COURS DE DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE Par Abdelali ABBOUR Docteur en droit privé de l’Université de Toulon. Professeur-Habilité à la Faculté de droit de Meknès. (Ex. enseignant de la Faculté de droit de Toulon). Membre du Centre de Droit et de politique Comparés Jean-Claude ESCARRAS de la Faculté de droit de Toulon. Laboratoire de l’UMR n°6201 du CNRS, Groupement de Droit Comparé CNRS 119. Année universitaire 2020 /2021 INTRODUCTION GÉNÉRALE Dans ce vaste champ d’étude, l’objectif de ce cours est de proposer une vue d’ensemble, à la fois ordonné, claire et pratique d’une matière commune à l’ensemble des disciplines juridiques, en présentant le droit de la responsabilité civile dans une structure générale, et notamment ses grands principes et ses mécanismes fondamentaux. Dans la mesure du possible, ce cours tient compte de l'apport des réformes aussi bien en droit national qu’en droit comparé. Les controverses ou les évolutions ne sont retracées que lorsque leur connaissance est utile pour l'intelligence du droit actuel. Ce cours n'ambitionne jamais d'être exhaustif. Dans le système juridique marocain, le droit de la responsabilité civile, c'est-à-dire la possibilité pour une personne qui a subi un dommage d'en obtenir la réparation auprès de son auteur ou de la personne qui en répond, repose sur les fameux articles 77 et suivants du Dahir des Obligations et Contrats quasiment inchangés depuis 1913. Or, depuis cette date et contrairement à la réforme du droit français en 2017, ce régime marocain de la responsabilité, enrichi parfois par la jurisprudence des juridictions judiciaires et, notamment, de solutions prétoriennes de la Cour de cassation, n’a pas connu véritablement des changements profonds destinés à mieux assurer la réparation des victimes de dommages. Il en résulte alors un corpus de règles écrites qui ne reflète plus aujourd’hui, nous semble-t-il, la réalité de la responsabilité organisée par le droit civil marocain. Sans nul doute qu’avec la responsabilité pénale, la responsabilité civile est une matière particulièrement appréciée par les sociologues qui considèrent justement que la règle de droit est une forme d’extériorisation des phénomènes sociaux. Cette approche sociologique s’attache à l’idée de bien comprendre non seulement la société civile marocaine, mais également ses valeurs dominantes. Dans cet ordre d’idée, il ressort que la responsabilité en générale, et la responsabilité civile en particulier, serait une sorte de miroir de notre société. Elle permet justement d’avoir une photographie sociale des grands mouvements qui traversent notre civilisation. Alors qu’est ce qui caractérise particulièrement la responsabilité civile en droit marocain ? Au Maroc, comme la plupart des Etats africains, la responsabilité civile suit un mouvement qui caractérise d’autres pays européens, notamment et particulièrement la France. Tout cela en raison des liens historico-juridiques. Ce mouvement est un mouvement qualifié de « victimologiste » consistant à dire que la victime est cœur du dispositif de la responsabilité civile. A cet égard, l’ensemble des politiques à la fois législatives et jurisprudentielles sont principalement orientées dans deux sens. A la fois vers la protection de la victime, mais aussi vers la réparation des préjudices qui ont été causés à la victime. Cette orientation a donné lieu au développement d’« une idéologie de la réparation », c'est-à-dire essayer de trouver des moyens de faciliter et d’améliorer l’indemnisation de la victime. C’est ici le rôle de la jurisprudence de le faire, puisqu’elle est la source principale de la responsabilité civile. Au-delà de ce mouvement « victimologiste », qui est un mouvement très fort, celui-ci est accompagné d’un certain nombre de bouleversements du droit de la responsabilité. Il se 2 traduit incontestablement par un double déclin. Déclin de la responsabilité individuelle, d’une part, mais aussi déclin de la faute comme fondement de la responsabilité, d’autre part. Ce déclin se traduit par l’existence d’autres fondements ou d’autres théories que la « faute » pour justifier la responsabilité. Il y a d’abord la théorie du « risque - profit ». Dans cette théorie, c’est uniquement la personne qui profite d’une activité qui crée un danger et qui cause un dommage qui devra répondre des dommages causés. Cette théorie est celle qui pourrait justifier par exemple l’article 85 du Dahir des Obligations et Contrats relatif à la responsabilité du commettant du fait du préposé. Ici, le commettant profite bien de l’activité du préposé, et si un dommage est causé, dans ce cas il devra juridiquement répondre des dommages causés. Il y a ensuite la théorie du « risque - danger ». Cette théorie part du postulat selon lequel où un danger est créé, il est tout à fait normal de supporter les conséquences. Aujourd’hui, c’est certainement à partir de cette théorie que le régime par exemple de l’indemnisation des accidents de la circulation prévu par le Dahir du 2 octobre 1984 est justifié. A partir de ces théories, certains auteurs ont développé l’idée que la faute ne serait plus le seul fondement de la responsabilité civile. Il y a donc d’autres fondements à la responsabilité engendrant ainsi un certain déclin, et donc un recul de ce fondement moral du droit de la responsabilité civile. Mais, l’objectif principal est toujours le même. Toujours et encore cette fameuse idéologie de réparation et cette volonté de faciliter et d’améliorer l’indemnisation des victimes. C’est cet objectif qui parfois justifie d’évincer le fondement de la faute pour encourager d’autres fondements permettant alors de faciliter l’indemnisation de la victime. Se détachant de la notion morale de la faute, cette objectivation de la responsabilité par d’autres fondements ne veut absolument pas dire que la faute n’est plus le fondement de la responsabilité. La faute devient en effet un fondement parmi d’autres, mais reste cependant un fondement particulièrement essentiel dans la mise en œuvre de la responsabilité civile. En droit civil marocain, la faute est et reste l’unique fondement de la responsabilité. Elle est d’ailleurs considérée comme un élément important du raisonnement permettant de justifier la mise en œuvre de la responsabilité. Au regard de l’actualité juridique, et notamment française, on trouve dans la responsabilité une idéologie de la réparation qui se traduit par une mutation des fondements de la responsabilité civile avec un mouvement d’objectivation de la responsabilité civile aussi bien en matière extra-contractuelle que contractuelle. Ce mouvement trouve toujours sa justification par le fait que la victime est au cœur du dispositif du droit de la responsabilité civile. Aussi, le droit de la responsabilité civile est caractérisé par la place centrale du juge et de la jurisprudence. Par les quelques articles qui lui sont consacrés, le Dahir des Obligations et Contrats est relativement discret sur le droit de la responsabilité. D’ailleurs, le Dahir du 2 octobre 1984 relatif à l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des véhicules terrestres à moteur est extérieur au Dahir des Obligations et Contrats. Le Dahir de 1984 est 3 autonome avec un régime qui lui est propre. Mais généralement, la construction du droit de la responsabilité civile est avant tout une construction jurisprudentielle. Cette situation fait que le droit de la responsabilité n’est pas toujours cohérent et pas toujours prévisible. Ce constat, largement partagé, est à l'origine d'intenses réflexions doctrinales qui doivent être engagées, comme cela fût en France depuis les années 2000, sur la réforme de ce régime. Ces réflexions doivent être inscrites dans le cadre plus large de la refonte du Dahir des Obligations et Contrats afin de renforcer l'accessibilité et la sécurité juridique du droit de la responsabilité civile. A ce titre, très récemment, le droit français des obligations a subi d’importantes réformes. Il y a eu une refonte du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations issue de l’ordonnance du 10 février 2016 et la réforme du droit de la responsabilité par la loi du 13 mars 2017. Toutes ces réformes se fondent essentiellement sur une consolidation des acquis jurisprudentiels et une consécration de certains principes permettant une clarification de certaines règles du droit civil français. En le modernisant, il est clair que le but du législateur français est de rendre plus accessible le droit de la responsabilité civile. Cela offre non seulement une plus grande sécurité juridique aux justiciables, mais aussi une meilleure prévention de leurs comportements. Aujourd’hui, contrairement au droit marocain, le droit français de la responsabilité civile s’est enrichi de deux siècles de jurisprudence et de la doctrine dont l’objectif premier est d’améliorer la protection des victimes. Si ces réformes ont donc permis de moderniser, de simplifier et d’améliorer la lisibilité, elles ont aussi renforcé l’accessibilité du droit commun des contrats, des obligations et du droit de la preuve. Là encore dans l’unique but de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme. A bien des égards, si le droit français de la responsabilité civile a connu des changements profonds afin de mieux assurer la réparation des victimes de dommages, on s’accordera sans doute sur le constat selon lequel la seule lecture du Dahir des Obligations et Contrats ne permet plus de donner une vision claire et précise de l'état du droit positif marocain. Celui-ci est devenu en grande partie prétorien, et a nécessairement changé depuis 1913. On sait en effet que c’est le lot des systèmes de droit écrit que d’imposer, à intervalles plus ou moins réguliers, la codification des apports de la jurisprudence 1, et que « ce serait un autre excès de répugner à toute nouveauté quand les changements deviennent nécessaires »2. Mais si la difficulté naît en l’occurrence de l’importance du droit de la responsabilité pour l’ensemble d’un système juridique, on s’accordera sans doute, comme nous l’avons déjà souligné, sur le constat que le corpus de règles écrites du Dahir des Obligations et Contrats ne reflétant plus, aujourd'hui, la réalité de la responsabilité civile. Compte tenu de son importance dans le système juridique, ce droit doit, nous semble t-il, plus qu’évoluer mais être réformer en profondeur par une codification. A la lumière du droit comparé et notamment des réformes françaises, il y a un constat de faire aboutir une réforme, qui est aujourd’hui d’actualité, du droit marocain de la responsabilité civile pour le rendre plus cohérent, plus prévisible et permettre pour l’essentiel une consolidation de la jurisprudence. 1 « Il ne faut pas se voiler la face : tout développement de la jurisprudence s’accomplit par érosion du principe de légalité. », (J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, p. 58. 2 J. Portalis, « Examen des diverses observations proposées contre le projet de code civil », in Discours, rapports et travaux inédits, publ. par F. Portalis, 1844, p. 64. 4 Avec l’ère du numérique, le droit marocain de la responsabilité est confronté aujourd’hui à une autre société. C’est ici le problème de la relation de la responsabilité civile avec les liens de l’intelligence artificielle. Comme pour les autres disciplines juridiques, le droit de la responsabilité civile doit aussi s’adapter aux nouveaux besoins que l’évolution de la société fait naître. Si le droit de la responsabilité civile serait le miroir de la société, il y a à cela les incertitudes scientifiques issues par exemple du droit de l’environnement ou encore du droit de la santé publique. L’exemple de l'actuelle crise sanitaire liée à la pandémie du covid-19 en est la parfaite illustration. Ici, plus que jamais, il faut adapter en conséquence les conditions de la responsabilité civile, notamment par la mise en place du principe de précaution ou encore à côté de la force majeure, la consécration dans le droit civil marocain de la théorie de l’imprévision. Mais, généralement, lorsque l’on aborde le droit de la responsabilité civile, on l’aborde surtout sous l’angle de ses fonctions. En principe, deux fonctions principales sont rattachées à la responsabilité. La première fonction, c’est la fonction indemnitaire. Elle permet d’indemniser les victimes. Ici, cette fonction va permettre de revenir au statu quo ante c'est-àdire d’effacer les conséquences du fait dommageable. L’objectif est donc de réparer. A côté de cette fonction indemnitaire, il y a une autre fonction, la fonction normative. C’est une fonction morale à la fois de sanction et de régulation. Il s’agit avant tout par le biais de la responsabilité civile de sanctionner les comportements anormaux. Cette situation explique la place importante de la notion de faute dans cette seconde fonction. De son côté, l’idée de régulation permet de dégager une norme comportementale. Cette fonction normative est dans une certaine mesure une fonction préventive de la responsabilité civile qui prend ici un double aspect. Aspect de dissuasion et aspect de punition. Il est évident que ces deux fonctions de la responsabilité civile doivent être équilibrées en permanence. Elles sont consubstantielles. Dans le cadre de ce cours, on abordera préalablement des généralités relatives à la responsabilité (Partie préliminaire). Sera consacrée dans un premier temps une étude à la responsabilité contractuelle (Première partie). Elle fera l’objet d’un développement à part en raison du principe de non cumul de responsabilité. Ce principe justifie que l’on distingue aujourd’hui la responsabilité contractuelle de la responsabilité extra-contractuelle. Ensuite, nous aborderons la responsabilité extra-contractuelle et plus précisément le droit commun de la responsabilité civile (Deuxième partie). On distinguera deux conditions. Les conditions communes à l’ensemble des responsabilités, le préjudice et le lien de causalité et les conditions propres à chaque responsabilité en fonction du fait générateur, la faute, le fait des choses ou encore le fait d’autrui. Enfin, la responsabilité ne saurait être réduite à la distinction d'un régime délictuel et d'un régime contractuel. Le souci d'assurer une indemnisation satisfaisante aux victimes d'accidents corporels d'origines variées conduisit le législateur marocain à mettre en place des régimes spéciaux d'indemnisation, s'appliquant en l'absence aussi bien qu'en présence d'un lien contractuel entre la victime du dommage et son auteur. Se sont ainsi greffés sur le tronc commun de la responsabilité civile, une multitude de rameaux qui ne relèvent, à proprement parler, ni du régime général de la responsabilité délictuelle, ni de celui de la défaillance 5 contractuelle. En effet, au fil du temps, les régimes spéciaux d'indemnisation se sont multipliés. Leur raison d'être est l'indemnisation des victimes de dommages, ce qui est un des objectifs classiques de la responsabilité civile. Certains se rattachent à celle-ci, tandis que d'autres sont indépendants. C’est le cas en matière d'accidents de la circulation, d'accidents thérapeutiques ou d'accidents de la consommation résultant du défaut de sécurité des produits. On consacrera une étude de ces régimes spéciaux ainsi que le cas particulier des professionnels du droit comme les notaires et les avocats (Troisième partie). L’étude de toutes ces parties est nécessaire pour comprendre tous les enjeux du droit de la responsabilité civile. 6 PARTIE PRELIMINAIRE. GÉNÉRALITÉS On trouve dans tout système juridique organisé un système de responsabilité, plus ou moins complexe et plus ou moins diversifié. En droit civil, la responsabilité juridique désigne l'obligation « de répondre, d’être garant de ses actes, de réparer les dommages causés à autrui devant la justice et d'en assumer les conséquences civiles, pénales, disciplinaires, soit envers la victime, soit envers la société »3. Tel est le cas de la responsabilité dans l’ordre juridique marocain. Dans le langage juridique, l’expression « responsabilité civile » désigne l’ensemble des règles qui obligent l’auteur d’un dommage causé à autrui à réparer ce préjudice en offrant à la victime une compensation. La responsabilité civile vise, non pas à sanctionner, mais à réparer. C’est donc un régime de la sanction de réparation encourue du fait du dommage causé à autrui. Mais, au-delà de cette définition unanimement admise, une partie de la doctrine souligne que la notion de responsabilité n’a de sens véritable qu’en présence d’un homme libre et conscient, et que la fonction première de la responsabilité est de permettre à l’homme d’anticiper les conséquences de ses actes, et ainsi de prévenir les préjudices qu’il peut éventuellement causer 4. Comme dans la plupart des autres droits étrangers, le droit marocain impose aussi à tout individu une règle de comportement selon laquelle il lui est fait défense de préjudicier à autrui. Dès que cette règle est transgressée, et dès qu’un tort a été causé à quiconque, l’auteur du méfait s’expose à subir, à titre de sanction, les rigueurs de la responsabilité civile. En droit civil marocain, la responsabilité juridique est constituée au premier chef par les responsabilités délictuelles et quasi-délictuelles, dans lesquelles l’acte dommageable illicite se traduit par la violation d’une obligation, quelle qu’en soit l’origine c'est-à-dire légale, coutumière ou jurisprudentielle, que l’acte soit volontaire (délit civil) ou involontaire (quasi-délit-civil), par action et plus rarement par omission, et que le préjudice soit physique ou incorporel. Toutefois, quelqu’un peut encore être tenu à l’égard de la victime du fait d’un tiers. C’est ainsi le cas de la responsabilité du fait d’autrui prévue aux articles 85 et 86 du Dahir des Obligations et Contrats. Mais le « fait générateur » de responsabilité quasidélictuelle peut également résulter de certaines choses appropriées et gardées prévues aux articles 88 et 89 du Dahir des Obligations et Contrats. La responsabilité civile vise de nombreuses situations juridiques. Elle peut être soit délictuelle, soit quasi-délictuelle ou soit contractuelle. La responsabilité est contractuelle si le dommage causé résulte de l’inexécution d’un contrat liant le responsable et la victime. Cette situation est prévue par l’article 60 du Dahir 3 Le Littré, Grand Larousse Encyclopédique, t. 9, 1985 ; G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. PUF 2001, p. 770. G. Ripert, critiquant la théorie du risque, écrivait que "l'homme se sent responsable des dommages qu'il cause par sa faute, mais non de ceux qu'il cause par son fait sans avoir pu les prévoir ou les empêcher...", in La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 3e éd. 1935, n° 117. Ph. Le Tourneau, La verdeur de la faute dans la responsabilité civile, RTD civ. 1988, p. 505 s. Ph. Le Tourneau, L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2019/2020, n°4 s. 4 7 des Obligations et Contrats qui prévoit expressément l’obligation de réparer l’inexécution d’un contrat. Tel est le cas par exemple lorsqu’un acheteur reproche à son vendeur de lui avoir vendu une chose non conforme à ce qui était commandé ou bien encore si des travaux ont été mal exécutés. Ensuite, la responsabilité est délictuelle lorsque le dommage résulte d’une faute intentionnelle, c’est-à-dire s’il est causé volontairement. Enfin, la responsabilité est quasidélictuelle si le dommage résulte d’une faute non intentionnelle par exemple en cas d’imprudence, négligence, maladresse ou du fait d’une personne (enfant, salarié) ou encore d’une chose dont on doit répondre. En droit civil marocain, ces situations sont expressément prévues par les articles 77, 85 et 86 du Dahir des Obligations et Contrats. Dans les hypothèses des responsabilités délictuelles et quasi-délictuelles, il existe un fait juridique (par opposition à un acte juridique), déclenchant l’application d’une norme légale prévue par le Dahir des Obligations et Contrats qui, lorsque ses conditions sont réunies, se traduira par une indemnisation de la victime. Dans le cas de responsabilité contractuelle, celle-ci existe en présence d’un contrat inexécuté, mal exécuté ou exécuté avec retard. Ce fait donne naissance à une action en dommages et intérêts punitifs au profit du créancier, c'est-àdire une exécution en équivalent. C’est le paiement d’une somme d’argent pour compenser l’absence d’exécution. Cela relève de la fonction de peine privée de la responsabilité civile. Cette situation est prévue à l’article 264 du Dahir des Obligations et Contrats. L'obligation née d'un délit civil vise à réparer le dommage injustement causé, et donc à placer la victime dans l'état où elle se trouverait si le dommage n'était pas intervenu. Dans le droit positif marocain, le concept de responsabilité contractuelle assimile l'inexécution à une faute, et ses suites à un préjudice. Ici, le débiteur serait un coupable et le créancier une victime. La responsabilité civile à laquelle nous nous tiendrons dans le cadre de ce cours, est donc l’obligation de répondre devant la justice d’un dommage causé à autrui dont un intérêt légitime a été injustement lésé par un acte contraire à l’ordre juridique c'est-à-dire par un acte illicite, et d’en réparer les conséquences en indemnisant la victime. La responsabilité civile tente donc d’effacer par une réaction juridique les conséquences du fait perturbateur imputable à quelqu’un de ce désordre qu’il a créé et qui constitue une injustice. Le droit de la responsabilité civile a pour objectif principal : la réparation. Elle consiste à rétablir l’équilibre qui avait été rompu, par l’auteur du dommage, entre son patrimoine et celui de la victime. Traditionnellement, la responsabilité présente un double aspect. Un aspect préventif et un aspect punitif. L’aspect préventif a pour objectif de conduire les citoyens à agir avec prudence, afin d’éviter d’engager leur responsabilité par la crainte légitime de la sanction pécuniaire qu’elle engendre. Ici, la responsabilité permet, dans la mesure du possible, de prévenir la réalisation du dommage. De l’autre côté, l’aspect punitif a pour objectif d’obliger l’auteur d’un dommage causé à autrui de réparer ce préjudice en indemnisant la victime. Ce dernier caractère l’apparente à la responsabilité pénale, qui est l’obligation de répondre d’une 8 infraction commise et de subir la peine prévue par le texte qui la réprime 5. Dans l’ordre juridique marocain, la responsabilité civile délictuelle ou contractuelle se distingue de la responsabilité pénale6. Qu'elle soit la nature de la responsabilité, il faut retenir que le mécanisme qui la met en œuvre est toujours identique. Tout commence par un dommage, sans lequel il n’y a pas de responsabilité possible. Il est possible d’avancer qu’une indemnisation est mise à la charge de toute personne dont l’activité dommageable peut, de quelque manière, être qualifiée d’anormale. Cette anormalité constitue, en effet, le caractère commun des divers cas de responsabilité. L’acte dommageable se traduit, comme nous l’avons souligné, nécessairement par la violation d’une règle juridique, qu’elle qu’en soit l’origine (légale), que l’acte soit volontaire (délit civil) ou involontaire (quasi-délit civil). Si dans la responsabilité pénale, le préjudice social est une atteinte à l’ordre public suffisamment grave pour provoquer une forte réprobation sociale, les sanctions pénales constituent en des peines dont la fonction est essentiellement punitive et répressive. De l’autre côté, dans la responsabilité civile, le droit cherche à assurer aux individus la réparation de leurs dommages privés afin de remettre les choses en état, et de rétablir un équilibre qui avait disparu entre les membres du groupe. Contrairement à la sanction pénale, ici la sanction civile est double. Elle est à la fois restitutive et indemnisatrice. Toute la logique de la responsabilité civile est d’être une norme secondaire. Elle intervient seulement et principalement pour sanctionner la violation d'une norme primaire, norme qui prescrit un comportement donné. Si les règles de la responsabilité civile sont des normes secondaires, c’est parce qu’elles s'attachent à établir justement les conséquences juridiques de la violation des normes primaires 7. Une distinction doit être faite entre le domaine délictuel et contractuel. En effet, en matière délictuelle, ces normes primaires sont généralement considérées comme étant d'ordre public. Alors qu’en matière contractuelle, elles relèvent en revanche du principe de l’autonomie de la volonté des parties. Ici, les conséquences juridiques sont très importantes. Si en matière contractuelle, seule la volonté des parties peut former le contrat, cette volonté peut le défaire. Ce n’est pas le cas en matière délictuelle, puisque la notion d’ordre public s’impose à tous et la volonté des parties ne peut donc y déroger. 5 En droit privé, la responsabilité juridique la plus ancienne est la responsabilité pénale, existant lorsque l'acte dommageable est réprimé par un texte. La responsabilité pénale est l'obligation « de répondre des infractions commises et de subir la peine prévue par le texte qui les réprime ». Alors que la responsabilité civile est centrée sur la victime et l'indemnisation de son préjudice. Il s’agit de punir l’auteur du trouble qu'il a causé à l'ordre social. Lorsqu’un même fait constitue à la fois une infraction pénale et une faute civile, la victime peut profiter de ce que l’auteur du dommage comparaît devant le juge pénal pour demander à celui-ci réparation de son préjudice, par ce qui est nommé l’action civile. 6 Dès lors, la responsabilité juridique se subdivise, aux appellations elles-mêmes spécifiques. Ensemble, elles s'opposent aux responsabilités non juridiques, que ce soit la responsabilité morale (qui relève de la conscience), la responsabilité sociale (ne se traduisant que dans un jugement de valeur porté par les autres citoyens), ou la responsabilité politique (du gouvernement devant le Parlement et, d'une certaine façon, de tous les élus devant le peuple). 7 Selon la distinction de H. Hart, reprise par N. Bobbio, « Nouvelles réflexions sur les normes primaires et les normes secondaires », dans La Règle de droit, Bruylant [Bruxelles], 1971, p. 104 et s. 9 En principe en droit marocain la faute permet de fonder la responsabilité civile délictuelle ou contractuelle. En matière délictuelle, elle est prévue à l’article 77 du Dahir des Obligations et Contrats qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de la loi, cause sciemment et volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son auteur à réparer ledit dommage, lorsqu’il est établi que ce fait est la cause directe ». En matière contractuelle, elle est prévue à l’article 263 du Dahir des Obligations et contrats qui dispose que « les dommages-intérêts sont dus, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, et encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de la part du débiteur ». Ces règles permettent de fonder la mise en œuvre de la responsabilité civile. Cependant, il existe des atténuations à ces règles notamment en matière délictuelle par le recours à certains mécanismes juridiques. Le développement des assurances a par exemple dévié les règles relatives à la responsabilité civile délictuelle. Ici, ce n’est plus l’auteur du dommage qui supporte la réparation de sa faute mais son assureur. Tout ceci est de garantir une meilleure indemnisation de la victime. Par certains mécanismes juridiques, le droit marocain de la responsabilité à été bouleversé et a donné lieu à des cas de responsabilité sans faute. 10 CHAPITRE 1. LES FONCTIONS CLASSIQUES DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE Incontestablement au Maroc, comme d’ailleurs dans d’autres pays et en particulier la France, le droit de la responsabilité civile est orienté principalement vers la réparation des dommages. Dès lors, l’une des principales fonctions de la responsabilité civile consiste à assurer à la personne lésée la réparation de son dommage. En droit de la responsabilité, on insiste principalement sur deux fonctions. Une fonction réparatrice (Section 1), et une fonction normative (Section 2). Ces deux fonctions contribuent à la prévention des comportements antisociaux. Section 1. La fonction réparatrice de la responsabilité Ici, la fonction réparatrice consiste en une action dite en « réparation-compensation ». Elle est essentiellement guidée par l'objectif indemnitaire sans toutefois tenir compte d'une éventuelle faute de l'auteur du dommage. Dans cette fonction, la responsabilité juridique est protectrice. Elle oblige à réparer le dommage causé à autrui, dont un intérêt légitime a été injustement lésé par un acte contraire à l'ordre juridique autrement dit, par un acte illicite. Elle tente ainsi d'effacer, par une réaction juridique, les conséquences du fait perturbateur imputable à quelqu'un, de ce désordre qu'il a créé constituant une injustice, et ainsi d'apaiser la victime ou ses proches. Traditionnellement, la responsabilité civile met en scène deux sujets. L’auteur du dommage et la victime. Toute action en responsabilité implique en amont la rencontre dommageable de deux activités humaines. Son auteur doit en répondre, c'est-à-dire indemniser la victime afin de rétablir l'égalité qu'il avait rompue à son avantage. Comme nous l’avons déjà souligné, cet aspect indemnitaire de la responsabilité civile a, dans le domaine des dommages corporels, perdu une bonne part de son intérêt, notamment en raison des couvertures sociales et des assurances privées. Mais, la responsabilité s'efforce de maintenir un juste et fragile équilibre entre deux éléments contradictoires. La sécurité des personnes et leur liberté d'agir. Le droit, pour la victime d'un dommage causé par la faute de quelqu'un ou le fait d'une chose gardée, d'obtenir une indemnisation est un principe général du droit. En principe, la responsabilité implique toujours l'intervention d'une personne physique ou morale, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Ainsi, lorsque les conditions nécessaires à la mise en jeu de l'une des responsabilités admises par le droit positif marocain sont réunies, le devoir moral qui pesait sur l’auteur du dommage de réparer le préjudice se transforme en obligation juridique, sans que la volonté des acteurs intervienne en quoi que ce soit. Juridiquement, ce devoir moral devient alors un droit personnel au profit de la victime, dont l'auteur du dommage est le débiteur. Cette obligation s'inscrit alors à l'actif du patrimoine 11 de la victime et au passif de l’auteur du dommage. Ce droit personnel devient alors un bien, ayant pour objet une valeur, celle du préjudice 8. A ce principe général qui vient d’être énoncé, il y a également des hypothèses dans lesquelles une limitation de la réparation a été prévue soit par les parties, soit par des Conventions internationales (par exemple, en matière de transport) ou encore par la loi. Pour la limitation prévue par la loi, il y a par exemple le cas de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cette législation est d'ordre public dans laquelle l'assuré ne peut pas refuser le statut d'assuré social avec toutes les conséquences qui s'y rattachent. De même qu’en matière contractuelle, le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts prévus ou prévisibles9. En dehors de ces exceptions, la règle de l'indemnisation, dite de la réparation intégrale, est que l'indemnisation doit compenser tout le dommage 10. La jurisprudence de la Cour de cassation rappelle que « le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties. Il va de soi que, dans l'hypothèse où la victime a été reconnue partiellement responsable de son propre dommage, la réparation sera limitée à la part qui ne lui incombe pas »11. Qu’en est-il de la fonction normative de la responsabilité civile ? Section 2. La fonction normative de la responsabilité En principe, la responsabilité civile a pour rôle de fixer des limites, des interdits et donc des normes. Elle est donc destinée à empêcher et faire cesser les dommages. Cette fonction permet au juge d’édicter des normes de conduite sociale toutes axées autour de l’idée de ne pas causer injustement un dommage à autrui. La responsabilité apparaît comme un contrepoids à la liberté d’action et aux excès individuels. Cette responsabilité fondée sur la faute a donc un rôle à la fois normatif, sanctionnateur et dissuasif. Elle est centrée sur l’auteur du dommage et comme il s’agit de le sanctionner, il est logique d’exiger une faute. En droit privé, les citoyens disposent d'un droit personnel permettant dès l’origine d'empêcher, d'arrêter les actes qui risquent de leur causer un préjudice 12. D’un point de vue processuel, lorsqu’il y a une urgence, le juge des référés peut ordonner toutes les mesures qui lui paraissent s'imposer pour empêcher un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble 8 V. qualifiant la créance de réparation de la victime de « valeur patrimoniale » faisant partie des « biens » du créancier, CEDH 6 oct. 2005, n° 1513-03 et n° 11810-03 [2 arrêts], D. 2005. 2546, note M.-C. de Montecler, JCP 2006. II. 10062, note A. Gouttenoire et S. Simon-Porchy, RCA 2005, 327, note C. Radé, RTD civ. 200, 743, obs. J.-P. Marguénaud, et 798, obs. T. Revet. 9 V. Dommages et intérêts ; Droit de la responsabilité et des contrats, 2019/2020, nos 1032 et s. 10 La réparation intégrale est considérée comme un « principe » en quelque sorte autonome par la Cour de cassation, dans la mesure où il lui arrive de le viser seul, sans l'appuyer sur aucun texte ; exemples Civ. 2e, 19 juin 2008, n° 07-14.805, Gaz. Pal. 8 janv. 2009, n° 8, p. 10, note C. Quézel-Ambrunaz ; Civ. 2e, 18 sept. 2008, n° 07-16.340 ; Civ. 2e, 22 janv. 2009, nos 07-20.878 et 08-10.392, D. 2009. 1114, note R. Loir, Gaz. Pal. 25 mars 2009, n° 85, p. 10, note S. Saleh et J. Spinelli. 11 V. sur la faute de la victime, Droit de la responsabilité et des contrats, 2019/2020, nos 1869 et s; Y. Le Magueresse, Des comportements fautifs du créancier et de la victime en droit des obligations, avant-propos Ph. le Tourneau, préf. D. R. Martin, 2007, PUAM. 12 V. dans le même sens, S. Grayot, Essai sur le rôle des juges civils et administratifs dans la prévention des dommages, thèse Paris I, 2006, not. nos 453. 12 illicite. Disposant d'un pouvoir souverain, le juge des référés devient alors le juge ordinaire de la cessation de l'illicite, en raison de sa rapidité 13. Par exemple, il peut ordonner la saisie de toute publication ou film portant atteinte aux droits de la personnalité, qui n'aurait pas encore été divulgué. En droit commercial, il peut prendre toute mesure pour empêcher qu'un acte de concurrence déloyale qui n'a pas encore été nocif, le devienne. Si le fait illicite est déjà perpétré et le dommage réalisé, dans ce cas la responsabilité va sauvegarder, pour l'avenir, le droit bafoué en supprimant la situation. Par exemple, toute construction immobilière réalisée en violation des règles de l'urbanisme, le tribunal ordonnera tout simplement sa démolition. 13 13 C. Bloch, La cessation de l'illicite. Recherche sur une fonction méconnue de la responsabilité civile extracontractuelle, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, 04/2008; Civ. 2e, 15 nov. 2007, n° 07-12.304 , Bull. civ. II, no 255. Le juge des référés apprécie souverainement le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble qu'il constate. CHAPITRE 2. LES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ Par conditions, on entend les raisons d’ordres juridiques qui justifient la mise en œuvre d’une responsabilité. La responsabilité civile ne peut se concevoir sans dommage puisque sa finalité est de rétablir la victime dans l’état antérieur à l’accident Si un dommage ou un préjudice est une condition nécessaire de la réparation, il ne s’ensuit pas que n’importe quel dommage donne ouverture à une action en responsabilité. En effet, en droit civil marocain, la responsabilité civile n'est engagée qu'en présence de la réunion de trois éléments, constituant les conditions d'ouverture. Il s’agit de l'existence d'un dommage par la victime, d’un fait générateur de responsabilité imputable à l’auteur du dommage et d’un lien de causalité unissant ce fait générateur au dommage. De plus, il n’y a de responsabilité que si un dommage peut être prouvé par le demandeur qui est la victime. L’analyse des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats fait apparaître clairement de la nécessité d’un dommage (Section 1), qui doit présenter un certain nombre de caractères (Section 2). Section 1. La nécessité d’un dommage En droit civil marocain de la responsabilité le dommage est un élément essentiel. Pour que la responsabilité soit engagée, il faut que la victime souffre d’un dommage. Il y a donc une nécessité d’un dommage, et selon la jurisprudence et notamment dans un arrêt de la 2 ème chambre civile de la Cour de Cassation du 28 octobre 1954 « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu »14. Il en résulte alors qu’en droit marocain, pour engager la responsabilité civile délictuelle, il faut établir un dommage 15 ou un préjudice16. Juridiquement, il n’y a pas d’action en responsabilité sans préjudice à réparer. Donc, pas de préjudice, pas de responsabilité civile. Cette nécessité d’un dommage vaut aussi bien en matière délictuelle que contractuelle. En matière délictuelle, elle résulte essentiellement des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. L’article 77 du D.O.C. dispose que « Tout fait quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de la loi, cause sciemment et volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son auteur à réparer ledit dommage, lorsqu’il est établi que ce fait est la cause directe ». Ce texte subordonne l’obligation de réparer à l’existence d’un dommage à autrui. De son côté, l’article 78 du D.O.C. dispose que « Chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par son fait, mais 14 Civ. 2e, 28 oct. 1954, Bull. civ. II, n° 328, JCP 1955. II. 8765, RTD civ. 1955, 324, obs. H. et L. Mazeaud. C’est un fait brut à l’origine de la lésion affectant la personne. 16 C’est la conséquence de cette lésion. 15 14 par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute est la cause directe ». Ces articles et d’autres comme les articles 85, 88 et 89 du Dahir des Obligations et Contrats supposent également un « dommage ». Quant à l’article 98 du Dahir des Obligations et Contrats, celui-ci parle de perte effective éprouvée et de gain dont le demandeur est privé. Sous le vocable perte éprouvée, on doit comprendre tout appauvrissement occasionné par le fait dommageable. C’est le cas par exemple d’un préjudice matériel résultant des frais d’hospitalisation ou des frais de justice. Par gain manqué on désigne tous les profits que l’agissement d’un tiers responsable a empêché de réaliser. Tel est le cas par exemple de l’interruption d’études causés par un accident. De l’autre côté, en matière contractuelle, on y voit aussi la même nécessité d’un dommage, au motif que l’article 263 du Dahir des Obligations et Contrats, en cas de retard dans l’exécution ou l'inexécution d’une obligation, n’envisagerait la condamnation du débiteur à des dommages et intérêts que « s’il y a lieu », sous-entendu ici s’il y a un dommage. Quant à l’article 264 du Dahir des Obligations et Contrats, il évalue les dommages et intérêts d’après la perte faite par le créancier et le gain qu’il a manqué, d’où il s’en suit, qu’en l’absence de perte ou de manque à gagner, c’est-à-dire de préjudice, il n’y a pas lieu à « responsabilité contractuelle ». Pourtant, dans le Dahir des Obligations et Contrats, nous ne trouvons aucune définition légale du dommage. Face à cette absence de définition légale du dommage, la jurisprudence a fixé les conditions auxquelles doit satisfaire un dommage pour permettre à la victime d’obtenir réparation. En effet, la constatation et l’évaluation du dommage relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond qui « constatent l’existence du dommage par l’évaluation, qu’ils en font »17. Donc, le droit à réparation implique l’existence d’un dommage. Alors, pour que la responsabilité soit engagée, il faut absolument que la victime souffre d’un dommage, qu’il soit physique ou moral18. Il en résulte que le droit civil marocain tend à postuler à l’existence du fait générateur de responsabilité à partir de la constatation d’un dommage, qui absorbe lui-même la notion de préjudice 19. Si seul un dommage « qualifié » est pris en considération, toute ouverture au droit à réparation nécessite que le dommage doit toutefois présenter certains caractères. 17 Civ. 3e, 8 juillet 1987, n°85-15.193, bull. civ. II, n°150. V. Ph. Berg, De l’atteinte aux intérêts incorporels en droit de la réparation des dommages. Essai d’une théorie en droit français et allemand, thèse Strasbourg, 2003, passim, ne fût-il pour l’instant qu’un risque, dès lors « qu’il porte en lui-même les conditions de sa réalisation », Civ. 1re, 28 nov. 2007, n° 06-19.405. 19 Le principe n’est plus « toute faute appelle réparation », mais « tout dommage appelle condamnation ». Dans cet enchaînement, l’existence d’un mal devient le centre de gravité de la responsabilité ; la faute pourrait tout aussi bien s’analyser comme la commission d’un mal, le préjudice comme la souffrance d’un mal et la réparation comme la guérison d’un mal. C. Labrusse-Riou, Entre mal commis et mal subi : les oscillations du droit, dans La responsabilité. La condition de notre humanité, Autrement, « Série Morales », n° 14, 1994, p. 94 et s. 18 15 Section 2. Les caractères du dommage Si en principe le droit à réparation implique l’existence d’un dommage, pour la jurisprudence, la seule preuve exigible est que le dommage doit être certain (§1), direct et légitimement revendiqué (§2). § 1. Le caractère certain et direct du dommage Si la jurisprudence exige que le dommage doit être certain, cela signifie qu’il n’y a pas de doute sur sa réalité. Le dommage doit être la suite directe de l’accident de telle sorte que la victime immédiate puisse exercer une action en réparation. Pour mettre en œuvre la responsabilité, le dommage doit, selon l’article 77 du Dahir des Obligations et contrats, être la conséquence directe du fait générateur. D’un point de vue procédural, la preuve du dommage doit être établie par la victime. C’est la raison pour laquelle la victime devra démontrer soit une perte éprouvée due à l’appauvrissement occasionnée par le fait dommageable, par exemple que la chose à été détruite ou détériorée, soit un gain manqué résultant du dommage subi, par exemple en droit du travail ou en droit commercial le fait de subir une concurrence déloyale. Aussi, pour la jurisprudence, le préjudice futur peut également être considéré comme certain. Ainsi, le dommage certain peut être futur et être ainsi indemnisable si sa survenance est inévitable. Tel est le cas par exemple de la victime d’un grave accident de circulation dont l’infirmité s’aggrave au fil des années et donc une impossibilité d’exercer une activité professionnelle. Dans un arrêt de la Cour suprême marocaine en date du 13 décembre 1962 a affirmé que « la perte d’une chance constitue en principe, non un dommage purement éventuel et hypothétique, mais un préjudice certain et actuel dont la victime peut demander réparation ». Il en résulte que le préjudice est certain si la perte d’une chance existe réellement, c'est-à-dire probable que l’événement se réalise. Ainsi, la personne qui invoque la perte d’une chance se plaint généralement d’avoir, par le fait dommageable d’un individu, raté une occasion qui lui aurait été véritablement bénéfique et profitable. C’est le cas par exemple d’un avocat négligent qui ne respecte pas un délai de procédure et fait perdre une chance à son client de gagner un procès. De même, l'étudiant qui se fait renverser par une voiture la veille de son examen peut en demander la réparation. Toutefois, il n’y aura pas d'indemnisation que si les études poursuivies étaient suffisamment avancées au moment où l’accident a mis fin à la carrière envisagée. Ce type de préjudice amène à distinguer deux éléments, le gain espéré et le gain escompté. Le gain espéré doit être définitivement perdu pour que le préjudice soit certain. Par exemple, l’examen est passé ou l’action judiciaire forclose, c'est-à-dire qu’il n’est plus possible de l’exercer. Le gain escompté signifie que rien n’établit que l’étudiant ou le client, dans des conditions normales, le demandeur à l’action aurait réussi. Dans ces deux cas le préjudice est éventuel et ce type de préjudice ne peut donner lieu à indemnisation si l’éventualité ne s’est pas réalisée. Lorsqu’ils analysent le préjudice, les juges disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation pour estimer la probabilité du gain espéré et vérifier si la chance est 16 suffisamment sérieuse, réelle et importante. Enfin, il y a aussi des situations dans lesquelles des victimes indirectes. Ce sont les victimes par ricochet. Ces victimes peuvent avoir souffert personnellement et immédiatement d’un préjudice qui leur est propre notamment de la perte d’un proche ou d’un soutien matériel que la victime apportait. Dès lors, les proches de la victime peuvent exercer une action pour faire réparer à titre personnel leur propre préjudice. On parle alors de préjudice par ricochet. Qu’en est-il du caractère légitime de l’intérêt ? §2. Le caractère légitime de l’intérêt D’un point de vue processuel, l’article 1 er du code marocain de procédure civile dispose que « ne peuvent ester en justice que ceux qui ont qualité, capacité et intérêt pour faire valoir leurs droits ». Pour que le demandeur soit recevable à agir, il doit justifier d’un intérêt légitime juridiquement protégé. Il doit être suffisamment important et sérieux. En droit marocain, le terme « intérêt juridiquement protégé » est employé pour désigner l’élément constitutif d’un droit. Ainsi, une juridiction peut rejeter l'action en réparation intentée par exemple par l'enfant adultérin de la victime, tandis que la jurisprudence affirme que l'action de la fiancée en réparation du préjudice subi du fait du décès de son fiancé ne remplissait pas la condition de recevabilité résultant de l'exigence de « la lésion certaine d'un intérêt légitime juridiquement protégé »20. La victime indirecte ne pouvait demander réparation que si elle établissait l'existence d'un lien juridique la liant à la victime directe. Enfin, est dépourvu de conséquences juridiques par exemple le fait de se faire marcher sur les pieds dans une file d’attente. Il n’y pas dans cas d’intérêt légitime pour saisir le tribunal. Section 3. Les variétés de dommages réparables Traditionnellement, on distingue trois sortes de dommages. Le dommage corporel (§1), le dommage matériel (§2) et le dommage moral (§2). §1. Le dommage corporel Le dommage corporel est l’atteinte portée à l’intégrité physique de la personne. Il peut aller de la simple égratignure ou blessure à la mort de l’individu. La gravité du dommage est évaluée au moyen d’une expertise médicale. Par exemple, en matière d’accident de circulation, le dommage corporel causé à des tiers doit être réparé selon les conditions prévues par le Dahir du 2 octobre 1984. Le rôle du médecin est primordial dans la procédure d’indemnisation des victimes d’accidents de la voie publique. De manière générale, la victime peut d’une part soit souffrir d’une perte réelle et effective par exemple la perte d’un proche ou encore les frais chirurgicaux, et d’autre part soit de la privation d’un profit escompté par exemple l’impossibilité pour une personne de reprendre son activité professionnelle. 20 Civ. 27 juillet 1937. 17 §1. Le dommage matériel Le dommage matériel21 résulte de l’atteinte aux biens de la victime notamment par la détérioration ou la destruction d’objets mais encore de la perte économique résultant de certains agissements fautifs comme par exemple des actes de concurrence déloyale. Cette situation est prévue par l’article 84 du D.O.C. qui pose clairement le principe du droit à réparation. De son côté l’article 264 du D.O.C., prévoit que le préjudice matériel peut résulter « de la perte effective que le créancier a éprouvée » c'est-à-dire un dommage naissant ou « le gain dont il a été privé », c'est-à-dire la perte du profit escompté et non réalisé. Par exemple, en cas de dommage causé à un véhicule, le juge prend en compte les dégâts matériels c'est-àdire les frais de réparation et attribue à la victime une valeur de remplacement égale au prix d’achat. La victime doit bénéficier d’une réparation intégrale. §1. Le dommage moral Sous le vocable usuel de dommage moral sont rangés des dommages extrêmement divers. Souvent opposé au dommage corporel, le dommage moral est celui qui atteint le monde de l’immatériel des pensées et des sentiments. C’est un droit extra-patrimonial, attaché à la personne et résulte notamment de la souffrance psychique ou de l’atteinte à l’honneur, à la considération, à l’image, ou à la vie privée de l’individu. En matière d’indemnisation deux aspects doivent être pris en compte. L’aspect matériel et l’aspect moral. L’aspect matériel inclut par exemple les frais pharmaceutiques ou encore les pertes de salaires. L’aspect moral traduit quant à lui la diminution du bien être général de l’individu ayant subi le dommage. 21 Le terme de dommage matériel est restrictif, et il aurait été préférable et plus juste de parler de dommage patrimonial, ce qui correspond à la lésion d’un droit ayant une valeur pécuniaire. 18 CHAPITRE 3. LE FONDEMENT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE : LA FAUTE Pendant longtemps la question du fait générateur de la responsabilité consistait à rechercher le fondement commun à tous les régimes de responsabilité civile. Cette question est l’une des questions les plus controversées du droit civil marocain en général et du droit des obligations en particulier. Cette controverse s’explique parce que le sujet est lié à des conceptions d’ordres morales, philosophiques, sociales et économiques. A cet égard, au Maroc, le débat juridique fait apparaître qu’en droit civil la faute de l’auteur du dommage est considérée comme l’unique fondement de la responsabilité civile. C’est la théorie traditionnelle (Section 1). Mais, dans le domaine économique, cette théorie traditionnelle a été considérée pour une partie de la doctrine dominante comme insuffisante. Une évolution s’est alors produite, tendant à faire admettre de plus en plus largement des cas de responsabilités sans faute. C’est une transformation de la faute subjective en faute objective dans laquelle il n’a aucune culpabilité et impunité. Dans ce nouveau type de responsabilité, deux théories ont été proposées. La théorie du risque et la théorie de garantie. Elles sont considérées comme étant des théories modernes de la responsabilité civile (Section 2). Section 1. La théorie traditionnelle de la faute Dans la théorie traditionnelle, la faute est un manquement à la règle de bonne conduite sociale. Elle est considérée comme le fondement essentiel de la responsabilité civile. A cet égard, les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats sont parfaitement clairs. Ces textes consacrent une responsabilité fondée sur la faute. Ainsi, toute personne qui par sa faute a commis un dommage doit donc le réparer. Quelle qu’elle soit la faute, omission ou abstention, intentionnelle ou non, l’auteur d’une faute doit indemniser la victime qui a subi un dommage. Dans le contentieux civil marocain, on retrouve une typologie de la faute (§2). Conformément au droit commun, elle doit être prouvée (§1). §1. L’exigence d’une faute prouvée Le législateur marocain ne fait aucune distinction par rapport au degré de gravité de la faute. Mais, il exige toujours sa présence. D’une manière très générale, la faute peut être définie comme une erreur de conduite au sens où l’on n’a pas agi comme on aurait dû le faire. Cette conception conduit à une responsabilité subjective parce qu’elle suppose de juger la conduite de l’auteur pour en déduire s’il est ou non responsable. Elle suppose alors une analyse du comportement blâmable de l’individu. 19 Cette exigence d’une faute prouvée comporte trois justifications qui sont d’ordres moral, social et philosophique. Elle est morale, d’abord, dans la mesure où les règles de droit de la responsabilité sanctionnent le devoir moral de ne pas nuire à autrui injustement. Ensuite, sociale dans la mesure où la responsabilité fondée sur la faute est un instrument de prévention des comportements dommageables. Si une personne sait qu’elle doit répondre de ses actes et donc de ses fautes, elle sera amenée à se conduire avec prudence. Enfin, philosophique puisque chacun doit supporter son destin, sauf si le dommage provient de la faute d’autrui. Toutefois, la responsabilité civile est aussi pour partie objective, puisqu’elle nécessite l’existence d’un dommage, qui est un fait. Pourtant, dans certains cas, la lecture du Dahir des Obligations et Contrats fait apparaître que celui-ci n’utilise pas le terme de « faute » mais celui de « fait ». Il en est ainsi par exemple de l’article 86 du Dahir des Obligations et Contrats relatif à la responsabilité du propriétaire d’un animal qui a causé un dommage, de l’article 89 du Dahir des Obligations et Contrats relatif du propriétaire d’un bâtiment qui cause un dommage par sa ruine, des articles 85 et 85 bis relatifs du Dahir des Obligations et Contrats relatif des parents du fait de leurs enfants, des commettants de leurs préposés, des artisans de leurs apprentis et des instituteurs du fait des élèves. Si la faute est au cœur de la responsabilité du fait personnel tel que le Dahir des Obligations et Contrats l’a conçu, pour la responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses, elle est une présomption. Pour ces deux types de responsabilités, la responsabilité est fondée sur la faute mais il s’agit d’une faute présumée et non prouvée. En effet, dans la théorie traditionnelle, la doctrine considère que ces responsabilités ne consacraient pas des cas de responsabilité sans faute mais établissaient des présomptions de fautes. C’est le cas par exemple de la présomption de défaut d’éducation ou de surveillance pesant sur les parents dont l’enfant a causé un dommage. La lecture de ces articles du Dahir des Obligations et Contrats relatifs à ces responsabilités fait apparaître que le terme « faute » n’est pas employé par le législateur marocain. Pourtant, pour la théorie traditionnelle, la faute reste le fondement unique de la responsabilité civile. C’est ce qui résulte expressément des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats, pour qui la faute constitue à la fois le fait générateur de responsabilité et le fondement traditionnel du droit à réparation. Tout cela est valable aussi bien pour la faute délictuelle commise dans les relations avec les tiers que pour la faute contractuelle consistant en une inexécution du contrat. Pour la doctrine marocaine, la faute reste la source principale de la responsabilité. Elle estime que « toutes les pertes et tous les dommages qui peuvent arriver par le fait de quelque personne doivent être réparés par celui dont l’imprudence ou autre faute y a donné lieu. Car c’est un tort qu’il a fait, quand même il n’aurait pas eu l’intention de nuire ». Cette doctrine semble être confortée par l’article 78 alinéa 3 du Dahir des Obligations et Contrats qui définit, contrairement au code civil français, formellement la notion de faute qui « consiste soit à omettre ce que l’on était tenu de faire, soit à faire ce dont on était tenu de s’abstenir sans intention de causer un dommage ». Il s’agit ici de ce que l’on appelle la faute non intentionnelle qui donne lieu à une responsabilité quasi-délictuelle. 20 Dans le langage courant, la faute peut aussi bien s’appliquer à un fait intentionnel qu’à un fait non intentionnel. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence marocaine opte pour la notion de faute en intégrant et assimilant le simple fait d’imprudence ou de négligence à une faute. Cette tendance jurisprudentielle est d’ailleurs confortée par l’article 78 du Dahir des Obligations et Contrats qui définit aussi formellement la notion de faute qui consiste « soit à omettre ce que l’on était tenu de faire soit à faire ce dont on était tenu de s’abstenir sans intention de causer un dommage ». Certains auteurs ont pu affirmer de façon générale que « le dommage, pour qu'il soit sujet à réparation, doit être l'effet d'une faute ou d'une imprudence de la part de quelqu'un : s'il ne peut être attribué à cette cause, il n'est plus que l'ouvrage du sort, dont chacun doit supporter les chances; mais s'il y a faute ou imprudence, quelque légère que soit leur influence sur le dommage commis, il en est dû réparation »22. De l’ensemble de ces textes du Dahir des Obligations et Contrats relatifs à la responsabilité civile, il résulte que le dommage, pour qu’il soit sujet à réparation, doit être l’effet d’une faute. §2. La typologie de la faute On retrouve dans le Dahir des Obligations et Contrats une typologie de la faute selon quatre degrés à savoir : intentionnelle23, inexcusable24, lourde25 et légère26. Mais, traditionnellement, les juristes distinguent classiquement deux grands types de fautes. Faute intentionnelle et faute non intentionnelle. Dans la faute intentionnelle, l’idée générale admise en matière délictuelle est que l’auteur du dommage agit dans l’intention de causer un dommage. Alors que dans la faute non intentionnelle, il y a simplement une erreur de conduite ayant causé un dommage. Cette erreur de conduite est appréciée par la jurisprudence marocaine de manière in abstracto, c'est-à-dire se demander ce qu’aurait fait une même personne dans les mêmes circonstances. Le critère d’appréciation in abstracto tient compte d’éléments psychologiques. Se pose alors la question de savoir si le mineur et l’infirme sont civilement responsables ? La réponse à cette question se trouve dans les articles 96 et 97 du Dahir des Obligations et Contrats qui posent le principe de l’irresponsabilité du mineur et des sourds muets et infirmes. Ce principe semble être justifié par la notion de discernement. C’est, 22 Fenet, Recueil…, t. 13, p. 488. La faute intentionnelle se caractérise par le fait que la volonté s’est portée à la fois sur l’acte et ses conséquences. Non seulement l’auteur a voulu agir d’une certaine façon, mais il a recherché le dommage qui devait en résulter. On peut penser raisonnablement que l’intention de nuire est inhérente à la faute intentionnelle. L’idée générale admise en matière délictuelle est qu’il y a faute intentionnelle ou délit lorsque l’auteur du dommage a agi dans l’intention de causer un dommage. 24 La faute inexcusable se définit comme une faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire. 25 La faute lourde est la faute particulièrement grossière. 26 La faute légère ou très légère qui est l’erreur de conduite à laquelle tout individu est exposé, est le plus souvent la faute de négligence révélant une défaillance dans l’attention ou d’imprudence, c'est-à-dire manque ou insuffisance de réflexion sur la suite de ces actes. 23 21 semble-t-il, une condition non seulement de la mise en œuvre de la responsabilité civile, mais aussi de l’imputabilité de la faute. En droit civil marocain, commettre une faute suppose donc de pouvoir discerner le bien et le mal. En dehors de la faute, les dommages accidentels peuvent être aussi source de responsabilité. Dans ce cas, le fait générateur est alors celui de la chose ou d’une personne, ou plus généralement un événement : l’accident. Le fondement du droit à réparation n’est plus alors une faute à l’origine du dommage mais le risque, dont l’accident n’est que la réalisation. Le droit du travail et le droit des accidents de la circulation sont les meilleures illustrations des responsabilités engagées en cas de dommages accidentels nés de « situations à risques ». En droit civil marocain, l'ensemble des divers cas de responsabilité et même la défaillance contractuelle possèdent un caractère commun, qui est l'anormalité. Une réparation est mise à la charge de toute personne dont l'activité dommageable peut, de quelque manière, être qualifiée d'anormale27. Section 2. Les théories modernes de la faute Au fur et à mesure des transformations économiques et sociales de la société marocaine, la théorie traditionnelle de la faute est apparue insuffisante comme seul fondement de la responsabilité. Ainsi, avec l’industrialisation, l’essor du machinisme et le développement des automobiles ont conduit à une multiplication de la dangerosité et par conséquent une aggravation des accidents. On parle alors de plus en plus d'accidents du travail, d'accidents de la route ou encore d'accidents médicaux. Vis-à-vis de tous ces accidents, on pouvait en matière civile difficilement identifier l’auteur du dommage ou encore apporter la preuve d’une faute quelconque. Bien souvent, il n’y a pas de faute à la source de l’accident. La victime se trouve alors dans l’impossibilité de prouver une faute et risque donc de ne pas être tout simplement indemnisée. Si la notion de faute est imprégnée de moralité et de subjectivité, elle va dans ces nouveaux types d’accidents apparaître comme très étroite pour être alors l’unique fondement de la responsabilité civile. C’est donc pour pallier certaines insuffisances de la faute et garantir l'indemnisation de la victime, que la responsabilité civile avait besoin de nouveaux fondements. Progressivement, la doctrine et la jurisprudence ont admis la possibilité d’une responsabilité sans faute justifiée par la théorie du risque (§1) ou la théorie de garantie (§2). Dans ces deux théories, la faute n’a véritablement pas disparu de la responsabilité. Il y a juste le passage d’une conception subjective à une conception objective de la faute. §1. La théorie du risque Comme nous l’avons précédemment vu, dans la conception traditionnelle, le Dahir du Obligations et Contrats pose comme principale source de responsabilité civile la faute personnelle. Cette responsabilité est subjective, c'est-à-dire liée au comportement de la 27 V. d'une façon générale, S. Chassagnard, La conformité en droit privé français, thèse Toulouse, 2000, spéc. nos 902 et s. ; J.-C. Saint-Pau, Responsabilité civile et anormalité, Mélanges C. Lapoyade-Deschamps, PU Bordeaux, 2003, p. 249. 22 personne responsable. Cette conception était, pour une partie de la doctrine, devenue insuffisante pour répondre à l’évolution de la société, et notamment aux bouleversements sociaux créés par l’essor industriel entraînant alors de nombreux accidents, et donc de nombreuses victimes. Le risque professionnel devenant de plus en plus dangereux, la notion classique de faute n’est alors plus adaptée du fait de l’impossibilité d’attribuer une responsabilité. Avec ces nouveaux types d’accidents, la faute exclut la possibilité pour les victimes d’être indemnisées, en raison notamment de l’incapacité d’en déterminer la cause et à plus forte raison d’en apporter la preuve. Il fallait donc développer d’autres fondements que la faute. Sous l’impulsion de la doctrine, notamment Saleilles et Josserand, il a donc été question de développer une responsabilité écartée de la notion de faute, une responsabilité objective. Ce fût la théorie du risque. Elle fait reposer la responsabilité civile sur le risque. Ainsi, toute personne doit assumer la responsabilité du dommage dont elle a créé le risque. Cette responsabilité tend à reconnaître aux victimes l’existence d’un droit à l’indemnisation, indépendant de toute faute. Il ne s’agit plus ici d’un problème moral d’appréciation d’une conduite humaine mais d’une appréciation d’une responsabilité sans faute. Dans un arrêt en date du 29 juin 1896 dit « Teffaine », la Cour de cassation française prend en considération cette théorie pour reconnaître un principe général de responsabilité fondé sur le risque professionnel. Il y a une création du juge qui donne naissance à une responsabilité de plein droit indépendante de toute idée classique de faute. Donnant naissance à la responsabilité objective du fait des choses, elle fut consacrée en droit français par l’article 1384 du code civil, et en droit marocain par les articles 85 et 88 du Dahir des Obligations et Contrats. Incontestablement, cette théorie du risque a aussi exercé une influence sur le droit positif marocain. C’est le cas des lois 18-01 et 06-03 du 29 relatives à la réparation des accidents du travail qui reposent sur l’idée de risque et plus particulièrement sur le risque professionnel. Ces lois prévoient la responsabilité de l’employeur même en l’absence de faute de sa part. D’autres législations admettent aussi la responsabilité sans faute des entreprises au motif qu’elles tirent des profits considérables de leurs activités. A ce titre, elles doivent prendre en charge les dommages causés. C’est parfaitement aussi le cas de la législation relative à la responsabilité des produits défectueux issue de la loi n°24-09, qui confirme le rejet de notion classique de la faute en exigeant uniquement un défaut du produit qui soit la cause directe du dommage. Plus encore, et toujours dans cet esprit d’indemnisation des victimes d’accidents, la jurisprudence à, dans certains cas, écarter l’exigence d’une faute et à admettre ainsi une responsabilité sans faute. Dans un arrêt de la Cour de cassation française en date du 13 février 1930 dit « Jand’heur », concernant un cas d’accident mécanique dû à un camion, a admis que le manquement à une obligation de sécurité est suffisant pour permettre l’indemnisation des victimes incapables de faire jouer les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Par une interprétation littérale de ces textes, cette jurisprudence affirme « qu’il n’est pas nécessaire d’être fautif pour être responsable ». Le risque suffit à engager la responsabilité. Il y a donc une présomption de responsabilité pesant par exemple sur le gardien de la chose, rejetant ainsi toute idée de faute. Par leur pouvoir créateur de normes juridiques, les juges ont 23 donc établi le système de la responsabilité du fait des choses, qui est une responsabilité sans faute. En technique juridique, grâce à cet important arrêt, l’exigence de la faute a disparu et la responsabilité objective du fait des choses était alors tout simplement née. Mieux encore, cette jurisprudence va connaître une évolution dans le domaine de la responsabilité du fait d’autrui en consacrant une responsabilité de plein droit des parents. C’est ici une objectivation de la responsabilité des parents. Leur responsabilité peut être engagée en l’absence de toute faute. Ici, la responsabilité s’est transformée en responsabilité fondée sur le risque créé par l’activité de l’enfant. A cet égard, pour la doctrine « ce qui justifie la responsabilité parentale, ce n’est plus le souci de sanctionner une mauvaise éducation ou une surveillance insuffisante, c’est la volonté de donner à la victime du dommage causé par un mineur une garantie d’indemnisation, celle-ci étant mise à la charge des répondants naturels de l’enfant qui sont ses père et mère »28. Enfin, sur le plan purement juridique, cette théorie du risque n’a été possible que parce qu’elle s’accompagne d’un développement de certains mécanismes juridiques comme l’assurance. Qu’en est-il de la théorie de la garantie ? §2. La théorie de la garantie La théorie de garantie est l’œuvre de Boris Starck qui reproche aux deux autres théories, la faute et le risque, de ne rechercher le fondement de la responsabilité civile que par référence au seul auteur du dommage, en examinant si celui-ci a été fautif, ou bien si, par son activité, il a engendré un risque. Pour cet auteur, il faut aussi se placer du point de vue de la victime puisque la responsabilité résulte d’une comparaison entre l’attitude de celle-ci et le comportement de l’auteur du dommage. Plus précisément, la théorie de la garantie par du postulat selon lequel chacun a droit au respect de son intégrité corporelle et de ses biens. Ce droit doit être protégé contre toute atteinte. Ainsi, lorsque les dommages subis par la victime s’analysent comme une violation d’un droit juridiquement protégé, dans ce cas l’atteinte à ses droits implique une sanction condamnant le responsable du dommage. Cette sanction, à titre de garantie, n’est d’autre que la réparation de toute atteinte à sa personne ou à son patrimoine. Dans ce cas-là, il n’y a pas de faute à exiger du responsable. Pour cette théorie, la victime d’un dommage a droit à la sécurité et que l’atteinte à ce droit, comme n’importe quel droit protégé, appelle et justifie une sanction. Comme pour la théorie du risque, la théorie de garantie permet d’expliquer l’existence d’une responsabilité sans faute, c'est-à-dire une faute objective. Comme pour la théorie du risque, incontestablement, cette théorie de garantie a aussi exercé une influence sur le droit positif marocain et notamment le Dahir du 2 octobre 1984 relatif à l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des véhicules terrestres à moteur. 28 G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, LGDJ, Bibliothèque droit privé, t.35, 1965. 24 Qu'elle soit subjective ou objective, qu'elle soit intentionnelle ou non, quelle que soit sa gravité et son auteur, en droit civil marocain toute faute entraîne tout logiquement la responsabilité. 25 CHAPITRE 4. LE LIEN DE CAUSALITÉ Causalité, imputation ou imputabilité sont des notions qui permettent d’établir un rapport entre le dommage, qui est la condition sine qua none de la responsabilité civile et la réparation par un responsable. Tous ces termes désignent une catégorie juridique de classification interne au droit de la responsabilité civile dans laquelle doit être rangé le fait de celui dont la responsabilité civile est recherchée. C’est ce que l’on appelle le lien de causalité. Constituant l’une des trois conditions essentielles à la mise en œuvre de la responsabilité civile, on le définit comme un lien de cause à effet qui rattache le fait générateur d’un dommage au préjudice subi par la victime. En tant que dernière condition de la mise en œuvre de la responsabilité civile, elle suppose la preuve d'une relation causale entre le « fait générateur » et « le dommage ». Mais, lorsque cette condition de causalité n'est pas remplie, il évident qu’il n'y a pas de responsabilité, ou pour reprendre les termes de la doctrine « il n'existe pas de responsabilité sans un minimum de causalité »29, car « c'est une exigence fondamentale de la raison et de la justice que l'auteur d'un dommage ou d'un tort moral ne soit tenu de le réparer que si ce préjudice est en rapport d'effet à cause avec un fait ou un état de choses qui réalise pour lui un chef de responsabilité »30. En droit marocain, comme d’ailleurs dans d’autres droits et notamment français, aucun texte n'emploie le terme même de causalité. Pourtant, cette exigence semble se déduire des principaux textes relatifs à la responsabilité civile31, mais elle n'est pas posée en tant que telle par les textes légaux. Il revient alors à la jurisprudence de la Cour de cassation dont le rôle est de préciser cette notion de causalité en droit de la responsabilité civile. Ce rôle semble être justifié par le fait que c’est une question de droit sur laquelle s'exerce donc le contrôle du juge de cassation. En revanche, la preuve de ce lien de causalité étant une question de fait, elle relève alors exclusivement de l'appréciation souveraine des juges du fond. Il faut retenir que généralement, la causalité est une condition essentielle de la responsabilité civile quel que soit le fait de rattachement de la responsabilité recherchée. Ainsi, une personne n'est tenue à réparation que dans la mesure où le fait qui lui est imputable est dans un rapport de causalité juridique avec le dommage. Il va aussi de soi qu’une personne est exonérée de toute responsabilité si un fait ne lui est pas imputable. En droit civil marocain pour engager la responsabilité d’une personne, qu'elle soit morale ou physique, il ne suffit pas d’établir l’existence d’un fait générateur et d’un dommage pour que la victime soit fondée à se prévaloir d’un droit à indemnisation. Pour que naisse justement l’obligation de réparation, encore faut-il que soit établie l’existence de cause à effet et prouver, conformément au droit 29 L. Mayaux, Naissance d'un enfant handicape : la Cour de cassation au péril de la causalité, RGDA. 2001, p. 13-21. 30 H. Deschenaux, Norme et causalité en responsabilité civile, Stabilité et dynamisme du droit dans la jurisprudence du Tribunal Fédéral Suisse, Mélanges offerts au Tribunal fédéral suisse, Helbing & Lichtenhahn Verlag,1975, p. 399-430. 31 Article 77 du Dahir des Obligations et Contrats « Tout fait quelconque de l'homme qui, sans l'autorité de la loi, cause sciemment et volontairement à autrui un dommage matériel ou moral… ». 26 commun, que tel dommage à sa source dans le fait générateur. Mais, cette exigence de causalité semble implicitement être imposée par plusieurs fondements textuels aussi dans le domaine délictuel ou contractuel. En matière délictuelle se sont les fameux articles 77 et 78 Dahir des Obligations et Contrats. D’abord, l’article 77 oblige « l’auteur du dommage à réparer ledit dommage lorsqu’il est établi que son fait en est la cause directe ». De même, l’article 78 indique et implique que « la faute soit la cause directe du dommage ». Il en résulte alors que pour obtenir réparation la victime devra prouver que la faute d’un individu ou que la chose dont il avait la garde a contribué à la réalisation du dommage qui lui a été causé. Le fait dommageable doit avoir été la « cause génératrice » du dommage, de même que la chose doit avoir joué un rôle actif dans la production du dommage. Ce principe est justifié par les termes des articles 77 et 78 et suivants du Dahir des Obligations et Contrats. Tous ces textes légaux exigent expressément que le fait, la chose, l’animal ou encore le bâtiment causent le dommage. De l’autre côté, en matière contractuelle, l’article 264 du Dahir des Obligations et Contrats nous parle de la « conséquence directe de l’inexécution ». Pour le juriste cela laisse entendre l’existence aussi d’un tel lien de causalité. Mais, là aussi, seul le préjudice direct pourra être réparé. Car seul, il est rattaché par ce lien de cause à effet à l’acte illicite, c'est-àdire le fait générateur, imputable donc au responsable. La liste des textes du Dahir des Obligations et Contrats faisant implicitement référence à cette exigence de causalité est encore longue. Tout cela témoigne de l’importance de cette condition dans la mise en œuvre de la responsabilité civile. Mais, pour être pris en considération, le lien de causalité doit cependant présenter deux caractères. Il doit être non seulement direct mais aussi certain. Ainsi, le lien de causalité est direct si le dommage occasionné se rapporte à la faute de son auteur. De même, si la victime ne rapporte pas la preuve de l’existence certaine d’un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage causé, aucune indemnité ne pourra lui être allouée. A ce sujet, comme nous l’avons déjà souligné, en étant une question de fait, la preuve du lien de causalité relève exclusivement de l'appréciation souveraine des juges du fond. Parfois, dans certaines situations juridiques, l’appréhension de ce rapport même de causalité est source de nombreuses difficultés. Alors deux théories de la causalité juridique ont été élaborées par la doctrine 32. La théorie de l’équivalence des conditions et la théorie de la causalité adéquate. La théorie de l’équivalence des conditions considère que tout événement sans lequel le dommage n’aurait pas pu se produire doit être envisagé comme une cause du dommage et oblige son auteur à réparation. Elle retient comme fait causal, parmi les multiples facteurs qui sont intervenus, celui sans l'existence duquel le dommage n'aurait pas pu se réaliser. La théorie de la causalité adéquate est celle dans laquelle il convient de retenir comme cause adéquate tout fait qui, au moment où il s'est produit, pouvait apparaître comme susceptible d'entraîner le dommage. Autrement dit, tous les faits qui ont concouru à la production du 32 Cette théorie a été formulée par un auteur allemand dans les années 1880. V. sur cette question, G. Marty, La relation de cause à effet comme condition de la responsabilité civile (étude comparative des conceptions allemande, anglaise, et française), RTD civ. 1939, p. 685-712, spec. p. 686. 27 dommage ne sont pas des causes juridiques. Il s’agit alors pour le juge de sélectionner, parmi la multitude de causes, celle qui a joué un rôle majeur dans la réalisation du dommage. Dans cette théorie, la notion de causalité remplit une double fonction. Elle est à la fois une condition générale de la responsabilité civile et aussi un critère fixant une limite raisonnable à l'obligation de réparer. Cette théorie pose des limites au champ de la responsabilité civile. Quoi qu'il en soit, ces deux théories laissent une certaine marge d’appréciation au juge. Mais dans la réalité, lorsque le juge souhaite trouver un responsable, il lui faudra une conception large de la causalité. Son choix portera alors sur la théorie de l’équivalence des conditions. En revanche, lorsqu’il souhaite écarter la responsabilité, le juge adoptera alors une conception plus restrictive de la causalité et optera donc pour théorie de la causalité adéquate. 28 PREMIÈRE PARTIE LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE33 Si on considère que les trois importants piliers du droit privé que sont la famille, la propriété et le contrat34, on constate alors que la responsabilité n'y figure pas. Peut-être, par prétérition, est-ce l'idée que la responsabilité contractuelle relève d'une problématique d'exécution35ou d’inexécution, et se trouve subsumée dans le mécanisme contractuel global, tandis que la responsabilité pure, pour faute, relèverait finalement d'un autre ordre que le droit. Autrefois désignée par l'expression de défaillance contractuelle, elle est aujourd’hui dénommée la « responsabilité contractuelle ». Si le contrat et la responsabilité fonctionnent en couple, ils semblent cependant fournir de nouveaux principes au système juridique. Le contrat tire sa puissance du fait qu'il véhicule le consentement, tandis que la responsabilité est la marque des pouvoirs. Généralement, l'obligation née d'un délit civil vise à réparer le dommage injustement causé, et donc à placer la victime dans l'état où elle se trouverait si le dommage n'était pas intervenu. De son côté, le concept de responsabilité contractuelle assimile faussement l'inexécution à une faute et ses suites à un préjudice. Ici, le débiteur serait un coupable et le créancier une victime. Mais, cette vision moralisatrice ne correspond pas à la finalité du régime de la défaillance contractuelle. Cette défaillance obéit à des modalités particulières, distinctes de celles qui ont cours dans la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle. Elles sont destinées à permettre le respect dans le temps de la volonté initiale des parties, et à maintenir l'équilibre de leurs prestations réciproques. Dans les relations contractuelles, le contrat est principalement destiné à assurer la création et la circulation des richesses, mais aussi à échanger des biens et des services. Le contrat n'a donc pas pour finalité de réparer des dommages. Dans le contentieux contractuel, en principe, s’il existe une différence entre l'attente légitime de l'une des parties et ce qu'elle a reçu, il peut y avoir alors une exécution par équivalent ou en nature. Dans ce cas, les conditions de mise en œuvre de la responsabilité n’ont pas lieu d’être. Là encore, le contrat n'est pas générateur d'une norme de comportement. Il est tout simplement un instrument créateur d'obligations. C’est donc un instrument de prévision et non d'indemnisation. Alors on peut définir, la responsabilité contractuelle comme l'ensemble des règles relatives à l'obligation pour le contractant, qui n'exécute pas correctement la prestation mise à 33 J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, 13e éd., 1988, P.U.F. Ch. Larroumet, Droit civil, t. 3, Les obligations, Ire partie, 1986, Economica. Ph. Malaurie et L. Aynes, Droit civil. Les obligations, 1985, Cujas, nos 460 et s. G. Marty et P. Raynaud, Droit civil. Les obligations, 2e éd., t. 1, Les sources, 1988, Sirey, nos 532 et s. H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, t. 2, 1er vol., 7 e éd., 1985, par F. Chabas, 2e vol., 6 e éd., 1984, par Gianviti, Montchrestien. - Starck, Roland et Boyer, Droit civil. Obligations, t. 2, 2e éd., 1986, Litec, nos 1371 et s. - G. Viney, La responsabilité : conditions, 1982 ; La responsabilité : effets, 1988, L.G.D.J. ; A. Weill et F. Terré, Droit civil. Les obligations, 4e éd., 1986, Précis Dalloz, nos 386 et s. 34 Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 8e éd. LGDJ, 1995. 35 Critique du système français de responsabilité civile, Droits et Cultures, 1996/1, p. 31 et s. ; La « responsabilité contractuelle », histoire d'un faux concept, Revue 1997.329 et s. 29 sa charge par le contrat, de réparer le préjudice que cette inexécution, totale ou partielle, cause à l'autre partie. Lorsque l'obligation contractuelle, quel que soit son objet (faire, ne pas faire, donner), n'est pas respectée, une obligation de répondre civilement du dommage lui est substituée. Cette réparation s'effectue le plus souvent, nous déjà souligné, par équivalent, c'est-à-dire par l’octroie d'allocation de dommages et intérêts. En droit civil marocain, la responsabilité contractuelle se distingue assez nettement de la responsabilité délictuelle. Elles se différencient d'abord par leurs sources. L'une est la conséquence de la violation d'une obligation contractuelle, tandis que l'autre découle de l'inobservation d'une obligation imposée directement par la loi. Si le fondement et la portée de cette dualité diffèrent sans doute par leurs sources, leurs conditions et leurs régimes ne sont pas identiques. C’est la raison pour laquelle, on parle parfois, non de deux responsabilités, mais plutôt de deux régimes de responsabilité 36. Mais contrairement à certains droits étrangers, les règles du droit positif marocain varient, sur plusieurs points, selon le type de responsabilité. La responsabilité contractuelle suppose évidemment l'inexécution d'un contrat. Il en résulte, et c'est là sans doute la différence la moins contestée, qu'elle est appréciée en prenant en considération le type de contrat en cause et les accords particuliers convenus entre les parties. En revanche, en matière délictuelle, le fait générateur est défini de façon générale, qu'il s'agisse de la faute au sens des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats, ou du fait des choses dont on a la garde prévu par l’article 88 du Dahir des Obligations et Contrats. Mais à cela s'ajoutent des différences relatives à la mise en œuvre du droit de la victime et à la réparation de son préjudice. Les principales différences concernent l'exigence d'une mise en demeure, la possibilité ou l'impossibilité d'obtenir réparation du dommage imprévisible, la validité ou la nullité des clauses restrictives de responsabilité, la durée différente de la prescription, la compétence des tribunaux, ou le règlement des conflits de lois dans le temps ou dans l'espace. Ces distinctions imposent une délimitation du domaine de chacune des branches de la responsabilité. Mais, deux grands principes doivent être rappelés, l'un donne la clef de la délimitation, l'autre interdit l'option entre les deux régimes, ainsi que leur combinaison. Concernant les domaines respectifs de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, la jurisprudence retient un principe de répartition entre les responsabilités. Ainsi, chaque fois qu'un contractant subit un dommage qui résulte de l'inexécution par l'autre partie d'une obligation née du contrat, la responsabilité est toujours contractuelle. Dans tous les autres cas, la responsabilité éventuellement encourue est donc délictuelle. Appelée aussi responsabilité extracontractuelle, cette dernière responsabilité a donc une vocation générale. De ce principe de répartition, la jurisprudence a consacré un principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle. Ce principe jurisprudentiel signifie qu’il est interdit à la victime, non seulement de cumuler ou de combiner les deux régimes de responsabilité, mais encore de choisir l'un ou l'autre. Si les conditions de mise en jeu de la 36 V. J. Huet, Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle. Essai de délimitation entre les deux ordres de responsabilité, thèse, Paris, 1978. 30 responsabilité contractuelle sont réunies, ses règles doivent donc s'appliquer. A défaut, il convient logiquement de se référer aux règles relatives à la responsabilité délictuelle. Mais, dans certains cas, il arrive que la victime ait tout intérêt à se prévaloir d'un régime plutôt que de l'autre. Ainsi, par exemple, le régime de la responsabilité délictuelle peut lui offrir une prescription plus longue ou encore lui permettre d'échapper à une clause restrictive de responsabilité. En sens inverse, dans d'autres cas, la responsabilité contractuelle s'avère plus avantageuse, notamment par le jeu d'une obligation de sécurité ou de renseignements qui incombe à l'autre partie. Quelques soient les avantages ou les inconvénients du type de responsabilité, la jurisprudence n'autorise pas la victime à choisir les règles qui lui sont les plus favorables. Ainsi, les articles 77 et suivants du Dahir des Obligations et Contrats, ne peuvent pas être invoqués à l'appui d'une demande tendant à la réparation d'un préjudice résultant, pour l'une des parties à un contrat, d'une faute commise par l'autre partie dans l'exécution d'une obligation contractuelle. Cette interdiction de choisir entre responsabilité, délictuelle ou contractuelle, résulte d’un ancien arrêt de la chambre civile de la Cour de la cassation française en date du 11 janvier 1922 qui affirme « que si un contractant demande réparation d'un dommage que lui cause l'inexécution d'une obligation contractuelle incombant à l'autre partie, il ne peut pas se prévaloir de la conception large de la faute » 37, telle qu'elle est entendue tout naturellement en droit civil marocain en application de l'article 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Pour éviter toute confusion, cette jurisprudence consacre le principe du non-cumul des responsabilités comme une règle de droit. Par conséquent, la Cour de cassation en vérifie la bonne application par les juges du fond. Parfois, il peut arriver que d’un point de vue procédural, la victime n'indique pas le type de responsabilité qu'elle invoque ou fonde sa prétention. Dans ce cas, l’article 3 du Code marocain de procédure civile précise que, « le juge doit statuer dans les limites fixées par les demandes des parties et ne peut modifier d’office ni l’objet, ni la cause de ces demandes. Il doit statuer toujours conformément aux lois qui régissent la matière, même si l’application de ces lois n’est pas expressément requise par les parties ». De ce texte, il résulte alors que les juges du fond doivent donc rechercher quelle est la responsabilité qui s'applique à l'espèce 38. Comme tout principe, ce principe du noncumul des responsabilités est tempéré aussi par quelques exceptions jurisprudentielles. Dans un arrêt de la chambre criminelle, en date du 15 juin 1923, la Cour de cassation française considère que, « lorsqu'une action civile est engagée devant une juridiction pénale, la 37 Civ. 11 janv. 1922, D.P. 1922. 1. 16 ; Civ. l re, 30 oct. 1962, D. 1963. 57, note P. Esmein ; 9 mars 1970, Bull. civ. I, n° 87, RTD civ. 1971. 139, obs. G. Durry ; Civ. 2 e, 9 avr. 1970, Bull. civ. II, n° 118, RTD civ. 1971. 143, obs. G. Durry ; Civ. 3e, 29 avr. 1987, Bull. civ. III, n° 90. 38 Le juge est parfois autorisé par la Cour de cassation à rechercher la règle applicable sans solliciter les observations des parties. En effet, les parties doivent s'attendre à ce que le juge examine leurs prétentions à la lumière de chacune des règles envisageables. Elles sont donc à même de discuter des faits sous chacune des qualifications dont ils sont susceptibles. Parfois, lorsque le demandeur a précisé le fondement de sa demande, les juges du fond peuvent substituer d'office un type de responsabilité à l'autre, mais à condition d'avoir invité les parties à présenter leurs observations comme l'exigent les dispositions de l'article 32 du code marocain de procédure civile. Si une cour d'appel estime que la responsabilité ne peut pas être appréciée en dehors du contrat, alors que le demandeur s'est prévalu des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats, elle ne doit pas se borner à rejeter la demande, car il lui appartient de se prononcer sur l'éventuel droit à une réparation, en fonction des règles contractuelles. 31 responsabilité civile qui découle de l'infraction ne peut être que délictuelle, quand bien même les faits reprochés auraient été accomplis dans l'exécution d'un contrat »39. Aussi, dans un autre arrêt, en date du 9 janvier 1928, affirme que si « les juridictions civiles estiment que la personne lésée peut former devant elles une demande sur le fondement de la responsabilité contractuelle, au motif que le dommage invoqué résulte, non pas de l'infraction, mais de l'exécution défectueuse du contrat »40. En droit civil marocain, la responsabilité contractuelle à ses principales sources non seulement dans les articles 259 et suivants du Dahir des Obligations et Contrats, mais aussi les articles 230 à 262 du Dahir des Obligations et Contrats qui concernent étroitement la matière, dans la mesure où ils précisent le contenu et les effets de l'obligation. Dans le prolongement de ces règles écrites, la jurisprudence a exercé, dans le domaine de la responsabilité contractuelle, une impressionnante fonction créatrice, notamment en mettant à la charge des parties des obligations qu'elles n'avaient pas envisagées dans le contrat. C’est le cas par exemple des obligations de sécurité, d'information ou de conseil. Enfin, contrairement à la responsabilité délictuelle, la volonté des contractants joue un rôle très important. En matière contractuelle, il leur est loisible, dans certaines limites, d'aménager le régime de leur éventuelle responsabilité. Mais, comme toute responsabilité, la mise en jeu de la responsabilité contractuelle suppose elle aussi la réunion de certaines conditions. Lorsqu'elles sont ainsi rassemblées, le contractant est tenu de réparer le dommage subi par l'autre partie. Si des règles légales peuvent être modifiées par des clauses particulières du contrat, il y a cependant de nombreuses règles communes aux responsabilités contractuelle et délictuelle. 39 Crim. 15 juin 1923, D.P. 1924. 1. 135 ; 12 déc. 1946, D. 1947. 94, J.C.P. 1947. II. 3621, note R. Rodière ; 17 mai 1966, D. 1966. 471, rap. M. Pompéi, J.C.P. 1966. II. 14703, note M. de Juglart. 40 Civ. 9 janv. 1928, S. 1928. 1. 127 ; Com. 17 nov. 1987, Bull. civ. IV, n° 24. 32 CHAPITRE 1. LES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE En matière contractuelle, deux types de conditions sont à distinguer. Les unes sont de véritables conditions de fond, dans la mesure où elles sont inhérentes à la matière. En effet, il faut qu'un contractant n'ait pas exécuté correctement une obligation née du contrat, et que cette défaillance ait causé un dommage à l'autre partie. Mais, le droit civil marocain prévoit aussi des conditions, à caractère formel ou procédural, spécifiques à la responsabilité contractuelle, et que le demandeur doit respecter pour pouvoir mettre efficacement en œuvre son droit à indemnisation. Il s'agit ici principalement de l'exigence d'une mise en demeure et de la nécessité d'agir dans un délai déterminé devant le tribunal compétent. Section 1. Les conditions de fond Le propre de la responsabilité contractuelle réside dans le fait que le dommage provient de l'inexécution d'un contrat. Alors, pour la mettre en œuvre, il faut établir la violation d'une obligation contractuelle et le préjudice qui en résulte. Mais, si l'inexécution de l'obligation contractuelle suppose un fait imputable au débiteur, encore faut-il que le préjudice se soit produit dans un cadre de rapports contractuels. §1. La nécessité d’un lien contractuel entre la victime et l’auteur du dommage Pour que la responsabilité soit contractuelle, trois conditions doivent être réunies. D’abord, un contrat valablement conclu entre les parties (A), ensuite, une obligation, dont la méconnaissance est invoquée (B), et enfin que celle-ci a son origine dans le contrat (C). A. Un contrat valablement conclu En droit civil marocain, la responsabilité contractuelle ne peut être mise en jeu que si un contrat s'est valablement formé entre la victime et celui dont la responsabilité est recherchée. Or, la question se pose parfois de savoir si une relation contractuelle s'est bien nouée. Ici, l'enjeu peut être décisif notamment en raison des différences entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle. Si en principe, les problèmes relatifs à l'existence du contrat doivent se résoudre conformément aux règles générales du Dahir des Obligations et Contrats, certaines décisions judiciaires n'ont pas hésité à déformer les concepts juridiques pour fonder une solution plus favorable à la victime. En effet, après des hésitations, la jurisprudence a admis, dans un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation française en date du 20 mai 1936, « qu'un contrat s'est bien formé entre le médecin et son client, sauf s'il a donné des soins d'urgence à un malade inconscient ou s'il fait partie d'une équipe chirurgicale et n'a pas eu de contact 33 préalable avec le patient »41. De même, est contractuelle par exemple la responsabilité d'une colonie de vacances qui organise une randonnée et prête aux enfants des bicyclettes42. Dans certains cas, la jurisprudence est hésitante et n'est pas tout à fait uniforme. C’est le cas par exemple de la responsabilité du fabricant de produits pharmaceutiques à l'égard des utilisateurs, où les juges du fond ont admis le recours aux règles contractuelles 43, tandis que d’autres juges ont fait tout simplement application des règles de la responsabilité délictuelle 44. La première solution paraît plus conforme à la position de la jurisprudence de la Cour de cassation qui accorde au sous-acquéreur contre le vendeur fabricant une action directe de nature « nécessairement contractuelle ». Face à cette jurisprudence hésitante et même flottante, il appartient donc à la victime qui fonde son action sur les règles de la responsabilité contractuelle d'établir l'existence d'un contrat. Par exemple, le seul fait qu'une personne ayant voulu utiliser les toilettes d'un restaurant n'implique pas l'existence d'un contrat de restauration, faute de preuve qu'elle ait commandé une consommation avant de s'y rendre. Mais, en revanche, si elle fait une chute dans l'escalier qui y conduit, elle ne peut pas se prévaloir de la responsabilité contractuelle 45. Normalement, la preuve du contrat se fait conformément aux règles de droit commun prévues par l’article 443 du Dahir des Obligations et Contrats. En droit civil marocain, un écrit est obligatoirement nécessaire si l'acte porte sur une valeur supérieure à 10 000 dirhams, sauf exception prévue par la loi, c'est-à-dire une production d'un commencement de preuve par écrit prévue par l’article 447 du Dahir des Obligations et Contrats ou encore de l’impossibilité matérielle ou morale d'exiger un écrit, à laquelle la jurisprudence assimile l'usage, pour certains contrats, tel que le contrat médical, de ne pas rédiger un écrit. Parfois, en raison de l'absence de tout lien contractuel, la responsabilité contractuelle n'a pas été retenue par la jurisprudence lorsqu'aucun contrat n'a été conclu entre le demandeur et le défendeur. Ici, la responsabilité ne peut être alors que logiquement délictuelle. Il en est, par exemple, de la responsabilité du transporteur, en cas d'accident subi par une personne qui voyage sans titre régulier de transport46. La responsabilité est encore délictuelle, lorsque, bien qu'un contrat ait été conclu, le dommage s'est produit une fois les relations contractuelles terminées. C’est le cas par exemple du voyageur qui est allé plus loin que la gare où il devait descendre47 ou encore le cas du locataire qui continue à occuper abusivement les lieux malgré l'expiration ou la résiliation du contrat de bail 48. Il en va de même de toute responsabilité apparue avant la conclusion d'un contrat. Ici, la responsabilité dite précontractuelle est toujours délictuelle49. Ainsi, toute faute commise en cours de négociations préalables à la 41 D.P. 1936. 1. 88, concl. P. Matter, rap. Josserand, note E.P. Civ. 1 re, 27 janv. 1982, Gaz. Pal. 1982. 2. 537, note F. Chabas. 43 D. 1971. 73, note M. Plat et M. Duneau. 44 D. 1979, I.R. 350, obs. C. Larroumet, J.C.P. 1980. II. 19360, note P. Boinot, Rev. trim. dr. civ. 1979. 799, obs. G. Durry. 45 Civ. 1 re, 22 mars 1977, D. 1977, I.R. 437, obs. C. Larroumet. 46 Civ. 2 e, 5 oct. 1988, D. 1988, I.R. 255 ; Trib. grande inst. Paris, 5 mai 1982, Gaz. Pal. 1982. 1. Somm. 188, Rev. trim. dr. civ. 1982. 604, obs. G. Durry ; Paris, 26 mars 1987, D. 1987, I.R. 115. 47 Civ. 1 re, 12 déc. 1978, D. 1979, I.R. 174, Bull. civ. I, n° 386. 48 Civ. 3e, 26 oct. 1971, Bull. civ. III, no 509. 49 J. Schmidt, La sanction de la faute précontractuelle, Rev. trim. dr. civ. 1974. 46. 42 34 conclusion d’un contrat, en particulier une rupture abusive, constitue une faute au sens des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Si un contrat a été conclu, mais s'avère après nul, toute responsabilité encourue à propos de sa conclusion ou de son éventuelle exécution est alors purement délictuelle 50. Il en est en particulier lorsque l'attitude d'une partie a vicié le consentement de l'autre partie 51. Peu importe même que la nullité ne puisse plus être prononcée, en raison, par exemple, de la prescription, puisque la faute a été commise avant la conclusion de l'acte52. En revanche, la responsabilité qui résulte de la résiliation d'un contrat est contractuelle. Cette situation résulte de l’article 259 du Dahir des Obligations et Contrats. Enfin, au Maroc, il y a une responsabilité particulière qui soulève parfois des difficultés spécifiques. C’est la responsabilité des officiers ministériels. Lorsqu'ils agissent dans le cadre des attributions qui leur sont propres, leur responsabilité est ordinairement considérée comme délictuelle, même à l'égard de leurs clients, au motif qu'ils exercent une fonction publique en vertu de la loi. Cette qualification s'applique notamment à la responsabilité des notaires53ou celle des huissiers de justice. Mais, leur responsabilité peut être contractuelle lorsqu'ils agissent en dehors de leur monopole, en particulier en qualité de simple mandataire. En revanche, la responsabilité des avocats envers leurs clients ne peut être ici que contractuelle, puisqu’ils ne sont pas des officiers ministériels. Si le contrat est valablement conclu entre les parties, encore faut-il que la responsabilité recherchée provienne d’un manquement à une obligation contractuelle. Mais alors comment cette obligation est-elle perçue par la jurisprudence? B. Une obligation contractuelle En matière contractuelle, lorsque la responsabilité est recherchée, il ne suffit pas simplement d'établir l'existence d'un contrat entre le demandeur et l’auteur du dommage. Il faut aussi prouver que le dommage provient de l'inexécution d'une obligation qui se rattache au contrat. Sur cette notion d’obligation contractuelle, la jurisprudence en fait une conception large. Pour elle, il peut s’agir, non seulement des obligations que les parties ont expressément envisagées, mais aussi de celles qui découlent implicitement de la nature du contrat et du but de l'opération. Ainsi, pour déterminer toutes ces obligations, il faut se référer aussi bien aux règles générales concernant l'interprétation des contrats, mais également aux règles spécifiques de l'acte juridique en cause. A ce sujet, en droit marocain des contrats, l’article 231 du Dahir des Obligations et Contrats constitue une directive capitale, en énonçant que « tout engagement doit être exécuté de bonne foi, et oblige, non seulement à ce qui y exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l’usage et l’équité donnent à l’obligation d’après sa nature ». Ainsi, les obligations 50 Com. 7 mars 1972, Bull. civ. IV, n o 83, RTD civ. 1972. 780, obs. G. Durry ; J. Ghestin, Le contrat, 1988, L.G.D.J., nos 937 et s. 51 Pour une erreur, Civ. 3 e, 29 nov. 1968, Gaz. Pal. 1969. 1. 63. 52 Dans le cas d'un dol : Civ. 1re, 4 févr. 1975, D. 1975. 405, note C. Gaury, J.C.P. 1975. II. 18100, obs. C. Larroumet, RTD civ. 1975. 537, obs. G. Durry. 53 V. J. de Poulpiquet, La responsabilité civile et disciplinaire du notaire, L.G.D.J., 1974. 35 qui, sans avoir été explicitement stipulées dans le contrat, lui sont attachées en vertu de dispositions légales, ont une nature contractuelle. S'appuyant sur la référence faite à l'équité par l’article 231 du Dahir des Obligations et Contrats, la jurisprudence a, comme nous l’avons déjà précédemment souligné, décelé certaines obligations que les parties n'avaient pas envisagées et que la loi avait ignorées. La plus célèbre est certainement l'obligation de sécurité que les tribunaux ont d'abord imposée au transporteur de personnes. Depuis un célèbre arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation française en date du 21 novembre 191154, a affirmé que le transporteur a « l'obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination ». Par la suite, cette obligation de sécurité a été mise à la charge de certains professionnels. Lorsqu'une telle obligation pèse par exemple sur un fournisseur de services, son inexécution donne lieu à l'application des seules règles de la responsabilité contractuelle55. Au Maroc, cette obligation de sécurité a été reconnue par plusieurs lois. On citera à titre d’exemple, la loi 31-08 relative à la protection du consommateur, la loi 24-08 relative à la sécurité des produits et des services ou encore la loi 28-07 relative à la sécurité sanitaire des produits alimentaires. Par toutes ces lois, le principe de l’obligation de sécurité est posé notamment dans la responsabilité du fait des produits défectueux en affirmant que « le producteur, le fabricant ou le vendeur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ». Aussi, dans de nombreux autres contrats, la jurisprudence a également découvert d’autres obligations comme les obligations d'information ou de conseil qui pèsent lourdement sur les professionnels. Elle précise que de telles obligations sont nécessairement contractuelles, par exemple, celle qui impose à tout fabricant ou vendeur d'un produit dangereux d'avertir les acheteurs éventuels des risques encourus56. En droit positif marocain, on retrouve cette obligation d’information à l’article 1 er de la loi 31-08 relative à la protection du consommateur. Généralement, toutes ces obligations apparaissent après la conclusion du contrat. Elles ne doivent donc absolument pas se confondre avec l'obligation précontractuelle de renseignements. Dans les négociations contractuelles, cette obligation a tout simplement pour rôle essentiel de permettre à l’une des parties de contracter en toute connaissance de cause 57. Parfois, d'autres obligations ont, de la même manière, été greffées sur un contrat. C’est le cas par exemple de l'obligation pour le médecin d'assurer une certaine garde et d’être considéré comme dépositaire d'un bijou que son assistante a retiré du cou d'un malade avant un examen radiologique58. Il reste, cependant, qu'en pratique l'étendue ou même l'existence d'une obligation contractuelle soulève parfois des difficultés. Il arrive, en effet, que la volonté des parties se soit clairement exprimée. Dans ce cas, il convient alors de la respecter, sauf en cas de 54 1re esp., D.P. 1913. 1. 249, note L. Sarrut, S. 1912. 1. 73, note C. Lyon-Caen. Civ. 1 re, 9 mars 1970, Bull. civ. I, n° 87, RTD civ. 1971. 139, obs. G. Durry. 56 Civ. 1re, 31 janv. 1973, Bull. civ. I, n° 40. 57 J. Ghestin, Le contrat, 2e éd., 1988, nos 457. 58 Civ. 1 re, 22 nov. 1988, Gaz. Pal. 1989.1. Panor. 10. 55 36 contrariété avec un texte impératif ou d'ordre public. À défaut de stipulation claire, dans ce cas, il appartient au juge d'user de son pouvoir d'interprétation pour décider souverainement de l'existence et de l'étendue de l'obligation. Ainsi, l'existence d'une obligation contractuelle de sécurité à la charge de l'exploitant d'un magasin commercial ou de manière générale un lieu ouvert à la clientèle, comme un centre commercial, est parfois incertaine. Dans une telle situation, la jurisprudence exige que le responsable du lieu prenne seulement des précautions pour assurer la sécurité de ses clients. Sa responsabilité n’est alors engagée que lorsque le dommage résulte d'un mauvais aménagement des locaux ou d'objets mis en vente, par exemple à la suite d'une glissade 59, d'une chute sur un escalier roulant 60 , d'un accident lors de la descente d'un rideau de fer 61, ou encore de l'explosion d'une bouteille d'eau ou boisson gazeuse62. Mais, une fois la vente conclue se pose la question de savoir si le vendeur est tenu d'une obligation contractuelle de sécurité pour les dommages causés par la chose vendue. Ici, la jurisprudence reste aussi incertaine. Il est évident qu’à l'égard des tiers, la responsabilité du vendeur ne peut être qu’une responsabilité délictuelle. En revanche, le problème est différent vis-à-vis des acheteurs. Cette obligation contractuelle de sécurité pour les dommages causés par la chose vendue est souvent occultée par l'utilisation fréquente de la garantie des vices cachés prévue à l’article 549 du Dahir des Obligations et Contrats. Ainsi, par exemple dans le cadre du recours du vendeur contre le fabricant ou pour un défaut de conception, l'obligation de résultat qui en résulte est évidemment contractuelle. Mais cela suppose la démonstration d'un vice conformément à l’article 554 du Dahir des Obligations et Contrats. La même exigence d'un rapport suffisant avec l'obligation contractuelle s'applique à ce que l'on appelle parfois la sécurité des choses. Par exemple, les dégâts que cause un entrepreneur à un immeuble voisin sont extérieurs à la sphère contractuelle et engagent sa responsabilité délictuelle. Pour que la responsabilité soit alors contractuelle, il faut que la chose, cause du dommage, ou le comportement reproché au défendeur ait un lien suffisant avec l'exécution du contrat. Mais en tout état de cause, pour que la responsabilité contractuelle puisse être valablement engagée, les personnes concernées doivent nécessairement avoir la qualité de parties au contrat inexécuté. C. La nécessaire qualité de parties au contrat inexécuté L’une des principales conditions pour que la responsabilité contractuelle s'applique est lorsque la victime et l'auteur du dommage doivent avoir nécessairement la qualité de parties au contrat inexécuté. Cette condition est la conséquence du principe de l'effet relatif des contrats, énoncé à l'article 228 du Dahir des Obligations et Contrats selon lequel « les obligations n’engagent que ceux qui ont été parties à l’acte : elles ne nuisent point aux tiers et elles ne leur profitent que dans les cas exprimés par la loi ». Il en découle que l'inexécution 59 Civ. 2 e, 9 mars 1972, Bull. civ. II, n° 73. Civ. 2 e, 1er févr. 1973, J.C.P. 1974. II. 17810, note N. Dejean de La Batie. 61 Paris, 18 févr. 1982, Gaz. Pal. 1982. 2. Somm. 316. 62 Civ. 1re, 18 janv. 1978, D. 1978, I.R. 402. 60 37 de l'obligation contractuelle doit être non seulement le fait d'une partie au contrat, mais aussi causer un dommage au cocontractant. Si dans le cas où l'auteur du dommage ou la victime est un tiers, il faut dans ce cas recourir à la responsabilité extra-contractuelle. Si l'inexécution de l'obligation contractuelle doit être le fait d'un contractant, l'article 228 du Dahir des Obligations et Contrats s'oppose expressément à ce que le contrat et donc les règles de la responsabilité contractuelle soient invoquées contre une personne étrangère au contrat. Mais, dans le cas où un tiers se rend complice de la violation d'un contrat, il engage sa responsabilité sur le fondement des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Ainsi, toute personne qui aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur elle, commet une faute délictuelle à l'égard de la victime de l'infraction. Il en est ainsi le cas, en droit commercial ou en droit du travail, de celui qui participe à la violation d'une obligation de non-concurrence ou encore d'un contrat d'exclusivité. Mais, comme tout principe en droit, ce principe de l’effet relatif comporte lui aussi de nombreuses exceptions. Elles ont principalement pour effet d'étendre le domaine de la responsabilité contractuelle au-delà de ses limites. Ainsi, dans des cas particuliers, les créanciers jouissent d’une action directe leur permettant de mettre en jeu la responsabilité du cocontractant de leur débiteur contractuel. C’est le cas par exemple de l’action du bailleur contre le sous-locataire ou encore du mandant contre le sous-mandataire. Ici, la jurisprudence admet cette extension de responsabilité en affirmant que « dans le cas où le débiteur d'une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l'exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette personne que d'une action de nature nécessairement contractuelle, qu'il peut exercer directement dans la double limite de ses droits et de l'étendue de l'engagement du débiteur substitué »63. Mais, pour que la responsabilité contractuelle soit engagée, il faut nécessairement établir un fait imputable au débiteur contractuel. §2. Le fait imputable au débiteur contractuel On peut définir le fait imputable au débiteur comme l'événement générateur de sa responsabilité contractuelle. En son absence, le droit à réparation n'existe pas. Dans la théorie traditionnelle, ce fait générateur se ramène à la notion classique de faute. En principe, l’inexécution contractuelle doit s’apprécier au regard de l’intensité de l’obligation souscrite. Au regard de la preuve, la distinction entre l’obligation de résultat et l’obligation de moyens prend tout son sens. Ainsi, dans le cas d'une obligation de résultat, celle résultant de l’article 263 du Dahir des Obligations et Contrats, la victime n'a pas, en principe, à apporter la preuve d'une faute. Mais, de son côté, le défendeur ne peut pas s'exonérer en démontrant qu'il n'a pas commis de faute. Quel que soit le fondement adopté, se pose principalement la question de savoir ce que la victime doit exactement établir pour prouver l'inexécution de l’obligation. Pour tenter de répondre à cette question qui vient d’être posée, la jurisprudence utilise donc cette fameuse 63 J.C.P. 1988. II. 21070, note P. Jourdain, RTD civ. 1988. 551, obs. P. Rémy. 38 distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat 64. Cette distinction présente en matière de responsabilité un intérêt au regard de l’exigence de la preuve. A. de résultat L’intérêt de la distinction entre obligations de moyens et obligations En droit des contrats, cette distinction repose sur le contenu de l’obligation, c'est-àdire sur ce qui a été promis par les parties. L’obligation est de résultat lorsque le débiteur s’est engagé à obtenir un résultat déterminé. A contrario, il y a obligation de moyens lorsque le débiteur a promis de mettre son activité au service du créancier, mais sans garantir que tel ou tel résultat sera obtenu. En droit comparé, et notamment français, cette distinction a été élaborée à partir de deux dispositions du code civil, à savoir les anciens articles 1137 65 et 114766 modifiés par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, qui envisagent des causes d'exonération différentes. De son côté, en droit civil marocain, on trouve des dispositions équivalentes à l’article 1147 du code civil français. Elles sont contenues dans deux articles, les articles 263 et 268 du Dahir des Obligations et Contrats. D’un côté, l’article 263 du Dahir des Obligations et Contrats dispose que « les dommages-intérêts sont dus, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, et encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de la part du débiteur ». De l’autre côté, l’article 268 du Dahir des Obligations et Contrats dispose qu’« il n'y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque le débiteur justifie que l'inexécution ou le retard proviennent d'une cause qui ne peut lui être imputée, telle que la force majeure, le cas fortuit ou la demeure du créancier ». Par cumulation, ces textes signifient donc, en premier lieu, que le débiteur engage sa responsabilité dès lors que l'inexécution ou le retard est établi et, en second lieu, que, pour s'exonérer, il doit prouver une « cause qui ne peut lui être imputée » c'est-à-dire une cause étrangère, qui peut être soit « la force majeure, le cas fortuit ou la demeure créancier ». La preuve de l'absence de faute est ici inopérante. Ainsi, le seul fait de ne pas avoir accompli la prestation suffit, en principe, pour mettre en œuvre sa responsabilité. Dans ce cas, on dit que le débiteur est tenu d'une obligation de résultat. Sur le plan de la preuve, cette distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat joue un rôle particulièrement déterminant. Mais, cet aspect reflète une 64 Mise en œuvre par R. Demogue Traité des obligations, t. 5, 1928, no 1237.V. P. Esmein, le fondement de la responsabilité contractuelle rapprochée de la responsabilité délictuelle, RTD civ. 1933. 627 ; Remarques sur de nouvelles classifications des obligations, Mélanges Capitant, p. 235 ; Obligation et responsabilité contractuelle, Mélanges Ripert, t. 2, p. 101. G. Marton, Obligations de résultat et obligations de moyens, RTD civ. 1935. 499. H. Mazeaud, Essai de classification des obligations : obligations contractuelles et extracontractuelles; « obligations déterminées » et « obligation générale de prudence et de diligence », 1936. 1. A. Plancqueel, Obligations de moyens, obligations de résultat, 1972. 334. R. Rodière, Une notion menacée, la faute ordinaire dans les contrats, 1954. 201. -A. Tunc, Force majeure et absence de faute en matière contractuelle, ibid. 1945. 235 ; La distinction des obligations de résultat et de moyens, J.C.P. 1945. I. 449. 65 « L'obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n'ait pour objet que l'utilité de l'une des parties, soit qu'elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d'un bon père de famille ». 66 « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part » 39 véritable différence de fond relative au contenu et à la portée des obligations. Ainsi, l'inexécution de l'obligation de résultat est sanctionnée par une responsabilité objective. Alors que le manquement à une obligation de moyens permet quant à lui de mettre en œuvre une responsabilité subjective, c'est-à-dire fondée sur la traditionnelle notion de faute. On retrouve cette dualité dans le domaine délictuel entre les articles 77 et 78 et les articles 85 et 88 du Dahir des Obligations et Contrats. Dans certains cas, cette distinction entre l'obligation de moyens et l'obligation de résultat est réglée par la loi. Ainsi, par exemple, l’article 836 67 du Dahir des Obligations et Contrats met à la charge de l’emprunteur une simple obligation de moyens. Le même type d’obligation s’applique aussi, selon l’article 821 68 du Dahir des Obligations et Contrats au dépositaire, et au mandataire selon l’article 90369 du Dahir des Obligations et Contrats. En revanche, d'autres dispositions révèlent l'intention du législateur marocain de soumettre le débiteur à une obligation de résultat. C’est le cas par exemple de l’article 769 du Dahir des Obligations et Contrats qui est particulièrement explicite en énonçant que « l'architecte ou l'ingénieur et l'entrepreneur chargés directement par le maître sont responsables lorsque, dans les dix années à partir de l'achèvement de l'édifice ou autre ouvrage dont ils ont dirigé ou exécuté les travaux, l'ouvrage s'écroule, en tout ou en partie, ou présente un danger évident de s'écrouler, par défaut des matériaux, par le vice de la construction ou par le vice du sol ». La loi est également très claire à propos de l'obligation du preneur qui selon l’article 678 du Dahir des Obligations et Contrats « répond de la perte et de la dégradation de la chose causées par son fait, ou par sa faute, ou par l'abus de la chose louée. Le preneur d'une hôtellerie ou autre établissement public répond aussi du fait des voyageurs et des clients qu'il reçoit dans son établissement ». En dehors de ces hypothèses particulières, le juge a dû faire appel à des critères pour déterminer la nature de l'obligation. Bien que les articles 263 et 268 du Dahir des Obligations et Contrats soient rédigés dans des termes généraux, il est admis que d'autres débiteurs sont tenus d'une simple obligation de moyens. Le premier point de repère réside évidemment dans la volonté des parties et il se peut que le débiteur garantisse un résultat. Bien entendu, cette liberté doit s'exercer dans la limite du respect des lois impératives et de l'ordre public. L'objet même de l'obligation est parfois un indice déterminant du fait que le créancier attend un résultat précis. Ainsi, les obligations de ne pas faire interdisent au débiteur d'accomplir tel ou tel acte. Il s’agit donc d’une abstention. Dès lors, que ce résultat n'est pas atteint, la responsabilité du débiteur est engagée sur le fondement de l’article 262 du Dahir des 67 Article 836 « L'emprunteur est tenu de veiller avec diligence à la conservation de la chose prêtée ». Article 821 « Le tiers dépositaire a la garde et l'administration de la chose ; il est tenu de lui faire rendre tout ce qu'elle est capable de produire ». 69 Article 903 « Le mandataire est tenu d'apporter à la gestion dont il est chargé la diligence d'un homme attentif et scrupuleux, et il répond du dommage causé au mandant par le défaut de cette diligence, tel que l'inexécution volontaire de son mandat ou des instructions spéciales qu'il a reçues, ou l'omission de ce qui est d'usage dans les affaires. S'il a des raisons graves pour s'écarter de ses instructions ou de l'usage, il est tenu d'en avertir aussitôt le mandant et, s'il n'y a péril en la demeure, d'attendre ses instructions ». 68 40 Obligations et Contrats70. De même, l’obligation de donner, c'est-à-dire de transférer un droit réel, est une obligation de résultat. Toutefois, en raison de leur extrême diversité, il y a une hésitation concernant les obligations de faire. En effet, l'objet de certaines d'entre elles implique que le créancier est en droit d'exiger un résultat. Tel est le cas des obligations de payer une somme d'argent, qui peuvent aussi être considérées comme des obligations de donner, ou de livrer une chose puisque le créancier attend le paiement ou la livraison. Dans ces cas, le défaut de l'un ou de l'autre constitue en lui-même l'inexécution de l'obligation. Mais, lorsque dans les cas où ni la loi, ni la volonté des parties, ni l'objet de l'obligation ne permettent de donner une réponse, deux critères principaux sont souvent pris en compte par le juge. Le premier est le caractère aléatoire ou non du résultat. S'il est aléatoire, il serait rigoureux d'exiger du débiteur qu'il le garantisse. Ainsi, par exemple, le médecin ne promet pas la guérison. De même, l'avocat ne garantit pas de gagner un procès. Ici, le médecin et l'avocat s'engagent seulement à faire tout leur possible, en utilisant les données actuelles de leur science respective, pour arriver à ce résultat. Dès lors, il est logique que leur responsabilité ne pourra être engagée que si une faute leur est reprochée. À l'inverse, lorsque le résultat peut être atteint, sans incertitude particulière, par la mise en œuvre de moyens dont dispose le débiteur, l'obligation est de résultat. C’est le cas de l’exemple classique du transporteur qui s'engage à conduire le voyageur à sa destination finale. B. Les principales applications des obligations Elles concernent l’obligation de sécurité (1) et l’obligation d’information (2). A ces principales obligations s’ajoutent l’obligation de certains professionnels (3). 1. L’obligation de sécurité C’est certainement à propos du contrat de transport des personnes que l’obligation de sécurité a été pour la première fois mise en lumière. Cette obligation est conçue comme une obligation de résultat, puisque l’exécution du contrat de transport comporte l'obligation de conduire sain et sauf le voyageur à destination71. Posé d’abord en matière de transport maritime, ce principe est aujourd’hui acquis pour tous les modes de locomotion comme par exemple les chemins de fer 72, les taxis73, ou encore les autobus. Par la suite, la jurisprudence et notamment la jurisprudence française a étendu le domaine de l'obligation de sécurité à de très nombreux autres contrats. C’est le cas par exemple de l'organisateur d'une compétition ou d'une manifestation sportive et compte tenu des risques particuliers du sport pratiqué, est tenu à une obligation de moyens et doit donc 70 Article 262 « Lorsque l'obligation consiste à ne pas faire, le débiteur est tenu des dommages-intérêts par le seul fait de la contravention ; le créancier peut, en outre, se faire autoriser à supprimer, aux dépens du débiteur, ce qui aurait été fait contrairement à l'engagement ». 71 Civ. 21 nov. 1911, 1 re esp., D.P. 1913. 1. 249, concl. A. Sarrut. 72 Civ. 28 mars 1922, 1 re esp., D.P. 1923. 1. 209 ; 17 oct. 1945, D. 1946. 165, note R. Roger. 73 Req. 31 juill. 1922, 3e esp., S. 1922. 1. 324. 41 assurer au mieux la sécurité des participants et des spectateurs74. Mais, la responsabilité de l'organisateur reste fondée sur la preuve d'une faute. Dans la même situation, une association sportive est en principe tenue d'une obligation de moyens. Sa responsabilité ne peut donc être engagée que dans le cas d'un manquement à cette obligation. A son égard, la jurisprudence exige qu'elle fournisse des appareils, des locaux permettant d'assurer la sécurité physique des utilisateurs et qu'elle exerce une certaine surveillance, notamment en attirant leur attention sur d'éventuels dangers. Le domaine de cette obligation de sécurité a été aussi étendu aux accidents survenus dans certains endroits comme les quais ou dans les gares. Pour ces accidents, la jurisprudence estime que la période de l'obligation de résultat part du moment où le voyageur commence à monter dans le véhicule et finit au moment où il achève d'en descendre 75. Appliqué en droit civil marocain, il est clair qu’en dehors de l'exécution du contrat de transport, la responsabilité du transporteur à l'égard du voyageur est soumise aux règles de la responsabilité délictuelle, et qu'en conséquence le voyageur blessé sur un quai peut valablement se prévaloir des articles 85 et 88 du Dahir des Obligations et Contrats. Dans d’autres domaines, comme en matière aérienne, le transporteur est responsable, conformément à l’article 20 de la Convention de Varsovie, de tout dommage survenu en cours du transport, mais peut toutefois s'exonérer en prouvant qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour l'éviter ou encore qu'il lui était impossible de les prendre. Quant au cas des transports routiers, celui-ci est réglementé par le Dahir du 2 octobre 1984 relatif à l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des véhicules terrestres à moteur qui prévoit que le transporteur est tenu d'une dette de réparation dès lors que son véhicule est impliqué. Dans le même ordre d’idée, on retrouve en droit marocain des contrats cette obligation de sécurité particulièrement dans le contrat de vente. Par plusieurs lois, cette obligation a été reconnue. Il s’agit essentiellement de la loi 31-08 relative à la protection du consommateur, la loi 24-08 relative aux produits et des services et la loi 28-07 relative à la sécurité sanitaire des produits alimentaires. Depuis ces lois, pèse sur les producteurs et importateurs une obligation générale de sécurité. Dans une autre mesure, l'organisateur d'un voyage qui est tenu de faire appel à des prestataires de services locaux (hôteliers, transporteurs), a l'obligation de les surveiller et de veiller à ce que le transport ou l'hébergement s'effectue dans des conditions de sécurité normale. Cette obligation n'est en principe que de moyens, mais la jurisprudence retient assez facilement une faute, résultant par exemple d'un mauvais choix du prestataire. La responsabilité de l'organisateur est donc engagée lorsque le transporteur local ne présente pas des garanties suffisantes pour la sécurité des voyageurs76. Enfin, dans un autre registre, le médecin doit donner à ses clients des soins appropriés et leur sécurité physique constitue même, dans le contrat médical, l'objet essentiel de sa 74 Civ. 2 e, 2 oct. 1980, D. 1982, I.R. 93 ; Paris, 15 nov. 1983, Gaz. pal. 1984. 1. Somm. 207. Par ex., pour un accident dû à la fermeture des portières : Civ. 1 re, 20 oct. 1969, J.C.P. 1970. II. 16231, note P.M.F. Durand ; Paris, 29 janv. 1987, D. 1987, I.R. 51. 76 Civ. lre, 23 févr. 1983, J.C.P. 1983. II. 19967, concl. Gulphe, D. 1983. 481, note P. Couvrat. 75 42 prestation. Compte tenu des aléas de la guérison, son obligation est seulement de moyens. Sa responsabilité ne peut être engagée qu'en cas de faute prouvée, c'est-à-dire s'il apparaît qu'il n'a pas prodigué au patient les soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de son art. Qu’en est-il de l’obligation d’information? 2. L’obligation d’information Les obligations de renseignements, ou encore de mise en garde ou de conseil sont généralement considérées comme des obligations de moyens. Le débiteur de cette obligation est alors tenu de fournir une information ou une suggestion, mais ne s'engage pas à un résultat déterminé77. Toutefois, l'étude de ces obligations varie suivant que le débiteur est un professionnel ou non et selon le type de profession. Etant un effet du contrat, elles doivent être distinguées de l'obligation précontractuelle de renseignements78 dont la violation entraîne uniquement la mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle fondée sur les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Conformément à l’article 1 er de la loi 31-08, le vendeur professionnel doit donner des renseignements ou même des conseils sur l'usage auquel la chose vendue est destinée. Il doit aussi donner les conditions de son utilisation. Cette obligation est plus lourde lorsqu'ils contractent avec des acheteurs profanes. Si l’utilisation de la chose présente quelque danger, le vendeur est tenu de mettre l'acheteur en garde. C’est le cas par exemple d’un produit toxique et inflammable dont la manipulation suppose des précautions particulières. De la même manière, le pharmacien doit renseigner l'utilisateur d'un médicament sur les dangers d'une posologie trop élevée ou de l'usage pendant une longue période. Cependant, cette obligation de donner des informations sur les contre-indications et les effets secondaires du médicament ne s'applique qu'à ce qui est connu au moment de son introduction sur le marché. On trouve dans le contrat de louage un devoir analogue de renseignement, particulièrement lorsque l'utilisation de l'objet loué présente quelque complexité ou risque. Également, les fournisseurs de services ont des devoirs d'information et de conseil. C’est le cas par exemple de l’assureur qui a de nombreuses obligations notamment de préciser l'étendue exacte de la garantie ou encore d'informer le souscripteur des conséquences d'une fausse déclaration. Aussi, en certaines circonstances, le domaine du devoir de conseil porte non seulement sur l'aspect technique, mais aussi sur des questions d'ordre juridique, étroitement liées à l'activité du professionnel. Telle est la position à propos de l'architecte. Dans certains autres contrats, le devoir de conseil est considéré comme la prestation essentielle, et c’est le cas de l’ingénieur-conseil en propriété industrielle. Pour certains professionnels du droit, le devoir de conseil du notaire est particulièrement étendu. Il doit informer ses clients sur la portée et les effets de leurs engagements, les conditions de validité et d'efficacité de l'acte projeté. Il doit aussi les mettre 77 J. Mestre, obs. RTD civ. 1986. 339. La jurisprudence marocaine n’est pas claire en ce qui concerne le fondement juridique de la responsabilité précontractuelle puisque cette phase n’est pas réglementée en tant que telle. 78 43 en garde contre les risques éventuels d'une irrégularité ou d'une annulation et les prévenir des conséquences juridiques et financières de l'opération. Plus généralement, les notaires ont le devoir d'éclairer les parties sur leurs droits et obligations et de rechercher si les conditions requises pour l'efficacité de l'acte qu'ils dressent sont réunies eu regard au but poursuivi par les parties. Enfin, les membres des professions médicales ont l'obligation d'aviser leurs patients des conséquences possibles d'un examen, d'un traitement ou d'une intervention chirurgicale, de façon à les mettre en mesure de comparer les bienfaits estimés et les risques encourus. Cette obligation pèse plus lourdement en matière de chirurgie esthétique. A ce sujet, « le chirurgien est tenu d'une obligation d'information particulièrement rigoureuse à l'égard de son client qu'il ne devrait pas exposer à un risque sans proportion avec les avantages escomptés »79. Cela implique qu'il doit mettre en garde son client même contre les risques exceptionnels. 3. L’obligation de certains professionnels Parmi les professionnels, on retiendra deux exemples. Le cas du garagiste et de l'agence de voyage. Lorsque le garagiste est chargé d'effectuer une réparation, il est nécessairement tenu à une obligation de résultat, qui consiste à remettre le véhicule en état. Si le véhicule n'est pas efficacement réparé, la responsabilité du garagiste est mise en jeu, à moins qu'il ne prouve une utilisation anormale par le propriétaire du véhicule. Il en est autrement pour la nature de l'obligation d'une agence de voyages qui dépend du type de contrat conclu avec le client. Elle peut servir de simple intermédiaire, par exemple en délivrant un billet ou en réservant une chambre d'hôtel. Cette agence de voyages est, selon l’article 895 du Dahir des Obligations et Contrats, alors tenue des obligations d'un mandataire salarié. Mais, la jurisprudence met à sa charge une obligation qui se transforme parfois en obligation de résultat. Ainsi, l'agence est tenue d'assurer l'efficacité du titre de transport qu'elle délivre. En particulier, si elle avait pour mission de faire confirmer les billets d'avion que ses clients l'avaient chargée d'obtenir, son obligation est de résultat, et elle est « responsable des conséquences dommageables du fait qu'ils n'avaient pu embarquer sur l'appareil à bord duquel l'agence leur avait réservé des places »80. Il lui arrive aussi que l’agence de voyages de se comporter comme un entrepreneur de transport. Dans ce cas, sa responsabilité est calquée sur celle du transporteur. Enfin, l'agence qui organise un voyage et coordonne un ensemble de prestations (transport, logement, nourriture, visites, etc.) conclut un contrat particulier d'entreprise et répond donc de tout manquement à ses obligations. Mais, la faute contractuelle résulte du seul fait matériel de l’inexécution de l’obligation par le débiteur. 79 80 Civ. 1re, 22 sept. 1981, Bull. civ. I, n° 268. Civ. 1 re, 31 mai 1978, D. 1979. 48, note J. Foulon-Piganiol. 44 §3. La faute du débiteur contractuel La preuve de la faute va dépendre de la nature de l’obligation. En principe, la violation de l'obligation de résultat suppose une inexécution du contrat par le débiteur sans qu'il soit nécessaire de prouver une quelconque faute de sa part. Ce n’est pas le cas pour la violation d'une obligation de moyens, qui elle suppose toute une démonstration de la faute contractuelle. La faute doit comporter certains éléments (1) et une méthode d’appréciation (2). 1. Les éléments constitutifs de la faute La faute commise dans l'exécution d'un contrat a les mêmes éléments constitutifs que la faute extra-contractuelle. Il faut une illégalité ou une illicéité, c'est-à-dire un acte contraire à l’ordre juridique ayant causé un dommage à autrui, dont son auteur doit réparation. En matière contractuelle, cette faute prend la forme d'un manquement à une obligation imposée au débiteur par le contrat valablement conclu avec la victime. Cette illicéité peut tout simplement résulter de la méconnaissance d'une clause librement consentie. Dans ce cas, le débiteur n'a pas respecté l'un des principes généraux du droit des contrats. C’est le principe de la force obligatoire du contrat prévu par l’article 230 du Dahir des Obligations et Contrats. Cette illégalité peut aussi provenir de l'inexécution d'une obligation imposée aux contractants par un texte législatif ou réglementaire, un usage, ou encore une règle déontologique. C’est le cas par exemple de la faute du médecin dans le choix d'un remplaçant inexpérimenté. Traditionnellement, à cette condition de l'illégalité s'ajoute à celle de l'imputabilité, c'est-à-dire la faculté de discernement81. Le discernement s’entend de la capacité à apprécier avec justesse et clairvoyance une situation. Cette imputabilité suppose chez l’auteur du dommage une volonté libre et capable. A cet égard, la jurisprudence considère qu’« il ne pourrait y avoir de faute que si la personne est dotée de discernement, c'est-à-dire qu’elle a conscience du caractère illicite de son acte ». Il faut donc que l’acte soit imputable à son auteur. Cette condition pose alors un double problème de la responsabilité, celui des personnes qui sont privées de discernement et celui des personnes morales. Pour les personnes physiques, cette condition d’imputabilité semble ne pas être exigée, aussi bien dans le domaine contractuelle que dans le domaine des délits, lorsque le dommage a été commis par une personne atteinte d'un trouble mental. En effet, selon l’article 96 alinéa 1er du Dahir des Obligations et Contrats, « le mineur, dépourvu de discernement, ne répond pas civilement du dommage causé par son fait. Il en est de même de l’insensé, quant aux actes accomplis pendant qu’il est en état de démence ». Au contraire l’adolescent est pleinement responsable de ses actes, comme le précise l’article 96 alinéa 2 du Dahir des Obligations et Contrats selon lequel « le mineur répond, au contraire, du dommage causé par son fait, s’il possède le degré de discernement nécessaire pour apprécier les conséquences de ses actes ». Ce texte ne vise pas un nouveau cas de responsabilité, mais il assimile le dément à l'homme raisonnable, et l'état de démence ne peut pas être invoqué comme une cause étrangère 81 Soc. 25 juill. 1952, D. 1954. 310, note R. Savatier. 45 exonératoire de responsabilité. La personne qui agit, alors qu'elle est dans un tel état, est donc tenue à réparation, chaque fois que l'acte qu'elle a commis serait qualifié de faute, s'il émanait d'un homme sensé. La portée de ce texte est très générale, et il s'applique naturellement au dommage causé par le débiteur contractuel. De leur côté, les personnes morales, bien que constituant des êtres abstraits dépourvus de volonté propre, sont responsables sur leur patrimoine à raison des fautes commises par leurs représentants légaux. C’est ce que prévoient les articles 903 82 et 90483 du Dahir des Obligations et Contrats. Mais, la particularité de la faute contractuelle réside dans le fait qu'elle est envisagée par référence au contrat et aux obligations qu'il fait naître. Il n'y a donc pas de formule générale analogue à celle des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Mais, dans le domaine contractuel, la faute peut découler d'une abstention. Mais, alors comment cette faute s’apprécie-t-elle ? 2. L’appréciation de la faute Qu’elles s’agissent des fautes civiles, contractuelles ou délictuelles, la méthode d'appréciation n'est pas fondamentalement différente. Par conséquent, l'appréciation s'effectue in abstracto, c'est-à-dire en comparant le comportement du débiteur avec celui qu'aurait eu un homme normalement raisonnable et diligent, le « bon père de famille », dont parle d’ailleurs l’article 945 du Dahir des Obligations et Contrats84. La faute du contractant est donc établie s'il a été moins soigneux, prévoyant ou compétent que ne l'aurait été ce modèle le « bon père de famille ». Néanmoins, il ne s'agit là que d'une directive générale, car le comportement du débiteur doit être jugé en fonction de l'engagement qu'il a souscrit. C'est là une particularité de la responsabilité contractuelle. En revanche, lorsque le débiteur doit accomplir une prestation à titre gratuit, il y a alors plus d’indulgence. Au sujet de certains contractants, le Dahir des Obligations et Contrats le dit expressément notamment à l’article 79085 pour le dépositaire, et aussi à l’article 88886 pour le mandataire. 82 Article 903 « Le mandataire est tenu d'apporter à la gestion dont il est chargé la diligence d'un homme attentif et scrupuleux, et il répond du dommage causé au mandant par le défaut de cette diligence, tel que l'inexécution volontaire de son mandat ou des instructions spéciales qu'il a reçues, ou l'omission de ce qui est d'usage dans les affaires. S'il a des raisons graves pour s'écarter de ses instructions ou de l'usage, il est tenu d'en avertir aussitôt le mandant et, s'il n'y a péril en la demeure, d'attendre ses instructions ». 83 Article 904 « Les obligations dont il est parlé en l'article précédent doivent être entendues plus rigoureusement : 1° Lorsque le mandant est salarié; 103 2° Lorsqu'il est exercé dans l'intérêt d'un mineur, d'un incapable, d'une personne morale ». 84 Article 945 « Il doit apporter à sa gestion la diligence d'un bon père de famille, et se conformer à la volonté connue ou présumée du maître de l'affaire. Il répond de toute faute, même légère ; mais il n'est tenu que de son dol et de sa faute lourde : lorsque son immixtion a eu pour but de prévenir un dommage imminent et notable qui menaçait le maître de l'affaire ; lorsqu'il n'a fait que continuer, comme héritier, un mandat commencé par son auteur ». 85 Article 790 « Le dépôt est essentiellement gratuit. Toutefois, le dépositaire a droit à un salaire, s'il l'a expressément stipulé, ou s'il était implicitement entendu, d'après les circonstances et l'usage, qu'un salaire lui 46 En revanche, l’appréciation du comportement des professionnels se réalise par référence au membre normalement compétent d'une profession déterminée. C'est ainsi que les obligations d'informations pèsent plus sévèrement et logiquement sur eux. Ainsi, le devoir de conseil d'un professionnel doit s'apprécier en fonction des circonstances de la cause et, en particulier, de la situation et des connaissances de ses contractants. S'il contracte avec des commerçants qui ont une certaine expérience des affaires, il convient d'en tenir compte. Mais, le juge prend souvent en considération certains caractères du débiteur lui-même, éventuellement d'ordre physique notamment son âge et surtout d'ordre intellectuel comme son expérience ou ses connaissances particulières. Exceptionnellement aussi, il arrive que la loi ne fasse aucune allusion à ce modèle de bon père de famille, et se borne à demander au débiteur qu'il apporte à l'exécution de son obligation les mêmes soins qu'il donne à ses propres affaires. C'est le cas de l'article 791 du Dahir des Obligations et Contrats87 relatif au dépositaire. Ici, l'appréciation de son comportement s'effectue alors in concreto. La qualification juridique de la faute s'opère sous le contrôle de la Cour de cassation, et ce principe s'applique naturellement à la responsabilité contractuelle88. Sont, par exemple, responsables en vertu d'une faute le professionnel d'une vente qui n'a pas contrôlé la solvabilité des acquéreurs ou encore le prêteur professionnel qui n'a pas vérifié la réalité et la valeur des garanties offertes par l'emprunteur. Une fois la faute appréciée, sa preuve et son degré de gravité se posent. 3. La preuve et le degré de gravité de la faute Sur le plan de la preuve de la faute, celle-ci sera bien différente qu’il s’agisse d’un acte juridique ou d’un fait juridique. Dans un acte juridique, la preuve de la faute incombe à la victime qui s'en prévaut, sauf lorsqu'elle est créancière d'une obligation de résultat. C’est le principe. La victime peut se prévaloir d'une responsabilité fondée sur une présomption de faute. Elle lui suffit alors d'établir l'inexécution du contrat. En revanche, pour un fait juridique, la faute se prouve par tout moyen. Dans la pratique, une simple mise en demeure restée infructueuse est un élément constitutif de preuve. En règle générale, le degré de gravité de la faute n'a pas d'effet sur l'existence même de l'obligation à réparation. En droit civil marocain, le débiteur contractuel, comme l'auteur d'un délit, répond de ses fautes même légères. Cependant, dans certains domaines, l'intensité de la faute a un rôle déterminant pour mettre en œuvre la responsabilité contractuelle, qui est alors subordonnée à la preuve d'un manquement présentant une certaine gravité. Il en est serait alloué ; cette présomption est de droit lorsque le dépositaire reçoit habituellement des dépôts à paiement ». 86 Article 888 « Le mandat est gratuit, à moins de convention contraire. Cependant, la gratuité n'est pas présumée : 1° Lorsque le mandataire se charge par état ou profession des services qui font l'objet du mandat ; 2° Entre commerçants pour affaires de commerce ; 3° Lorsque, d'après l'usage, les actes qui font l'objet du mandat sont rétribués ». 87 Article 791 « Le dépositaire doit veiller à la garde du dépôt, avec la même diligence qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent ». 88 Civ. 2 déc. 1947, Gaz. Pal. 1948. 1. 36 ; Com. 7 nov. 1979, D. 1980, I.R. 192. 47 notamment ainsi en droit du travail, où la faute grave du salarié produit des effets spécifiques. Elle justifie alors son licenciement et donc la résiliation de son contrat. Sous réserve de ces exceptions légales et d'accords particuliers des parties, le principe demeure en droit civil marocain que toute faute, quelle que soit sa gravité, engage la responsabilité contractuelle de son auteur. Encore faut-il que la victime prouve qu’elle a subi un préjudice résultant de la défaillance du débiteur. Section 2. Le préjudice contractuel89 et le lien de causalité Une partie au contrat ne peut prétendre que l'autre partie est débitrice à son égard d'une obligation de réparation, si elle ne fait pas la preuve qu'elle a effectivement subi un dommage90. Cette règle est valable quelle que soit la partie au contrat et quel que soit le fait dommageable qui peut en être la cause. De son côté, le défendeur dont la responsabilité est imputée peut démontrer que le dommage résulte d'une autre cause, qui a pour lui un effet exonératoire, qui peut être soit total ou soit partiel. Pour mettre en œuvre l’article 263 du Dahir des Obligations et Contrats, il faut apporter nécessairement l’existence d’un préjudice (§1). Une fois apporté et démontré, le débiteur contractuel peut à son tour invoquer des causes étrangères libératoires de sa responsabilité (§2). §1. Le préjudice contractuel C’est à partir des suites de l’inexécution contractuelle que dépend l’ouverture des dommages et intérêts prévues par l’article 263 du Dahir des Obligations et Contrats. Pour cela, il est nécessaire qu’un préjudice du créancier résulte de la défaillance du débiteur. L'existence d'un préjudice est une condition aussi fondamentale et aussi nécessaire à la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle. Il ne peut donc y avoir de responsabilité contractuelle de l'une des parties si l'autre n'établit pas l'existence d'un préjudice en relation avec le fait générateur. Mais, pour que la responsabilité contractuelle puisse être mise en jeu, il ne suffit pas de prouver qu'un préjudice a effectivement été subi. Il faut encore que ce préjudice soit réparable. À défaut, la responsabilité du contractant ne peut être retenue, quand bien même aurait-il commis une faute. C'est là un principe commun à toute hypothèse de responsabilité civile. 89 F. Leduc, Faut-il distinguer le dommage et le préjudice ? : Point de vue privatiste, Le préjudice. Regards croisés privatistes et publicistes, RCA mars 2010, dossier 3. E. Le Roy, La réparation des dommages en cas de lésions corporelles, D. 1979. Chron. 49. R. Ollard, La distinction du dommage et du préjudice en droit pénal, RSC 2010. 561. S. Rouxel, Recherche sur la distinction du dommage et du préjudice, thèse Grenoble, 1994, dir. Dejan de la Batie. 90 S’ils sont communément tenus pour synonymes, des auteurs distinguent, à raison, le dommage entendu comme le fait de l’atteinte à un intérêt protégé, et le préjudice compris comme l’effet de cette atteinte, celui-ci. V. sur la controverse doctrinale par ex. J. S. Borghetti, Les intérêts protégés et l’étendue des préjudices réparables en droit de la responsabilité civile extracontractuelle, in Études offertes à Geneviève Viney, Liber Amicorum, LGDJ, 2008 p. 145. 48 C’est donc à la victime qu’il appartient d'établir la réalité et l'étendue du dommage qu'elle invoque. Mais, en matière contractuelle, il est souvent impliqué dans le fait même de l'inexécution. Le créancier, en effet, attend une prestation déterminée à un moment donné, et si elle n'est pas accomplie, son préjudice est alors sous-entendu. A. L’exigence traditionnelle d’un préjudice contractuel réparable L'étendue du préjudice varie suivant que l'inexécution est totale, partielle, défectueuse ou tardive. En principe, la réalité du préjudice ne se discute pas car il découle de l'inexécution. Mais, en cas de simple retard, le dommage ne se présume pas, sauf pour les obligations de somme d'argent, et doit donc être justifié. Le principe est que tout dommage doit être intégralement réparé. C’est à propos de la responsabilité contractuelle que l'article 264 du Dahir des Obligations et Contrats précise que « les dommages sont la perte effective que le créancier a éprouvée et le gain dont il a été privé, et qui sont la conséquence directe de l'inexécution de l'obligation ». Comme en matière délictuelle, les catégories de préjudices sont les mêmes à savoir des dommages matériels par exemple la destruction ou la détérioration d'un bien, ou encore la privation d'un gain et, plus généralement, toute atteinte au patrimoine. Il y a aussi les dommages corporels. Toutefois, le préjudice doit présenter certains caractères. B. Les caractères du préjudice Généralement, quelle que soit la responsabilité, les caractères du dommage sont identiques. Il doit être certain, direct et porter atteinte à un intérêt légitime juridiquement protégé. Cette dernière exigence ne soulève pas ordinairement de difficulté, puisque, par hypothèse, le droit du créancier naît d'un contrat licite. Seul le caractère prévisible devient une condition propre à la responsabilité contractuelle. 1. L’exigence d’un préjudice certain Cette exigence de certitude résulte de l'article 264 du Dahir des Obligations et Contrats qui vise la perte « faite » et le gain dont le créancier est « privé ». Les suites de l’inexécution doivent donc être avérées et non pas éventuelles, hypothétiques 91. Pour être réparable, le dommage doit être certain. Donc un dommage éventuel ne le sera pas. En revanche, un dommage futur est considéré comme certain dès lors que sa réalisation est inéluctable. C’est le cas par exemple du préjudice subi par le client d'un notaire qui a omis de lui signaler l'existence d'une servitude d'urbanisme lors d’une vente immobilière. A ce caractère, s’ajoute d’autres caractères. 91 V. par ex. Civ. 18 mai 1915, S. 1917. I. 38. – Com. 19 juill. 1971, no 70-13.040, Bull. civ. IV. 49 2. Le caractère direct et lien de causalité Il résulte de l'article 264 du Dahir des Obligations et Contrats que le préjudice doit également être une suite immédiate et directe de l'inexécution du contrat. Ainsi, peuvent invoquer un préjudice direct, non seulement la victime première de l'accident, appelée aussi victime directe, mais également des victimes par ricochet, par exemple les proches parents qui se prévalent d'un préjudice personnel. Aussi, ce texte exige un lien de causalité, de nécessité entre l’inexécution contractuelle et les suites alléguées par le créancier. Une faute contractuelle n’implique pas nécessairement par elle-même l’existence d’un dommage en relation de cause à effet avec cette faute. Il faut que le préjudice découle de l'inexécution d'une obligation née d'un contrat. Mais, le débiteur peut se libérer de sa responsabilité en apportant la preuve d’une exonération. §2. La cause étrangère libératoire de responsabilité Il s’agit principalement des causes d’exonération prévues les articles 266 et 268 du Dahir des Obligations et Contrats qui libèrent le débiteur du paiement des dommages et intérêts lorsque l’inexécution est alors imputable à une cause étrangère. A. L’absence de faute du débiteur La preuve de l'absence de faute du débiteur n'est pas une véritable cause d'exonération. Son appréciation sera différente qu’il s’agisse là encore de la distinction entre l’obligation de résultat ou l’obligation de moyens. En effet, lorsque le débiteur doit exécuter une obligation de moyens, sa responsabilité ne sera engagée que si une faute est prouvée à son encontre. D'un autre côté, dans le cas de l'obligation de résultat, le débiteur ne peut pas se libérer en prouvant l'absence de faute. Il doit établir une cause étrangère, qui peut être soit une force majeure, soit le fait du tiers ou soit du créancier. B. La cause étrangère non imputable au débiteur Traditionnellement, en droit civil marocain, trois types de causes sont à distinguer. Il s’agit de la force majeure, le cas fortuit, ou la demeure du créancier. On ne retiendra principalement ici que la force majeure (1). Une fois caractérisée et retenue, cette cause produira des effets juridiques importants (2). 1. La force majeure ou le cas fortuit Les articles 266 et 268 du Dahir des Obligations et Contrats parlent de la force majeure et du cas fortuit, mais aujourd'hui étant tenus pour synonymes ces deux expressions recouvrent la même réalité. Ayant une portée générale, cette cause d'exonération peut être écartée, en totalité ou en partie, par une clause du contrat ou une disposition législative. Ainsi, dans le contrat de bail à 50 ferme, l'article 709 du Dahir des Obligations et Contrats92 autorise les parties à mettre à la charge du fermier les cas fortuits, mais l'article ne précise ni les « cas fortuits ordinaires », comme la grêle ou encore la gelée, et ni les « cas fortuits extraordinaires » comme les ravages de la guerre ou encore l’inondation exceptionnelle. Traditionnellement, comme d’ailleurs en matière extra-contractuelle, la force majeure se caractérise principalement par trois éléments à savoir, l’irrésistibilité, l’imprévisibilité et l’extériorité. Par rapport aux autres éléments, l'irrésistibilité est le caractère déterminant de la force majeure. Le débiteur doit être dans l'impossibilité d'agir. En cela, la force majeure se distingue alors de la simple difficulté d'agir. Si l'exécution de l'obligation est seulement plus difficile, le débiteur n'est pas libéré. Ainsi, par exemple, la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 a rendu plus difficile l'exécution des contrats. Elle constitue, par décision politique, un cas de force majeure. L'irrésistibilité est ordinairement appréciée in abstracto, par référence à un homme normalement diligent, qui serait placé dans les mêmes circonstances. Mais, pour constituer un cas de force majeure, l'événement doit être imprévisible lors de la conclusion du contrat. Si, à ce moment, il avait pu être prévu, les parties ont dû, ou auraient dû, en tenir compte, et si elles ne l'ont pas fait, on peut leur reprocher une certaine négligence. Comme l'irrésistibilité, ce caractère est apprécié in abstracto, puisque les juges parlent d'« événement normalement imprévisible » et se réfèrent donc à l'homme raisonnable placé dans la même situation. L'événement doit être étranger au débiteur et aux personnes auxquelles il répond. La force majeure ou le cas fortuit suppose nécessairement un événement extérieur à l'activité du débiteur de l'obligation. Une fois caractérisée, la force majeure produira alors des effets juridiques. 2. Les effets de la force majeure La force majeure lorsqu’elle est retenue par le juge, elle a un effet libératoire. Elle libère le débiteur sans être condamné à un quelconque paiement de dommages et intérêts. Cette situation est prévue à l’article 268 du Dahir des Obligations et Contrats 93. Mais, lorsque l'inexécution due à la force majeure est seulement partielle, il est logique que la libération n'a lieu que pour partie. Dans une telle situation, l'accomplissement des autres prestations reste encore possible et peut toujours présenter un grand intérêt pour le créancier 94. De la même manière, lorsque l'impossibilité est momentanée, l'exécution de l'obligation est seulement suspendue, et le créancier serait tout à fait en droit de l'exiger dès que l'obstacle disparaît. 92 Article 709 « Lorsque le preneur est empêché de labourer ou d'ensemencer sa terre par cas fortuit ou force majeure, il a droit, soit à la remise du prix du bail, soit à la répétition de ce qu'il a payé d'avance, pourvu : 1° Que le cas fortuit ou la force majeure n'ait pas été occasionné par sa faute ; 2° Qu'il ne soit pas relatif à sa personne ». 93 Article 268 « Il n'y a lieu à aucun dommages-intérêts lorsque le débiteur justifie que l'inexécution ou le retard proviennent d'une cause qui ne peut lui être imputée, telle que la force majeure, le cas fortuit ou la demeure du créancier ». 94 Req. 26 juill. 1909, D.P. 1911. 1. 55. 51 Parfois et même exceptionnellement, le Dahir des Obligations et Contrats prévoit que certains événements entraînent de plein droit, sans savoir s'ils constituent des cas de force majeure, une extinction de l'obligation. Tel est la situation du mandat prévue à l’article 929 du Dahir des Obligations et Contrats95. Dans la pratique, lorsque la force majeure n’a pas été retenue, la mise en œuvre du droit à réparation nécessite certaines exigences procédurales. Section 2. Les conditions de mise en œuvre du droit à réparation En droit civil marocain, pour mettre en œuvre son droit à indemnisation la victime doit satisfaire à certaines exigences de caractère formel ou procédural. Le créancier doit en principe mettre le débiteur en demeure d'exécuter ses obligations, sauf lorsque l'exécution n'est définitivement plus possible. La mise en demeure est parfois exigée comme un préalable nécessaire à la mise en œuvre d’une procédure judiciaire. C’est une exception de procédure. Faute de mise en demeure du débiteur, tous les actes subséquents de la procédure sont entachés de nullité. Si le débiteur n'exécute toujours pas son obligation, il appartient à la victime alors d'exercer une action au fond, une action en responsabilité contractuelle devant le tribunal compétent et dans le délai de prescription. D’un point de vue processuel, il y a une nécessité d’une mise en demeure (§1) avant toute action judiciaire (§2). §1. La mise en demeure Elle se définit comme un acte par lequel le créancier enjoint au débiteur d’exécuter son obligation contractuelle, alors que celle-ci n’a pas été exécutée volontairement au moment où elle devait l’être. Par conséquent, la mise en demeure a pour objet de constater l’inexécution de l’obligation et alerte le débiteur sur sa défaillance contractuelle. C’est un outil indispensable pour contraindre le débiteur à exécuter ses obligations. Mais, certainement la mise en demeure est l’un des points sur lequel les régimes de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle sont totalement différents. En matière délictuelle, les dommages et intérêts pour des délits ou quasi délit n’est qu’un manquement à une obligation de ne pas faire ou ne pas nuire à autrui sans droit. Ici, la mise en demeure est inconcevable pour marquer un manquement à une obligation de ne pas faire. La violation de l'obligation est chose faite et elle est irrémédiable. En revanche, en matière contractuelle, l'inexécution affecte la forme d'un retard, et la mise en demeure a véritablement un sens. Cette mise en demeure doit toutefois revêtir certaines formes (A) et concerner tous les domaines contractuels (B). 95 Article 929 : « Le mandat finit : 1° Par l'accomplissement de l'affaire pour laquelle il a été donné ; 2° Par l'événement de la condition résolutoire, ou l'expiration du terme qui y a été ajouté ; 3° Par la révocation du mandataire ; 4° Par la renonciation de celui-ci au mandat ; 5° Par le décès du mandant ou du mandataire ; 6° Par le changement d'état par lequel le mandant ou le mandataire perd l'exercice de ses droits, tel que l'interdiction, la mise en faillite, à moins que le mandat n'ait pour objet des actes qu'il peut accomplir malgré ce changement d'état ; 7° Par l'impossibilité d'exécution pour une cause indépendante de la volonté des contractants ». 52 A. Les formes de la mise en demeure Les formes de la mise en demeure sont prévues par l'article 255 du Dahir des Obligations et Contrats qui dispose que « le débiteur est constitué en demeure par la seule échéance du terme établi par l’acte constitutif de l’obligation. Si aucune échéance n’est établie, le débiteur n’est constitué en demeure que par une interpellation formelle du représentant légitime de ce dernier….( …). Cette interpellation doit être faite par écrit, elle peut résulter même d'un télégramme, d'une lettre recommandée, d'une citation en justice, même devant un juge incompétent ». Au-delà de cette liste exhaustive, cette forme de la mise en demeure est exigée en cas d’inexécution des obligations par le débiteur contractuel. B. Le domaine de l’exigence d’une mise en demeure La mise en demeure concerne tous les domaines contractuels. Elle peut s'avérer particulièrement nécessaire surtout à propos du retard de l’exécution des obligations de la part du débiteur contractuel. Elle seule permet d’imputer le retard du débiteur. Mais, cette exigence procédurale peut être écartée par la loi. Il en va ainsi par exemple en matière de mandat selon les articles 90896 et 87297 du Dahir des Obligations et Contrats, ou par une clause du contrat, dont la validité est expressément reconnue par l'article 255 du Dahir des Obligations et Contrats. Dès lors, aucune forme particulière de la mise en demeure n'est exigée. En dehors du retard, la mise en demeure n'est utile que si l'exécution de l'obligation est encore envisageable. Elle est donc, en principe, inutile lorsque l'inexécution a déjà causé un préjudice au créancier. L'interpellation solennelle du débiteur est sans intérêt et donc pas nécessaire seulement dans trois situations. La première situation concerne le manquement du débiteur à une obligation de ne pas faire. Ici, l'article 262 du Dahir des Obligations et Contrats le prévoit expressément que « lorsque l'obligation consiste à ne pas faire, le débiteur est tenu des dommages-intérêts par le seul fait de la contravention ». Dès lors que la violation d'une obligation de non-concurrence ou de la clause d'un contrat de bail commercial interdisant la mise en gérance ou certaines activités est établie, dans ce cas l'inexécution est consommée et la mise en demeure n'est donc pas nécessaire. La deuxième situation concerne la situation du débiteur qui s'était engagé à donner ou faire quelque chose dans un certain temps qu'il a laissé écouler. Cette situation est celle 96 Article 908 « Tout mandataire doit rendre compte au mandant de sa gestion, lui présenter le compte détaillé de ses dépenses et de ses recouvrements, avec toutes les justifications que comporte l'usage ou la nature de l'affaire, et lui faire raison de tout ce qu'il a reçu par suite ou à l'occasion du mandat ». 97 Article 872 « Les intérêts des sommes portées en compte courant sont dus de plein droit, par celle des parties au débit de laquelle elles figurent, à partir du jour des avances constatées ». 53 prévue par l’article 261 du Dahir des Obligations et Contrats. Il en va ainsi par exemple de la livraison de marchandises qui devait être effectuée dans un « délai fixe déterminé »98. Enfin, la troisième situation concerne la situation du débiteur qui déclare ne pas vouloir exécuter son obligation. Il en est, par exemple, lorsque le débiteur a demandé la résiliation du contrat. Dans ce cas, il a manifesté clairement sa volonté de ne pas l'exécuter. A la différence du simple retard, dans toutes ces situations la mise en demeure est inutile du fait que l'exécution ne paraît plus possible. Sur le plan juridique, la mise en demeure emporte traditionnellement trois effets. D’abord, comme nous l’avons déjà souligné, elle ouvre droit à l’introduction d’une action en justice en cas d’inaction du débiteur. Ensuite, elle fait courir l’intérêt moratoire. Enfin, elle met les risques à la charge du débiteur, en ce sens que c’est lui qui en supportera les conséquences si survient un cas de force majeure ou encore la perte ou la destruction de la chose. Si la mise en demeure est restée infructueuse, la victime peut ester en justice. §2. L’action en justice A défaut d'accord des parties sur le principe même de la responsabilité et sur le montant des dommages et intérêts, la victime qui désire obtenir une indemnisation doit engager une action en justice. Cette action obéit aux règles du droit commun, mais deux précisions méritent d'être données. L'une concerne la compétence juridictionnelle (A) et l'autre la prescription (B). A. La compétence juridictionnelle En matière civile, la compétence juridictionnelle est l’aptitude d’une juridiction étatique marocaine de l’ordre judiciaire à connaître d’un litige ou d’une situation de droit privé. La détermination de la juridiction compétente est le préalable nécessaire à la saisine du juge civil, et donc à l’examen de l’affaire sur le fond. Sont applicables aussi les règles ordinaires relative à la compétence rationae materiae, c'est-à-dire les matières pour lesquelles la juridiction est apte à statuer. Le Tribunal de Première Instance dispose d’une compétence matérielle de droit commun, tandis que les autres juridictions statuant en matière civile disposent d’une compétence matérielle d’attribution. Ainsi, la victime peut saisir, selon l'origine de sa créance soit le Tribunal de Première Instance ou soit le Tribunal de commerce. Il en est ainsi pour tous les litiges bancaires qui relèvent exclusivement de la compétence du tribunal de commerce. Si l'inexécution du contrat constitue en même temps une infraction pénale, la victime peut se constituer partie civile devant les tribunaux répressifs pour réclamer réparation de son dommage. Mais, ces juridictions appliquent les règles de la responsabilité civile délictuelle, et 98 Req. 16 févr. 1921, D.P. 1922. 1. 102. 54 non contractuelle, au motif que l'infraction pénale implique une faute au sens des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Cette action judiciaire doit être impérativement introduite dans le délai légal. C’est la prescription. B. La prescription Par la prescription, le droit confère au temps une fonction profondément extinctive. Elle sanctionne avant tout la négligence à faire valoir un droit. Le droit organise à cette fin de nombreux délais de prescription. En matière civile, elle est définie à l’article 371 du Dahir des Obligations et Contrats. Selon l’article 387 du Dahir des Obligations et Contrats « toutes les actions naissant d'une obligation sont prescrites par quinze ans, sauf les exceptions ci-après et celles qui sont déterminées par la loi dans les cas particuliers. C’est donc la prescription de droit commun qui s’applique, en principe, aux actions en responsabilité contractuelle. Le point de départ du délai est le jour où l'obligation inexécutée est exigible. A ce principe, au Maroc, de nombreuses exceptions sont apportées par des textes spéciaux. Lorsque le contrat est commercial, la durée de prescription est de cinq ans, en application de l'article 5 du Code de commerce concernant « les obligations nées, à l'occasion de leur commerce, entre commerçants, ou entre commerçants et non commerçants ». Le même délai de cinq ans s'applique aux actions en responsabilité des marchands, fournisseurs, fabricants, à raison des fournitures faites par eux aux particuliers pour leurs usages domestiques au sens de l’article 388 du Dahir des Obligations et Contrats. Il en est de même pour l’action en responsabilité fondée sur l'annulation d'une société où l’article 92 de loi n° 596 relative à la société en nom collectif, à la société en commandite simple, à la société en commandite par actions, à la société à responsabilité limitée et à la société en participation dispose que « les premiers gérants et les associés auxquels la nullité de la société ou de l'une de ses décisions est imputable, sont solidairement responsables, envers les autres associés et les tiers du dommage résultant de la nullité. L'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la décision d'annulation est passée en force de chose jugée ». A cela s'ajoutent diverses lois spéciales qui prévoient des délais plus brefs, éventuellement applicables à des actions en responsabilité contractuelle. On citera pour exemple uniquement la loi n° 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur dans le domaine de la garantie légale des défauts de la chose vendue. En effet, l’article 65 de cette loi dispose que « toute action en justice découlant des défauts nécessitant la garantie ou du fait que l’objet vendu est dépourvu des qualités promises, doit être intentée dans les délais suivants, à peine de forclusion, pour les immeubles, dans les deux ans après la livraison, pour les biens meubles, dans l’année suivant la livraison ». Ce texte a modifié l’article 573 du Dahir des Obligations et Contrats. D’ailleurs on retrouve aussi un délai plus court en droit commun, un délai de deux ans prévu par l’article 388 du Dahir des Obligations et Contrats. C’est le cas de : 55 « 1° L'action des médecins, chirurgiens, accoucheurs, dentistes, vétérinaires, pour leurs visites et opérations ainsi que pour leurs fournitures et déboursés, à partir de la date de la fourniture ; 2° Celle des pharmaciens pour les médicaments par eux fournis, à partir de la date de la fourniture ; 3° Celle des établissements publics ou privés destinés au traitement des maladies physiques ou mentales, ou à la garde des malades, à raison des soins par eux donnés auxdits malades et des fournitures et déboursés faits pour ces derniers, à partir du jour où les soins ont été donnés et où les fournitures ont été faites ; 4° Celle des architectes, ingénieurs, experts, géomètres, pour leurs devis ou opérations et les déboursés par eux faits, à partir du jour où le devis a été remis, les opérations accomplies ou les déboursés effectués, 5° Celle des marchands, fournisseurs, fabricants, à raison des fournitures par eux faites aux particuliers pour leurs usages domestiques ; 6° Celle des agriculteurs et producteurs de matières premières pour les fournitures par eux faites, lorsqu'elles ont servi aux usages domestiques du débiteur ; ce, à partir du jour où les fournitures ont été faites ». Enfin, se prescrivent par un délai d’un an : « 1° L'action des instituteurs, professeurs, maîtres de pension publics ou privés, pour les honoraires à eux dus par leurs élèves, ainsi que pour les fournitures faites à ces derniers, à partir de l'échéance du terme fixé pour le paiement de leurs honoraires ; 2° Celle des domestiques pour leurs gages, déboursés et autres prestations à eux dus, en vertu du louage des services, ainsi que celle des maîtres contre leurs serviteurs pour les avances faites à ceux-ci à ce même titre ; 3° Celle des ouvriers, employés, apprentis, voyageurs, représentants ou placiers de commerce et d'industrie pour leurs salaires et commissions, pour les déboursés par eux faits à raison de leurs services, pour leurs indemnités de congés annuels payés ou compensatrices de congé dues au titre de l'année de référence en cours, ainsi que dans le cas de droit à des congés groupés, au titre de l'année ou des deux années précédentes ; Celle des artisans pour leurs fournitures et journées et pour les déboursés par eux faits à raison de leurs services ; Celle de l'employeur ou patron pour les sommes avancées à ses ouvriers, employés, apprentis, voyageurs, représentants ou placiers, sur leurs rémunérations ou commissions ou bien au titre des déboursés faits par eux à raison de leurs services ; 4° Celle des hôteliers ou traiteurs, à raison du logement et de la nourriture qu'ils fournissent, et des déboursés faits pour leurs clients ; 5° Celle des locateurs de meubles et choses mobilières, à raison du prix du louage de ces choses ». 56 CHAPITRE 2. LA RÉPARATION DU DOMMAGE CONTRACTUEL Malgré l'ambiguïté du Dahir des Obligations et Contrats, la réparation du dommage s’organise autour de quelques principes de portée générale. A ce sujet, la jurisprudence n’a pas hésité à permettre au créancier de l’obligation inexécutée de choisir, de préférence à la résolution du contrat, une indemnisation à titre principal. Lorsqu’il n’y a pas de résolution, les dommages et intérêts ont à la fois une fonction de remplacement de la prestation inexécutée (exécution par équivalent) et de réparation des préjudices extrinsèques, c'est-à-dire de ceux qui affectent d’autres biens ou la personne du créancier. Ils visent donc à replacer celui-ci dans la position qui aurait été la sienne si le contrat avait été correctement exécuté. En raison de l'inexécution de l'obligation de son débiteur contractuel, le créancier a droit à une indemnisation pécuniaire destinée à réparer le préjudice qu'il subit. Mais, dans le domaine de la réparation, une question se pose, celle de savoir si une réparation en nature est admissible. Pour les obligations de somme d'argent, le problème ne se pose pas en raison même de leur objet, puisque l’exécution en nature et l’exécution par équivalent se confondent. Dans certaines hypothèses, l'octroie de dommages et intérêts constitue le seul procédé concevable. Il en est ainsi en cas de dommage corporel. Mais, lorsque l'exécution en nature est matériellement possible, un obstacle provient alors du principe énoncé dans les articles 261 et 262 du Dahir des Obligations et Contrats. Ces textes prévoient que toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur. Ces articles semblent prohiber l'exécution en nature de toute obligation de faire ou de ne pas faire. A l’égard de ces textes, il semble que la jurisprudence en a réduit sensiblement la portée. En effet, si l'exécution en nature est encore possible, les juges font prévaloir l'article 259 du Dahir des Obligations et Contrats qui permet au créancier d'exiger l'exécution forcée99. De même, l'astreinte constitue un autre moyen juridique plus efficace pour ainsi contraindre le débiteur à accomplir son obligation. Il semble que les articles 261 et 262 du Dahir des Obligations et Contrats apparaissent alors simplement comme une barrière destinée à empêcher toute exécution forcée. Mais, l'empêchement est incontestable lorsque le contrat a un caractère intuitus personae. Ainsi, par exemple un artiste peintre ne peut être condamné à terminer un tableau 100. La situation est différente lorsque l'exécution en nature est devenue impossible. Par exemple, dans le contrat de dépôt prévu à l’article 781 du Dahir des Obligations et Contrats101, si le dépositaire a perdu la chose, les articles 261 et 262 du Dahir des Obligations et Contrat s'opposent à ce qu'il soit condamné à fournir un objet semblable au déposant. C’est ainsi que la jurisprudence en a déduit du principe énoncé dans ces textes qu'« aucune 99 W. Jeandidier, L'exécution forcée des obligations contractuelles de faire, RTD civ., 1976. 700. Civ. 14 mars 1900, D.P. 1900. 1. 497. 101 Article 781 « Le dépôt est un contrat par lequel une personne remet une chose mobilière à une autre personne, qui se charge de garder la chose déposée et de la restituer dans son individualité ». 100 57 disposition légale n'autorise les juges à condamner une partie en réparation d'un dommage causé par elle, à exécuter un acte qui ne lui est imposé ni par la loi, ni par la convention, alors qu'elle refuse de l'accomplir »102. Ainsi, un voiturier n'a pas été condamné à réparer luimême les meubles endommagés en cours de transport. Toutefois, dans une hypothèse similaire, la jurisprudence a accepté qu'un débiteur, tenu d'une obligation de restitution, soit condamné à remettre au créancier des objets « de même nature pouvant se trouver dans le commerce », en considérant que les articles 261 et 262 du Dahir des Obligations et Contrats « ne peuvent trouver application qu'en cas d'inexécution d'une obligation personnelle de faire ou de ne pas faire »103. Cependant, si la notion d'obligation personnelle est difficile à cerner, la formule laisse entendre que les articles 261 et 262 du Dahir des Obligations et Contrats interdisent seulement l'exécution forcée qui porterait atteinte à une liberté essentielle. Mais, l’article 262 énonce aussi que « le créancier peut, en outre, se faire autoriser à supprimer, aux dépens du débiteur, ce qui aurait été fait contrairement à l'engagement ». Ce texte, propre aux obligations de ne pas faire, permet ainsi d'exiger par exemple la démolition d'un ouvrage, édifié en violation d'une clause interdisant une construction, ou encore la fermeture d'un fonds de commerce exploité au mépris d'une obligation de non-concurrence contenu dans le contrat de vente. En précisant que le demandeur « peut se faire autoriser à supprimer, aux dépens du débiteur,», cela signifie que le rétablissement de l'état antérieur va pouvoir se faire, en cas de résistance du débiteur et tout cela à ses frais. Il est donc tenu à une indemnité pécuniaire. Quant aux dommages et intérêts visés par l’article 262 du Dahir des Obligations et Contrats, ils sont destinés à réparer le trouble de jouissance que la violation de l'obligation et la nécessité d'une remise en état ont fait subir au créancier. Les juges du fond apprécient souverainement si des dommages et intérêts sont dus. Un autre tempérament est encore apporté par l’article 261 du Dahir des Obligations et Contrats à propos des obligations de faire. Ce texte énonce que « cependant, si l'obligation consiste en un fait dont l'accomplissement n'exige pas l'action personnelle du débiteur, le créancier peut être autorisé à la faire exécuter lui-même aux dépens de ce dernier ». Comme pour l’article 262 du Dahir des Obligations et Contrats, le débiteur est finalement tenu à une obligation de somme d'argent, mais le créancier obtient la prestation en nature qu'il attendait, si du moins elle peut être accomplie par une autre personne. Il en est ainsi par exemple pour des marchandises non livrées104. Cependant, ce mode d'exécution de l'obligation aux dépens du débiteur suppose l'autorisation du juge 105. Question de pur fait, la Cour de cassation laisse au juge du fond le pouvoir d'apprécier si la mesure sollicitée doit être accordée. Il faut rappeler que les articles 261 et 262 du Dahir des Obligations et Contrats ne concernent uniquement que les obligations de faire et de ne pas faire. Quant à l'obligation de donner, c'est-à-dire transférer la propriété d'un bien, elle est en principe, selon l’article 491 du 102 Civ. 4 juin 1924, D.P. 1927. 1. 136, S. 1925. 1. 97, note L. Hugueney. Civ. 1 re, 20 janv. 1953, J.C.P. 1953. II. 7677, note P. Esmein. 104 Req. 31 déc. 1900, D.P. 1901. 1. 135. 105 Soc. 5 juin 1953, D. 1953. 601 ; Civ. 3 e, 29 nov. 1972, Bull. civ. III, no 642. 103 58 Dahir des Obligations et Contrats106, exécutée immédiatement dès l'échange des consentements, du moins pour les corps certains. Mais, selon l’article 499 du Dahir des Obligations et Contrats107, elle emporte l'obligation de livrer la chose, qui est une forme particulière d'obligation de faire, et si le débiteur ne l'exécute pas, le créancier, devenu propriétaire, peut à ce titre exercer une action-revendication. Lorsque l'obligation porte sur une chose de genre, le transfert de propriété est retardé au moment de son individualisation. Par conséquent, jusqu'à cette date, la voie de l’action-revendication est fermée au créancier. Il lui reste alors soit à réclamer des dommages et intérêts, soit, conformément à l’article 261 du Dahir des Obligations et Contrats, à se procurer la même chose aux dépens du débiteur, après avoir obtenu l'autorisation du juge. Dans l'hypothèse particulière du débiteur d'une promesse de vente qui refuserait de signer l'acte définitif devant notaire, la jurisprudence décide que le jugement de condamnation tient lieu d'acte authentique de vente108. Par ailleurs, la loi et la jurisprudence prévoient d'autres modes de réparation, telles la déchéance d'un droit ou la résolution du contrat, expressément prévue à l’article 549 du Dahir des Obligations 109 et Contrats en cas de garantie des vices cachés. Enfin, dans les limites imposées par la loi, les juges du fond peuvent choisir le mode de réparation qui leur paraît le plus approprié 110. 106 Article 491 « L'acheteur acquiert de plein droit la propriété de la chose vendue, dès que le contrat est parfait par le consentement des parties ». 107 Article 499 « La délivrance a lieu lorsque le vendeur ou son représentant se dessaisit de la chose vendue et met l'acquéreur en mesure d'en prendre possession sans empêchement ». 108 Req. 18 mai 1912, D.P. 1913. 1. 198 ; Civ. 3e, 5 janv. 1983, J.C.P. 1984. II. 20312, note H. Thuillier. 109 Article 549 « Le vendeur garantit les vices de la chose qui en diminuent sensiblement la valeur, ou la rendent impropre à l'usage auquel elle est destinée d'après sa nature ou d'après le contrat. Les défauts qui diminuent légèrement la valeur ou la jouissance, et ceux tolérés par l'usage, ne donnent pas ouverture à garantie. Le vendeur garantit également l'existence des qualités par lui déclarées, ou qui ont été stipulées par l'acheteur ». 110 Civ. 1re, 20 janv. 1953, J.C.P. 1953. II. 7677, note P. Esmein. 59 DEUXIÈME PARTIE. LES RESPONSABILITÉS CIVILES DE DROIT COMMUN La coexistence de différents régimes de responsabilité dans le système juridique marocain doit conduire les juristes à s’interroger sur leur ordre d’application. Ainsi, lorsqu’une personne cause un dommage à autrui, elle peut devoir parfois en répondre à plus d’un titre. Alors, deux questions se posent. Celle du choix de la norme à appliquer et celle qui revient à se demander si le principe de l’exclusivité ou celui du cumul prévaut. Classiquement, parmi les responsabilités civiles de droit commun, il y a lieu de s’intéresser à la responsabilité civile du fait personnel (Chapitre 1), du fait d’autrui (Chapitre 2) et du fait des choses (Chapitre 2). 60 CHAPITRE 1. LA RESPONSABILITÉ CIVILE DU FAIT PERSONNEL Le premier grand volet de la responsabilité civile en droit marocain est certainement la responsabilité extra-contractuelle. Elle est constituée par deux types de responsabilités, délictuelle et quasi délictuelle du fait personnel, dans lesquelles l'acte dommageable consiste dans la violation d'une obligation, quelle qu'en soit l'origine (légale au sens le plus large, coutumière, jurisprudentielle) et que l'acte soit volontaire (délit civil) ou involontaire (quasidélit civil). Cette responsabilité a pour principe que toute personne qui commet une faute personnelle doit réparer le préjudice qui en résulte, sous réserve toutefois de l'existence de causes d'exonération et de faits justificatifs. Ainsi, la responsabilité du fait personnel est donc celle qui est engagée par un fait dommageable propre au responsable. Ce dernier apparait ainsi à la fois comme l'auteur et le responsable du dommage. Dès lors, cette responsabilité s'oppose aux responsabilités engendrées par le fait d'une chose prévue par les articles 86, 88 et 89 du Dahir des Obligations et Contrats ou par le fait d'autrui prévue par l’article 85 du Dahir des Obligations et Contrats. Traditionnellement, la responsabilité du fait personnel est fondée sur l'existence d'une faute. En droit civil marocain, la faute est une condition particulièrement essentielle de la mise en œuvre de la responsabilité civile. Il en dégage alors un principe juridique pour la responsabilité du fait personnel selon lequel "pas de responsabilité sans faute". D’ailleurs, une simple lecture des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats suffit à révéler que la faute est une condition nécessaire à la responsabilité du fait personnel. Le mot "faute" figure, en effet, en toutes lettres dans l'article 78 du Dahir des Obligations et Contrats qui se réfère à la faute non intentionnelle en disposant à son alinéa 3 que « la faute consiste, soit à omettre ce qu’on était tenu de faire, soit à faire ce dont était tenu de s’abstenir, sans intention de causer un dommage ». A cet égard, la doctrine et la jurisprudence ont toujours considéré que les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats contenaient en eux le principe de l'exigence de la faute. On enseigne habituellement que l'article 77 du Dahir des Obligations et Contrats s'applique aux délits civils, le mot "fait" ("Tout fait quelconque de l'homme...") étant mis pour "fait intentionnel", alors que l'article 78 du Dahir des Obligations et Contrats, énonçant que l'on est responsable "non seulement (du dommage causé, par son fait (intentionnel), mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe ", ne vise quant à lui que les quasi-délits. Ces fameux articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats contiennent donc les règles relatives à la responsabilité du fait personnel, tandis que les articles 85 à 89 ne visent que des cas particuliers de responsabilité notamment du fait des choses et du fait d'autrui. Comme dans d’autres systèmes juridiques étrangers, cette responsabilité a été conçue comme le droit commun de la responsabilité civile 111. D’ailleurs, les quelques dispositions du 111 H. et L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, t. I : Montchrestien, 6e éd. 1965, n° 366. 61 Dahir des Obligations et Contrats consacrées à la responsabilité délictuelle ou quasidélictuelle confirment justement ce point de vue. Si l'usage s'est instauré dans la pratique de donner à l'article 77 du Dahir des Obligations et Contrats une certaine vocation à régir les conséquences dommageables aussi bien de la faute non intentionnelle que de la faute intentionnelle, l'article 78 du Dahir des Obligations et Contrats de son côté n'en conserve pas moins l'intérêt de poser en principe qu'une simple faute, d'imprudence ou de négligence, suffit alors à générer en droit civil marocain une responsabilité. Mais, avant d'exposer les principaux traits du régime juridique de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle du fait personnel (Section II), il convient avant tout de délimiter son domaine d'application (Section I). Section I. Le domaine d'application de la responsabilité du fait personnel Conçue comme une responsabilité de droit commun, la responsabilité du fait personnel a vocation à s'appliquer à un très vaste domaine. Mais, si cette observation se vérifie pleinement en ce qui concerne les personnes qu'elle régit (§1), elle a été sérieusement concurrencée par les autres espèces de responsabilités, ce qui a conduit, à certaines époques, à en réduire le domaine et impose en tout cas aujourd'hui que soient précisés les rapports que la responsabilité du fait personnel entretient avec les autres responsabilités notamment du fait des choses et du fait d'autrui (§2). §1. La délimitation du domaine de la responsabilité du fait personnel quant aux personnes Contrairement au langage courant, le mot « personne » désigne dans le langage juridique à la fois les personnes physiques (A) et les personnes morales (B). A. Les personnes physiques La responsabilité du fait personnel s'applique incontestablement aux personnes physiques, que l'article 77 du Dahir des Obligations et Contrats vise d'ailleurs expressément : "Tout fait quelconque de l'homme...". Il n'y a pas lieu de distinguer entre ces personnes, en particulier selon qu'elles sont majeures ou mineures. Toutes ces personnes sont en principe susceptibles de voir leur responsabilité engagée en raison de leur propre fait. Cependant, en droit civil marocain, le cas du mineur ou de l’infirme, leur responsabilité est soumise aux dispositions des articles 96 et 97 du Dahir des Obligations et Contrats qui posent le principe de l’irresponsabilité du mineur et des sourds muets et infirmes. Ce principe semble être justifié par la notion de discernement. C’est une condition, semble-til, non seulement de la mise en œuvre de la responsabilité civile, mais aussi de l’imputabilité de la faute. En droit civil marocain donc, commettre une faute suppose donc de pouvoir discerner le bien et le mal. D’ailleurs, à ce sujet, pendant longtemps, de manière générale la responsabilité personnelle a été écartée par la jurisprudence lorsque la personne, majeure ou mineure, était privée de raison au moment de l'accomplissement du fait dommageable. Cette exclusion de la responsabilité s'expliquait par l'exigence de l'imputabilité de ce fait à l'auteur. 62 Ce n’est pas le cas dans d’autres systèmes juridiques étrangers et notamment français, où le législateur et la jurisprudence sont venus bouleverser les solutions de son droit positif en ce domaine. Ainsi, l'article 489-2 du Code civil français, permet d'engager la responsabilité personnelle des aliénés en disposant que "celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental, n'en est pas moins obligé à réparation". De son côté, la jurisprudence de la Cour de cassation française a rapidement affirmé que cette disposition est applicable au mineur dément aussi bien qu'au majeur 112. Cet article 489-2 du Code civil est considéré par la jurisprudence et par la doctrine française comme une disposition interprétative des fameux articles 1382 et suivants du Code civil 113, devenus articles 1240 et suivants avec la loi du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Désormais, en droit français, la responsabilité issue de ces nouveaux articles 1240 et 1241 du Code civil s'applique sans restriction à toutes les personnes, quel que soit alors leur capacité juridique ou leur état mental. Qu’en est-il des personnes morales ? B. Les personnes morales Si d’un point de vue du droit pénal, la responsabilité pénale des personnes morales est consacrée par l'article 127 du code pénal marocain, d’un point de vue du droit civil, les tribunaux civils ont toujours accepté d'engager la responsabilité civile des groupements dès lors qu'ils jouissaient de la personnalité juridique. Cette responsabilité concerne d'ailleurs non seulement les seules personnes morales de droit privé, mais encore les personnes morales de droit public, lorsqu'elles accomplissent un acte de gestion privé, ou cause un dommage à l'occasion d'un contrat civil ou commercial. En outre, la loi impose de juger "conformément au droit civil" les dommages causés par des véhicules appartenant à des personnes morales publiques. Qu’en est-il de la responsabilité du fait personnel par rapport aux autres responsabilités ? §2. La délimitation du domaine de la responsabilité du fait personnel par rapport aux autres responsabilités Il existe plusieurs façons de combiner les domaines respectifs des différentes espèces de responsabilités. On peut schématiquement les regrouper en trois systèmes. Le premier système est celui dans lequel les domaines propres aux différentes responsabilités peuvent d'abord être exclusifs. Les responsabilités spéciales s'appliqueront alors à une catégorie définie de dommages, à l'exclusion des responsabilités plus générales. 112 Cass. 1re civ., 20 juill. 1976 : JCP G 1978, II, 18793, note N. Dejean de la Bâtie ; D. 1977, inf. rap. p. 114 ; RTD civ. 1976, p. 784, obs. G. Durry ; Defrénois 1977, art. 31348, p. 401, obs. J.-L. Aubert. 113 Cass. 2e civ., 4 mai 1977 : D. 1978, p. 393, note R. Legeais ; RTD civ. 1977, p. 772, obs. G. Durry. - Cass. 1re civ., 17 mai 1982 : Gaz. Pal. 1983, 1, p. 185, note P. Jourdain ; pan. jurispr. p. 134, obs. G. Chabas. - Cass. 2e civ., 24 juin 1987 : Bull. civ. 1987, II, n° 137 63 À l'inverse, le deuxième système est celui dans lequel on peut concevoir un système dans lequel chaque type de responsabilité aurait un domaine propre, mais non exclusif susceptible de recoupement avec d'autres. Ainsi, plusieurs textes pourront avoir une vocation concurrente à s'appliquer aux mêmes dommages. Lorsqu'un dommage entre dans un domaine commun à plusieurs responsabilités, la victime pourra non seulement opter pour l'un ou l'autre, mais encore cumuler plusieurs fondements juridiques de sa demande, c'est-à-dire les invoquer simultanément. Le juge lui-même sera, dans une certaine mesure, libre de choisir la base juridique de sa décision. Enfin, le troisième système est celui dans lequel on peut envisager une combinaison intermédiaire, selon laquelle plusieurs dispositions pourraient avoir un domaine concurrent, tout en imposant une hiérarchie dans leur application. Certaines responsabilités seront alors subsidiaires par rapport à d'autres. La victime conservera une option et la possibilité de cumuler plusieurs fondements de sa demande, mais le juge sera alors tenu de faire application du texte prioritaire, lorsque ceux qui ont été invoqués à l'appui de la demande sont tous applicables. Alors, il convient d'envisager distinctement les rapports de la responsabilité du fait personnel avec les responsabilités du fait des choses (A) et du fait d’autrui (B). A. Les rapports de la responsabilité du fait personnel avec la responsabilité du fait des choses La responsabilité du fait personnel doit être envisagée dans les rapports des articles 88 et 86 (1) et l’article 89 (2) du Dahir des Obligations et Contrats. 1. Les rapports de la responsabilité du fait personnel avec la responsabilité des articles 88 et 86 du Dahir des Obligations et Contrats La responsabilité du fait personnel et la responsabilité du fait des choses ont chacune un domaine propre. Pour l'une, il s'agit du fait de l'homme et, pour l'autre, du fait d'une chose inanimée tel qu’il résulte de l’article 88 du Dahir des Obligations et Contrats ou encore d'un animal tel qu’il résulte de l’article 86 du Dahir des Obligations et Contrats. Lorsque la jurisprudence procède à cette affirmation, elle entend par là que chaque responsabilité répond, pour sa mise en œuvre, à des conditions qui lui sont propres et, d'une façon générale, se voit appliquer un régime juridique différent 114. Que leurs domaines soient propres, ne signifie nullement qu'ils sont distincts et exclusifs l'un de l'autre. Le fait de l'homme n'exclut pas plus le fait de la chose que le fait d'une chose n'est exclusif du fait d'un homme. Autrement dit, les responsabilités des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats d'une part, et des articles 86 et 88 du Dahir des Obligations et Contrats d'autre part, ont vocation à s'appliquer concurremment à une même situation dommageable 115. 114 V. L. Grynbaum : Rép. civ. Dalloz, V° Responsabilité du fait des choses inanimées, n° 37 À une époque, pourtant, la doctrine, craignant que les développements de la responsabilité de l'ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil, ne conduisissent à l'absorption de la responsabilité du fait personnel, avait recherché des moyens pour cantonner dans des limites précises le jeu de l'article 1384, alinéa 1er. C'est ce que 115 64 Lorsque le fait dommageable entre dans le domaine d'application des responsabilités du fait personnel et du fait des choses, la victime a alors la possibilité d'invoquer, à son choix, soit les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats, même si le dommage a été causé par une chose116 ou soit l'article 86 ou 88 du Dahir des Obligations et Contrats même lorsque le dommage est dû en même temps au fait de l'homme fautif ou non117. Mais bien entendu, si les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats, d'une part, l'article 88 du Dahir des Obligations et Contrats, d'autre part, ont tous vocation à s'appliquer, la victime aura intérêt à les invoquer simultanément. Le cumul est donc possible118. 65 2. Les rapports de la responsabilité du fait personnel avec la responsabilité des articles 89 du Dahir des Obligations et Contrats La responsabilité du fait des bâtiments prévue par l'article 89 du Dahir des Obligations et Contrats masque souvent une responsabilité du fait personnel. Il en sera spécialement ainsi lorsque le dommage est imputable à un défaut d'entretien ou par le vice de construction, car selon l'article 89 du Dahir des Obligations et Contrats c'est un fait fautif de l'homme qui est à l'origine du dommage et sans d'ailleurs qu'il s'agisse nécessairement du propriétaire désigné responsable. Dans ce cas, les responsabilités du fait personnel et du fait des bâtiments auront donc pour partie un domaine commun. Cependant, la mise en œuvre de la responsabilité de l'article 89 du Dahir des Obligations et Contrats permet à la victime de bénéficier d'un régime plus favorable. Elle n'a pas à établir la preuve d’une faute 119. Il est alors évident que la victime aura donc grand intérêt à invoquer cette disposition à chaque fois que ces conditions d'application se trouveront réunies. Le cumul de l'article 89 avec les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats est très largement admis, ainsi que l'option ouverte à la victime 120. Mais, le juge, quant à lui, sera libre d'appliquer l'une ou l'autre des dispositions pour fonder sa décision si elles ont été simultanément invoquées et qu’elles sont toutes applicables. Ici, il n'y a pas lieu de l'obliger à Josserand avait appelé le "travail de refoulement de la responsabilité du fait des choses inanimées". Ainsi avaiton entendu limiter le "fait de la chose" à celui qui résultait d'un "vice propre" de la chose, ou encore au "fait autonome" de la chose. De même avait-on voulu limiter l'application de cette responsabilité aux "choses dangereuses". Mais la Cour de cassation, dans l'arrêt Jand'heur, a rejeté toutes ces distinctions (Cass. ch. réunies, 13 févr. 1930, DP 1930, 1, p. 57, rapp. Le Marc'hadour, concl. Mater, note G. Ripert ; S. 1930, 1, p. 121, note P. Esmein). Et la jurisprudence, par la suite, a attribué à la responsabilité de l'article 1384, alinéa 1er, un très vaste domaine d'application. Il en résulte, d'une part, que toute chose peut être prise en compte pour l'application de ce texte, et d'autre part, qu'aucune spécificité ne doit être conférée à la notion de "fait de chose". 116 V. par exemple, Cass. 2e civ., 21 nov. 1956 : D. 1957, p. 209, note R. Savatier. - Cass. 2e civ., 21 janv. 1970, D. 1970, p. 525, note Y. Lambert-Faivre. 117 V. par exemple, Cass. 2e civ., 28 mars 1974 : Bull. civ. 1974, II, n° 115 ; D. 1974, inf. rap. p. 151. V. aussi Cass. 2e civ., 17 mars 1966 : Bull. civ. 1966, II, n° 358. 118 J. Boré, Le cumul de la responsabilité du fait personnel et de la responsabilité du fait des choses : JCP G 1965, I, 1961. 119 V. infra JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 152 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 152 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 152. 120 V. par exemple, Cass. 3e civ., 4 févr. 1976 : Bull. civ. 1976, III, n° 51 ; D. 1976, somm. p. 39. statuer en application de l'une par préférence à l'autre, puisque les deux responsabilités aboutissent à un résultat identique. Parfois, un certain nombre de textes mettent à la charge de l'exploitant ou du propriétaire de choses dangereuses une responsabilité spéciale étroitement réglementée. C’est le cas par exemple des lois n°30-05 du 2 juin 2011 relative au transport par route des marchandises dangereuses et n°24-09 du 17 août 2011 relative à la sécurité des produits et des services. Dans ce cas, il n'est pas permis de chercher à appliquer les dispositions générales du droit commun telles qu’elles sont issues du Dahir des Obligations et Contrats pour la responsabilité du fait des choses des articles 85 et 88 que pour les autres régimes de responsabilité civile. Ainsi, lorsqu’il y a existence d’un texte spécifique, les responsabilités spéciales du fait de certaines choses ont alors un domaine exclusif. On constate parfois que l'exclusion des responsabilités de droit commun est parfois implicite, parfois explicite. Elle est alors implicite dans certains dommages. C’est le cas des dommages causés au sol par l'évolution d'un aéronef, des dommages causés par l'énergie nucléaire ou encore des dommages dus à la pollution des mers par les hydrocarbures121. Mais, parfois l'exclusion de l'application des responsabilités de principe peut aussi être expresse. Il en est ainsi dans le domaine des transports où des lois et des conventions internationales qui sont venues réglementer la responsabilité du transporteur, qu'il s'agisse de transport terrestre ou maritime. Dans un autre registre, la loi n°18-12 du 29 décembre 2014 relative à la réparation des accidents du travail exclut expressément l'application du droit commun de la responsabilité. On remarquera qu'il en va différemment lorsque s'appliquent d'autres régimes spéciaux d'indemnisation indépendants de la responsabilité civile par exemple l’indemnisation des victimes d'accidents médicaux, qui laissent place à l'application du droit commun et notamment aux articles 77 et 78 du Dahir des obligations et Contrats. Enfin, en matière d’accident de la circulation, le Dahir du 3 octobre 1984 relatif à l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des véhicules terrestres a institué un régime propre aux accidents de la circulation. Ce Dahir a créé un système d'indemnisation en marge du droit commun de la responsabilité civile et largement autonome dans sa mise en œuvre122. Le dahir est non seulement autonome, mais encore d'application exclusive dans le domaine qui lui est propre. L’examen de la jurisprudence fait apparaître que "l'indemnisation de la victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions du dahir du 3 octobre 1984, à l'exclusion de celles des articles 77et suivants du Dahir des Obligations et Contrats"123. En même temps 121 Convention internationale de Bruxelles du 23 novembre 1969. V. spécialement, H. Groutel, Le fondement de la réparation institué par la loi du 5 juillet 1985, JCP G 1986, I, 3244. 123 Cass. 2e civ., 4 mai 1987 : Bull. civ. 1987, II, n° 187 ; Gaz. Pal. 1987, 2, p. 428, note F. Chabas. Cass. crim., 7 oct. 1992 : Bull. crim. 1992, n° 307. - V. aussi Cass. 2e civ., 21 juill. 1992 : Bull. civ. 1992, II, n° 219. Cass. 2e civ., 29 janv. 1997 : Bull. civ. 1997, II, n° 23 ; Resp. civ. et assur. 1997, comm. 161, note H. Groutel. 122 66 que l'autonomie du droit à indemnisation, c'est donc le caractère exclusif de la loi qui est clairement affirmé 124. On observera toutefois que cette exclusivité du Dahir de 1984 n'est que relative. Ce Dahir ne se traduit pas par une canalisation de la responsabilité sur la tête des personnes qu'elle désigne comme débiteurs d'indemnisation c'est-à-dire les conducteurs et gardien du véhicule impliqué. Ainsi, les victimes conservent la possibilité d'engager la responsabilité d'autres personnes comme les piétons, les cyclistes ou encore les passagers, qui seraient à l'origine d'un accident, en se fondant sur le droit commun 125. La victime pourrait d'ailleurs, le cas échéant, actionner, en même temps, un conducteur ou gardien de véhicule sur le fondement du Dahir de 1984 et un tiers responsable de l'accident sur le fondement du droit commun. Lorsqu’il manque une condition d'application du Dahir de 1984, la victime d'un accident de la circulation retrouve alors la faculté de se prévaloir du droit commun. Qu’en est-il des rapports avec la responsabilité du fait d’autrui ? B. Les rapports de la responsabilité du fait personnel avec la responsabilité du fait d’autrui L’analyse des articles 85 et 88 du Dahir des Obligations et Contrats permettent de prévoir plusieurs hypothèses de responsabilité du fait d'autrui qui pourront se combiner avec la mise en œuvre d'une responsabilité du fait personnel. Il faut entendre par là que le responsable du fait d'autrui, c'est-à-dire par exemple père et mère, commettant, artisan, instituteur et autres responsables, pourrait voir sa responsabilité engagée non seulement à ce titre, c'est-à-dire comme répondant du fait d'un tiers sur la base des articles 85 et 88 du Dahir des Obligations et Contrats, mais encore en raison de son fait personnel par application des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Jusqu’à une époque récente, il n'existait qu'un seul véritable cas de responsabilité du fait d'autrui. Il s'agit de la responsabilité des commettants pour les faits de leurs préposés prévue par l’article 85 alinéa 3 du Dahir des Obligations et Contrats. Cette responsabilité est engagée indépendamment de toute référence au comportement du responsable. Aujourd'hui, il faut y ajouter la responsabilité du fait d'autrui fondée sur l’article 85 alinéa 1 er du Dahir des Obligations et Contrats qui est une responsabilité de plein droit 126 dans laquelle le comportement du responsable est totalement indifférent. Ainsi, par exemple la responsabilité des père et mère entre, selon l’article 85 alinéa 2 du dahir des Obligations et Contrats, 124 M.-P. Camproux, La loi du 5 juillet 1985 et son caractère exclusif, D. 1994, chron. p. 109. Cass. 2e civ., 28 janv. 1987, Bull. civ. 1987, II, n° 26. Cass. 2e civ., 4 nov. 1987, Bull. civ. 1987, II, n° 216. Cass. 2e civ., 18 oct. 1989 : Bull. civ. 1989, II, n° 180. - Cass. 2e civ., 27 févr. 1991, Bull. civ. 1991, II, n° 62 ; D. 1991, somm. p. 325, obs. J.-L. Aubert. Cass. 2e civ., 5 févr. 1992, Bull. civ. 1992, II, n° 42 ; D. 1993, p. 396, note Y. Dagorne-Labbé et somm. p. 402, obs. J.-L. Aubert. - Cass. 2e civ., 4 mars 1992, JCP G 1992, II, 21941, note N. Dejean de la Bâtie ; D. 1993, p. 396, note Y. Dagorne-Labbé ; Resp. civ. et assur. 1992, comm. 225 ; Gaz. Pal. 1993, 1, p. 204, note F. Chabas. - Cass. 2e civ., 17 févr. 1993, Bull. civ. 1993, II, n° 64 ; Resp. civ. et assur. 1993, comm. 163 ; RTD civ. 1993, p. 597, obs. P. Jourdain. Cass. 2e civ., 19 janv. 1994, Bull. civ. 1994, II, n° 28 ; D. 1994, p. 574, note C. Lapoyade Deschamps. Cass. 2e civ., 2 avr. 1997, JCP G 1997, IV, 1159. V. aussi, pour la responsabilité de l'État à raison de la faute de surveillance d'une institutrice, Cass. 2e civ., 14 déc. 1987, Bull. civ. 1987, II, n° 266 ; D. 1988, inf. rap. p. 14. 126 Cass. crim., 26 mars 1997 : JCP G 1997, II, 22868, concl. F. Desportes. 125 67 également dans cette catégorie de responsabilité de plein droit 127et que la jurisprudence se contente du simple fait causal du mineur pour engager la responsabilité de ses parents128. Pour toutes ces responsabilités, il faut retenir que le fait générateur est celui de l'auteur du dommage et non celui du responsable. En revanche, la responsabilité des instituteurs et des fonctionnaires du service de la jeunesse et des sports implique selon l’article 85 bis alinéa 1 et 2 du Dahir des Obligations et Contrats une faute du responsable qui doit être prouvée conformément au droit commun par le demandeur à l’instance. Ce texte assimile cette responsabilité à une responsabilité personnelle. En effet, selon ce texte, la responsabilité des instituteurs pour les dommages causés ou subis par les élèves qui sont sous leur surveillance ne peut être engagée que si leur faute est prouvée. Plus que toute autre, cette responsabilité est donc une véritable responsabilité du fait personnel dont le régime se confond avec celui des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Il paraît donc sans intérêt de s'interroger sur les domaines respectifs de ces deux responsabilités. Mais, lorsque l'instituteur est membre de l'enseignement public et les fonctionnaires du service de la jeunesse, l'État sera obligatoirement substitué à son agent. La victime mais aussi et surtout l'instituteur auront intérêt à voir le juge appliquer l’article 85 bis alinéa 1 et 2 du Dahir des Obligations et Contrats. Le régime de responsabilité applicable aux instituteurs publics est même exclusif du droit commun dans la mesure où la substitution de l'État s'impose au juge comme aux parties129. Les responsabilités du fait d'autrui sur le fondement des articles 85 et 88 du Dahir des Obligations et Contrats autres que celles des instituteurs et des fonctionnaires du service de la jeunesse offrent toutes à la victime certains avantages, et spécialement celui de la dispenser de prouver la faute personnelle du responsable. Pourtant, lorsqu'une condition d'application fait défaut, la victime cherchera à engager la responsabilité du répondant sur le fondement des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Une telle possibilité est admise sans discussion, aussi bien pour la responsabilité des parents et des artisans que pour celle des commettants. La victime pourra donc solliciter cumulativement l'application des responsabilités du fait personnel et du fait d'autrui ou bien opter pour l'une ou pour l'autre responsabilité. Quant au juge, il pourra choisir librement le fondement juridique de la condamnation dès lors que les deux chefs de la responsabilité, du fait personnel et du fait d'autrui, sont invoqués et applicables. Telles sont les solutions communément admises. 127 Cass. 2e civ., 19 févr. 1997 : D. 1997, p. 265, note P. Jourdain ; JCP G 1997, II, 22848, concl. R. Kessous. Cass. 2e civ., 10 mai 2001 : JurisData n° 2001-009377 ; Bull. civ. 2001, II, n° 96 ; D. 2001, p. 2851, rapport P. Guerder, note O. Tournafond ; D. 2002, p. 1315 ; obs. D. Mazeaud ; RTD civ., 2001, p. 601, obs. P. Jourdain. - Cass. ass. plén., 13 déc. 2002 : JurisData n° 2002-016997 ; Bull. civ. ass. plén. 2002, n° 4, p. 7 ; D. 2003, p. 231, somm. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 7-8 mars 2003, p. 52, note F. Chabas. 129 V. infra JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 125 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 125. 128 68 Section II. Le régime juridique de la responsabilité du fait personnel Si la responsabilité du fait personnel constitue le droit commun de la responsabilité civile, la plupart des traits caractéristiques de son régime juridique ne présentent aucune spécificité. D’ailleurs, l'analyse de la règle de principe formulée par les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats le confirme parfaitement. Dans les autres types de responsabilité, deux des trois conditions d'existence du droit à réparation se retrouvent à l'identique Il s'agit du préjudice et du lien de causalité. En ce qui concerne le lien de causalité, dont nous avons vu dans le chapitre 4 de la partie préliminaire, les tribunaux appliquent, en principe, le système de l'équivalence des conditions, alors que, dans d'autres cas, et spécialement en matière de responsabilité du fait des choses, ils se réfèrent plutôt aux principes de la causalité adéquate130. Ce n'est que dans des situations particulières que, statuant sur la base des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats, les juges abandonnent parfois le principe selon lequel tout fait de l'homme, condition nécessaire du dommage, est considéré comme causal 131. La seule véritable spécificité de la responsabilité du fait personnel, en ce qui concerne les conditions d'application, apparaît dans le fait générateur, puisqu'il doit s'agir d'un fait personnel du responsable qui, en outre, doit avoir un caractère fautif. Il conviendra donc de s'y arrêter (§1). De même, les règles relatives aux effets de la responsabilité ne présentent pas non plus de particularités notables lorsque celle-ci est retenue sur le fondement des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats. Elles sont généralement les mêmes pour toutes les responsabilités civiles extra-contractuelles, qu'il s'agisse de régler la mise en œuvre du droit à la réparation, les procédés de réparation ou encore l'évaluation du préjudice. Il en est souvent de même des règles de procédure. Toutefois, certaines d'entre elles, présentant des caractéristiques propres à la responsabilité du fait personnel (§2). §1. Les conditions relatives au fait générateur L'article 77 du Dahir des Obligations et Contrats pose expressément le principe de l'exigence d'une faute commise par le responsable auteur du dommage, et l’article 78 alinéa 1er du Dahir des Obligations et Contrats précise qu'il doit s’agir de sa propre faute qui peut 130 La théorie de l’équivalence des conditions considère que tout événement sans lequel le dommage n’aurait pas pu se produire doit être envisagé comme une cause du dommage et oblige son auteur à réparation. Elle retient comme fait causal, parmi les multiples facteurs qui sont intervenus, celui sans l'existence duquel le dommage n'aurait pas pu se réaliser. La théorie de la causalité adéquate est celle dans laquelle il convient de retenir comme cause adéquate tout fait qui, au moment où il s'est produit, pouvait apparaître comme susceptible d'entraîner le dommage. Autrement dit, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage ne sont pas des causes juridiques. Il s’agit alors pour le juge de sélectionner, parmi la multitude de causes, celle qui a joué un rôle majeur dans la réalisation du dommage. Dans cette théorie, la notion de causalité remplit une double fonction. Elle est à la fois une condition générale de la responsabilité civile et aussi un critère fixant une limite raisonnable à l'obligation de réparer. Cette théorie pose des limites au champ de la responsabilité civile. Quoi qu'il en soit, ces deux théories laissent une certaine marge d’appréciation au juge. Mais dans la réalité, lorsque le juge souhaite trouver un responsable, il lui faudra une conception large de la causalité. Son choix portera alors sur la théorie de l’équivalence des conditions. En revanche, lorsqu’il souhaite écarter la responsabilité, le juge adoptera alors une conception plus restrictive de la causalité et optera donc pour théorie de la causalité adéquate. 131 V. infra JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 160 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 160 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 160. 69 être selon son alinéa 3 une simple omission ou abstention. En droit français on parle plutôt de négligence ou imprudence. On en déduit alors que si une faute est nécessaire en principe pour engager la responsabilité du fait personnel, une faute simple doit suffire (A). Le défendeur dispose cependant de divers moyens pour s'exonérer, totalement ou partiellement, de sa responsabilité (B). A. La nécessité d'une faute En principe, une faute doit être prouvée à l'encontre du responsable pour que celui-ci puisse être condamné en raison de son fait personnel : "il n'y a pas de responsabilité du fait personnel sans faute". La faute consiste en la violation d'un devoir ou d'une obligation préexistante132. Il peut s'agir d'une norme générale et abstraite imposant en toutes circonstances de se conduire loyalement et avec prudence et diligence. C'est le demandeur, c'est-à-dire la victime, qui supportera la charge de la preuve de la faute. Mais le devoir extracontractuel peut aussi être déterminé ou explicité par une disposition écrite133. La faute sera alors présumée à partir de la preuve de la transgression du devoir 134. La faute s'apprécie normalement in abstracto, c’est-à-dire par référence à l'attitude qu'aurait eue le "bon père de famille". L'on ne s'abstrait toutefois que des circonstances internes d'ordres psychologique et intellectuel135. Aujourd'hui, la faute n'a plus à être moralement imputable à son auteur pour générer une responsabilité civile du fait personnel136. En effet, il existe quelques cas où la responsabilité du fait personnel peut être engagée en l'absence de faute. Dans ce cas, un texte est alors en principe nécessaire pour déroger à la règle de l'exigence de la faute formulée par les articles 77 et 78 du dahir des Obligations et Contrats. Mais la plupart du temps, lorsqu'un texte spécial édicte une responsabilité sans faute, il s'agira d'une responsabilité du fait des choses par exemple les aéronefs ou encore l’énergie nucléaire. Les cas légaux de responsabilité du fait personnel sans faute sont donc très rares. Toutefois, la jurisprudence en a ajouté un, de portée plus générale c’est le cas la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage. On la retrouve désormais dans la législation marocaine à l’article 47 de la loi 11-03 su 12 mai 2003 relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement. Mais généralement, on ne dénombre que quelques dérogations légales à la nécessité de la faute. Ce sont d’une part la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, dans la mesure où le dommage est dû au fait personnel de l'employeur 132 Selon la célèbre définition de Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, LGDJ, 11e éd. 1928, n° 863 V. G. Viney et P. Jourdain, op. cit., 3e éd., n° 446 s. 134 V. JCl. Responsabilité civile et Assurances, fasc. 120-10 et 120-20 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 120-10 et 120-20 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 120-10 et 120-20. 135 V. M. Dejean de la Bâtie, Appréciation "in abstracto" et appréciation "in concreto" en droit civil français : LGDJ 1965. 136 V. JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 120-10 et 120-20 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 120-10 et 120-20 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 120-10 et 120-20. 133 70 (hypothèse d'ailleurs assez rare), et d’autre part, le Dahir du 3 octobre 1984 relatif à l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des véhicules terrestres, qui a créé un droit à indemnisation autonome naissant indépendamment de toute faute prouvée contre les débiteurs d'indemnisation, et notamment contre le conducteur du véhicule. Comme nous l’avons précédemment évoqué, la responsabilité des père et mère, et certainement aussi celle des artisans, sont engagées "de plein droit" du fait du mineur ou de l'apprenti137. Sans doute il s’agit de responsabilités du fait d'autrui, mais, à la différence de la responsabilité des commettants, elles ne sont plus subordonnées à la responsabilité de l'auteur du dommage et sont directement imputées aux parents ou artisans 138. Elles sont ainsi devenues des responsabilités personnelles sans faute. A cet égard, la doctrine se divise schématiquement en deux camps, selon que les auteurs restent fidèles au fondement de cette responsabilité sur la faute139, ou au contraire admettent qu'il y a là un cas exceptionnel de responsabilité objective140. Toutefois, s'il n'y a pas de responsabilité du fait personnel sans faute, toute faute suffit en principe à engager la responsabilité de son auteur, quel que soit son degré de gravité. Ainsi, la faute simple, légère, est amplement suffisante non seulement pour mettre en œuvre la responsabilité personnelle de son auteur, mais encore pour mettre à sa charge la réparation de l'intégralité du dommage. Cette règle est clairement exprimée par l'article 78 alinéa 1 er du Dahir des Obligations et Contrats qui précise que « chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe ». Il existe cependant quelques cas où une faute d'une certaine gravité est exigée pour engendrer la responsabilité. Il peut s'agir des hypothèses de responsabilité contractuelle telles que la responsabilité du salarié pour faute lourde141 ou de l'employeur pour faute intentionnelle ou inexcusable, mais également il peut s’agir selon l’article 80 du Dahir des Obligations et Contrats des agents de l’Etat et des municipalités qui peuvent engendrer leur responsabilité personnelle en cas des dommages causés par des « fautes lourdes dans l’exercice de leurs fonctions ». 137 Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, Bertrand, D. 1997, p. 265, note P. Jourdain ; JCP G 1997, II, 22848, concl. R. Kessous. 138 Cass. 2e civ., 10 mai 2001 et Cass. ass. plén., 13 déc. 2002, préc. n° 49. 139 V. notamment, H. et L. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. II, 2e vol., 7e éd., n° 1341. Blaise, Responsabilité et obligations coutumières dans les rapports de voisinage, RTD civ. 1965, p. 261. Rappr. F. Caballero, Essai sur la notion juridique de nuisance, LGDJ 1981. 140 Par exemple, L. Josserand, De l'esprit des droits et de leur relativité : Dalloz, 2e éd. 1939 ; N. Dejean de la Bâtie, Droit civil français, Responsabilité délictuelle : t. VI, Librairies techniques, 8e éd. 1989, n° 51. G. Marty et P. Raynaud, Droit civil, Les obligations, t. II, Sirey 1962, n° 530. Y. Chartier, La réparation du préjudice, Dalloz 1983, n° 98. F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, Dalloz, 7e éd. 2006, n° 315. Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit civil, Les obligations, Defrénois, 3e éd. 2007, n° 123. J. Flour et J.-L. Aubert, op. cit., n° 127. A. Bénabent, Droit civil, Les obligations : Montchrestien, 11e éd. 2007, n° 639 ;M. BacacheGibeili, Droit civil, Les obligations, La responsabilité civile extracontractuelle, Economica 2007, n° 355. 141 Cass. soc., 19 mai 1958 : Bull. civ. 1958, IV, n° 612 ; D. 1959, p. 20, note R. Lindon. 71 Lorsqu’une faute est qualifiée142, elle a alors pour conséquence d'aggraver la responsabilité de l'auteur. Ce n'est plus ici une condition de mise en œuvre de la responsabilité, mais une simple cause d'aggravation. Mais pour échapper à toute responsabilité, il existe des moyens d’exonération permettant de supprimer ou de limiter l’obligation de réparer le dommage. B. Les moyens d'exonération de responsabilité L’exonération peut être totale (1) ou partielle (2). 1. L’exonération totale Lorsque le demandeur, à qui incombe la charge de prouver la faute, a pu réunir des éléments de nature à faire présumer une faute du défendeur, celui-ci pourra toujours réagir en établissant que, malgré les apparences, il n'a, en réalité, commis aucune faute. Il renversera ainsi les présomptions de fait qui pèsent contre lui. Le défendeur n'invoque d'ailleurs pas ici une véritable cause d'exonération. Il cherche seulement à contester les allégations de son adversaire et à combattre les moyens de preuve fournis, propres à établir sa faute. Cette preuve de l'absence de faute n'est toutefois pas aisée. Il s'agit, en effet, d'une preuve négative par nature, qui sera d'autant plus difficile à rapporter que la victime aura déjà réussi à faire présumer un comportement fautif du défendeur. Aussi, dans ce cas, le moyen le plus efficace pour le défendeur de s'exonérer totalement de sa responsabilité, sera de se prévaloir soit d'un fait justificatif 143à savoir des circonstances qui sont de nature à effacer la faute commise, soit d'une cause étrangère présentant les caractéristiques de la force majeure144 à savoir extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité. Une fois ces trois caractères réunis, la force majeure est, en effet, la seule circonstance permettant de démontrer que le défendeur n’a joué aucun rôle causal dans la réalisation du dommage. Il détruira ainsi les apparences que les circonstances du dommage tournaient contre lui. Enfin, la référence au cas fortuit prête à confusion dans la mesure où en droit privé, il est synonyme de la force majeure. 2. L’exonération partielle Le défendeur dont la faute est établie et la responsabilité engagée peut cependant s'exonérer partiellement de sa responsabilité en démontrant que la victime a elle-même commis une faute qui a contribué à causer son propre dommage. Il s'en suivra une réduction 142 Sur les conséquences de la faute qualifiée, voir JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 120-20 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 120-20 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 120-20. 143 V. JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 121-10 et 121-20 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 121-10 et 121-20 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 121-10 et 121-20. 144 V. JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 161 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 161 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 161. 72 de l'indemnisation que l'on analyse souvent comme le résultat d'un partage de responsabilité entre elle et le défendeur 145. La jurisprudence admet depuis longtemps ces partages de responsabilité entre la victime et l'auteur du dommage condamné sur le fondement de l’article 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats146. Si en principe la faute de la victime n'entraîne qu'une exonération partielle du défendeur, on observera que, parfois, l'exonération peut être totale. Tel est le cas lorsque la faute de la victime revêt les caractères de la force majeure 147 ou encore quand elle présente un degré de gravité particulier, spécialement lorsqu'il s'agit d'une faute intentionnelle 148. Dans de telles circonstances, l'exonération totale du défendeur peut se justifier aussi bien par la volonté de punir la victime que par l'idée de cause "exclusive" du dommage rompant le lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice. D'ailleurs, les tribunaux justifient parfois l'exonération totale du défendeur au motif que le préjudice de la victime trouvait exclusivement sa cause dans la faute de celle-ci149. L'opposabilité aux victimes par ricochet de la faute de la victime directe 150 représente un autre moyen pour le défendeur de s'exonérer partiellement de sa responsabilité à l'égard des victimes par ricochet 151. En matière pénale, la jurisprudence déroge au principe de l'exonération partielle lorsque le défendeur est l'auteur de certaines infractions pénales lui procurant un profit. Admettre une réduction d'indemnité à raison d'une faute de la victime reviendrait en effet à permettre à l'auteur de l'infraction de conserver une partie du bénéfice qu'il en a retiré. La responsabilité de l'auteur restera donc entière. Toutefois, la jurisprudence subordonne cette exception au partage de responsabilité à diverses conditions. D'une part, il doit s'agir d'une 145 Sur cette question, V. JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 162 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 162 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 162. 146 Cass. 2e civ., 21 juill. 1982, Guillaume : Gaz. Pal. 1983, 2, somm. p. 317, note F. Chabas. Adde Cass. 2e civ., 8 déc. 1982 : JCP G 1983, IV, p. 67. 147 V. JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 161 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 161 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 161. 148 Cass. 1re civ., 16 oct. 1984 : Bull. civ. 1984, I, n° 266 ; Defrénois 1985, art. 33535, n° 46, obs. J.-L. Aubert. Cass. 1re civ., 26 févr. 1991, Bull. civ. 1991, I, n° 73. Cass. 1re civ., 16 juin 1992 : Bull. civ. 1992, I, n° 185 ; D. 1993, somm. p. 312, obs. J.-L. Aubert. Adde, retenant une imprudence consciente et délibérée de la victime, Cass. 2e civ., 13 nov. 1992, Bull. civ. 1992, II, n° 261 ; RTD civ. 1993, p. 371, obs. P. Jourdain. Cass. 2e civ., 2 avr. 1997 : JCP G 1997, IV, 1160. Cass. 2e civ., 13 déc. 2001, Bull. civ. 2001, II, n° 193 ; Resp. civ. et assur. 2002, comm. 99 ; RTD civ. 2002, p. 530, obs. P. Jourdain ou lorsqu'elle s'analyse en une faute de provocation de l'auteur, Cass. 2e civ., 24 juin 1992 : Resp. civ. et assur. 1992, comm. 345 ; RTD civ. 1993, p. 141, obs. P. Jourdain. 149 Cass. 1re civ., 9 oct. 1991 : Bull. civ. 1991, I, n° 259. - Cass. 1re civ., 5 nov. 1996 : Bull. civ. 1996, I, n° 379. Cass. 3e civ., 22 mars 2000 : Resp. civ. et assur. 2000, comm. 177. Cass. 3e civ., 8 juill. 1998, Bull. civ. 1998, III, n° 157. Cass. 1re civ. 6 oct. 1998, Bull. civ. 1998, I, n° 269 ; JCP G 1999, II, 10186, note Y. Aubree ; D. aff. 1998, p. 1809 ; Resp. civ. et assur. 1998, comm. 395 ; RTD civ. 1999, p. 113, obs. P. Jourdain. Cass. 1re civ. 3 févr. 2004 : Bull. civ. 2004, I, n° 26. - Cass. 2e civ., 2 nov. 2005, JurisData n° 2005-030582 ; Resp. civ. et assur. 2006, comm. 4. 150 Maintenue par les arrêts d'Assemblée plénière du 19 juin 198, Cass. ass. plén., 19 juin 1981 [2 arrêts], D. 1982, p. 85, concl. J. Cabannes, note F. Chabas ; JCP G 1982, II, 19712, rapp. A. Ponsard ; Gaz. Pal. 1981, 2, p. 529, note J. Boré ; RTD civ. 1981, p. 857, obs. G. Durry. 151 Sur cette question, V. JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 162 ou Civil Code, Art. 1382 à 1386, fasc. 162 ou Notarial Répertoire, V° Responsabilité civile, fasc. 162. 73 infraction intentionnelle contre les biens, telle que vol152, abus de confiance153, ou chèque sans provision154. D'autre part, la victime ne doit avoir commis qu'une simple faute de négligence et elle ne doit pas avoir participé à l'infraction155. §2. Les règles de procédure On se contentera d'indiquer quelques règles de procédure relatives à l'action civile fondée sur les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats qui sont propres à la responsabilité du fait personnel. A. La compétence Hormis les tribunaux civils, naturellement compétents pour connaître de l'action civile en réparation, les juridictions répressives sont également compétentes pour juger de l'action civile née d'une infraction. La recevabilité de cette action est cependant soumise à de strictes conditions. En effet, non seulement le dommage doit trouver sa source dans une infraction pénale punissable, mais encore il doit être personnel à la victime et résulter directement de l'infraction. La victime pourra, en tout cas, se prévaloir des dispositions des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats, alors qu'elle ne pourrait en principe invoquer les articles 85 et 88 du Dahir des Obligations et Contrats, ou encore l’article 86 du Dahir des Obligations et Contrats. B. Le sursis à statuer En vertu de la règle "le criminel tient le civil en état" la juridiction civile, saisie par la victime, doit surseoir à statuer tant que la juridiction répressive ne s'est pas prononcée par une décision définitive sur l'action publique lorsqu'elle a été mise en mouvement. Cette règle, qui tend à assurer la primauté du criminel sur le civil, a surtout pour but d'éviter une contrariété fâcheuse des décisions entre les juridictions civile et pénale. Elle s'appliquera donc à chaque fois qu'un tel risque existe. Or il en sera fréquemment ainsi lorsque l'action civile est fondée sur une faute, car l'infraction pénale implique elle-même la constatation d'une faute par le juge. Dès lors que les faits objets de la poursuite pénale 152 Cass. crim., 27 mars 1973 : Bull. crim. 1973, n° 150 ; RTD civ. 1973, p. 780, obs. G. Durry, escroquerie Cass. crim., 16 janv. 1969 : Bull. crim. 1969, n° 33. Cass. crim., 15 janv. 1974, Bull. crim. 1974, n° 20 ; D. 1974, inf. rap. p. 41. Cass. crim., 28 févr. 1990 : Resp. civ. et assur. 1990, comm. 183 ; RTD civ. 1990, p. 670, obs. P. Jourdain. - Cass. crim., 4 mars 1991, RJDA 1991, n° 453. 153 Cass. crim., 25 janv. 1993, RJDA 1993, n° 370. 154 Cass. crim., 4 oct. 1990 : Bull. crim. 1990, n° 331 ; D. 1990, inf. rap. p. 284 ; obs. G. Viney, in JCP G 1992, I, 3572. 155 Cass. crim., 4 oct. 1990 et 25 janv. 1993. 74 coïncideront, au moins pour partie, avec ceux de la cause du procès civil, le juge civil devra surseoir à son jugement 156. La jurisprudence est en ce sens qui affirme que la juridiction statuant en matière civile doit surseoir à statuer lorsque la décision à intervenir sur l'action publique est susceptible d'exercer une influence sur la solution du litige qui lui est soumis. Ainsi, ni l'identité de cause ou d'objet157, ni même l'identité de parties158 ne sont des conditions nécessaires d'une décision de sursis à statuer jusqu'au résultat d'une procédure pénale. Il appartient seulement au juge civil de rechercher si la décision pénale à intervenir est susceptible d'exercer une influence sur la solution de l'instance civile159. 75 C. Autorité de la chose jugée La chose jugée au pénal ayant une autorité absolue, le juge civil est tenu de respecter les décisions du juge pénal. Il en résulte que les constatations et appréciations du juge pénal qui lui auront permis de motiver sa décision et en auront été le soutien nécessaire ne pourront pas être contredites par le juge civil. Or, lorsqu'il est appelé à statuer sur une demande fondée sur les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats, le principe autrefois posé de l'unité des fautes civile et pénale 160 imposait au juge civil le strict respect des énonciations de la décision pénale. Cette règle n'était cependant affirmée qu'à propos des infractions d'homicide et de blessures involontaires. Ainsi, une relaxe fondée sur l'absence d'intention, à la suite de poursuites pour un délit intentionnel, n'a jamais empêché la constatation d'une faute non intentionnelle par le juge civil. La juridiction répressive est même autorisée à prononcer une condamnation civile malgré l'acquittement de l'accusé, dès lors que les faits sont caractéristiques d'une faute civile distincte du crime écarté161. À l'inverse de la chose jugée au criminel, qui a une autorité absolue, la chose jugée au civil n'a qu'une autorité relative. Cette autorité est donc conditionnée, en vertu de l'article 451 du Dahir des Obligations et Contrats162, par la triple identité des parties, de l'objet et de la 156 V. M. Cachia, La règle "le criminel tient le civil en l'état" dans la jurisprudence, JCP G 1955, I, 1245. M. Pralus, Observations sur l'application de la règle "le criminel tient le civil en l'état", Rev. sc. crim. 1972, p. 322. G. Viney, Introduction à la responsabilité : LGDJ 2e éd. 1995, n° 131 s. 157 Cass. com., 31 janv. 1989 : Resp. civ. et assur. 1989, comm. 87, 4e espèce. 158 Cass. com., 18 déc. 1988, Bull. civ. 1988, IV, n° 334. Cass. soc., 29 oct. 2002, n° 00-13.984, JurisData n° 2002-016269. 159 Cass. 1re civ., 11 janv. 1984 : Bull. civ. 1984, I, n° 14. - Cass. 1re civ., 20 déc. 1988, Bull. civ. 1988, I, n° 371. Cass. com., 31 janv. 1989, Cass. 3e civ., 6 févr. 1991, Bull. civ. 1991, III, n° 50. Cass. 2e civ., 14 déc. 1992 : Bull. civ. 1992, II, n° 318. 160 Cass. civ., 18 déc. 1912 : S. 1914, 1, p. 249, note Morel ; DP 1915, 1, p. 17. 161 Sur cette question, voir A. Pirovano, Faute civile et faute pénale, LGDJ 1966, R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. II, Cujas 1981, n° 1514 s.. 162 Article 451 « L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au dispositif du jugement et n'a lieu qu'à l'égard de ce qui en fait l'objet ou de ce qui en est une conséquence nécessaire et directe. Il faut : 1° Que la chose demandée soit la même ; 2° Que la demande soit fondée sur la même cause ; cause. Or, selon la jurisprudence, les différents fondements juridiques de l'action en responsabilité civile constituent autant de causes distinctes au sens de ce texte. Ainsi, le rejet d'une demande fondée sur les articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats, n'interdira pas à la victime de former une demande nouvelle, dans une autre instance, à condition de la fonder sur une cause différente, par exemple sur les articles 85 et 88 du Dahir des Obligations et contrats163. Réciproquement, la victime pourrait exercer une nouvelle action sur le fondement des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et Contrats après avoir été déboutée sur le terrain des articles 85 et 88 du Dahir des Obligations et contrats164. 76 D. La prescription de l’action en responsabilité. La responsabilité extra-contractuelle est soumise au droit commun des actions personnelles, lesquelles selon l’article 106 du Dahir des Obligations et Contrats se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a eu connaissance du dommage. Dans le cas contraire, l’action en indemnité se prescrit par 20 vingt à partir du moment où le dommage a eu lieu. 3° Que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité. Sont considérés comme parties les héritiers et ayants cause des parties qui ont figuré à l'instance, lorsqu'ils exercent les droits de leurs auteurs, sauf le cas de dol et de collusion ». 163 Cass. 2e civ., 5 nov. 1969, Bull. civ. 1969, II, n° 299 ; RTD civ. 1970, p. 577 et 578, obs. G. Durry. Cass. 2e civ., 3 mai 1979, JCP G 1979, IV, p. 219. 164 Cass. 2e civ., 5 juin 1971, Bull. civ. 1971, II, n° 203 ; RTD civ. 1972, p. 138, obs. G. Durry.