Uploaded by Moustapha alpha Diallo

ASSIATOU DIALLO

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L’ECOLE SENEGALAISE D’HIER A
AUJOURD’HUI : DE LA GRANDEUR A LA
DECADENCE
L’école sénégalaise publique traverse une longue
période de turbulence, se traduisant par des grèves
répétées et de nombreuses autres formes de luttes
déployées par les organisations syndicales
d’enseignants : retenues de notes, boycotts
d’examens, sit-in, etc. La conséquence de cette
instabilité, de cette crise – c’en vraiment est une – que
traverse l’école sénégalaise, c’est qu’elle n’attire plus,
elle n’inspire plus confiance. Elle va mal, très mal.
C’est, du moins, ce qu’on entend dire dans tous les
coins de rue par différents acteurs : enseignants,
parents d’élèves, élèves, autorités, etc. Nombre
d’entre eux regrettent avec amertume la belle époque
de l’école sénégalaise, l’école des années 60 dont le
rayonnement dépassait les frontières du Sénégal.
Qu’a-t-il donc dû se passer pour que, en une
soixantaine d’années, notre école en soit arrivée à la
situation que nous déplorons tous aujourd’hui ?
Pour répondre à cette question, un rapide historique est
nécessaire. Cet historique ne nous ramènera
certainement pas jusqu’à Jean Dard. Ce serait très loin.
Nous prendrons donc pour point de départ l’indépendance
du Sénégal. De cette période jusqu’aux années 80, peutêtre même jusqu’aux années 90, l’école sénégalaise
publique était considérée comme une bonne école, même
comme une école prestigieuse. L’école privée était
pratiquement inexistante ou, si elle existait, était reléguée
au second plan et ne recevait, en général, que ce qu’on
appelait alors les « déchets » de l’école publique. Quels
facteurs expliquaient-ils cette réussite de l’école ?
Les premières écoles primaires, en tout cas celles qui
comptaient six classes ou plus, avaient en général comme
directeurs des sortants de la prestigieuse Ecole normale
William Ponty, qui avaient sous leurs responsabilités des
adjoints formés pour l’essentiel dans les Centres de
formation pédagogique permanents. Il y en avait à SaintLouis, à Thiès, à Kaolack, à Dakar avec, comme
directeurs, de brillants instituteurs, eux aussi des produits
de l’Ecole normale William Ponty. Ces structures de
formation étaient dotées de centres de documentation
bien fournis et démarraient en octobre pour fermer en juin.
Les stagiaires sortaient avec la partie théorique du
Certificat élémentaire d’aptitude pédagogique (CEAP) et
étaient affectés sur l’ensemble du territoire national. Avant
la fin de l’année scolaire, ils recevaient l’inspecteur de
l’enseignement primaire qui leur passait la partie pratique
et orale pour l’obtention définitive du CEAP. Les nantis de
ce premier diplôme professionnel étaient titularisés dans
le corps des instituteurs adjoints. Pour accéder au corps
des instituteurs (titulaires), ils devaient se présenter, sept
ans après, à l’écrit du Certificat d’Aptitude pédagogique
(CAP). En cas d’amissibilité à l’écrit et d’admission
définitive après avoir passé la partie pratique et orale, ils
étaient titularisés instituteurs.
En sept ans, ils avaient largement le temps d’apprendre
leur métier, avec l’encadrement des inspecteurs, des
directeurs d’école et des collègues. Sept ans, c’était long
et les autorités en étaient conscientes. Pour encourager
les plus entreprenants des instituteurs adjoints, le Brevet
supérieur de Capacité (BSC) était créé. Il comprenait deux
parties (BSC 1 et BSC 2). Les titulaires du BSC étaient
dispensés de la partie écrite du CAP et passaient
directement la pratique et l’oral. Un jeune instituteur
adjoint pouvait ainsi avoir le CAP quatre à cinq ans après
le CEAP.
Un autre facteur de qualité, c’était la création, en 1972,
des Ecoles normales régionales qui formaient, en quatre
ans, d’excellents instituteurs. Ils sortaient avec le Brevet
supérieur d’Etudes normales (BSEN) et empochaient le
CAP, après avoir passé avec succès la pratique et l’oral
au cours de l’année scolaire suivante. Nombre de ces
anciens normaliens deviendront des inspecteurs, des
professeurs (de collège, de lycée, d’université), des
administrateurs civils, etc.
Notons aussi, qu’au début de l’indépendance, de jeunes
titulaires du BEPC et même du Certificat d’études
primaires élémentaires (CEPE) ayant fait quelques
années de collège (surtout privé) étaient recrutés et
affectés directement dans les écoles, sans formation
pédagogique préalable. Grâce à un encadrement efficace,
leur insertion se faisait sans grand dommage, en tout cas
pour la plupart d’entre eux.
Ces bons enseignants travaillaient dans des conditions
favorables : environnement des écoles agréables,
disponibilité de matériels pédagogiques, encadrement
pédagogique efficace et régulier, effectifs des classes
raisonnables, stabilité de l’espace scolaire, etc. Les
meilleurs élèves qui sortaient de cet environnement
étaient reçus dans de grands lycées et collèges (Lycée
Faidherbe, Lycée Van Vollenhoven, Lycée des jeunes
filles de Rufisque, plus tard Lycée Charles de Gaulle,
Gaston Berger, Blaise Diagne, Malick Sy de Thiès, etc.).
Ces établissements, à l’époque prestigieux, étaient
d’excellents cadres d’études, avec des professeurs
compétents, titulaires du Certificat d’Aptitude pédagogique
à l’Enseignement secondaire (CAPES) pour les meilleurs
d’entre eux.
Pour élargir l’accès, des cours complémentaires étaient
créés. Ils deviendront plus tard des Collèges
d’Enseignement général, avec des professeurs de collège
formés à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Dakar. Les
premiers formateurs étaient des «CAPÉSIENS» qui
s’acquittaient de leur mission avec brio. L’auteur de ces
lignes est bien placé pour en témoigner, étant un ancien
de l’ENS.
Ainsi, des élèves bien formés aussi bien à l’école primaire,
au collège ou au lycée, faisaient de bons bacheliers qui
accédaient à une université prestigieuse, celle de Dakar.
Les étudiants qui y sortaient avec la licence de lettres, de
mathématiques, de sciences faisaient de bons
professeurs s’ils choisissaient l’enseignement. Nos
bacheliers étaient alors reçus à bras ouverts dans les
grandes universités d’Europe et d’Amérique du Nord.
D’autres facteurs, que nous n’allons sans doute pas
passer en revue ici, ont contribué à faire, jadis, de l’école
sénégalaise une école de qualité. Malheureusement, avec
le temps, et pour des raisons que nous allons expliquer,
ces différents facteurs vont se dégrader progressivement.
Ainsi, vers la fin des années 70, l’école va être
outrancièrement politisée, avec l’attribution de la direction
de l’essentiel des établissements aux seuls membres des
syndicats d’enseignants dits pro-gouvernementaux
(SYNELS, SYPROS, etc.). S’y ajoutait le recrutement en
masse d’enseignants affectés directement dans les
classes ou envoyés hors de tout concours dans les
centres de formation pédagogique où ils se bousculaient.
Des centres recevaient des cohortes jusqu’en mai. Trois
ministres bien connus se sont distingués dans cette
pratique dégradante de la qualité de l’enseignement. On
parlait ainsi avec ironie des quatre cents (400) «ailes de
dindes» de l’un. C’était en 1990. Un autre était célèbre
pour son fameux «quota sécuritaire».
Il convient de signaler aussi la suppression de l’internat
qui était une recommandation mal inspirée des Etats
généraux de l’Education et de la Formation de janvier
1981. Point n’est besoin d’insister sur les multiples
bienfaits de ce système pour les élèves. Il contribuait
notablement aux belles réussites scolaires de cette
époque-là. On ne s’attardera pas, non plus, pour expliquer
les dégradations progressives du système, sur l’instabilité
des établissements du fait des grèves récurrents
d’enseignants et d’élèves, qui se traduisent par la
diminution parfois drastique du quantum horaire.
La diminution progressive des budgets alloués à
l’éducation du fait des politiques d’ajustements structurels
n’arrangera rien. Au contraire ! L’éducation n’étant plus
considérée comme un secteur productif, les dépenses
publiques sont orientées ailleurs. On comprendra plus tard
la non pertinence de ce choix et, en mars 1990, la
Conférence mondiale sur l’Education pour tous (tenue à
Jomtien en Thaïlande) rectifie le tir. Elle recommandait
aux Etats membres « une éducation de qualité pour tous
en l’an 2000 ». C’était évidemment une gageure mais au
moins un signe. Il était, en effet, plus facile de lancer le
concept que de réaliser l’objectif titanesque. Avec les
politiques d’ajustements structurels imposées, le pays
manquait alors d’argent. Or, il fallait construire des écoles
et recruter des enseignants en grand nombre pour être
dans l’ère du temps. Le gouvernement se lança, sans en
avoir vraiment les moyens et compte non tenu de la carte
scolaire, dans la construction d’écoles dites de proximité.
Elles proliféreront, sous formes d’abris provisoires ou
même, si elles sont construites, manquent presque de tout
: absence de blocs administratifs, de blocs sanitaires, de
bibliothèques, de laboratoires, souvent sans clôture et
ouverts aux animaux et aux grands vents.
Cette prolifération n’a malheureusement pas été
accompagnée d’un recrutement conséquent
d’enseignants de qualité, formés à bonne école. En lieu et
place, on recourut aux volontaires de l’éducation et à des
vacataires sans qualification professionnelle, avec des
conditions de vie et d’enseignement précaires. Les
autorités de l’Alternance 1 brandissaient fièrement le
nombre d’établissements qu’ils ont construits en si peu de
temps, comparés aux maigres réalisations (selon elles)
des Socialistes pendant quarante ans. Dans leur
précipitation à allonger leurs listes, elles transformaient
sans crier gare des collèges en lycées, en laissant le
même personnel enseignant sur place, le déficit criard de
professeurs de disciplines comme les sciences, les
mathématiques, la philosophie, etc., ne permettant pas de
les remplacer par des professeurs d’enseignement
secondaire. Elles ne comprenaient pas, les pauvres, que
l’éducation n’était pas une course de vitesse.
De telles pratiques continuaient donc de dégrader le
système et de se répercuter sur le niveau des enseignants
et des élèves. La faiblesse de l’encadrement pédagogique
et la dégradation progressive de la valeur des diplômes
ajoutaient à cette situation. Pour obtenir des diplômes
comme le (CAPES) et le CAP, les enseignants étaient
obligés d’apprendre leur métier. Les élèves-professeurs
sortent de la Faculté des Sciences et Techniques de
l’Education et de la Formation (FASTEF) avec le bâton de
maréchal : le Certificat d’Aptitude à l’Enseignement
secondaire (CAES) qui a remplacé le CAPES. Il en est de
même des instituteurs qui, après une formation de
quelques mois dans les Centres régionaux de Formation
des Personnels de l’Education (CRFPE), ont leur CAP en
poche. Le corps des instituteurs adjoints étant éteint pour
on ne sait quelle raison, le stock de plusieurs dizaines de
milliers d’enseignants de ce niveau encore en activité se
voient offrir le CAP après quelques brefs mois de
formation dans les CRFPE.
Cette facilité d’obtention de diplômes ou d’accès à des
grades n’épargne pas l’université qui connaît, elle aussi,
une grave dégradation des conditions d’études. Elle reçoit
des bacheliers de plus en plus médiocres, en nombre de
plus en plus grand, encadrés par des professeurs de
moins en moins formés. Cette situation s’est encore
davantage aggravée avec l’avènement de l’Alternance du
19 mars 2000. Le nouveau Président de la République
prend facilement une décision grave et lourde de
conséquences : l’orientation de tous les bacheliers à
l’université, avec la bourse ou l’aide généralisée. Pendant
douze ans, on assiste à ce rush de bacheliers, alors que
les capacités d’accueil ne bougeaient pas ou bougeaient
très peu. Dans les facultés de droit et de lettres, les
étudiants sont serrés comme des sardines dans des
amphithéâtres pleins à craquer. En réaction, les autorités
créaient des universités qui n’en avaient que le nom.
L’Université de Thiès par exemple, créée en 2005,
n’existe encore que sur les papiers. La première pierre a
été seulement posée en août dernier. Etudiants et
professeurs y sont restés des «Sans domicile fixe (SDF)»
pendant plus de 10 ans.
S’y ajoutent les grèves récurrentes d’étudiants et de
professeurs avec, pour conséquences désastreuses, une
diminution drastique du quantum horaire. On comprend
que, dans ces conditions-là, le niveau des étudiants
baisse de plus en plus et que leurs diplômes soient de
plus en plus défavorisés.
A la lumière des développements qui précèdent, et qui
sont loin d’être exhaustifs, l’école sénégalaise va mal.
Tous les acteurs en sont conscients aujourd’hui, y compris
les autorités gouvernementales qui prennent des mesures
pour arrêter ou, tout au moins, ralentir la descente aux
enfers. Elles ont ainsi organisé des forums, des
concertations, des assises. Elles ont développé des
programmes comme le Programme décennal de
l’Education et de la Formation (PDEF), le Programme pour
l’Amélioration de l’Accès, de la Qualité, de l’Equité et de la
Transparence (PAQUET), etc. Elles injectent des sommes
de plus en plus importantes dans le secteur. Malgré tous
ces efforts qui sont réels et qu’il faut saluer, l’école
sénégalaise publique reste de moins en moins attrayante.
Elle perd de plus en plus de terrain au profit de l’école
privée qui a le vent en poupe, et qui serait en train de
prendre sa nette revanche sur l’histoire
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