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Cours Politique étrangère

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ILERI
COURS POLITIQUE ETRANGERE L3
Elaboration et conduite de la politique étrangère
Trois cas, France, Etats-Unis et Chine
Année 2023-2024
I – Présentations
Enseignant / étudiants
Christian Ramage : diplomate de carrière, postes à New York, Hong Kong,
Karachi (consul général), directeur de la Sécurité diplomatique (2013-2017) et
ambassadeur de France au Brunei Darussalam (2013 – 2017). IHEDN, 56ème
session nationale - Formateur en interne à la note de synthèse et à l’épreuve
de « grand oral », membre des jurys de concours du Quai d’Orsay depuis 20
ans, catégorie A, B et C, i.e. à tous les niveaux de recrutement du ministère, soit
4 niveaux jusqu’à A+, administrateur de l’Etat. En 2024, présidence des jurys de
catégorie B du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, secrétaire de
chancellerie et secrétaire de systèmes d’information et de communication.
Enseignements également à Sciences Po Lyon, Master2 AFASIA et Université de
Lyon, Master2 Relations internationales, Diplomatie/RID, cours « Diplomatie et
Protocole ».
D’où une expérience et un parcours professionnel pouvant permettre de
prodiguer des conseils à des étudiants intéressés par des carrière dans le
domaine des relations internationales, de la Défense ou de la Diplomatie.
Etudiants : quelles études, quels buts professionnels ? Ces éléments sont utiles
pour mieux échanger avec les étudiants, comprendre leurs attentes et
éventuellement adapter le cours en fonction de ces dernières.
Pourquoi ce cours ? « Quand ce cours m’a été proposé par l’ILERI, j’ai accepté
avec plaisir car je pense pouvoir apporter à des étudiants en relations
internationales mon expérience de 41 années de carrière diplomatique, au
cours de laquelle j’ai exercé des fonctions très variées et à tous les niveaux de la
hiérarchie du ministère, rédacteur, chef de bureau, chargé de mission, sous-
directeur, directeur, consul général, ambassadeur. Et, de manière plus générale,
je suis un praticien de la diplomatie et des relations internationales.
Les objectifs de ce cours : Expliquer et éclairer sur l’élaboration et la mise en
œuvre de la politique étrangère, de la France et de deux pays majeurs, les
Etats-Unis et la Chine. Expliquer aussi la diplomatie, son fonctionnement
concret, avec pour but de transmettre ma propre expérience, avec illustration
par des exemples concrets. Fournir les outils théoriques et les connaissances de
base pour permettre aux étudiants de décrypter, de démystifier, de décrire et
d’expliquer le travail diplomatique, peu ou pas connu, afin de permettre aux
étudiants de mieux en cerner les enjeux et de mieux comprendre ainsi la
manière dont les évènements en relations internationales et en politique
étrangère sont rapportés par les media. Il s’agit donc d’éclairer les étudiants en
relations internationales via le prisme de la diplomatie ;
- enfin ce cours fera peut-être naître chez certains étudiants, ou confirmera chez
d’autres, une volonté d’embrasser la carrière diplomatique, en pleine mutation
mais synonyme aussi d’une vie professionnelle exaltante, passionnante et riche,
comme j’ai pu le vivre pendant 41 ans.
Le cours sera mis en ligne.
Pour toutes questions sur le cours, sur la suite après le Master, les conseils, les
retours d’expérience, les concours, les carrières etc. :
christian.ramage@gmail.com
Préambule
Ce préambule du cours est motivé par l’expérience de membre de jury des
concours de recrutement du ministère des Affaires étrangères depuis deux
décennies, concours très sélectifs mais où une méthode solide et de la rigueur
permettent d’augmenter ses chances de réussite. Il s’agit d’un court exposé sur
la méthodologie à mettre en œuvre dans le cadre des études.
Les analogies utilisées sont celles du tripode, instrument avec 3 pieds et où
l’absence d’un pied conduit à la chute…
Comment réussir ses études et sa vie professionnelle ?? Il faut avoir recours à 3
pieds du tripode, Connaissances (cours, culture générale, milieu social,
voyages, expériences diverses, etc.) – Méthode (rigueur, clarté, synthèse,
entraînement, etc.) – Personnalité (motivation, projection dans le futur, etc.).
Tripode de la méthode d’entretien oral de sélection Méthode (clarté, synthèse,
construction du discours, etc.) – Personnalité (savoir convaincre, montrer sa
motivation, sa capacité à rebondir, à sa projeter, etc.) – Entrainement
(s’entraîner, s’entraîner, comme les sportifs, clé de la réussite).
Il est primordial de maîtriser la technique de l’entretien oral, épreuve
redoutable qui nous suit tout au cours de la vie universitaire et professionnelle
(entretien de sélection pour un diplôme, une école, un stage, entretien
d’embauche, évaluation annuelle, entretien pour changer d’affectation, avoir
une promotion, réorientation en cours de carrière, changement d’entreprise,
etc.)
*
Le deuxième cours est consacré à des révisions et à un survol des 50 dernières
années dans le domaine des relations internationales, qui correspondent à mes
50 années de vie universitaire et professionnelle, que je mets en regard de ces
évènements internationaux.
Ce survol, avec certains éclairages, permet de montrer, de démontrer qu’il est
fondamental de bien connaître l’histoire des pays que l’on étudie, dans tous ls
domaines, social, économique, géographique, sociologique, militaire,
stratégique, psychologique, etc.
*
Cours : Elaboration et conduite de la politique étrangère
Trois cas, France, Etats-Unis et Chine
Le cours est un cours de politique étrangère, sous-entendu politique étrangère
des Etats et nous analyserons la politique étrangère de certains Etats, France,
Etats-Unis, Chine. Je sais que M. Cumin va vous présenter, je crois, la politique
étrangère de la Russie. L’Etat se trouve donc au centre de ce cours et
j’analyserai donc l’Etat en tant qu’acteur des relations internationales. En
définissant ainsi l’Etat dans ce rôle particulier d’acteur, j’utilise en fait une
approche à caractère sociologique.
I - Pour une approche sociologique des Relations internationales
Il y a d’autres approches des relations internationales, celles des Moralistes,
des Politiques, des Juristes et des Philosophes. La discipline « Relations
internationales » est très riche et c’est pourquoi nous pouvons puiser à
plusieurs sources.
Sont abordés successivement :
- Approches des relations internationales, Moralistes, Juristes, Politiques et
Philosophes
- L’Etat, entité souveraine, comme acteur des relations internationales
- Acteur permet une approche sociologique des relations internationales
- Sujet, acteur, méthodes, observation, interprétation, modélisation,
éléments de la méthode sociologique.
*
L’approche des relations internationales peut se faire via les Moralistes, qui
condamnent la guerre, la violence, la colonisation ou l’esclavage. Cette
approche a été très influencée par l’église catholique et elle vise à expliquer ce
que le monde devrait être, un monde idéal à leurs yeux. Exemple, Las Casas,
qui décrit la conquête du Nouveau Monde par les Espagnols. Mais l’approche
manque d’expliquer pourquoi le monde est ainsi ou comment il a pu parfois
atteindre certains stades.
Une autre approche est celle des Politiques, dont l’exemple le plus significatif
est celui de Machiavel. Dans son célèbre ouvrage De la Guerre, Machiavel nous
apprend que « la guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique
par d’autres moyens ». Machiavel va influencer la théorie réaliste des relations
internationales, dont Hans Morgenthau, la Real Politik ou la Power Politics.
Publié en 1521, après « Le Prince », qu’il complète, « L’Art de la guerre » traite
de science militaire, étudiée tant dans ses aspects politiques (réflexion sur le
pouvoir, l’armée comme base du problème politique) que techniques
(tactiques, armes, etc.). Machiavel précise ses idées sur l’absolue nécessité
pour un Etat de disposer d’une armée de citoyens. Il oppose à la figure du
soldat citoyen, seul vraiment capable de défendre la patrie, celle du soldat
mercenaire,
Troisième approche, celle des Juristes, qui élaborent une théorie du droit
naturel, ensemble des droits que chaque individu possède du fait de son
appartenance à l'humanité et non du fait de la société dans laquelle il vit. Le
droit naturel, qui comprend notamment, le droit à la vie, et à la santé, le droit à
la liberté, comme le droit de propriété ; il est inhérent à l'humanité, universel
et inaltérable, alors même qu'il n'existe aucun moyen concret de le faire
respecter. Le droit naturel se retrouve en relations internationales dans la
nécessité de retrouver un minimum de règles communes aux différents Etats,
sinon de poser les fondements d’une sociabilité universelle, régissant des
rapports non-violents entre les Etats. Le doit naturel débouche sur le "Droit
positif" qui désigne, à un moment donné, l'ensemble des règles applicables
dans un espace juridique déterminé qu'il s'agisse d'un Etat unitaire comme la
France, ou d'un ensemble d'États comme l’Union Européenne. Encore faut-il
que ce droit positif s’impose à tous, soit accepté par tous, sans contestation.
Songeons au droit des Traités, avec la règle Pacta Sunt Servanda, (les
conventions doivent être respectées), qui dérive du droit naturel et qui limite la
volonté des Etats. Songeons à l’actualité, aux violations des conventions
internationales, à la violation de la neutralité belge par l’Allemagne, etc. Cette
approche demeure d’actualité.
La quatrième approche est celle des Philosophes, celle sur laquelle ce cours se
base. En effet elle permet de mieux cerner le concept de souveraineté des
Etats et c’est pour cela qu’elle sera un peu plus détaillée, les principales
grandes lignes en sont déjà connues. Cette approche permet de mieux décrire
ensuite l’approche sociologique des relations internationales.
*
I.1. Eléments de philosophie politique et de théorie politique
Je commencerai, pour aborder cette approche des Philosophes, par évoquer des
éléments de théorie politique, de philosophie et de théorie politique qui, à mon
sens, permette d’acquérir une connaissance théorique mais aussi pratique des
relations internationales telles que je souhaite les aborder dans mon cours. Ma
perception des relations internationales n’est pas universelle, elle ne reflète que
ma formation il y a plus de 40 ans à la Sorbonne où plusieurs professeurs
prestigieux, considérés comme nos Grands Maîtres, comme me le disait il y a
quelques jours le professeur David Cumin, essayistes et théoriciens ont enseigné
à des générations d’étudiants, dont moi, cette approche sociologique des
relations internationales. Plusieurs de ces étudiants sont devenus par la suite
diplomates, consultants ou experts internationaux en organisations
internationales, ONU, Banque Mondiale, Union européenne. Je parle de cas que
je connais personnellement. Je pense modestement que ce que je vais évoquer,
qui peut paraître confus, obscur, trop théorique, permet en fait de disposer de
clés de compréhension des relations internationales, des approches des
Moralistes, Juristes ou Politiques, dont elle se nourrit aussi.
Thomas Hobbes et l’état de Nature.
Je commencerai donc par évoquer les écrits du philosophe anglais Thomas
Hobbes (1588-1679). Vous noterez que la philosophie politique conserve bien,
Hobbes étant décédé à 90 ans, âge canonique au 17ème siècle). Auteur du
célèbre Léviathan (1651), mais aussi de trois importants ouvrages qui
composent ses Éléments de philosophie – De cive (« Du citoyen », 1642), De
corpore (1655), De homine (1658), Thomas Hobbes est un théoricien du droit et
du contrat social, et, comme tel, l’un des fondateurs de la philosophie politique
moderne. Il a exercé une influence déterminante sur la philosophie politique
moderne, par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social,
conceptualisation qui fonde les bases de la souveraineté. Nourri de culture
grecque et latine, Hobbes se met en quête. Il voyage, rencontre Galilée,
polémique avec Descartes, s’enthousiasme pour la géométrie. Il trouve enfin la
clé pour vaincre l’angoisse humaine face à l’insécurité. Comme Galilée pour le
monde physique, il va appliquer la méthode mathématique, rigoureuse et
démonstrative, au réel et à l’humanité. À l’époque, c’est révolutionnaire, car
la plupart des penseurs suivent encore les préceptes d’Aristote, qui refuse de
mathématiser la vie humaine. Dans De la nature humaine, Hobbes postule que
l’homme n’est qu’un corps en mouvement. Animé par le « désir de persévérer
dans son être », ou conatus (endeavor en anglais), retranscription du principe
d’inertie des corps de Galilée, l’individu cherche seulement à vivre et
progresser. Mais Hobbes veut vaincre la peur. Il applique donc ses principes
matérialistes au monde politique. Dans Éléments de la loi naturelle et politique,
Du Citoyen, puis dans le célèbre Léviathan, il imagine l’homme vivant hors de
toute organisation politique. Dans cet « état de nature », « l’homme est un
loup pour l’homme » : chacun est en guerre contre tous, car personne n’est
assuré de conserver ce qu’il possède et d’assurer sa sécurité. L’état de Nature
de Hobbes c’est donc ce que nous appellerions « l’état de jungle », « c’est la
jungle ». Thomas Hobbes part ainsi d’un constat que l’homme est
naturellement porté à se quereller avec ses semblables, soit pour la recherche
du profit, la recherche de la richesse, soit pour assurer sa propre sécurité soit
aussi pour la gloire.
Citation : Nous pouvons trouver dans la nature humaine trois causes principales
de querelle : première, la rivalité ; deuxièmement, la méfiance ; troisièmement,
la fierté
Citation : Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui
les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et
cette guerre est guerre de chacun contre chacun
Citation : Le droit de nature est le droit de se défendre par tous les moyens
dont on dispose
Pour le philosophe anglais, cet état de nature est lié à l’absence de pouvoir
organisé. Pour avoir une chance de vivre en paix, l’individu invente un contrat
que chacun passe avec chacun, et qui consiste à déléguer son pouvoir
d’autodéfense à un tiers. Le seul moyen pour éviter un recours généralisé à la
violence consiste donc à instituer un pouvoir à l’abri duquel les hommes
pourront vivre en paix. Tel est l’objet du contrat, du Pacte social, par lequel
chacun abandonne sa liberté en échange de la sécurité que lui offre l’autorité
concentrée, indifféremment entre les mains d’une seule personne, Prince ou
d’une Assemblée de personnes.
Citation : « Pour que les hommes puissent vivre en paix, « puissent se nourrir et
vivre satisfaits, ils doivent confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul
homme, ou à une Assemblée, qui puisse réduire leurs volontés, par la règle de
la majorité en une seule volonté. Cela revient à dire : désigner un homme ou
une assemblée pour assumer leur personnalité et que chacun se
reconnaisse » dans les actions et les décisions prises par cet homme ou cette
assemblée. Nous touchons là du doigt la représentativité ou la délégation de
pouvoirs. Thomas Hobbes appelle REPUBLIQUE cette personnalité qui
représente tous les hommes qui délèguent ainsi leurs volontés et le dépositaire
de cette personnalité est nommé le SOUVERAIN, qui peut être donc une
assemblée souveraine. La REPUBLIQUE, c’est donc pour Hobbes une entité
souveraine.
Mais le prix à payer peut s’avérer lourd. Le Souverain peut censurer les
opinions individuelles, décide de la guerre et de la paix, punit à sa discrétion.
De quoi, avoue même Hobbes, faire regretter à certains de s’être liés avec un
tel contrat. Quoi qu’il en soit, cette première grande théorie de l’État moderne
lance la question du rapport entre l’État, le citoyen et la société civile. Elle sera
reprise par tous les philosophes politiques qui lui succéderont, et notamment
par Jean-Jacques Rousseau. Nous nous la posons encore aujourd’hui. Thomas
Hobbes et ses écrits restent d’une éclatante actualité. Songeons à la crise des
Gilets jaunes, à la crise de notre vie démocratique, en France ou aux Etats-Unis
par exemple.
Pour Hobbes donc, à l’intérieur de la REPUBLIQUE règnent les règles du Pacte
social, qui assure et garantit la paix entre les hommes qui y vivent, où règne
donc l’ordre, qui n’est pas arbitraire puisqu’il repose sur le consentement des
sujets.
Mais quid de ce qui se passe entre les REPUBLIQUES, entre ces entités liées à
l’intérieur par le Pacte social ? Pour Hobbes, l’état de Nature qui sévissait entre
les hommes avant leur adoption du Pacte social, continue de sévir entre les
REPUBLIQUES. En effet Hobbes constate qu’il n’existe pas, comme à l’intérieur
de la REPUBLIQUE, de pouvoir suprême qui puisse s’imposer aux
REPUBLIQUES ou s’interposer entre les REPUBLIQUES. La conséquence est que,
pour Hobbes, c’est l’état de Nature qui règne entre les REPUBLIQUES,
autrement dit qui régit ce que nous nommons aujourd’hui les relations
internationales.
Citation : Là où il n’y a pas de puissance commune, il n’y a pas de loi ; là où il n’y
a pas de loi, il n’y a pas d’injustice. La violence et la ruse sont, en guerre, les
deux vertus cardinales.”
Ainsi, chaque entité souveraine a le droit de se conduire comme elle l’entend
vis-à-vis des autres entités souveraines pour défendre ses intérêts. Aucune loi
ne peut lui être imposée puisqu’il n’existe pas d’autorité suprême pour
garantir l’application de cette loi suprême. La conséquence, pour Hobbes, est
que, du fait de cette absence d’autorité suprême, de SOUVERAIN suprême audessus des REPUBLIQUES, « il n’existe pas de propriété, pas d’empire sur quoi
que ce soit, pas de distinction du tien et du mien ». En d’autres termes, chaque
SOUVERAIN, chaque REPUBLIQUE peut se saisir de l’autre. C’est donc la Loi de
la Jungle qui règne entre les REPUBLIQUES. Hobbes dresse là un tableau
pessimiste des relations entre les REPUBLIQUES, entre les entités souveraines,
donc un tableau pessimiste des relations internationales, ou plutôt
interétatiques. Pour Hobbes, les REPUBLIQUES sont soumises au règne de la
force, de la violence, de l’arbitraire, tandis que, à l’intérieur de la REPUBLIQUE,
les rapports sont harmonisés grâce au contrat au pacte social. Il existe donc
une dichotomie entre le domaine de la politique intérieure, où règne le
contrat, le pacte, la loi, et la politique extérieure, les relations entre entités
souveraines, qui sont les seuls détenteurs légitimes de la souveraineté et du
pouvoir de contrainte.
Cette analyse pessimiste, mais très moderne pour l’époque, dressée par
Hobbes, demeure d’actualité pendant des siècles.
L’héritage de Thomas Hobbes
Depuis Hobbes, de nombreux auteurs se réfèrent explicitement à l’état de
Nature élaboré par le philosophe anglais.
Citons :
Baruch Spinoza (1632-1677), philosophe néerlandais d’origine sépharade
portugaise. Pour lui, la loi fondamentale de la vie, c'est la croissance, ou
augmentation de la puissance d’agir, seule vertu à même de procurer du
bonheur. Pour Spinoza, il n’y a pas de Bien ni de Mal, seulement du bon et du
mauvais. Spinoza prolonge sa réflexion sur les affects et la liberté dans deux
Traités consacrés à la politique. Il devient le premier penseur occidental à
imaginer un État de droit fondé sur la séparation des pouvoirs politiques et
religieux, garantissant la liberté de conscience et d’expression des individus. La
puissance d’agir de chacun doit pouvoir s’exprimer collectivement, dans un
système politique qui favorise l’épanouissement du plus grand nombre (ou «
multitude »). Spinoza s’érige ainsi contre l’arbitraire des tyrans et les
manigances des clercs, qui alimentent les passions tristes des humains pour
mieux les garder sous leur joug.
Citations « Deux empires (entendre entité souveraine de Hobbes) sont à l’égard
l’un de l’autre comme deux individus dans l’état de nature, avec cette
différence qu’un empire peut se préserver de l’oppression étrangère »
« Si un Etat veut déclarer la guerre à un autre Etat pour l’assujettir, il peut
l’entreprendre de bon droit, puisque pour faire la guerre il n’a besoin que de le
vouloir ».
John Locke (1632-174), philosophe anglais, promeut une philosophie politique
reposant sur la notion de droit naturel. Précurseur du libéralisme, il fut pris
pour modèle par les philosophes français du siècle des Lumières. Il reprend lui
aussi la formulation de Hobbes : « Les princes et les magistrats des
gouvernements qui sont dans l’univers sont dans l’état de nature ».
Traversons la Manche en citant Jean-Jacques Rousseau, connu depuis les
études secondaires, avec le Contrat social. Pour Rousseau, le Contrat social est
un acte volontaire, qui assure liberté et égalité en échange de l’abandon de
ses droits à la communauté : « Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à
personne, et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même
droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus
de force pour conserver ce qu’on a ». Nous sommes proches du Pacte social
mentionné par Thomas Hobbes. Rousseau, dans son ouvrage L’Emilie : « Si les
individus sont soumis aux lois et aux hommes, les sociétés gardent entre elles
l’indépendance de la Nature ».
Continuons avec les philosophes allemands Hegel ou Kant ou bien encore les
philosophes et auteurs français du XXème siècle Bergson (1859-1941),
Bourdeau (1848-1928) ou Julien Freund (1921-1993).
Arrêtons-nous sur l’auteur français qui a été un penseur, un théoricien, un
philosophe français majeur du XXème siècle, pilier de la théorie des relations
internationales, Raymond Aron (1905-1983) et sur son ouvrage fondamental
de théorie des relations internationales, qui a marqué des générations
d’étudiants, d’universitaires, de chercheurs, de philosophes, de stratèges, de
militaires, d’historiens ou de diplomates, Paix et Guerre entre les Nations. Le
livre est épais et ardu et parfois difficile, mais il demeure fondamental, bien
que paru il y a 60 ans en 1962, pour comprendre les relations internationales.
Paru en 1962, Paix et guerre entre les nations est peut-être le plus ambitieux
des ouvrages politiques de Raymond Aron, qui le travailla toute sa vie au point
d'y ajouter une présentation inédite en 1983, l'année de sa mort. Il voulait dans
ce travail tout à la fois élaborer une théorie générale des relations
internationales, mais aussi une sociologie et une histoire, avant de conclure
sur une morale d'action. Tout d'abord, Aron entend fonder une théorie des
relations internationales, selon laquelle la guerre est l'élément central des
relations entre les nations. A partir d'une relecture de l'œuvre du théoricien
militaire prussien Karl von Clausewitz, il rappelle que la guerre n'est jamais
qu'un moyen parmi d'autres de continuer à faire de la politique. Ce qui revient
à dire, selon lui, que la stratégie (c'est-à-dire la conduite des opérations
militaires) et la diplomatie sont deux formes d'action politique, jamais
totalement inséparables, (nous y reviendrons, en particulier dans le chapitre
consacré à la politique étrangère de la France) que les Etats utilisent de façon
combinée mais différemment selon la circonstance et toujours en fonction de
l'intérêt national. De plus, la guerre est perçue à la fois comme un fait
universel - à la limite, une donnée naturelle des sociétés humaines - et
comme une nécessité dans un monde multiétatique : en effet, selon Aron «
toute unité politique aspire à survivre », et la survie d'une société nécessite son
expansion. Dans cette perspective, la guerre servirait à l'expansion d'un Etat,
pour occuper un sol et des hommes, deux denrées éminemment exploitables,
et pour imposer en outre des idées (par exemple religieuses). Mais pour
comprendre les différentes modalités de guerre et de paix, il convient de tenir
compte du contexte historique, c'est-à-dire de décrire les « systèmes » ou
groupements d'Etats entre lesquels se déroulent les relations internationales et
où pourrait se jouer une guerre impliquant tous les Etats. Dès lors, Aron
entreprend d'analyser les particularités de son époque, celle de la guerre
froide : le système n'est devenu mondial que très récemment et il a désormais
une forme bipolaire (Etats-Unis contre URSS), la maîtrise de l'arme nucléaire
est récente et la paix est qualifiée par Aron de « belliqueuse ».
Ce livre monumental a marqué des générations de chercheurs en science
politique, qui ont cependant peu à peu pris leurs distances par rapport aux
thèses qui y sont défendues. On lui reprocha en particulier de ne prendre en
compte que les Etats comme acteurs de la scène internationale, en négligeant
les agents transnationaux, notamment économiques. D'autre part, Aron se
focalisait sur l'angle diplomatico-stratégique, en posant que seule la possibilité
de la guerre fondait les rapports internationaux, ce qui depuis n'apparaît plus
comme une évidence. Malgré cela, les outils élaborés aident à comprendre les
relations internationales actuelles, et pour cette raison ce livre reste âprement
discuté.
Pour Aron, le penseur des relations internationales doit se faire historien pour
comprendre les liens entre les acteurs et le système international ainsi que
les évolutions politiques et sociales qui se déroulent à l’échelle des nations,
des continents et du monde dans son entier. Je dois avouer que cette
perception de Raymond Aron m’a beaucoup influencé et j’ai toujours considéré
que pour bien connaître un ou des pays, à toute époque, et leurs relations
mutuelles, il est impératif de connaître leur histoire. C’est pourquoi, pour moi,
un diplomate, mais aussi un étudiant ou un chercheur en relations
internationales doit acquérir et posséder une solide culture historique.
Citation de Raymond Aron : « Tant que l’humanité n’aura pas accompli son
unification dans un Etat universel, il subsistera une différence essentielle entre
politique intérieure et politique étrangère ». « La politique, dans la mesure où
elle concerne les relations entre Etats, semble avoir pour signification la simple
survie des Etats face à la menace que crée l’existence des autres Etats. Les Etats
ne sont pas sortis, dans leurs relations mutuelles, de l’état de Nature. Il n’y
aurait pas de théorie des relations internationales s’ils en étaient sortis » (de cet
état de Nature !!
Nous avons donc là aussi, comme avec Thomas Hobbes trois siècles plus tôt,
une vision pessimiste des relations entre Etats, basés surtout sur la violence
et la guerre. Pour Raymond Aron il y a une opposition fondamentale entre
l’ordre interne, permis par le contrat social, et le désordre international. La
filiation avec Thomas Hobbes apparaît bien.
*
Nous voyons donc que l’état de Nature n’est pas une conception archaïque ou
anachronique. Les clefs de compréhension élaborées par Thomas Hobbes
restent d’actualité.
Pour autant, critiques, actualisations, mises en contexte historique ou
commentaires ont permis d’aller au-delà de cette vision duale entre Affaires
du Dedans, politique intérieure qui serait caractérisée par l’ordre lié au Pacte
social et Affaires du Dehors, caractérisé par l’état de nature et la violence :
- Ainsi, s’agissant des rapports entre Etats, la nature de leurs relations ne
relève pas toujours de la guerre de la conquête, de la rivalité ou des
tensions. Il existe, il a existé, parfois au cours des siècles, entre les Etats,
des moments de solidarité, d’apaisement de tentative de régler des
différends, pour diverses raisons comme la lassitude ou l’épuisement
après des guerres, ou plus généralement la volonté de transcender l’état
de nature et de violence. Et de trouver des compromis. C’est ce que
recherchent les conférences de la paix qui ont succédé à des guerres.
Citons, comme exemple, les traités de Westphalie en 1648 qui, après 4 à
7 millions de morts, avaient pour objectif de réunir tous les pays
impliqués pour non seulement mettre fin à la guerre de Trente Ans, mais
aussi définir les relations entre chaque parti pour la suite. Ces traités font
bouger les frontières des États et remodèlent la carte de l'Europe pour
plus d’un siècle. Les Provinces-Unies deviennent indépendantes de
l'Espagne. La France reçoit une grande partie de l'Alsace alors que la
Suède obtient comme fiefs d'Empire, les évêchés de Brême et Wismar
ainsi que la Poméranie occidentale.
- Citons aussi, après les carnages des guerres napoléoniennes, le Congrès
de Vienne en 1815, qui réorganise l’Europe jusqu’en 1914.
- Nous pourrions citer le Traité de Versailles et bien d’autres, pour ne pas
parler des regrettés accords d’Oslo de 1993, même si ces derniers
exemples n’ont connu ni les résultats ni leur pérennité comme ceux que
l’on peut attribuer aux traités de Westphalie ou au congrès de Vienne. Ce
qui importe, c’est de mentionner que les REPUBLIQUES souveraines, les
Etats, les empires, peuvent connaître d’autres relations mutuelles que
celles dictées par l’état de nature et la violence.
- A l’époque de Hobbes, ce dernier ne se réfère en matière de relations
internationales, qu’aux REPUBLIQUES souveraines, i.e. aux Etats. Nous
verrons qu’existent d’autres acteurs des relations internationales,
comme les organisations internationales, les ONG, les firmes
multinationales, les opinions publiques, les mouvements religieux etc. Je
tiens cependant déjà vous préciser que, s’agissant de l’intitulé de ce
cours, « Politique étrangère », nous restreindrons notre approche des
relations internationales à l’étude des relations interétatiques.
Venons-en, justement, à travers ces relations interétatiques, à aborder
maintenant l’État, en tant qu’acteur des relations internationales, acteur qui
sera au centre des chapitres consacrés à la politique étrangère de certains
Etats. Le mot Acteur renvoie ainsi à la sociologie.
I-2 - Eléments de sociologie internationale
L’étude de la sociologie des relations internationales n’est pas très répandue.
Généralement l’enseignement des relations internationales adopte une
approche évènementielle (histoire des relations internationales) ou une
approche théorique. Ce cours propose une ébauche d’approche sociologique
Quelques rappels sur la sociologie.
La sociologie est l'étude des relations, actions et représentations sociales par
lesquelles se constituent les sociétés. Elle vise à comprendre comment les
sociétés fonctionnent et se transforment. Elle distingue l’objet et les acteurs
et les méthodes de la sociologie, empirique, comprennent l’observation,
l’interprétation et la modélisation. Essayons d’appliquer cette approche
sociologique aux relations internationales.
L'objet de la sociologie est la société considérée comme une totalité
organisée. Il s’agit, lors d’une approche sociologique, de clarifier les rapports
qui peuvent exister entre une totalité sociale et les parties qui la constituent. La
totalité sociale sera pour nous le « système international ». Les parties qui le
constituent, qui sont à la base en sociologie des individus ou des groupes
d’individus, seront, pour nous, dans notre approche des relations
internationales, il s’agira des Etats, mais aussi des groupes d’Etats.
En sociologie, un acteur social est un individu, un groupe, une association ou
une organisation qui intervient dans un espace social quelconque
(économique, culturel, politique, et dans notre cas dans le système,
l’environnement, le milieu international, etc.). L’acteur agit de manière
consciente, intentionnelle, rationnelle, pour défendre certains intérêts ou
atteindre un objectif déterminé.
Nous appliquerons cette approche sociologique aux relations internationales et
aux Etats et aux groupes d’Etats. Arrêtons-nous sur l’Etat. Parmi les qualités
spécifiques de l’Etat, outre la personnalité morale, se trouve le concept de
souveraineté. Retenons-en la définition de Louis Le Fur (1870-1943) juriste
français, professeur à la faculté de droit de l'université de Paris : « La
souveraineté est la qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa
propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément
au but collectif qu'il est appelé à réaliser ».
Aborder une sociologie des relations internationales, c’est adopter une
approche différente d'une approche exclusivement théorique ou d'une
lecture purement historique. Les étudiants en RI ont sans doute abordé la
théorie des relations internationales, avec les approches réaliste, libérale,
constructiviste ou transnationaliste, qui sont les modèles dominants des
relations internationales. Ils ont généralement étudié l’histoire des relations
internationales, l’histoire évènementielle et les grandes phases historiques
des XXème et XXIème siècles que sont les deux guerres mondiales, l’avènement
de l’atome, la guerre froide, les décolonisations, la bascule d’un monde
bipolaire à un monde multipolaire etc.
Notre approche sera un peu différente, plutôt française, la France étant une
des patries de la sociologie avec Durkheim mais aussi Raymond Aron, déjà cité.
Cette approche nouvelle pour les étudiants, a priori, offre ainsi une vue
complémentaire et assez large des relations internationales.
La sociologie des relations internationales appréhende les faits "
internationaux " comme des faits sociaux. Elle privilégie la démarche
empirique tout en l'accompagnant d'un effort de systématisation. Face à une
incroyable accumulation d'événements et d'informations, il s'agit d'organiser la
diversité des variables et des techniques internationales autour de quelques
rubriques fondamentales : les acteurs, leur puissance, leurs objectifs, leurs
instruments.
La sociologie des relations internationales propose ainsi un cadre d'analyse
suffisamment large pour saisir les permanences et les discontinuités des modes
d'action internationaux dans la durée, mais aussi suffisamment précis pour
définir ce qui fait leur spécificité aujourd'hui. Appliquer les méthodes de la
sociologie aux relations internationales, c’est aborder, comme dans d’autres
domaines de la sociologie, l’observation des faits, des évènements
internationaux, leur interprétation et leur modélisation éventuelle.
Méthode en sociologie : L’observation
En matière de relations internationales, l’observation, qui était déjà une tâche
de grande ampleur jusqu’à la fin du XXème siècle, a pris une dimension
incommensurable avec l’introduction d’internet, de l’information permanente,
de l’explosion des médias sociaux, des satellites, des réseaux sociaux, des bases
de données, de l’interconnexion de la planète, de la globalisation de
l’information, etc. Certes, ces percées scientifiques et technologiques
concernent aussi de nombreux autres domaines de la société mais, en matière
de relations internationales, on peut, en prenant un certain recul historique,
qu’être impressionné par la masse colossale d’informations à traiter, en
provenance du moindre coin de la planète.
A - L’observation directe des évènements internationaux
Bien sûr, l’observation des évènements internationaux s’est depuis toujours
faite, directement, par les acteurs qui participaient à des évènements ou y
étaient impliqués, qu’il s’agisse de guerres, de négociations, de participation à
une révolution, etc.
Traditionnellement aussi l’observation des évènements internationaux relevait
de la méthode historique, avec le recueil de documents sous forme papier,
traités, accords, lettres, rapports, dépêches diplomatiques, déclarations,
communiqués. L’histoire diplomatique, qui fait partie de cette observation des
faits internationaux, étudiait ces documents officiels. Peu à peu, le recueil de
témoignages, les recueils de souvenirs, les mémoires, les autobiographies, les
essais, ont complété l’observation en relations internationales, ce jusqu’au
début du XXème siècle. L’interprétation de ces faits internationaux doit
ensuite compléter l’observation, avec les critères de la méthode historique,
croiser les faits, vérifier les sources, les valider, etc. Il est intéressant à cet
égard de croiser les mémoires publiés par les négociateurs des différents bords
lors d’une conférence internationale ou lors de la négociation d’un traité. Je
pense en particulier aux ouvrages publiés au XIXème siècle sur le Congrès de
Vienne, Talleyrand par exemple.
Le progrès technique, qui au passage est un facteur des relations
internationales, a très fortement influencé les méthodes d’observation des
relations internationales.
Ainsi, jusqu’aux années 40 ou 50, les informations relevaient des actualités
cinématographiques et de la diffusion des journaux, qui ont pu accélérer la
circulation des nouvelles grâce au télégraphe et aux liaisons radio. Les images
des accords de Munich sont ainsi diffusées dans les cinémas français le
lendemain de la rencontre du 30 septembre 1938. Les premières images du
débarquement de Normandie arrivent aux Etats-Unis le 8 juin après avoir été
transférées en Angleterre pour développement et transfert par avion. A partir
des années 50 et 60, la télévision investit peu à peu tous les foyers et les
images à caractère international peuvent devenir instantanées. Citons
l’exemple de l’alunissage, évènement mondial diffusé en direct. Mais songeons
aussi à l’offensive du Têt en février 1968 au Vietnam. Les téléspectateurs
américains voient, en direct, les soldats Viêt-Cong attaquer l’ambassade
américaine à Saigon, Ho Chi Minh Ville. Ils voient aussi en direct les gardes
Marines de l’ambassade tués et dont les corps gisent. Autre exemple d’un
évènement international vu en direct par des centaines de millions de
spectateurs et déjà évoqué, l’attentat terroriste contre les Tours jumelles du
World Trade Center, vu en direct par des centaines de millions de
téléspectateurs. Songeons cependant au fait que des complotistes ont
prétendu et diffusé sur internet la fausse nouvelle d’un complot et d’un
trucage. Les mêmes accusations avaient eu pour objet l’alunissage d’ailleurs.
Mais, toujours en 2023, il existe des sites qui continuent de prétendre que
l’alunissage est un montage, tout comme le crash d’un avion détourné le 11
septembre 2001 sur le Pentagone. Ces fake news relèvent de l’observation et
de l’interprétation de faits internationaux. Avec internet, les réseaux sociaux,
les transmissions instantanées des images, l’observation des faits observés en
matière de relations internationales doivent dorénavant faire face à plusieurs
défis :
- Le tri et la sélection parmi des masses incommensurables de données,
d’informations d’images ;
- La réactivité face à l’instantanéité des flux d’informations ;
- L’interprétation de ces faits, avec parfois une exigence de l’immédiateté
de cette interprétation ;
- Le risque de diffusion de fausses nouvelles ;
- L’impact beaucoup plus grand de l’extension, de la diffusion de ces flux,
du fait de la généralisation quasi-totale des supports. On peut avoir
accès presque à tout, à presque tout moment, à toute nouvelle en
provenance de tout point de la planète. Il fallait jadis soit acheter un
journal, ou aller au cinéma pour voir les Actualités ou avoir un poste de
radio, ou plus tard un poste de télévision. Puis, il y a encore seulement
une vingtaine d’années, il fallait être proche de son ordinateur pour se
connecter à internet, sous réserve que la zone où on se trouvait était
couverte. En 2023, avec les smartphones, aucun point de la planète est
hors d’atteinte. Regardons ce qui se passe au Moyen-Orient...
L’observation des faits à caractère international et leur interprétation sont
éléments qui relèvent bien de l’approche sociologique.
B - L’observation statistique
L’observation statistique est courante en sociologie, où l’on pratique les
statistiques, le traitement de données, les histogrammes etc. Elle s’applique
aussi aux relations internationales.
Comme étudiants en relations internationales, mais aussi comme
chercheurs, comme analystes, consultant, expert ou diplomates aussi, nous
savons ainsi combien sont indispensables la consultation des rapports de
l’ONU, du PNUD, de l’OCDE, de la Banque Mondiale ou du SIPRI.
Utile également est par exemple la consultation des coefficients Gini, pour
étudier les inégalités dans un pays, élément pertinent dans les relations
internationales. L'indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur
synthétique permettant de rendre compte du niveau d'inégalité pour une
variable et sur une population donnée. Il varie entre 0 (égalité parfaite) et 1
(inégalité extrême). Entre 0 et 1, l'inégalité est d'autant plus forte que
l'indice de Gini est élevé. Quels sont les pays où les inégalités de revenus
sont les plus fortes ? Leur niveau est extrême en Inde et au Brésil, où le
coefficient de Gini dépasse 0,6 selon les données 2019 du Word Inequality
Database. Cet indicateur d’inégalités culmine à 0,75 en Afrique du Sud où la
fin de l’apartheid en 1992 n’a pas réduit les immenses écarts de revenu
entre les Blancs les plus riches et les Noirs les plus pauvres.
Les pays où les inégalités de revenus avant impôts sont les moins grandes
sont situés en Europe occidentale, selon ce coefficient de Gini. Il est par
exemple de 0,44 en France. D’autres pays font mieux, comme la Suède
(0,39). Nos voisins britanniques et allemands sont à un niveau légèrement
supérieur (respectivement 0,47 et 0,49).
Tous les pays riches n’ont pas choisi la voie d’une prospérité partagée. Les
États-Unis disposent du revenu par habitant le plus élevé au monde parmi
les pays les plus peuplés, mais le coefficient de Gini (0,58) les situe au même
niveau que l’Iran ou les Philippines par exemple.
Dans les pays très pauvres, l’indice de Gini est systématiquement supérieur
à 0,5. Pauvreté extrême est très souvent associée à inégalité extrême de
revenus. Les 30 millions d’habitants du Mozambique, par exemple, vivent
avec 2 000 euros par an en moyenne et le pays présente un coefficient de
Gini proche de celui de l’Afrique du Sud (0,75).
Sous la barre de 0,5, on ne trouve que des pays dont les habitants ont un
niveau de vie moyen d’au minimum 15 000 euros par an. Autre
caractéristique commune : ces pays sont quasiment tous situés en Europe.
Ils disposent à la fois d’un niveau élevé ou relativement élevé de revenus et
d’un partage plus équitable, avec un État développé qui apporte protection
sociale et services publics. Pour pouvoir partager la richesse et réduire la
misère, il faut avoir atteint un certain seuil de développement économique.
Dans ces pays, après une phase de forte croissance inégalitaire (la
révolution industrielle), la redistribution de la richesse a permis de financer
des services publics de haut niveau (école, santé, routes, etc.) et
l’émergence d’une classe moyenne relativement importante. La fiscalité et
les dépenses publiques ont ainsi à long terme des effets sur les inégalités au
sein d’un pays, même mesurées avant impôts comme ici.
On a longtemps cru que le développement finissait toujours par entraîner
un processus de réduction des inégalités par le partage des richesses [1].
Cette condition nécessaire n’est pas suffisante : des pays comme l’Inde, le
Brésil ou le Mexique ont connu un développement économique
spectaculaire, mais les inégalités y persistent à un haut niveau. Les anciens
pays communistes ont connu des trajectoires diverses. Si certains pays
d’Europe de l’Est figurent aujourd’hui parmi les pays où le coefficient de
Gini est officiellement proche de ceux que l’on trouve dans le nord ou
l’ouest de l’Europe (0,44 en Hongrie, 0,38 en Tchéquie par exemple), les
inégalités de revenus se sont envolées en Russie et en Chine. Le coefficient
de Gini y atteint respectivement 0,55 et 0,56 aujourd’hui. La croissance
économique qu’ont connue ces pays depuis trente ans a été en grande
partie captée par une petite fraction de la population. Ces exemples
montrent qu’il n’existe pas de loi historique d’évolution des inégalités de
revenus, et que peuvent s’installer des régimes, souvent autoritaires, où
coexistent croissance et maintien des inégalités dans le temps.
Citons aussi l’IDH L'indice de développement humain (IDH) qui correspond à
un indice composé calculé chaque année par le PNUD afin d'évaluer le niveau
de développement des pays en se fondant non pas sur des données
strictement économiques, mais sur la qualité de vie de leurs ressortissants. «
très élevé », « élevé », « moyen » et « faible ». Généralement, on considère un
pays dont l'IDH est élevé ou très élevé comme développé, un pays dont l'IDH
est moyen en développement et un pays avec un IDH faible en voie de
développement. Le PNUD considère qu’un pays présente un développement
humain très élevé lorsque son IDH est supérieur à 0,800. La Suisse est en tête
avec un IDH de 0,962. Les États-Unis, la France ou la Turquie, par exemple,
figurent dans cette catégorie. En moyenne, un habitant d’un pays au
développement très élevé a une espérance de vie de 79 ans. Un enfant qui
entre à l’école peut espérer y rester 17 ans et les adultes de 25 ans et plus ont
suivi une scolarité de douze ans en moyenne. Le produit intérieur brut (PIB)
par habitant d’un pays au développement humain très élevé est de 43 752
dollars, soit près de 45 000 euros.
À l’opposé, les pays dont l’IDH est inférieur à 0,550 sont considérés comme
ayant un faible développement humain. Le Sénégal, dont l’IDH est de 0,511,
est dans ce cas. Le Niger et ses 24 millions d’habitants ont l’indice le plus bas :
0,400.
France au classement mondial IDH 28ème
C – Les méthodes d’interprétation
internationales
de l’observation en relations
L’utilisation de modèles.
Elle s’est développée en relations internationales aux Etats-Unis à partir des
années 50. Tout comme en sciences sociales, où le recours à des modèles est
courant. Un exemple très connu, pratiqué à l’ILERI ; le modèle Nations Unies.
Jeux de rôle. Mise en situation/
Autre exemple, utilisé également à l’ILERI : simulation de situation de crises
Théorie des Jeux : idem, développé aux Etats-Unis. Il s’agit d’étudier les
comportements des acteurs dans leurs rapports mutuels autour d’un enjeu
commun. Très pratiqué en économie. Jeux à somme nulle, jeux à somme
variable.
Simulations : Très pratiqué par les militaires aussi. Voir les jeux, kriegspeil
concernant Taiwan. Le Center for Strategic and International Studies des EtatsUnis, dans une simulation récente e janvier 2023, estime que toutes les parties
impliquées directement dans un tel conflit (États-Unis, Chine, Taïwan et Japon)
subiraient des pertes « énormes ». Une invasion de Taïwan par la Chine serait
probablement vouée à l'échec si les États-Unis venaient à défendre l'île, avec
des coûts dévastateurs que subiraient les forces américaines.
*
La méthode sociologique appliquée aux relations internationales est-elle la
meilleure pour appréhender le monde ? Bien sûr que non !! L’approche
évènementielle, l’approche juridique etc. fournissent également des clés de
compréhension très utiles et pertinentes. En fait, toutes ces méthodes sont
complémentaires et c’est aussi ce qui fait la richesse de cette discipline.
I.3. Les acteurs des relations internationales – L’Etat
Nous avons abordé au dernier cours des éléments de sociologie des relations
internationales et avons évoqué un élément-clé des études sociologiques,
l’Acteur, l’acteur au sens sociologique et, en ce qui nous concerne donc,
l’Acteur dans le domaine des relations internationales.
Par « acteur » en sociologie des relations internationales, on entend toute
autorité, tout organisme ou groupe, ou même toute personne, susceptible de
jouer un rôle dans le champ social, en l’espèce ce que l’on appelle la scène
internationale.
Que signifie « tenir un rôle » ? Cela peut consister à prendre une décision, à
entreprendre une action ou même, tout simplement, à exercer une influence
sur les détenteurs du pouvoir de décision.
Les acteurs des relations internationales sont nombreux et variés. Mais pour
Hobbes et Machiavel, cités dans ce cours, le seul acteur possible en relations
internationales, ou du moins ce qui y correspondait à leur époque, c’est
l’Etat, dont les gouvernements sont les agents spécialement chargés
d’entretenir des rapports avec leurs homologues étrangers. Il faut se remettre
dans le contexte de l’époque, le mot « étranger », pour un Florentin comme
Machiavel, peut être le souverain d’une principauté ou d’une cité de la
péninsule italienne, Milan ou Venise…
L’Etat donc, acteur des relations internationales. Cela n’exclut pas d’autres
acteurs, non-étatiques, qui joueront un rôle, parfois majeur, dans les relations
internationales.
Dans ce cours consacré à la politique étrangère des Etats, nous nous
focaliserons sur l’Etat-Acteur des relations internationales. Il importe
cependant de mentionner les autres acteurs, les acteurs non-étatiques,
d’autant que, par rapport à l’époque de Hobbes ou Machiavel, mais aussi
jusqu’à récemment, i.e. jusqu’à 1945, ces acteurs non-étatiques jouent un rôle
de plus en plus prépondérant. Nous ne nous étendrons pas trop sur leur
description et sur leurs actions mais il est nécessaire malgré tout aborder les
autres acteurs non-étatiques majeurs du XXIème siècle.
Nous examinerons surtout les organisations intergouvernementales, OIG, car
composées d’Etats, et nous ne ferons qu’aborder ou mentionner les autres
acteurs non-étatiques, que sont les ONG, l’opinion publique, les médias, les
firmes multinationales.
I - 4 - Les acteurs des relations internationales – Les organisations
intergouvernementales/OIG ou organisations internationales
Les OIG constituent un phénomène, une évolution récente dans les relations
internationales puisque la première d’entre remonte à 1815 et elle existe
toujours. La Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR)n
organisation internationale regroupant cinq pays riverains du Rhin, dont la
fonction est de prendre toutes initiatives de nature à garantir la liberté de
navigation sur le fleuve et de promouvoir la navigation rhénane. Fondée lors
du Congrès de Vienne en 1815, son siège est à Strasbourg. États membres
actuels Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas et Suisse.
I – 4 – 1 - Typologie des OIG
Nous ne détaillerons pas la typologie des OIG, caractéristique déjà étudiées
dans d’autres cours.
- On peut les classer selon les fonctions qu’elles sont appelées à exercer,
soit à vocation universelle, cas de l’ONU, de l’OACI, de l’OIT, soit avec des
compétences limitées, comme l’UNESCO ou l’OMS ou l’OACI. Le cas de
l’universalité avait semblé inaccessible et on pense à la SDN mais il est
pratiquement atteint de nos jours. C’est récent. Il faut savoir ainsi, et
c’est ce que j’étudiais quand j’étais à votre place, que, à l’époque de la
Guerre froide, les pays du bloc de l’Est boudaient les OIG telles que le
FMI car ils considéraient que ces OIG étaient d’inspiration capitaliste.
- Certaines OIG sont à caractère régional comme l’UE ou l’OUA ou l’ASEAN
- Certaines OIG sont à caractère mixte, comme l’OTAN, qui relève du
domaine de la sécurité et dont les membres appartiennent à plusieurs
régions du monde, idem pour l’OPEP, pour le pétrole et avec des
membres de plusieurs régions.
En revanche, précisons une caractéristique des OIG, qui est le principe d’égalité
entre les Etats.
Traiter les Etats sur un pied d’égalité, mettre en œuvre un ordre protocolaire
égalitaire, chercher le compromis et l’équilibre, ne pas mettre en avant un pays
sur la base de sa puissance, respecter tous les pays, les petits mais aussi les
pays vaincus, comme l’a montré le Congrès de Vienne, sont des principes
étroitement liés. Le XIXème siècle, avec le Congrès de Vienne, a montré la voie,
même si cette recherche d’équilibre n’a pas empêché les deux conflits
mondiaux.
Revenons sur le Congrès de Vienne et sur la genèse des OIG, point rarement
abordé et, comme déjà indiqué, indispensable car la connaissance historique
est fondamentale en relations internationales. Ce Congrès, réuni en 1815 après
les guerres napoléoniennes, s’inscrit tout à fait dans ce paragraphe dédié aux
OIG, OI, de par son aspect novateur et fondateur.
Après plus de vingt ans de guerres quasi ininterrompues, révolutionnaires et
napoléoniennes, les quatre puissances victorieuses de Napoléon et de l’Empire
français, décident en 1814 de convoquer à Vienne un congrès pour reconstruire
un nouvel ordre européen.
Pourquoi Vienne ? Cette ville est toujours le siège en 2023 de plusieurs OI,
ONU, AIEA, OPEP… A l’époque, c’est une illustration de la puissance retrouvée
de la diplomatie autrichienne et du prestige de l’empereur d’Autriche, François
1er, placé au premier rang des vainqueurs de Napoléon. Une autre raison
relève de la géographie : Vienne est au cœur de l’Europe, la ville est belle et y
existe de nombreuses belles demeures de prestige qui serviront de sièges aux
délégations.
Aucun congrès, aucun cycle de négociations, comme celles des traités de
Westphalie en 1648, au cours des siècles, n’a réuni autant d’Etats et donc de
participants que ce congrès de 1815. C’est la première fois qu’un congrès et
des négociations de paix débouchent sur un document unique, signé par tous,
et non plus lors de deux traités bilatéraux, comme pour les traités de
Westphalie. L’Acte final du Congrès de Vienne est ainsi le premier traité
multilatéral de la diplomatie. « Le congrès a ouvert la voie à la diplomatie
multilatérale, en soutenant que le souci du compromis dans l’intérêt de tous
finit toujours par l’emporter à la longue et que la solidarité prévaut sur l’intérêt
individuel », écrit Alain de Sedouy, historien, un des maîtres des étudiants en
relations internationales des années 80.
Revenons aux OIG. La prolifération des OIG depuis 1945 a créé, par-dessus le
réseau traditionnel des relations diplomatiques bilatérales, entre Etats, un
nouveau circuit de communication qui offre aux Etats un cadre permanent
pour le traitement collectif des problèmes qui les occupent et dont ils doivent
traiter. Pour revenir au Congrès de Vienne, on peut dire que c’est, au fil des
décennies à partir du début du 19ème siècle, la multiplication des conférences
diplomatiques (comme le Congrès de Vienne), qui a donné naissance aux
institutions internationales. La nécessité de mettre en place un bureau ou d’un
secrétariat pour assurer la liaison entre deux conférences, la nécessité d’avoir
une continuité du travail entre deux conférences, entre les sessions ont peu à
peu conduit à celle de mettre en place de manière permanente un support,
avec des personnels dédiés et spécialisés, mais avec aussi un siège. C’est ainsi
que, peu à peu les institutions internationales se sont mises en place par
rapport au système des conférences internationales (ex : conférences de
Washington sur les armements navals de 1921 à 1922).
I – 4 – 2 - Les traits communs, fondamentaux des OIG
Les OIG ont pour trait commun d’être fondées et constituées par des Etats et
elles sont animées par des représentants des gouvernements qui ont qualité
pour agir au nom de ces Etats. Les exceptions sont rares, comme la
représentation parlementaire, comme au Conseil de l’Europe, ou aussi la
représentation d’intérêts, comme à l’Organisation internationale du Travail
OIT, qui réunit sur un pied d'égalité les représentants des gouvernements, des
employeurs et des travailleurs pour débattre des questions relatives au travail
et à la politique sociale. Le secrétariat de l'Organisation, le Bureau international
du travail (BIT), a son siège à Genève.
Le pouvoir de décision lors des négociations dans les OIG demeure entre les
mains des délégués mandatés par les pays, par les gouvernements. Ce point
représente un point capital car il montre que les OIG ne sont pas autre chose
que la projection, sur le plan institutionnel, de cette forme très curieuse de
société, au sens sociologique, l’OIG, où sont juxtaposés, où se réunissent, où
discutent et négocient des Etats théoriquement souverains et égaux en droits,
mais qui sont en réalité de dimension et de puissance très inégale.
Nous insistons sur cet aspect fondamental des relations internationales et des
OIG, le principe d’égalité entre les Etats. Ce principe ne va pas de soi et
l’histoire diplomatique permet de mesurer cette évolution, qui passe au cours
des siècles, d’un protocole et d’un traitement inégalitaire entre les Etats à un
protocole égalitaire qui est concrétisé par la mise en place de l’ONU en 1945.
Encore que, sur ce point encore, on puisse discuter…
Les OIG et leur généralisation ont permis de confirmer et diffuser le principe
d’égalité entre les Etats dans les OIG
Cela n’allait pas de soi…
Pendant des siècles, les Etats appliquaient un traitement inégalitaire, comme
l’empereur de Chine qui considérait les autres peuples comme des barbares et
traitait leur souverain comme un vassal. Ou dans la lignée de l’empereur de
Byzance, le Sultan d’Istanbul, Grand Seigneur, calife de l’islam, qui estime qu’il
est investi d’une souveraineté universelle et il considère les simples rois et
monarques chrétiens comme inférieurs en rang et devant donc lui faire
allégeance. Ainsi, il ne reconnaît pas l’empereur romain germanique comme
empereur et s’adresse à lui comme simple roi de Vienne quand il lui envoie des
missives.
Plus proche de nous, en Europe, jusqu’à la fin du 18ème siècle, les Etats et
leurs souverains ne sont pas traités sur un pied d’égalité. Le pape Jules II
dresse ainsi en 1504 le un règlement des préséances des rois chrétiens, intitulé
Ordo Regum Christianorum (Règlement de rang des rois chrétiens). Ce
document a pour objectif de fixer l’ordre de préséance entre Etats et donc
entre leurs ambassadeurs, à mettre en œuvre dans les cérémonies officielles.
Dans ce document, le Saint-Siège est placé au sommet de la hiérarchie du fait
du statut suprême du souverain pontife dans l’Europe chrétienne et le
représentant officiel du pape, le nonce apostolique, occupe lui aussi le sommet
de la hiérarchie des ambassadeurs accrédités dans un pays (Il est à noter que
cette hiérarchie établie par la papauté dans le statut spécial du nonce
apostolique survit aujourd’hui dans certains pays, généralement à majorité
catholique. Le représentant du Saint-Siège est systématiquement doyen
(décanat) de la communauté diplomatique, quelle que soit son ancienneté
dans la fonction d’ambassadeur). Le Ordo Regum Christianorum est appliqué
pour la première fois le 12 mai 1504 à l’occasion de la réception de révérence
devant le souverain pontife du roi d’Angleterre (nous sommes avant la
Réforme). Les souverains sont alors placés selon l’ordre de préséance suivant :
Imperator Caesar (Saint-Siège), Rex Romanorum (Empereur du Saint-Empire
romain germanique), Rex Franciae (roi de France), Rex Hispananiae, Rex
Aragoniae, Rex Portugallae Portugal, Rex Anglae, Rex Siciliae (roi de Sicile), Rex
Scottiae (Roi d’Ecosse), Rex Ungariae (roi de Hongrie), Rex Navarrae (roi de
Navarre), Rex Cipri (roi de Chypre), Rex Bohemiae (roi de Bohème), Rex
Poloniae (roi de Pologne), Rex Daniae (roi du Danemark).
Le Congrès de Vienne mais avant lui les Paix de Westphalie (Les traités de
Westphalie marquent une évolution vers un traitement égalitaire des
souverains qui prend forme peu à peu dans les esprits. La paix de Westphalie
est le fruit de deux traités signés le même jour (24 octobre 1648) entre
l’empereur du Saint Empire romain germanique, la France et leurs alliés
respectifs, et celui d’Osnabrück, entre l’empereur et la Suède)
A l’issue de la Seconde guerre mondiale, le principe d’égalité est consacré de
façon essentielle en 1945 par la Charte des Nations Unies, qui repose sur le
Principe de l’égalité souveraine des Etats, tant il est vrai que la souveraineté,
qui suppose de n’avoir point de supérieur, impose en bonne logique l’égalité de
tous ses titulaires.
La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 codifie ces
relations interétatiques et confirme cette égalité entre Etats. Le principe
juridique fondamental établi par la Convention est bien l'égalité souveraine
des États, principe dont je viens de décrire le cheminement au cours des siècles
et surtout le XIXème. Ce statut juridique établi par la Convention accorde des
privilèges aux missions diplomatiques en tant que représentants des États, et
non dans le dessein de favoriser des individus. Tous les Etats, et tous leurs
représentants, doivent être traités sur un pied d’égalité selon leurs fonction
(ambassadeur, membre d’une mission diplomatique, adjoint de chef de mission
diplomatique) et non selon la taille ou la puissance du pays représenté.
S’agissant alors de l’ordre protocolaire en matière diplomatique, lors des
réunions internationales par exemple, il applique bien sûr le principe d’égalité
et puisqu’il faut bien un ordre, donc des règles de préséances (qui est placé
devant l’autre ?), cet ordre ne relève pas de la taille du pays, de son régime
politique, de sa puissance, etc. mais de l’ancienneté dans la fonction. Ainsi,
lors d’une réunion internationale comme le G7 ou le G20, vous pourrez noter
sur les photos que les chefs d’Etat ou de gouvernement sont placés en fonction
de leur ancienneté dans la fonction, par élection ou nomination. Sachant que le
chef d’Etat hôte, même s’il vient d’être élu, a le premier rang protocolaire.
Pour les ambassadeurs dans un pays donné, que l’on soit ambassadeur des
Etats-Unis ou de Chine, ou du Timor Leste, la règle est également celle de
l’ancienneté dans la fonction et donc de la date de la présentation des lettres
de créances de l’ambassadeur désigné auprès du chef d’Etat du pays hôte.
C’est l’application de l’article 16 de la Convention de Vienne sur les relations
diplomatiques de 1961.
Article 16
1. Les chefs de mission prennent rang dans chaque classe suivant la date et
l’heure à laquelle ils ont assumé leurs fonctions conformément à l’article 13. Le
rang évoqué dans cet article est le rang d’ancienneté de l’ambassadeur dans la
liste diplomatique. Le plus ancien est le doyen du corps diplomatique, qualité
qui le fait placer au premier rang du corps diplomatique lors des cérémonies
officielles. Le doyen joue aussi un rôle de représentant de l’ensemble du corps
diplomatique, intermédiaire auprès des autorités locales pour toute question
impliquant les diplomates en poste. Ainsi, lors de la crise Covid19, les doyens
des corps diplomatiques dans de nombreux pays ont joué un rôle de
coordination entre les ambassades et les autorités sanitaires des pays où ils
étaient accrédités pour régler les problèmes d’évacuation des ressortissants, de
vaccination des communautés étrangères, etc.
Nous en avons terminé avec le sujet du principe de l’égalité entre Etats qui, s’il
n’est pas évident dans les relations bilatérales, est appliqué dans les OIG ou OI.
S’il a été insisté sur ce point, parce que ce principe, universel depuis 1945,
constitue une avancée majeure dans le domaine des relations interétatiques.
Petit bémol cependant, en citant un auteur britannique, George Orwell, auteur
de 1984 et de la Ferme des animaux, d’où est tirée cette citation : « Tous les
animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres ». Nous faisons
allusion au Conseil de sécurité des Nations Unies où 5 membres de l’ONU et de
ce CSNU, dits membres permanents, sont plus égaux que les 188 autres pays
membres des Nations Unies, puisque, justement, ils sont permanents et n’ont
pas, comme les 10 autres membres non-permanents, à faire campagne pour
être élus, et que pour 2 ans. Et, comme il est souvent avancé, les membres
permanents bénéficient d’un privilège, le droit de veto. Il y a là, clairement,
une survie des relations inégalitaires entre Etats au sein d’une OI, qui plus est
la plus universelle. Cela fait 80 ans qu’est débattu cet héritage de la deuxième
guerre mondiale qui, selon nous, n’est pas près d’être changé.
I – 4 – 3 - Les organisations internationales, acteurs des relations
internationales ?
La question que nous devons nous poser à ce stade est de savoir si les OIG
peuvent être considérées comme des acteurs autonomes des relations
internationales ou, plus modestement, comme le cadre à l’intérieur duquel les
Etats qui les constituent déploient leurs activités, leurs rivalités, leurs
idéologies, voire leur propagande… Quel est alors le degré d’autonomie des
OIG, leur capacité à jouer pleinement leur rôle d’acteur des relations
internationales, au même titre que les Etats ? Les OIG sont-elles susceptibles de
jouer un rôle spécifique, indépendant du rôle des Etats-membres ? En d’autres
termes, quelles sont les capacités d’action des OIG, par rapport à celles des
Etats-membres et de leurs pouvoir de renforcer ou au contraire d’affaiblir les
actions des OIG ? Examinons 4 capacités, 4 rôles des OIG
- 1- S’agissant de la capacité de décision, il est difficile de dire que les OIG
ont plein pouvoir de décision. Dans l’immense majorité des cas, les OIG
émettent des recommandations, dépourvus d’effets obligatoires. Ainsi,
pour rester dans l’actualité récente mais aussi ancienne, chaque fois que
l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution invitant
ses membres à rompre leurs relations diplomatiques avec Israël en guise
de protestation contre le refus de ce pays d’évacuer les territoires
occupés, les pays qui ont refusé d’obtempérer n’ont jamais fait l’objet de
mesure de contraintes ou par exemple de poursuites judiciaires,
d’ailleurs par qui ? On pourrait dire la même chose des résolutions
relatives aux droits de l’Homme condamnant tel ou tel pays et invitant ls
Etats à prendre des mesures coercitives. On sait que ces textes ne sont
pas suivis d’effets. L’absence de d’effets pratiques attachés à ce type de
texte, de résolutions, justement, a pour inconvénient d’inciter les OIG à
multiplier les prises de position gratuites ou irresponsables ou à
camoufler leur impuissance sous des formules creuses… Les exemples
abondent. Cf. le romancier Albert Cohen, Mangeclous 1938 et Belle du
Seigneur. Pour résumer, les OIG ne disposent pas du pouvoir d’imposer
leurs volontés aux Etats-membres et finalement la capacité de décision
des OIG est la résultante des volontés de décision, et d’action des Etatsmembres et nous savons qu’elles peuvent diverger, voire être en
contradiction.
- Un mot alors, à ce stade, sur les résolutions du Conseil de sécurité qui
détient, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, du
pouvoir de prendre des décisions et de les faire appliquer, en cas de
besoin par la contrainte armée. Ce pouvoir de décision et ce caractère
obligatoire des résolutions du CSNU a en fait été paralysé par le pouvoir
exorbitant des 5 membres permanents du CSNU qui, avec leur droit de
veto ont pendant des décennies empêché la mise en œuvre de la force
et de la contrainte armée pour imposer les résolutions du CSNU. Pour
autant les 5 membres permanents ont pu trouver un terrain d’entente
sur certains dossiers et voter à l’unanimité certaines résolutions.
L’utilisation du droit de veto n’est d’ailleurs pas systématique. Quelques
exemples, comme la résolution 660 du Conseil de sécurité des Nations
unies votée le 2 août 1990 constate qu'il existe une invasion du Koweït
par les troupes irakiennes qui entraine un risque pour la paix et la
sécurité internationales, et qui condamne l'invasion, exige le retrait des
troupes irakiennes du Koweït, engage les deux pays à entamer des
négociations de paix et décide de se réunir ultérieurement pour
examiner les suites données à la présente résolution. Ce sera l’utilisation
de la force, avec le feu vert du SCNU, pour libérer le Koweït début 1991.
La résolution 687 de 1991 adoptée le 3 avril 1991, par le Conseil de
sécurité des Nations unies, qui concerne la fin de la guerre du Golfe et
l'inspection de l'Irak par des inspecteurs des Nations unies au sujet de
cachettes éventuelles d'armes de destructions massives ou d'armes
biologiques. Et bien sûr, citons, car vécue personnellement, la résolution
1368 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée à l'unanimité le
12 septembre 2001. Elle exprime la détermination du Conseil à lutter
contre les menaces à la paix et à la sécurité internationales résultant
d'actes de terrorisme et reconnaissant le droit de légitime défense
individuelle et collective avant de condamner les attentats du 11
septembre 2001 aux États-Unis. Il se trouve que la France assurait en
septembre 2001 la présidence mensuelle et tournante du CSNU et il lui
revenait de coordonner les travaux du Conseil.
- 2- S’agissant de la capacité d’influence des OIG, en revanche, il faut
reconnaître un rôle réel aux OIG. Ce rôle découle déjà du dialogue que
les OIG permettent d’instaurer entre des parties en conflit d’intérêt ou
en désaccord. Je pense même que cette capacité, ce pouvoir de
permettre un maintien du dialogue est un grand acquis des OIG. Nous
avons pu constater au cours de 12 années à New York/ONU que, même
en plein cœur d’un conflit ou d’une guerre, le réseau de communication
qu’offre l’ONU permet de ne pas rompre totalement les liens, de faire
passer des propositions, des suggestions, des messages. Rien ne serait
plus terrible que l’absence de lien entre des parties en conflit et cela
peut être constaté dans le suivi de l’actualité récente. Le rôle des
diplomates et particulièrement ceux de la diplomatie multilatérale,
demeure toujours et plus que jamais d’essayer des solutions pour
maintenir ou retrouver la paix. Dans le cas de l’Ukraine mais aussi de la
Palestine et d’Israël, l’heure est malheureusement à la force et à la
guerre mais nous pensons, nous espérons, vous souhaitons vivement,
que commencera tôt ou tard ce que l’on appelle l’ingénierie
diplomatique, c’est-à-dire les projets pour redonner la parole, et l’action,
aux diplomates, pour faire cesser les violences, les combats et les
guerres.
- 3- La capacité, la fonction, opérationnelle des OIG est sans doute la plus
visible et celle qui est la moins contestable, par rapport à la capacité de
décision. Qu’il s’agisse des actions humanitaires, d’éducation, de
développement, environnementales etc. il est manifeste que les OIG
possèdent bien et déploient cette capacité opérationnelle à agir sur le
terrain. Elle est cependant limitée par la volonté, ou la bonne volonté
des Etats-membres à financer les OIG. Nous avons de nombreux
exemples de la mauvaise volonté des Etats-Unis à verser leurs
contributions aux différents programmes des nations Unies, pour
diverses raisons. Songez, en pleine crise de la Covid, à la décision du
président Trump d’interrompre les paiements américains à l’OMS. Les
Etats-Unis retardent régulièrement, d’autre part, leurs versements à
l’UNESCO, pour des raisons politiques, OIG qu’ils avaient d’ailleurs
quittée en octobre 2017 mais qu’ils ont réintégré en 2023. Ils doivent
ainsi encore 3millions USD au Fonds du Patrimoine.
- 4- La capacité d’information des OIG est sans doute la plus importante,
voire la plus impressionnante. Le nombre de rapports, études, analyses
démographiques, rapports d’experts, documents statistiques produits
par les OIG sont des confirmations du rôle primordial joué par les OIG en
matière d’information et de leur contribution à une meilleure
connaissance du système international. Cette capacité a été décrite dans
le chapitre dédié à l’information et à l’analyse de l’information, points de
l’approche sociologique des relations internationales. Songeons, en
matière d’environnement, au rôle majeur joué par le GIEC sur
l’information et la connaissance relatives au réchauffement climatique.
Pour conclure sur les OIG en tant qu’acteur des relations internationales,
nous pouvons dire que ce rôle d’acteur a pris de plus en plus
d’importance au fil des décennies. On peut être déçu par le rôle limité
des OIG en matière de paix et de sécurité, évoqué avec le CSNU. En
revanche, dans les domaines du développement humain, de la santé, de
l’éducation ou de l’environnement, les OIG en tant qu’acteurs des
relations internationales vont voir leur rôle s’accroître. Citons aussi leur
contribution à la possibilité donnée aux pays les plus petits, les moins
riches ou les moins puissants à participer aux affaires du monde, grâce
justement à ces réseaux que constituent les OIG.
I - 5 - Les acteurs non-étatiques des relations internationales, les forces
transnationales
Nous irons vite sur ce paragraphe, dont les éléments sont bien connus des
étudiants. Citons donc
I – 5 – 1 - Les organisations non gouvernementales/ONG : ce sont les
groupements ou associations ou mouvements constitués par des individus
appartenant à différents pays en vue de la poursuite d’objectifs non lucratifs.
Nombreuses sont celles qui interviennent dans le champ international, dans de
nombreux domaines, parfois en accord et en complément, parfois en
désaccord ou en opposition avec les autres acteurs que sont les Etats ou les
OIG. Notons que de nombreux Etats et de nombreuses les OIG ont constitué
des listes d’ONG reconnues, validées, avec lesquelles ils travaillent, illustration
de l’imbrication des actions des acteurs des relations internationales.
Autre illustration du rôle croissant des ONG sur la scène internationale, les prix
Nobel de la Paix reçus par Amnesty international, la Campagne internationale
pour l’interdiction des mines antipersonnel, cofondée par 6 ONG dont
Handicap International ou par Médecins sans frontières.
I – 5 – 2 - Les firmes multinationales ou transnationales
Difficile de donner une définition précise des firmes multinationales, des
sociétés transnationales. Elles concernant tous les domaines d’activité et, après
un siècle où étaient surtout représentées les firmes automobiles comme Ford
ou General Motors, puis les firmes informatiques comme IBM, sont apparues
ensuite les GAFAM et autres géants du numérique. Nous savons que ces
sociétés sont des acteurs des relations internationales, parfois en opposition
avec les Etats. Songeons en particulier aux conflits relatifs aux régimes
d’imposition de certaines de ces sociétés. Là aussi, je ne fais que mentionner
les firmes multinationales comme acteurs des relations internationales.
I - 5 – 3 - L’opinion publique internationale
L’opinion publique, c’est l'ensemble des jugements, des avis, des convictions
et des valeurs, des jugements, des préjugés et des croyances plus ou moins
partagés par la population d'une société donnée. Existe-t-il une opinion
publique internationale ? Oui, sans doute, mais elle est très difficile à cerner, et
homogène, certainement pas, volatile, oui ! Joue-t-elle un rôle ? Oui ! Bref, ces
questions et réponses simples pour indiquer que nous pourrions passer des
heures à disserter du sujet. L’actualité très récente nous montre que la guerre
des images en Israël et sur la bande de Gaza influent sur les opinions publiques,
de manière très disparate, c’est indéniable. Pour autant, l’opinion publique
internationale, si elle existe, est-elle un acteur autonome des relations
internationales ? la réponse est non, du fait de la difficulté à la cerner, de ses
disparités, de sa volatilité ou de son caractère occasionnel.
I – 5 – 4 - Les médias
Là aussi, nous irons très vite, l’« infomonde », la globalisation, l’interconnexion,
internet etc. sont autant d’évolutions récentes qui donnent aux médias,
journaux, télévisions, réseaux sociaux, etc. un rôle majeur dans les relations
internationales. Les médias sont devenus des acteurs des relations
internationales mais, comme mentionné, nous nous intéressons aux rôles des
Etats et donc nous ne faisons que mentionner leur rôle croissant et nous
n’abordons bien sûr pas les pays où les médias sont des médias d’Etat ou
contrôlés par les Etats et où, de ce fait, ils complètent le rôle de l’Etat comme
acteur des relations internationales. Nous pourrions ainsi disserter longtemps
sur l’autonomie d’action des médias dans le domaine des relations
internationales.
*
Nous avons donc abordé les acteurs des relations internationales, acteurs
étatiques, Etat et OIG, et acteurs non-étatiques, ONG, FMN, opinion publique
et médias, tous acteurs, autonomes, ou pas des relations internationales.
Venons-en justement aux relations internationales, avant d’aborder la politique
étrangère, en rappelant quelques définitions. Nous traiterons 3 termes, du plus
général au plus précis : Relations internationales, Politique étrangère et enfin
Diplomatie.
I – 6 – Définitions en matière de relations internationales
I – 6 – 1 - Relations internationales
Quelques commentaires sur cette discipline, que nous affectionnons
particulièrement et qui constitue le socle de la formation des diplomates, avec
en complément l’économie internationale pour ce qui nous concerne. La
discipline universitaire des relations internationales, suivie par les étudiants de
Master 2 depuis plus de quatre ans, constitue, par son statut transdisciplinaire
une « discipline-carrefour » et elle est une spécialisation de la science politique.
Historiquement, les objets des relations internationales ont d’abord été étudiés
via l’histoire, le droit, puis l’économie politique, la géographie et la géopolitique
Les relations internationales, sous le terme de International Studies, sont
marquées par leur origine anglo-saxonne : britannique après la Première
Guerre mondiale, puis américaine après 1945. Pendant des décennies les RI ont
été marquées par l’étude des politiques étrangères, l’analyse des crises
diplomatiques, des conflits, de la guerre et de ses facteurs, ou bien des accords
de paix, de la coopération et de ses ressorts. Les étudiants des années d’aprèsguerre, jusqu’aux années 70, ont ainsi surtout étudié, en RI, les relations
interétatiques, alors que, depuis une trentaine d’années les phénomènes
transnationaux (mondialisation économique, migrations, religions ou encore
terrorisme) ont pris une place croissante dans les RI.
Les relations internationales constituent donc un objet d’études très vaste
puisqu’il englobe les rapports de toute nature que les organismes publics et
privés, les groupements de personnes et les individus des divers États ont
noués entre eux dans le passé, entretiennent dans le présent et prévoient
développer dans le futur. Toutes les sciences et notamment les sciences
sociales telles que le droit, l’histoire, l’économie, la philosophie, la psychologie,
la démographie, la sociologie, la science politique, peuvent être impliquées
dans les RI. Chaque discipline aborde évidemment ces relations sous un angle
différent, en privilégiant l’analyse de certains types d’interactions entre
certaines catégories d’acteurs.
Nous traiterons cependant dan dans ce cours les relations internationales sous
l’angle des relations entre États. L’expression relations internationales désigne,
au sens littéral, les rapports entre les nations. Cette distinction vient du fait que
l’État a longtemps été confondu avec la nation, en raison de l’aspiration des
États modernes à unifier en une seule nation les groupes humains résidant sur
leurs territoires. Si certains y sont parvenus, la plupart sont demeurés des États
plurinationaux. En outre, le caractère multiethnique des États s’est accentué au
XXème siècle à cause des tracés de frontières issus de la décolonisation, des
déplacements de population et des mouvements migratoires qu’elle a
engendrés et du fait des guerres et des inégalités de développement.
L’expression « relations internationales » n’est donc plus complètement
justifiée. Elle continue néanmoins d’être d’usage courant, bien que certains
spécialistes aient tenté de lui substituer celle de « relations interétatiques ».
C’est cette approche, celle des relations interétatiques que nous adoptons
donc dans ce cours.
I – 6 - 2 - Politique étrangère
La politique étrangère est définie de façon générale comme « l’instrument par
lequel un État tente de façonner son environnement politique international par
lequel il tente d’y préserver les situations qui lui sont favorables et d’y modifier
les situations qui lui sont défavorables » (Frédéric Charillon).
La politique étrangère constitue la matière première par excellence des
relations internationales. Leur objet - les interactions se déroulant en dehors
de l’espace contrôlé par un seul État - inclut par définition les actions et
décisions des États envers les autres acteurs – étatiques et non étatiques - de la
scène internationale. Ce point explique la place qu’occupe au sein de la
discipline des relations internationales l’analyse de la politique étrangère et de
la diplomatie des pays.
Les étudiants français en relations internationales du XXème siècle, dont nous
faisons partie, devaient assimiler les ouvrages de Jean-Baptiste Duroselle, dont
Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, somme d’informations de plus de
1000 pages, régulièrement actualisée.
I - 6 – 3 - Diplomatie
Nous allons nous étendre un peu plus longtemps sur cette définition, d’autant
que le terme a plusieurs acceptions. Et nous nous attarderons sur les praticiens
de la diplomatie, les diplomates.
Définitions du Larousse :
- Branche de la science politique qui concerne les relations internationales.
- Action et manière de représenter son pays auprès d'une nation étrangère et
dans les négociations internationales.
- Fonction, carrière de quelqu'un qui est employé à cette représentation ; corps
constitué par ces fonctionnaires.
Une distinction importante existe donc entre la diplomatie et la politique
étrangère, même si elles sont étroitement liées, complémentaires et
indispensables l’une à l’autre.
La politique étrangère correspond aux choix stratégiques et politiques des plus
hautes autorités de l’État. En France, elle relève du chef de l’État, du Premier
ministre et du ministre des Affaires étrangères et européennes.
La diplomatie est la mise en œuvre de la politique étrangère d’un Etat par son
ministère des Affaires étrangères et par les agents qui y travaillent, les
diplomates. Les expressions, politique étrangère et diplomatie ne sont donc
pas synonymes, mais la première ne pourrait pas exister sans la seconde.
« La politique extérieure est l’art de diriger d’un Etat avec un autre Etat. Ce sont
surtout les principes, les tendances générales, les objectifs essentiels de l’action
d’un Etat hors de ses frontières. La diplomatie, elle, est l’art d’assurer
l’exécution et, s’il est possible, l’heureuse réalisation du programme ainsi tracé,
son application méthodique et quotidienne. ». Léon Noël, ambassadeur de
France en Pologne, 1939.
Une mention sur l’origine du mot « diplomatie ». Les rudiments de la
diplomatie, de l’art diplomatique, apparaissent en Grèce, quand les cités
grecques éprouvent le besoin de négocier entre elles traités, accords, alliances
ou arbitrages. Diplomatie, diplomate, découlent ainsi du mot diplôme, mot
grec décrivant un document officiel de grand format, plié en deux puis, par
extension, toute espèce de document d’archive relatif à un accord extérieur.
Le terme diplomatie n’apparaît pourtant qu’en 1790 dans un débat de
l’Assemblée nationale publié par le Moniteur universel, journal fondé en 1789
visant à décrire au public les événements de la Révolution et l’actualité et à lui
présenter le compte-rendu détaillé des séances de l'Assemblée nationale. Le
Dictionnaire de l’Académie française intègre le mot diplomatie en 1798 et le
mot diplomate n’y fait son entrée que sous la monarchie de Juillet. A noter que
le mot anglais diplomacy dérive du mot français.
Diplomatie recouvre à la fois la pratique des rapports entre Etats et le métier
de ceux qui ont choisi de servir leur pays à l’étranger.
Dans la plupart des définitions, diplomatie a une connotation positive. Le mot
équivaut à habileté, doigté, finesse, tact dans les rapports personnels en
général, d’où l’expression faire preuve de diplomatie. Mais le Dictionnaire de la
Langue française (le Littré) et le Trésor de la Langue française évoquent aussi
ruse et rouerie comme traits de caractère attachés à la diplomatie. Le
philosophe Diderot écrit ainsi : « Un ambassadeur est un homme rusé et faux,
envoyé aux nations étrangères pour mentir en faveur de la chose publique. ».
Raymond Aron, philosophe pour lequel j’ai une profonde admiration, écrivait :
« Le génie diplomatique consiste à dire à chacun ce qu’il veut entendre et
pourtant ne mentir à personne ».
Talleyrand, un des plus grands ministres français des Affaires étrangères, acteur
majeur du Congrès de Vienne de 1815, mentionné dans ce cours, avait une
haute idée des diplomates et il écrivait : « Dans chaque pays et en tout temps,
le ministère des agents diplomatiques est tenu en vénération parmi les
hommes. Ministres de la paix, organes de conciliation, leur présence est un
augure de sagesse, de justice, de bonheur. Ils parlent, ils agissent pour terminer
ou prévenir ces fatals différends qui divisent les princes et avilissent les peuples
par les passions, les meurtres et les misères qui sont les conséquences de la
guerre. Telle est la mission du ministère diplomatique et il doit être dit que c’est
à l’observance des devoirs qu’il s’impose, c’est au caractère généralement
respectable des hommes qui exercent ce ministère sacré en Europe, qu’il doit la
gloire et le bonheur dont il jouit. ».
Citons aussi Jules Cambon, premier Secrétaire général du Quai d’Orsay, qui
écrivait en 1926 dans Le Diplomate : « Tant que les gouvernements des divers
pays auront des rapports entre eux, il leur faudra des agents pour les renseigner
et les représenter, et qu’on leur donne le nom qu’on voudra, ces agents feront
de la diplomatie. Le rôle de ces agents deviendra chaque jour plus malaisé. La
presse, les couloirs des parlements, l’activité des hommes d’affaires, l’ignorance
du public, les impatiences de l’opinion qui veut tout connaître et qui, après
qu’on lui ait tout expliqué, n’en sait pas davantage : si les gouvernements
montrent un peu de prudence dans le choix de leurs agents, ceux-ci surmontent
toutes ces difficultés ». Propos visionnaires d’il y a cent ans… Jules Cambon
ajoutait « Je ne connais pas de métier plus divers que celui de diplomate » Il
n’en est point où il y a moins de règles précises et plus de traditions, où il faille
plus de persévérance pour réussir et où le succès dépende davantage des
circonstances ; point où une discipline exacte soit aussi nécessaire et qui exige
de celui qui l’exerce un caractère plus ferme et un esprit plus indépendant. ».
Nous pourrions passer des heures à citer les auteurs, français ou étrangers,
ayant décrit la diplomatie et les diplomates, tant les définitions, les perceptions
et les commentaires sur ces deux sujets sont nombreux, riches et variés.
I - 6 – 4 – Politique étrangère et politique de défense
Un pays ne peut avoir de politique étrangère qui ne soit cohérente avec sa
politique de défense. Puisque nous allons aborder la politique étrangère de la
France, examinons deux moments de l’histoire de la France au XXème siècle
où la politique étrangère de la France s’est trouvée soit en contradiction avec la
stratégie militaire du pays, soit où la politique de défense a été obérée par les
décisions prises en matière de politique générale et de politique étrangère.
Nous insistons sur ce point, la connaissance de l’histoire permet de mieux
comprendre le passé mais aussi fournit des clés pour le présent et permet de
mieux appréhender ainsi le futur.
Rappel : La politique étrangère correspond aux choix stratégiques et politiques
des plus hautes autorités de l’État. En France, elle relève du chef de l’État, du
Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères et européennes.
Définition de la politique de défense du ministère des Armées : « La politique
de défense constitue le volet défense de la stratégie de défense et de sécurité
nationale, qui est interministérielle.
Afin de contribuer de façon coordonnée à l’atteinte des objectifs fixés par la
politique de défense au niveau du ministère, la stratégie de défense assure la
mise en cohérence des « voies et des moyens » mis en œuvre par les différents
services. ».
A – La politique étrangère de la Troisième République pendant l’entre-deux
guerres, 1918-1939
Tout d’abord examinons l’exemple de la politique étrangère de la France sous
la IIIème République, pendant l’entre-deux guerres. C’est sur cet exemple que
nous insisterons car il concerne un pays, la France, sorti vainqueur en 1918 et
doté alors de la première armée au monde, pays qui fournit des équipements
modernes à de nombreux alliés, dont les Etats-Unis (avions, chars Renault) et
qui forme ses soldats.
La France sort traumatisée par la Première guerre mondiale, avec une partie de
son territoire occupé et 1,5 millions de morts. La démographie Et pour cause :
la première guerre mondiale a décimé environ un tiers des hommes qui avaient
20 ans en 1914, la « classe 14 ».
La mortalité infantile sévit encore au début du XXème siècle. La génération née
en 1894, soit la classe 14, avait ainsi déjà perdu 28% de ses membres masculins
avant la guerre. Sur les 72% restants, un tiers (soit 24% des garçons nés en
1894) périrent dans les combats, « le taux le plus élevé de toutes les classes
mobilisées ». Fin 1918, les deux « faucheuses », mortalité infantile et guerre,
avaient éliminé 52% des hommes nés en 1894.
Au total, durant ce conflit, la France a subi 1,5 million de morts sur 7,9 millions
d'incorporés, soit 18% des effectifs, contre 15% pour l'Allemagne. 74 millions
d'hommes furent mobilisés entre 1914 et 1918 dans les pays belligérants (48
par les Alliés, 26 par les puissances centrales), dont 10 millions périrent, soit
14%.
En France, les veuves déjà nombreuses avant 1914, du fait d'une forte
surmortalité masculine, voient leur nombre doubler du fait de la guerre dans la
tranche des 25-44 ans : 10% en 1920 contre 5% en 1913. Aux 2,4 millions de
veuves que comptait déjà le pays en temps de paix, le conflit ajouta un demimillion de jeunes veuves de guerre, qui durent élever environ un million
d'orphelins.
Conséquence directe : la guerre divisa par deux le nombre annuel de
naissances (à 400.000) et plus d'un million de naissances ne furent jamais
rattrapées. Si bien que la France se retrouva, en 1939, le pays le plus âgé du
monde (rang occupé aujourd'hui par le Japon). Il fallut attendre le pic de
natalité (ou baby-boom) des années 40-50 pour changer la donne.
Il faut impérativement avoir à l’esprit cette situation démographique, sociale,
psychologique pour comprendre la politique de défense de la France pendant
l’entre-deux-guerres
. Cette faiblesse démographique et le traumatisme des hécatombes des
tranchées vont en effet fortement influencer la doctrine militaire de l’entredeux-guerres. La Première guerre mondiale a montré en effet l’avantage que
pouvait avoir la défense sur l’attaque. Pour citer le maréchal Pétain, qui jouera
de son prestige au cours de la Première guerre mondiale pour influencer la
stratégie de l’entre-deux guerres, « Le Feu tue ». Pétain ainsi met l’accent sur
l’action létale des armes à feu, ce qui semble pourtant une évidence. Et il prend
en compte cette donnée nouvelle en prenant aussi le contrepied de ses
homologues qui en 1914, prônent « l'offensive à outrance », principal sinon le
seul principe d'action retenu par le haut commandement pour obtenir la
victoire : l'armée française se jette alors sur son adversaire pour tenter de le
bousculer, et obtenir ainsi une décision rapide pouvant mettre un terme à la
guerre…
Résultat : 27 000 Français sont tués le 22 août 1914, le jour le plus sanglant de
l'histoire de France. C'est quatre fois plus qu'à Waterloo, autant que durant les
huit années de la guerre d'Algérie.
Cette approche tactique et stratégique va durer plusieurs années, même après
Verdun. Songeons aux offensives Nivelle. Comme on le sait, cette stratégie
suscite des pertes très importantes et son coût humain a été très élevé (dès la
fin de l’année 1914, trois cent mille morts et disparus, six cent mille blessés).
L’armée française contrainte de reculer précipitamment sous la pression
allemande, la catastrophe ne sera évitée sur le plan militaire que par la victoire
de la Marne. Sous d’autres formes (« percée par attaque brusquée » en 1915, «
école de Verdun » des généraux Nivelle et Mangin en 1916 et 1917), l’offensive
à outrance visant à la percée décisive n’en continuera pas moins d’être le
principe directeur des opérations jusqu’en 1917 : Artois, Champagne, Argonne
en 1915, seconde phase de la bataille de Verdun et Somme en 1916, Chemin
des Dames en 1917. Pétain interrompt ces opérations pour réorganiser l’armée
et améliorer les conditions de vie des soldats (ravitaillement, permissions, etc.)
dans l’attente des nouveaux éléments susceptibles de changer le rapport des
forces (intervention du corps expéditionnaire américain, arrivée en nombre des
nouveaux chars légers Renault, développement de l’artillerie lourde) qui lui
permettront d’affronter défensivement et avec succès les grandes offensives
allemandes du printemps 1918. En 1914 et 1915, le leitmotiv de l’armée
française est donc l’offensive, l’offensive. Le Maréchal Pétain permet de
démontrer la létalité nouvelle du feu. Une attaque mal préparée est appelée à
se heurter à des défenseurs bien préparée. Inversement, une défense bien
élaborée permet de limiter les pertes et de contenir l’ennemi.
Dès la fin des années 1920, la décision d’interrompre l’occupation militaire de
la Rhénanie est prise. Lorsqu’elle devient effective en 1930, il apparaît au
contraire prioritaire d’assurer la protection du territoire national dans ses
nouvelles frontières. Cette idée centrale inspire la construction de la ligne
Maginot laquelle vise à empêcher une « attaque brusquée » de l’armée
allemande avant la complète mobilisation des armées françaises. La ligne
Maginot n’est nullement réductible au mythe sécurisant mais illusoire auquel
elle a donné naissance dans les années précédant la guerre. Sa construction
s’est inscrite dans un contexte particulier et transitoire, antérieur à l’arrivée au
pouvoir de Hitler (désarmement de l’Allemagne, fin de l’occupation militaire de
la Rhénanie, instauration du service d’un an, réduction du format de l’armée),
et elle n’a pas été « l’absurdité » si souvent dénoncée avec complaisance.
Enfin, son coût n’a pas été aussi élevé qu’on a bien voulu l’affirmer dans la
mesure où il doit être fortement relativisé par le montant particulièrement
faible des budgets de la Défense dans les années 1930-1935. Même si la ligne
Maginot est discontinue et ne couvre pas l’ensemble des frontières. Pour des
raisons tout à la fois politiques et militaires, elle permet d’assurer la défense du
front de Lorraine et d’Alsace ainsi que du bassin industriel de la Moselle par la
construction de nouvelles et puissantes fortifications. Cette mission a bien été
remplie en mai-juin 1940 puisque la presque totalité des ouvrages ont résisté
avec succès aux attaques allemandes et n’ont été contraints à la reddition
qu’après le retrait des troupes d’intervalles et l’entrée en vigueur de
l’armistice.
En revanche, la Ligne Maginot a été mal utilisée en 1939-1940, tout
particulièrement en ce qui concerne le domaine de l’économie des effectifs, sa
seconde fonction. Pas moins de quatre voire cinq armées ont été positionnées
derrière la ligne Maginot pour assurer sa défense en profondeur, immobilisant
près de cinquante divisions jusqu’à la fin du mois de mai 1940 et privant ainsi le
haut commandement des unités et des effectifs nécessaires pour faire face
rapidement à la surprise stratégique qu’a constituée l’offensive des Ardennes
et la percée de Sedan.
Cette politique essentiellement défensive corrompt les esprits et détourne les
militaires, les stratèges et les hommes politiques de la prise en compte du
progrès technique et des innovations stratégiques que représentent le char,
l’avion et surtout la combinaison de ces deux moyens mécaniques et
dynamiques. Seuls quelques visionnaires, comme le général de Gaule, (Vers
L’Armée de métier) comprendront la nécessité de mettre en place des forces
mécanisées et mobiles capables d’attaquer, à la différence des forces placées
sur et derrière la ligne Maginot.
Pendant cette période, la politique étrangère vise essentiellement à passer
des alliances avec les pays européens autres que l’Allemagne afin d’être en
mesure de faire face à la puissance potentielle du pays, certes vaincu en 1918
mais qui demeure un pays plus puissant que la France sur le plan économique
(pas de destructions pendant la guerre) et démographique. Un de nos maîtres,
Jean-Baptiste Duroselle, a appelé la politique étrangère de cette période, ses
incohérences, ses maladresses et ses faiblesses, la « Décadence », titre d’un de
ses ouvrages majeurs. La crise de 1929 a une conséquence forte, la suspension
(moratoire Hoover 1931) puis l’arrêt (conférence de Lausanne 1932) des
paiements de réparations décidés par le traité de Versailles. Conséquence, la
France et ses aillés suspendent également leurs remboursements,
essentiellement aux Etats-Unis, ce qui renforce l’isolationnisme américain. In
fine, l’Allemagne n’aura payé que 20 milliards de mark-or, dont 10 à la France,
sur les 132 milliards fixés à Versailles.
Avant même l’accession au pouvoir de Hitler, l’Allemagne est libérée de la
plupart des contraintes imposées à Versailles. Hitler ira plus loin en lançant le
réarmement allemand en 1935. Face au danger allemand, la France se tourne
vers l’Angleterre, l’allié de la Première guerre mondiale, mais l’Angleterre
reste attentiste et en outre elle a, depuis 1918, comme ligne directrice en
droite ligne de sa tradition diplomatique, qui de tout faire pour éviter
l’apparition d’une puissance plus forte que les autres sur le continent, jeu
d’équilibre délicat et dangereux. La placidité de l’Angleterre face à la montée
du péril allemand est frappante, alors que la réaction française est, bien au
contraire, de craindre de plus en plus le retour et la montée de la puissance de
l’Allemagne. La France se tourne donc vers l’Italie de Mussolini mais l’invasion
de l’Ethiopie et les sanctions de la SDN jettent l’Italie dans les bras de Hitler.
Une alliance avec l’URSS est envisagée mais reste dans les limbes.
Nous connaissons l’épisode des accords de Munich signés entre l'Allemagne, la
France, le Royaume-Uni et l'Italie, représentés respectivement par Adolf Hitler,
Édouard Daladier, Neville Chamberlain et Benito Mussolini (ce dernier s'étant
commis en intermédiaire) à l'issue de la conférence de Munich du 29 au 30
septembre 1938. Le président tchécoslovaque, Edvard Benes, et le secrétaire
général du Parti communiste de l'Union soviétique, Joseph Staline, ne sont pas
invités. Ces accords ont pour but de régler la crise des Sudètes mais
indirectement scellent la mort de la Tchécoslovaquie en tant qu'État
indépendant. Ils permettent à Hitler d'annexer les régions tchécoslovaques
peuplées majoritairement d'Allemands. Ces accords illustrent le terme de
« décadence » cité supra. Ils illustrent aussi la politique étrangère de la France
qui suit l’Angleterre, dont les priorités sont tout autres.
Autre exemple, la Pologne. Dans son souci de passer des accords avec tous les
pays européens pour contrôler leur montée en puissance, une alliance militaire
entre le Royaume-Uni et la Pologne est officialisée par l'accord anglo-polonais
en 1939, prévoyant une assistance mutuelle en cas d'invasion militaire de
l'Allemagne, comme spécifié dans un protocole secret. De son côté, les
engagements militaires franco-polonais qui suivent l’alliance signée en 1921,
sont plus précis à l’avant-veille de la Seconde Guerre mondiale. Le 19 mai 1939,
est ainsi signé à Paris le document dit le protocole Kasprzycki–Gamelin.
D’autres accords ont été conclus après le déclenchement de la guerre, en
septembre 1939. Ceux-ci permettaient de fonder une Armée polonaise en
France.
Résultat, quand la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne
après l’invasion de la Pologne, elles le font dans les pires conditions, entre
autres militaires. L’Angleterre n’a une armée que de 800 000 soldats en 1939,
qui doivent protéger le pays mais aussi l’Empire. La France, comme je l’ai
mentionné, a une armée essentiellement statique, dépourvue moins de
matériels modernes, avions et chars par rapport à l’Allemagne (la France est
relativement bien dotée et des progrès sont faits dès le Front populaire) mais
dépourvue surtout d’une stratégie adaptée à sa politique étrangère ; Comment
en effet intervenir en Pologne quand la plupart des moyens de « projection »,
comme on dirait aujourd’hui, n’existent pas ? Ce décalage explique en partie la
défaite de 1940.
Autre aspect de la politique étrangère de la France en Europe, le respect de la
neutralité belge, qui conduit à ne pas prolonger la ligne Maginot jusqu’à la
mer. D’où l’entrée en Belgique des forces mobiles françaises et leur
enfermement dans la nasse dont celle de Dunkerque après l’offensive du 10
mai 1940 dans les Ardennes. Fallait-il entrer en Belgique ? En déplaçant le
terrain des affrontements dans les deux pays voisins, cette décision présente
l’avantage d’épargner le territoire national. Cette préoccupation est centrale
pour comprendre la stratégie militaire française relativement rationnelle
définie par le général Gamelin en 1939-1940, et trop souvent caricaturée.
Donc pour résumer, une politique étrangère française dans l’entre-deuxguerres qui suppose l’envoi de forces militaires en dehors des frontières alors
que la majorité de ces forces militaires sont statiques et dépourvues de
moyens mobiles et que, surtout, la doctrine d’emploi est basée
essentiellement sur la défense.
B - Deuxième exemple : la politique étrangère de la Quatrième République.
1945 – 1958
Les priorités de la IVème République en matière de politique étrangère,
l’engagement dans l’OTAN
L’obsession initiale de la politique étrangère de la France de 1944 à 1948 est
d’empêcher le relèvement de l’Allemagne, d’où la signature d’une alliance
signée avec l’Union soviétique en décembre 1944 et avec l’Angleterre en mars
1947, deux alliances ouvertement dirigées contre l’Allemagne. La France a été
battue en 1940 et exclue des conférences de Yalta (février 1945) et de Postdam
(juillet 1945) mais, grâce à la volonté et à la ténacité du général de Gaule ainsi
qu’à la vision de Winston Churchill, la France a pu prendre place parmi les pays
vainqueurs, être présente à la signature des actes de capitulation en mai à
Reims et en septembre à Tokyo et obtenir une place comme membre
permanent du tout récent conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi qu’une
zone d’occupation en Allemagne (prise sur les zones britannique et
américaine). C’est ainsi d’ailleurs que le français devient langue officielle des
Nations Unies, les autres langues étant celle des vainqueurs, anglais (Etats-Unis
et Angleterre), russe (URSS) et chinois (Chine). L’espagnol est retenu parce que,
en 1945, la moitié des pays membres des Nations Unies sont hispanophones, le
continent sud-américain ayant alors achevé son processus de décolonisation au
XIXème siècle. La décolonisation est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles
Churchill a appuyé le général de Gaule, alors que l’on connaît les relations
parfois très orageuses entre ces deux géants de l’Histoire. En effet, Churchill ne
souhaite pas que l’Angleterre se retrouve seule et en tête-à-tête face aux
pressions décolonisatrices des deux autres « Grands », les Etats-Unis et l’URSS.
La France veut donc éviter les errements de l’entre-deux guerres et souhaite
pouvoir prévenir toute réapparition de la puissance allemande. Ainsi, dans sa
zone d’occupation, sa politique est plus dure que dans les autres zones
d’occupation. Elle souhaite démembrer l’Allemagne, annexer la Sarre, inclure
la Rhénanie dans un ensemble ouest-européen qu’elle dominerait et
internationaliser la Ruhr, cœur industriel de l’Allemagne et donc source
potentielle d’un réarmement allemand.
Mais les difficultés de la reconstruction et la détérioration rapide des relations
est-ouest et le début de la Guerre froide, concrétisée en France par le Plan
Marshall en 1947, empêchent ces orientations souhaitées de la politique
étrangère. On assiste donc à une réorientation de la politique étrangère de la
IVème République. La dépendance vis-à-vis des Etats-Unis est acceptée et elle
va de pair avec un engagement résolu dans la construction européenne. La
France accepte la fusion des zones d’occupation et la fondation de la
République fédérale d’Allemagne à l’ouest en mai 1949 (et celle de l’Allemagne
de l’est en octobre 1949). Passons rapidement sur le traité CECA et sur l’échec
de la CED communauté européenne de défense, causé par la crainte d’un
réarmement allemand. Mais la France s’engage ensuite clairement dans
l’alliance de l’OTAN et, à partir de 1954, s’en remet à l’OTAN pour contrôler la
mise en place de l’armée allemande, la Bundeswher et pour assurer la sécurité
occidentale face à la menace soviétique. S’agissant de la Sarre, que la France
voulait intégrer à son territoire, est rattaché à la RFA le 1er janvier 1957, à la
suite d'un référendum organisé en octobre 1955. Ce règlement, pacifique
(songeons à l’Alsace Lorraine, objet de deux conflits entre la France et
l’Allemagne) est une première étape vers la réconciliation franco-allemande.
Cet engagement de la France dans l’OTAN implique pour le pays une
contribution aux forces de l’Alliance sous contrôle et directives américaines.
La France est un des pays fondateurs en 1949 de l'Alliance Atlantique et,
affaiblie après la deuxième guerre mondiale et se remémorant le retard à
l’intervention américaine au cours de ces deux conflits, elle œuvre pour obtenir
la garantie d’une intervention américaine précoce en cas d’attaque soviétique.
La France constate en effet son impuissance et l’insuffisance de ses moyens
militaires, même dans le cadre de son alliance avec Londres. En signant le
traité de Washington le 4 avril 1949, la France est donc un des membres
fondateurs de l’Alliance atlantique, et la transformation de l’Alliance en
organisation structurée au début des années 1950 en fait, grâce à sa situation
de carrefour géographique, un membre essentiel : des bases américaines et
canadiennes sont installées sur son territoire, ainsi que les organes de
commandement, comme les Supreme Headquarters Allied Powers Europe
(SHAPE), dirigés par un général américain – le Supreme Allied Commander
Europe (SACEUR). Le quartier général de l’OTAN est ainsi construit à Paris dans
le XVIème arrondissement, porte Dauphine pour être ensuite transféré à
Bruxelles après le retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN en
1966 décidée par le général de Gaule. (Pour la petite histoire, ce quartier
général deviendra dans les années 70 l’université de Paris Dauphine où j’ai
étudié l’économie internationale au tout début des années 80). Cette
contribution de la France à l’OTAN lui impose donc de formater ses forces
armées selon le cade décidé par Washington, d’autant plus que le plan
Marshall permet des livraisons conséquentes d’armement américain, parfois
au détriment d’équipements de construction nationale. La politique de
défense, la stratégie militaire française sont donc, jusqu’à la fin des années 60,
de s’aligner sur la stratégie américaine, d’où une spécialisation dans certains
domaines. La Marine nationale se dote ainsi, avec l’aide américaine, d’une
importante flotte de dragueurs de mines car il est décidé par les Etats-Unis que
la France sera pays-leader en matière de lutte contre les mines. Durant la
période de guerre froide, les marines ouest-européennes étaient intégrées au
sein d’un système de défense euro-atlantique destiné en priorité à lutter
contre l’hégémonie continentale d’un ennemi connu, désigné et prévisible.
Dans ce cadre, les missions principales des forces navales consistaient, outre
une défense des approches maritimes nationales, en la défense des lignes
maritimes de communication (SLOC) euro-atlantiques, de manière à assurer,
en cas de conflit, le ravitaillement de l’Europe et la logistique de guerre. Il
s’agissait donc en priorité de tâches défensives (défense du territoire, défense
des SLOC), qui se traduisaient opérationnellement par un effort porté sur la
guerre des mines et la lutte anti-sous-marine. Le souvenir de la Bataille de
l’atlantique, qui avait vu les sous-marins allemands en péril le ravitaillement de
l’Angleterre avait laissé des traces et la constitution d’une flotte soviétique de
sous-marins de plus en plus forte représentait une menace prise en compte.
Il faut noter que la principale préoccupation de la France était la protection de
ses territoires et l’affectation immédiate de ressources militaires. Ces deux
aspects ont été très tôt mis en œuvre. Étant une puissance influente, la France
a obtenu qu’une clause mentionnant « les départements de l’Algérie française
» figure dans le Traité de l’Atlantique Nord – cette clause est devenue caduque
lorsque l’Algérie a accédé à l’indépendance, en 1962.
Ce qui nous conduit à une contradiction entre la politique étrangère et la
politique de défense, liée à la décolonisation, que des auteurs qualifient de
« douloureuse décolonisation ».
En effet la France, au sortir de la guerre, décide s’accrocher à son empire
colonial, non seulement parce que ce dernier et les troupes coloniales ont
participé à la libération de la métropole mais aussi parce que l’Empire
constitue un fondement de son statut de grande puissance mondiale. Gaston
Monnerville, homme politique guyanais, Président à partir de 1947 du Conseil
de la République, chambre haute de la Quatrième République et Président du
Sénat sous la Cinquième République, déclare ainsi : « Sans l’Empire, la France ne
serait qu’un pays libéré ; grâce à son Empire, la France est un pays vainqueur ».
C’est ce qui explique, sans l’excuser bien sûr, la réaction brutale et la répression
par les forces armées et de police lors des manifestations de Sétif en Algérie le
8 mai 1945, jour même de l’armistice. C’est aussi ce qui explique l’envoi d’un
corps expéditionnaire à Madagascar en 1947 pour mater des mouvements
insurrectionnels. Mais c’est surtout à partir de 1946 l’envoi d’un corps
expéditionnaire en Indochine, le CEFEO, qui combattra jusqu’en 1954.
Cette guerre d’Indochine, guerre de décolonisation s’inscrit dans un contexte
de Guerre froide. Réticents en 1946 à soutenir la France dans son effort
militaire pour reprendre pied en Indochine, l’aide américaine, en particulier
après le déclenchement de la guerre de Corée en 1950, s’accroît régulièrement.
Ainsi, pour 1954, les crédits prévus pour la guerre d'Indochine s’élèvent à 626
milliards de Francs, dont 136 à la charge de la France, soit 22% seulement. La
France devait faire face à la guerre en l’Indochine, à son réarmement en
Europe mais aussi à la modernisation de son économie, quadrature du cercle
qui a conduit le pays à faire des choix, dont une réduction des crédits affectés à
la reconstitution des forces armées en Europe, malgré le plan Marshall et l’aide
américaine et donc à réduire sa contribution aux forces devant être engagées
auprès de l’OTAN.
La fin de la Guerre d’Indochine ne règle pas cette contradiction puisque,
presqu’au même moment démarre le conflit de la décolonisation de l’Algérie,
qui va engloutir également une grande partie des crédits militaires, au
détriment de la place de la France dans le dispositif de l’OTAN. Les Etats-Unis,
outre leur politique traditionnelle en faveur des politiques de décolonisation,
amplifiée par la situation inconfortable de la France à l’ONU, reprochent à la
France de ne pas assez contribuer aux forces de l’OTAN en Europe et donc à la
protection du continent face à la menace soviétique.
Il est à noter que en 1956, la crise de Suez confirme les divergences
considérables entre Londres, Paris et Washington.
Donc pour résumer, la politique, volontaire, de la France de la IVème
République, de s’intégrer dans le dispositif militaire de l’OTAN sous la IVème
République, de 1945 à 1958, priorité de la politique étrangère mais aussi de la
politique de défense, afin de protéger le territoire national dans le cadre de
l’Alliance, est obérée, réduite par l’effort que doit conduire le pays dans ses
guerres de décolonisation. Décriée pour son instabilité, la IVème République
aura cependant réussi, dans un contexte ininterrompu de conflits coloniaux, à
reconstruire le pays, à lancer sa modernisation et à poser les fondements de
la politique étrangère de la Vème République, qu’il s’agisse de la construction
européenne mais aussi, et cela se sait moins, du lancement du projet de
développement de l’arme nucléaire, décidé dès 1952.
(Le développement de l’arme atomique sous la IVème République : Sous
l’impulsion éclairée de certains hommes d’État de la IVe République, si décriée
par ailleurs, et avec la complicité active de Pierre Guillaumat, l’administrateur
général du CEA depuis 1952, les préparatifs pour la constitution d’un armement
atomique purement français étaient déjà très avancés en juin 1958, grâce à un
travail effectué jusqu’alors dans la quasi-clandestinité.
C’est ainsi que le premier plan quinquennal de l’énergie atomique, adopté en
1952 sur la proposition de Félix Gaillard, alors secrétaire d’État à la présidence
du Conseil dans le gouvernement Pinay, avait financé la construction à
Marcoule de réacteurs (on les appelait alors « piles », sensiblement plus «
plutonigènes » que ne l’aurait justifié une finalité purement énergétique). Puis,
en 1955 et 1956, sous les gouvernements Edgar Faure et Guy Mollet, eurent
lieu des transferts secrets de crédits entre le budget du ministère de la Défense
et celui du CEA, qui financèrent notamment, outre la construction du sousmarin à propulsion atomique dont il sera question plus loin, pour le premier
l’extension des installations de Marcoule, et pour le second l’étude de
faisabilité de la construction à Pierrelatte d’une usine productrice d’uranium
enrichi, ainsi que la préparation d’explosions atomiques expérimentales à
Reggane. Aussi le programme militaire français était-il assez avancé en avril
1958).
Le général de Gaulle va mettre fin à cette situation inextricable, cette
contradiction entre appartenance à l’OTAN et décolonisation en mettant fin,
justement au cycle des conflits de décolonisation qui, dans son esprit,
empêche la France de retrouver son rang.
.*
II - La politique étrangère de la France sous la Vème République –
1958 - 2023
II – 1 - La Grandeur et la puissance selon le général de Gaulle et les pouvoirs
accordés au Président par la Constitution de la Vème République
La guerre d’Algérie conduit au retour au pouvoir du général de Gaule en 1958
et à l’instauration de la Vème République.
Le général de Gaule a résumé sa conception de la politique étrangère dans ses
Mémoires : « C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il
nous faut une grande politique, parce que, si nous n’avons pas une grande
politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons
plus rien ». C’est un résumé de ce qui a été nommé la Politique de grandeur du
général de Gaule et que l’on peut appréhender dès la première page de ses
Mémoires de Guerre, Tome 1 L’Appel, parus en 1954 et sur laquelle nous
insistons, car texte dans un français élégant et classique, que les hommes
politiques actuels, technocrates, parfois incultes, maîtrisent rarement,
obnubilés qu’ils sont par la « com’… « :
« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me
l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine
naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux
fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle.
J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés
ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant,
ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable
aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de
mon esprit me convainc que la France n’est réellement elle-même qu’au
premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser
les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays,
tel qu’il est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel,
viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France
sans la grandeur. »
Cette première page permet de comprendre la politique générale, la Grande
stratégie, le projet politique, la politique étrangère du général, sa politique de
défense et leur naturelle coordination.
Dès son arrivée au pouvoir, l’objectif du général de Gaule est en effet de
rétablir le rang et l’indépendance de la France, qui doit ainsi la place qu’elle
doit avoir dans le monde, « reprendre la place qui nous soit propre ».
Ce projet d’ampleur passe d’abord par la Constitution, celle de la Vème
République, adoptée le 28 septembre 1958, promulguée le 4 octobre 1958. Elle
affirme le rôle central, prépondérant du Président de la République, du Chef
de l’Etat en matière de politique étrangère. On a pu dire que, dans le domaine
du régalien et en particulier de la politique étrangère, cette constitution a été
taillée pour le général de Gaulle, qui avait été marqué par sa rivalité avec les
Anglo-Saxons pendant le conflit mondial, en particulier avec le président des
Etats-Unis, Roosevelt, qui se méfiait de de Gaule et voyait en lui un dictateur
potentiel et qui a donc tout fait pour réduire la marge de manœuvre du
général, voir pour l’éliminer politiquement. Pour le général de Gaule, les
relations avec les Etats-Unis, qui deviennent la première puissance mondiale au
sortir de la guerre, avec une tendance à imposer leurs vues aux autres pays,
même alliés, ces relations sont déterminantes dans sa définition des priorités
de la politique étrangère de la France, en particulier en matière
d’indépendance et d’autonomie.
Cette constitution de 1958, si elle peut sembler innovante et originale par
rapport à son prédécesseur, la constitution de la IVème République, qui
donnait la primeur au parlement, cette constitution de la Vème République
s’ancre en fait en profondeur dans la tradition politique de la France et dans
ses caractéristiques politiques, sociales, voire psychologiques. Nous pouvons
en effet souligner que la société française, le système politique français
s’inscrivent en effet dans l’héritage de notre histoire et elles distinguent à cet
égard la France des autres pays européens :
- La centralité de l’appareil d’Etat ;
- Un fonctionnement pyramidal, selon une tradition très ancienne qui
associe la Tête (i.e. le Roi et Paris) et les membres de la nation ;
- Une tradition courtisane des rapports autour du pouvoir, comme l’était
la Cour à Versailles ;
- Une faiblesse traditionnelle du pouvoir législatif face à l’exécutif ;
- Une faiblesse de la société civile et des collectivités territoriales face à
l’Etat et, corollaire, une méfiance fréquente envers l’Etat ;
- Une société individualiste marquée par un manque de confiance entre
les individus ;
- L’importance des réseaux et des relations sociales ;
- L’importance du statut, de l’origine sociale, héritage de la société
d’ordre et de cour de l’Ancien Régime. On est loin de l’esprit pionnier du
Nouveau Monde par exemple où ce qui importe, c’est ce que l’on fait et
non ce d’où on vient (le statut).
Ces caractéristiques marquent la politique étrangère, qui est une prérogative
de la souveraineté par excellence. La politique étrangère est en effet au cœur
historique de la souveraineté. Le roi avait ainsi concentré en sa personne le
pouvoir exécutif, le monopole de la violence légitime et de la violence armée
ainsi que le monopole de la justice sur l’ensemble du royaume (distinguant en
cela la France des Etats fédéraux). Le roi bénéficiait ainsi de « l’unité de
commandement dans l’Etat », que citait le philosophe Julien Freund, que nous
avons cité au premier chapitre. Le roi était ainsi l’interlocuteur unique des
puissances étrangères. Nous revenons ainsi à Thomas Hobbes et à sa
description du concept de souveraineté.
Le président de la République, sous la Vème République, s’inscrit pleinement
dans cette tradition héritée de l’histoire de France et de l’Ancien Régime. On a
pu ainsi parler de Monarchie républicaine.
La Constitution de 1958 confère au président de la République des pouvoirs
uniques en matière de défense et de politique étrangère (direction des
armées, pouvoir de négocier des traités, emploi de la force nucléaire...). Audelà de ces pouvoirs reconnus par la Constitution, la pratique institutionnelle, y
compris en période de cohabitation, donne une large place au président de la
République dans la politique étrangère et de défense.
Si l’on examine la constitution, en matière de politique étrangère, on peut dire
que la diplomatie constitue avec la défense un domaine de compétences
privilégié du président de la République : :
- Article 5, alinéa 2 : « Il est le garant de l'indépendance nationale, de
l'intégrité du territoire et du respect des traités. ».
- Article 13 : « Il nomme aux emplois civils et militaires de l'État.
- Les conseillers d'État, le grand chancelier de la Légion d'honneur, les
ambassadeurs et envoyés extraordinaires, etc. »
- Article 14 : « Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et
les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les
ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités
auprès de lui. »
- Article 52 : « il négocie et ratifie les traités »
Mais c’est surtout la pratique qui a fait du chef de l’État l’acteur majeur de la
politique étrangère française. Le général De Gaulle a instauré un mode de
gouvernement que ses successeurs ont choisi de reproduire :
- C’est le Président qui entre en relation directe avec les chefs d’État
étrangers et qui assure la représentation de la France sur la scène
internationale (par exemple, au sein du G7) ;
- Si le Premier ministre peut à l’évidence, dans le cadre d'un voyage
officiel, prendre la parole à l'étranger au nom de la France, il le fera
toujours dans un cadre défini, d’un commun accord, avec le Président.
S’agissant de la défense, le même pouvoir central est conféré au Président de
la République par la Constitution :
- Article 5 : il et le garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du
territoire national
- Article 15 « Le Président de la République est le chef des armées. Il
préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale. »
- Mais surtout, il décide seul de l’emploi de la force nucléaire française.
C’est ce qui résulte du décret du 14 janvier 1964. Ce décret publié au "
Journal officiel " du 19 janvier 1964 fixe le rôle du commandement des
forces aériennes stratégiques, c'est-à-dire de l'actuelle force de
dissuasion nucléaire. La mission, l'organisation et les conditions
d'engagement des forces aériennes stratégiques sont arrêtées en conseil
de défense. Art 5 – Le commandant des forces aériennes stratégiques est
chargé de l'exécution des opérations de ces forces sur ordre
d'engagement donné par le Président de la République, président du
conseil de défense et chef des armées.
Pour en revenir au sujet de la coordination, voire de l’harmonisation entre
politique étrangère et politique de défense, elle doit se faire, dirions-nous,
naturellement, du fait que le président de la République centralise ces deux
pouvoirs, ces deux prérogatives et que politique étrangère et politique de
défense se trouvent étroitement imbriquées.
La politique étrangère, domaine réservé du Président de la République ?
L'expression « domaine réservé » aurait été inventée par Jacques ChabanDelmas en 1959. Elle ne signifie pas que l'action en matière de politique
étrangère et de défense relève du seul président de la République. Le
Gouvernement dispose lui aussi, de par la Constitution, de larges prérogatives :
Article 20 « il détermine et conduit la politique de la Nation » ;
Article 21 le Premier ministre, chef du gouvernement, est responsable de la
défense nationale (art. 21).
Pour cette raison, la notion de "domaine partagé" est aujourd'hui également
employée.
II – 2 – 75 ans de politique étrangère sous la Vème République
Nous allons donc parcourir, sur un plan historique, 75 ans de politique
étrangère de la France, et de sa politique de sécurité et de défense.
II – 2 – 1 - Le général de Gaule et la « Grande politique »
Le général de Gaulle, arrivé au pouvoir, nomme comme ministre des Affaires
étrangères, le premier de la Vème République, Maurice Couve de Murville,
diplomate de carrière rallié au général de Gaulle en 1943 et qui bénéficie de la
totale confiance du général. Dès son arrivée au pouvoir, de Gaule, qui nourrit
de vastes projets pour la France, décide de lever l’hypothèque algérienne car il
estime que ce conflit qui, outre son coût humain, matériel, militaire, social et
financier, ce conflit détériore l’image de la France sur la scène internationale,
en particulier à l’ONU et il entrave aussi la politique étrangère que le général
souhaite mettre en œuvre pour redresser la France sur le plan politique et
diplomatique. Cela ne s’est pas fait sans tâtonnements et ambiguïté puisqu’en
juin 1958, en déplacement à Alger, le général lance aux Algériens, i.e. aux
ressortissants français d’Algérie, « Français, je vous ai compris ! » message
entendu et compris, aussi, par ces Français d’Algérie, comme la volonté de
demeurer en Algérie, territoire qui est la France. Cependant, dès 1959, le
général de Gaulle prononce le mot d’« autodétermination », à appliquer au
peuple algérien, i.e. cette fois-ci la population arabe des départements
d’Algérie. Ce mot est bien compris par les Algériens arabes mais aussi par les
Français d’Algérie comme la voie vers l’indépendance de l’Algérie. Le général
fait adopter en France cette autodétermination, par voie du référendum, avec
75% d’approbation. Il s’agit d’ailleurs du premier référendum organisé dans le
cadre de la nouvelle constitution. Le 9 janvier 1961 la population française
d'Algérie recevait le vote massif des " oui " de la métropole comme un coup de
matraque sur la nuque. En Algérie, le nombre des abstentions est assez
considérable. Aussi il faut bien reconnaître que le président de la République a
subi un demi-échec en Algérie ; car si le " oui " est majoritaire par rapport aux
votants, le nombre des " oui " ne représente qu'un peu plus de 39 % des
inscrits (1 747 529 "oui" sur 4 414 636 inscrits). Le référendum devient donc un
outil pour la légitimité du chef de l’Etat, et il s’apparente, comme le
prévoyaient les politistes, comme un plébiscite. Mais ce référendum et son
interprétation relèvent d’une autre histoire...
Les résultats de ce référendum conduisent aux Accords d’Evian de mars 1962
qui prévoient une indépendance de l’Algérie, proclamée le 5 juillet 1962 et qui
provoque un exode massif des Français d’Algérie, que l’on nomme les PiedsNoirs et qui n’étaient pas, loin, s’en faut des colons.
(J’ouvre une parenthèse : quand une véritable volonté politique existe,
éventuellement influencée par des évènements tragiques comme une guerre,
que cette volonté politique est doublée d’un courage des dirigeants politiques
qui disposent d’une vision à long terme pour l’intérêt de leur pays, des
dirigeants politiques qui ne sont pas dans les petits calculs politiciens à court
terme, alors des décisions fortes courageuses, qui peuvent aller à l’encontre
de l’opinion publique, à l’encontre des sondages, à l’encontre de forces
politiques, des décisions fortes donc, peuvent être prises et elles peuvent
changer le destin de pays ou des hommes et des femmes. Je pense donc à
cette décision du général de Gaulle, qui va vers l’indépendance de l’Algérie
malgré l’opposition de certaines forces politiques et d’une partie de l’armée
française était une décision courageuse, d’un homme d’Etat avec une vision
pour son pays et la paix et la sécurité de son pays. Le général de Gaulle aura le
même courage avec le traité de l’Elysée et la réconciliation franco-allemande
en 1963, à peine 18 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale et les
souvenirs encore vifs de l’occupation nazie. Je pense au président Mitterrand,
avec l’abolition de la peine de mort en 1981, alors que la majorité des Français
voulaient son maintien. Je pense à Anouar El Sadate, qui va à Tel-Aviv en 1977
pour tendre la main aux Israéliens et à Menahem Begin et qui va prononcer
devant le parlement israélien un discours de paix, ans après la guerre du
Kippour. Ce qui m’amène, vous le comprendrez, à l’actualité. J’espère que, après
ce chaos des dernières semaines, des voix s’élèveront, des dirigeants politiques
courageux, légitimes et dotés d’une vision de paix sauront trouver une solution
pour Israël et la Palestine.)
S’agissant de la décolonisation de l’Afrique, qui se déroule essentiellement en
1960, elle a lieu sans heurts et une Communauté succède à l’Union française.
Une relation privilégiée entre la France et l’Afrique est mis en place et elle
relève non du ministère des Affaires étrangères mais du ministère de la
Coopération et elle appartient aussi au domaine réservé du président de la
République. Ce sera ce que l’on appelle la Françafrique, les réseaux Foccart,
longtemps conseiller du général de Gaulle pour l’Afrique.
Une fois débarrassé du confit algérien, le général de Gaulle va entamer les
réorientations de la politique étrangère de la France dans le sens, comme il le
veut et le revendique, d’une autonomie, d’une indépendance qui ne saurait
être remises en cause.
Et c’est donc envers les Anglo-Saxons que la politique étrangère va connaître
ses premières inflexions par rapport à l’engagement fort au sein de l’OTAN
qu’affirmait la IVème République.
Le général demande, dès 1958, une concertation privilégiée entre les EtatsUnis, le Royaume-Uni et la France sur les problèmes de défense et de sécurité.
C’est une sorte de triumvirat que souhaite le général de Gaulle, qui ne veut pas
que la France soit mise à l’écart de ces sujets, comme cela avait été le cas
pendant la deuxième guerre mondiale. Les souvenirs cuisants des années 40
demeurent présents dans son esprit et, je vous le rappelle, ce qui importe pour
lui, c’est le rang, l’indépendance, l’autonomie de la France et la manière dont
elle est traitée, même par ses plus proches alliés. Mais le président de la
République reçoit une fin de non-recevoir de la part de Washington et de
Londres, engagés comme toujours dans une étroite coopération, comme c’est
toujours le cas dans les années 2020. Souvenons-nous d’Aukus en septembre
2021. Mécontent d’être éconduit, le général de Gaulle décide en 1959 de
retirer la flotte de la Méditerranée du commandement intégré de l’OTAN puis,
en 1960, ce sera le tour de la défense aérienne de l’armée française d’être
retirée de ce commandement intégré. C’est un premier pas vers la décision de
1966 de retrait total de cet organisme de l’OTAN.
Parallèlement à cette réorientation de la politique vis-à-vis des Anglo-Saxons, le
général de Gaulle va engager un rapprochement fondamental et structurant
avec l’ennemi des 100 dernières années, l’Allemagne. Le général de Gaulle
reçoit le chancelier Adenauer chez lui à Colombey les deux Eglises dès 1958
puis au château de Rambouillet en 1960) et enfin, le traité de l’Elysée est signé
le 22 janvier 1963 par la France et la République fédérale d’Allemagne. Après
plusieurs décennies de rivalités et de conflits, l’Allemagne et la France envoient
un message de réconciliation et jettent les bases d’une coopération bilatérale
étroite, au service de l’intégration européenne. Passons rapidement sur les
mesures et décisions de ce traité, concertation sur les dossiers de politique
étrangère, Pourquoi est-ce un traité ? Le général de Gaulle et le chancelier
Adenauer ont préféré signer un traité plutôt qu’une simple déclaration. Ils
voulaient ainsi marquer un engagement durable entre leurs deux pays par-delà
les éventuels changements politiques et rendre la coopération entre les deux
pays institutionnelle et systématique. Pour les signataires, il était important
que le traité ne reste pas un document entre chefs d’Etat mais que les citoyens
des deux pays soient impliqués afin d’apprendre à se connaître, à se parler et
à s’apprécier. Une des réussites du traité est d’avoir suscité un fort
rapprochement entre les deux peuples. Celle-ci s’est concrétisée par la
signature de plus de 2 300 jumelages et un foisonnement d’initiatives de la
société civile. Dans un objectif de renforcement des liens entre les jeunes gens
des 2 pays, le traité a rendu possible la création de l’Office franco-allemand
pour la jeunesse (OFAJ) qui a pour objectif de faciliter les échanges et
l’apprentissage de la langue du voisin. Depuis 1963, l’OFAJ a permis à près de 9
millions de jeunes Allemands et Français de participer à 320 000 programmes
d’échanges.
Sur le plan politique, le traité prévoit des rencontres au moins deux fois par an
entre les deux chefs de l’Etat et de gouvernement et trois fois par an pour les
ministres des Affaires étrangères. Des rencontres sont également prévues en
matière de défense, d’éducation et de jeunesse. Depuis la signature du traité,
les dirigeants des deux pays se sont toujours rencontrés régulièrement et ont
poursuivi leurs échanges, quels que soient les aléas de la vie politique des deux
côtés du Rhin. Souvenons-nous de l’image du président Mitterrand et du
chancelier Helmut Koll, prise à Verdun en 1984, et se tenant la main.
(En 2013, j’étais consul général à Karachi et toutes les ambassades de France et
toutes les ambassades d’Allemagne, ainsi que tous les consulats de France et les
consulats d’Allemagne avaient été invités à organiser les célébrations du
cinquantenaire du Traité de l’Elysée. Je me souviens que nous avions organisé
de nombreuses conférences avec mon collègue allemand, dans des universités,
des écoles, des centres de réflexion. Dans le contexte des relations politiques
toujours tendues entre l’Inde et le Pakistan, notre message était que la
réconciliation franco-allemande, si elle n’était pas un modèle pour le souscontinent indien, à l’histoire différente, pouvait cependant être une source
d’inspiration. Nous avions, pour la petite histoire, organisé une réception
conjointe chez mon collègue allemand, dont la résidence disposait d’un jardin
plus grand que celui du consulat général de France. Les plats servis étaient et
allemands et français, avec entre autres de la choucroute, des steaks frites bien
français, des pâtisseries allemandes et françaises. Les vins étaient français et la
bière allemande car mon collègue allemand considérait que, si les vins français
étaient bien meilleurs que les vins allemands, en revanche la bière allemande
était de la vraie bière, alors que, pour lui, la bière française ne méritait pas le
nom de bière !!! Vous voyez que la réconciliation et l’amitié n’empêchent pas de
conserver des petites doses de chauvinisme. Dans mon discours, je me souviens
avoir dit que nous avions été envahis 3 fois en 1moins de 100 ans, en 1870,
1914 et 1940 et que nous continuions à être envahis chaque année par plus de
10 millions de touristes allemands (13 en 2022) mais que nous appelions au
contraire de nos vœux ce type d’invasion, qui favorise la compréhension
mutuelle entre nos deux peuples !
Notons que, pour que la paix s’instaure entre deux pays qui ont été ennemis,
parfois héréditaires comme la France et l’Allemagne, il faut que plusieurs
réunions soient réunies :
- Présence de dirigeants politiques légitimes, démocratiquement élus ou
reconnus comme légitimes, comme Sadate, qui a succédé à Nasser dans
le contexte particulier du régime politique égyptien ;
- Capables, de par leur légitimité, d’imposer leurs vues à leur peuple et à
leur système politique ;
- Partageant la même vision, celle de la réconciliation et de la paix entre
deux peuples ennemis, en dépit des blessures profondes
- Partageant la même vision, mais en même temps ! Sinon cela ne peut
pas marcher.
Qu’une seule de ces conditions ne soient pas remplie et la réconciliation ne
peut pas marcher. C’est de Gaule et Adenauer, c’est Sadate et Begin en 1978
lors des accords de Camp David, c’est Arafat et Rabin lors des Accords d’Oslo
en 1993. On ne connaît pas les noms de ceux qui, Palestinien et Israélien,
signeront un jour, nous l’espérons, les prochains d’accords de paix entre ces
deux peuples qui, rappelons-le encore, appliqueront un jour la résolution
181de 1947 sur la création de deux Etats dans cette région du MoyenOrient.).
Le rapprochement franco-allemand constitue pour le général de Gaule le socle
de la construction européenne, qui, malgré son attention très forte sur toute
perte de souveraineté, ne remet pas en cause la mise en place du marché
commun, avec la suppression des barrières douanières en Europe en 1968 ainsi
que la mise en place de la politique agricole commune. Il considère en effet que
ces mesures vont dans l’intérêt économique de la France.
Le général, pour des raisons similaires, celles de l’intérêt de la France, et de
l’Europe, refuse à deux reprises, en 1963 et 1967, l’adhésion du Royaume-Uni
dans le Marché commun. Le général de Gaule met en avant les différences
fondamentales, géographiques, historiques et de mentalité entre l’Angleterre,
comme il le dit, et les pays constituant le marché commun, qui sont des pays
continentaux, partageant une histoire commune et qui « Il faut ajouter
d'ailleurs qu'au point de vue de leur développement économique, de leur
progrès social, de leur capacité technique, ils sont, en somme, du même pas. Et
ils marchent d'une façon fort analogue ». Or, « Pour que les îles britanniques
puissent réellement s'amarrer au continent, c'est encore d'une très vaste et très
profonde mutation qu'il s’agit ». Il poursuit : « L'Angleterre, en effet elle, est
insulaire. Elle est maritime. Elle est liée par ses échanges, ses marchés, ses
ravitaillements aux pays les plus divers, et souvent les plus lointains. Elle exerce
une activité essentiellement industrielle et commerciale, et très peu agricole.
Elle a dans tout son travail des habitudes et des traditions très marquées, très
originales. Bref, la nature, la structure qui sont propres à l'Angleterre diffèrent
profondément de celle des continentaux. ». Tout est dit par le général de Gaule
en 1967, lors d’une très fameuse conférence de presse et 60 ans avant le
Brexit !!!
La politique d’indépendance du général de Gaule se concrétise par plusieurs
décisions, qui représentent souvent du « poil à gratter » pour les pays anglosaxons :
- Il y a ces retraits de certaines forces armées françaises du
commandement intégré de l’OTAN et il y a, en 1966, le retrait du
commandement intégré de l’OTAN. Cette décision est suivie par la fin
du stationnement sur le territoire français de forces non-nationales,
celles des forces de l’OTAN. C’est la fermeture des bases de l’OTA N,
effective à la fin des années 60. Si la France a quitté le commandement
intégré de l’OTAN elle demeure membre de l’Alliance et ses forces
armées demeurent stationnés en Allemagne. Mais elles ne sauraient être
sous commandement non-national, entendre américain, d’autant que,
sur directives du Président de la République est mise en place à partir du
début des années 60 la « Force de frappe », injustement baptisée
puisqu’il s’agit d’une force de dissuasion, et donc de non-emploi de
l’arme nucléaire. Pour de Gaule, avec cette force nucléaire, la France
doit retrouver son autonomie stratégique, et son rang. La première
composante est la composante aérienne, avec une soixantaine de
Mirage IV, complétés à partir de la fin des années 60 par des SNLE, le
premier étant lancé par le général en 1967, avec un programme de
dotation de 6 SNLE de la première génération. Pour le général de Gaulle,
la France doit se doter de ce « pouvoir égalisateur de l’atome » ou
« pouvoir compensateur de l’atome »et mettre en place cette «
dissuasion du faible au fort ». Le but n’est pas de disposer de milliers
d’armes nucléaires, comme les Américains ou les Soviétiques, mais de
disposer de forces suffisantes et crédibles pour infliger des dégâts
inacceptables à l’adversaire. Le général se place ainsi en opposition de
la stratégie militaire de l’OTAN et des Américains eu cours des années
60, celle de la riposte graduée, qui suppose donc un emploi progressif de
l’arme nucléaire, contre des forces armées dans le cadre de combats et
donc une utilisation de cette dernière, loin de la dissuasion anti-cités de
la stratégie française. Pour autant, et le fait n’a été connu que
récemment, les Etats-Unis ont aidé la France dans son développement
de l’arme nucléaire puis de sa force sous-marine. Des informations
techniques ont ainsi été transmises aux scientifiques français concernant
la navigation inertielle, qui permet aux sous-marins de naviguer à grande
profondeur pendant des mois.
- En 1964, la France du général de Gaule reconnaît la République
populaire de Chine, 7 ans avant la visite du président Nixon à Pékin.
- Dans le contexte de la guerre du Vietnam, il y a aussi le discours de
Phnom Penh, capitale du Cambodge où se rend le général de Gaule en
1966 et où il dénonce, sans les nommer, les Etats-Unis et leur guerre
d’intervention au Vietnam
- En juin 1967, dès le déclenchement de la Guerre des Six Jours et
l’attaque préventive israélienne, le général de Gaule décrète l’embargo
sur toutes les ventes d’armes aux belligérants, mesure qui ne touche
qu’Israël, les pays arabes n’étant alors pas équipées d’armes françaises
alors que la quasi-totalité des armes, avions Mirage, chars AMX13 etc.
équipant Tsahal sont d’origine française. Et on se souvient de la
conférence de presse où le général de Gaule qualifie Israël de « peuple
sûr de lui et dominateur »…
- Il y a aussi le fameux discours de Montréal du 24 juin 1967, « Vive le
Québec libre », où le général de Gaule, emporté par son lyrisme, suggère
l’indépendance du Québec à une époque où la province voit le
développement de forces politiques indépendantistes.
Le « poil à gratter » que pouvait lancer le général de Gaule aux Etats-Unis et au
Royaume-Uni n’a pas empêché la France, dans la cadre de sa priorité politique
d’appartenance au camp occidental, de toujours se tenir, et de façon ferme,
auprès de ses alliés occidentaux, qu’il s’agisse de la crise des missiles de Cuba
en 1962 ou du coup de Prague en 1968, deux évènements au cours desquels on
a craint une escalade entre le bloc de l’Ouest et celui de l’Est. Malgré
l’affirmation de son indépendance, voulue par le président de Gaulle, la France
s’est tenue dans le camp occidental. Cette orientation demeure depuis 1958
une constante de la politique étrangère de la France.
Le général de Gaule, malgré certains excès, comme le discours de Montréal ou
sa manière de traiter le Royaume-Uni, a posé les fondements de la politique
étrangère de la France, pour des décennies et nous en voyons encore les
conséquences. L’indépendance stratégique fondée sur la force de dissuasion,
autonome, à la différence de celle du Royaume-Uni, la volonté de porter une
voix singulière dans les rapports est-ouest et au niveau mondial, la volonté du
rapprochement franco-allemand et la construction européenne demeurent au
cœur de la politique étrangère depuis 60 ans.
II – 2 – 2 - Le président Georges Pompidou, le changement dans la continuité
Le général de Gaule quitte le pouvoir en 1969 après l’échec du référendum
qu’il a lancé sur la régionalisation, référendum qui, après les évènements de
mai 1968, s’est en fait transformé aux yeux des Français, en plébiscite, qu’il a
perdu. Le président Pompidou, Premier ministre lui succède et préserve,
comme le feront ses successeurs, l’héritage gaullien.
Nous ne citerons que deux aspects de la politique étrangère du Président
Pompidou,
- D’abord celui du déblocage de l’Europe. Le président Pompidou revient
en effet en 1973 sur le refus d’adhésion opposé au Royaume-Uni, qui
aboutit à l’adhésion également du Danemark et de l’Irlande. On parle
alors de l’Europe des Neufs. La relance de l’Europe concerne alors
plusieurs domaines, la politique agricole, la mise en chantier de l’union
économique et monétaire, qui débouchera deux décennies plus tard sur
le chantier de l’Union européenne.
- Le président Pompidou poursuit la politique initiée par le général de
Gaule, celle de la réorientation de la politique étrangère de la France au
Moyen-Orient et du rapprochement avec les pays arabes. La France
vend ainsi des armes à la Libye, développe ses relations avec l’Irak de
Saddam Hussein et développe ses relations avec le Maroc et la Tunisie.
LA guerre du Kippour en octobre 1973 est l’occasion d’afficher une
solidarité avec les pays arabes et de se distinguer ainsi du
« condominium » américano-soviétique qui vu les deux grandes
puissances gérer la crise au Moyen-Orient sans consultation des pays
européens. Le soutien des pays européens est cependant limité mais
c’est à cette période que naît le dialogue euro-arabe.
II – 2 – 3 – Le Président Giscard d’Estaing et le gaullisme à la sauce libérale.
Le président Pompidou meurt en avril 1974 et lui succède le président
Giscard d’Estaing, ministre de l’Economie, de tendance libérale et non gaulliste. Il gagne les élections contre le candidat socialiste, François
Mitterrand.
Une partie importante de la politique étrangère de la France sous le
septennat du président Giscard d’Estaing est orientée vers l’économie et la
gestion de la crise économique et conséquence de la guerre du Kippour et
du premier choc pétrolier. C’est par exemple la mise en place du système
monétaire européen et de l’European Currency Unit, ECU, ancêtre de l’Euro,
c’est le lancement des sommets G7, le premier à Rambouillet, en 1977.
La fin du mandat du président Giscard d’Estaing est marquée par
l’accentuation de la crise économique avec le second choc pétrolier, à cause
de la chute su Shah d’Iran et de l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini.
Et de l’irruption de l’Islam politique sur la scène internationale.
II – 2 – 4 - Le président Mitterrand et le gaullisme à la sauce socialiste
Le 10 mai 1981, le candidat socialiste l’emporte contre le président sortant,
Giscard d’Estaing, dans ce qui peut apparaître comme la revanche de 1974.
Cette victoire du président socialiste, le premier de la Vème République, après
trois présidents de droite, provoque un grand choc, politique et psychologique,
d’autant que, à une époque qui est un des paroxysmes de la Guerre froide avec
l’invasion soviétique de l’Afghanistan, le gouvernement accueille 4 ministres
communistes. On s’attend alors à ce que tous les secrets de la politique
étrangère et de la politique de défense soient livrés à Moscou. Et on redoute
également une réorientation majeure de la politique étrangère de la France
et sa moindre adhésion au camp occidental.
Le président Mitterrand a été un farouche adversaire du général de Gaulle et
dans un ouvrage célèbre à l’époque publié en 1964, Le Coup d’Etat permanent,
François Mitterrand dénonce la pratique du pouvoir personnel par le général
de Gaulle. Il ne se contente pas de critiquer la lettre de la Constitution de 1958,
il reproche aussi au général de Gaulle d'avoir trahi la promesse de 1958, selon
laquelle le président est un arbitre. Selon Mitterrand, le chef de l'État est
devenu tout-puissant grâce à la Constitution et il affiche ainsi la faiblesse du
gouvernement et du Parlement sous la Vème République, face à cette pratique
personnelle du pouvoir par un président doté justement de beaucoup de
pouvoirs, grâce aux institutions. Nous avons maintenant du recul et nous
pouvons évaluer cette position de François Mitterrand à l’aune de son exercice
du pouvoir comme président pendant 14 ans sous la Vème République. En
matière de politique étrangère, le président Mitterrand a complètement
placé ses pas dans ceux de ses trois prédécesseurs.
En matière de relations franco-allemandes, il se lie d’une amitié sincère avec le
chancelier Helmut Kohl, comme l’avait fait le président VGE avec le chancelier
Helmut Schmitt. Lors de la crise des euromissiles, provoquée par l’installation
de missiles en Europe menaçant directement le les pays européens, le
président Mitterrand montre que, sous sa présidence, la France demeurera
ancrée dans le camp occidental, comme l’ont fait ses prédécesseurs. Il se rend
ainsi à Berlin au plus fort de la crise et appuie le chancelier allemand qui doit
faire face à la forte opposition des pacifistes allemands, téléguidés, on le sait
maintenant par les services secrets soviétiques. Lors d’un discours célèbre au
Bundestag, le président Mitterrand soutient le déploiement à l’ouest de
missiles Pershing américains pour contrer celui de missiles soviétiques SS20. Il
déclare ainsi que « le pacifisme est à l’ouest et les missiles à l’est ».
En Europe, sa présidence voit la poursuite de l’élargissement avec d’abord
l’entrée de la Grèce en 1981, de l’Espagne et du Portugal en 1986. Puis ce sera
Autriche Finlande et Suède en 1995 après la fin de la Guerre froide. La
présidence de François Mitterrand voit aussi la France atteindre l’apogée de
son influence au sein de l’Europe, avec l’élection de Jacques Delors comme
président de la Commission européenne et avec le rôle moteur de la France
dans la signature des accords de Schengen en 1985, effectifs en 1995 et
conduisant à la suppression des frontières. Le traité de Maastricht de 1992 est
une des grandes réalisations du président Mitterrand qui a été moteur dans la
construction européenne des années 90. Le président est un européen
convaincu qui croit à l’extension de la construction européenne vers le
domaine politique, avec 3 piliers, le pilier communautaire, la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC) et le pilier de coopération Justice et
affaires intérieures. Ces élargissements vont voir la réduction de l’influence de
la France au sein de l’UE, conséquence d’une sorte de dilution de l’influence.
Le français, à partir des années 90, perd ainsi sa place prépondérante au sein
de l’UE, au détriment de l’anglais. La période voit aussi la montée en puissance
d’une Allemagne réunifiée.
Au Moyen-Orient, le président socialiste soutient Israël, legs de son
appartenance aux gouvernements de la IVème république, allié alors très
proche d’Israël. Mais il appuie aussi fortement la Palestine et Yasser Arafat,
défend la création d’un Etat palestinien lors d’un discours à la Knesset, le
parlement israélien et il fait intervenir les forces françaises pour évacuer Yasser
Arafat et les forces palestiniennes lors de l’intervention israélienne de 1982 au
Liban. Lors de la guerre Iran-Irak, il positionne la France dans un soutien fort à
l’Irak, pays auquel la France livre de très nombreuses armes et équipements.
En Afrique, le président Mitterrand poursuit la politique de ses prédécesseurs,
soutient les régimes en place et intervient au Tchad pour prévenir les
ingérences de la Libye du colonel Kadafi.
Mais la Présidence de François Mitterrand voit aussi la fin de la Guerre froide
et la chute du Mur de Berlin. Le président socialiste a pu donner l’impression
qu’il a manqué de clairvoyance ou qu’il s’accrochait à l’existence de l’URSS ou
de la Yougoslavie.
Pour revenir au Coup d’Etat permanent, ce reproche qu’adressait François
Mitterrand au président Charles de Gaulle dans on exercice personnel du
pouvoir, force est de constater que le président a non seulement pris la même
voie mais a même amplifié son exercice personnel du pouvoir en matière de
politique étrangère. Les hésitations, lors de la chute du mur ou de
l’effondrement de l’Union soviétique en sont un exemple.
Bornons-nous à signaler d’abord le cas de la Yougoslavie où Mitterrand a
clairement pris position en faveur des Serbes, influencé par sa perception de la
Serbie, allié proche de la France pendant la Première guerre mondiale
Signalons aussi le cas des massacres au Rwanda. Le rôle de la France dans le
génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 est très controversé tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur de la France et du Rwanda. Or on sait depuis 202, grâce à une
Commission française d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda mise en
place par le président Emmanuel Macron que la France a des responsabilités
lourdes dans ces massacres, surtout du fait du président François Mitterrand,
qui a une responsabilité « politique, institutionnelle, intellectuelle, morale et
cognitive » dans le génocide, sans parler pour autant de complicité.
Remarquons aussi que, s’agissant du style et de la pratique de la politique
étrangère et de la politique de défense par le président Mitterrand, ce dernier
a revêtu avec aisance les habits gaulliens. Le 16 novembre 1983, il n’hésitait
ainsi pas à déclarer à la télévision « La pièce maîtresse de la stratégie de la
dissuasion de la France, c’est le chef de l’État, c’est moi. » Pendant la première
cohabitation,1986-1988, Mitterrand/Chirac) le chef de l’État a su aussi imposer
sa suprématie pour les questions extérieures en faisant prévaloir ses choix.
Idem pour la deuxième cohabitation 1993/1995 Mitterrand/Balladur) Ces deux
cohabitations ont démontré la viabilité de la Constitution de la Cinquième
République dans un domaine où les choses n’allaient pas de soi.
II – 2 – 5 - Président Chirac et le retour du gaullisme en politique étrangère
Elu en 1995, le président Chirac, gaulliste et ancien ministre du général de
Gaulle, affirme la souveraineté de la France à plusieurs reprises.
Dès son arrivée au pouvoir ; le président Chirac décide la reprise des essais
nucléaires, pour une ultime série de tests avant la mise en service d’outils de
simulations numériques des explosions nucléaires. Les scientifiques atomistes
du CEA ont réussi à convaincre le président que ces ultimes tests étaient
indispensables et incontournables pour assurer la pérennité de la dissuasion
française. Cette décision a fortement dégradé l’image de la France qui a fait
l’objet de très violentes campagnes de protestation, en particulier dans les
pays du Pacifique, Australie et Nouvelle-Zélande en particulier. Les consulats de
France dans ces pays ont été détruits par des manifestants opposés à la reprise
des essais. A l’ONU également, la France a fait l’objet de très vives critiques. Le
Président Chirac connaissait les risques que représentaient cette décision mais,
dans la lignée du général de Gaulle, il a confirmé cette décision, courageuse
pour un homme politique. A l’issue de cette série d’essais et avec la mise au
point définitive des outils de simulation, la France a signé en 1996 le traité
d’interdiction des essais nucléaires.
En matière de politique étrangère et de défense, après les expériences de la
première guerre du Golfe et du Kossovo, et en prenant en compte la fin de la
Guerre froide, le président Chirac décide de réorienter les missions des
armées. La dissuasion reste au cœur de la stratégie française, comme l’a
confirmé la reprise des essais nucléaires, mais le président Chirac décide de
réorienter les missions de la France vers la gestion des crises. Il ne s’agit donc
plus de se préparer à une invasion massive de chars soviétiques mais d’être en
mesure de d’expédier, de « projeter » des éléments armés vers les zones où la
politique étrangère de la France doit aller de pair avec la mise en œuvre de la
force. Ce sera le Kossovo en 1999 et l’Afghanistan après 2001, sans oublier
l’Afrique, où les forces françaises sont renforcées. Cette réorientation explique
pourquoi le nombre de chars lourds français est passé de plus de 1000 en 1990
à 200 en 2023, baisse drastique dont l’invasion de l’Ukraine a fait prendre
conscience dans l’opinion publique.
Conséquence de cette réorientation, le président Chirac prend la décision de
en 1996 de suspendre le service national et de professionnaliser les armées,
avec la loi du 28 octobre 1997. Il faut savoir en effet que la France ne pouvait
pas envoyer de soldats appelés dans les opérations extérieures, les OPEX et
l’armée française, composée alors de 500 000 soldats en 1991, a eu beaucoup
de mal à envoyer 20 000 hommes pour participer à la libération du Koweït. La
professionnalisation permet d’envoyer des unités complètes avec un court
préavis. Mais on s’aperçoit vite qu’une armée professionnelle coûte beaucoup
plus cher qu’une armée de métier. Après les attentats du 11 septembre 2001,
la France participe à la force internationale en Afghanistan, où elle envoie 4000
militaires. 100 soldats français seront tués en Afghanistan.
L’intervention américaine en Afghanistan s’inscrit dans une croisade contre le
mal qui se poursuit avec la seconde guerre du Golfe et l’invasion de l’Irak en
2003. Mentionnons le discours du ministre des Affaires étrangères Dominique
de Villepin, qui s’est opposé au nom de la France à l’utilisation de la force en
Irak, le pays ayant été accusé, à tort par les Américains, de détenir des armes
de destruction massive : « Dans ce temple des Nations Unies, nous sommes les
gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde
responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à
donner la priorité au désarmement dans la paix.
Et c'est un vieux pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe,
qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie. Un
pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté
venus d'Amérique et d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face
à l'Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument
avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre
capacité à construire ensemble un monde meilleur. »
Ce discours, approuvé bien sûr par le président Chirac, revêt une tonalité très
gaullienne, dans son style mais aussi dans le fond, avec une opposition aux
Etats-Unis qui rappelle la politique du général de Gaulle dans les années 60.
La politique étrangère du président Chirac en Europe connaît en revanche des
difficultés liées à des différends entre la France et l’Allemagne. Ce dernier pays,
sous le chancelier Schroeder, donne la priorité à des réformes internes et à la
défense des intérêts économiques allemands, mesures qui améliorent la
compétitivité allemande par rapport à la française. Ces frictions francoallemandes ne contribuent pas à la relance de l’Europe, point qui culmine avec
le rejet de la constitution européenne et la victoire du Non au référendum de
mai 2005. Cette victoire du Non traduit le rejet par les Français d’une Europe
considérée comme ultralibérale, voire intrusive dans la vie des Français. Cette
défaite va affaiblir la politique étrangère du président Chirac
II– 2 – 6 - Le président Nicolas Sarkozy et la tentation de la rupture
Le président Sarkozy est élu en 2007 et il lance une politique étrangère qui se
veut en rupture avec plusieurs des options prises par ses prédécesseurs :
- Il nomme un ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, issu de
la gauche, fondateur de Médecins Sans Frontières et ancien ministre du
Président François Mitterrand. La politique étrangère était cependant
décidée à l’Elysée et « le Château », comme on nomme l’Elysée ne
laissait pas beaucoup de marges de manœuvres au ministre des Affaires
étrangères.
- Les orientations de la politique étrangère du président Sarkozy sont
présentées aux ambassadeurs de France en août 2008, lors de leur
réunion annuelle.
o Rapprochement avec l’OTAN et réintégration au sein du
commandement intégré
o Rapprochement avec Israël
o Rapprochement avec la Syrie et la Libye. Kadhafi est accueilli en
décembre 2007 à Paris et plante sa tente de bédouins dans les
jardins de l’hôtel de Marigny
o Relativisation du couple franco-allemand pendant une période
initiale, au profit de la relation avec le Royaume-Uni, qui se traduit
dans les accords de Lancaster House en 2010, qui privilégient la
coopération militaire étroite entre la France et le Royaume-Uni
o Puis collaboration étroite avec la chancelière allemande Angela
Merkel pour faire face, à deux, à la crise financière européenne.
On a pu parler de couple Merkozy.
La présidence de Nicolas Sarkozy est marquée par une succession de crises
pendant laquelle le président déploie une grande énergie pour essayer de
trouver des solutions, guerre entre Russie et Géorgie en 2008, crise financière
en 2008, crise de la zone Euro avec Grèce et Portugal en 2010.
A la fin de 2010, la France, mais pas que la France, est surprise par les
printemps arabes. Après une période d’hésitation (Michèle Alliot Marie, MAE,
avait des intérêts économiques en Tunisie…), la diplomatie française décide de
prendre le parti des révolutions arabes, avec un pont particulier avec la Libye
où le président Sarkozy, qui a accueilli en 2007 le président Kadhafi à Paris,
décide de lancer en 2011 une opération militaire sous leadership francobritannique et autorisée par le CSNU. Le but est de mettre en « œuvre une
ingérence humanitaire », la population de la ville de Benghazi étant menacée
par les forces de Kadhafi… Un commentaire de citoyen : si chaque fois qu’une
population est menacée de massacres, il est rare, voire exceptionnel de lancer
une opération humanitaire…et militaire. D’ailleurs, malgré l’autorisation de
l’ONU, l’opération de 2011 au-delà des objectifs humanitaires de protection de
la population de Benghazi et se terminera par la chute du régime et la mort de
Kadhafi. Cette expédition est alors vivement critiquée par les puissances
émergentes et ls BRICS, Brésil, Chine, Inde, Russie et Afrique du Sud et la
France est accusée de « néo-conservatisme », appliquant la force pour le
changement de régime
II – 2 – 6 - Le président François Hollande et la continuité dans la rupture
De manière qui peut paraître surprenante, la politique étrangère du président
socialiste François Hollande ne marque pas de rupture par rapport à celle
lancée par le président Sarkozy.
Comme en Libye avec le président Sarkozy, le président Hollande lance une
opération contre la Syrie de Bachar El Assad, qui écrase une rébellion avec
emploi d’armes chimiques mais il doit renoncer, face aux réticences
britanniques et au refus du président Obama de s’engager dans une
opération contre la Syrie.
En Iran sous la conduite de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, la
France adopte une position dure, face à une administration Obama plus
conciliante. Un accord est signé en 2015.
En Afrique, le président Hollande lance l’opération Serval qui arrête au Mali
une tentative de prise de la capitale Bamako. L’opération devient l’opération
Barkhane quand elle englobe 5 pays du Sahel, tandis qu’en Centrafrique
l’opération Sangaris, en décembre 2013, l’ONU autorise à l'unanimité le «
déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous
conduite africaine (MISCA) pour une période de 12 mois » pour mettre fin à la
« faillite totale de l'ordre public, l'absence de l'Etat de droit et les tensions
interconfessionnelles.
En Irak enfin, pour répondre à l’instauration du califat par l’Etat islamique, une
opération est lancée pour arrêter l’expansion islamique de Daech et pour
soutenir les Kurdes d’Irak. (Pour information, j’ai participé à cet appui aux
forces kurdes et au renforcement de notre dispositif au Kurdistan irakien).
Ce terrain de la politique étrangère, l’Irak, est en lien avec les attentats
terroristes de 2015, parfois téléguidés à partir de l’Etat islamique. La politique
étrangère de la France doit alors naviguer entre des écueils que sont la lutte
contre le terrorisme, sans stigmatiser les pays musulmans et les musulmans en
général, l’appui à la stabilité des pays musulmans, sans abandonner les
préoccupations démocratiques.
Enfin dans le dossier ukrainien, la politique étrangère du président Hollande
joue un rôle décisif dans le cadre du format Normandie Berlin, Kiev Moscou et
Paris) pour enrayer la crise ukrainienne après l’invasion en 2014 de la Crimée
par la Russie
II – 2 – 7 - Le président Macron et le choix du libéralisme et de l’Europe
Comme indiqué, supra, nous balayons l’histoire de la politique étrangère de la
France et nous nous limiterons au premier quinquennat du président Macron,
le second relevant plus de l’actualité.
La grande ambition du président Macron dès son élection est de relancer et de
promouvoir l’Europe. Dans un discours marquant et prononcé dans le grand
auditorium de la Sorbonne le mardi 26 septembre 2017, le président
nouvellement élu propose des initiatives tous azimuts, de la défense à
l’économie, la fiscalité et l’éducation, pour sortir l’Europe de « la glaciation » et
« la rendre au peuple ». C’est une feuille de route ambitieuse, qui s’efforce
aussi de ménager Berlin. Pour le président Macron, L’Europe n’a « pas le choix
» si elle veut exister face à la Chine ou les Etats-Unis, mais aussi résister à «
l’obscurantisme » que portent les partis nationalistes. 2017, c’est une année
après la décision britannique de sortie du Brexit et le président estime
incontournable la relance de l’Europe. Celle-ci passe par le renforcement des
liens avec l’Allemagne et le traité de l’Elysée est rénové par la signature du
traité d’Aix-la-Chapelle en 2020, qui favorisera l’adoption d’un plan européen
de relance pour faire face à la pandémie Covid19.
Pendant le premier quinquennat, le président Macron poursuit les
interventions militaires Barkhane en Afrique et Chammal en Syrie mais il
essaie de sortir de ce mécanisme de l’intervention militaire. Il prône aussi le
maintien du dialogue avec la Russie et la Chine
(Je peux témoigner du souffle qu’a apporté le président Macron à la politique
étrangère de la France en 2017. Le dynamisme de ce président jeune, sa
conviction que la souveraineté de l’Europe doit être renforcée, est très bien
perçue dans les autres pays européens mais aussi dans beaucoup d’autres pays.
Son opposition à Donald Trump, qui a fait sortir les Etats-Unis de l’accord Cop
21, avec sa phrase paraphrasant MAGA, Make Our Planet Great Again,
participe à l’amélioration très sensible de 2017 à 2019 de l’image de la France
et de sa politique étrangère.).
Dans le domaine de la politique de défense, le président Macron met un terme
à la baisse régulière des crédits et des moyens humains et financiers qu’a
connu le budget des Armées depuis la fin de la Guerre froide, l’ambition
affichée étant d’atteindre les 2% du PIB en 2025.
Après ce survol de 75 ans de politique étrangère de la France sous la Vème
République, nous abordons, toujours dans notre approche sociologique des
relations internationales, les Acteurs de la politique étrangère.
II – 3 – Les Acteurs de la politique étrangère de la France sous la Vème
République.
II – 3 – 1 - L’Etat
Le Président de la République
Comme nous l’avons déjà mentionné, le Président de la République de la Vème
République dispose d’un rôle primordial, central et fondamental en matière
de politique étrangère, du fait même de la Constitution de 1958. Comme déjà
mentionné également, nous avons là un legs de l’histoire de France, qui voyait
le souverain, roi ou…empereur, qui concentrait en sa personne, le pouvoir
exécutif, le monopole de la violence légitime et l’administration de la justice
sur l’ensemble du territoire du royaume ou du territoire. Le souverain
bénéficiait ainsi de l’unicité de commandement, point qui, nous l’avons décrit
au cours précédent, est indispensable pour la politique étrangère et la politique
de défense ne suivent pas des directions différentes. Du fait de son statut, le
Président de la République de la Vème République est l’interlocuteur unique
des pays étrangers au-delà des frontières.
La Constitution de 1958 confère ainsi au président de la République des
pouvoirs uniques en matière de défense et de politique étrangère (direction
des armées, pouvoir de négocier des traités, emploi de la force nucléaire...).
Au-delà de ces pouvoirs reconnus par la Constitution, la pratique
institutionnelle, y compris en période de cohabitation, donne une large place
au président de la République dans la politique étrangère et de défense. Le
Président est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire
et du respect des traités, il nomme aux emplois civils et militaires de l'État, les
conseillers d'État, le grand chancelier de la Légion d'honneur, les ambassadeurs
et envoyés extraordinaires. Il accrédite les ambassadeurs et les envoyés
extraordinaires auprès des puissances étrangères et les ambassadeurs et les
envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui. Le président
négocie et ratifie les traités. En matière de défense, le même pouvoir central
est conféré au Président de la République, garant de l’indépendance nationale
et de l’intégrité du territoire national et chef des armées. A ce titre, le Président
de la République a le pouvoir « d’appuyer sur le bouton nucléaire ».
Pour assurer ces fonctions relevant de la diplomatie et de la défense, le
Président de la République dispose de collaborateurs et d’équipes » dédiés.
Le conseiller diplomatique et la cellule diplomatique
Le Président de la République est conseillé en matière de politique étrangère
par son conseiller diplomatique, diplomate chevronné qui dirige la cellule
diplomatique, équipe composée d’une dizaine de diplomates « qui a la grande
responsabilité de fabriquer la politique étrangère du chef de l’État, au cœur de
son domaine réservé », pour citer Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique du
Président Macron, chef de cette cellule et spécialiste du Moyen-Orient. Le
conseiller diplomatique est également sherpa, toujours pour citer Emmanuel
Bonne, « le sherpa, c’est celui qui a les bagages sur son dos lors d’une
expédition. En diplomatie, il est chargé de porter les dossiers du président,
notamment lors des réunions des pays les plus industrialisés, ceux du G7. C’est
un rôle modeste mais crucial, puisque le chef de l’État, comme le randonneur,
parvient au sommet avec l’aide de son sherpa ».
Le chef d’état-major particulier du Président de la République ( CEMP).
Officier général de haut rang, 5 étoiles, il fait le lien entre les Armées et le
Président de la République et il gère également le conseil de défense.
Le chef du Protocole
La fonction de chef du Protocole d’État est confiée à un diplomate, point qui
témoigne du rôle du Protocole dans la mise en œuvre de la politique étrangère
de la France. Le Protocole d’État est mis à la disposition du président de la
République et de son gouvernement. Le directeur du Protocole assure le
protocole du chef de l’État, tandis que son adjoint assure celui du chef de
gouvernement. Le directeur du Protocole, introducteur des Ambassadeurs, a
lui-même rang d’Ambassadeur. Nous reviendrons sur le Protocole quand nous
décrirons le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
Premier ministre et son conseiller diplomatique : ils jouent un rôle relativement
secondaire sous la Vème République, du fait des pouvoirs du Président.
Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères : ministère chargé de la mise
en œuvre de la politique étrangère de la France et donc de sa diplomatie. Le
MEAE représente le troisième réseau diplomatique et consulaire au monde.
Mentionnons un décret qui, pour les diplomates français, est fondamental. Il
s’agit du décret du 1er juin 1979 sur le pouvoir des ambassadeurs. Ce décret
constitue pour les ambassadeurs de France une véritable feuille de route, une
lettre de mission définissant leurs missions et obligations.
Article 1
L'ambassadeur est dépositaire de l'autorité de l'Etat dans le pays où il est
accrédité. Il est chargé, sous l'autorité du ministre des affaires étrangères, de la
mise en œuvre dans ce pays de la politique extérieure de la France.
Il représente le Président de la République, le Gouvernement et chacun des
ministres.
Il informe le Gouvernement, négocie au nom de l'Etat, veille au développement
des relations de la France avec le pays accréditaire, assure la protection des
intérêts de l'Etat et celle des ressortissants français.
Article 3 L'ambassadeur, chef de la mission diplomatique, coordonne et anime
l'action des services civils et de la mission militaire.
Ce décret précise donc bien que l’ambassadeur est « l’incarnation » du chef de
l’Etat et du gouvernement, tout comme les préfets en département ou en
région. Il précise aussi les missions des diplomates, en particulier des premiers
d’entre eux, les ambassadeurs, représenter, négocier, protéger et informer.
L’article 3 montre aussi que les attributions de l’ambassadeur s’étendent au
domaine de la défense, ce qui nous ramène au sujet du nécessaire, de
l’impérative coordination entre la politique de défense et la politique
étrangère.
Ministère des Armées
Les compétences du ministre des Armées sont multiples, comme l'organisation
des armées (armée de l'air, armée de terre, marine), ainsi que des directions et
services du ministère, la sécurité des moyens militaires de défense et de la
préparation des armées, les négociations internationales relative à la défense
et la stratégie et les actions à mener en termes de politique industrielle et de
recherche dans les domaines intéressant la défense.
Le Secrétariat général à la défense et à la sécurité SGDSN
Le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN),
anciennement secrétariat général à la Défense nationale (SGDN), est un
organisme interministériel placé sous l'autorité du Premier ministre français. Il
est chargé d'assister le Premier ministre dans l'exercice de ses responsabilités
en matière de défense et de sécurité nationale et d'assurer le secrétariat du
Conseil de défense et de sécurité nationale.
Le SGDSN contribue à la cohérence de la politique interministérielle de
protection, notamment dans les domaines du secret de la défense nationale,
du potentiel scientifique et technique ou de la cybersécurité. Il assure la liaison
avec les partenaires étrangers, par exemple dans le domaine de la contreprolifération.
Le Parlement
Le Parlement joue un rôle en matière de politique étrangère, en particulier via
sa Commission des Affaires étrangères.
La société civile, ONG en particulier, mais aussi centres de réflexion ou
universités, joue également un rôle en matière de contribution à la définition
de la politique étrangère de la France.
II – 3 – 3 – Déterminants et fondements de la politique étrangère de la France
Nous abordons maintenant la troisième partie, après l’histoire de la politique
étrangère de la Vème République et ses acteurs, celle des déterminants et des
fondements de cette politique étrangère, les concepts de rang, de puissance,
puissance déclinée sous la forme de puissance diplomatique, ou pas…puissance
militaire, stratégie militaire, puissance économique, stratégie d’influence,
alliances, priorités appartenance au camp occidental.
Tout d’abord, des commentaires sur le terme de puissance, nécessaires dans
le cadre d’une étude de la politique étrangère de la France dont l’héritage est
surtout celui de la politique conduite par le général de Gaulle de 1958 à 1969
mais aussi de ses successeurs.
La puissance, c’est la capacité d’un Etat à imposer ses volontés dans les
relations internationales, par le Hard Power, militaire, voire économique. Mais
c’est aussi sa capacité à rayonner et à influencer, c’est le Soft Power de Joseph
Nye.
La France a longtemps fait partie des grandes puissances, sous Louis XIV, sous
Napoléon mais aussi au XIXème et au XXème siècle avec son empire colonial et
sa victoire en 1918. Qu’est-elle aujourd’hui, après la montée des Etats-Unis à
partir de 1945, puis de l’Union soviétique et enfin de la Chine à partir des
années 90 ? Peut-on toujours qualifier la France du terme de « puissance » ?
Examinons certaines réponses à cette question, fournies par des hommes
politiques qui ont été des Acteurs des relations internationales.
Pour le général de Gaulle, cela va de soi, la France doit retrouver son statut de
puissance et il a exposé cet objectif prioritaire à maintes reprises dans ses
multiples discours, allocutions et conférences de presse. Et si, comme il est de
règle élémentaire, il n’a pas chaque fois dévoilé toutes ses cartes, abattu tous
ses atouts, exposé tous ses arguments, du moins les principes généraux et
l’orientation de son action ont-ils été clairement définis. « Le caractère », « le
développement », « la puissance », « l’ambition », « l’indépendance » : ces
grands mots sont devenus sous la plume du général de Gaulle des mots
courants. Ils sont de son langage quotidien. Le chef de l’Etat, symbole à ses
propres yeux de l’homme de « caractère », assigne comme « ambition » à la
France, « le développement » pour atteindre à « la puissance », condition de «
l’indépendance ».
L’indépendance et la puissance sont pour le général de Gaulle une véritable
hantise et une obsession de tous les moments.
Une nuance cependant, le général de Gaulle, est conscient que, quand il arrive
au pouvoir, il y a Deux Grands, deux grandes puissances, les Etats-Unis et
l’URSS. La France n’est plus une Grande puissance mais elle est, elle doit
demeurer une puissance. Ce que je vous ai rappelé, citant ses Mémoires : «
C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une
grande politique, parce que, si nous n’avons pas une grande politique, comme
nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien ». C’est un
résumé de ce qui a été nommé la Politique de grandeur.
Le président Giscard d’Estaing coupe la poire en deux et qualifie la France de «
grande puissance… moyenne » ! Citons-le : « La France est une grande
puissance moyenne : elle a une grande vitalité démographique (la population
augmente), sa culture reste parmi les plus riches du monde, elle est un
confluent de culture et n'oublions pas qu'elle était la langue de communication
mondiale au XVIIIe siècle c'est à dire la langue des élites ».
Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères de 1997 à 2002, abandonne le
terme de « grande », retient l’adjectif « moyenne » et adopte donc la formule «
une puissance moyenne d’influence mondiale », « grâce à son siège de
membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, à l’arme
nucléaire, à un outil militaire doté de réelles capacités de projection, mais aussi
grâce à son économie et à l’influence mondiale de sa langue ». Les propos de
l’ancien ministre datent de 25 ans (1998) mais ils gardent leur actualité, en
particulier après le Brexit, qui confère à la France le statut, la position de seul
pays européen, de l’UE, doté de l’arme nucléaire, de puissance nucléaire mais
aussi de seul pays européen présent dans le monde entier, sur tous les
continents, en particulier dans la zone indopacifique qui est devenue une
priorité de plusieurs pays, Japon, UE, Etats-Unis, pays de l’ASEAN.
Pour Dominique de Villepin, ministre flamboyant dont nous avons cité le
discours au CSNU en 2003, emploie la métaphore « footbalistique » en
affirmant que la France était une « puissance de deuxième division qui
parvenait à jouer en première grâce à quelques atouts clés : son histoire, le fait
qu’elle représentait l’idée des droits de l’homme et de la liberté, qu’elle était
une lumière dans la longue épopée de la conquête de la liberté. ».
Laurent Fabius, ministre de affaires étrangères de 2012 à 2016, réduit encore la
définition, la position de la France, quand il la qualifie en 2013 de « puissance
d’influence ». Pour lui, « L’une des spécificités de notre pays est sa taille
moyenne, mais capable de peser bien au-delà de son poids seulement militaire,
économique ou culturel. Notre vocation universelle fait de nous une « puissance
repère », servant souvent de pont entre les nations ».
Comme nous le voyons, il est difficile de ne retenir qu’une seule description,
qu’une seule définition de ce qu’est le statut, la place, la position de la France
sur la scène internationale. On sent, dans ces déclarations et prises de position
de ministres des affaires étrangères, une sorte de nostalgie, de regret d’un
passé révolu remontant à plus de 100 ans où la France était, de fait, une des
premières nations au monde. Le pessimisme traditionnel et caractéristique des
Français participe à ce sentiment de « déclassement », surtout à l’aune de la
montée en…puissance, de pays considérés encore il y a peu comme des payssous-développés, pensons par exemple aux BRICS, en particulier la Chine.
Pourtant, la France est un pays qui compte sur la scène internationale.
La France est en effet à la fois une puissance politique, militaire, technique et
scientifique, démographique, territoriale et culturelle, sans oublier le prestige
et l’aura de son histoire, en dépit des débats et des critiques que cette histoire
de France peut engendrer, qu’il s’agisse de la décolonisation ou, par exemple
au rôle de Napoléon !! (Je cite cet exemple car je viens de voir ce dimanche le
dernier film de Ridley Scott, que j’ai moyennement apprécié. Mais sachez que, à
part l’Angleterre et l’Espagne, où le personnage n’est pas aimé, il fascine dans
des pays aussi inattendus que la Russie, la Turquie ou le Pakistan !!! Référence
peut-être au destin politique exceptionnel de ce militaire).
Sur le plan politique, et diplomatique, la France a son mot à dire sur la scène
internationale, grâce à son siège permanent au CSNU, à son statut de
puissance nucléaire, à sa position au G7 et G20. Mais la France compte aussi
par son rayonnement, par sa capacité de décision et d’action, sa force de
proposition et de décision. (Je donne un exemple récent que j’ai vécu, même de
loin, la COP21 de 2016. Aucun pays ne se pressait par accueillir la COP21 et le
ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius et le président Hollande ont
vite été convaincus que la France avait une carte à jouer en accueillant ce qui a
été la plus grande conférence jamais organisée en France, par la France, et en
mettant tout en œuvre pour que les délégations arrivent à un résultat).
Quel est donc le rang de la France aujourd’hui ? Certes, il a été de la fin de la
seconde guerre mondiale à la fin de la guerre froide inférieur à celui des Deux
Grands, Etats-Unis et URSS. Mais depuis une vingtaine d’années, la France se
situe toujours juste après les deux Grands que sont les Etats-Unis et la Chine,
mais à un niveau égal, si ce n’est supérieur à celui de la Russie, de
l’Allemagne, du Japon, de l’Inde ou du Brésil. La France joue à peu près de
tous les instruments dans ce que l’on appelé jadis le « concert des nations »,
dans les domaines militaires, politiques, scientifiques, culturels, géopolitiques.
Mais force est de constater que, de manière relative, son poids décroit en
Europe, continent en déclin par rapport au passé, avec l’unification allemande
et la multiplication des partenaires. Il décroit aussi dans le monde, avec la
montée d’autres pays comme les BRICS ou la Turquie.
Pour autant, la France possède de manière peu discutable des attributs de la
puissance, que nous allons rapidement citer
- Puissance politique et diplomatique grâce au statut de membre
permanent du CSNU, à la présence outre-mer, 3ème réseau diplomatique
au monde, membre fondateur de l’UE et pays moteur de l’UE
- Puissance militaire : la France est une puissance nucléaire, la seule en
UE. Elle a aussi une armée professionnelle, expérimentée, possédant la
gamme la plus complète d’outils et d’équipements juste après les EtatsUnis, qu’il s’agisse de porte-avions nucléaire, de SNLE, SNA, moyens
aériens de combat et de projection, forces terrestres ; bases en outremer et dans certains pays, pré positionnement de forces des trois armes
etc. Ce qui fait défaut lourdement à la France, c’est le format de ses
armées, insuffisant pour remplir les objectifs assignés par le pouvoir
politique, après 30 années de réduction des budgets et des moyens
humains et matériels. Ces forces armées ont une expérience et des
capacités et expertise des opérations extérieures que peu de pays ont, à
part.…les Etats-Unis. Rappelons que plus de 700 militaires sont morts
depuis 1962 et la fin de la guerre d’Algérie, tombés en Afrique, au Liban
en Afghanistan. Le projet de loi de programmation, après des années de
réductions des budgets et des moyens humains et matériels militaires, et
pour les années 2024 à 2030 a été présenté au Conseil des ministres du 4
avril 2023. Et dans ses vœux aux armées prononcés le 20 janvier 2023, le
chef de l'État Macron a annoncé une forte augmentation du budget de
la défense dans un contexte de guerre en Ukraine.
- La puissance économique, technologique et scientifique : quelques
chiffres : en termes de PIB, la France se situe au 7ème rang mondial, 3 052
milliards de dollars, la France se place derrière les États-Unis, la Chine,
l'Allemagne, le Japon, l'Inde et le Royaume-Uni. En 2020, elle se classe au
23e rang pour le PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat (PPA),
légèrement au-dessus de la moyenne de l'Union européenne. La France
fait partie des 2 poids lourds de l’EU avec l’Allemagne, l’UE étant la 2ème
économie mondiale. La France est une puissance scientifique et
technologique, avec le spatial (Ariane, Kourou, satellites), l’aéronautique
(Airbus, Dassault, Airbus hélicoptères), le nucléaire, avec un impératif de
rattrapage etc. Mais la France a aussi des faiblesses avec une
désindustrialisation entamée il y a 30 ans, avec un endettement passé
avec la pandémie de 60 à 120 % du PIB. La France est passée depuis
1996 de 5 à 3% de l’économie mondiale. Il y a donc pour la France un vrai
risque de décrochage qui justifierait alors les commentaires pessimistes
de déclin que vous entendez. C’est le défi de ces prochaines années
- Puissance démographique, cela ne se dit pas assez mais la France est une
puissance démographique en Europe. Au 1er janvier 2023, la France
compte 68,0 millions d'habitants et au cours de l'année 2022, la
population a augmenté de 0,3 %. En 2022, 723 000 bébés sont nés en
France, soit 19 000 de moins qu'en 2021. L’Allemagne est l’Etat membre
le plus peuplé (84,36 millions d’habitants), devant la France (68,07
millions), l’Italie (58,85 millions), l’Espagne (48,06 millions) et la Pologne
(36,75 millions). Ces cinq pays représentent à eux-seuls les deux tiers de
la population européenne. Les naissances avaient connu un rebond en
2021, mettant fin à six années de baisse consécutive. La France affiche le
deuxième taux de fécondité en Europe avec 1,83 enfant par femme
avec une moyenne de 1,53 en Europe. Pour autant le nombre de
personnes âgées augmente, sans atteindre les niveaux alarmants de
l’Allemagne ou du Japon. La France est un peu en dessous du taux de
fécondité permettant un renouvellement des générations.
- Puissance territoriale : la France a la plus grande superficie sur le
continent européen, juste après la Russie, et on peut ajouter à ces
550 000 km 2 100 000 km2 outre-mer. La France ainsi, grâce à sa
présence outre-mer a la deuxième Zone économique exclusive après les
Etats-Unis grâce à son vaste domaine maritime.
- Stabilité politique : les institutions politiques de la Vème République ont
indéniablement apporté une stabilité politique à la France, atout pour
jouer un rôle au niveau mondial. Rappelons les errances de la IIIème et
IVème République. Les alternances de 1981 ou 2012 ou 2017, les
cohabitations de 1986 ou 1993 ou 1997 ont confirmé cette solidité des
institutions qui ont permis aussi la stabilité des grandes lignes
directrices de la politique étrangère de la France qui sont l’autonomie
et l’indépendance, la construction européenne, l’alliance occidentale, le
rayonnement mondial (coopération solidarité) avec le multilatéralisme
et la défense des droits humains. Si un jour, un parti politique arrive au
pouvoir avec des priorités différentes, telles que la sortie ; même
partielle, de l’UE, de l’euro, de l’alliance occidentale ou du non-respect
des droits de l’homme, sans porter de jugement, il s’agira d’un grand
aggiornamento, d’une refondation totale de la politique étrangère.
Affaire à suivre.
- Rayonnement culturel et linguistique, soft power . Rapidement, c’est le
rayonnement de ce que l’on peut appeler la civilisation française, l’art
de vivre à la française, la culture, le cinéma, la gastronomie mais aussi
la langue française, la francophonie, l’enseignement supérieur, même si
les classements internationaux style Shanghai ne sont pas toujours
favorables, c’est plus une question de structure et statuts de nos
universités. Voyez le nombre de prix Nobel français : deux chercheurs
français, Anne L'Huillier et Pierre Agostini, ainsi que l'Autrichien Ferenc
Krausz, ont obtenu le Prix Nobel de physique 2023 qui leur a été attribué
le mardi 3 octobre. 33 Français se sont vu décerner à ce jour un Prix
Nobel scientifique. De Marie Curie à Françoise Barré-Sinoussi.
Classement : sur les 954 personnes ayant reçu un prix Nobel au cours de
leur vie, 403 sont américains. Suivent ensuite le Royaume-Uni, avec 138
lauréats, l'Allemagne, avec 112 lauréats, et la France, avec 73 lauréats.
Depuis la création du Prix Nobel de littérature en 1901, les auteurs
français représentent 13.4 % des lauréats, soit 16 sur 119, et
représentent la nationalité la plus primée de l'histoire de ce prix, devant
les États-Unis (12 lauréats) et le Royaume-Uni (10 lauréats).
(Je peux vous dire que, en tant qu’ancien diplomate, j’ai pu constater que
le rayonnement de la France, son soft power, son influence dans le
domaine de la culture, des arts, du cinéma etc. ce ne sont pas de vains
mots mais c’est au contraire très concret. J’ai pu ainsi à Hong Kong
organiser à 4 reprises des dîners en l’honneur de Français Prix Nobel en 2
fois pour des médailles Fields).
*
En conclusion de ce chapitre sur la politique étrangère de la France, nous
pouvons affirmer que la France n’est plus une grande puissance, la France
n’est plus au premier rang, si tant est qu’elle l’ait été, la France a perdu en
importance relative dans le domaine économique ou démographique ou
industriel. Elle a perdu en importance en Europe, avec la réunification
allemande, elle pèse moins face à l’hyperpsuissance américaine ou par rapport
à la puissance émergente de la Chine qui vise le premier rang dans trois
décennies. On pourrait passer des heures à relativiser…
Pour autant, la France reste au premier plan, par sa puissance militaire, par sa
diplomatie, par son rôle majeur au sein de l’UE où elle a certes laissé un peu
de souveraineté mais où elle a gagné en jouant à plein le multilatéralisme, qui
doit permettre par la coopération et par le sentiment d’un destin partagé de
jouer un rôle de levier sur la scène internationale, symbole de la permanence
d’un pays influent.
Nous avons terminé le chapitre sur la politique étrangère de la France en
prononçant à plusieurs reprises le mot de « puissance ». C’est une transition
pour aborde le chapitre suivant, celui du pays hyperpuissant, celui des EtatsUnis.
*
III - La politique étrangère des Etats-Unis
Comme mentionné à plusieurs reprises dans ce cours, il est important, il est
primordial, quand on étudie ou que l’on s’intéresse aux relations
internationales, de bien connaître l’histoire. Pour appréhender la politique
étrangère d’un pays, il importe donc de se pencher attentivement sur son
histoire, sa géographie, sa sociologie, sa psychologie, ses traumas, ses
mythes, ou faits historiques fondateurs, sa constitution etc. Je vous l’ai dit,
c’est ce qui fait la richesse de cette discipline que forment les relations
internationales.
Pour la France, nous avons mentionné l’héritage de centaines d’années de
l’Ancien régime, dont les coutumes, les traditions ont influencé l’esprit de la
constitution de la Vème République et, de ce fait, les grandes lignes de sa
politique étrangère initiée par le général de Gaulle.
Il en va de même des Etats-Unis. Il importe de connaître les points saillants de
la naissance des Etats-Unis pour bien appréhender sa politique étrangère.
Comme pour la France, nous allons donc dans un premier temps étudier les
fondements historiques des Etats-Unis puis nous survolerons les grandes
étapes de la politique étrangère de ce pays jeune. Ensuite, toujours dans notre
approche sociologique, nous étudierons dans un deuxième temps les acteurs
de la politique étrangère américaine et enfin dans un troisième temps nous
analyserons les caractéristiques de cette politique étrangère.
III – 1 – Les fondements historiques de la politique étrangère des Etats-Unis
(J’ai eu la chance, pour des raisons professionnelles, de vivre 12 ans, 2 fois 6 ans
aux Etats-Unis, dans les années 80 et 90 et je dois avouer mon admiration pour
ce pays, alors qu’à l’origine je n’avais pas d’intérêt particulier mais les EtatsUnis. En outre mes 4 enfants y sont nés et je garde donc un attachement
particulier pour ce pays et pour les Américains, avec qui les rapports peuvent
être simples et chaleureux. Pour autant, j’essaie d’être plus lucide, plus critique
sur la politique étrangère américaine et je peux vous dire que j’ai eu depuis des
décennies des conversations animées, parfois passionnées, avec mes collègues
et amis américains. Nous y reviendrons).
III - 1 – Une histoire qui a formaté la politique étrangère
Les Etats-Unis, cela est gère contestable, constituent un pays exceptionnel, de
par son histoire, récente (250 ans alors que la France, le Japon, la Russie, la
Chine, l’Angleterre ont des histoires centenaires ou millénaires) ; de par sa
géographie, pays-continent entre deux océans, insularité qui a joué son rôle
dans la politique étrangère ; de par ses caractéristiques sociales, pays
d’immigration, melting-pot, pays jeune, pays qui fait rêver la jeunesse dans
bien des pays du monde ; et enfin de par les valeurs que promeut ce pays,
valeurs qu’il n’a pourtant pas inventées, que sont l’idéal démocratique, la
liberté, le parlementarisme ou les droits de l’homme.
L’histoire des Etats-Unis, l’histoire de sa politique étrangère se confondent avec
celle de la montée de la puissance américaine, liée d’abord à l’expansion du
pays vers l’ouest.
Les Etats-Unis sont partis de 13 colonies anglaises d’Amérique et sont devenues
en à peine un siècle la première économie du monde à la fin du XIXème siècle.
A partir de cette période, les Etats-Unis adoptent une politique étrangère qui
combine deux caractéristiques, l’isolationnisme et la défense de leurs intérêts
de puissance. Nous retrouverons ces deux points tout au long de notre survol
historique de la politique étrangère des Etats-Unis. Les dates marquantes de
cette politique étrangère, sur lesquelles nous allons nous arrêter rapidement
chaque fois sont 1776/1787, 1823, 1898, 1917, 1941, 1947, 1990 et 2001.
1776/1787 Les origines des Etats-Unis, sont donc celles d’une nation
européenne, puritaine, décolonisée et démocratique :
- Nation européenne, les premiers colons viennent surtout d’Angleterre
et d’Allemagne. Des puritains anglais qui fuient les persécutions
religieuses en Europe embarquent sur le Mayflower en 1620 et se
dotent d’un accord politique de gouvernement à base démocratique,
le Mayflower Compact et ils fondent une colonie, la Nouvelle
Angleterre, absorbée ensuite par la nouvelle colonie puritaine du
Massachussetts. La première récolte de ces colons puritains en 1621
est célébrée lors de la Fête de Thanksgiving, Action de Grâce, la plus
grande fête américaine, familiale et qui se traduit par 4 jours de
célébration. Nous sortons tout juste du week-end de Thanksgiving, qui
a eu lieu jeudi dernier 23 novembre. Le peuplement américain
européen d’origine se place donc sous le triple signe de l’aventure
économique (i.e. exploiter des terres nouvelles), du puritanisme et de
la démocratie égalitaire. Je passe rapidement sur l’installation de
nouvelles colonies, qui refusent les taxes et droits de douane imposées
par la métropole anglaise, point qui conduira à la guerre
d’indépendance à laquelle participe la France pour compenser la perte
du Canada, et à la déclaration d’indépendance le 4 juillet 1776. Le
peuplement est ensuite rapide avec l’arrivée d’Anglais, d’Irlandais, de
Scandinaves, d’Ecossais, d’Hollandais et d’Allemands (au 18ème siècle,
l'allemand a failli devenir la langue officielle des Etats-Unis, avant que
l'anglais soit élu par vote, le fait est peu connu). Ce peuplement est
donc essentiellement WASP, white anglosaxon protestant. Les EtatsUnis se créent donc en tournant le dos à l’Europe, à l’histoire
européenne, à ce qu’ils considèrent comme des vices, ces vices que
sont les discriminations sociales ou la domination d’une classe
sociale liée au sang, l’aristocratie.
- Les colons américains puritains sont inspirés par la Bible. Ils estiment
que, comme Moïse, ils ont atteint une « terre promise », terre vierge
(c’est le mythe de la « page blanche ») où ils pourront tout construire à
partir de zéro, après s’être débarrassé du joug anglais. Ce point
historique influencera souvent l’attitude des Américains vis-à-vis des
puissances coloniales, à commencer par la France…Les Etats-Unis
veulent donc « recommencer le monde » comme le dira Thomas
Paine, philosophe et révolutionnaire américain. Cette mission divine
est primordiale et peu importe si elle se fait au détriment des Native
Americans, les Indiens qui peuplaient le continent avant l’arrivée des
Européens.
- Les Etats-Unis deviennent en 1776, déclaration d’indépendance et
1787, proclamation de la constitution américaine, la première nation
et le premier pays démocratique moderne, à défaut d’avoir le premier
régime parlementaire, qui est celui de l’Angleterre. Les Etats-Unis sont
donc le premier pays décolonisé de l’histoire et ils vont donc très vite
encourager la décolonisation des pays d’Amérique du Sud, région que
les Etats-Unis vont vouloir contrôler dès le début du XIXème siècle
1823 La doctrine Monroe et l’isolationnisme américain
La doctrine Monroe de 1823 refuse toute intervention d’une puissance
européenne dans le continent américain, nord et sud. Pour autant, dès 1796, le
président Washington, premier président des Etats-Unis, déclare dans son
message de départ : « La grande règle de conduite vis-à-vis des nations
étrangères est, en étendant nos relations commerciales, d’avoir avec elles aussi
peu de liens politiques que possible, L’Europe a toute une série d’intérêts de
premier plan qui ne nous concernent pas ou qui ne nous touchent que de très
loin ». Donc, en bons héritiers du peuple de commerçants que sont les Anglais,
le premier président américain ne néglige pas les aspects commerciaux des
relations des Etats-Unis avec les pays européens, il ne néglige pas non plus les
relations diplomatiques mais il tient à ce que ces relations n’entament pas et
n’entravent ni la souveraineté américaine ni sa liberté d’action. Et il estime
qu’il vaut mieux se tenir loin de ces Européens belliqueux et non démocrates.
Le XIXème siècle est celui de l’expansion du territoire américain et de la ruée
vers l’Ouest, et de la montée en puissance de l’économie américaine, obérée
par la guerre de Sécession (appelé très justement Civil War en anglais). En
1896, Les Etats-Unis deviennent la première puissance économique au monde
et leur production industrielle est supérieure à celle de l’Allemagne, de
l’Angleterre et de la France réunies. La population est passée à 97 millions
d’habitants grâce à un flux massif d’immigrants venus surtout d’Europe. Si vous
allez à New York un jour, ce que je vous souhaite, visitez Ellis Island, dans la
baie de New York, à proximité de l’île où prône la statue de la Liberté. Ellis
Island est le centre où ont transité plus de 12 millions de migrants de 1992 à
1954.
1898 : la fin de l’innocence
La montée en puissance des Etats-Unis, son accès aux rivages de l’océan
Pacifique et l’expansion commerciale du pays, vont conduire le pays à
intervenir dans les relations internationales, dans la politique mondiale, malgré
leurs réticences traditionnelles.
En 1853-1854, le commodore Perry oblige le Japon à s’ouvrir aux importations
américaines. Vous imaginez la violence de cette opération qui force un pays à
acheter les produits d’un autre. C’est à la même époque en et la Première
guerre de l’Opium, l’Angleterre qui force la Chine à acheter de l’Opium !
En Amérique du Sud, les Etats-Unis accroissent leur expansion économique et
commerciale.
En 1898, c’est l’intervention américaine à Cuba et sur l’île de Porto Rico, en
soutien à l’insurrection contre les autorités coloniales espagnoles et en
réaction à l’explosion d’un navire américain, le cuirassé Maine, dans le port de
la Havane. C’est aussi l’occupation des Philippines et de l’île de Guam. Le pays
qui était contre la colonisation, qui était contre les puissances coloniales, pour
l’autonomie des peuples, ce pays s’empare donc des Philippines !
Les Etats-Unis, qui souhaitent le creusement d’un canal qui évitera le
contournement du sud du continent par le détroit de Magellan, négocient avec
la Colombie dont dépend l’isthme mais, face à des problèmes dans les
négociations, les Etats-Unis encouragent une insurrection en Colombie qui
conduira en 1903 à la création de l’Etat indépendant du Panama, où pourra
être creusé le canal, achevé en 1914. C
Ainsi, à partir de 1898, la politique étrangère américaine porte les marques de
ce qui deviendra sa caractéristique à partir de 1945, avec intervention militaire,
appui à des forces révolutionnaires qui leur sont favorables, ingérence
intérieure, interventionnisme économique également.
1917 et l’échec du Wilsonisme
Les Etats-Unis sont très réticents à intervenir dans ce premier conflit mondial
qui déchire l’Europe. Souvenez-vous des origines du pays et de la nation, qui se
sont construits à l’opposé de ces pays européens qui se font sans cesse la
guerre. L’isolationnisme domine pendant les premières années de la guerre
mais peu à peu les Etats-Unis décident de se placer du côté des Alliés, après la
guerre sous-marine conduite par les Allemands et après l’interception du
télégramme Zimmerman, dans lequel le secrétaire d’Etat allemand aux affaires
étrangères évoque une alliance de l’Allemagne avec le Mexique. Le président
Wilson fait voter la guerre par le Congrès en avril 1917.
Le président Wilson place cependant, dès l’entrée en guerre de son pays, cette
guerre sous le signe du droit et de la justice. Au traité de Versailles, il propose
14 points comme fondement d’une paix juste et inspirés par l’idéalisme, au tel
point qu’il met ses espoirs dans une organisation internationale, la SDN, qui
pour lui devrait être en mesure de maintenir et garantir la paix. Le Congrès
américain refuse la ratification du Traité de Versailles. Les Etats-Unis restent en
dehors de la SDN et c’est l’échec de ce que l’on a appelé le Wilsonisme.
C’est le retour de l’isolationnisme à partir des années 20, accentué par la crise
économique de 1929. Des lois de neutralité votées entre 1935 et 1937
interdisent la vente d’armes à des Etats en guerre et obligent tout acheteur à
payer comptant et à emporter les armes achetées (lois cash and carry)
1941 et la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis première puissance
mondiale
Comme pendant les trois premières années de la Première Guerre mondiale,
les Etats-Unis sont réticents à intervenir dans le second conflit mondial, tout
en étant inquiets face à la montée en puissance du Japon dans le Pacifique. Les
Etats-Unis se rapprochent cependant des Alliés et aux lois cash and carry
succèdent les lois lend lease qui permettent de prêter ou de vendre des
produits à tout pays dont la défense est jugée primordiale pour la sécurité des
Etats-Unis.
L’embargo des Etats-Unis sur les importations de pétrole par le Japon pousse
ce dernier à attaquer la base américaine de Pearl Harbor le 7 décembre 1941.
L’entrée en guerre des Etats-Unis, qui vont devenir l’arsenal des démocraties,
grâce à leur puissance industrielle, amène le pays en 1945 au statut de
première puissance militaire, industrielle et financière au monde et qui plus
est seul détenteur de l’arme nucléaire.
Le président Roosevelt s’inscrit dans la continuité du président Wilson. Il veut
une paix juste et une refondation de l’ordre international par la sécurité
collective. Pour atteindre cet objectif le président Roosevelt estime que les 4
puissances militaires alliés, Etats-Unis, Angleterre, URSS et Chine doivent
devenir les « quatre policiers du monde », ou ls « quatre gendarmes du
monde » afin de maintenir la paix. Il s’agit donc de conserver cette « Grande
alliance » qui va gagner la guerre et qui réunira la première puissance
capitaliste, la première puissance coloniale et la première puissance
communiste. Des conférences à Téhéran en 1943, Yalta, Postdam en 1945,
redessinent la carte du monde. La Conférence de San Francisco en 1945
débouche sur la Charte des Nations Unies, ratifié par le Sénat à une majorité
écrasante.
Toujours dans le prolongement de la philosophie politique le président
Roosevelt prononce en 1941 un discours devant le Congrès affirmant les
Quatre libertés fondamentales défendues par l’Amérique, la liberté
d’expression (freedom from speech), la liberté de croyance (freedom of
worship), l’affranchissment de la crainte (freedom from fear) et du besoin
(freedom from want). (Je vous recommande la consultation de 4 peintures d’un
peintre américain très célèbre, Norman Rockwell, qui a illustré dans des toiles
magistrales ces 4 libertés qui ont façonné la mentalité des Américains dans
l’après-guerre). Les idées de Roosevelt, ce sont aussi la liberté de commerce, la
liberté de navigation, la coopération économique, le désarmement mais aussi
l’autodétermination des peuples. Ce dernier point est un message aux
puissances coloniales, dont les alliés proches que sont l’Angleterre et la France.
A la sortie de la Seconde guerre mondiale, les Etats-Unis sont devenus une
superpuissance, la première puissance économique qui détient 50% du PNB
mondial et la première puissance militaire.
III – 2 – La politique étrangère américaine depuis la fin de la 2ème Guerre
mondiale.
III – 2 - 1 - 1947 à 1990 La doctrine Truman du containment et le
réengagement américain
La fin de la Première guerre mondiale a vu le désengagement américain et le
retour de l’isolationnisme pendant 20 ans. Le président Roosevelt souhaite un
partage de la sécurité collective entre les quatre puissances. Affaibli par la
maladie, il ne voit pas la menace que représente l’URSS de Staline, malgré les
avertissements des Britanniques et de Churchill et ceux de l’ambassadeur
américain à Moscou. Mais le président Roosevelt décède en avril 1945.
En 1946, le diplomate américain George Kennan écrit (sous forme anonyme) un
article célèbre dans la revue prestigieuse Foreign Affairs : « L’élément majeur
de toute politique des Etats-Unis à l’égard de l’Union soviétique doit être
l’endiguement («containment »), long, patient mais ferme et vigilant des
tendances expansionnistes russes ».
C’est la mise en œuvre par Truman de cette politique de containment qui
caractérise pendant 40 ans la politique étrangère américaine.
Le containment se traduit en Europe par le plan Marshall, 13 milliards de
dollars de l’époque, pour reconstruire l’Europe mais aussi contribuer à son
équipement militaire. C’est aussi la création de l’OTAN en 1950, le pont aérien
pour ravitailler Berlin en 1949, le réarmement sous contrôle américain des
pays européens, occasion d’exporter massivement des armes américaines vers
l’Europe.
Le containment en Asie, c’est la guerre de Corée, le soutien à la guerre
française d’Indochine dont nous avons déjà parlé, avec la chute de Dien Bien
Phu qui engendre la théorie des dominos. C’est aussi la guerre du Vietnam,
avec ses 50 000 soldats américains tués.
Le containment en Amérique latine c’est la crise de Cuba qui mène le monde au
bord du gouffre nucléaire.
Le containment c’est aussi une série d’accords et d’alliances entre les EtatsUnis et des pays d’Asie et du Moyen-Orient, OTASE, traité de Manille, Pacte de
Bagdad, ANZUS etc.
Le containment c’est enfin la course aux armements et la course technologique
avec la course à la lune, gagnée par les Américains, après un retard, la course
aux armements, avec un missile gap qui voit les Soviétiques lancer le premier
satellite, la première fusée. Les Etats-Unis perdent le monopole nucléaire en
1949, bombe A soviétique. Mais ils détiennent la bombe H en 1952, rattrapés
par l’URSS dès 1953, tandis que la Grande-Bretagne, la France en 1960 et la
Chine accède à la bombe A, puis la bombe H.
(Une différence de puissance entre la Bombe A et la Bombe H
La bombe A, ou bombe atomique, bombe à fission ou bombe nucléaire, est une
bombe qui tire son énergie d’une réaction nucléaire provoquée par des
éléments comme l’uranium 235 ou le plutonium 239. C’est celle qui fut utilisée
lors de la Seconde Guerre mondiale. La bombe H, également appelée bombe à
hydrogène, bombe à fusion ou bombe thermonucléaire, est un engin explosif
plus puissant, mais aussi plus complexe que la bombe atomique : la différence
entre la bombe A et la bombe H est donc une question d’énergie dégagée, mais
pas seulement. La bombe H tire son énergie non pas de la fission nucléaire,
mais au contraire de la fusion de noyaux légers. La bombe H est divisée en
deux étages : le premier fonctionne au plutonium, tandis que le second se
compose de combustibles de fusion à l’origine de l’explosion thermonucléaire.).
Le containment va aussi de pair avec la détente et aux politiques de maîtrise et
de contrôle des armements.
La période 1947-1990, c’est celle de la Guerre froide, déjà évoquée, avec des
conflits dits périphériques où s’affrontent les Etats-Unis et leurs alliés et l’URSS
et ses alliés, guerre du Kippour, guerre du Vietnam, conflits de décolonisation
en Angola etc.
Un monde qui devient en outre multipolaire
Pendant les années 70, le monde devient multipolaire et plus complexe pour
les Etats-Unis. La Chine et l’URSS ont rompu leurs relations amicales et
deviennent rivales dans le monde communiste. La décennie voit le
rapprochement des Etats-Unis avec la Chine et, en fin de décennie, la chute du
shah d’Iran, le succès de la révolution islamiste iranienne et l’irruption de
l’islam politique, que les Etats-Unis auront à affronter dans les décennies
suivantes.
Carter et l’échec de la politique des bons sentiments
Le président démocrate Jimmy Carter 1976-1980 est un chrétien baptiste qui
est guidée dans sa politique étrangère par l’honnêteté, la justice, les droits de
l’homme et l’égalité entre les peuples. Il réduit les ventes d’armes et le soutien
aux dictatures et il obtient un succès au Moyen-Orient avec les accords de
Camp David en 1978. Son mandat connaît cependant des échecs en Amérique
latine, voit l’invasion soviétique de l’Afghanistan et l’échec humiliant de
l’opération militaire visant à libérer les otages américains de l’ambassade des
Etats-Unis à Téhéran. Malgré des avancées dans le domaine du désarmement,
son mandat est considéré comme une période de faiblesse des Etats-Unis sur
la scène internationale. Son successeur républicain va au contraire redonner
une image forte aux Etats-Unis.
Reagan et le dernier rebond de la guerre froide.
Ancien acteur de cinéma actif pendant la période anticommuniste du Mac
Carthisme, est élu président en 1980 sur la base d’un programme conservateur
et anticommuniste. Il n’entend avoir aucune faiblesse face à « L’empire du
mal » que représente l’URSS. Il augmente fortement les dépenses de défense
jusqu’à 6% du PNB à 300 milliards de dollars. Il lance l’Initiative de défense
stratégique, ou Guerre des Etoiles, bouclier anti-missiles visant à protéger les
Etats-Unis contre toute attaque nucléaire et donc à décrédibiliser la menace
soviétique. L’offensive américaine se retrouve partout, comme en Amérique
latine pour contrer les mouvements révolutionnaires communistes. Reagan est
réélu triomphalement en 1984 sur la base de ses succès économiques et
diplomatiques.
Et, en 1985, l’élection de Mikhail Gorbatchev offre une nouvelle opportunité
aux Etats-Unis qui place l’URSS en position de faiblesse, d’autant que cette
dernière connaît de graves difficultés économiques et industrielles. Les
négociations américano-soviétiques à Genève en 1985 et le traité de
Washington fin 1987 lancent un désarmement notable bilatéral et voient un
affaiblissement relatif de l’URSS, qui réduit son arsenal nucléaire tandis que les
Etats-Unis conservent leur programme de Guerre des Etoiles. La perestroika, la
glaznot soviétiques, conjuguées aux problèmes économiques de l’URSS
entraîneront l’effondrement de cette dernière en 1991, précédée par la chute
du Mur de Berlin le 9 novembre 1989, quelques mois après son départ de la
Maison Blanche.
Ce dernier pourra dire avec satisfaction « qu’il a gagné la Guerre Froide » et,
d’une certaine manière, il avait raison
III – 2 - 2 - Les années 1990 et la super puissance globale, l’hyperpuissance
Après la chute de l’URSS, les Etats-Unis deviennent la seule puissance
mondiale ; puissance globale, hyperpuissance, écrit Hubert Védrine, ancien
ministre des Affaires étrangères. Mais les tentations récurrentes au repli, au
retrait, demeurent.
Les années 90, avec le président Georges Bush, c’est tout d’abord la première
guerre du Golfe après l’invasion du Koweït par l’Irak. Pour la première fois, une
certaine unanimité se dessine sur la scène internationale avec la mise en place
d’une coalition sous l’égide des Nations Unies mais où les forces de reconquête
sont surtout composées des forces américaines, qui prennent pied au MoyenOrient.
Ce sont aussi les Balkans, où les Etats-Unis sont d’abord réticents mais
interviennent ensuite sous l’égide de l’OTAN qui devient, pendant cette
décennie, après la perte de l’ennemi soviétique, un outil de gestion de crise
que l’on retrouvera en Afghanistan dans la décennie suivante
Ce sont enfin les tentatives de limitation de la prolifération nucléaire, en Irak,
Iran mais aussi dans les ex-pays de l’URSS
Pendant cette décennie des années 1990, celle du président Bill Clinton (19922000) les Etats-Unis sont bien l’hyperpuissance qui joue un rôle déterminant
sur la scène internationale, en particulier au Moyen-Orient avec les Accords
d’Oslo en 1993 qui marquent à ce jour l’étape la plus avancée d’un règlement
de paix entre Israël et la Palestine, du fait de l’acceptation, attendue pendant
des décennies, de la création de deux Etats, conformément aux résolutions des
Nations Unies.
Mais cette décennie est aussi celle de la montée du terrorisme, qui vise à
plusieurs reprises les Etats-Unis, même sur leur territoire. Le fait est
relativement peu connu mais le World Trade Center à New York, les deux tours
jumelles, font l’objet d’un attentat terroriste en février 1993 avec l’explosion
dans le parking en sous-sol de la tour Nord d’une charge de plus de 600kg kg
placée dans une camionnette piégée. L’objectif des terroristes est de faire
basculer la tour Nord sur la tour Sud, de détruire ainsi le centre commercial et
de tuer des milliers de personnes. 6 personnes sont tuées et plus de 1000 sont
blessées. La déflagration perturbe Wall Street, proche des deux tours et les
secousses font l'effet d'un tremblement de terre. En quelques heures, les
secours reçoivent près de 16.000 appels. L’attentat est cependant considéré
comme un échec, malgré le bilan humain lourd et des dégâts majeurs. C’est
cependant un choc psychologique chez les Américains et les New Yorkais qui
n’avaient jamais connu un tel attentat terroriste, je peux témoigner.
Nous avons mentionné, pour la décennie précédente, au sommet de la Guerre
froide, l’invasion en 1979 de l’Afghanistan par l’Union soviétique et la crainte
par les Etats-Unis de l’accès aux mers chaudes par la puissance communiste. En
riposte, les Etats-Unis soutiennent les djihadistes qui deviendront les talibans
dans leur lutte contre l’occupant soviétique. Ils leur fournissent armes,
équipements et missiles anti-aériens portatifs Stinger qui causeront des
ravages contre les hélicoptères de combat soviétiques. Le départ des
Soviétiques en 1989 fournit pour la décennie 1990 aux djihadistes du monde
entier un abri, une base arrière et un centre d’entraînement protégé et éloigné
des zones de conflits et des bases américaines, pendant cette période où les
Etats-Unis sont la cible du terrorisme islamiste.
C’est ainsi que les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie sont
frappées le 7 août 1998 par des attentats majeurs, causant à Nairobi 213 morts
et plus de 5 000 blessés, passants ou employés de bureau d’immeubles voisins
de l'ambassade, où 44 personnes, dont 12 Américains, sont tués, tandis que 11
morts, tous des passants tanzaniens, et 85 blessés sont à déplorer à Dar-esSalam. Les deux attaques, coordonnées, sont revendiquées par une cellule
locale d’Al-Qaïda, organisation terroriste alors méconnue et dirigée par
Oussama Ben Laden.
En octobre 2000, c’est la frégate de l’US Navy USS Cole qui est frappée par un
attentat-suicide, alors qu’elle est mouillée dans le port d’Aden au Yémen. Une
embarcation piégée avec près de 300 kg d’explosif C4 percute le flanc de la
frégate. 17 marins américains sont tués et 34 dans l'attaque.
III – 2 – 3 - Les années 2000, le président Bush et la guerre globale contre le
terrorisme
Cette série d’attaques terroristes vise les Etats-Unis au cours de cette décennie
où le pays est devenu la seule grande puissance, manifestation d’un
changement majeur pour le pays qui n’a plus à affronter une autre puissance
étatique, l’URSS ayant disparu, mais qui va devoir faire face aux menaces de
plus en plus meurtrières d’un mouvement terroriste.
A Bill Clinton succède à la fin de cette décennie le président Bush junior, élu de
justesse en novembre 2000 après un fastidieux recomptage des voix en Floride.
Le président Bush est élu sur la base d’un programme néo-conservateur qui
souhaite redonner de la vigueur à la puissance des Etats-Unis, et à leur
puissance militaire, afin de faire triompher les valeurs américaines dans le
monde, mouvement de balancier politique que nous avons déjà évoqué dans
notre description de la politique étrangère du pays.
2001 : dernière date-étape de ce survol historique de la politique étrangère des
Etats-Unis.
(Comme je vous l’ai déjà dit, j’étais à New York le 11 septembre 2001 et, avec
l’ambassadeur représentant permanent de la France auprès des Nations Unies,
et avec mes collègues diplomates, nous étions tous dans le bureau de
l’ambassadeur, au 44ème étage d’une tour de Manhattan située à proximité de
l’immeuble des Nations Unies. Nous avons vu, sidérés, l’effondrement des deux
tours et nous nous sommes tous dit que, ce jour-là, nous vivions un moment
historique, un moment mémorable mondialement, similaire à l‘assassinat du
président Kennedy ou au pas du premier homme sur la lune, tous évènements
liés aux Etats-Unis, vous le noterez.).
Cette attaque terroriste du 11 septembre, réalisée avec peu de moyens, une
vingtaine de terroristes prêts au suicide, leur stage de pilotage pour faire
décoller un avion, et ne pas apprendre à le faire atterrir !! et leurs couteaux,
cause 3000 morts et des dégâts considérables, qui « compensent », si l’on peut
dire, l’échec de l’attaque de 1993 contre les deux tours.
Cette attaque est un choc, un traumatisme profond pour les Etats-Unis,
similaire à celui de l’attaque des Japonais à Pearl Harbor en 1941. Cette fois-ci,
ce n’est pas un territoire lointain situé en plein Pacifique qui est attaqué et où
ce sont des installations militaires qui sont visées, causant des victimes
militaires. Le 11 septembre 2001, c’est la ville de New York, capitale
économique et financière qui est frappée. C’est le symbole du capitalisme, de
la finance internationale, mais aussi de la ville-monde, cosmopolite,
internationale, porte sur un pays et un continent qui est touchée. Et les 3000
morts sont tous des civils, dont plusieurs centaines de pompiers qui montaient
dans les étages pour évacuer les tours.
Le lendemain 12 septembre, une résolution est votée par le CSNU, rédigée par
la France. Il se trouve en effet que la France assurait pour ce mois de
septembre 2001 la présidence tournante et mensuelle du CSNU, résolution
rédigée en collaboration étroite avec les 4 autres membres permanents du
CSNU ainsi qu’avec les 10 autres non-permanents. Nous avions mentionné la
résolution 660 du CSNU qui en 1990 avait autorisé l’emploi de la force par la
communauté des Nations Unies pour libérer le Koweït envahi par l’Irak. Cette
résolution avait vu l’unanimité des membres permanents du CSNU, nouveauté
par rapport aux décennies précédentes de la Guerre froide pendant laquelle le
droit de veto de ces 5 membres avait bloqué les actions du CSNU et des
Nations Unies. La résolution 1368 du 12 septembre 2001, votée à l’unanimité
des 15 membres du CSNU, condamne les attentats de New York et de
Pennsylvanie, exprime la détermination du CSNU à lutter contre les menaces à
la paix et à la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme et elle
reconnaît le droit collectif des pays à la légitime défense. La résolution appelle
tous les pays à coopérer pour traduire en justice les auteurs, les organisateurs
et les commanditaires et pour que ceux qui les hébergent soient tenus pour
responsables. Chaque mot de cette résolution est important car cette dernière
va légitimer aux yeux des Etats-Unis toutes les actions, toutes les opérations
qu’ils vont lancer en réponse et en représailles aux attaques du 11 septembre.
Alors que le candidat Bush puis l’administration Bush avaient été très critiques
vis-à-vis des interventions extérieures conduites par l’administration Clinton, le
président Bush, après le 11 septembre, réagit de manière énergique en lançant
ce qu’il appelle une « guerre globale contre le terrorisme », en lançant un
réengagement militaire américain visant à « faire payer » les auteurs de ces
attentats et leurs complices. La politique étrangère américaine de 2001 et pour
les années qui suivent est résumée par le président Bush « ceux qui ne sont pas
avec nous sont contre nous ».
Bin Laden et les dirigeants d’Al Qaida, qui ont conçu et organisé ces attentats
se trouvent alors accueillis et hébergés par le régime taliban d’Afghanistan.
Les Etats-Unis prennent la tête d’une coalition qui en trois mois conquiert
l’Afghanistan, sans toutefois réussit à capturer Ben Laden, dirigeant d’AL Qaida
et le mollah Omar, chef des talibans. Une force internationale sous l’égide de
l’ONU, la FIAS, force internationale d’assistance et de sécurité se déploie à
partir de 2002 et voit l’OTAN prendre son commandement en 2003, illustration
du rôle d’outil de gestion des crises internationales que les Etats-Unis ont
souhaité donner à l’OTAN après la disparition de l’URSS, comme nous l’avons
déjà mentionné et comme nous l’avons vu dans les Balkans au milieu des
années 1990.
Les Etats-Unis, en réaction aux attentats du 11 septembre, transfèrent sur la
base de Guantanamo, sur l’île de Cuba, les prisonniers qu’ils capturent au cours
des diverses opérations de leur « guerre contre le terrorisme », sans que ces
prisonniers bénéficient d’un statut de prisonnier de guerre, confirmation de de
la prévalence des exigences de sécurité sur la préservation des libertés
publiques et source d’indignation internationale vis-à-vis d’un pays qui met en
avant sa lutte permanente et presque messianique pour la liberté, pour les
libertés, comme nous l’avons souligné.
En janvier 2002, le président Bush dénonce ce qu’il appelle « l’axe du mal », qui
comprend l’Iran, la Corée du Nord et l’Irak. Es Etats correspondent aux « Etatsvoyous » contre lesquels les Etats-Unis souhaitent agir car qualifiés comme
responsables et à l’origine des menaces visant le pays, prolifération nucléaire,
détention d’armes de destruction massive, incluant le nucléaire mais aussi les
armes chimiques, et terrorisme. Les Etats-Unis ne s’interdisent pas, contre ces
« Etats-voyous », rogue states, des actions préventives et préemptives. Ils
décident seuls et ce que l’on nommera l’unilatéralisme des Etats-Unis.
C’est ce qui se passe en Irak en mars 2003 et nous avons vu comment la France
s’est opposée au CSNU à l’invasion de l’Irak par les forces conduites par le
Etats-Unis. Pourquoi les Américains ont-ils envahi l’Irak en mars 2003 ?
Officiellement pour empêcher l’Irak d’utiliser des armes de destruction massive
et faire cesser également son supposé soutien au terrorisme islamique mais
aussi pour renverser le dirigeant irakien, Saddam Hussein. Le président George
W. Bush déclare ainsi le premier jour de l’invasion : « Mes chers compatriotes,
en ce moment même, les forces américaines et celles de la coalition entament
des opérations militaires visant à désarmer l’Irak, à libérer son peuple et à
défendre le monde contre un grave danger ». Cette opération «Iraqi Freedom»
(« Liberté irakienne» ) est le fruit d’une longue opposition entre les deux pays
depuis la fin de la premier guerre du Golfe en 1990. Des voix des cercles les
plus conservateurs, aux Etats-Unis en 1990, avaient reproché au président Bush
père de ne pas être allé jusqu’au bout de la logique militaire et de s’être
contenté de libérer le Koweït, sans poursuivre les opérations jusqu’à Bagdad
pour y renverser Saddam Hussein. Le fils, en quelque sorte, achève l’œuvre de
son père… En quelques semaines, l’Irak est ainsi envahi, Bagdad tombe et le
dirigeant Saddam Hussein est capturé en décembre 2003. L’opération est alors
renommée New Dawn, Aube nouvelle, symbole d’une politique étrangère
américaine visant à étendre les régimes démocratiques au nom de la lutte pour
les libertés.
La légitimité de cette guerre conduite par les Etats-Unis, avec pour principaux
alliés le Royaume-Uni et l’Australie, va cependant perdre en valeur avec le
constat que l’Irak ne possédait pas d’armes de destruction massive, nucléaire
ou chimiques, résultat d’une décennie, de 1991 à 2002, d’inspections de
contrôle sur l’arsenal irakien. De même le soutien au terrorisme n’est pas
identifié. Au bout de quelques années, la présence militaire américaine est
perçue comme une occupation militaire, jonchée en outre par les révélations
d’actes de torture de prisonniers irakiens opérées par les forces américaines. Il
a aussi été prétendu dans certains cercles pacifistes occidentaux et américains
que l’invasion de l’Irak avait « trois motifs : le pétrole, le pétrole et le pétrole »,
pour reprendre l’un des slogans les plus fréquents du mouvement pacifiste.
Cette certitude est en tout cas très répandue dans le monde arabe, elle est
largement diffusée en Europe et compte même de nombreux adeptes aux
États-Unis.
Malgré la chute du régime irakien de Saddam Hussein, qui était supposé
appuyer le terrorisme islamiste, ce dernier multiplie les attaques dans les
années 2000, au Royaume-Uni, en Espagne, en Arabie saoudite, au Maroc, en
Turquie, en Inde etc. mais aussi en Syrie, où d’anciens officiers de la défunte
armée irakienne rejoindront les islamistes et donneront naissance dans la
décennie suivante à Daech et l’Etat Islamiste. La « guerre globale contre le
terrorisme » menée par les Etats-Unis leur a permis de trouver un nouvel
ennemi, le terrorisme, se substituant à l’Union soviétique et justifiant leurs
interventions au niveau mondial. Nous sommes donc dans les années 2000
dans une phase où la politique étrangère américaine se mêle des affaires du
monde et veut, dans un message messianique traditionnel, étendre la
démocratie, en Afghanistan, en Irak. Nous avons mentionné au début de ce
chapitre sur la politique étrangère américaine cette tendance sur le long terme,
qui revient en mouvement de balancier, comme en 1945 après les défaites de
l’Allemagne et du Japon.
L’administration Bush étend aussi à d’autres pays ce souhait de voir la
démocratie se répandre dans le monde, sans toutefois utiliser la force. La
secrétaire d’Etat, Condoleeza Rice, stigmatise ainsi les pays que les Etats-Unis
qualifient de non-démocratiques et de « postes avancés de la dictature »,
comme la Biélorussie, la Birmanie, la Corée du Nord, Cuba, l’Iran ou e
Zimbabwe. S’agissant de la Corée du Nord, les efforts de ce pays pour se doter
de l’arme nucléaire, avec l’aide du Pakistan, débouchent sur des sanctions qui
n'empêchent pas le premier essai nucléaire nord-coréen en 2006, il y en aura
d’autres. Les sanctions visent aussi l’Iran pour contrer également les efforts de
ce pays de se doter de l’arme nucléaire.
Dans cette période 2000-2008 pendant laquelle les néoconservateurs sont au
pouvoir aux Etats-Unis, la Russie qui fait l’objet d’un revirement de la
politique étrangère américaine. Nous avons vu que 1990 et 2001 avaient vu la
Russie ne pas utiliser son droit de veto au CSNU lors des résolutions relatives à
la première guerre du Golfe et au 11 septembre 2001, illustration de
l’hégémonie américaine au cours de la décennie. L’arrivée au pouvoir de
Vladimir Poutine et le durcissement du régime politique en Russie marquent
un tournant et font s’évanouir les espoirs qui avaient été placés dans une
démocratisation de la Russie après la chute de l’URSS. C’est au contraire une
crainte de voir réapparaître un ennemi qui a remplacé l’Union soviétique qui
conduit les Etats-Unis à orienter leur politique étrangère vers une sorte de
containment actualisé. L’élargissement de l’OTAN aux pays baltes, à la Bulgarie,
à la Roumanie, à la Slovaquie, la Slovénie en 2004 participent ainsi de cette
volonté d’endiguer la puissance peu à peu retrouvée de la Russie de Poutine. Et
le soutien aux mouvements démocratiques en Géorgie, Révolution des Roses
en 2003 et en Ukraine en 2004, « Révolution orange » s’accompagnent de la
promesse faite par les Etats-Unis de les inclure à terme au sein de l’OTAN, ligne
rouge pour la Russie. On connaît les retombées 15 ans plus tard… La crise de
Géorgie en 2008, où les Occidentaux dont surtout les Américains soutiennent le
président géorgien (la Géorgie perd l’Ossétie et l’Abhkhazie soutenues par
Moscou), répond à la crise du Kossovo où ce sont au contraire les Russes qui
n’ont pas pu s’opposer à l’indépendance de ce pays.
Cette période voit aussi la montée des tensions entre les Etats-Unis et la Russie
dans le domaine stratégique et des négociations sur le désarmement nucléaire.
Le président Obama, la tentation du retrait, la bascule vers l’Asie
Nous avons vu que les années 90 voient une Amérique surpuissante,
hyperpuissante, sans rivaux mais qui, à partir des années 2000, doit faire face à
la menace terroriste puis voir la montée du rival traditionnel géopolitique
russe.
La fin des années 2000 voit la fin de la période de la puissance sans
contestation des Etats-Unis, avec la crise financière de 2008, le retour de la
Russie et surtout l’émergence de la Chine comme puissance régionale de plus
en plus dominante et les velléités d’atteindre le statut de puissance mondiale.
La puissance des Etats-Unis devient alors de plus en plus relative, dans
plusieurs domaines.
La crise financière de 2008 apparaît comme une crise du modèle capitaliste
américain, de sa sphère financière hypertrophiée, artificielle et débridée et
qui menace l’économie du monde comme l’avait fait la crise de 1929. Les pays
dominants réalisent que, pour éviter à la crise de dériver comme en 1929 avec
une crise systémique et un repli des pays sur eux-mêmes, il importe de
coopérer et de faire coopérer les puissances économiques, les anciennes
comme les émergentes. Les Etats-Unis jouent un rôle moteur, sans doute parce
qu’ils réalisent que cette crise, partie comme celle de 1929 de leur territoire,
risque, comme 80 ans plus tôt, de conduire le monde à un désastre. Ils initient
alors le retour aux rencontres sous format G20. Trois sommets ont lieu en 2008
et 2009, dont les premiers à Washington. La déflagration est évitée et la
confiance revient. Et, en 2009 puis 2011 s’organisent les BRIC puis BRICS,
illustration de la puissance relative des Etats-Unis. Les BRICS contestent en
effet le monopole occidental et en particulier américain sur les relations
internationales, ils veulent renforcer leur poids dans les prises de décision,
qui se traduira par la réforme des droits de vote au FMI, et ils défendent
mordicus les principes de respect des souverainetés de pays et de noningérence dans les affaires internes des Etats et ils s’opposent donc à
l’interventionnisme occidental, essentiellement américain.
2008 c’est aussi l’élection historique de Barack Obama. (Je peux témoigner de
la portée historique de cette élection, en particulier au regard de l’histoire des
Etats-Unis. Souvenez-vous que je vous ai mentionné l’importance de l’idée de
liberté, de la croyance dans les potentiels qu’offre ce pays neuf, libéré des
défauts des vieux pays européens, pays où le rêve américain est possible.
Barack Obama, à la différence de son prédécesseur et de son successeur, est un
intellectuel brillant, posé, soucieux de réfléchir avant d’agir et il souhaite
tourner la page de l’interventionnisme américain qui marque la politique
étrangère depuis des décennies). La politique du président Obama est marquée
par le réalisme, le pragmatisme et la prudence. Il souhaite ainsi apaiser les
relations avec les autres pays. Avec le monde musulman, il tend la main lors
d’un discours célèbre au Caire en 2009, propose à la Russie et à la Chine de
« reprendre à zéro » leurs relations en surmontant les obstacles qui ont pu
apparaître pendant la décennie passée.
Le grand acquis des années Obama, c’est le désengagement américain en Irak
et en Afghanistan, même si ces retraits sont précédés d’un renforcement des
forces américaines sur place, le surge, dans le but d’améliorer la situation
militaire de manière significative avant le désengagement. L’élimination de Bin
Laden en mai 2011 au Pakistan, cerveau des attentats du 11 septembre 2001
marque pour lui la fin de la « guerre globale contre le terrorisme », qu’il
annonce en 2013. (A ce propos, ayant été en poste au Pakistan quand Ben
Laden a été éliminé, cette opération (cf. le fil « Zero Dark Thirty »), je peux
préciser que l’opération a conduit les pays occidentaux, au premier chef les
Etats-Unis, à s’interroger sur la loyauté du Pakistan dans la guette contre le
terrorisme. Ce pays se targue en effet de disposer des services secrets « parmi
les meilleurs au monde ». Or Ben Laden, pendant une décennie l’homme le plus
recherché au monde, se trouvait caché depuis 2006 à Abottabad, ville située au
nord d’Islamabad et où se trouve l’académie militaire pakistanaise, le Saint-Cyr
du Pakistan. Soit les services de renseignement pakistanais n’étaient pas si bons
que le prétendent les Pakistanais, soit ils étaient complices… Il est d’ailleurs à
noter que les Américains n’ont pas prévenu les Pakistanais de l’imminence
d’une opération militaire, craignant une fuite.).
La retenue d’Obama
Les réticences du président Obama à engager les troupes américaines se
retrouvent au Moyen-Orient. Il se laisse entraîner dans l’intervention en Libye,
dont nous avons parlé, mais en laissant Français et Britanniques en première
ligne « Leading from behind ». En Syrie, alors qu’il avait annoncé des
représailles si Bachar El Assad franchissait la ligne rouge de l’emploi d’armes
chimiques, il renonce à l’intervention, tout comme les Britanniques, laissant la
France toute seule et ouvrant la porte à une intervention russe en Syrie en
soutien du dirigeant syrien. Ce pas en arrière sera reproché à Obama.
Avec la Russie, ses tentatives de reset seront avortées avec l’invasion de la
Crimée en 2014, qui verra l’exclusion de la Russie du G8 et la fin du mandat
d’Obama est marquée par un réengagement dans l’OTAN avec le déploiement
de troupes américaines dans les pays baltes, la crise de Crimée faisant monter
les tensions en Europe du Nord.
Sur la plan multilatéral, le président Obama engage les Etats-Unis dans l’accord
de Paris lors de la COP21.
Sa politique étrangère marque un changement majeur par rapport aux
décennies précédentes avec la bascule vers l’Asie qu’il annonce en 2012. Pour
lui, le centre de gravité de la politique étrangère des Etats-Unis, de leur sécurité
nationale et de leurs intérêts économiques doit basculer vers l'Asie. Un
mouvement « pivot », selon la terminologie officielle, doit aux yeux du
président Obama, s'accompagner d'une modification de la stratégie de
l'Amérique, laquelle se considère depuis longtemps comme une puissance du
Pacifique tournée vers l'Asie.
Le virage vers l'Asie se justifie d'autant plus que l'Amérique perçoit une
montée de la puissance militaire et de l'agressivité de Pékin à l'égard de ses
alliés traditionnels en mer de Chine méridionale et orientale. Une Chine qui,
en augmentant régulièrement son budget militaire de plus de 10 % par an
depuis deux décennies (10,7 % prévu pour 2013), peut un jour devenir un
inquiétant rival. Sans oublier la menace que fait peser la Corée du Nord sur la
Corée du Sud.
Aux yeux d’Obama, le « pivot » en Asie est facilité par deux éléments de
nature différente, qui doivent permettre aux Etats-Unis d'alléger leur présence
dans ce que George W. Bush avait appelé le « Grand Moyen-Orient », zone
allant du Maghreb jusqu'à l'Afghanistan-Pakistan. Tout d'abord, l'armée
américaine a pu effectuer son retrait d'Irak en décembre 2011 et se prépare à
faire de même, d'ici à la fin de 2014, en Afghanistan. De plus, l'Amérique
entrevoit la perspective d'une réduction de sa dépendance énergétique à
l'égard des importations pétrolières du Moyen-Orient grâce au gaz de schiste.
Enfin, la fin de la guerre froide a permis en outre un désengagement progressif
en Europe, même si la crise en Crimée amorce un réengagement.
Le « pivot » s'appuie ainsi sur deux grands axes. D'une part, l'Amérique
d'Obama souhaite parvenir à une meilleure intégration économique et
commerciale avec l'Asie en participant notamment pour la première fois aux «
sommets de l'Asie orientale » et en proclamant sa volonté de négocier un
accord de libre-échange au sein du Partenariat économique transpacifique
(TPP), traité multilatéral de libre-échange signé le 4 février 2016, qui vise à
intégrer les économies des régions Asie-Pacifique et Amérique.
L’imprévisibilité de Donald Trump
Au président Obama, intellectuel brillant dont nous avons souligné les qualités,
mais qui ne vont pas sans défauts, succède un homme d’affaires
intellectuellement limité, au vocabulaire en anglais pauvre, inculte et aux idées
simples, voire simpliste, pensant que les Etats-Unis se dirigent comme une
entreprise. Le président élu répond ainsi à son électorat, populaire, classe
blanche moyenne, déclassé, se sentant victime de la mondialisation, antiimmigration.
Rompant avec la politique étrangère pondéré de Barack Obama, Donald Trump
mène une politique inspirée par l’isolationnisme et le protectionnisme,
s’inscrivant au passage dans une certaine tradition américaine, tout en mettant
en avant le culte de la puissance, Make America Great Again, culte populiste et
nationaliste. Cela, c’est pour le fond.
Pour la forme, Donald Trump en matière de politique étrangère, c’est « du
n’importe quoi ». Le président est imprévisible, ne connaît pas les dossiers car
il ne les lit pas, croit connaître tout sur tout du fait de son passé, et présent
d’hommes d’affaires et il conduit la politique étrangère en se fiant à son
instinct. Son style provocateur, imprévisible, décontenance les dirigeants du
monde entier, à commencer par les diplomates, qui sont plus habitués à des
comportements posés et feutrés et non aux déclarations tonitruantes pouvant
changer au cours de heures ou des jours. Le président Trump estimait que sa
politique étrangère était entravée par ce qu’il nomme « l’Etat profond », the
deep state, composé de fonctionnaires et de diplomates qui persistent à mener
leur propre politique. (Mon collègue ambassadeur américain au Brunei me
disait qu’il se réveillait le matin en se demandant ce que le président avait bien
pu tweeté dans la nuit et comment il allait pouvoir en endosser la responsabilité
au nom des Etats-Unis. Il a d’ailleurs démissionné du Département d’Etat quand
le président Trump a retiré les Etats-Unis de l’accord TTP).
Le président Trump retire aussi les Etats-Unis de l’accord nucléaire sur l’Iran
(accès du pays aux armes nucléaires), de l’accord de Paris (COP21), de
l’UNESCO, Il remet en question l’accord ALENA signé en 1992 avec le Mexique
et le Canada, remet en question également les procédures de règlement de
l’OMC et engage les Etats-Unis dans une guerre commerciale, douanière,
technologique et tarifaire avec la Chine.
Sur le plan stratégique, le président Trump ne réengage pas les Etats-Unis
dans l’interventionnisme, un peu dans la continuité de son prédécesseur et il
fustige les pays européens membres de l’OTAN qui ne consacrent pas assez de
leurs moyens à leurs budgets de défense, laissant les Etats-Unis porter seuls, ou
presque, le fardeau de la défense de l’Europe au détriment des Américains.
Après des menaces sur la Corée du Nord, il engage cependant des négociations.
Le président Biden et le retour à la normale, le retour à l’alliance occidentale.
Le président élu en 2020 réactive l’alliance occidentale et achève le retrait
d’Afghanistan à l’été 2021, sans avertir ses alliés occidentaux. Je peux
témoigner de la surprise qu’a créé ce retrait sans concertation, et des
difficultés qu’il a entraînées.
Joe Biden réactive aussi l’alliance visant à contrer la Chine, le Quad, avec le
Japon, l’Australie et l’Inde, et il engage les Etats-Unis dans un soutien fort à
l’Ukraine. Enfin, toujours en Asie, il signe l’alliance Aukus le 15 septembre
2021, au détriment de la France et de la vente de sous-marins français à la
marine australienne. Il réintègre aussi les Etats-Unis à l’OMS et à l’UNESCO
ainsi qu’à l’accord sur le climat, sans oublier les négociations avec l’Iran. Retour
donc à la normale, celle des prédécesseurs de Trump.
Nous terminons là ce survol, à compléter par des lectures, de la politique
étrangère américaine, qui alterne depuis 200 ans, comme nous l’avons
souligné, entre isolationnisme, repli sur soi et protectionnisme, d’une part, et
interventionnisme, défense des libertés et messianisme même
Après ce survol, nous abordons, toujours dans notre approche sociologique des
relations internationales, les Acteurs de la politique étrangère américaine
III - 2 - Les Acteurs de la politique étrangère des Etats-Unis
III – 2 - 1 - L’exécutif
Le président des Etats-Unis
En tant que chef de l’Etat, chef de l’exécutif, chef des armées, élu pour 4 ans, le
président des Etats-Unis joue un rôle central en matière de définition et de
conduite de politique étrangère. Il fixe les grandes orientations, prend les
décisions les plus importantes, rencontre les chefs d’Etat lors des sommets et
des rencontres bilatérales et il détient l’autorité et la légitimité pour signer les
traités. C’est à lui que rendent compte les ministres, les dirigeants des agences
fédérales, les chefs militaires et les directeurs des agences de renseignement.
Le vice-président des Etats-Unis jour également un rôle important en matière
de politique étrangère, suit tous les dossiers, rencontre également des chefs
d’Etat et se rend à des conférences internationales. Etant élu sur le même
« ticket », il a la confiance du président.
Le Département d’Etat et le secrétaire d’Etat
Il s’agit également d’une personne en laquelle le président a entière confiance.
Généralement il s’agit de collaborateurs qui ont été des proches du président
avant qu’il ne soit élu. Les secrétaires d’Etat sont toujours des experts des
relations internationales à l’expérience solide et qui ont l’habitude des
échanges internationaux, qu’il s’agisse de Madeleine Albright, Hillary Clinton,
ou même Antony Blinken. C’est une grande différence avec la France où le
ministre des Affaires étrangères est parfois, souvent, choisi pour ménager des
partis politiques, ou suite à des négociations faisant suite à une alliance
électorale, ou pour récompenser une personnalité ou pour en faire le symbole
d’une ouverture politique. Les personnes choisies ne sont pas toujours au fait
des dossiers internationaux, d’où des moments de flottement ou d’adaptation,
voire d’erreurs diplomatiques…
Le Département d’Etat, c’est 15 000 fonctionnaires et un budget de 30 milliards
de dollars, contre 6 pour la France, 4 jusqu’en 2021. Il s’agit du 1er réseau
diplomatique et consulaire au monde avec 166 ambassades, 13
représentations permanentes et 73 consulats généraux. Celui de Lyon a
ouvert en 1999.
Le Conseil de sécurité nationale (National Security Council ou NSC). Il s’agit
d’un acteur majeur mais méconnu de la politique étrangère des Etats-Unis. Il
réunit depuis 1947 les principaux acteurs de cette politique étrangère. Il
dépend directement du président des États-Unis. Il joue un rôle de conseil, de
coordination et parfois d’impulsion sur les sujets de politique étrangère, de
sécurité nationale, et plus généralement sur l’ensemble des questions
stratégiques. Il réunit statutairement le vice-président des États-Unis, le
secrétaire d’État, le secrétaire à la Défense et le Conseiller à la sécurité
nationale, qui préside ce conseil. Il s’agit généralement d personnalités fortes
qui ont une très bonne connaissance des dossiers internationaux. Le plus
célèbre a été Henry Kissinger, décédé ce 29 novembre à l’âge de 100 ans. Il a
été conseiller à la sécurité nationale de 1968 à 1975 et il a cumulé cette
fonction avec celle de secrétaire d’Etat à partir de 1973. Illustration de ce
pouvoir du conseiller NSC, Henry Kissinger a imposé sa vision d’un ordre du
monde fondé sur la régulation des puissances, à commencer par celle de
l’URSS. Il fut l’artisan du traité américano-soviétique de limitation des
armements SALT I. Il fomenta puis amena au succès le rapprochement
historique entre Washington et Pékin matérialisé par la visite de Richard
Nixon en Chine en 1972. Au Moyen-Orient, il a pris en main la réponse
américaine à la guerre du Kippour et œuvra pour la paix entre Israël et ses
voisins, ménageant la voie aux accords de Camp David de 1978. En Europe, il
porta l’idée de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe
ouverte en 1973, enceinte unique de dialogue entre l’Ouest et l’Est, et dont la
déclaration finale, mentionnant les droits de l’homme, eut un effet majeur de
soutien aux dissidents du bloc soviétique. Récompensé par le Prix Nobel de la
Paix pour son rôle dans le retrait américain du Vietnam engagé par les
accords de Paris en 1973, Henry Kissinger fut sans aucun doute, en une seule
décennie, le diplomate le plus déterminant de sa génération. Pour autant, il est
celui qui a lancé les bombardements du Cambodge en 1970, dans le plus grand
secret et a poussé au renversement du roi du Cambodge par un général
marionnette des Etats-Unis.
Le NSC est devenu un outil majeur d’initiation, d’impulsion des décisions, de
coordination et de vérification de leur mise en œuvre dans les mains du
président, renforçant son pouvoir exécutif face au Congrès.
Les relations entre le conseiller NSC et le secrétaire d’Etat ont été
régulièrement marquées par des luttes de pouvoir et d’influence, chacun
accusant l’autre de marcher sur ses plates-bandes.
Le ministère de la Défense, le secrétaire à la Défense.
C’est le ministre de la Défense des Etats-Unis, dirigeant les premières forces
armées au monde. Il joue, du fait de l’interventionnisme des Etats-Unis, du fait
de leur présence dans des bases militaires sur tous les continents, un rôle
majeur en matière de politique étrangère.
Les agences de renseignement.
Les Etats-Unis disposent de 17 agences sont regroupées dans la "Communauté
du renseignement des Etats-Unis", créée en 1981 par le président Ronald
Reagan. Elle emploie actuellement 100.000 personnes. En 2014, il est estimé
que les Etats-Unis ont dépensé 68 milliards de dollars dans le renseignement.
En France, c'est à peu près l'équivalent des budgets des ministères de
l'Intérieur et de la Défense réunis. Les plus connues : la CIA, dont les agents
opèrent à l'étranger et la NSA, chargée des écoutes. Elle est longtemps restée
une légende, son existence a été reconnue 5 ans après sa création en 1952.
Le service de renseignement du FBI est spécialisé dans le contre-terrorisme.
Chaque armée a son propre bureau de renseignement. Le département de
l'énergie aussi surtout pour regrouper des informations sur le nucléaire.
Dernier exemple de cette communauté du renseignement, le service de gestion
des satellites de reconnaissance. Crée en 1961 pour dessiner, construire, lancer
et réparer les satellites. Son existence a été reconnue en 1992.
Toutes ces agences jouent un rôle majeur, et parfois controversé en matière de
politique étrangère, qu’il s’agisse du rôle qu’a joué la CIA à plusieurs reprises
dans le renversement de gouvernements, ou le rôle de la NSA dans
l’espionnage de dirigeants, même alliés. Songez aussi aux Fives Eyes, alliance
dans le renseignement et l’écoute des Etats-Unis, Australie, Canada, NouvelleZélande et Royaume-Uni.
III – 2 – 2 - Le congrès des Etats-Unis
Le Congrès des Etats-Unis joue un rôle très important en matière de politique
étrangère, beaucoup plus qu’en France. Le Sénat, en particulier, et ses 100
membres, 2 par Etat, confirme les ambassadeurs et les principaux dirigeants,
agences de renseignement, directeurs de ministère. Il ratifie aussi les traités.
Le Congrès vote aussi les crédits militaires et son autorisation est
indispensable pour toute intervention militaire de plus de 90 jours. Enfin le
Congrès exerce un contrôle étroit sur la politique étrangère, via des
commissions d’enquête, des commissions, des auditions, etc. Si l’on compare
avec la France, on peut dire que le pouvoir législatif dispose aux Etats-Unis de
plus de pouvoirs en matière de politique étrangère.
III – 2 – 3 - Les Acteurs privés
Les entreprises américaines, dont beaucoup, depuis des décennies, voire
depuis plus de 100 ans, sont des firmes multinationales, ont toujours joué un
rôle dans la définition de la politique étrangère des Etats-Unis. Charles Wilson,
président de General Motors mais aussi secrétaire de la Défense sous le
président Einsenhower, disait que « Ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon
pour General Motors et vice-versa ».
Ce phénomène est renforcé par le système américain des dépouilles, le spoil
system, qui voit des aller-retours entre le secteur privé et le secteur public,
permettant une diffusion des idées, des perceptions et des expériences sur la
scène internationale.
Nous sommes aux Etats-Unis, terre d’immigration comme nous l’avons
souligné. Il ne faut pas négliger non plus l’influence des groupes ethniques, des
lobbies ethniques, qu’il s’agisse des Arméniens, Cubains, sud-Américains etc.
ou de du American-Israel Public Affairs committee.
Les centres de réflexion, think tanks, jouent également un rôle majeur par leur
puissance financière, leur puissance en termes de chercheurs et leur influence
sur les courants de pensée. Council on Foreign Relations, Carnegie Endowment
for International Peace, Heritage Foundation ou Rand Corporation. Là aussi, il
existe de nombreux aller-retours entre secteurs public et privé.
Cette puissance de réflexion en matière de relations internationales, que l’on
doit, entre autres aux centres de réflexion mais aussi aux universités
américaines, dont Harvard ou Berkeley ou Columbia. Les Etats-Unis sont le
pays qui domine la théorie, les débats intellectuels et la réflexion en matière
de politique internationale depuis 1945. En vrac, quelques exemples, citons
Kissinger, déjà cité, qui se situe dans l’école réaliste influencé par l’Europe ;
1988, Paul Kennedy, Rise and Fall of Great Powers ; 1989, Francis Fukuyama
avec la « Fin de l’Histoire » ; 1990, Joseph Nye et la distinction entre soft et
hard power ; Paul Huntington en 1993 avec le Choc des civilisations ; en 1997,
Zbigniew Brzezinski décrit la puissance américaine, « dernière superpuissance
de l’histoire » ; en 2002, Robert Kagan, néo-conservateur, propage une vision
qui justifie la politique de puissance des Etats-Unis. Etc. etc. Terminons cette
liste non exhaustive avec Graham Allison qui en 2015 rend populaire la thèse
du « piège du piège de Thucydide »
III - 3 – Puissance et objectifs de puissance
Comme nous l’avons dit en introduction de ce chapitre sur la politique
étrangère des Etats-Unis, l’histoire du pays, l’histoire de sa politique étrangère
se confondent avec celle de la montée de la puissance américaine, liée d’abord
à l’expansion vers l’ouest mais ensuite à sa participation de plus en plus active
et décisive dans les affaires du monde.
Quels sont les attributs de la puissance américaine ?
III – 2 – 1 – La puissance militaire des Etats-Unis
Le budget militaire des États-Unis, qui avait atteint jusqu’à 6 % de leur PIB au
milieu des années 1980, lors des derniers soubresauts de la guerre froide, était
descendu à 3 % du PIB à la fin des années 1990. Durant l’administration Bush, il
est passé de 300 milliards (en 2000) à 600 milliards de dollars (en 2009, en
incluant le coût des opérations en Afghanistan et en Irak). Il a stagné sous
Obama mais Trump l’a fait passer à 800 milliards $, ce qui représente presque 5
% du PIB américain, environ 40 % des dépenses militaires mondiales et plus
des deux tiers des dépenses militaires de l’Alliance atlantique. Alors qu’au
milieu des années 1980 les États-Unis et l’URSS faisaient à peu près jeu égal
pour les dépenses militaires, le budget militaire américain est désormais égal
aux dix puissances militaires suivantes. Par suite, les États-Unis dominent aussi
les exportations mondiales d’armes (un tiers environ) et l’industrie
d’armement.
Les forces armées américaines déploient 11 porte-avions nucléaires et près de
500 navires de combat. La marine américaine ou US Navy a longtemps été la
flotte la plus puissante du monde. Mais si elle est aujourd’hui dépassée en
nombre de bâtiments par la flotte chinoise, elle reste néanmoins celle qui
dispose très certainement des équipements les plus modernes et du plus grand
nombre de porte-avions (11 contre 3). Sa puissance et surtout sa capacité à
déployer plusieurs groupes aéronavals (GAN) simultanément en font un atout
essentiel à la présence américaine dans le monde. Aujourd’hui l’US Navy
aligne près de 484 bâtiments de guerre dont ces 11 porte-avions avec
catapultes (CATOBAR) et 9 pour des avions à décollage et atterrissage vertical
STOVL). Côtés sous-marins, les USA alignent 14 SNLE (lance-missiles nucléaires)
et 50 Sous-marins nucléaires d’attaque/SNA. Le 11ème porte-avions a été lancé
en 2021 et il s’agit du plus grand PA au monde, d’une longueur de 332 mètres,
son équipage avoisine les 4 600 marins. Il est capable d’accueillir jusqu’à 75
aéronefs qui seront désormais lancés par une catapulte magnétique.
L’US Army est composée de 1,39 millions militaires actifs et peut appeler en
renfort 440 000 réservistes. Elle détient un peu plus de 6 600 chars et véhicules
blindés, Avec ses 5550 ogives nucléaires, les Etats-Unis sont le deuxième plus
grand détenteur de l’arme nucléaire.
Les Etats-Unis détiennent le plus grand nombre d’aéronefs militaires, avec un
total de plus de 13 500 appareils, contre 5 375 pour le deuxième pays le mieux
fourni (Chine) et 1 120 pour la France. Dans cette flotte d’avions et
d’hélicoptères, l’armée américaine s’appuie sur 3 625 avions de combat dont
des avions de chasse développés pour le combat air-air, l’interception, et
peuvent parfois assurer une capacité air-sol. Si l’United States Air Force,
l’équivalent de l’armée de l’Air et de l’Espace française, possède la majorité de
ces avions, d’autres corps d’armées, comme l’US Navy et l’US Marine Corps, en
disposent aussi.
Mais, surtout, les Etats-Unis disposent d’une armée richement équipée, bien
entraînée et disposant d’une véritable expérience des combats dans les trois
dimensions, à la différence de bien des armées.
La faiblesse des forces armées américaines réside dans leurs difficultés de plus
en plus grandes à recruter et fidéliser leurs recrues, phénomène connu aussi
dans d’autres pays occidentaux.
III – 3 – 2 - La puissance économique américaine
Nous n’allons pas nous étendre sur le sujet, bien connu. Quelques faits et
chiffres seulement. La crise de 2008 a montré que le pays a pu garder sa force,
sa puissance stabilisatrice en matière d’économie et de finance internationale.
Si la Chine, un jour, jouer ce rôle, le système international pourrait en être
déstabilisé, compte-tenu des objectifs stratégiques du pays et de sa vision des
relations internationales. Le pays demeure le centre du capitalisme mondial et
de la finance internationale.
Le pays représente 15% du commerce mondial, à égalité avec la Chine et l’UE.
Parmi les 100 première entreprises mondiales, la moitié sont américaines
Le pays dispose du privilège du dollar, première monnaie internationale.
L’objectif de la banque centrale des Etats-Unis, la Réserve fédérale, est moins la
limitation de l‘inflation que la recherche du plein emploi. Leur domination sur
les devises internationales leur permet d’avoir plus de poids dans le régime de
sanctions visant certains pays dont les transactions et le commerce
internationale s’effectuent en dollars.
III – 3 – 3 _- La puissance technologique
Les Etats-Unis dominent toujours la technologie et la science. Songeons aux
GAFAM, aux 3% du PIB consacrés à la recherche, comme au Japon, contre 2 %
en Chine, aux ¼ des brevets déposés dans le monde le sont par les Etats-Unis,
niveau rattrapé par la Chine depuis 2014. Songeons aussi aux prix Nobel en
sciences où les Etats-Unis représentent les deux tiers de ces prix. Mais cette
domination est contestée, surtout par la Chine. Ce sera le défi principal des
prochaines années et décennies.
III - 3 – 4 - La géographie
Pays continent, bordé par deux océans, et disposant de la première ZEE au
monde, les Etats-Unis sont dotés d’atouts géographiques indéniables.
III – 3 – 5 - La démographie
Nous l’avons dit, les Etats-Unis sont un pays jeune et d’immigration, sources
de dynamisme. Avec 330 millions d’habitants, les Etats-Unis ne représentent
que 5% de la population mondiale mais ils sont le plus peuplé des pays
développés. Le pays bénéficie d’une meilleure fécondité que la plupart des
pays développés et conserve l’apport de l’immigration. Les points saillants de
la démographie américaine sont les modifications de la répartition ethnique et
géographique, avec la montée des hispano-américains et un déplacement du
centre de gravité de peuplement vers le sud, au détriment de la côte est, où
sont nés les Etats-Unis dominés par les WASP.
III – 3 – 6 - La puissance culturelle, le soft power
Là aussi, nous ne nous attarderons pas, tellement la domination américaine est
évidente, qu’il s’agisse de la langue d’abord, du cinéma, de l’American Way of
life, de la musique, de l’impact des réseaux sociaux. A la différence de la
puissance militaire ou technologique, ce soft power américain a pour l’instant
peu de rivaux en mesure de le détrôner.
En conclusion, sur la politique étrangère des Etats-Unis :
Géographiquement :
- Réinvestissement en Europe à cause de l’Ukraine, après trois décennies
de retrait après la Guerre froide
- Un Moyen-Orient où l’appui à Israël doit se concilier avec de bonnes
relations avec le monde arabe
- Un espace privilégié en Amérique latine
- Un quasi-vide en Afrique
- Une recherche d’équilibres en Asie, qui devient multipolaire
Les tendances de long terme
Les Etats-Unis sont encore, pour quelques années, la seule superpuissance en
mesure d’investir tous les domaines, militaire, sciences, technologie, finance,
équilibre géopolitique.
Ils continuent de porter une vision et d’être investis d’une mission, la
promotion de la démocratie et du libéralisme économique, comme
constituant les meilleurs éléments, régime politique et environnement
économique, pouvant préserver et étendre la paix.
Malgré les tentatives isolationnistes, comme le président Trump l’a tenté et
comme il pourrait essayer de nouveau, les Etats-Unis vont devoir continuer
leur dialectique entre puissance et idéalisme, entre stratégie politique et
intérêts économiques. Leurs alliés, moins puissants mais souvent plus
raisonnables et dont ils ont besoin, devront pour leur part continuer d’appuyer
la grande puissance, tout en la maintenant sur le terrain de la légitimité, qui ne
peut être que multilatérale. En d’autres termes l’unilatéralisme des Etats-Unis
ne peut que leur être dommageable.
*
IV - La politique étrangère de la République populaire de Chine
IV – 1 – Aspects culturels de la politique étrangère de la Chine
En préambule de ce chapitre, il convient de présenter une particularité forte et
unique de la culture chinoise, son écriture.
L’écriture chinoise se forme avec des caractères, les idéogrammes, fixée depuis
plus de 2000 ans, parfois idéophonogrammes, c’est-à-dire avec une
composante de son. L’écriture alphabétique, au contraire, retranscrit des sons,
à partir desquelles l’idée est perçue et comprise.
Le fait d’écrire avec des caractères exprimant un sens a une influence
profonde sur les concepts, sur les perceptions, sur les idées, voire sur la
psychologie des Chinois, la lecture du caractère conduisant directement à son
sens, sans passer par le son.
Nous abordons la politique étrangère de la Chine en essayant de préciser
d’abord les conceptions chinoises du temps et de l’espace.
« Dans la culture chinoise, le temps et l’espace ne sont pas dissociables l’un de
l’autre » François Jullien, philosophe et sinologue, 2001
IV – 1 – 1 - La perception chinoise du temps
La Chine est depuis des siècles, des millénaires, peuplée par des agriculteurs.
Nous sommes donc en présence d’une civilisation agraire où le rythme
immuable des saisons s’impose à tous. Pour les Chinois, le temps est un cercle,
succession de saisons, de moments propices et favorables (printemps,
moissons, etc.) et de moments défavorables, sécheresse, tempête,
tremblements de terre), alors que, en Occident, le temps est une ligne droite,
bornée, avec des étapes, si possible à définir à l’avance.
En chinois, le mot temps s’écrit 时间 : shíjiān, traduction de Temps
时 : caractère signifiant en chinois classique « moment opportun », « occasion,
« moment favorable »
间 : caractère signifiant « intervalle de temps
Le caractère 时 a une influence primordiale sur la perception chinoise du
temps, cercle et succession de moments favorables et défavorables, comme le
cycle des saisons
La succession de moments opportuns, à saisir, et de moments néfastes,
suggérant l’attente ou l’inaction
Pour les Chinois, cette succession de moments favorables se retrouve dans
l’histoire impériale de la Chine, avec les dynasties chinoises et le mandat du
ciel. Le début du mandat de l’empereur est un moment favorable et la fin de
son mandat est un moment défavorable … auquel succèdera un moment
favorable, avec un nouveau mandat du ciel
Dans un cycle de moment favorable peut apparaître un sous-cycle de moments
défavorables : il faut alors d’adapter
Quelques exemples
1842 : Première guerre de l’Opium : moment défavorable
1860 : Seconde guerre de l’Opium : moment défavorable
Siècle des « Traités inégaux » : moment défavorable
1949 : Avènement de la République populaire de Chine : moment favorable
1949 : Macao : la Chine estime la restitution comme non opportune
1949 : Hong Kong : la Chine estime la restitution comme non opportune
1966 : Macao : la Chine estime la restitution comme non opportune
1975 : Chute de Saigon : les Nord-Vietnamiens saisissent le moment favorable,
invasion du Sud (plan initial : 1980)
1979 : Macao : la Chine estime la restitution comme non opportune (Souhait
du Portugal après la Révolution des œillets de 1974, Chine de l’après mort de
Mao)
1982-1984-1997 : Hong Kong : Deng Xiao Ping estime le moment favorable
pour une restitution de Hong Kong au 1er juillet 1997
1987-1999 : Macao : la Chine estime le moment favorable pour une restitution
au 1er décembre 1999
Années 2010 : Mer de Chine méridionale : moment favorable pour investir et
« poldériser » les îles revendiquées : montée du nationalisme chinois après JO
de Pékin, Expo de Shanghai et arrivée au pouvoir de Xi Jinping
Taiwan, à quand le moment opportun ?
IV – 1 - 2 – La perception chinoise de l’espace
Le mot « Chine », « China » : il s’agit d’une confusion, d’une traduction erronée,
en référence à l’empereur Qin Shi Huang Di, premier empereur ayant unifié la
Chine en – 221 av JC ou bien en référence à la dynastie des Qing, au pouvoir
quand arrivent les premiers missionnaires en Chine.
Zhong : 中 le milieu, le centre, un des points cardinaux puisque, pour les
Chinois, il existe 5 points cardinaux
La Chine se dit en chinois « Le pays du milieu », Zhongguo 中 国, donc le
centre du Monde. Il convient donc de dire le Pays du Milieu et non l’empire du
milieu car le mot Empire correspond à une référence politique ou
administrative, celle d’un régime politique.
Le « Pays du Milieu » : pour les Chinois, le nom de leur pays est donc le centre,
c’est-à-dire une référence spatiale du nom du pays, et non pas une référence à
un souverain ou à une dynastie. Cette perception est profondément ancrée
chez les Chinois, dans leur mentalité depuis 2000 ans
Le caractère 中 (zhōng) représente une flèche qui atteint le milieu de sa cible,
d'où le sens principal de « milieu, centre » que l'on retrouve dans 中國
(zhōngguó), « le pays du milieu », qui désigne habituellement la Chine. De ce
fait, le lettré chinois qui lit 中國 comprend « le pays du milieu » comme
signifiant en même temps le pays de la parfaite vertu, d'une perfection
achevée, conception confucéenne du « juste milieu »
Ces revendications assumées de la Chine sont rendues possible par la montée
en puissance du pays, en mesure dorénavant d’exprimer publiquement et de
manière affirmée les grands objectifs de sa politique étrangère, en dépit des
crises, ou même en les accentuant après, du fait des crises. Il importe à cet
égard de comprendre la signification du mot « crise » en chinois, puisque nous
en sommes à la description de caractères chinois et à leur influence sur la
pensée, sur la mentalité et sur la psychologie des Chinois.
Crise se traduit par wēijī 危机
Le premier caractère 危 wēi comprend la notion de « danger ». La partie
supérieure, 厃zhān, indique l’action de regarder en l’air. Au-dessus, plane
comme l’épée de Damoclès le radical du couteau ⺈. Ce caractère dans sa
forme générale représente donc littéralement : « se sentir menacé ».
Le second caractère 机 jī signifie « le moment à saisir » : une occasion ou une
opportunité. Le caractère possède le radical de « l’arbre », suivi du caractère 几
(qui donne le ton), mais signifie aussi à la fois « combien ? ».
La notion de crise s’exprime donc l‘adjonction des deux caractères wēi et jī
危机 , allégorie duale : d’abord une crainte – une peur – qui fige l’humain
dans une angoisse de la menace ; puis ensuite un sentiment, que – n’ayant
rien à perdre -, il faut jouer le tout pour le tout afin d’exploiter la situation.
Barbares et tribut : une perception centralisée du monde
La Chine s’affirme pendant des milliers d’années comme une puissance
continentale, possédant certes, des milliers de kilomètres de côtes mais où la
mer sert surtout à procurer des produits alimentaires, puis à commercer, sans
que ce commerce débouche sur des explorations scientifiques ou sur des
conquêtes coloniales. C’est un point important du discours politique chinois : la
Chine est un pays pacifiste qui n’a jamais conquis d’autres territoires.
S’agissant des relations avec les autres pays, le Pays du Milieu se considère
entouré de barbares, de manière similaire à la perception des romains vis-à-vis
des autres peuples au bordure de l’empire. La différence est que les peuples
barbares pouvaient se romaniser et devenir membres de l’empire. Pour les
Chinois, malgré le discours officiel du régime, il n’est de Chinois que les
personnes d’ethnie Han. Les autres sont des minorités et sont considérés
comme n’appartenant à la sphère culturelle chinoise.
Les relations avec les autres pays, voisins ou éloignés, sont considérés par les
Chinois comme des relations de dominant à dominé, de supérieur à inférieur,
de suzerain à vassal. Ce dernier doit, régulièrement offrir au souverain,
l’empereur de Chine, un tribut. Les relations diplomatiques ne sont donc jamais
considérées comme égalitaires, d’Etat à Etat, de souverain à souverain, mais
comme inégalitaires, de vassal à souverain auquel le vassal doit faire et monter
signe d’allégeance. Cette politique conduira à un incident diplomatique en
1793 quand l’ambassadeur britannique envoyé par le roi d’Angleterre sera
sommé de se prosterner 9 fois, front contre terre, devant l’empereur de Chine.
Cet incident conduira, indirectement, en 1842 à la première Guerre de l’Opium
et au début du siècle des humiliations.
La Chine se targue d’avoir inventé 4 inventions majeures, le papier,
l’imprimerie, la poudre à canon et la boussole. On estime aussi qu’elle
maîtrisait la construction navale, comme le montrent les expéditions de
l’amiral Zheng He au XVème siècle, sous l’empereur Yongle. Ses expéditions
étaient composées de plus de 70 bateaux, 3 à 4 fois plus grands que les
caravelles de Christophe Colomb, et de milliers de marins et soldats, pour des
voyages de plusieurs années jusqu’aux côtes de l’Afrique de l’Est. L’empereur
Yongle, qui lance ces expéditions, veut étendre son empire non par la conquête
mais par l’extension des pays prêtant allégeance à l’empereur de Chine.
Centre du monde et immobilisme
Le fait de se considérer comme le centre du monde conduit la Chine à s’isoler à
partir du XVème siècle, à une période où, au contraire, les royaumes
européens se lancent dans l’exploration du monde. En effet, un des
successeurs de l’empereur Yongle trouve trop coûteuses ces expéditions
maritimes qui, en outre, détournent les Chinois des valeurs chinoises. Il met fin
aux expéditions maritimes et signe un édit impérial en 1436, Edit impérial qui
interdit à tout Chinois de quitter la Chine et de voyager à l’étranger, interdit la
construction de navires, à part les barques de pêche côtière, ordonne la
destruction des chantiers navals et affecté les crédits de la marine impériale à
la construction d’un long canal entre Pékin et la Chine et à la construction de
…navires de pierre dans le palais d’été, navires que l’on peut toujours voir. En
1500, la construction de navires à deux mâts est interdite aussi afin de garantir
l’impossibilité de naviguer au large.
Il s’ensuit une fermeture du pays, qui va se replier sur lui-même, ce qui va
conduire à la sclérose de la science et de la technologie chinoises. Les
mathématiques sont délaissées, l’astronomie également, alors que se
développe l’astronomie. Les Quatre Inventions, non exploitées par la Chine,
mais par les Européens vont permettre à ces derniers d’explorer le monde et
de le conquérir, grâce à leur supériorité militaire permise par leur supériorité
technique, dont la poudre à canon et la maîtrise de la métallurgie. C’est cette
supériorité qui permet l’irruption brutale des Européens en Chine au XIXème
siècle et le début du siècle des humiliations.
Pour la Chine, la période contemporaine ne relève pas d’une stratégie de
conquêtes mais d’un retour vers le centre, un rattachement de territoires
estimés comme historiquement chinois
Nous passons rapidement sur 2000 ou 3000 ans d’histoire en rappelant que la
Chine est une puissance continentale pendant des siècles et qu’elle n’opère
une « bascule », vers la puissance maritime que depuis une…vingtaine
d’années, pour des raisons stratégiques, politiques, diplomatiques,
économiques, commerciales.
IV – 2 - La politique étrangère de la RPC de 1949 à 1979
Mao Zedong et les dirigeants de la Chine populaire qui arrivent au pouvoir en
1949, sont imprégnées de l’histoire impériale de la Chine et ils ont des visions
géopolitiques, des représentations stratégiques imprégnées des grandes
phases de cette histoire, la montée des royaumes, la puissance de l’empire de
Chine, les dynasties prestigieuses, Qin, Han, Song etc. , les invasions barbares,
le système du tribut mais surtout le siècle des humiliations qui a conduit au
dépeçage de la Chine et à la perte de sa souveraineté. Depuis 1949 mais
encore plus depuis l’arrivée de Xi Jinping, le discours politique chinois est
jalonné de déclarations rappelant les faiblesses du passé de la Chine
impériale, qui ont conduit à sa perte. Le nouveau régime politique,
communiste, met tout en œuvre depuis son arrivée au pouvoir pour contrer
tout risque similaire contemporain qui pourrait conduire à affaiblir la Chine. Il
faut au contraire développer le pays, corriger ses faiblesses (éducation,
agriculture, industrie, sciences, armée), les transformer en forces pour
retrouver l’autonomie puis développer la puissance, rayonner de nouveau
comme au temps de l’empire, et enfin, but final, devenir la première puissance
mondiale dans tous les domaines.
Pendant 50 ans, les efforts chinois sont le développement de la Chine en
adoptant et adaptant le marxisme-léninisme, en le sinisant et en l’adaptant
donc aux conditions sociales spécifiques -de la Chine, pays très peuplé et rural
dans sa quasi-totalité en 1949, à l’exception de Shanghai et de certains centres
urbains. La vision du président Mao en matière de politique étrangère se
résume dans sa « Théorie des Trois Mondes » : le monde de la guerre froide
n'est pas divisé en deux blocs antagonistes, Est et Ouest mais en trois : les
superpuissances (Etats-Unis et URSS), les puissances moyennes (Japon,
Europe, Canada) et enfin les pays en développement, dont la Chine. Dans
cette théorie, et malgré la solidarité entre pays communistes, qui se traduira
par le soutien chinois à la Corée du Nord ou au Nord-Vietnam, se dessine déjà
la graine de la rivalité sino-soviétique. En effet Mao ne met pas la Chine au
même niveau que l’URSS et la distinction pour lui relève surtout du caractère
rural de la société chinoise. C’est d’ailleurs ce caractère rural que nous avons
souligné dans la description de la conception, de la perception chinoise du
temps.
Mao décrit aussi la Chine comme le pays à l’avant-garde de la lutte contre
l’impérialisme et il n’entend pas voir la Chine avoir un rôle secondaire dans
cette lutte, derrière l’URSS. C’est au contraire au premier plan que la Chine
communiste doit être placée dans cette lutte contre les impérialistes et pour la
décolonisation. Le Grand Bond en Avant (1958-1960) et la Révolution culturelle
(1966-1976) sont certes des mouvements politiques à caractère intérieur mais
ils participent aussi à la volonté de la Chine de s’affirmer comme étant à la tête
du mouvement socialiste et communiste international. Mao Zedong théorise la
politique étrangère chinoise comme une prolongation des mouvements de
décolonisation et de lutte contre l’impérialisme et la rupture sino-soviétique
relève de cette lutte, l’URSS étant qualifiée de pays impérialiste dans les
années 60, revirement qui est à l’origine du rapprochement sino-américain de
1971. A titre de rappel, la France a reconnu la RPC en 1964 et le général de
Gaulle a été précurseur, en particulier par rapport aux Etats-Unis, comme nous
l’avons souligné.
De 1949 à 1979, 50 première années de la RPC sont donc marquées par les
soubresauts intérieurs chinois et les contraintes du développement, qui font de
la Chine un pays fermé, avec des relations limitées avec le reste du monde dans
les domaines commerciaux économiques et financiers, même si le maoïsme
trouve un certain succès dans les pays occidentaux, surtout dans la jeunesse.
IV – 3 - Le tournant de 1978 et l’ouverture de la Chine
Les 40 années suivantes sont au contraire caractérisées par l’ouverture du
pays, conséquence des réformes majeures que lance le dirigeant Deng
Xiaoping, qui arrive au pouvoir en 1978 et qui a pour ambition de redresser la
Chine en rompant avec les excès du maoïsme. Pragmatique et marqué par la
Révolution culturelle qui a vu les Gardes rouges le battre et l’humilier, Deng
Xiaoping veut « restaurer l’ordre et en finir avec le chaos ». Il rétablit l’autorité
du Parti communiste chinois/PCC et place la stabilité politique au sommet de
ses priorités, stabilité politique qui est la condition sine qua non du
développement économique et de la montée en puissance du pays, affaibli par
plus de 20 années de délires maoïstes. La prudence est alors de mise, illustrée
en matière de politique étrangère par le slogan (en Chine on aime les slogans
par leur côté symbolique et puissant, exprimé en 4 ou 8 caractères chinois)
« Cacher ses talents et attendre son heure », i.e. développer le pays, s’engager
dans un mouvement général de montée en puissance de la Chine, dans tous les
domaines, mais sans heurter la communauté internationale, en mettant en
avant le principe de non-ingérence entre les pays. L’ouverture se fait donc
d’abord dans le domaine économique avec l’ouverture aux capitaux étrangers,
la création de zones franches sur les côtes chinoises et l’accueil d’investisseurs
qui en trois décennies feront de la Chine l’« atelier du monde ». Les pays
occidentaux voient avec enthousiasme cette ouverture qui offre d’immenses
possibilités à leurs entreprises. Chacun, Chine, Etats-Unis et pays occidentaux y
trouvent leur compte, en particulier vis-à-vis de l’URSS, embourbée dans le
conflit afghan et en proie à des difficultés intérieures, en particulier dans le
domaine économique. Le conflit sino-vietnamien est un moyen pour la Chine
de contrer l’URSS, soutien du Vietnam mais aussi, au sommet de la Guerre
froide, de confirmer le rapprochement avec les Etats-Unis, dont la Chine a
besoin pour acquérir technologies et capitaux indispensables pour développer
le pays. C’est une lune de miel qui se déroule entre la Chine et l’Occident du
début des années 80 au début des années 2010. Au début des années 90, alors
que les Etats-Unis, comme nous l’avons vu, sont la seule superpuissance à
l’issue de la Guerre froide, Deng Xiaoping résume sa politique étrangère dans
un mot d’ordre qui va structurer cette politique jusqu’à l’arrivée de Xi Jinping :
le monde est constitué par une superpuissance, les Etats-Unis et par plusieurs
puissances. C’est une rupture par rapport à la période de Mao et de la
première décennie de Deng, qui voyait la Chine comme leader des pays nonalignés et des pays en développement. La formule souligne la perception
chinoise d’un monde multipolaire et indique que la Chine se voit comme un des
pays clés de voute du système international, au même titre que le Japon, la
Russie ou les grands pays occidentaux. Cette description de la société
internationale définit une politique étrangère dont l’objectif stratégique est la
constitution d’un ordre international multipolaire. La politique étrangère
chinoise va donc viser à s’insérer dans la société internationale, en
multipliant les partenariats, en intégrant les institutions internationales
(OMC).
La politique étrangère va déterminer les changements de la politique de
défense de la Chine. A noter, à cet égard, la cohérence entre la politique
étrangère et la politique de défense, sur laquelle nous avons insisté…L’Armée
populaire de Libération n’a plus besoin d’être composée de millions d’hommes
devant repousser une invasion dans une guerre populaire de faible niveau
technologique. Il s’agit au contraire de réduire ses effectifs et de la moderniser,
en particulier grâce à l’acquisition de technologies et d’équipements modernes
occidentaux, ce que l’APL va faire dans les années 80. Les deux principaux
hélicoptères chinois, en 2023 encore, sont des copies d’hélicoptères français et
américains, construits d’abord sous licence puis copiés quand la licence a été
suspendu les sanctions ayant suivi les évènements de Tian An Men. Le Harbin
Z20, copie du Hawk américain, le Z9 copie du Dauphin et le Z8 copie du Super
Frelon, conçu dans les années 60. Il n’est donc plus question de se préparer à
une « guerre du peuple » mais au contraire de moderniser les équipements et
de se préparer à des conflits en périphérie du « pays du milieu », pour
consolider et sécuriser le milieu, en particulier pour récupérer Taiwan mais
aussi pour sécuriser, contrôler et maîtriser la « mer du pays du milieu », la mer
de Chine méridionale. Les années 90 marquent ainsi la transition, d’un pays à
vocation continentale à un pays à vocation maritime.
Les successeurs de Deng Xiaoping, Jiang Zemin et Hu Jingtao, conservent les
orientations de la politique, quête d’indépendance nationale, autonomie
stratégique, insertion dans le système international, partenariats, recherche
de sécurité, volonté de s’opposer à l’hégémonie de certains pays, puis à
l’unilatéralisme américain à partir de la fin des années 90. Les évènements de
Tian An Men montrent que les puissances occidentales, par leurs sanctions,
peuvent entraver la montée en puissance de la Chine. Laquelle va adopter un
profil bas pendant une vingtaine d’années, tout en prenant la mesure de ce
qu’elle considère comme une politique américaine d’encerclement stratégique
de la Chine, visant à entraver la montée en puissance mais aussi, par la
promotion des droits de l’homme, à pousser peu à peu à un changement de
régime. Les dirigeants chinois ont à l’esprit l’effondrement de l’URSS. Or pour
Pékin, conscient de ce danger pernicieux que constitue la diffusion des droits
de l’homme à l’occidental, des valeurs démocratiques, des libertés
individuelles, et l’universalisme de ces valeurs, pour Pékin, le droit humain qui
s’impose, le droit de l’homme primordial est celui du développement
économique.
Après la dissolution de l’URSS, la Chine constate que les Etats-Unis, après les
accords de coopération avec le Japon (1960), la Corée du Sud (1953), les
Philippines (1951) et l’Australie (1951), passent des accords avec la Thaïlande
et Singapour puis se rapprochent du Vietnam, ennemi d’hier. 20 ans après la
fin de la guerre du Vietnam, l'administration Clinton engage en 1995 un
réchauffement des relations précédé de la levée de l'embargo économique
américain en 1994. En 2007, 5 navires de l'United States Navy effectuent une
visite au port de Da Nang, base stratégique majeure américaine pendant la
guerre du Vietnam, escale impensable pendant des décennies. Pour la Chine,
cette perception d’un encerclement américain s’accentue au fur et à mesure
que la marine chinoise se développe et se sent, elle aussi, si ce n’est encerclée,
du moins enserrée à l’intérieur d’un chapelet d’îles où la présence américaine
est forte, Japon, Taiwan, Philippines.
IV – 4 - Xi Jinping, la puissance décomplexée
Xi Jinping est élu président de la République populaire de Chine le 14 mars
2013. Il est également secrétaire général du Parti communiste chinois et
président de la Commission militaire centrale depuis le 15 novembre 2012. Il
est réélu secrétaire général du Parti au 19ème congrès du PCC en 2017. Il est
réélu président par les députés de l'Assemblée nationale populaire en 2018 et,
seul candidat en lice, Xi Jinping est réélu à l'unanimité pour un troisième
mandat lors de l'élection présidentielle chinoise de 2023. Bref, Xi Jinping est
chef de l’Etat, chef du PCC et chef des armées, et pour encore…un certain
temps puisque, privilège des régimes autoritaires, il n’est pas soumis aux
évaluations régulières et aux sanctions des électeurs. Xi Jinping apparaît
comme le dirigeant chinois le plus puissant et le plus autoritaire depuis Mao
Zedong. Il fait modifier en 2018 la Constitution pour supprimer la limitation du
nombre de mandats présidentiels, pouvant ainsi rester au pouvoir pour une
durée indéterminée. Par ailleurs, la « pensée » de Xi Jinping est inscrite dans la
doctrine du PCC et dans la Constitution, au même titre que celles de Mao
Zedong et Deng Xiaoping. (Lors de mon dernier séjour à Pékin, juste avant la
pandémie, j’ai été frappé par l’omniprésence dans les magasins et les vitrines,
dès l’aéroport, de bustes de Xi Jinping, côtoyant ceux de Mao qui avaient
disparu pendant des décennies, ainsi que de ses œuvres complètes. Le culte de
la personnalité de Xi Jinping, inconnu en Chine depuis la période de Mao).
Cette énumération du cumul des fonctions de Xi Jinping nous conduit à traiter
de manière succincte, rapide et synthétique le chapitre que nous avons dédié,
pour la France et les Etats-Unis, aux Acteurs et décideurs de la politique
étrangère dans ces deux pays. Pour la Chine, c’est simple, c’est le parti, le PCC,
et donc son chef, qui décident des orientations. Le ministère chinois des
Affaires étrangères n’est qu’un exécutant, disposant cependant du second
réseau diplomatique et consulaire au monde, symbole de la montée en
puissance du pays.
Xi Jinping structure son mandat, ses mandats, autour du concept de « rêve
chinois », d’une exaltation du sentiment national et de l’affirmation de la
puissance retrouvée de la Chine. Il promeut une présence accrue de la Chine
sur la scène régionale, un rayonnement de la culture traditionnelle chinoise
dans le monde et un renforcement de l'influence politique et idéologique du
PCC sur la société chinoise.
En matière de politique étrangère, Xi Jinping va rompre avec la prudence que
nous avons soulignée et qui caractérisait les périodes de Deng Xiaoping et de
ses successeurs. L’encerclement stratégique mais aussi l’encerclement
idéologique sont ses obsessions. Il juge l’Occident hostile et le rend
responsable de la chute de l’URSS ou des printemps arabes. Il va donc tout
mettre en œuvre pour contrer, museler et éliminer toute opposition au
pouvoir du PCC, lançant une campagne anti-corruption qui, certes, vise à se
débarrasser de dirigeants corrompus mais a pour but également de se
débarrasser de rivaux et de contrôler de manière plus étroite la société. Toutes
choses égales par ailleurs, cette attitude est symptomatique des dirigeants
autoritaires, paranoïaques. Les exemples ne manquent pas. A titre
d’information, songez à Meng Hongwei, secrétaire général d’Interpol à Lyon,
subitement volatilisé. Au bout d'une dizaine de jours, Pékin annonce qu'il se
trouve en Chine, où il est soupçonné de corruption puis condamné à 13 ans de
prison.
Xi Jinping a une pratique décomplexée du pouvoir. Il n’hésite pas à prendre
des décisions fermes, parfois brutales, à aller à la confrontation, à imposer
ses vues en prenant des risques et en les assumant. Songeons à la
poldérisation des îles Paracels ou à la déclaration le 16 octobre 2022 devant le
congrès du PCC, où il affirme que « la Chine cherchera à réunifier Taïwan
pacifiquement mais ne renoncera jamais à l'usage de la force si besoin ».
Quand ? Au moment favorable…
IV – 5 - La puissance chinoise en 2023
La Chine est devenue plus puissante depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping
mais aussi plus ambitieuse, comme le traduit le projet majeur des Nouvelles
Routes de la Soie, ou BRI, Belt and Road Intitiative, sur lequel nous ne
reviendrons pas, le sujet étant très largement décrit dans les médias.
En matière de puissance économique, le PIB de la Chine rattrape celui de la
France en 2005, de l’Allemagne en 2007, du Japon en 2010. En 2022 son PIB
reste inférieur de plus de 30% à celui des Etats-Unis, 23 Mds$ et 17Mds$ mais
la Chine pourrait rattraper les Etats-Unis en 2030.
La crise financière de 2008 et celle de la pandémie de 2020 n’ont pas ralenti
mais au contraire accéléré le processus, confirmant ce que nous avons décrit
sur la signification du mot « crise » en chinois (danger, suivi d’une opportunité).
En effet la Chine, avec ces crises, a décidé d’accroître le développement de son
marché intérieur, stimulé par la hausse du niveau de vie, tout en réduisant sa
dépendance envers les technologies occidentales. Songeons à la voiture
électrique, aux batteries, au domaine spatial, aux TGV, à l’intelligence
artificielle etc. Le pays devient moins dépendant du commerce extérieur mais
accumule un excédent commercial très important (676Mds$ en 2021 contre
382 Mds en 2014) et dispose d’immenses réserves en devises (3220 Mds$ en
2022). La Chine est le premier exportateur mondial, devant l’Allemagne, et le
second importateur, après les Etats-Unis, symboles de l’interdépendance des
pays et de la mondialisation.
La mainmise de Xi Jinping sur la société chinoise se traduit aussi dans le
domaine économique avec le contrôle étroit des sociétés chinoises, mais aussi
des sociétés étrangères implantées en Chine et avec la mise au pas des géants
du numérique, comme Ali Baba. La part des sociétés d’Etat devient de plus en
plus importantes, après des décennies à favoriser l’entreprenariat individuel.
La montée en puissance de la Chine n’est pas qu’économique. Elle est
également politique. La RPC se considère en 2023 comme la seule puissance
capable de rivaliser avec les Etats-Unis et de les défier, et nous voyons le
décalage avec la perception des prédécesseurs de Xi Jinping.
Dans le domaine multilatéral, après avoir été absente pendant des décennies
des organisations internationales (entrée à l’ONU en 1971), la Chine a rejoint
peu à peu toutes les instances multilatérales. Mais, depuis quelques années,
elle investit les organisations internationales pour, clairement, en modifier les
règles de fonctionnement, la gouvernance mais aussi les normes. C’est une
autre illustration de la gestion décomplexée de la puissance chinoise. La Chine
estime que le système international a été bâti après-guerre par les occidentaux
et pour les intérêts des occidentaux. Il est temps, d’après les dirigeants
chinois, de changer ces points, en changeant les organisations internationales,
en coopération avec les pays « amis » au sein de ces OIG mais aussi en créant
de nouvelles organisations internationales.
Ces comportements traduisent le dilemme de la Chine, entre montée, affirmée,
en puissance et intégration dans le système international.
Un mot rapide sur la puissance militaire, le hard power chinois, en nous
focalisant sur la marine chinoise, symbole de la bascule de pays continental à
pays à vocation maritime, tendance très récente, comme nous l’avons
mentionné. Pour la première fois de son histoire, la Chine est passée en tête
des puissances maritimes. Depuis quelques années Pékin a développé un
programme extrêmement ambitieux de croissance et de production de sa
flotte de guerre. Pour exemple, en 2022 la Chine a mis à l’eau l’équivalent de
tous les bâtiments de la Marine nationale française. Aujourd’hui la Chine
aligne près de 400 navires de guerre auquel il faut ajouter les 255 bâtiments de
surveillance côtière et ceux de la milice navale ce qui arrive à un chiffre de près
de 700 navires armés. La marine de l’APL disposerait approximativement de 65
sous-marins dont 5 à propulsion nucléaire lanceur d’engins (SNLE) et 8
d’attaque (SNA) et d’une cinquantaine de sous-marins à propulsion
traditionnelle.
À la suite de l’édit impérial de 1436, la marine chinoise, côtière et mal équipée,
n’a donc pas quitté les eaux territoriales pendant plus de 500 ans ! Ce n’est
qu’en 2009 que, pour la première fois, 3 navires de guerre de l’APL, deux
frégates et un navire de soutien logistique, quittent les eux chinoises pour
croiser pendant des mois au large de la Corne de l’Afrique pour protéger les
navires de commerce chinois menacés par des actes de piraterie. C’est un
exploit logistique qui montre les progrès réalisés en quelques années
seulement. C’est maintenant une routine pour l’APL, qui dispose en outre
d’une base de soutien à Djibouti depuis 2017. Le retour de ces navires à Hong
Kong, première escale après leur départ. (J’ai vu en 2009 à Hong Kong ces 3
navires, première escale après des mois de navigation. Malgré la discrétion de
la marine chinoise, il a pu être constaté que les marins étaient épuisés et que la
croisière ne s’est pas faite sans difficultés.).
Cependant des faiblesses relatives demeurent. On connaît peu le niveau
opérationnel d’une marine qui n’a pas combattu depuis les années 70 et qui
n’a que peu conduit d’exercices navals de grande ampleur en coopération avec
d’autres marines. D’autre part la marine chinoise n’alignera que 3 porte-avions
en 2023 contre 11 pour l’US Navy, avec l’avantage fondamental que la Chine ne
se déploie qu’en Asie alors que la marine américaine est déployée sur tous les
océans, « sur les 7 mers » comme disent les marins. Mais les choses changent
vite. Les progrès technologiques de la marine chinoise sont surprenants, peutêtre grâce à l’espionnage industriel et scientifique comme l’ont montré
certaines affaires. Le nouveau porte-avions chinois dispose ainsi de catapultes
électro-magnétiques que seuls les Etats-Unis possèdent. Et la Chine a ouvert sa
première base à Djibouti en 2017 et pourrait en ouvrir d’autre au Pakistan ou
au Cambodge. Les stratèges parlent du collier de perles des bases chinoises,
pour l’instant un fantasme en devenir.
Intégration et montée en puissance vont également se traduire par une
tentative d’acquisition des outils de soft power, susceptibles d’aider le pays
dans sa recherche d’une hausse de son influence. Ce sont les centaines de
milliers d’étudiants chinois à l’étranger mais aussi les centaines de milliers
d’étudiants étrangers en Chine. Ce sont les instituts Confucius, inspirés par les
Alliances françaises, mais où le message politique mettant en avant une Chine
pacifique, prospère et harmonieuse pour son peuple. Ce sont aussi tous les
messages de propagande diffusés pour promouvoir la Chine. Les réseaux
sociaux sont a à cet égard un atout puissant pour la Chine, cf. Tiktok
La Chine cherche-t-elle simplement à retrouver une puissance hégémonique
en Asie, héritage du passé impérial ? La RPC cherche-t-elle simplement à
consolider le pays du Milieu à l’intérieur de ses frontières, Taïwan comprise,
ainsi qu’à revenir à une situation où, à l’image de la tradition tributaire, la
Chine rayonne et domine en Asie ? Bref, la Chine vise-t-elle simplement à
devenir, redevenir une puissance régionale ?
Il est vraisemblable que, au contraire, la Chine a des objectifs beaucoup plus
ambitieux, comme l’est la politique de Xi Jinping depuis dix ans. Tout montre,
le projet BRI, la diplomatie agressive chinoise (ambassadeurs loups gris), la
puissance militaire, la promotion tous azimuts de la supériorité du modèle
chinois politique, de son dirigisme autoritaire qui l’emporte sur les démocraties
souvent empêtrées dans la résolution de leurs difficultés, tous ces éléments,
entre autres, montrent que la Chine a un projet bien plus ample, large et
ambitieux, celui de devenir la première puissance mondiale, devant les EtatsUnis, dans tous les domaines et par tous les moyens. En affirmant avec
fermeté ce projet, la Chine a créé une nouvelle guerre froide où s’affrontent
deux grandes puissances, vers une nouvelle bipolarité. Nous retrouvons là la
thèse de Allison et le piège de Thucydide. Si la Chine va sans doute devenir la
première puissance économique d’ici une dizaine d’années, il demeure peu
probable qu’elle atteigne ce statut dans le domaine militaire, de la science et
du soft power. Tout d’abord parce que, comme le montre l’histoire, la liberté
de penser, la liberté de créer, le sens critique, sont des éléments puissants et
incontournables du développement humain. A ce stade, la Chine, hormis
papier, boussole, poudre et imprimerie, n’a rien créé, en tout cas rien depuis
1949. C’est en Occident que sont nés aviation, informatique, conquête spatiale,
numérique, internet, progrès médicaux, etc. La Chine est à ce stade très bonne,
excellente, à copier et reproduire mais l’innovation n’est pas encore un
domaine où elle règne. Mais cela change, là aussi, très vite et Xi Jinping a mis
l’innovation au centre des priorités de la Chine. Et, nous l’avons signalé en
conclusion du chapitre sur les Etats-Unis, ces derniers vont conserver,
longtemps encore, leur domination dans le domaine du soft power, dans le
domaine culturel et dans le succès du American Way of Life.
Il est peu probable également que les Etats-Unis se laissent faire et se laissent
dépasser par la Chine dans les domaines militaires, scientifiques et
technologiques, pour des questions de prestige, politiques, diplomatiques mais
aussi pour des motifs de politique intérieure. Et ils le feront en s’appuyant sur
des alliés et des partenaires, en Asie et avec l’Europe.
La montée en puissance de la Chine, facteur d’instabilité des années à venir ?
C’est le défi, la question passionnante pour des étudiants en relations
internationales appelés, pour plusieurs années encore à se pencher sur les
grandes tendances, les grandes lignes directrices de la scène internationale.
*
Bibliographie succincte et indicative
Sociologie des relations internationales
- Sociologie des relations internationales, Guillaume Devin, Editions La
Découverte, Collection Repères, 2018. Une bonne synthèse
- Sociologie des relations internationales, Marcel Merle, Dalloz, 1974. Une
référence dans ce domaine.
Politique étrangère de la France
- La politique étrangère de la France depuis 1945, Frédéric Bozo,
Flammarion, Champs Histoire, 2019. Une synthèse abordable
- Politique étrangère de la France : Diplomatie et outil militaire, 1871-1991,
Jean Doise, Maurice Vaïsse, Le Seuil, Points Histoire, 1992. Une référence.
- Nous étions seuls, Histoire diplomatique de la France, 1919-1939, Gérard
Araud, Tallandier, 2023. Très bon livre sur cette période où la politique
étrangère et la politique de défense n’était pas coordonnées.
- La Politique Étrangère de La France - De La Fin De La Guerre Froide Au
Printemps Arabe - Frédéric Charillon, Presses de Sciences Po, 2011. Une
référence.
Politique étrangère des Etats-Unis
- La politique étrangère des Etats-Unis, Fondements, acteurs, formulation.
Charles-Philippe David, Julien Tourreille, Presses de Sciences Po, 2022.
Une référence.
- La politique étrangère américaine, Maxime Lefebvre, PUF Que Sais-je ?
2018. Une synthèse, par un diplomate français.
- La Politique étrangère américaine depuis 1945 - L'Amérique à la croisée
de l'histoire. Murielle Delaporte, Editions Complexe. 1999. Bonne
synthèse
Politique étrangère de la Chine
- La politique extérieure de la Chine, François Joyaux, PUF, Que Sais-je ?
2015. Une synthèse par un universitaire expert de l’Asie qui a formé des
centaines d’étudiants en relations internationales.
- La politique internationale de la Chine - Jean-Pierre Cabestan, Presses de
Sciences Po, 2022. Une référence, par un expert de la Chine basé à Baptist
University de Hong Kong.
- Dans la tête de Xi Jinping, François Bougon, Babel, 2023. Original et utile.
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