Étude de cas : leadership complexe dans un Hôpital Public Marocain Performant 1. Contexte L’hôpital, noté NHMH, est un hôpital provincial de petite taille (50 lits fonctionnels). Il est construit en 2004 dans une zone périurbaine qui comprends 5 communes. Il dessert une population de 369.000 habitants. Il assure des soins non spécialisés (pédiatrie, médecine interne, gynécologie obstétrique, réanimation et soins d’urgence). La population est aussi desservie par 18 centres de santé et 5 cabinets privés de médecine générale. En 2017, le taux d’hospitalisation à l’hôpital a été relativement faible (1,89%) avec une faible durée moyenne de séjour (2.4 jours), un faible taux d’occupation moyen (25%) et un taux élevé des références vers l’hôpital universitaire (1.719 référence en 2017). Le staff de l’hôpital est composé en 2018 de 26 médecins (19 Médecins spécialistes et 7 médecins généralistes), 58 infirmiers et 9 personnel administratif et technique. La recette de l’hôpital dépend essentiellement de la subvention de l’État qui est de 385.009 dollars US. Elle représente 74% du budget de l’hôpital) en 2017. La recette propre de l’hôpital ne représente que 26% du budget. La majorité des utilisateurs de l’hôpital sont démunies et sont couverts par le régime d’assistance médicale aux économiquement démunit RAMED. 2. Performance organisationnelle Le score de performance globale de l’hôpital dans le « Concours Qualité » (Programme national d’assurance qualité) est passée de 42% en 2010 à 83% en 2016. Dans ce concours, les dimensions de performance évaluées sont les suivantes : 1) Accessibilité, disponibilité, continuité des soins, 2) réactivité et sécurité du patient 3) Satisfaction 4) Éthique 5) Assurance qualité 6) Utilisation des ressource, 7) Compétences techniques 8) Leadership. 3. Structure organisationnelle L’hôpital a des services cliniques de petites taille gérés par un médecin et un infirmier chef. Ils interagissent directement avec le directeur d’hôpital et le délégué provincial de la santé dont les bureaux sont situés dans l’hôpital. La ligne hiérarchique est aplatie. Les managers des services cliniques exercent des activités cliniques et interagissent directement avec les patients. 4. Culture organisationnelle : La culture organisationnelle à l’hôpital est de type clanique. Les soignants expriment un fort sentiment d’appartenance et d’unité, à la même famille et un fort ‘Esprit de corps’. « Nous sommes devenus une famille. La majorité sont comme des frères et sœurs. On fait partie de ‘Dart ” (systèmes d’épargne de rotation). On va ensemble aux mariages, on fait du shopping ensemble, on mange ensemble. Nous aimons travailler ensemble “ NHMH 12, Administrateur ». “Nous sommes du même âge ou presque, on se soutient les uns, les autres. NHMH 20, infirmier anesthésiste “. Zakaria Belrhiti © drbelrhiti@gmail.com Data from PhD, Z.Belrhiti 2020, BMJ Open, 1 “Ici, Il n’y a pas de différences de statut entre les infirmiers et les médecins. Tout le monde est un corps entier“. NHMH6, Médecin Les équipes de soins s’identifient avec la même catégorie d’âge et renforce ainsi leurs sentiment d’appartenance et d’ « Esprit de corps » : « Avant, j’ai travaillé dans un autre hôpital où le personnel jeune était rare et incapable d’exprimer ses opinions avec l’administration. Dans cet hôpital, c’est vraiment différent. Nous avons pratiquement le même âge. On se soutient les uns les autres. Nous sommes à l’écoute des uns et des autres“ NHMH 20, Infirmier Anesthésiste. Engagement organisationnel : Notre analyse a révélé que cette culture clanique a des répercussions sur le degré d’engagement organisationnel des soignants qui ont exprimé leur fort engagement envers l’hôpital du fait de leur fort sentiment d’appartenance au groupe, d’unité, d’esprit de corps. “Ce qui me motive dans cet hôpital est l’ambiance de travail, la jeunesse et dynamisme des membres de l’équipe“ NHMH, Infirmier De plus, les soignants ont exprimé qu’il n’y a pas de différences entre les différents statuts professionnels. Ce qui leur a permis de s’identifier à l’hôpital et pas uniquement à leurs catégories professionnelles ou tranche d’âge. Culture d’Intégrité : Un autre aspect phare de la culture organisationnelle à l’hôpital est la perception des valeurs partagées relative à la conduite morale et l’éthique professionnelle « Une question importante dans cet hôpital est, grâce à Dieu, tout le personnel est honnête. Ils ne prennent pas pots de vin. Ils ne sont pas corrompus. Les patients ne soudoient pas le chirurgien ou personne d’autre pour se faire opérer d’une cholécystectomie et ils sont opéré dans les délais convenables. NHMH 10, Médecin. Cette culture organisationnelle a été stable à l’hôpital depuis sa création en 2004 malgré la succession de plusieurs directeurs. 5. Pratiques de leadership : De 2004 à 2007, l’hôpital était dirigé directement par un délégué provincial de la santé. De 2007 à 2013, un nouveau directeur assure la gestion de l’hôpital. Le directeur (1) mettait l’accent sur la conformité aux règles et aux procédures et a adopté un leadership distant de type transactionnel. Il Il a pris sa retraite en 2013. Durant cette période le délégué provincial jouait un rôle important à l’hôpital. Malgré son style transactionnel, il a été bien apprécié par les soignants vu qu’il a été réactif à leurs besoins et présentait une considération individualisée à chaque membre du staff. D’après les soignants, il a été fortement apprécié du fait du rôle modèle qu’il jouait et de son attitude altruiste et son sens éthique et culture d’intégrité. De 2014 à 2016, le nouveau directeur avec son équipe a pu atteindre la seconde place au concours national d’assurance qualité des hôpitaux “Concours Qualité“. Il a stimulé le réseautage et la création de commission interdisciplinaires et de cercles qualité qu’il a appelé « les actions de bon cœurs ». Les cercles qualité ont créé des conditions favorables à l’interaction et au réseautage entre les différents membres du staff. Ces commissions comprenaient des pharmaciens, infirmiers, médecins, techniciens, administrateurs. Les missions de ses commissions étaient d’accompagner les Zakaria Belrhiti © drbelrhiti@gmail.com Data from PhD, Z.Belrhiti 2020, BMJ Open, 2 gestionnaires de service à améliorer le fonctionnement de leur unité de soins. Ceci a permis de stimuler une résolution innovante des problèmes de gestion (ex : pallier les insuffisances dans la gestion de stock des instruments de chirurgie par des prêt interservices). Le directeur 2 a eu une vision claire et des objectifs qu’il communiquait auprès du personnel et augmente la valence des leurs missions (améliorer la qualité des soins, comportement organisationnel citoyen). Il a adopté un style de leadership de proximité, une considération individualisée de leurs besoins, il les soutient dans l’exercice de leur tâche. Il a permis de stimuler le dialogue, d’accepter les opinions divergentes. Il est fort apprécié par son staff. Ce leadership a permis d’augmenter leur estime de soi et leur perception de soutien du leader. Les responsables intermédiaires aussi ont adopté un style de leadership distributif : « Je suis proche du personnel. J’ai un leadership de proximité avec eux. J’essaie de rester proche des médecins, j’essaie de ne pas créer des tensions et ils m’écoutent un peu. J’essaie de comprendre leurs besoins spécifiques. “ NHMH 11, Chirurgien, Gestionnaire intermédiaire. Le directeur 3 gérait l’hôpital le jour au jour, il n’a pas présenté à son staff une vision claire, ni des objectifs définis. Ceci a créé un climat organisationnel de conflits de rôle, de non-respect de la structure organisationnelle. Son leadership distant et non réactif aux besoins du personnel a créé une faible perception du soutien du leader and par la même créé des résistances importantes de la part du personnel. Ce qui a créé une tension entre le personnel et l’administration. Le directeur 4 a instauré une structure formelle administrative qui a permis de clarifier les rôles de chacun et de réduire le stress lié aux conflits de rôles. Il a aussi tenu des promesses relatives à l’approvisionnement en termes d’outils de travail pour le personnel. Ce qui a permis d’améliorer les conditions de travail. Cependant, ce style de leadership a réduit la qualité du flux de communication et d’information, le retard de résolution de problèmes et la perception de distance du leadership et manque de soutien d’autonomie. Ce style de leadership a permis de réduire les conflits de rôles et de répondre aux besoins de structure pour le personnel administratif mais peut ne pas correspondre aux besoins d’autonomie des professionnels au niveau opérationnel. Zakaria Belrhiti © drbelrhiti@gmail.com Data from PhD, Z.Belrhiti 2020, BMJ Open, 3 Tableau 1 Pratiques de leadership DIRECTEUR 1 2007-2014 “Il était, que Dieu ait pitié de son âme, sévère. Il avait une attitude très administrative. Cependant, il a aménagé la salle de garde des médecins au bloc opératoire. Il a amélioré les conditions de travail (sanitaires, bureaux) alors que l’ancien directeur (Directeur 3) n’a jamais réagi à notre demande malgré notre insistance ». NHMH 25, Médecin Directeur 2 April 2014-June 2016 "Nous nous sommes engagés vers les objectifs qualité. C’était un vrai exemple de motivation du personnel (…). Les objectifs étaient d’améliorer les conditions de travail et de comprendre les besoins du personnel et valoriser le travail d’équipe et la prise de décision participatives “NHMH 31, Médecin "L’ancien directeur était souvent très proche du terrain. C’est un monsieur qui retrousse ses manches. Il manifestait son empathie avec l’infirmière qui venait de sortir de garde, mettait son pyjama et organisait lui-même le chariot d’urgence et l’armoire à médicament. NHMH 01, Senior Manager. Directeur 3 July 2016-Sep 2017 “CEO 3 ne voulait pas résoudre les problèmes. Il ne voulait pas être dérangé. On avait des problèmes de gestion de déchets médicaux. On avait un manque de draps. L’ECG et le tensiomètre manquaient au service des urgences. (..). Un jour il m’a blâmée pour avoir refusé de ne pas utiliser des instruments non stériles du fait que l’autoclave était en panne. Des jours, il passait sans me saluer. Par conséquence, j’ai arrêté de me plaindre par rapport au manque de matériel et essayée de passer ma garde avec le matériel disponible minimum. NHMH4, Infirmière. Zakaria Belrhiti © drbelrhiti@gmail.com Data from PhD, Z.Belrhiti 2020, BMJ Open, Directeur 4 Oct 2017-March 2018 « Dans cet hôpital, il y a un fort niveau de syndicalisme. Il y a plusieurs personnes très influentes. J’ai travaillé à regagner leur confiance. Je les ai impliqués dans la prise de décisions à côté de l’amélioration des conditions de travail. Nous avons gagné beaucoup de choses en faisant cela. NHMH 07, Manager. « Avant on n’avait pas de chef de pôles des affaires médicales. On avait un chef de pôles des soins infirmiers et un administrateur. Tout fonctionnait de manière fluide. Maintenant, un management distant est progressivement mis en œuvre. Les tâches sont régulées dans l’espace de décision de chaque responsable. Les correspondances administratives ont besoin de suivre le circuit administratif formel. Le chef de pôle des soins infirmiers est distant, comme si on parlait à un cadavre. Un groupe de personnel est favorisé par rapport à d’autres. C’est la politique qui domine ». NHMH 12, Administrateur. 4 Questions/Discussions 1. Comment qualifierez le rôle de leadership de chaque directeur d’hôpital ? justifier votre réponse ? 2. Dans quelle mesure ces styles de leadership sont cohérents avec la culture organisationnelle ? 3. D’après vous, qu’est ce qui expliquerait l’engagement organisationnel du staff et leurs motivations sous le leadership du directeur 2 ? 4. En quoi ce leadership est-t-il plus adapté aux organisations de santé ? 5. D’après vous, pourquoi le leadership du directeur 3 a réduit la confiance du staff dans l’administration et la motivation du personnel 6. D’après vous, quel est l’avantage du leadership du directeur 4 ? 7. D’après vous quel est la ou les conséquences néfastes de ce type de leadership ? 8. D’après vous, quelles sont les conditions nécessaires à l’efficacité d’un leader ? Zakaria Belrhiti © drbelrhiti@gmail.com Data from PhD, Z.Belrhiti 2020, BMJ Open, 5