Uploaded by hugo Beaulieu-Camus

Hugo Faïences

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Le mot « faïence » tire son origine de Faenza, petite ville d'Italie située au pied des
Apennins, qui fut, à partir du XVe siècle, le centre d'une
fabrication céramique renommée dont la diffusion en Europe se trouva favorisée par
le mouvement de la Renaissance. Les historiens réservent donc le nom de faïence
au genre particulier de céramique qui se faisait à Faenza : une poterie tendre et
poreuse recouverte d'un enduit opacifié par addition d'oxyde d'étain (l'émail
stannifère). Mais les techniciens étendent le nom de faïence à toute poterie poreuse
portant un enduit imperméable, quel qu'il soit.
L'expression française « faïence fine », bien que reconnue par l'usage pour désigner
une poterie dure et imperméable, sous vernis plombeux, principalement de couleur
crème (cream-ware), prête à confusion, puisqu'il s'agit d'une tout autre catégorie de
céramique.
Le mot « majolique » (maiolica) est le synonyme de faïence. Il apparut dès la fin
du XVe siècle, en Italie, et désignait alors les faïences à lustre métallique qui étaient
importées d'Espagne, de Malaga et de Valence par les navires majorquais. En Italie,
le mot de majolique est employé par extension, de manière générique, pour toute
faïence. En France et dans d'autres pays d'Europe, il désigne spécialement la
faïence italienne de la Renaissance.
Faïence : foyers de fabrication
L'art de la faïence fut connu de bonne heure dans les pays islamiques du Moyen et
du Proche-Orient, particulièrement en Perse, en Mésopotamie, en Syrie et en
Égypte, d'où il se diffusa vers l'Afrique du Nord et l'Espagne. L'Italie, à la
Renaissance, et la France, au XVIIIe siècle, imposèrent à l'Europe leur conception
nouvelle du décor céramique. L'Angleterre, grâce à des trouvailles techniques,
perfectionna la faïence fine, dont l'importation massive, à la fin du XVIIIe siècle,
concurrença les grandes faïenceries du continent et précipita leur déclin.
Les techniques
La faïence est faite d'argile plastique additionnée de sable et de marne calcaire, qui
doit subir les opérations habituelles à toute pâte céramique : lavage, pétrissage,
façonnage à la main, sur le tour ou à l'aide de moules, et cuisson dans des fours
conditionnés, suivies d'un émaillage propre à la faïence. Celui-ci a lieu après une
première cuisson légère dite « en dégourdi », soit par arrosage, soit, plus souvent,
par immersion totale de l'objet dans un bain d'émail semi-liquide qui se dépose alors
en couche uniforme. Cet émail, fait d'un mélange à base d'oxyde de plomb et d'étain
en proportions variables, est originairement blanc et d'autant plus blanc qu'il est plus
chargé d'étain. Mais il peut aussi être teinté dans la masse. Certaines faïences sont
revêtues, après émaillage, d'un lustre à reflets métalliques obtenu par la formation
d'une mince pellicule superficielle d'oxydes de cuivre et d'argent au cours d'une
cuisson particulière en atmosphère réductrice (sans oxygène, toutes issues du four
obstruées). L'émail stannifère opaque dissimule les impuretés ou la coloration de
l'argile qui forme le corps de la poterie. Imperméable, il assure l'étanchéité des
pièces et se prête, en outre, à recevoir un décor peint à l'aide d'oxydes métalliques,
qui sera fixé par la cuisson.
On distingue deux modes essentiels d'application du décor, l'un sur émail cru, l'autre
sur émail préalablement cuit. Le décor sur émail cru n'admet que des couleurs
capables de supporter la température de cuisson dite de grand feu (env. 750 à
900 0C), nécessaire au durcissement de l'émail. Ce sont le vert tiré de l'oxyde de
cuivre, le violet de l'oxyde de manganèse et le bleu de l'oxyde de cobalt, auxquels
s'ajoutent le jaune d'antimoine et le rouge de fer. Le rouge est rare dans le décor des
faïences de grand feu, car il brunit ou se volatilise dès que la cuisson est un peu
forte. Les potiers essayèrent de le remplacer par une argile rouge connue au Moyen
Âge sous le nom de « bol arménien ». Le décor peut être enduit d'une « couverte »
cristalline superficielle qui avive et fond tout à la fois les couleurs (la coperta des
Italiens ou le kwaart des Hollandais).
Le décor sur émail cuit, d'un maniement plus facile, est fixé à l'aide d'un fondant au
cours d'une seconde cuisson à moindre température, grâce à l'emploi de fours à
réverbères ou à moufles. On la dit cuisson au petit feu, par opposition à la
précédente, ou encore cuisson au feu de moufle. Elle autorise une palette plus
étendue et plus nuancée, comportant toute la gamme des roses tendres et des
rouges vifs tirés de l'or (pourpre de Cassius), et l'application de dorures.
La seconde cuisson avait déjà été employée en Perse au XIIIe siècle. En Europe, le
passage du décor au grand feu sur émail cru au décor au petit feu sur émail cuit
s'effectua graduellement au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle. Des essais
partiels furent faits en Allemagne par les peintres à domicile (Hausmäler) en
corrélation avec le travail du verre et des grès, en Hollande dans le but d'imiter les
porcelaines du Japon, en Italie pour poser des rehauts de dorure. L'usage d'un
décor entièrement exécuté au petit feu ne se généralisa que dans la seconde partie
du XVIIIe siècle et sans que fussent jamais abandonnés les procédés traditionnels.
Le monde islamique : Moyen-Orient et
Espagne
Frise des Archers
On s'accorde en général à attribuer aux Babyloniens l'invention d'un enduit opacifié
par l'oxyde d'étain que les Perses adaptèrent au décor architectural dans les
grandes frises de briques émaillées des palais de Suse et de Persépolis vers 550
avant notre ère.
Coupe d'époque seldjoukide, Kashan (Iran)
Les civilisations musulmanes donnèrent un grand essor à l'art céramique. En
Mésopotamie, aux IXe et Xe siècles, sous les Abbassides, héritiers des Perses,
l'usage de l'émail stannifère et du lustre métallique s'était établi ; les trouvailles faites
à Samarra et à Rakka en témoignent. Les champs de fouilles de Fostat et de BeniHassan, en Égypte, ont aussi livré des poteries lustrées de qualité datant de
l'époque des Fatimides (969-1171), mais elles sont plus souvent de texture siliceuse
blanchâtre qu'à émail stannifère. Aux XIIe et XIIIe siècles apparurent des techniques
plus élaborées ; les premières peintures de tableaux animés sur émail stannifère,
scènes de chasse ou illustration des légendes, s'inspirent des miniatures
contemporaines et sont peut-être l'œuvre des mêmes artistes. L'emploi d'une palette
vive rehaussée d'or implique la connaissance des procédés de cuisson au petit feu.
Les meilleures faïences de ce genre dit mina'i (de l'anglais enamel, émail) ont été
trouvées en Perse, à Sava, à Kashan et surtout à Rayy.
Façades en azulejos à Guimarães, Portugal
L'expansion islamique en Afrique du Nord et en Espagne favorisa l'immigration dans
ces pays de nombreux artisans venus d'Iran et de l'est de la Méditerranée. Les
fouilles faites dans la région de Valence, à Paterna principalement, ont livré non
seulement de nombreux tessons de faïence à décor vert et violet, mais aussi des
restes de fours prouvant l'existence d'un centre de fabrication important dès
le XIIIe siècle. On signale aussi la présence en Espagne du Sud de poteries à lustre
métallique dont quelques fragments ont été trouvés dans la région de Cordoue,
à Medina az-Zahra, la cité fondée en 936 par Abd er-Rahman. Le décor de ces
premières céramiques « hispano-mauresques » est de style nettement orientalisant,
islamique, et l'usage de l'argile sous émail stannifère (d'une véritable « faïence »),
favorisé par la présence sur place de mines d'étain, se généralisa immédiatement.
En Andalousie, dans le royaume musulman de Grenade, les villes d'Almería, de
Murcie, de Malaga étaient réputées dès le XIIe siècle pour leurs poteries dorées (obra
dorada). La fabrication de faïence, stimulée par les nécessités du décor de
l'Alhambra de Grenade, commencé en 1273, prit bientôt un grand développement.
Les ateliers régionaux durent fournir d'importants revêtements de carreaux, soit unis,
posés en mosaïque (alicatados), soit portant chacun son décor peint d'abord en bleu
(azulejos). On leur doit certainement les célèbres vases de l'Alhambra ornés
d'arabesques et d'animaux stylisés tracés en bleu et or sur fond d'émail ivoiré. Après
la chute de Malaga (1487) et de Grenade (1492), les ateliers de céramique se
propagèrent en Espagne catholique. Ils connurent un nouvel essor aux environs de
Valence – Manises. La production d'une faïence à reflets métalliques se poursuivit
aux siècles suivants, aussi abondante mais de moindre qualité. Elle se répandit vers
le nord de l'Espagne, dans toute la province d'Aragon et en Catalogne,
principalement à Barcelone et à Reus, d'où elle passera en France, à Narbonne. Les
ateliers de Séville-Triana, du XIVe au XVIe siècle, fabriquèrent un nombre considérable
de grands carrelages et revêtements muraux, les uns peints, lustrés ou non, les
autres à décor cloisonné par des lignes en réserve (cuerda seca) ou en relief (de
arista).
La majolique italienne
En Sicile et en Italie, comme en Espagne, l'art de la faïence à ses débuts est
tributaire des civilisations du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Les nombreux
tessons à décor vert et violet trouvés à Orvieto et en maints autres lieux
s'apparentent à ceux de Paterna, près de Valence, et peuvent également dater
des XIIIe et XIVe siècles.
La Vierge de la Roseraie, L. Della Robbia
La majolique italienne, faïence décorée au grand feu, devint à la Renaissance un
produit de luxe, Florence, patrie des Della Robbia, et Faenza, sous le règne des
Manfredi, furent les deux premiers centres créateurs. Dès le début du XVIe siècle,
l'apogée était atteint ; il y avait alors à Faenza plusieurs fabriques renommées,
notamment celle des Bergantini et celle des frères Piroti, la célèbre Casa Pirota. On
leur doit des tableaux sur faïence d'une extraordinaire habileté (décor a istoriato),
parfois peints sur un fond d'émail délicatement teinté en bleu au cobalt, dit a
berettino.
Les artisans de Faenza s'installèrent à Forli, à Ravenne, Rimini et Pesaro.
À Sienne était établi, vers 1503, un Maestro Benedetto de Faenza. À Cafaggiolo,
près de Florence, Pierre Médicis avait installé une faïencerie dans son propre
château, et, en 1506, elle était dirigée par les frères Pietro et Stephano Fattorini,
venus de Montelupo. La fabrique de Deruta, en activité au XVe siècle, et celle de
Gubbio se firent une spécialité des faïences lustrées à l'instar de celles d'Espagne. À
Gubbio, Maestro Giorgio Andreoli dut son succès à la possession d'un procédé de
lustre métallique rouge rubis qui pouvait s'appliquer sur des majoliques peintes dans
d'autres fabriques. Dès 1510-1520, les peintres de Casteldurante, Giovani Maria et
Nicola Pellipario rivalisaient avec ceux de Faenza dans l'exécution de somptueux
services destinés aux cours princières. À Urbino, de nombreux peintres sur faïence,
dont le prolifique Xanto Avelli, qui a signé des majoliques entre 1530 et 1542,
reproduisirent sur des vaisselles de luxe les compositions célèbres de Raphaël et de
ses émules, déjà popularisées par la gravure. Aux environs de 1565-1570, les
Fontana, descendants des Durantins, et les Patanazzi exécutèrent pour les ducs
d'Urbino de grandes pièces décoratives aux formes baroques surchargées de reliefs.
Mais, à la même époque, les potiers de Faenza, tel Virgiliotto Calamelli, mirent à la
mode la faïence blanche (bianchi di Faenza) simplement décorée de quelques
touches de jaune et de bleu (a compendiario), qui fut imitée en Italie et dans tout le
reste de l'Europe. À Venise, des décors d'un goût nouveau influencé par les
porcelaines de Chine ou de caractère naturaliste furent créés par Domenico da
Venezia.
Faïence hispano-mauresque et majolique italienne sont à l'origine de toutes les
faïences européennes. Des artisans espagnols furent appelés en France dès
le XIVe siècle ; au XVIe siècle, de nombreux Italiens suivirent Girolamo Della Robbia,
appelé par François Ier. Des potiers italiens s'établirent à Lyon et à Nevers où ils
fondèrent les premières faïenceries de France. Ce sont encore les Italiens qui
complétèrent la formation des maîtres français, Masseot Abaquesne à Rouen,
Syjalon à Nîmes et Pierre Estève à Montpellier. Vers 1510, un potier de
Casteldurante, Guido Andries dit Guido di Savino, s'était installé à Anvers où il forma
des disciples qui gagnèrent les Pays-Bas du Nord et du Sud et l'Angleterre.
La faïence aux XVIIe et XVIIIe siècles
Au XVIIe siècle, l'Espagne (Talavera de la Reyna, Puente del Arzobispo, Muel,
Lerida), le Portugal (Lisbonne) et l'Italie (Naples et Castelli, Gênes, Albissola et
Savone) continuèrent à produire d'innombrables faïences, mais ces différents
centres ne jouèrent plus qu'un rôle secondaire ; de nouveaux foyers créateurs se
constituaient : les Pays-Bas avec Delft, la France avec Nevers. Tout l'art de la
faïence en Europe se trouva régi désormais par deux grands courants stylistiques,
d'une part la longue permanence du style classique italien de la Renaissance
(particulièrement sensible à Nevers) et, d'autre part, l'apport oriental. Ce dernier,
toujours latent dans l'art céramique, se cristallisa en quelque sorte à Delft avec
l'importation massive des porcelaines de la Chine et du Japon par les compagnies
des Indes.
À Delft, l'épanouissement de l'art de la faïence commença vers le milieu
du XVIIe siècle. À cette première période appartiennent les plus parfaites peintures :
marines, paysages, sujets bibliques, portraits de style européen, exécutées en
camaïeu bleu par des maîtres comme Abraham de Cooge et Van Frijtom. Les
porcelaines d'Extrême-Orient, bleu et blanc de la Chine, rouge et or du Japon,
fournirent une inépuisable source d'inspiration aux potiers de Delft qui en ont donné
d'excellentes interprétations ; les delfts dorés rivalisent avec leurs modèles
orientaux. Les fonds de couleurs et les précieux delfts noirs apparurent dès les
dernières années du XVIIe siècle. On fabriquait aussi des faïences dans plusieurs
villes de Hollande, Rotterdam, Gouda, Arnhem, Makkum, etc., et en Belgique à
Bruxelles, à Tournai. À partir du milieu du XVIIIe siècle, il s'agit d'une production plus
ordinaire, notamment des faïences exécutées spécialement pour la France, connues
sous le nom de delfts français, des faïences de propagande orangiste ou des delfts
paysans.
Dès le XVIIe siècle, l'influence des Pays-Bas s'imposa aux fabriques allemandes ;
Hambourg, Hanau, Francfort imitèrent Delft fidèlement, et le nom même
de delftware, devenu un terme générique pour désigner la faïence anglaise (Bristol,
Liverpool), dit bien son origine.
À Nevers, l'association des potiers italiens, les trois frères Corrado, dits Conrade, fut
reconnue en 1603 par le roi Henri IV qui leur accorda un privilège de trente ans. Peu
après 1630, d'autres fabriques s'établirent, dont celle renommée de Pierre Custode.
Sans que fût abandonnée la tradition italienne, un goût nouveau se répandit sous
l'influence des romans à la mode, comme L'Astrée d'Honoré d'Urfé, et les œuvres
des ornemanistes français. Les faïences à fond bleu lapis, les célèbres bleus de
Nevers, peints en blanc fixe et jaune, restèrent en faveur jusqu'au XVIIIe siècle.
Nevers fit comme Delft des « décors chinois » inspirés par les porcelaines
d'Extrême-Orient. Les fabriques de Nevers travaillèrent pendant tout le XVIIIe siècle
grâce à la production massive de faïences communes, faïences « parlantes » à
inscriptions, faïences commémoratives patronymiques, faïences décorées
d'emblèmes révolutionnaires, imitées dans toute la France.
À Rouen, le privilège de cinquante ans accordé à Nicolas Poirel, sieur de Grandval,
fut enregistré par le Parlement le 29 février 1648 ; à cette date, Grandval l'avait déjà
affermé à Edme Poterat, dont l'un des fils, Louis, obtint un second privilège en 1673.
Mais à l'extinction du privilège des Poterat, de nombreuses fabriques purent s'ouvrir.
La faïence de Rouen, après l'influence de l'Italie, subit fortement celle de Delft et de
Nevers (style « hollando-chinois »). C'est à la fin du XVIIe siècle que se constitua le
système d'ornementation original connu sous le nom de style rayonnant,
caractéristique de la faïence rouennaise. Rouen adopta également le « décor
chinois », dont l'apogée se situe entre 1720 et 1750, et, vers 1740, le « style
rocaille » alors en vogue.
L'influence de Nevers et de Rouen est très sensible dans de nombreuses fabriques
françaises, Paris, Saint-Cloud, Moulins, Sinceny, Lille, Saint-Omer et Saint-Amand,
Rennes et Quimper, Saintes et La Rochelle, etc.
Dans le midi de la France, l'industrie de la faïence est dominée par deux
centres, Moustiers et Marseille, dont l'activité se développa simultanément vers 1675
sous la direction des deux fils d'Antoine Clérissy, Pierre et Joseph. Les Clérissy
produisirent une belle faïence décorée en camaïeu bleu, dans la tradition classique,
de tableaux encadrés de bordures rayonnantes. Vers 1700, un gracieux décor de
grotesques, emprunté aux ornemanistes Jean I et II Bérain, se généralisa. Le décor
polychrome fut introduit à Moustiers par Joseph Olérys lorsqu'il s'y établit en 1738. À
Marseille, chez Madeleine Héraud et son fils Leroy, chez les Fauchier, le décor au
grand feu atteignit une rare perfection. Les faïences de Lyon, de Montpellier, de
Toulouse, celles de Bordeaux, de Samadet et de nombre de petites fabriques du
midi de la France s'apparentent aux œuvres de Moustiers et de Marseille. On
remarque de grandes ressemblances entre les faïences du midi de la France et
celles de l'Espagne, car le Marseillais Joseph Olérys, avant de s'installer à
Moustiers, avait été appelé à fonder la fabrique du comte d'Aranda à Alcora en 1727.
Alcora fit de luxueux décors Bérain polychromes et des décors à grotesques, ainsi
que de délicats tableaux classiques dus au pinceau de maîtres tels que Miguel
Soliva et Vincente Ferrer. En Italie aussi des décors Bérain très proches de ceux de
Moustiers furent exécutés, principalement dans les fabriques de Lodi et de Turin.
Pendant la première partie du XVIIIe siècle, ce fut le goût français qui prédomina dans
l'art faïencier européen. Les fabriques allemandes de Nuremberg et de Bayreuth
créèrent un modèle germanique de feuillages et d'entrelacs (Laub und Bandelwerk)
dérivé du style rayonnant de Rouen : celui-ci se répandit à Anspach, puis gagna
Durlach, Rudolstadt, Dorothental, etc. Des artisans allemands l'introduisirent en
Scandinavie, à Copenhague, à Rörstrand. Toutes ces fabriques du Nord, ainsi que
celles de la Suisse, exécutèrent des poêles en faïence.
À partir du milieu du XVIIIe siècle, la généralisation du décor au petit feu permit à la
faïence de rivaliser avec les porcelaines à la mode. Dans toute l'Europe, à l'influence
française persistante, s'ajouta celle de l'Allemagne et de ses décors de fleurs au
naturel (deutsche Blümen). Ceux-ci furent introduits en France par l'intermédiaire
de Strasbourg, où plusieurs peintres sur porcelaine de la famille Löwenfinck, venus
de Saxe, arrivèrent en 1748 et 1749. La faïencerie de Strasbourg, fondée et dirigée
par les Hannong, Charles François (1709-1740), Paul (1740-1760), Pierre (17601762) et Joseph (1762-1781), prit alors la première place. La fabrique de Niderviller,
établie par le baron de Beyerlé vers 1750, celles de Lunéville, de Saint-Clément, des
Islettes l'imitèrent. À Sceaux, dès 1738, on utilisa sous la direction de l'habile
chimiste Jacques Chapelle des procédés techniques très avancés ; comme celles
d'Aprey et de Meillonas, les faïences de Sceaux s'apparentent à la fois à celles de
Strasbourg et à celles de Marseille.
La « façon de Strasbourg » gagna à son tour toute l'Europe : en Allemagne même, à
Frankenthal, dont la fabrique appartint aux Hannong jusqu'en 1762, à Fulda, à
Höchst, à Louisbourg, à Kunersberg, etc., en Suisse (à Zurich et Lenzbourg), en
Hongrie (à Hölistcht), dans la région de la Baltique (à Kiel) et en Scandinavie, où
l'importante fabrique de Marieberg fut dirigée tour à tour par l'Allemand Ehrenreich
(1748) et par le Français Berthevin (1766). L'influence de Strasbourg s'unit à celle de
Marseille dans la plupart des fabriques italiennes adonnées au décor au petit feu : à
Gênes, à Savone, où travailla Giacomo Boselli, à Pesaro, à Milan chez Felice Clerici
comme chez Pascale Rubati. Faenza, enfin, connut un regain de prospérité dans le
dernier tiers du siècle, au temps du comte Ferniani.
La faïence moderne
Au XIXe siècle, les circonstances économiques devinrent de plus en plus
défavorables à l'art de la faïence qui ne répondait pas aux goûts et aux besoins des
sociétés modernes attachées aux perfectionnements techniques. Avant la fin
du XVIIIe siècle, les procédés de décor par impression (report direct d'une épreuve
imprimée avec des matières se fixant par l'action du feu), introduits d'abord en
Angleterre et au Danemark, avaient ouvert la voie à la fabrication mécanique.
L'intérêt pour les arts d'Extrême-Orient, particulièrement marqué dans l'art
céramique, la connaissance des poteries chinoises des hautes époques devaient
orienter les recherches des potiers européens du XIXe siècle plutôt vers les
céramiques dures, tels les grès et les porcelaines, que vers la faïence. Mais, d'autre
part, l'émail stannifère attirait les peintres, surtout les peintres français ; Odilon
Redon, Renoir, Maurice Denis, Rouault décorèrent des faïences dans l'atelier du
sculpteur-céramiste André Methey à Asnières. Cette « faïence de peintres », révélée
au salon d'automne de 1907, a conservé la faveur de Pablo Picasso et de ses
imitateurs, tandis que les traditions artisanales survivent dans diverses régions.
— Jeanne GIACOMOTTI, Henry-Pierre FOUREST
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