents qui ne veulent
décidément pas comprendre, lutte contre un environnement où le sujet se
perçoit – ou se vit – sans cesse rejeté.
Mais cette dimension peut nous appartenir aussi à tout âge, comme un
vestige des premiers temps, d’avant la construction qui s’appuie aussi sur la
rationalité. C’est, à mon avis, la raison pour laquelle on peut aussi prendre fait
et cause pour Harry. En fait, une fois la lecture du premier ouvrage achevé, on
sait, en entamant le second, et a fortiori le troisième, que ce combat va avoir
lieu.
Est-ce là la raison fondamentale du sentiment d’appréhension relevé par les
lecteurs ? « J’avais peur », dit un enfant, reparlant de sa lecture et du début, du
milieu de l’ouvrage.
La présence de ce sentiment, qui se précise ou s’intensifie avec l’avancée
dans la série, le travail psychique qui s’effectue autour de lui me paraissent un
des bénéfices incontestables de cette lecture. Avec lui, le lecteur s’affronte à son
propre malaise... grâce au détour par l’imaginaire.
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Le combat pour la vie
MARIANNE SIMOND • L’ANALYSTE RÊVE-ÉVEILLÉ EN VISITE
CHEZ HARRY POTTER
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Dans les livres d’Harry Potter, cette appréhension s’amplifie quand on se
rapproche le plus des dangers qui guettent Harry ou quand ces dangers sont plus
diffus, moins représentables, quand on ne parvient pas à imaginer l’issue
favorable. Elle se dissipe quand on reprend confiance : le héros ne peut pas
mourir. Même si on ne voit pas ce qui contient en germe le dénouement, il y a
un moment où la tension se relâche un peu, on y croit plus facilement. Puis
l’auteur dévoile son propre imaginaire et ses solutions lumineuses.
De son côté, la personne ou l’enfant, qui a accepté d’entrer dans un
processus de cure, en a éprouvé la difficulté mais, au fond, la craint toujours.
Il ne remet pas en question la cure et son cadre. Mais il manifeste, de diverses
manières, combien cela peut lui être difficile. S’il tient bon, c’est l’effet de
l’« alliance thérapeutique » : elle soutient le désir de changement et maintient
le processus en marche.
Dans chaque livre d’Harry Potter, dans chaque étape importante, dans
chaque vie, il y a des moments difficiles, plus ou moins à la limite de ce qui est
supportable. Dans un livre d’Harry Potter, on sait qu’on va les affronter. Le
parcours intérieur qu’on effectue alors, avant, pendant et après cet affrontement
est un modèle (ou un reflet ?) du parcours similaire, dans les passages difficiles
de la cure, dans les périodes de crise de la vie. Ce parcours est un travail
psychique.
En rêve-éveillé, ce patient adulte évoque la présence d’une zone qui vient
d’être ravagée par un tremblement de terre ; il craint de s’y déplacer et cherche
à l’éviter. Elle lui signale un espace de « turbulence », de chaos, qu’il craint
d’éprouver sans pouvoir construire quoi que ce soit ni, peut-être, demeurer
vivant. Il la contourne et s’en éloigne. Il lui faudra de longs mois avant de
pouvoir retourner sur cette même zone (toujours en rêve-éveillé) et affronter ce
qui le menace à ce point. Durant ces longs mois, des séances difficiles se sont
succédé, des douleurs physiques ont pris le relais des difficultés psychiques.
Puis des mises en place de mots, disant le psychique ont pris, à leur tour, le pas
sur ces douleurs. L’acceptation de cette personne de continuer ce chemin, coûte
que coûte (et, ici, cette expression n’a pas seulement un sens financier), est un
des versants de cette alliance thérapeutique. Ainsi, dans les livres d’Harry
Potter, l’engagement du lecteur constitue une métaphore de l’alliance de travail
lors d’une cure et cette métaphore, dans ce qu’elle recèle d’éprouvés, éclaire ou
peut éclairer notre positionnement et nos attitudes de travail.
L’usage des métaphores
Dans ma pratique en analyse rêve-éveillé, les métaphores relèvent aussi bien
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Le parcours de la cure
IMAGINAIRE & INCONSCIENT
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du registre verbal que du registre visuel.
Leur utilisation se fait aussi bien par unités de sens que dans un développement circulaire qui entraîne un large mouvement dans le processus.
Au cours de quelques séances rapprochées avec cette jeune adulte, je relève
diverses expressions métaphoriques, qu’on peut ranger dans la catégorie des
« unités de sens » : l’image d’une « grosse masse, grosse pelote de laine qu’il
faut dénouer », « on ne sait pas par quel bout la prendre » – dans ce déroulé des
mots, on voit aussi se déployer l’image, se transformer l’objet du regard ; on
entend, on voit d’abord quelque chose de gros, la notion de grosseur, une image
de gros objet ; puis se précise celle d’une pelote de laine, et il s’agit alors d’en
dénouer les brins emmêlés, de choisir un fil pour le début du travail.
Cette analysante éprouve que ses émotions la bloquent pour avancer, elle
m’amène à formuler l’hypothèse que ce ne serait pas les émotions qui bloqueraient mais le fait de les laisser bien contenues dans un coin, faisant « bloc».
L’analysante associe, en image : « oui, je suis trop prise dans la tourmente »,
redonnant au cortège de ses émotions une forme vivante quoique effrayante ;
elle est alors escortée, entourée par cette bourrasque et la métaphore utilisée
traduit bien qu’elle ne peut encore objectiver ses émotions.
L’hypothèse inverse ou complémentaire a été également abordée avec
l’image d’un torrent que l’analysante craindrait de laisser s’écouler et déborder.
Effectivement, elle peut verbaliser les efforts importants qu’elle fait pour se
contrôler, ne rien laisser paraître... mais à un moment, ce contrôle n’est plus
efficace et «ça envahit tout ».
Dans ces enchaînements ou dans l’utilisation isolée de métaphores en
séance, les mots et les contenus visuels se répondent et s’entrecroisent et c’est
de leur conjugaison que s’enrichit le travail du sens.
Une utilisation de la métaphore de manière beaucoup plus large, à l’instar
de la recherche de baguette magique ou de la cérémonie de la Répartition précédemment relatée, peut être illustrée par ce jeu d’enfant, en séance : il s’agit, pour
cette fillette de placer tous les animaux que contiennent les corbeilles (il y a la
cohorte des animaux préhistoriques puis toute une série d’animaux de la ferme,
des bois, de la jungle, de la savane). Elle les place en une sorte de flot, des
rangées de quatre ou cinq animaux qui se suivent et dessinent une forme
sinueuse. Elle dit : « mais aussi, il fallait qu’ils se mettent bien en ordre parce
que, après, le chef, il les voyait plus. Les trois premiers, ils étaient comme ça
(un peu espacés) et après, les autres, derrière, ils étaient bien serrés. »... « Ils
étaient beaucoup »... « Surtout, il ne fallait pas mettre les animaux calmes avec
les animaux pas calmes, parce que, sinon, c’était dangereux. Ils allaient se
disputer et ça n’allait pas. »... « Et il fallait qu’il y ait des grands qui protégeaient
les petits et puis il y en avait qui étaient dans le rang, qui n’arrêtaient pas
d’avancer avant les autres, parce qu’ils voulaient être les premiers. »... « Il
mange la queue de l’autre. Il a tellement faim que... »... « mais il s’avait arrêté
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parce que sinon... »... « Et puis, il y en avait, ils voulaient se mettre tellement
collés à l’autre ; parce qu’ils avaient tellement peur que les autres qui étaient
derrière leur mangent la queue. Alors voilà, ils étaient bien collés à l’autre...
Puis, il leur attrapait la queue des fois. (...) Ils partent à la terre des nids. »
Cette petite fille, confrontée à des deuils dans sa famille, très attachée à ses
parents et, en particulier, à sa mère, manifeste avec insistance sa peur de
l’inconnu.
Dans ce jeu, qui s’apparente au rêve-éveillé d’un adulte, elle met en place
la métaphore de la vie, du déplacement, du parcours, puis celles de différents
aspects de la vie sociale, elle y exprime alors enfin ce qui semble au nœud de
ses angoisses, l’angoisse de la mort, l’angoisse de castration, l’agressivité
comme pulsion, comme énergie qui anime... mais il faut briser les lignes droites,
détourner le regard désapprobateur du Sur-Moi, pour autoriser cette
expression.
Dans un tel exemple, les animaux utilisés, images individualisées, sont
organisés par l’enfant qui orchestre et effectue leur positionnement, leurs
actions, qui, également, traduit en mots ce qu’elle représente concrètement,
sous nos yeux à toutes deux et, enfin, qui éprouve, qui vit ce qu’elle met en
scène. Elle ne le vit pas au premier degré, mais avec suffisamment d’intermédiaires (les animaux, la séance-cadre), pour que ses éprouvés lui soient
acceptables (elle se donne le droit de vivre le jeu, elle rit quand l’animal mord
la queue de celui qui le précède) et pour qu’ils soient représentables par le biais
des mots qu’elle utilise. Elle me communique en effet des éléments forts,
concernant le sens, qui permettent d’avancer, ensemble, sur le chemin d’un
retour sur ce qui fait problème, d’un retour vers l’origine (le pays des nids) de
son mal-être.
Avant de prendre congé
Le détour par l’imaginaire auquel je me suis sentie conviée par J.K. Rowling
m’a amenée jusqu’ici, où il prend fin, pour ce qui est du cadre qui est le nôtre.
Ma visite d’analyste chez Harry Potter, guettant derrière ce héros, la personnalité, les ressorts et l’imagination de son auteur, m’a permis d’y trouver de
nombreux points communs avec tout ce qui fait notre quotidien, en analyse
rêve-éveillé tout particulièrement.
Ce qui était ainsi également détour, dans le cheminement habituel des livres
didactiques de notre métier, fait une large place au plaisir, de lire, de découvrir,
d’imaginer, de relier, de retrouver. Malgré ses connotations parfois négatives,
je ne parviens pas à dévaloriser cette notion du détour.
Le Dictionnaire Historique de la Langue Française (5) nous précise que le
mot a d’abord désigné un lieu écarté, une cachette « avant de se rapporter à
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MARIANNE SIMOND • L’ANALYSTE RÊVE-ÉVEILLÉ EN VISITE
CHEZ HARRY POTTER
IMAGINAIRE & INCONSCIENT
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l’endroit où un chemin, une rivière change de direction (...) et à un chemin qui
éloigne du chemin direct ».
Notre choix de privilégier le détour, tant pour retrouver des croisements
oubliés que pour sortir du présent actuel, répond aussi à l’écriteau d’un des rêves
de Freud : « on est prié de fermer les yeux ». R. Dufour (3) cite, en effet, cette
indication à laquelle souscrit le rêve-éveillé : les yeux fermés, nos images
naissent et se développent. Si nous les disons en mots, l’espace de la représentation est alors en pleine effervescence, s’y pressent des figurants en
costume, les mots habillés par la grammaire et les accords, des acteurs qui se
prennent au jeu des émotions et de la mise en scène, les images et agencements
d’images, mis en mots, un metteur en scène et ses assistants, dont la présence
s’entend au creux des silences et dans les successions. L’analyste présent
recueille ce dire et ces images et les tableaux qu’ils forment, leurs séquences.
Un travail alors commence, le travail du psychique, celui que je voyais à
l’œuvre chez le lecteur d’Harry Potter, le travail de ce couple analytique dont
l’objectif est la transformation, la succession de transformations, une autre
métamorphose. Ce « projet (...) analytique » réunit « trois termes indéfectiblement liés : le voir, le vivre et le verbe, simultanément présents dans
l’expérience du “rêver-éveillé” (...)» (4).
Marianne SIMOND
Psychologue
Psychanalyste rêve-éveillé
87 rue Nicolas Chorier
38000 Grenoble
BIBLIOGRAPHIE
(1) AULAGNIER P. (1975). La violence de l’interprétation. Paris : P.U.F., 363 p.
(2) BERGERET J. (1984). La violence fondamentale. Paris : Dunod, 251 p.
(3) DUFOUR R. (1978). Ecouter le rêve. Paris : Laffont, 352 p.
(4) FABRE N. (1985). Le rêve-éveillé analytique. Toulouse : Privat, 223 p.
(5) REY A. (Sous la direction de). (1992) Dictionnaire Historique de la Langue
Française. Paris : Robert, 2 391 p.
(6) ROWLING J.K. (1998). Harry Potter à l’école des sorciers. Paris : Gallimard
jeunesse, 307 p.
ROWLING J.K. (1999). Harry Potter et la chambre des secrets. Paris : Gallimard
Jeunesse, 364 p.
ROWLING J.K. (1999). Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban. Paris : Gallimard
Jeunesse, 465 p.
ROWLING J.K. (2000). Harry Potter et la coupe de feu. Paris : Gallimard Jeunesse,
656 p. Traductions de l’anglais par Jean-François Ménard.
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102
MARIANNE SIMOND • L’ANALYSTE RÊVE-ÉVEILLÉ EN VISITE
CHEZ HARRY POTTER
103
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Résumé: L’analyste rêve-éveillé, à la lecture des ouvrages de
J.K. Rowling ne peut manquer de remarquer et d’apprécier le
travail de la métaphore effectué par l’auteur.
Le thème de la quête de l’identité, pour Harry Potter, préadolescent au début de la série, illustre, de manière approfondie
et variée, des étapes vécues, dans le cours normal de la vie et, en
particulier, au cours de l’adolescence. Deux exemples du travail
de la métaphore sur ce thème sont détaillés : la recherche de la
baguette magique et la cérémonie de Répartition qui oriente le
héros en le nommant et lui donne un groupe d’appartenance.
Deux autres exemples, dont les évocations pourraient être
sources de développements importants, sont signalés.
En rêve-éveillé, le travail de la métaphore s’exerce de manière
isolée, au décours des échanges ou, dans une dimension plus
globale et plus puissante, dans une construction dont l’ensemble
se déploie, se ramifie et se gonfle de sens. Quelques exemples
cliniques illustrent cette proposition. Cet appel à l’imaginaire,
détour dans un premier mouvement, se révèle le creuset d’une
conjugaison possible entre le Vivre, le Voir et le Verbe.
Mots-clés: Adolescence – Détour – Images – Identité –
Métaphore.
Marianne Simond – The awakened dream analyst
visiting Harry Potter
Summary: When reading J.K. Rowling, the awakened dream
analyst can’t miss noticing and evaluating the metaphoric
work of the author. The theme of identity quest, for Harry
Potter, a pre-teen at the beginingof the story, illustrates, in a
varied and deep manner, the steps lived in the normal course
of life, particulary, during the adolescence years. Two
examples of the metaphoric work on this theme are told in
details : the quest for the magic wand and the Repartition
ceremony that orients the hero, naming him ang giving him a
group. Two other examples, which evocations could be
sources of further developments are given. In the awakened
dream, the metaphoric work is practiced in an isolated manner, by means of a construction which ensemble is spreading
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Marianne Simond – L’analyste rêve-éveillé en visite
chez Harry Potter
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IMAGINAIRE & INCONSCIENT
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out, branching out and inflates with meaning. A few clinical
examples illustrate this proposal. This call to the imagery,
detour in a first move, reveals itself the crucible of a possible
confluence of the Living, the Seeing and the Wording.
Key-words: Teenage years - Detour - Images - Identity Metaphor.
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