www.lmc-france.fr Conseil éditorial www.livreblanc.eu LMC France LIVRE BLANC des 1ers Etats Généraux de la Leucémie Myéloïde Chronique Avant-propos de Mina Daban Préface du Professeur François Guilhot C omme mes pairs qui ont été invités à enrichir ces pages de leurs avis professionnels, je suis particulièrement fière d’apporter ma pierre à cet ouvrage inédit, réalisé par LMC France. Je remercie sa Présidente de son initiative et du travail accompli. Je remercie également l’association et les patients qui ont participé à son élaboration. J’espère que ce livre blanc rencontrera le succès qu’il mérite. Mon souhait le plus vif est que les propositions formulées ici aboutissent à des réalisations concrètes pour le plus grand bien des patients et de leurs familles. Docteur Aude Charbonnier SOMMAIRE ..........................................................................................................3 Avant-propos Préface...................................................................................................................5 Introduction..........................................................................................................6 La parole des patients et de leurs proches...........................................................8 Cloé, Liliane, Serge et Séverine...........................................................................32 La parole des experts..........................................................................................42 Les 16 propositions de LMC France....................................................................64 Présentation de LMC France...............................................................................81 Une coccinelle pour Mina ..................................................................................86 Historique de la LMC..........................................................................................88 Glossaire ............................................................................................................90 ........................................................................................................93 Remerciements AVANT-PROPOS Avant-propos de Mina Daban, Fondatrice et présidente LMC France A près des études de droit à l’Université d’Aix-Marseille, Mina Daban prend en charge pendant une quinzaine d’années l’organisation régionale de formation pour adultes de la région PACA. Elle y conçoit et développe des projets de formation innovants. Mariée, mère de deux enfants, Mina est diagnostiquée LMC en 2003. Le premier traitement lui occasionne de graves effets secondaires, à tel point qu’elle reste clouée au lit six années durant. Cependant, grâce aux progrès de la recherche, Mina bénéficie de nouveaux traitements qui lui permettent de retrouver une vie quasi normale. En 2010, elle fonde l’association de patients « LMC France » qu’elle préside. L’objectif premier de LMC France est de combler le vide dans lequel sont plongés les patients, un vide qu’a connu Mina pendant les premières années de sa maladie. Désormais, elle consacre son temps à informer les patients touchés par la LMC pour les aider à améliorer leur qualité de vie et celle de leurs proches. L’association LMC France (« Leucémie Myéloïde Chronique France ») a organisé en 2013 les premiers États Généraux des malades atteints de la LMC. Des tables rondes à travers la France ont permis, pour la première fois, de recueillir les témoignages et les doléances des patients et de leurs proches. Des interviews d’experts, de patients et de proches ont été réalisées et une contribution écrite a été lancée pour compléter la démarche. L’expression fut libre, directe, franche, et si, parfois, elle fut vive ou empreinte d’émotion, elle resta toujours digne. Les États Généraux de la LMC se veulent un espace de rencontres et d’échanges afin de susciter des réflexions de fond, des débats d’idées, des échanges d’expériences, l’élaboration de projets d’actions, la formulation de propositions. Les États Généraux de la LMC sont portés par les patients, pour les patients, mais fédèrent toutes les parties prenantes. Les États Généraux ont pour but de dresser un état des lieux pluridisciplinaire sur la réalité de l’existence que mènent les personnes atteintes de LMC et leurs 3 proches, de donner la priorité à la qualité de la prise en charge des patients, de sensibiliser l’opinion publique sur cette pathologie rare, d’accorder une plus grande visibilité aux patients touchés par cette maladie et enfin de proposer aux pouvoirs publics et aux institutions soignantes des actions concrètes à mettre en œuvre rapidement. À l’occasion de la 3e Journée Mondiale de sensibilisation à la LMC - lancée par LMC France en 2011 - paraît ce premier livre blanc. Puisse ce « recueil de parole » rapprocher les soignés des soignants en accordant aux uns et aux autres la liberté de s’exprimer et d’être entendu. Ces dix dernières années, les traitements et techniques de soins de la LMC ont été révolutionnés grâce aux formidables avancées de la recherche. Si, dans notre pays, le niveau thérapeutique est de qualité, les soignants compétents et motivés, les patients atteints de LMC aspirent tous à ce que l’accroissement de la technicité s’accompagne de plus d’humanisme dans la prise en charge. En effet, le malade ne veut plus seulement être une personne soignée physiquement, il souhaite aussi être pris en compte dans sa dimension psychologique, économique et sociale. Il veut être considéré dans sa globalité par toutes les personnes qui l’entourent. La prise de conscience par les patients souffrant de LMC de l’importance de la recherche médicale pour leur avenir est telle qu’ils souhaitent pouvoir intégrer davantage encore le système de soins pour l’améliorer. Ils désirent être bien informés sur les choix thérapeutiques les concernant afin de mieux comprendre les démarches de la recherche médicale et mieux y prendre part. Par la publication de ce livre blanc, LMC France se veut une force de proposition afin d’améliorer le vécu du patient et soutenir toutes les démarches visant à atteindre cet objectif. Nombreux sont les soignants à avoir clairement montré leur approbation de notre action qui se positionne au service du malade et se trouve en parfaite convergence avec leur propre engagement professionnel. LMC France tient à faire part de sa plus vive gratitude à l’ensemble des experts qui ont accepté avec enthousiasme de participer à cet ouvrage. Nous remercions vivement le professeur François Guilhot, Président du Fi-LMC, d’avoir accepté de préfacer cet ouvrage. Nos remerciements chaleureux vont aussi au Docteur Aude Charbonnier, Présidente du Conseil scientifique de LMC France, pour son soutien sans faille à nos côtés. Un merci tout spécial à Stéphane Daban, Vice-président de LMC France, pour sa formidable implication au sein de l’association et qui porte haut la parole des proches de patients. Un immense merci aux participants, femmes et hommes, patients et proches de patients, qui nous ont dit leur joie de pouvoir prendre part à un tel projet et qui ont permis, par leur présence et leur témoignage, que cet ouvrage voie le jour. 4 PREFACE Préface du Professeur Guilhot Président de France Intergroupe de la Leucémie Myéloïde Chronique (Fi-LMC) L a leucémie myéloïde chronique, hémopathie maligne qui appartient au groupe des syndromes myéloprolifératifs, véritable cancer de la moelle osseuse, était il y a encore dix ou quinze ans, de mauvais pronostic. Seuls les patients pouvant bénéficier d’une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques pouvaient espérer une longue survie. Néanmoins, les travaux français avaient mis en évidence l’intérêt de l’interféron permettant chez certains patients d’obtenir des réponses génétiques complètes durables (disparition des cellules à chromosome de Philadelphie au niveau de la moelle osseuse). Mais les progrès sont venus récemment de l’utilisation d’inhibiteurs de tyrosine kinase, thérapeutiques ciblées remarquablement efficaces, prises par la bouche avec, par conséquent, un confort de vie particulièrement amélioré pour nos patients. Ces traitements, dont le chef de file a été l’imatinib, sont maintenant nombreux puisqu’on dispose de quatre autres molécules elles aussi à prendre par la bouche. La maladie est donc devenue une affection chronique qu’il faut gérer sur le long terme. Des effets secondaires liés à ces inhibiteurs de tyrosine kinase sont possibles. L’accompagnement du patient sur le long terme est devenu essentiel. Il faut à cet égard saluer l’importance et le rôle des associations de malades. Les médecins très spécialisés qui prennent en charge ces maladies doivent le faire dans des centres dotés de toutes les technologies modernes de surveillance de l’hémopathie maligne à savoir la biologie moléculaire. Ces praticiens, hématologistes, doivent appartenir à des groupes coopérateurs pour se tenir informés des développements de la recherche sur cette maladie. Le temps de l’explication de la maladie au moment du diagnostic est important et la relation médecin-malade fondamentale. La confiance doit s’installer réciproquement. Le malade doit comprendre la nécessité de prendre longtemps son traitement régulièrement et il doit être informé par l’hématologiste des résultats des thérapeutiques : la réponse cytogénétique comme le niveau de réponse moléculaire. Ce climat de confiance et d’interaction entre malade et médecin est actuellement un élément majeur de la qualité de la prise en charge et donc du succès thérapeutique. L’éducation et l’information des patients sont renforcées par l’action des associations auprès desquelles ils trouvent aussi le réconfort et la force pour combattre la maladie. En ma qualité de Président du Groupe français de la leucémie myéloïde chronique, je salue les efforts des associations et leur souhaite de continuer leur travail d’information et d’accompagnement des patients atteints de cette maladie. 5 INTRODUCTION L a leucémie myéloïde chronique (LMC) est une forme de cancer du sang rare peu connue. Elle se caractérise entre autres par l’augmentation considérable du nombre de globules blancs présents dans le sang ou la moelle osseuse qui fabrique les cellules sanguines. Maladie de longue durée, à évolution lente, cette leucémie est due à une anomalie génétique acquise. Elle n’est donc ni héréditaire, ni contagieuse, ni transmissible. Sa découverte chez le patient est souvent fortuite, par exemple à l’occasion d’un banal examen sanguin. La progression de la maladie peut mettre la vie en danger. Sans traitement, elle évolue inéluctablement en leucémie aiguë difficile à soigner. Longtemps restée une maladie de mauvais pronostic, la LMC se traite désormais grâce aux thérapies ciblées. De nombreux progrès ont été accomplis, mais le chemin reste long avant de parvenir, un jour, à l’éradication de la maladie. Le patient doit donc désormais apprendre à vivre avec cette pathologie chronique et son traitement à long terme. Avec environ 700 nouvelles personnes diagnostiquées chaque année en France - chiffre restant stable dans le temps - la LMC est méconnue. Elle n’en constitue pas moins un problème de santé publique qui mérite toutes les attentions. La LMC concentre en effet de nombreuses problématiques humaines et sociales. Quelle place donner aux personnes malades dans la société ? Comment soulager leurs souffrances ? Comment venir en aide aux accompagnants familiaux ? Comment assurer une solidarité économique envers les patients et leurs familles ? Pour la première fois, LMC France interpelle les pouvoirs publics en portant à leur connaissance les attentes et les demandes des personnes malades et de leurs proches. L’association agit sans relâche pour que leur situation éprouvante soit prise en considération dans l’action des pouvoirs publics. De nombreux experts de la LMC apportent leur soutien et leur éclairage scientifique dans le domaine. Lancée par LMC France en 2011, la Journée mondiale LMC du 22 septembre sera l’occasion cette année de remettre un exemplaire de ce livre blanc à Madame la Ministre des Affaires sociales et de la Santé. Cette date du 22 septembre est symbolique pour les patients car elle représente les chromosomes 22 et 9 impliqués dans la maladie. Ce document, porte-parole des patients et de leurs proches, propose un ensemble de mesures visant à renforcer la prise en charge de la maladie, à améliorer la vie des patients et à encourager la mise en œuvre de nouvelles actions thérapeutiques. 6 Lors des tables rondes qui ont précédé la Journée mondiale LMC, les patients et leurs proches ont eu la possibilité de s’exprimer à propos de leurs expériences et de leurs interrogations. De ces débats sont nées les propositions suivant quatre axes essentiels : • la quête d’une reconnaissance publique de la LMC ; • la recherche d’une amélioration des rapports entre patients et médecins ; • la nécessité de renforcer l’intégration sociale et économique des patients et des accompagnants ; • l’amélioration de la connaissance de la LMC chez les médecins non spécialistes et les acteurs de la santé. Ces États Généraux ont facilité les rencontres, apporté des échanges fructueux et renforcé la réalité du quotidien vécu par les patients touchés par la LMC et leurs proches. Notre souhait est que les prochains États Généraux voient ce quotidien amélioré par des avancées concrètes sur le terrain. 7 LA PAROLE DES PATIENTS ET DE LEURS PROCHES P our la première fois, LMC France a souhaité donner la possibilité aux patients et à leurs proches de s’exprimer dans un document officiel qui sera remis aux acteurs de santé et aux institutions nationales. Ils sont nombreux à avoir profité de la liberté d’expression qui leur était offerte pour partager leur témoignage sur leur vie quotidienne face à la maladie. Ils ont tenu également à faire entendre leur parole dans le combat souvent ignoré qu’ils mènent au quotidien. DIAGNOSTIC ET ANNONCE DE LA LMC R ien n’est plus bouleversant que d’apprendre la nature de sa maladie. L’annonce revêt souvent l’aspect d’une condamnation ; on est foudroyé, anéanti, la vie s’arrête. L’incompréhension s’installe, des patients parlent d’injustice : « Pourquoi moi ? » La connotation du mot « leucémie » aggrave le caractère morbide du diagnostic, alors que la LMC a vu son pronostic s’améliorer grâce aux progrès de la recherche. Certains patients se plaignent de la brutalité avec laquelle la maladie leur est annoncée : froideur du médecin, détachement… D’autres avouent leur révolte du fait que la vérité leur a été cachée pendant de trop longues semaines. Des médecins appréhendent d’annoncer le diagnostic à leur patient et se montrent parfois maladroits. D’autres médecins se montrent plus psychologues et savent réconforter leurs patients désemparés. À leur tour, les patients, qui annoncent la vérité à leur conjoint, leur compagnon, leurs enfants ou leurs parents, éprouvent un autre tourment qui plonge la famille dans le désarroi. Au départ, la réaction du patient est le déni, on refuse la cruelle réalité. Mais, les mois passant, le refus se transforme en une lente acceptation. Plus tard, on commence à voir qu’il est possible de vivre longtemps, et de refaire des projets même à long terme. LA VIE QUI S’EFFONDRE « Mon médecin traitant m’a envoyé consulter un hématologue. Nouvelle prise de sang, ponction de la moelle ; trois semaines plus tard, les résultats arrivent, j’apprends la veille de notre anniversaire de mariage que je suis atteint de la LMC. » « À l’annonce de la LMC, je suis entrée dans la quatrième dimension où plus rien ne sera comme avant. Mon entourage et moi n’avançons plus au même rythme. Toutes mes certitudes se sont disloquées. » « On m’assène le verdict : ‘’vous avez une maladie du sang !’’ Pas d’autres précisions, je vois ma vie se dérouler devant moi, je pense à mes enfants, mon mari. Bientôt, je ne serai plus là ! » « Je ne me suis jamais remis de l’annonce de ma LMC car elle a été très vite expédiée ; pourtant, elle a eu lieu il y a sept ans. Comme je répondais à l’hématologue ‘’OK ’’ dans un tunnel brumeux, il a dû prendre ça pour de la force ; moi, j’étais en mille morceaux ! » « J’ai été diagnostiqué début 2013 ; j’ai un traitement oral à prendre pour soigner la LMC. Je ne comprends pas comment on peut soigner une leucémie avec un 9 comprimé ! Du coup, je me demande si je verrai grandir mes enfants. Je suis désemparé. » « Bizarrement, c’est très déstabilisant d’entendre dans la même phrase : ’’ vous avez une leucémie myéloïde chronique’’ et ‘’vous allez rester à la maison’’. Étrangement, au lieu de me sentir soulagé de ne pas être hospitalisé, j’ai eu l’impression d’être comme livré à moi-même.» L’optimisme du médecin décalé par rapport à l’angoisse du patient « On vous dit : ‘’Vous avez une leucémie.’’ Personnellement, j’ai associé ce mot à une morbidité très rapprochée. Puis un premier hématologue vous dit : - ‘’Vous allez vivre longtemps.’’ - ‘’Longtemps, ça veut dire quoi ?’’ - ‘’Eh bien, vous emmènerez vos filles à l’autel.’’ Je change d’hématologue en suivant quelques conseils et là on vous dit : ‘’Vous avez une espérance de vie qui colle à la population normale’’. Je pense secrètement qu’ils se foutent de moi. Personnellement je suis en ruine. » Le sentiment d’être pris au piège « C’est le diagnostic qui m’a atteint psychologiquement. Cela semble banal puisque cela se passe entre deux rendez-vous chez le médecin mais cela a été un tournant de ma vie. Cette étape du prélèvement de moelle a été révélatrice de l’importance de la maladie. J’avais l’impression d’être pris au piège comme un animal. » L’ANNONCE PAR LE CONJOINT Surtout ne pas cacher la vérité « C’était super dur. C’est moi qui ait annoncé la maladie à mon mari. Je suis infirmière. Je ne voulais pas de mensonge. Notre fils de quinze ans nous a vus effondrés, on a dû lui expliquer. À ma fille enceinte aussi. » « En 2001, le médecin n’a rien dit à ma femme. Je suis sorti comme un zombi de son cabinet. Que faire? lui dire la vérité? la lui cacher et profiter des derniers instants au mieux ? J’étais complètement déboussolé. Ce fut très dur pour moi de le lui dire car je n’étais pas sûr d’avoir les bons mots !» LA DIFFICULTÉ POUR LES MÉDECINS D’ANNONCER LE DIAGNOSTIC À LEUR PATIENT Un médecin qui n’ose pas prononcer le mot fatidique « Le jour même d’une banale prise de sang, le laboratoire a appelé mon médecin qui m’a demandé aussitôt de venir le voir. Dans son cabinet, il n’a jamais prononcé 10 le mot ‘’leucémie’’, mon propre médecin. Même à l’hôpital où mon médecin m’a envoyé, le spécialiste n’a jamais prononcé ce mot devant moi. En revenant le voir, il a commencé à me dire : ‘’Vous avez quelque chose de sérieux.’’ » Un chirurgien plus bouleversé que sa patiente « En septembre 2001, prise de sang le jour de la rentrée des classes pour une petite intervention chirurgicale. Mes fils avaient 10 et 12 ans. Le laboratoire me rappelle : ‘’On a un problème avec un tube, pourriez-vous repasser ?’’ Nouvelle analyse et je remarque que la laborantine faisait une drôle de tête. Le soir, le labo me demande si mon chirurgien m’a appelé. Non. À la maison, mon mari, qui a des connaissances, a mis un nom sur le résultat : LMC. J’ai compris pourquoi j’étais toujours très fatiguée. C’est moi qui ait rappelé le chirurgien, il était bouleversé plus que moi. » Un diagnostic annoncé sans tact « On était en novembre. J’étais de plus en plus essoufflé et le bricolage m’épuisait. Je suis allé voir mon médecin qui m’a ausculté puis m’a demandé de passer une échographie de la rate. Ils ont tout de suite diagnostiqué une splénomégalie. On ne me l’a pas dit mais on m’a donné immédiatement rendez-vous à l’hôpital de Toulon. Le médecin m’a demandé de rester là et m’a annoncé la leucémie chronique. C’était trop rapide et ce n’était pas annoncé avec tact. L’annonce du médecin m’a ‘’cassé’’ franchement. » « On m’a annoncé la maladie de manière très claire en constatant un gonflement de la rate. Il m’a effrayé, l’annonce était froide, sans précaution. À mon goût, l’annonce a été mal faite, j’aurais souhaité qu’on m’annonce la LMC avec beaucoup de psychologie. C’est important, non pas d’être choyé, mais d’être écouté en tant que personne atteinte. » La maladie apprise par téléphone « J’ai consulté un médecin généraliste presque au hasard parce que j’avais des sueurs nocturnes sévères. On m’a ensuite appelé au bureau en me disant qu’il fallait venir tout de suite parce que c’était très grave. J’ai demandé ce que cela voulait dire ‘’très grave’’. ‘’Parce que vous avez un cancer’’ m’a-t-il dit au téléphone. » D’AUTRES MÉDECINS SE MONTRENT PLUS PSYCHOLOGUES ET SAVENT ÊTRE RÉCONFORTANTS Des paroles encourageantes « J’ai développé divers symptômes jour après jour, qui ont commencé par des sueurs nocturnes, mais je ne m’inquiétais pas trop. Petit à petit, je ressentais de légères douleurs musculaires puis des coups de fatigue récurrents dans la journée. Cela durait depuis un mois, alors j’ai consulté un médecin qui ne voyait rien de spécial. J’avais la rate gonflée. C’est la prise de sang qui a révélé ma maladie. J’ai tout de suite connu le diagnostic. On m’a hospitalisé directement pour approfondir les analyses. Le discours du médecin de l’hôpital a été de me rassurer. » 11 « L’hématologue a été formidable ! Il m’a demandé mon parcours de vie et il a pris le temps de m’annoncer la LMC, de me l’expliquer. Il a répondu à mes questions et même aux questions que je n’osais pas lui poser. Il m’a expliqué que je pouvais faire appel à différents services si j’en avais besoin (psychologue, assistante sociale). Il m’a expliqué le chemin que je devrais suivre avec la LMC. Cette annonce, qui a duré 45 minutes, m’enveloppe toujours positivement aujourd’hui ! » L’ANNONCE AUX PARENTS, À LA FAMILLE Apprendre à parler à ses enfants « On a dit clairement aux enfants que Farid était malade, que c’était grave, qu’il se soignait et qu’ils continueraient à le voir. Il faut être informé sur la manière de parler aux proches et aux enfants. Les enfants entendent, ils voient. » « Je ne savais pas comment annoncer ma LMC à mes enfants en bas âge et si je devais le faire. On se sent perdu et démuni. » Annoncer à ses parents sa maladie « Mon fils a été diagnostiqué après avoir perdu la vue d’un œil après un match de basket. Son généraliste lui a fait faire des examens approfondis. Il a passé Noël avec sa compagne alors qu’ils connaissaient tous les deux le diagnostic. Ils ont laissé passer les fêtes de fin d’année pour m’annoncer la nouvelle début janvier avec beaucoup de précautions. » « Mes frères et sœurs ont très mal pris l’annonce de ma LMC. Ils se sont éloignés de moi. Dommage que l’hématologue n’ait pas le temps de rencontrer les familles ! » TRAITEMENT ET SUIVI MEDICAL S i les patients sont satisfaits de la rapidité avec laquelle ils sont pris en charge, certains souhaitent une meilleure explication du traitement qui leur est prescrit. En fait, aucun patient ne suit la même thérapie. L’âge, les antécédents médicaux, l’état de santé, les résultats des analyses, le dosage des médicaments influencent la décision de l’hématologue. Son expérience joue aussi un rôle indéniable. Un oncologue spécialiste de la LMC qui suit ses patients depuis des années adoptera une thérapie plus ajustée qu’un médecin non spécialiste de la maladie. À la longue, les patients aspirent à une meilleure qualité de vie. Ils s’interrogent sur le traitement. « J’ai demandé à changer de molécule… » Ils aimeraient que l’on prenne en considération, au moment de prescrire tel médicament, leur mode de 12 vie, la profession qu’ils exercent, les charges familiales qu’ils assument en dépit de leur pathologie. Le traitement, souvent long, est appelé à évoluer en fonction des résultats des analyses et des progrès thérapeutiques. Au début, il faut à tout prix faire baisser les marqueurs de la maladie pour sauver le patient. On recourt à des molécules puissantes qui s’accompagnent d’effets secondaires. La maladie se chronicise, on change de dosage ou de molécule. À titre d’essai, des patients se voient proposer un nouveau protocole, tandis que d’autres sont déclarés en phase de rémission. Dans les coulisses, la recherche se poursuit pour trouver de nouvelles molécules mieux supportées et plus efficaces. « À l’époque, on était traité à l’interféron, à l’Hydréa. L’interféron n’étant pas si efficace, on a essayé de faire une greffe de moelle osseuse, mais on n’avait pas de donneur compatible. Donc on a décidé de faire une autogreffe. À l’issue de l’autogreffe, en février 1999, je suis reparti sur un traitement à base d’interféron ; il n’y avait rien d’autre à l’époque. Ça a duré jusqu’à 2001-2002. Maintenant il y a d’autres traitements. » « Depuis le début du traitement, je suis sous Glivec.» « Je suis passée au Tasigna depuis un an et demi.» « Face à des mauvais résultats, j’ai été obligé de changer de traitement à plusieurs reprises. Après trois types de traitements, maintenant je suis sous Bosulif.» « Je suis sous Iclusig, sous protocole, depuis très peu de temps.» Des conditions de suivi idéales « Je respire depuis que je suis suivie dans un grand centre pour ma LMC car les réponses sont claires, franches et le suivi de la LMC rigoureux. Je sais enfin ce qu’est une PCR, on me donne mes résultats, on me les explique, je me sens intégrée aux décisions qui concernent ma santé, je garde mon intégrité! Et ça, ça change tout. » DES PATIENTS QUI REDOUTENT LES RÉSULTATS DES ANALYSES DE CONTRÔLE « Il y a eu une phase de trois semaines avec l’Hydréa. Puis, lorsque les résultats ont été connus par le médecin qui devait me soigner, je suis passée au Glivec. Après, je suis passée au Tasigna. Les résultats, par rapport à l’an passé, sont meilleurs. J’ai rendez-vous à l’hôpital dans dix jours et je vais savoir à quelle sauce je vais être mangée. » « Mon mari suit un traitement au Tasigna et il souffre physiquement. Il a aussi eu une phlébite puis une crise de goutte et il fait de l’hypertension artérielle depuis très longtemps et on nous a dit qu’il y avait un risque au niveau cardio-vasculaire avec ce traitement. Une maladie cardiaque s’est installée et il reçoit des chocs électriques pour stabiliser le cœur. On le savait et il a accepté de suivre le traitement au Tasigna 13 qui donnait de meilleurs résultats que le Glivec. Il a 48 ans. L’angoisse, quand on va voir un médecin, c’est qu’est-ce qu’il va nous dire, qu’est-ce qu’il va trouver ? » « Dès que je fais une analyse de sang ou une ponction de moelle, je mets ma vie entre parenthèses jusqu’à l’annonce des résultats. Mon hématologue fait fi de mon angoisse ; il dit qu’il ne faut pas s’angoisser ! Alors, pourquoi fait-il des analyses ? » « Je reste suspendu dans le vide en attendant mes résultats. » REVENDIQUER LA LIBERTÉ DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE « On me refuse le dosage du Glivec. Mon médecin me dit qu’à 400 mg, je suis déjà sous-dosée car c’est la dose minimale. D’après lui, j’ai de bonnes réponses avec ce dosage mais il n’accepte pas de le revoir malgré des effets secondaires difficiles. On me reproche ma fatigue, mes douleurs. » Des hématologues encore trop « paternalistes » « Quand ils choisissent un traitement, les hématologues devraient nous expliquer leur choix. J’ai l’impression qu’ils pensent qu’ils ont un animal devant eux - et pourtant je suis infirmière - que les patients ne comprendront rien et que ce n’est pas la peine de leur expliquer. Il y a aussi des médecins humains mais ils ne sont pas tous comme ça. » Ne pas tout décider à la place du patient « Je ne suis pas d’accord avec les protocoles actuels. Les médecins disent : ‘’Quand vous aurez tels pourcentages avec ce traitement, on arrêtera tout.’’ Or on a le droit de choisir, c’est notre vie, on devrait nous permettre de choisir le traitement, le droit d’arrêter ou pas. Il existe un lourd pourcentage de rechute et de risque en passage aigu quand on arrête. Je pense que chaque patient a une vie personnelle, a une charge de famille, des enfants à élever. Ce que je reproche aux hématologues que j’ai rencontrés, c’est qu’ils décident pour moi sans me demander quelle est ma vie ; ils ne me connaissent pas et ne me demandent rien sur mes charges professionnelles. Les médecins devraient nous laisser le choix. Bien sûr, après, il faut faire confiance à son médecin. C’est important aussi de ne pas cacher les risques pour permettre au patient de choisir son traitement en connaissance de cause. » « Je prends le même traitement que certains patients mais moi, je suis sous protocole, je ne sais pas pourquoi ; je croyais que tout le monde était sous protocole ! » L’ARRÊT DU TRAITEMENT Retrouver une existence normale « Lorsque l’hématologue m’a proposé l’arrêt du traitement, j’ai ressenti la sensation de lâcher la branche à laquelle on s’accroche pour ne pas tomber dans le vide. Comme quoi, arrêter le traitement, ça se prépare! » 14 « Tous les mois, je subissais un prélèvement de moelle, un suivi mensuel très régulier, et des prélèvements sanguins. Les résultats étant bons, plus de traces résiduelles de la maladie dans les analyses, on m’a proposé un nouveau protocole qui est l’arrêt du traitement. J’ai accepté et pris mon dernier comprimé il y aura bientôt quatre ans. Au bout de quelques mois, les effets secondaires ont disparu et j’ai repris une vie normale. Je me porte très bien. » « J’ai accepté d’arrêter, mais je connais une personne qui a refusé, elle se sentait sécurisée par le traitement. Ce sont de grandes interrogations, de grandes angoisses, c’est une question de confiance envers les médecins et le traitement. » « On m’a hospitalisé. Je vivais en Corse où j’étais en train de construire ma maison. J’étais traité à l’interféron et à l’Hydréa. C’était très lourd comme traitement. Le médecin m’a proposé un nouveau protocole avec un médicament qui n’avait pas de nom à l’époque, c’était le Glivec. Le traitement a été très efficace durant plusieurs années, en rémission assez rapidement. Je ne prends plus aucun traitement pour la LMC depuis trois ans et demi. » Avoir confiance en son hématologue « J’ai arrêté deux fois le traitement car j’ai atteint deux fois la rémission moléculaire complète assez vite, mais j’ai rechuté les deux fois. Le médecin m’avait expliqué : on est suivi tous les mois et s’il y a de nouveau un peu le marqueur de la LMC, même très faible, on attend encore un mois pour être sûr que ce n’est pas un faux positif, et le mois suivant, si c’est encore positif, on reprend le traitement. Les deux fois, trois mois après la reprise du traitement, j’étais de nouveau en rémission moléculaire complète. C’est donc important de savoir que lorsque le médecin propose quelque chose, il le fait en connaissance de cause et ça marche bien. » « Depuis que j’ai changé d’hématologue, je me sens en confiance, je sais pourquoi je prends mon traitement et ça change tout ! » «Mes analyses sont encore positives mais le taux de globules blancs est en baisse. Mon hématologue escompte quelques années de traitement avant l’arrêt total et un simple contrôle sanguin, sans ponction de la moelle, ce qui représente un futur soulagement. » EFFETS SECONDAIRES DES TRAITEMENTS C rampes, fatigue, essoufflement, diarrhées, gonflement du visage, douleurs disséminées dans le corps, nausées, épuisement chronique, troubles cardiaques… pour la plupart des patients, le traitement est éprouvant. Si quelques-uns le supportent, nombreux sont les autres à se plaindre de maux 15 supplémentaires, dus à la thérapie qu’ils suivent. Ils accentuent la détresse du malade qui a le sentiment de n’être ni écouté ni soulagé par le corps médical. Beaucoup tentent d’en parler à leur médecin, mais les rebuffades injustes qu’il leur arrive d’essuyer leur donnent le sentiment de se heurter à un tabou. On se sent ridiculisé : « La fatigue, ce n’est pas le traitement, ce doit être la dépression » s’entend dire une patiente par son hématologue. Comment échapper à ce cercle infernal, trouver une écoute, un palliatif qui apporterait un peu plus de confort? On a envie de tout arrêter tant le quotidien peut devenir intolérable. La problématique est complexe : l’hématologue qui cherche à sauver son patient adopte un protocole thérapeutique éprouvé, préconisé en fonction des résultats d’analyse. Son patient, lui, subit dans sa chair les « ravages » des effets secondaires. Son généraliste ne sait pas toujours quoi lui recommander et craint les risques d’interaction des antidouleurs avec le traitement. Lorsque le patient arrive chez l’hématologue pour son rendez-vous de contrôle, les résultats s’avérant plus ou moins bons, l’espoir renaît et il oublie de dire qu’il est malgré tout épuisé, qu’il souffre, qu’il n’en peut plus. Des effets indésirables foudroyants « Je suis passée au Glivec. Je n’ai pas pu sortir de la maison durant les trois premiers mois. Je souffrais de diarrhées épouvantables et au bout de trois mois, mon médecin a baissé les doses, ce qui était plus supportable les trois mois suivants. » « Je ne suis traité qu’au Glivec 400, mais avec des effets secondaires en permanence : hémorragie oculaire, urgence chez l’ophtalmo qui me dit : ‘’C’est dû au traitement, ce n’est pas grave.‘’ J’ai perdu mes cheveux, mes sourcils, du poids, puis des envies de vomir à la prise du cachet. Deux heures après la prise, je ne tenais plus debout. » « L’interféron, j’étais anéanti, je souffrais de crampes, de diarrhées et d’autres effets secondaires. C’était très lourd comme traitement. » « J’ai 35 ans mais, avec mes douleurs, j’ai l’impression d’en avoir 80 ; je marche comme un vieux. J’essaie de donner le change tant que je peux avant de m’effondrer sur une chaise ou le premier fauteuil que je rencontre ! » « Depuis que je prends mon traitement, j’ai l’impression de pousser un 33 tonnes tous les jours ! » « Je suis continuellement fatigué ; une fatigue que le sommeil ne répare pas ! » « Avec cette fatigue, j’ai l’impression d’avoir 50 kilos de plus à chaque jambe. » « Mes crampes sont atroces, elles me terrassent, me réveillent la nuit et laissent mes jambes douloureuses dans la journée. » « Je suis sportif, je fais des marathons depuis des années ; ce ne sont pas des crampes de sport, c’est plus une sensation d’écrasement, d’enserrement des jambes, c’est vraiment terrible! J’ai perdu la moitié de mes performances en quelques mois de traitement.» 16 Les interrogations des patients au sujet des conséquences des effets secondaires « L’hématologue affirme ‘’vous ne mourrez pas de LMC’’ mais peut-être qu’on mourra des effets secondaires du traitement. Ma femme prend du Tasigna depuis quelques mois seulement, mais que va-t-il se passer dans quelques années ? Il faut une surveillance, non seulement du côté hématologique, mais aussi sur d’autres parties du corps comme l’aspect cardio-vasculaire. » « Mon hémato est démuni face à ma fatigue mais moi, je ne tiendrai pas comme cela pendant toute une vie ! » « On ne peut pas avoir une vie sociale avec des diarrhées et des nausées quotidiennes, c’est comme une ‘’gastro’’, mais qui dure ! » DES DOSAGES INADAPTÉS DUS AU MANQUE DE RECUL VIS-À-VIS DU TRAITEMENT « L’hématologue prescrit un traitement au Glivec dosé à 400 mg. Il rajoute que je n’ai droit à rien pour pallier les effets secondaires. Pendant six ans, je n’ai eu droit à aucun antidouleur. Conséquences, je suis restée alitée pendant six ans avec des tétanies musculaires terribles qui me bloquaient physiquement. On ne connaissait rien d’autre à l’époque et les médecins craignaient que l’ajout d’autres médicaments ait des contre-effets sur le traitement. Quand on a pu baisser les doses, jusqu’à 100 mg, ça allait mieux, j’étais dosée normalement ; en fait j’étais en rémission complète depuis le début, donc l’enjeu, ce sont les effets secondaires : c’était très dur, je n’arrivais pas à marcher, j’étais dans une chaise roulante. » « Il a fallu augmenter mon traitement pour que mes analyses soient enfin bonnes ! » DOULEUR ET EFFETS INDÉSIRABLES La détresse des patients face aux effets indésirables de la thérapie « C’est très violent l’interféron. J’étais en aplasie au bout d’un mois. Je n’avais plus de cheveux, les gestes simples de la vie, lever les bras, étaient impossibles. Et encore, je n’ai pas eu de douleurs terribles, car j’ai eu la chance d’avoir une infirmière qui connaissait les effets de l’interféron. Elle m’a dit tout de suite de prendre les doses maximales de Doliprane, sans attendre quel effet fait l’interféron. Ce n’est pas le médecin oncologue qui me suivait qui m’a prévenue au sujet de la douleur. » « On est une larve. On se lève, on est fatigué, on se couche, on n’en peut plus. Pour les gens qui travaillent, quoi faire quand on est une larve ? Dites ça à votre hémato ! J’ai demandé des vitamines, on m’a répondu que je n’en avais pas besoin. » « Problèmes intestinaux, problèmes oculaires, yeux rouges, hémorragie oculaire, yeux qui brûlent, spasmes musculaires, sensations de coups de bâton dans les jambes, qui empêchent de marcher, qui durent plus d’une heure, comme des 17 contractions musculaires intenses. » DES MÉDECINS N’ONT RIEN À PROPOSER POUR LES EFFETS SECONDAIRES « On n’a pas le sentiment d’être compris. J’ai dit à mon médecin que j’étais devenue allergique à mes produits de beauté. Il m’a répondu : ’’ C’est psychologique. ‘’ Pour une femme, c’est difficile de voir son apparence changer, sa peau qui commence à doubler de volume, le visage qui enfle, avec des rougeurs. Mon esthéticienne m’a proposé un drainage lymphatique mais m’a confié qu’elle ne sentait pas d’eau. Par contre les muscles étaient durs. » « J’avais des crampes si graves dans la nuit que j’ai eu un déchirement musculaire. Le pharmacien m’a donné du magnésium. L’hématologue, en voyant les effets secondaires, a arrêté le traitement pendant vingt jours. » «On ne me propose pas grand chose pour lutter contre mes effets secondaires. J’ai fini par ne plus dire ma souffrance car elle embarrasse le corps médical.» «Mes résultats sont bons mais les effets secondaires font leur dégâts. Je suis obligé de m’auto-médiquer car mon hématologue dit que c’est à mon médecin généraliste de gérer ça et mon médecin généraliste me renvoie sur l’hématologue. Avec la LMC, je suis entre deux chaises! » Un besoin de reconnaissance de ce qu’éprouvent les patients « Si on reconnaissait notre état, ça irait mieux dans nos têtes. On nous demande d’être le malade parfait. On n’entre pas dans ce que les hématologues ont prévu. Étant en rémission, pourquoi je suis fatiguée ? J’ai des douleurs osseuses, on m’a parlé de spondylarthrite ankylosante, de scléroses en plaque, comme si je n’avais pas assez d’une leucémie ! Ils ne veulent pas qu’il y ait des effets secondaires, et aussi, dès lors qu’ils nous traitent, quel que soit le traitement, ils veulent qu’on aille bien, même si on est fatiguée… » « Je parle ‘’effets secondaires’’, l’hématologue parle ‘’résultats’’ ! Ce serait bien qu’il ne voie pas en moi une belle courbe dans un schéma. » « Mon hématologue aime me rappeler qu’auparavant la LMC ne se traitait pas ! J’aimerais qu’il se souvienne que je vis ici et maintenant ! » Pouvoir soulager les effets indésirables « Il y a quand même des médicaments homéopathiques qu’il est possible de prendre, des antidouleurs… En médicaments de confort, jamais on a été dirigé vers ces médicaments. C’est une infirmière qui m’en a parlé. Pourquoi ne pas aller voir un homéopathe ? » Montrer plus d’égards envers les patients isolés « Pour mon médecin, les effets secondaires pouvaient venir du stress, pas du 18 médicament. J’avais l’impression d’être ridicule en parlant de tel et tel problème. Qu’un médecin aussi compétent puisse se permettre de ne pas avoir d’écoute et de ne pas donner de suivi professionnel, c’est problématique, surtout quand on fait 200 km pour aller le voir. » « Les effets secondaires se réduisent. J’avais peur de perdre mes cheveux et, avec le temps, on oublie et mes proches oublient aussi. Bien que je sois en rémission, j’ai perdu ma vivacité, donc ce n’est pas vraiment ça. Avant, j’étais très dynamique et j’étais vive dans ma tête. » « J’ai honte de parler de mes effets secondaires au médecin qui me suit ! Je sens bien qu’il serait mal venu de me plaindre ! » LE DESIR D’AVOIR DES ENFANTS E st-il raisonnable de vouloir être enceinte malgré sa maladie ? Quelle que soit la réponse, ce désir doit être respecté. Il conviendra pour la jeune femme de parler de son vœu à son hématologue et de connaître ainsi les précautions à prendre pendant son traitement. L’hématologue prodiguera les meilleurs conseils à sa patiente dans son désir de grossesse ou déjà enceinte. Dans la réalité, cela peut se révéler plus complexe. Les scientifiques manquant d’études à long terme sur le sujet de la grossesse des patientes LMC, ils craignent pour la survie de la femme ou du fœtus. Il arrive que le médecin généraliste ou l’hématologue n’aie pas toutes les informations nécessaires. Aussi est-il recommandé à la jeune femme de se rapprocher d’un spécialiste de la LMC pour obtenir toutes les données utiles. Naturellement, la prise en charge de la patiente doit inclure une collaboration étroite entre l’hématologue et le gynécologue-obstétricien. En tout état de cause, la jeune femme souffrant de LMC mérite une grande considération en ce qui concerne son projet de procréation. Des drames qui auraient pu être évités « Ça fait deux ans que je suis soignée pour une LMC ; depuis 2011. Mon hématologue ne m’a toujours pas dit si je pourrai avoir des enfants ! » « Mon hémato m’a formellement déconseillé d’avoir des enfants alors que j’ai 27 ans et que nous étions prêts avec mon conjoint. Notre relation s’est dégradée ; aujourd’hui, il est parti. Je reste seule avec ma LMC. » « La prise de sang, qui a confirmé ma grossesse tant attendue, m’a aussi apporté le diagnostic de la LMC… Mon hématologue m’a dit qu’il fallait avorter pour soigner ma LMC ! La mort dans l’âme, c’est ce que j’ai fait. Lors d’une consultation suivante, 19 je lui ai posé la question de la contraception, il m’a répondu que ce n’était pas la peine car mon traitement me rendait stérile ! Trois mois après, j’étais de nouveau enceinte. Il m’a expliqué à nouveau qu’il fallait avorter !!! Je suis détruite, c’est terrible à vivre. » Des parents heureux de donner la vie « J’ai une LMC depuis 2005. Je me suis interrogé sur les effets du traitement sur ma fécondité. Depuis quatre ans, je suis un heureux papa. » « J’ai été magnifiquement accompagnée dans mon désir de grossesse par mon hématologue, sous surveillance médicale rapprochée ; tout s’est bien passé. J’ai accouché d’une magnifique petite fille, j’ai repris mon traitement et j’ai conservé ma réponse moléculaire complète. » VIE AVEC LE CONJOINT, LES ENFANTS, LES PROCHES L a vie du patient bascule, plongeant la famille dans l’accablement. Les proches ressentent la même blessure bien qu’ils n’éprouvent pas dans leur chair ce que vit le patient. Chacun souffre de voir ce qu’endure son conjoint ou son parent, de savoir que sa vie est en jeu. La famille proche se resserre et s’incarne dans son désespoir, ses angoisses, ses silences qu’elle veut partager pour tenter d’alléger son fardeau. À la longue, là aussi, après une période de détresse ou tout est brutalement remis en question, apparaît une lueur d’espoir. La vie ne sera plus la même, mais tant que subsiste une chance de survie grâce au traitement, il faut réorganiser le quotidien, réinvestir dans l’existence avec des projets mêmes timides, « faire avec ». C’est au conjoint qu’il incombe de mener ce combat vital. Il va tout faire pour soutenir le moral du patient, le protéger, toute son énergie est concentrée dans cette lutte protéiforme car il y a les enfants, la famille, le travail, l’argent, la quête d’une existence normale. En coulisse, la deuxième victime psychologique est le conjoint. Pour lui ou elle, c’est aussi une épreuve : « On ne sait pas comment l’aider », « On ne sait quels mots trouver… » et pourtant, son dévouement pour le malade et ses propres tourments semblent ignorés du corps médical et social. Il tait sa solitude personnelle, son impuissance, l’enfer qu’il éprouve : il doit être fort. L’équilibre conjugal est brisé : « La vie de couple en prend un coup ». Et puis les enfants, les parents dont il faut s’occuper. Concernant ces derniers, il préfère leur cacher la vérité s’ils sont âgés. Quant à l’enfant malade, la douleur des parents est indicible. Enfin, il y a le cas des patients seuls, sans famille pour leur venir en aide. 20 Rompre la solitude «Face à la souffrance quand on est malade, on est très seul, malgré tout l’amour qu’il y a dans un couple. La vie au quotidien avec le conjoint, c’est infernal. Par moment je mène une vie d’enfer à mon mari. La fatigue, c’est très difficile à vivre pour le malade mais aussi pour les proches immédiats. Je lis les témoignages sur le site internet, c’est très important, je ne suis plus seule. Des malades réagissent comme moi et vivent la même chose que moi. Quand je reçois sur mon portable un petit message, c’est important. » « L’entourage, mes deux filles sont jeunes. À part ma femme, il n’y a personne… Ce qui compte, ce sont les analyses. À l’annonce de la maladie, il devrait y avoir un suivi psychologique du patient et de la famille proche. » « Ma femme est plus affectée que moi, bien qu’elle ne soit pas malade. Elle se sent doublement exclue, d’une part parce qu’elle ne sait pas comment m’aborder et d’autre part parce qu’elle sait que moi, je me sens exclu dans la famille. Elle se sent mise à l’écart parce que la famille ne sait pas comment m’aborder moi et l’aborder elle. Quand je ne suis pas bien, c’est elle qui le supporte. Ma femme est infirmière, elle a porté et porte encore un fardeau très lourd, elle me protège tout le temps et se sent pénalisée. Le patient et son proche, mari ou femme, se sentent exclus. » « D’être malade, ça change le caractère de la personne. Mon mari devient agressif, difficile à vivre. Je n’ai pas pu confier à qui que ce soit qu’il y a des heurts entre nous. Il y a une révolte, je ne lui en veux pas, mais c’est une difficulté dans l’accompagnement. Tout devient une montagne, tous les problèmes du quotidien, de la maison, il s’en fait une montagne. » Seule en France avec sa mère malade et sa famille à l’étranger « Ma maman, il n’y a que moi qui suis en France avec elle. Tous mes frères et sœurs sont à Madagascar avec mon père. On est donc séparé, ce qui est dur surtout à leur âge. Je suis médecin et je donne les informations nécessaires à ma famille qui me demande des nouvelles. Elle ne pouvait pas faire de biologie moléculaire à Madagascar. Pour elle, le Sprycel marche très bien, elle est en cours de rémission. » La vie qui continue C’est moi qui m’occupe de mon mari. Comme j’ai un tempérament optimiste, je me raccroche à ce qui représente l’espoir. Cela fait longtemps que ça dure et mon mari est toujours là! Au quotidien, il y a les effets secondaires, les bobos, mais il est là, donc tout va bien, donc on avance, donc la vie, c’est la même. Certes, on fait attention, mais il n’y a pas de pathos, on continue. » « Je suis mariée avec trois enfants. Au début, je m’accrochais à mon mari car je savais qu’ainsi je ne mourrais pas. Mais quand il a repris son travail après avoir pris des congés pour rester avec moi, c’était la catastrophe. Ça va mieux maintenant, je suis seule à la maison et je m’occupe de mes enfants et j’ai intégré la maladie. 21 Seules mes phases de fatigue et mes rendez-vous avec le spécialiste me rappellent ma maladie. » « La perception que l’on a de soi-même change. Nous vivons dans une société encore sujette à l’influence judéo-chrétienne où l’homme est fort et protecteur. C’est difficile pour lui, lorsqu’il est malade, d’assumer cette identité, quand il est affaibli et diminué. Cette perception met en difficulté le malade encore plus. Comment accepter de devoir passer le relais à sa femme, de lui transférer le poids de ses responsabilités ? Sa femme l’accepte mais c’est difficile pour lui.» « C’est très difficile pour une mère de famille d’être malade ou hospitalisée car elle se soucie constamment de sa maison et de sa famille et comme elle ne peut pas assumer ses devoirs quotidiens, cela est insupportable.» Pouvoir parler d’autre chose que de sa maladie « Avec la famille, j’aimerais pouvoir discuter d’autre chose que de la maladie. On en revient toujours à ça. Les parents ne savent pas comment t’aborder, on dirait qu’ils ont peur de… Au début je comprends car je n’avais plus de cheveux, de sourcils, c’est humain… » Besoin de reconnaissance de l’accompagnant « Je suis infirmière, on m’a dit ‘’Tu es forte, tu gères tout’’. J’allais au travail, soigner mes patients, les larmes dans la voiture… De toute façon, je n’avais pas le choix. On ne m’a jamais demandé : ‘’Et toi, comment tu vas ?’’ On a vu des regards détournés et des gens qui n’étaient pas des proches qui étaient très présents. Bien qu’on aide, on n’a pas notre place, ni auprès des médecins, ni auprès des amis. Le quotidien n’est pas facile, car ce n’est pas notre maladie mais celle du conjoint et, pendant six mois, j’étais l’infirmière de mon mari. Maintenant, j’ai compris, je suis sa femme, plus son infirmière. » « Je suis aide-soignante à l’hôpital. On nous a donné d’abord le diagnostic de thrombocytémie aigüe puis, après les prélèvements, c’est devenu LMC. On a essayé de se dire que la maladie, on s’en ferait notre amie, non notre ennemie. Mon mari a eu tant de soucis avec ses traitements, ses effets secondaires, sa fatigue et tous les maux provoqués par ses traitements, il devient nécessaire de faire le point avec le professeur car ça devient très dur dans la vie quotidienne. Il se replie sur lui-même : ‘’ça ne va plus’’, ‘’ j’ai mal là’’, ‘’pourquoi moi ?’’, problèmes cardiaques, problèmes toujours présents entre nous. Tout le monde a le regard sur Jo : ‘’Comment il va ?’’, et moi, en tant qu’épouse ?» Une éducation thérapeutique nécessaire « On ne sait pas quoi faire pour aider, pour soulager, on se sent impuissant, même si on est là. J’aimerais faire plus dans cette fatigue qui le dévore. » « Cela demande énormément d’effort à la famille. Les proches, il faut les protéger. Souvent, mon fils appelait sa tante et se plaignait d’avoir mal. Ma sœur, elle le vivait très mal tant elle avait peur d’avoir mal fait, d’avoir mal parlé. En tant que 22 mère, c’est terrible de savoir que son enfant est malade. Je ne suis plus pareille. J’ai ce poids qui est toujours là. » « Je ne voulais pas m’effondrer. Maintenant, je sais que c’est quelque chose qu’il va falloir que je fasse moi-même mais on ne nous propose rien. Ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un psychologue, comment font-ils ? Quand vous avez votre mari au fond du trou, qui n’arrive plus à se bouger, qu’est-ce qu’on fait ? » « On ne sait pas quoi dire. Il y a des jours, quand je vois mon fils, je ne lui parle pas du tout de sa maladie, ‘’comment tu te trouves ?’’, ‘’ comment ça va ?’’ Après, je culpabilise : qu’aurais-je dû faire ? Si je lui en parle, est-ce que j’en ai trop parlé ? Est-ce que ça lui plombe le moral ? Comment lui parler ? On ne sait pas comment aborder la personne. » « Il ne faut pas compter sur la famille, il faut compter sur les amis. La famille est si proche du malade qu’elle ne peut pas aider… c’est très sensible. » « Mais comment apprendre les bonnes attitudes, apprendre l’écoute… Ça n’existe dans aucune maladie, il n’y a rien. » LES AMIS, LA VIE SOCIALE L es amis, c’est comme sur Facebook, vous en avez plein… » Où sont-ils au moment où vous avez besoin d’eux ?… Un constat amer que dressent plusieurs patients et leurs proches, tempéré cependant par la surprise de voir des relations lointaines offrir un soutien inattendu et désintéressé. « On s’étonne, on s’offusque presque de perdre des amis que l’on croyait fidèles. C’est encore une autre facette des conséquences de la maladie. Des peurs infondées alimentent des rumeurs ou des croyances stupides : « La maladie s’attrape »… Elles augmentent l’isolement du patient et du couple. Certains décident de cacher leur maladie, d’autres, mieux entourés, parviennent à conserver un petit réseau d’amis avec qui ils partagent leur secret et le bonheur d’être ensemble, d’être comme eux. La vie sociale prend une importance inattendue. Grâce aux amis, grâce aux autres, même inconnus, le commerçant, le voisin, on peut vivre comme si de rien n’était, on se risque à avoir des projets, on sort, on vit. Le conjoint qui souhaite lui aussi avoir une vie normale, a besoin de parler, d’être écouté, de sortir, de s’intéresser au monde extérieur, de manière que sa vie ne se limite pas à un rôle unique, celui de l’« infirmier à domicile ». 23 Perdre des amis à cause de sa maladie, en retrouver d’autres On a fini par compter nos amis sur les doigts d’une main. Combien de temps dure cette maladie, on ne sait pas ! Alors les amis qui venaient régulièrement le weekend, on ne les voit plus, d’autres qui appellent parfois au téléphone : ‘’Tu vas bien ? Allez accroche-toi, hein !’’ Mais combien de personnes autour d’un couple ? il n’y a pas grand monde. » « Les amis, c’est comme sur Facebook, vous en avez plein. Au boulot, c’est pareil, et le jour où vous en avez besoin, ne restent que ceux qu’on ne croyait pas proches. Le plus pénible, ce n’est pas la maladie, c’est ce qu’il y a autour. » Être bien entouré « J’ai trois amies au top. Elles prennent la bonne distance, elles n’ignorent pas la maladie : ‘’Comment tu vas ? ‘’, ‘’ tes résultats ? ‘’, ‘’ tes effets secondaires ? ‘’ et une fois que c’est dit, on passe à autre chose. Elles sont exactement comme avant. Je ne voudrais pas qu’on en fasse trop, qu’on me mette à l’écart, qu’on reconnaisse trop ma maladie, mais j’aimerais un peu qu’on reconnaisse que je suis malade, mais c’est le propre des maladies chroniques. » « Il n’a plus de projet de vie. Une fois, il s’est écroulé dans les bras de mon fils. Il s’accroche au judo et il veut passer son quatrième dan. Le judo où ils sont au courant, c’est un monde très soudé, très solidaire. Quand il dérape, il appelle ses amis, il leur parle, l’affectif est très important, ça aide, et cela est dit par quelqu’un d’autre que des proches. » « L’entourage est primordial… l’entourage médical et social, mais aussi le boulanger du coin, les petits commerçants, on peut avoir du recul sur quelque chose de très complexe à partir du moment où on a une proximité, à moins de vouloir rester malade, isolé et de refuser l’aide, ce qui a été un peu mon cas. » RELATIONS PATIENTS - MEDECINS L a qualité des relations qui se nouent entre le patient et son hématologue reflète toute la problématique de la maladie. Deux réalités s’opposent en filigrane, avec la confiance pour toile de fond et la douleur comme thème de discordance. Ce contraste peut engendrer des malentendus, parfois des frictions. Le médecin ne sait pas toujours se mettre à la portée de son patient. Une attitude trop laconique est interprétée comme de la froideur, suscitant le dépit et la déception, la détresse aussi : « De retour chez moi, j’étais effondrée car je n’ai pas eu les réponses à mes questions. » Il existe des médecins plus « humains », comme l’avouent certains patients 24 qui ont une relation sereine avec leur médecin. Le mot clé est la confiance : « il faut faire confiance, sans elle, le combat est perdu d’avance ». Les patients et leurs proches aspirent à une plus grande considération de la part du corps médical pour lequel ils ont, par ailleurs, une grande admiration. Cela est essentiel dans l’instauration d’un état d’esprit propice à l’évolution positive de la maladie. Si des médecins manquent de temps pour écouter leurs nombreux patients, d’autres les invitent à rester en contact avec eux, mais restent souvent injoignables, ce qui complique les rapports entre le patient et son médecin. D’autres médecins, un petit nombre, ont pris pour habitude de donner tort à leur patient. Il apparaît en général que les acteurs de santé ne soient pas suffisamment conscients de l’importance de la psychologie dans l’accélération de la guérison, mais cela n’est pas exclusif à la LMC. Il importerait donc de trouver un équilibre entre la prise en compte de la gravité de la maladie et sa dédramatisation, entre la nécessité de traiter le corps du patient et celle de le soutenir moralement, ne serait-ce qu’en réservant à son égard toute la considération qu’il est en droit d’attendre. La question cruciale est de trouver la bonne attitude, le bon discours, la bonne écoute sans quoi le patient risque de se retrancher dans un isolement peu constructif. DES PATIENTS ENTHOUSIASTES VIS-À-VIS DE L’ACCUEIL DE LEUR MÉDECIN « Nous avons été très bien reçus avec un accueil adorable. Les premiers rendezvous se passaient dans une bulle. Tout ce qui se passait autour, on ne voyait rien, on ne savait pas. Mais maintenant que nous sommes un peu plus intégrés, nous avons ouvert les yeux et nous étions dans un service hospitalier à côté du service d’oncologie avec des pathologies où des gens sont meurtris et on a découvert la vraie souffrance et cela a été très dur. » « Je suis très satisfait des médecins que j’ai rencontrés et de l’hématologue. Depuis la première prise de sang, la responsable du laboratoire m’a préparé psychologiquement à la lecture du compte rendu de la prise de sang, ensuite ils ont appelé le médecin traitant puis organisé un rendez-vous avec l’hématologue. Tout s’est enchaîné sans heurt, j’ai tout de suite été accompagné et mis en confiance par les personnes que j’ai rencontrées. Je vois mon hématologue tous les trois mois, et quand j’ai des questions, j’envoie un email et on me répond rapidement. » UN MANQUE D’ATTENTION ET DE COMPRÉHENSION QUI RISQUE DE BLESSER « J’ai passé la nuit aux urgences et on m’a annoncé une maladie du sang. Le lendemain, j’ai rencontré un hématologue qui était froid, pas à l’écoute. Il m’a auscultée, m’a rassurée quand même et m’a appris que je devais sans doute avoir une maladie du sang chronique. J’étais sonnée, dans un état second. Il n’a pas été très humain. Rentrée chez moi, je pensais que j’allais mourir bientôt, je suis restée prostrée. D’habitude je suis active mais ça m’a complètement anéantie. » 25 « Il faudrait un peu obliger les mentalités à évoluer. Je connais beaucoup de personnes malades qui n’ont pas la possibilité de se déplacer pour aller voir des médecins et trouver auprès d’eux un meilleur accueil ou un meilleur suivi. » Avoir un hématologue accessible et à l’écoute « L’hémato nous dit, quand il donne un médicament : ‘’S’il y a quelque chose, vous nous appelez !’’ Essayez de l’avoir au téléphone ! Il a fallu que mon mari se déplace deux ou trois fois, écrive, pour que ce soit transmis à l’hémato qui nous soigne. On attendait la réponse. Pendant ce temps, il y a le découragement, on n’arrive pas à avoir la personne tout de suite. Des fois, on n’a personne au bout du fil et si on a une secrétaire, elle ne transmet pas. » « Mon mari se décomposait devant son hématologue. Dans le cabinet, au moment des résultats de l’analyse, mon mari ne comprenait rien de ce que le médecin lui disait, alors je prenais tout en notes. Car je savais qu’on ne le verrait que dans trois mois. » « J’ai vécu des accueils exécrables. S’il n’y a pas un accueil, un sourire, une protection, une confiance, on peut partir sur une dépression. » « J’ai rencontré un hématologue qui était froid, pas à l’écoute. À l’occasion d’un nouveau contrôle, je voulais en profiter pour lui poser une foule de questions mais il a expédié le rendez-vous et m’a demandé si j’acceptais d’entrer dans un nouveau protocole, mais je ne comprenais pas grand chose car il ne se mettait pas à ma portée. De retour chez moi, j’étais effondrée car je n’ai pas eu les réponses à mes questions. Aucune écoute de ce monsieur. » « Quand j’ai revu le médecin, je lui ai dit : ‘’ Vous me donnez un antidépresseur ou je me fous en l’air ! ‘’ Je n’avais aucune aide psychologique. » « Le médecin ne savait pas quoi faire. Je suis allée voir un hématologue privé qui m’a remise au Glivec 400. Elle m’a demandé de l’appeler toutes les semaines. Ce que je faisais mais je n’arrivais pas à l’avoir au téléphone. Je suis descendue à l’hôpital en voiture, elle n’était pas là. J’ai fini par trouver un troisième hématologue. On a perdu du temps. Le premier médecin avait dit à mon mari : ‘’ Il n’y a pas d’urgence, vivez normalement ‘’ . Ce n’était pas bien, c’était trop long. » « Pensez-vous que notre parole puisse arriver jusqu’aux hématologues? Ils vous soignent, il n’y a pas de problème, mais leur dire que vous avez mal partout, que vous êtes fatigué à mourir, ils ne veulent pas l’entendre! Ils vous soignent, point à la ligne. » Des comportements de médecins qui ne sont pas rassurants pour le patient « Mon médecin m’a dit qu’il n’y avait pas urgence, peut-être était-il optimiste. Il s’est offusqué du fait que j’avais consulté un hématologue différent de celui qu’il m’a indiqué. Ces médecins se sont ignorés, au détriment du patient. J’ai commencé mon traitement deux mois après ma première visite. » « Comment avoir confiance quand l’hématologue ne répond à aucune de nos 26 questions et se contente de nous donner une feuille de résultats ? » « A mon premier rendez-vous, on m’a annoncé ma LMC, on m’a donné rendez-vous six mois après et une ordonnance pour un mois seulement ! Quand j’ai téléphoné à l’hémato pour lui demander si c’était normal, il y a eu un blanc… » L’OBSERVANCE DU TRAITEMENT B ien que les patients aient conscience de l’enjeu qui les concerne, ils manifestent une grande variété dans l’observance de leur traitement. Certains font preuve d’une stricte adhésion à ce qui leur est prescrit (« Je suis d’une rigueur absolue, presque maladive vis-à-vis du traitement »), d’autres avouent abandonner occasionnellement leur traitement. Les hématologues savent détecter les cas de non-observance à la lecture des marqueurs biologiques révélés dans les analyses. Ce qui est demandé aux patients est d’avaler un ou deux cachets par jour pendant des mois ou des années. Or le patient idéal n’existe pas. Des études menées à ce sujet révèlent que l’on veut prendre le traitement, mais que l’on oublie la prise malgré tout. L’effet de la routine, prendre deux fois par jour des médicaments tous les jours… L’injonction « vivez normalement » qui contribue à banaliser la gravité de la maladie… Toutes les études montrent que si les patients affirment prendre régulièrement leur médicament, les vérifications électroniques prouvent le contraire. Cela complique l’obtention de la réponse moléculaire escomptée. De nombreux facteurs influent sur l’observance : les effets secondaires, la relation avec son médecin, les rapports avec les proches, le mode de vie, l’attitude face à la maladie… Une personne qui vit seule, qui voit peu son hématologue, qui éprouve des difficultés dans sa vie ou au travail, qui n’est pas accompagnée, aura plus de mal à adhérer au protocole. Même le sexe joue un rôle : la femme rappelle plus souvent à l’homme de prendre son médicament que ne le fait l’homme à sa femme. Ainsi les inégalités sont-elles fortes. L’observance, c’est aussi éviter d’être trop décalé dans les horaires, adopter un mode de vie conciliable avec la thérapie, choisir des compléments alimentaires compatibles. SUIVI DU TRAITEMENT « J’étais ahurie d’apprendre qu’il n’y a que 15% de patients qui suivent le traitement correctement. Ce n’est pas facile pour les gens qui travaillent, qui doivent suivre un horaire, qui partent à 7 h du matin et rentrent à 7 h le soir. Mon mari fait un programme. Je fais des croix avec les heures pour ne pas oublier. L’hématologue qui reçoit les résultats de la prise de sang d’un patient l’appelle vite parce que les 27 leucocytes ont augmenté. Il veut savoir pourquoi et interroge le patient qui lui avoue qu’il a oublié depuis trois jours. » Une maladie de trop « J’ai arrêté le traitement le week-end simplement parce que j’en avais assez. Pourquoi le week-end ? C’était un choix personnel. Je ne voulais pas être malade le week-end. C’était la maladie de trop. » « Le Tasigna est très contraignant, il ne faut pas manger deux heures avant, une heure après. Comment le prendre ? A quelle heure ? Si je m’endors, je risque d’oublier la prise. Je le prends à 5 h 30 tous les matins, pas le soir parce que, après je suis décalé. » Des patients qui jouent avec leur vie « J’ai arrêté mon traitement pendant trois mois car les effets secondaires étaient trop lourds. Jusqu’à la consultation suivante. Entre les deux consultations, il n’y a pas de suivi. » Une ambiguïté difficilement acceptable « Quand on nous dit : ‘’prenez le médicament et vivez normalement’’ ou ‘’vous êtes fatigué, tss, tss’’ on occulte, ce n’est pas grave, on en parle et on oublie, mais c’est grave pour l’observance de ne pas être écouté sur le plan de la fatigue. On nous dit de vivre normalement ; ‘’normalement’’ pour moi ça veut dire sans médicaments. » « L’hématologue me dit d’avoir une vie normale : cette injonction est difficile à supporter car dans la vraie vie, la vie normale ne rythme pas avec leucémie, ni avec traitements, ni avec effets secondaires… » « On me demande de vivre normalement, alors que plus rien ne sera comme avant ! » Des patients qui comprennent l’enjeu de l’observance « J’ai dit à mon hématologue, après l’annonce du diagnostic, que j’avais peur de mourir. Il m’a dit ‘’ça tombe très bien, le principal problème que l’on a avec les patients est qu’ils ne suivent pas bien leur traitement.’’ Cette peur est encore très présente en moi. Je suis d’une rigueur absolue, presque maladive vis-à-vis du traitement. La corrélation avec le traitement, c’est : si je ne le suis pas, pas de vie. Au cours des quatre derniers mois, je peux citer quatre cas d’inobservance qui ne sont que des décalages de traitement, de quelques minutes! Il faut garder en tête l’enjeu et mon enjeu, c’est la vie. » « Avant, je comptais mes médicaments tous les jours pour être sûre de ne pas oublier mon traitement car leur conditionnement ne permet pas d’être sûr que l’on a bien pris son traitement. Maintenant, j’ai acheté un pilulier et je mets une alarme pour être sûre de ne pas oublier. » « Mes enfants et mon mari sont mobilisés et, chaque jour, il y a toujours quelqu’un et des alarmes pour me rappeler la prise du médicament. » 28 LE TRAVAIL T ravailler en dépit de sa maladie n’est pas chose facile. Pourra-t-on continuer d’assumer ses responsabilités professionnelles ? Commet expliquer les absences inévitables, le changement de son aspect physique, son manque d’entrain si l’on a décidé de taire sa pathologie ? Le mot « leucémie » impressionne et si on le prononce, on craint de voir se refermer l’accès aux relations normales et aux facilités administratives. Les patients parlent de l’ambiguïté des rapports avec leur hiérarchie et avec leurs collègues, des jugements parfois blessants prononcés à leur égard, de l’ostracisme dont ils sont victimes : « Au travail, on vous met au placard. Je ne l’ai pas supporté. » Il y a en outre les difficultés à obtenir une reconnaissance officielle de la maladie ou une pension d’invalidité, les incertitudes au sujet de la poursuite de sa carrière professionnelle. Si l’on est travailleur indépendant, artisan ou directeur d’entreprise, il faut faire bonne figure devant ses employés, sa clientèle, ses associés. Les demandes de congé longue maladie sont parfois rejetées. C’est là aussi l’occasion de se sentir dévalué par la société. Dans les faits, un nombre insuffisant de mesures est adopté pour aider les patients dans leur vie professionnelle. LE SENTIMENT D’OSTRACISME « Au niveau du travail, tu es catalogué, on te met de côté, au placard. Conclusion, je fais mon travail mais je ne peux plus avoir de relations avec mes collègues. » « On vous met la tête sous l’eau, personne ne va vous aider. À la médecine du travail, on m’a dit : ‘’Avec la pathologie que vous avez, arrêtez-vous’’. Bien sûr, mon médecin traitant m’a aidé. Mais pas de suivi psychologique. Personne ne donne de solution. » « Je suis pris dans un étau. Je veux continuer à travailler normalement mais je perds mon travail si je m’absente pour aller voir mon hématologue ! Le patron veut que je sois à 100 % de mes capacités ! » L’incompréhension des collègues de travail « Encore plus fatigué, les après-midis au travail, je ne pouvais plus avancer. J’ai averti mon patron et mon DRH, je ne voulais pas trop que ça s’ébruite. Au fur et à mesure des semaines, j’étais épuisé, j’allais m’asseoir. Ce qui est pénible, ce sont les ‘’ on dit ‘’ , les jugements de valeur de ceux qui sont autour, du genre : ‘’ Oui, tu ne veux pas travailler, ce sont les vacances qui approchent…‘’ » 29 NON-RECONNAISSANCE DE LA MALADIE AU TRAVAIL « Quand on est fatigué, ça déprime, c’est vrai, et quand on voit que ce n’est pas reconnu… Je ne suis plus la même depuis que je suis sous Glivec. J’étais très active avant. Quand je vais au bureau, parfois j’ai l’impression de faire juste acte de présence. Je suis censée faire le même travail que les autres. » « Il y a plus de vingt ans, pendant deux ans, je traitais tous les jours du bois avec le benzène. Comme c’est vieux, il y a prescription. Ma demande de reconnaissance de maladie professionnelle est refusée jusqu’ici. On m’a suggéré un statut de handicapé. Je ne suis pas d’accord, je ne me sens pas handicapé et je trouve cela blessant. Je trouve que la médecine du travail fait mal son travail. J’ai été plusieurs fois en arrêt maladie dans mon entreprise, puis j’ai travaillé à mi-temps. Je tiens à avoir une vie sociale, travailler, sinon on se retrouve chez soi à ne rien faire et on déprime. Mais comme il n’y a pas de reconnaissance, ils ont du mal aux ressources humaines avec la paie du personnel pour suivre mes changements d’horaire et de jours de travail. » « J’étais l’une des premières patientes à être traitée au Glivec, début 2002. Mon hématologue ne connaissait pas bien les effets secondaires. Depuis le début de mon traitement, je vis avec une fatigue chronique. Je travaille à plein temps. Une fois, j’ai demandé un congé longue maladie fractionné. Je me suis entendue dire par mon hématologue : ‘’ si je suis fatiguée, c’est de ma faute, que je devrais faire du sport, qu’il fallait que je me bouge, que la fatigue ce n’est pas le Glivec, que ce doit être la dépression’’, or je n’étais pas dépressive. C’est l’hématologue qui me suit qui m’a dit ça. » LE TRAVAIL COMME PALLIATIF « Mon mari travaille, il n’a pris que deux semaines d’arrêt à l’annonce de la maladie et pour faire les premiers examens qui étaient nombreux. Il ménage ses horaires mais il travaille en étant épuisé tout le temps avec des douleurs intempestives. Globalement, l’entourage professionnel est bien, il a ses copains. » « Ma maladie, je la mets un peu de côté, je m’occupe de mon travail, ça permet d’avancer. J’ai des effets secondaires, mais je n’arrête pas de vivre pour autant, je continue d’avoir des amis, de faire ce que j’ai envie de faire, ma vie est très confortable. » « Mon travail est très physique, je manipule de lourdes charges. Je souffre énormément de passer pour un fainéant avec cette fatigue omniprésente. Je ne peux pas leur dire que je suis malade car ma paye est le seul revenu de la maison. » « Je n’ai pas un travail physique et je peux m’arranger pour aller à mes rendez-vous à l’hôpital, alors je continue. » ASSUMER SES RESPONSABILITÉS D’ENTREPRENEUR Poursuivre son travail en dépit de sa maladie « Je suis cogérant d’un organisme de formation. J’ai accepté ma maladie mais je suis forcé d’attendre car, pour l’instant, il est difficile de reprendre pleinement 30 mes activités avec les responsabilités qu’elles impliquent. J’ai dû laisser mes responsabilités à mon associé. Il y a un enjeu économique derrière cela : en tant que gérant non salarié, il faut que l’argent tombe et je dois retrouver l’enthousiasme. Par pudeur, je ne voudrais pas demander mes droits. Maintenant, je reprends un peu le dessus mais j’ai peur de deux choses. L’évolution de la situation économique et la prise en charge des médicaments ; comment cela va se passer demain, ils coûtent cher. Pour l’instant je travaille à mi-temps. » « Je me fait beaucoup de soucis pour mon fils. Il travaille à son compte, il est artisan électricien, dans un petit village. Il ne faudrait pas qu’on apprenne sa maladie, il tient à ses clients, il est tout seul. » « Je dirige un service avec 300 collaborateurs à gérer. Intellectuellement, je suis apte à diriger mais physiquement, je m’interroge. J’ai aussi un déroulement de carrière à mener, que va-t-il se passer ? Du point de vue hiérarchique, ils ne sont pas au courant à part mon supérieur immédiat. En fait, si ça n’impacte pas ma vie personnelle et professionnelle, ils ne verront pas que je suis malade. Puis il y a le médecin de l’administration et là j’ai eu peur. Car c’est l’administration et si on cumule cinq ans de congé maladie même interrompus, c’est la porte. J’en ai parlé à ce médecin après avoir consulté mon responsable syndical. Il m’a demandé : ‘’ Estce que votre médecin vous arrête professionnellement ?‘’ J’ai dit ‘’ non ‘’ . ‘’ Alors pas de problème, je ne vous arrête pas. ‘’» EN QUÊTE D’UNE PENSION D’INVALIDITÉ ÉQUITABLE « Mon fils, pour préserver son emploi, a fait le choix de faire un mi-temps thérapeutique. Ça lui permet de se reposer le matin quand il est très fatigué ou quand il est malade. Ce mi-temps est maintenant terminé. On lui a proposé une pension d’invalidité à 30%. Comme il est très jeune, ils vont chercher ses salaires d’il y a dix ans, ils démarrent depuis la période avant le début de la maladie et remontent dix ans en arrière, à l’époque où il faisait des stages. » LE CRÉDIT IMMOBILIER « C’est un problème récurrent, les gens ont du mal à trouver un crédit immobilier car il engage dans une durée assez longue des sommes importantes. Il faudrait avertir les médecins conseils des compagnies d’assurance que la LMC est une maladie chronique, et qu’ils se penchent davantage sur ce sujet pour pouvoir assurer plus facilement les emprunteurs, au même titre que d’autres maladies. » « Comme j’ai continué à travailler, je n’ai pas fait valoir ma maladie pour mon crédit immobilier contracté avant ma LMC ; par contre, lorsque j’ai voulu contracter un autre crédit, j’ai essuyé un refus du fait de ma LMC. Je me sens coincé ! » « Les médecins me disaient que la LMC me permettrait de vivre normalement. Pourtant, tous les crédits que j’ai déposés ont été refusés. Je ne peux ni devenir propriétaire de mon logement, ni créer ma propre entreprise ! Ma vie est tout sauf normale ! » 31 CLOE, LILIANE, SERGE ET SEVERINE Q uatre témoignages, quatre parcours différents, quatre existences qui nous offrent un long regard sur la maladie et nous apprennent l’essentiel : la solidarité, la patience, l’espoir. Cloé, la vie devant elle, n’a pas vingt ans ; Liliane, cinquante ans de plus, partage sa vie avec Serge, son compagnon qui prend soin d’elle chaque jour ; tandis que Séverine, maman de Louis, dix ans, souhaite que son enfant puisse grandir comme tous les enfants du monde. Cloé Cloé, 18 ans, vit dans le Pas-de-Calais. En mai 2009, à 14 ans, elle apprend sa LMC. Elle est suivie au CHU de Lille à 25 km de son domicile. PATIENTE Être jeune avec une LMC : le besoin d’une vision d’avenir De nature mince, Cloé a 14 ans en 2009 quand elle consulte son médecin traitant car elle supporte mal un abdomen trop volumineux et souffre de maux d’estomac. Une échographie révèle une splénomégalie. « Au regard du médecin, j’ai compris qu’il y avait quelque chose qui allait mal ». Le médecin évoque un lymphome ! Cloé ne comprend pas pourquoi sa maman pleure. « Le visage de maman me disait que c’était grave ; je lui demandais si j’allais mourir, maman ne me répondait pas.» À cet instant, Cloé regrette de ne pas avoir consulté plus tôt, de ne pas s’être inquiétée, d’avoir pris des risques en continuant ses activités sportives, la danse… elle ne pensait pas être malade. Elle est admise dans l’unité pédiatrique spécialisée du CHU de Lille. Un myélogramme est réalisé ainsi qu’un test de compatibilité sur sa famille pour une éventuelle greffe. Sa maman Cathy, a peur. Les données disponibles sur Internet en 2009 l’angoissent : « Cloé va mourir ! » Par chance, un médicament peut être prescrit et fonctionne. Cloé échappe à la greffe. Elle apprécie de bénéficier d’une chimiothérapie orale et sa prise en charge à l’hôpital : « on faisait attention à moi. » Puis les effets secondaires deviennent lourds. Cloé est fatiguée, à tel point qu’elle ne peut plus marcher ; elle perd confiance en son hématologue qui ne prend pas sa fatigue et ses effets indésirables en considération. Juillet 2010, la réponse au traitement devient insuffisante et le médecin de Cloé choisit une nouvelle option thérapeutique et change de traitement. Les relations entre Cloé et son hématologue se détériorent : « Les consultations deviennent chaotiques ; l’hématologue ne m’écoute plus, ne me pose plus de questions ; je fais la tête et me replie sur moi. » 33 Une rémission moléculaire majeure est obtenue. Pourtant, l’hématologue évoque alternativement l’essai de nouveaux médicaments et la possibilité d’une greffe. Sa maman confirme : « L’idée de pratiquer une greffe était évoquée régulièrement par l’hématologue qui, ensuite, n’en parlait plus du tout. On ne savait plus où on en était. » Finalement, la greffe de moelle osseuse est évitée. Cloé et sa maman estiment n’avoir pas été suffisamment accompagnées et écoutées dans ces moments difficiles. C’est une période très douloureuse : « on rentre chez soi avec sa valise de chagrin, avec le sentiment de ne pas être comprise. » Même si les bonnes décisions thérapeutiques ont été prises, elles auraient apprécié d’être plus écoutées et associées aux choix thérapeutiques. Prise en charge par le service d’hématologie adulte du CHU de Lille, Cloé affirme : « Avec ma nouvelle hématologue, il y a un vrai questionnement concernant mon âge. Elle est vraiment à mon écoute et tient compte de tout ce que je lui dis.» Cloé et sa maman estiment que des « consultations de famille » menées par des professionnels formés à cette démarche seraient parfaitement adaptées car la famille est bouleversée par la maladie qui met le devenir de chacun entre parenthèses. Chaque membre de la famille perçoit la maladie à travers son propre prisme, la communication devient rapidement difficile. La peur de mal faire, de trop en faire ou trop peu malmène les proches qui s’interrogent : « Sera-t-on encore une famille unie dans six mois ? » Les relations amicales sont mises à mal par le caractère invisible des symptômes de la LMC. Les douleurs, les souffrances omniprésentes de Cloé restent quasi imperceptibles pour l’entourage amical qui n’intègre pas la gravité de sa pathologie. Cette incompréhension participe à l’isolement de Cloé à un âge où le « groupe » est si important. Aujourd’hui, Cloé ressent de l’espoir car les nouveaux traitements permettent de mener une vie quasi « normale » mais elle regrette cependant que le contact avec les médecins ne se limite qu’aux seules consultations avec un sentiment d’abandon qui en résulte : « j’aurais aimé plus de lien et de nouvelles de l’hôpital, en particulier lorsque je restais pendant quatre mois dans l’attente de mes résultats. » Adolescente à l’annonce de son diagnostic, Cloé s’est sentie isolée et en décalage par rapport aux autres patients touchés par la LMC, souvent bien plus âgés qu’elle. Les préoccupations ne sont pas les mêmes, le vécu de la maladie et des traitements ne sont pas identiques. Elle pense qu’il est nécessaire de leur « dessiner » une prise en charge et un accompagnement adaptés à leur âge. « Nous avons envie de vivre normalement. Il faut se dépêcher de faire des progrès ». 34 Liliane Liliane, 70 ans, vit à Saint-Étienne. Elle a appris sa maladie en 2002. « Le cadeau de mes 60 ans » ditelle. Elle a un compagnon très attentif qu’elle a rencontré au moment du diagnostic. PATIENTE Prise en charge médicale mieux acceptée grâce au soutien des proches Liliane ne prend jamais le temps de se soigner elle-même, elle se consacre à sa famille, à ses enfants et surtout à ses parents. En raison d’une grande fatigue qu’elle met sur le compte de la prise en charge de ses parents, puis de leur décès, elle séjourne dans une maison de repos à Cannes. L’oncologue du centre, conscient de son état, demande une prise de sang puis un prélèvement de moelle osseuse. Le verdict tombe, c’est une LMC. « Tout s’est déroulé très rapidement et l’annonce a été très brutale. J’étais assise devant son bureau, il tournait autour de moi. J’avais une drôle d’impression, ce n’était pas rassurant. J’ai posé des questions sur la LMC. Il m’a parlé de moelle osseuse, moi, je ne voyais que le sang. Il voulait tout faire pour rabaisser le niveau des globules blancs. Après m’avoir prescrit de l’Hydréa, leur nombre a diminué. » Liliane ne comprend qu’une chose : c’est une maladie du sang et il y a plusieurs sortes de leucémies. Elle ignore ce qu’est la LMC, ne connaît ni les traitements ni comment évolue la maladie. Venue seule à la maison de repos, elle est si désemparée qu’elle se confie le jour même à un autre résident, Serge, devenu depuis son conjoint. « J’ai ressenti cette annonce comme une suite de malheurs après la perte de mes parents où j’avais eu l’impression d’avoir perdu la moitié de moi-même. Je l’ai vécue comme une fatalité : c’est comme ça, il faut l’affronter. J’ai pensé à mes enfants, cela m’a aidée à supporter les protocoles et la maladie, mais on ne l’accepte jamais vraiment. » Et puis il y a Serge qui, depuis onze ans maintenant, est toujours à ses côtés. « Serge m’a beaucoup aidée. J’étais déphasée, je me suis confiée à lui. J’ai toujours voulu me battre, je ne devais pas baisser les bras pour mes parents, mes petits-enfants. Ce qui compte, c’est mon entourage, pas autre chose. » Grâce à son traitement qu’elle suit depuis trois ans, la maladie s’améliore rapidement, mais il était dur à supporter. Puis la maladie est remontée : « j’étais 35 assez mal. » En ce qui concerne sa prise en charge, Liliane dit qu’elle « ne va pas mal », mais elle éprouve des difficultés à cause de la polypathologie dont elle souffre. Elle a été opérée à la colonne vertébrale en 2000. « Je ne peux pas faire tout ce que j’aurais voulu faire dans ma retraite ; pas de sport, c’est contre-indiqué. » Et puis, la dégénérescence maculaire liée à l’âge : « j’aimais lire et écrire, je ne peux plus ; j’ai dû pour cela m’équiper de matériels basse vision. Je ne peux pas faire ce que je veux, je suis limitée, donc, ce qui compte plus que tout, ce sont ma famille et mes amis. » Le médicament doit être pris matin et soir. Mais Liliane oublie de le prendre trois ou quatre fois dans le mois. Ce n’est pas volontaire, elle est occupée ou n’a pas son traitement avec elle. « Les hématologues sont très forts et très compétents, ce sont des scientifiques, mais ils ne voient que la maladie et ne s’intéressent qu’aux résultats. Encore faudrait-il que l’on connaisse tous les termes médicaux pour bien les comprendre. C’est difficile, je parle avec mon langage de profane, j’ai du mal à tout intégrer. » Supportant mal les effets secondaires et connaissant un bon homéopathe, Liliane recourt aux médecines parallèles pour mieux supporter le traitement. « Mon foie éclatait. Mon hématologue me disait : ‘’ Voilà Madame avec sa fatigue ! ‘’ ou ‘’ Voilà Madame avec ses plantes ! ‘’ Ça m’agaçait au plus au point, mais je n’ai jamais voulu changer de médecin car il était très compétent. J’ai des compensations car j’ai du soutien dans ma vie. ‘’» « Le médecin idéal m’expliquerait la maladie et les traitements avec des mots simples que je comprendrais. Ce serait un médecin avec lequel j’oserais parler de moi. Comme j’ai peur de me plaindre, je dis souvent ‘’ oui, ça va bien, mon corps s’est habitué, mais tout de même les traitements ne sont pas anodins ! ‘’» Liliane a rencontré Mina, la présidente de LMC France, et a fini par se confier à elle. L’association l’aide à comprendre l’importance de la régularité des prises. « Depuis, je n’oublie plus les médicaments, je les prépare le soir pour ne pas les oublier le matin. J’ai compris que ma rémission dépend de ma bonne observance du traitement.» Avant, Liliane ne souhaitait rencontrer personne. Elle avait peur d’affronter d’autres malades et d’être découragée. « Finalement, quand j’ai compris que je n’étais pas seule à lutter, cela m’a réconfortée : il n’y a pas que moi. J’ai eu les réponses à toutes mes questions. Tout cela est très rassurant. Je sais que je peux appeler Mina autant que je veux. Par ailleurs, je suis très bien soutenue par Serge, mon conjoint. C’est d’ailleurs lui qui m’a poussée à me rapprocher de LMC France et j’en suis heureuse. Des patients disent que personne dans leur famille n’est au courant de leur maladie. Comment peut-on vivre ainsi ? J’ai envie de leur envoyer le nom et l’adresse de l’association. C’est déjà assez dur de supporter la maladie, il est difficile de supporter seul la souffrance. » 36 Serge Serge était en rééducation à la maison de repos à Cannes où séjournait Liliane. Ils partageaient leurs repas ensemble. Liliane a fini par se confier à lui lorsqu’on lui a annoncé sa maladie. Depuis, Serge n’a eu de cesse de soutenir Liliane et de l’accompagner. Cela fait onze ans qu’il est son compagnon. PATIENTE Le proche colorie la relation patient-médecin Lorsque Liliane fut convoquée par l’oncologue du centre, « elle avait peur des résultats de ses examens. » se souvient Serge. Il est la première personne à laquelle elle se confie. Liliane s’effondre en larmes. Devant son désarroi, il veut la rassurer mais il se sent « profane. » Comme Liliane avec la perte de ses parents, Serge se sent désemparé après la perte de son travail et son divorce. Cela les rapproche et ils vivent maintenant ensemble. Liliane consulte seule la première fois son hématologue. Elle en revient si impressionnée que Serge décide de l’accompagner dans toutes les visites. Depuis onze ans, il accompagne Liliane dans ses consultations. Il questionne systématiquement l’hématologue. « Il s’est montré très intéressé et m’a toujours répondu clairement. Nos rapports en ont été modifiés, il est devenu très attentif. Maintenant, je le connais aussi bien que Liliane et suis au courant de tout ce qui concerne sa prise en charge. Liliane est toujours intimidée, moi, j’écoute et je pose les questions nécessaires. En fait, tout s’arrange avec de l’humour car cela change le contact avec le médecin et l’humanise. Ainsi, on reste à fond dans le domaine de la maladie mais j’y ajoute quelque chose qui ouvre le contact, c’est mon rôle. » Serge personnalise aussi les contacts avec le pharmacien de ville, lequel ne manque jamais de lui demander des nouvelles de Liliane. « Je suis un vecteur de transmission ; j’aime être le lien, je sollicite l’avis de gens compétents et nous pouvons ainsi partager les choses ensemble. » « En tant que proche, je contribue à fleurir le rapport avec les soignants, à le dédramatiser en l’intégrant dans le domaine de la vie de tous les jours. Le rapport devient plus humain, on en sort plus léger. Par mon intermédiaire, nous avons rencontré Mina et Stéphane, des êtres délicieux, adorables, vaillants et dynamiques. Liliane est heureuse : elle s’est engagée dans divers événements pour 37 soutenir l’association. » Serge reconnaît : « je dois booster Liliane. Elle supporte mal la prise de ses médicaments au quotidien car elle a plusieurs maladies. Je dois la soutenir et être vigilant. » Il dispose les médicaments bien en vue et les lui apporte sur le plateau du petit déjeuner. Serge espère « que la recherche avance au-delà de la lutte contre le chromosome et des causes de la maladie, en particulier pour la diminution des effets secondaires pénibles afin que les patients aient une meilleure qualité de vie. Il faut éviter que les patients subissent tous les effets secondaires. Tout le monde n’a pas les mêmes effets mais les médicaments sont comme des ‘’scuds’’ qui entraînent des dégâts collatéraux. Il faudrait disposer de plus de traitements complémentaires pour soulager. » Serge souhaite que sa compagne « puisse arrêter son traitement et être sous surveillance adaptée. Il faut prendre en compte l’état général du patient pour qu’il ait plaisir à vivre. Le statut d’ALD (Affection de longue durée) permet de prendre en charge 100 % du prix des médicaments de la LMC, mais la prise en charge n’est pas totale : Il y a un reste à la charge du patient pour certains traitements complémentaires. Il faudrait une prise en charge correcte. » Serge aimerait dire aux accompagnants : « Gardez les mêmes sentiments. Vous êtes un accompagnant : restez fidèle aux sentiments qui vous attachent au patient. Gardez confiance, votre aide, votre écoute, votre sollicitude est le don le plus précieux qui soit. » 38 Séverine Séverine, institutrice, est la maman de Louis, dix ans. Louis a été diagnostiqué en 2005 alors qu’il n’avait que deux ans et demi. La famille réside dans l’Yonne, près d’Auxerre. Louis a connu les hôpitaux d’Auxerre, de Sens et Robert-Debré à Paris. PATIENTE Se battre pour son enfant En 2005, Louis a deux ans. Séverine remarque qu’il boîte, pleure, tend les bras pour qu’on le porte et cligne des yeux. Un ophtalmologiste dira « qu’il s’amuse ». Séverine persiste et consulte un autre médecin qui évoque - malgré une échographie qui ne montre rien d’anormal - un « rhume de hanche à 99 %». Séverine s’interroge… Louis boîte toujours, le médecin traitant de Séverine l’adresse aux urgences pédiatriques afin de réaliser des analyses sanguines qui ne seront pas effectuées car, d’après les médecins du service, « le rhume de hanche et les otites sont la cause, Louis est en pleine forme. » Séverine se souvient encore de ces mots ! Informé du refus, le médecin traitant persiste et les résultats des analyses enfin effectuées suscitent son inquiétude : 34 000 globules blancs puis 56 000 deux jours plus tard. De nombreuses analyses sont effectuées mais l’interrogation persiste. « C’est grave, mais c’est quoi ? » Louis est hospitalisé près de chez lui ; dès le lendemain, il est transféré dans un hôpital spécialisé à Paris. Sous le choc, Séverine, alors enceinte de six mois, accompagne son fils. Elle n’est pas informée que Louis va subir une ponction de moelle et l’entend hurler. Les médecins annoncent : « on sait que c’est grave mais on ne sait pas ce qu’a Louis ». Elle rentre en Bourgogne et est invitée à revenir à l’hôpital à Paris en prévoyant d’y rester peut-être deux mois. En novembre 2005, Louis subit une nouvelle ponction de moelle osseuse. Le diagnostic sera posé début 2006, c’est la LMC ! « Louis reçoit d’abord de l’Hydréa puis un ITK, sans que sa maman n’ait d’explication de la part de l’hématologue sur la maladie et le traitement. Séverine, qui cherche alors des informations sur internet, découvre les éventuels effets du traitement sur la digestion. En effet, Louis hurle de douleurs au ventre presque sans 39 arrêt. Il est rapidement constipé et des lavements sont pratiqués pour le soulager. Quelques mois plus tard, la prise d’une demi-dose d’anxiolytique lui permet de retrouver le sommeil. Les produits à base de lait de vache sont stoppés et les douleurs de la digestion commencent à diminuer. Louis souffre de crampes qui l’empêchent de marcher et le réveillent au milieu de la nuit ; il hurle des heures durant. Pendant sa première année scolaire, il souffre toujours de douleurs au moment de la digestion. Avec le temps, son état s’améliore. Lorsqu’elle parle des maux de ventre de Louis, Séverine s’entend dire que ce n’est pas possible et du spasmodique est prescrit. « Ne pas être écouté provoque une grande anxiété chez les parents. De plus, aucun compte-rendu ne nous a été remis entre 2005 et 2009. Nous avons dû les réclamer. Nous étions démunis face à la manière avec laquelle étaient prises en charge ses douleurs.» Louis change d’hématologue ; le nouveau est très à l’écoute. À chaque nouvelle ponction de moelle osseuse, en hôpital de jour, Séverine s’inquiète : « Ce ne sont jamais les mêmes personnes. Il n’y a pas de suivi. Elles sont gentilles mais souvent, on nous redemande à nous parents, ce qui est administré à l’enfant. » L’anxiolytique est maintenant administré pour diminuer les souffrances de Louis. À la séance suivante, un médicament est prescrit mais il faudra deux heures à Louis pour se réveiller. Il n’y a pas de coordination entre les services. Aujourd’hui, Séverine avoue ne plus avoir confiance et ne plus « se laisser faire ». Une recherche de donneur compatible est demandée par le professeur sur les parents de Louis mais, le jour du rendez-vous, personne ne semble informé de la programmation de ces prélèvements. Au bout de deux ans, Louis obtient une rémission moléculaire. Mais il n’a ni grandi ni grossi. Il faut écraser les comprimés dans de la compote pour qu’il les accepte. Il accepte et suit bien son traitement mais demande si, un jour, il pourra l’arrêter. Séverine reste vigilante à propos de son observance. « Fêter les dix ans de Louis cette année relève du miracle. Les gens ne comprennent pas que, pour nous, rien ne soit jamais grave dans la vie courante.» Louis supporte de mieux en mieux son traitement. Le vécu de sa maladie a forgé son caractère : il a l’esprit de compétition à l’école et ne supporte pas l’échec. Il croit aussi à la puissance des médicaments qui peuvent tout guérir mais, lorsqu’une personne est malade autour de lui, il a peur qu’elle meure. Il compatit, incite les autres à se battre et leur témoigne une grande attention. Il a conscience d’avoir surmonté une épreuve que la plupart des enfants de son âge ne connaîtront pas. Le suivi de Louis imposait au début de fréquents déplacements entre la Bourgogne et Paris. Séverine a dû rapidement modifier son temps de travail pour l’aménager en mi-temps. Elle fait de son mieux pour réduire ses absences mais doit se rendre disponible pour les rendez-vous médicaux de Louis et surtout, lorsqu’il tombe malade. Elle prend toujours la peine de justifier ses absences auprès des parents d’élèves car elles sont rapidement mal interprétées. Il arrive parfois que, même les proches ne reconnaissent pas la maladie : « Il n’est pas chauve, donc il n’est pas malade ! » Il n’est pas rare que Séverine s’entende 40 dire par ses collègues de travail : «Arrête d’affabuler, ton enfant n’est pas malade ». Pourtant, Séverine sait bien que son fils peut être bien puis très mal subitement. Il devient difficile de communiquer normalement avec les autres membres de la famille et les amis. Elle évoque le « mutisme » des équipes soignantes, le manque d’information et d’explication à toutes les étapes : annonce du diagnostic, mise en œuvre des traitements et des prélèvements, participation à un essai clinique. La demande de soutien psychologique pour l’enfant et ses parents doit être satisfaite. Il a été refusé à Louis au motif « qu’il n’était pas assez atteint. » Recourir à un deuxième avis médical a été utile pour mieux comprendre. Au-delà des informations accessibles sur internet, il est précieux de pouvoir bénéficier des conseils et du soutien d’une association comme LMC France qui lui permet d’être en relation avec d’autres experts et d’autres enfants du même âge que Louis. « Grâce à LMC France, Louis a pu faire la connaissance d’un autre enfant touché par la LMC. Les deux enfants se sont sentis rapidement ‘’jumeaux’’. La rencontre avec d’autres parents concernés nous fait du bien. Nous parlons le même langage et échangeons des conseils. » 41 LA PAROLE DES EXPERTS D es hématologistes de renom consacrent leurs efforts permanents dans la compréhension des mécanismes de la LMC et dans la recherche du meilleur traitement possible. Il nous a paru opportun de leur ouvrir une tribune pour qu’ils puissent exprimer leur point de vue et transmettre leur message personnel aux patients. Docteur Aude Charbonnier Hématologue depuis une vingtaine d’années à l’Institut Paoli-Calmettes de Marseille, praticien hospitalier dans l’unité spécialisée dans le traitement des leucémies, le Docteur Aude Charbonnier est responsable de la prise en charge des LMC. Elle partage son activité entre les soins et la recherche clinique. Elle est Présidente du Comité scientifique de LMC France et membre du Fi-lmc. Les progrès thérapeutiques ont révolutionné le pronostic de la LMC EN DIX ANS, QUELLES FURENT LES GRANDES ÉVOLUTIONS DE LA PRISE EN CHARGE DE LA MALADIE ? La LMC est une pathologie qui, sans traitement, se transforme inexorablement en leucémie aiguë après quelques années d’évolution. C’est une maladie rare, on estime à 700 le nombre de nouveaux cas par an en France, avec une prévalence d’environ 8000 patients concernés en 2013. La prise en charge et le pronostic de la LMC ont considérablement évolué depuis un peu plus de dix ans. Auparavant, le seul traitement « curatif » consistait en une allogreffe de moelle osseuse, dont seuls les patients de moins de cinquante ans et possédant un donneur intrafamilial pouvaient bénéficier. Ce traitement s’accompagnait par ailleurs d’une toxicité pouvant conduire au décès. Les patients plus âgés ou sans donneur étaient traités avec de l’interféron qui représentait alors le traitement de référence. Une chimiothérapie pouvait lui être associée. Quoi qu’il en soit, le pourcentage de patients répondeurs à l’interféron et dont la LMC n’évoluait pas en leucémie aiguë restait très faible. La révolution thérapeutique est survenue au début des années 2000 avec la mise au point d’un traitement spécifique de la maladie, l’imatinib (Glivec). Inhibiteur ciblé de la tyrosine kinase anormale à l’origine de la LMC, ce traitement bloque ainsi le mécanisme principal du développement de la maladie, et évite sa transformation en leucémie aiguë. L’imatinib est le chef de file d’une nouvelle génération de traitements des cancers, ciblant les mécanismes particuliers anormaux de chaque cancer, et appelés « thérapeutiques ciblées ». Concernant la LMC, d’autres inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK), dits de deuxième puis de troisième génération, ont ensuite été développés, plus puissants et possédant d’autres profils de tolérance : nilotinib (Tasigna), dasatinib (Sprycel), bosutinib (Bosulif), ponatinib (Iclusig). Grâce à ces thérapeutiques ciblées, le pronostic de la LMC a été transformé, la survie sous 43 Glivec étant par exemple estimée à plus de 90 % après dix ans d’évolution. EN QUOI LES ÉVOLUTIONS THÉRAPEUTIQUES ONT-ELLES MODIFIÉ LE PRONOSTIC DE LA LMC? Nous sommes donc passés brutalement d’un faible pourcentage de patients survivant à cette maladie, à un faible pourcentage de patients décédant de leur LMC, à la condition d’un traitement par ITK bien conduit. La LMC est aujourd’hui devenue une maladie de « bon »pronostic grâce aux thérapeutiques ciblées. C’est actuellement un modèle dans le domaine des thérapeutiques ciblées en oncologie. Sa prise en charge s’est transformée en traitement d’une véritable maladie chronique, avec non seulement des enjeux concernant la réponse mais aussi des enjeux majeurs concernant la tolérance et la qualité de vie. Les médecins qui, comme moi, ont connu l’ère « avant imatinib », ont vécu deux mondes et deux époques opposées. COMMENT AIDER LES PATIENTS ? Les objectifs principaux des traitements sont la réponse de la LMC à l’ITK proposé aux patients, et la tolérance du traitement compatible avec une bonne qualité de vie et permettant aux patients de prendre régulièrement leur traitement, condition sine qua non de la réponse. Répondre à de tels objectifs permet d’envisager un objectif secondaire, qui est l’arrêt de traitement dans le cadre de réponses de très bonne qualité. Pour répondre à ces objectifs, l’aide principale à apporter aux patients est une prise en charge spécialisée afin d’adapter au mieux leur traitement, en fonction du profil de leur LMC et de leur singularité (traitements en cours, antécédents médicaux…), de la tolérance, et bien sûr des avancées scientifiques dans le domaine. Les deux points primordiaux de l’aide apportée aux patients sont, d’une part, la qualité de la thérapeutique et, d’autre part, l’aide à l’observance au traitement, c’est-à-dire l’adéquation de la prise médicamenteuse réelle à la prescription. La qualité de la thérapeutique vise à obtenir la meilleure réponse possible avec le moins d’effets secondaires possible. Elle implique un suivi d’hématologie très spécialisé. L’obtention d’une réponse de bonne qualité permet de diminuer le risque de transformation en leucémie aiguë qui peut persister durant toute la prise en charge des LMC, et notamment durant les premières années de traitement. Cette réponse permet par ailleurs d’envisager un arrêt de traitement chez les patients très bons répondeurs. L’observance est, quant à elle, capitale. Il existe une relation directe entre la qualité de l’observance et la qualité des réponses aux traitements par ITK. Audelà de trois oublis par mois, les patients peuvent perdre leurs chances de rester en réponse stable. Il est donc primordial de les accompagner dans leur quotidien d’une maladie au long cours, afin de leur procurer les outils permanents d’une observance indispensable. 44 Le mode de relation médecin-patient est très variable, mais cette relation doit s’appuyer sur certains critères indispensables : confiance, réponse aux questions, présence, réassurance, aide à l’observance et développement d’un réseau des autres acteurs de santé et des associations de patients. En conséquence, les hématologues souhaitent l’implication des autres acteurs de santé de ville à leurs côtés. L’enjeu est d’améliorer les résultats grâce à l’amélioration de l’observance au traitement, en prenant en compte les difficultés que représente une thérapeutique au long cours, souvent non dénuée d’effets secondaires. Les hématologues, comme les médecins généralistes, les pharmaciens, l’entourage du patient et les associations ont tous un rôle à jouer dans ce soutien et cet accompagnement. QUEL IMPACT CES ÉVOLUTIONS ONT-ELLES SUR LES RELATIONS AVEC VOS PATIENTS ET LEURS PROCHES? La prise en charge d’une maladie devenue chronique s’appuie sur deux axes : l’un technique, l’autre d’accompagnement. L’axe technique est la base de notre profession, et consiste en l’élaboration et la modification en fonction de la réponse, d’un plan de soin adapté à une situation précise. Après les consultations d’annonce, voire les hospitalisations initiales lorsque la LMC se présente initialement de façon bruyante, les consultations de suivi ont donc cet objectif permanent de réponse. L’axe d’accompagnement repose sur l’évaluation de la tolérance au traitement, mais aussi sur une connaissance des patients sur le plan psychologique et social, ce qui permet d’adapter le discours voire le traitement afin de maintenir les objectifs de qualité de vie et d’observance. Les progrès rendent l’annonce de la LMC ambivalente : il s’agit d’une maladie cancéreuse dont l’évolution spontanée est grave, mais dont le pronostic a été bouleversé par les progrès thérapeutiques, l’ayant transformée en maladie chronique. Bien sûr, il ne s’agit pas de banaliser la maladie, ce qui risquerait en particulier de diminuer l’observance au traitement, et n’instaurerait éventuellement pas de relation de confiance. Outre leur côté technique, les consultations initiales permettent de connaître le patient et d’évaluer le contexte psychologique et social orientant le discours et la prise en charge : • le patient comprend-il bien la maladie et les enjeux du traitement ? • quel est son environnement familial, relationnel ? A-t-il besoin d’un soutien et d’un accompagnement pour l’aider à annoncer sa maladie à son conjoint ou à ses enfants ? • s’il est en activité, comment peut-il annoncer son cancer à son employeur? Le début du traitement nécessite-t-il un arrêt de travail, un mi-temps thérapeutique, ou l’activité peut-elle être poursuivie ? Le patient craint-il des difficultés financières ? La prise en compte de la dimension sociale du patient est incontournable dans l’initiation d’une prise en charge au long cours. Les hématologues sont peu formés à cette approche. Ils peuvent alerter les associations afin qu’elles puissent à leur 45 tour aider les démarches sociales des patients et faciliter par exemple le maintien de leur activité professionnelle. Concernant la poursuite de la prise en charge, lorsque la réponse au traitement est bonne, la facilité du traitement est un atout car elle optimise la qualité de vie; cependant elle contribue souvent à minimiser l’enjeu réel du traitement. L’acceptation et l’observance sont initialement faciles, directement liées à l’absence d’effets secondaires. Le risque d’une perte d’observance survient à moyen ou long terme, lorsque les résultats attendus sont obtenus. La vigilance de l’observance du patient durant le suivi est donc fondamentale et représente un temps important de la consultation. Les hématologues peuvent s’aider de programmes d’éducation thérapeutiques. Hélas, à l’heure actuelle, ces programmes, centrés sur une « formation » initiale du patient, sont peu adaptés à cette situation où l’aide à l’observance est plus nécessaire dans le suivi à long terme qu’en début de traitement. L’aide de personnel non médical formé à la pathologie et à l’éducation thérapeutique (infirmiers, psychothérapeutes…), coûteuse en temps comme financièrement, doit cependant être imaginée, étant donné la fréquence de la problématique (un tiers des patients ne sont pas parfaitement observants), le coût représenté par une perte de réponse consécutive au manque d’observance, le manque de temps des hématologues et l’efficacité attendue de l’éducation thérapeutique. Il existe bien-sûr des situations plus difficiles. Lorsque la tolérance est médiocre, le risque de non-observance est plus grand, et le suivi nécessite une aide répétée et centrée sur cette tolérance. Lorsque la réponse au traitement est moins bonne, l’observance doit bien sûr être vérifiée. Par ailleurs, dans cette situation en particulier, il est indispensable que le patient lui-même, ou au moins son dossier, soit suivi par un médecin expert en LMC afin de modifier ou d’adapter au mieux sa thérapeutique. Les innovations thérapeutiques, les essais cliniques, les grandes orientations de la recherche, doivent être discutés avec les patients qui le souhaitent. COMMENT VOYEZ-VOUS AUJOURD’HUI LA PRISE EN CHARGE DE LA LMC ? Maladie chronique au bon pronostic à la condition d’un traitement adapté et suivi, la LMC bénéficie d’une prise en charge particulière au sein des traitements des hémopathies malignes. Il existe des recommandations internationales de traitement et de suivi, publiées et remises à jour régulièrement, qui représentent un guide technique à la prise en charge de la LMC. Les patients doivent pouvoir s’appuyer sur un accompagnement vigilant d’équipes médicales expertes, dont les préoccupations concerneront autant la réponse thérapeutique que l’aide à l’observance et à la conservation d’une bonne qualité de vie. Les essais cliniques proposés dans les centres de référence lors de l’initiation du traitement, ou en cas de nécessité de modifications thérapeutiques, visent à élaborer progressivement les meilleures stratégies thérapeutiques adaptées aux différentes situations et aux différents traitements disponibles. Pour les patients bons répondeurs, les médecins experts en LMC doivent régulièrement évoquer les possibilités d’amélioration de réponse afin de viser un arrêt thérapeutique éventuel au sein d’essais cliniques. Les dossiers des 46 patients moins bons ou non répondeurs doivent être discutés régulièrement au sein d’équipes pluridisciplinaires ou entre experts de la LMC. Les hématologues ont l’obligation de pouvoir proposer à ces patients de nouvelles stratégies thérapeutiques, éventuellement au sein d’essais cliniques, ce qui nécessite leur prise en charge (ou au minimum la discussion de leur dossier) au sein de structures spécialisées. Les progrès dans la prise en charge actuelle de la LMC s’appuient enfin sur l’amélioration du suivi biologique de la maladie. Les outils calibrés de biologie moléculaire, grâce à un travail d’homogénéisation des techniques et de standardisation des résultats, sont une base indispensable à l’évaluation régulière et interprétable des réponses au traitement. La situation géographique des laboratoires homologués, à l’instar de celle des médecins experts, peut être un écueil à une prise en charge idéale. QU’ENVISAGEZ-VOUS DANS LES CINQ OU DIX PROCHAINES ANNÉES ? Offrir une possibilité de bonne réponse à tous les patients et s’orienter vers un arrêt de traitement pour le plus grand nombre, sont à mon avis les deux axes de travail majeur. Ils se rejoignent dans l’objectif de ciblage de la cellule souche leucémique, responsable de la persistance de la maladie chez la plupart des patients. ►► Les questions à résoudre : • doit-on donner à tous les patients dès le départ de leur prise en charge, le traitement le plus puissant dont les effets secondaires au long cours ne sont pas connus, ou bien doit-on individualiser plusieurs groupes à risques différents et adapter les stratégies thérapeutiques en fonction des risques ? Comment identifier au mieux les patients à risques, comment améliorer leur détection précoce ? • quelles stratégies innovantes développer pour les patients non répondeurs ? Comment positionner l’allogreffe au sein des stratégies thérapeutiques ? • comment améliorer la qualité de vie et l’observance des patients ? Comment homogénéiser les prises en charge et les suivis ? • comment éradiquer la maladie ? ►► Les pistes à suivre : La recherche fondamentale sur les cellules souches leucémiques est un axe majeur de travail dont les objectifs sont l’amélioration des réponses et l’éradication de la maladie leucémique. ►► En ce qui concerne la grossesse La LMC est devenue une maladie chronique, concernant de ce fait des femmes dont le désir de grossesse peut être respecté. Toutes les thérapeutiques utilisées sont contre-indiquées au premier trimestre de la grossesse. Des recommandations précises de stratégies thérapeutiques adaptées sont nécessaires. 47 QUELS MESSAGES SOUHAITEZ-VOUS TRANSMETTRE ? Aux patients : soyez vigilants et acteurs de votre prise en charge, soyez observants. Votre hématologue va vous accompagner tout au long de votre vie, choisissez-le, renseignez-vous, afin d’établir une relation d’échange où toutes vos questions seront entendues. Soyez confiants mais vigilants ; de nombreuses recherches sont en cours et des progrès sont attendus. Aux médecins traitants, aux pharmaciens d’officine et aux autres acteurs de santé : maillons clef dans l’observance, la détection des effets secondaires, l’aide à la tolérance, la surveillance des interactions médicamenteuses… vous contribuez à l’observance et à la réussite des traitements. Aux autorités de santé : les hématologues spécialistes de la LMC ont une importante file active de patients et il leur est difficile de prendre en charge dans les meilleures conditions souhaitées le suivi de la tolérance et de l’observance au traitement. Un transfert de tâches vers d’autres acteurs de santé formés serait très utile dans l’aide au suivi. Par ailleurs des collaborations pourraient être facilitées entre médecins ou spécialistes des différentes problématiques rencontrées : utilisateurs d’un médicament partagé par différents spécialistes, spécialistes confrontés à une même problématique, spécialistes des différents effets secondaires des ITK. 48 Docteur Delphine Rea Praticien hospitalier à l’Hôpital Saint-Louis à Paris depuis de nombreuses années où elle a achevé son internat en hématologie, le docteur Delphine Rea est experte en LMC. Impliquée dans la recherche clinique, elle a participé à l’évolution de la prise en charge de la maladie et des patients au cours des dix dernières années. La recherche clinique doit bénéficier avant tout au malade COMMENT SE DÉROULENT L’INCLUSION DES PATIENTS DANS LES ESSAIS CLINIQUES ET L’ANNONCE DU PROTOCOLE ? Cette démarche s’effectue la plupart du temps en ambulatoire et elle demande d’y consacrer du temps pour s’assurer de la bonne compréhension des patients. Différentes situations sont possibles. Lorsque l’essai s’adresse à des patients lors de leur diagnostic, la situation est délicate pour le patient car il doit fait face rapidement à plusieurs annonces : celle de sa LMC et celle de se voir proposer de participer à un essai. Lorsque l’essai est proposé à des patients déjà traités, la situation est alors facilitée car la relation entre le médecin et le patient est déjà bien établie et ce dernier a déjà acquis des connaissances sur sa maladie. En ce qui concerne la compréhension du consentement éclairé, c’est une situation complexe car nous devons nous adapter à différents profils de patients, à différents types d’essais (randomisés ou non par exemple) et à la qualité variable des consentements éclairés. Par exemple, un consentement éclairé trop long ou dont le langage est mal adapté à celui du patient ne peut être entièrement décortiqué avec le patient en une seule consultation. Si le patient est ouvert à l’idée de participer à l’essai, nous lui fournissons alors les informations clés, nous lui remettons le consentement et lui proposons de le lire chez lui et de souligner ce qu’il n’a pas compris, puis prenons le temps de lui réexpliquer les points nécessaires lors de la consultation suivante. Le patient peut alors décider ou non de sa participation en toute sérénité. De plus, si certains consentements éclairés sont clairement rédigés, donc moins anxiogènes pour les patients, comme ceux de la plupart des protocoles académiques, ce n’est pas toujours le cas de ceux des protocoles industriels qui 49 sont souvent complexes et anxiogènes du fait d’une longue énumération des effets secondaires possibles, tels que recensés à toutes les phases du développement du médicament. La réponse à nos remarques sur la rédaction des consentements vis-à-vis des essais à promotion industrielle est souvent décevante. L’implication d’associations de patients et d’hématologues de terrain en amont de la soumission du protocole aux autorités de santé pourrait permettre d’améliorer la situation. ►► Définir quel essai pour quel patient Nous ne pouvons pas inclure 100% des patients dans les essais cliniques comme le souhaiterait l’INCa pour plusieurs raisons. Ce serait méconnaître la spécificité de chaque patient ainsi que les différents niveaux de pertinence des essais. Lorsque le médecin propose un essai clinique à un patient, il doit toujours s’assurer du bénéfice potentiel pour le patient et de sa compréhension. Les essais cliniques ne sont pas toujours disponibles pour tous les patients. Les comorbidités freinent les inclusions : soit nous ne pouvons pas inclure le patient en raison des nombreux critères d’exclusion, soit nous ne voulons pas lui faire courir de risques compte tenu de sa fragilité. Certains patients ne sont pas en situation de comprendre toutes les informations requises. Dans ce cas nous devons nous-même proposer ou non le protocole. Les patients diagnostiqués HIV sont exclus d’emblée de tous les essais cliniques. C’est une hypocrisie. ►► Point de vue sur les essais cliniques La recherche clinique est un élément crucial pour faire progresser les traitements. Cependant, le médecin doit s’assurer de la pertinence de l’essai et du rapport bénéfice/risque avant de le proposer à un patient. C’est une question d’éthique médicale. Les essais cliniques doivent être menés dans l’intérêt exclusif du malade. Il faut savoir refuser un essai qui ne répondrait pas à ce critère. ►► Quel message souhaitez-vous transmettre ? Les patients doivent savoir qu’ils sont libres de refuser ou d’accepter de participer à un essai et qu’ils ne seront pas moins bien soignés s’ils n’y participent pas. S’ils ne sont pas éligibles, si l’essai ne leur convient pas, ou s’ils doivent en sortir prématurément, tout cela n’affectera en rien leur prise en charge médicale. Il y a la plupart du temps d’autres choix de traitement. 50 Docteur Franck-Emmanuel Nicolini Praticien hospitalier au CHU de Lyon dans le Service d’hématologie clinique du Pr Mauricette Michallet, le Docteur Nicolini est depuis douze ans responsable du programme LMC. Il a précédemment exercé au CHU de Grenoble, à Vancouver (Canada) au Terry Fox Laboratory (Laboratoire de recherche sur les maladies du sang) et deux ans au CHU de Bordeaux. Accompagner les progrès thérapeutiques en toute sécurité POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE L’ÉVOLUTION DE LA PRISE EN CHARGE DE LA LMC ? J’ai vécu toutes les évolutions de la prise en charge de la LMC depuis 25 ans : l’allogreffe, l’Interféron, l’autogreffe, les débuts du Glivec dans le cadre de l’essai IRIS en 2000, et les nouvelles thérapeutiques Tasigna, Sprycel et Ponatinib. Tout a changé : nous ne disposions que d’un seul traitement en 2003 et nous avons aujourd’hui accès à cinq médicaments différents. Et tout change encore très vite depuis deux ans : nous disposions d’ITK uniquement en deuxième ligne il y a deux ans et, aujourd’hui, nous pouvons prévoir de faire bénéficier certains patients d’une interruption de traitement. Nous ne pouvions pas l’imaginer il y a seulement cinq ans. ►► Une contrepartie à l’accélération de ces progrès La prise en charge se complexifie, mais elle apparaît plus facile pour le patient car il peut bénéficier de plus de choix de traitements, adaptés à son cas particulier. Il ne faut pas vouloir néanmoins aller trop vite, mais savoir évaluer et prendre le recul nécessaire afin de garder une certaine sérénité dans les traitements. Nous avons une responsabilité primordiale face à nos patients et ne devons pas les mettre en danger. Nous devons rester très vigilants quant à la surveillance et à l’évaluation des effets secondaires des nouvelles thérapeutiques à moyen et à long terme, chez les patients en phase chronique, et aussi chez les patients qui évoluent en aigu ou ne répondent pas aux traitements. ►► La pharmacovigilance Les effets indésirables graves sont très bien renseignés lors des essais cliniques académiques et de l’industrie pharmaceutique. Le lien de suivi des effets indésirables après l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché est moins étroit. Il se 51 fait dans le cadre de déclarations auprès des centres de pharmacovigilance régionaux, puis sont colligés au niveau national. Les médecins y sont très attentifs mais sont surchargés. Tous n’ont pas toujours la disponibilité requise pour saisir les informations et les retransmettre. Le système de pharmacovigilance en France n’est pas conçu pour faciliter le recueil. Une aide plus importante de la part des pharmaciens en particulier de ville pourrait être très utile. ►► La tolérance des nouvelles thérapeutiques Grâce aux treize années de recul avec le Glivec, on peut affirmer qu’il n’y a pas d’effets indésirables graves à moyen/long terme avec cette molécule. On ne peut préjuger aujourd’hui de la tolérance des nouvelles thérapeutiques à long terme. Toutes les observations et données sont régulièrement collectées et analysées au sein du groupe scientifique académique national. Elles nous permettent d’effectuer des recherches de facteurs spécifiques et de publier nos observations, ainsi que de renseigner les bases de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Au regard de l’échelle européenne, la France a instauré un niveau élevé de pharmacovigilance actuellement. Les agences sanitaires, les sociétés scientifiques et les professionnels de santé sont très impliqués sur cet enjeu et assument leurs responsabilités en matière de sécurité des patients. COMMENT SE DÉROULENT LES EXAMENS ET LE SUIVI DE LA LMC AUJOURD’HUI ? Le diagnostic repose sur les résultats de trois examens, en dehors de l’examen clinique et de la numération des globules : 1) le myélogramme ; 2) l’analyse chromosomique ; 3) la biologie moléculaire qui renseignera sur l’anomalie en cause. Le marqueur moléculaire de la maladie sera suivi tout au long de celle-ci et permettra de guider la thérapeutique appropriée pour le patient. Les examens sont renouvelés à 3, 6, 9, 12 et 18 mois de traitement, puis tous les six mois ensuite quand tout va bien. Nous disposons de clignotants d’efficacité à chaque point qui nous permettent de juger si le patient se trouve en situation de réponse optimale ou non. Une fois l’analyse chromosomique de la moelle normalisée, le suivi moléculaire s’effectuera sur une simple prise de sang. Il devra être régulier (au minimum tous les 6 mois), pour apporter la certitude que la maladie est bien stabilisée. Le traitement est prescrit pour six mois et la biologie moléculaire sera évaluée à chaque renouvellement du médicament. En cas de signes d’évolution, le rythme de surveillance sera bien sûr modifié et rapproché avec un bilan tous les trois mois ou plus si nécessaire, selon les cas. Le respect précis du calendrier est fondamental pour le suivi optimal de la maladie et surtout pour dépister précocement les patients qui ne répondent pas bien ou pas du tout, afin de leur proposer différentes alternatives thérapeutiques maintenant disponibles. 52 Professeur François-Xavier Mahon Praticien hospitalier en hématologie au CHU de Bordeaux, le Professeur Mahon dirige également le Service du laboratoire d’hématologie et l’équipe Hématopoïèse leucémique et cibles thérapeutiques à l’Inserm. Il participe à de nombreux programmes de recherche clinique et à de nombreuses communications internationales sur la thématique de l’arrêt des traitements de la LMC. L’arrêt du traitement : un enjeu et une décision partagés QUELS SONT LES DÉFIS DE L’ARRÊT DU TRAITEMENT ? La thématique de l’arrêt des traitements prend progressivement de l’importance. Nous nous engageons dans cette démarche et cet enjeu est aussi partagé par l’industrie pharmaceutique. ►► Plusieurs études démontrent la faisabilité d’un arrêt des traitements Une étude pilote menée sur une petite cohorte a démontré la faisabilité de l’arrêt du traitement par Glivec chez des patients préalablement traités par interféron (initié à l’époque où le Glivec n’avait pas l’autorisation d’être utilisé en première ligne), puis par Glivec avec une très bonne réponse. La LMC est un bon modèle biologique de détection de maladie résiduelle, car elle permet de distinguer les cellules leucémiques des cellules normales. L’interféron permet une régression de la maladie avec une diminution du nombre de cellules porteuses du chromosome Philadelphie. Le Glivec a montré une puissance supérieure avec parfois la capacité de les éliminer ou de les rendre indétectables, y compris par nos méthodes de détection les plus fines (PCR, méthode de biologie moléculaire permettant de détecter l’ARN leucémique). Nous avons suivi le petit nombre de patients bons répondeurs chez lesquels nous ne décelions plus de cellules leucémiques, et chez qui nous pouvions tenter d’arrêter le Glivec, avec les outils dont nous disposions. La maladie a été suivie sur le plan clinique et sur plan biologique notamment par des biologies moléculaires sur sang. Nous avons constaté chez certains patients des rechutes moléculaires, mais l’étude pilote a montré qu’il était possible et non dangereux d’arrêter le traitement chez les patients bons répondeurs. Ainsi, nous pouvions décider d’arrêter les traitements après plusieurs années de rémission moléculaire (marqueur PCR indétectable). Un critère de deux ans de négativité a été proposé, sachant qu’il était associé à un maintien de la réponse complète après arrêt de traitement chez 50% des patients. 53 Un essai multicentrique français d’arrêt de Glivec (STIM, Stop Imatinib)) supporté par l’INCa a été initié en 2006. Quinze centres y ont participé et cent patients sont encore suivis à l’heure actuelle. On a observé que, jusqu’à présent, 40% des patients restent en réponse moléculaire après l’arrêt des traitements. Les patients ont été répartis en deux groupes: 50% traités par Imatinib seul et 50% prétraités préalablement par interféron. Les résultats ont été identiques dans ces deux groupes. Les 60% de patients chez lesquels la réponse moléculaire ne s’est pas maintenue ont reçu à nouveau un traitement par ITK auquel ils ont répondu. Actuellement, l’étude française STIM2 a pour objectif d’inclure 200 patients n’ayant été traités que par Glivec. Cent vingt patients ont été inclus à ce jour. La France illustre son avance en matière de recherche sur cette thématique. Le Docteur Delphine Rea (Hôpital Saint-Louis, Paris) mène aussi un essai chez des patients traités par ITK de deuxième génération et observe des résultats comparables à ceux de l’essai STIM. La question essentielle aujourd’hui, de ces différents essais, est de définir quels sont les critères prédictifs de la rechute. Une étude menée par le Professeur Philippe Rousselot (Centre hospitalier de Versailles) s’appuie sur d’autres modalités, avec une proposition d’arrêt de traitement sur des critères moins stricts, et une reprise de traitement uniquement sur perte de réponse majeure moléculaire. Cette « liberté » est accordée d’après les observations de fluctuation dans le temps de petits signaux positifs sans nécessité de reprise de traitement. Bien que des cellules leucémiques puissent donc être encore présentes, nous n’avons pas observé de transformation vers la phase aiguë de la maladie, les patients qui perdent leur réponse majeure moléculaire répondant à nouveau à leur traitement. Cette démarche représente une souplesse de traitement mais impose un suivi très rigoureux. ►► Trois situations biologiques différentes Chez les patients en arrêt de traitement, on constate une hétérogénéité biologique avec trois situations: 1) on ne détecte plus rien ; 2) on détecte un peu de maladie par biologie moléculaire et la maladie ne redémarre pas ; 3) on détecte une augmentation franche de la biologie moléculaire, et la maladie « redémarre », tout au moins sur le plan moléculaire. Il serait nécessaire de mener une étude génétique pour identifier les mécanismes de ces différentes situations. La LMC reste un modèle pour cette analyse, les cellules tumorales étant identifiables. Nous n’avons pas la preuve que les rechutes soient dues à un mauvais contrôle du système immunitaire. Cependant, si l’immunité intervenait dans cet équilibre, nous pourrions facilement être interventionnistes en stimulant le système immunitaire ; les travaux concernant l’immunité après arrêt de traitement doivent donc se poursuivre. Les autres origines des différentes évolutions après arrêts font bien sûr également l’objet de recherche. POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE CES PERSPECTIVES ? Tous les patients ne sont pas en réponse moléculaire complète et persistante pendant deux ans. L’objectif est donc d’augmenter le nombre des patients obtenant 54 cette réponse, à qui l’on pourra proposer un arrêt de traitement, sans diminuer leur qualité de vie par des traitements innovants pour arriver à cet objectif. ►► Pour approfondir la réponse moléculaire, deux possibilités existent: • traiter en monothérapie avec un inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) de deuxième génération mais à la condition que la toxicité ne soit pas supérieure à celle du Glivec ; • imaginer des associations thérapeutiques. Par exemple, une association d’une molécule ciblant la cellule souche (anti-smo) au Tasigna est actuellement proposée aux patients ; • mais le plus prometteur pour le moment, ce sont les combinaisons d’ITK à l’IFN (interféron). ►► Avantages et inconvénients des choix stratégiques : vers une décision partagée avec le patient Il est nécessaire d’analyser les avantages et les inconvénients pour pouvoir choisir entre la prise d’un traitement à vie bien toléré - sachant que l’espérance de vie avec une LMC est quasi équivalente à la normale - et la volonté absolue d’arrêter un jour son traitement (être guéri ?) au prix d’un traitement aux nombreux effets indésirables. La volonté d’arrêt peut facilement être légitimée chez les patients jeunes, puisqu’on ne connaît pas les effets du Glivec à long terme. Il y a donc un travail à mener avec chaque patient pour parvenir à une décision partagée. Des recherches dans le domaine des sciences humaines s’avèrent utiles pour avancer dans cette réflexion. L’Université, le CHU et le centre anticancéreux de Bordeaux ont d’ailleurs été labellisés par l’INCa comme site intégré, et la thématique de guérison de la LMC fait partie des programmes mis en avant au sein de cette structure de recherche. ►► Le dynamisme de la recherche clinique en France et la chance d’un Plan Cancer Au cours des années 1990-2000, le gène bcr-abl a été identifié chez les sujets sains. Nous savons qu’il peut s’éliminer spontanément et avons aussi aujourd’hui la capacité de l’éradiquer. Nous assistons à une évolution des connaissances de la maladie résiduelle, sur lesquelles les possibilités d’arrêt de traitement vont pouvoir s’appuyer. Les objectifs de la recherche sur la LMC sont aujourd’hui aussi puissants que ceux de l’oncologie en général. La France, reconnue dans le monde pour la qualité et le dynamisme de sa recherche clinique, est pilote dans la thématique de l’arrêt des traitements. Cette supériorité est liée à son système de santé favorisant la qualité de la prise en charge des patients. Le Plan Cancer et la création de l’INCa associés à une forte volonté politique ont dynamisé la recherche en onco-hématologie. Cette dynamisation a été facilitée par un fort investissement des laboratoires pharmaceutiques dans le domaine. Très impliqués à nos côtés, ils ont accompagné la réflexion et l’enjeu de l’arrêt des traitements. Nous avons avancé, notamment avec Novartis Pharma et Bristol-Myers Squibb, sans écueils éthiques, dans cette démarche d’intérêts partagés. 55 Professeur Régis Costello Hématologue et docteur en immunologie, le Professeur Régis Costello est chef du service d’hématologie au CHU La Conception à Marseille. Se consacrant à l’hématologie depuis le début de son internat en 1987, il est impliqué dans la LMC à travers la prise en charge des patients et certains aspects de la recherche Le besoin d’une prise en charge adaptée QUELLES PERSPECTIVES APPORTE L’ÉVOLUTION DE LA PRISE EN CHARGE DE LA LMC ? Le traitement de la LMC a été révolutionné par l’introduction des ITK. Leur emploi a été rendu possible par la connaissance précise de la cause moléculaire de la maladie, le fameux chromosome Philadelphie, faisant de la LMC l’archétype de la maladie hématologique bénéficiant d’une thérapie ciblée. Pour les hématologues séniors qui ont connu les traitements antérieurs, peu efficaces à long terme (hydroxyurée) ou difficiles à supporter (interféron), les nouvelles thérapies disponibles constituent un immense bond en avant grâce à leur grande efficacité et à leurs effets secondaires, certes gênants, mais dans l’ensemble incomparablement modestes par rapport au passé. ►► Un changement de perspective : évoquer l’arrêt des traitements Les traitements actuels font disparaître la maladie dans ses manifestations les plus visibles dans plus de 90% des cas. Mais cette absence de détection de traces de la maladie – ce que l’on appelle la maladie résiduelle - ne permet pas d’affirmer que les patients sont guéris, car persistent le plus souvent des cellules leucémiques, en très petit nombre et peu actives, dont l’expansion est peut-être limitée par une réponse immunitaire anti-leucémique. Aujourd’hui, les patients non répondeurs sont peu nombreux et nous suivons une majorité de patients qui vont bien avec une maladie résiduelle de très faible niveau voire indétectable. Notre discours a changé en moins d’une dizaine d’années. Nos patients peuvent se projeter sereinement dans le futur, et justement avoir des projets. Mais ce succès médical ne doit pas induire d’arrêts spontanés du traitement, qui seraient préjudiciables à l’évolution de la maladie. A l’heure actuelle, le traitement ne doit jamais être arrêté, même en cas de disparition 56 complète de la maladie résiduelle, car, dans plus de la moitié des cas, la maladie va réapparaître dans les six mois. Des essais très contrôlés sont en cours justement pour déterminer chez quels patients et dans quelles conditions un arrêt de traitement peut s’envisager. QUELLES POURRAIENT ÊTRE LES MODALITÉS D’UNE PRISE EN CHARGE COORDONNÉE ENTRE L’HÔPITAL ET LA MÉDECINE DE VILLE ? La relation entre le centre expert du CHU et le médecin traitant de ville est un élément central de la prise en charge du patient. Si, au début de la prise en charge, le patient est contraint de consulter souvent l’hématologue référent pour ajuster le traitement et vérifier son efficacité, la prise en charge hospitalière s’espace dans le temps, même si certains contrôles (PCR, caryotype) nécessitent toujours des contrôles hospitaliers. Le médecin traitant est néanmoins en première ligne notamment pour gérer les effets indésirables du traitement, toujours en rapport étroit avec le référent hématologue car il est utile de rappeler que la LMC est une maladie rare et que, par conséquent, le médecin traitant a peu de chances d’être accoutumé à la prise en charge d’une maladie qui, dans la plupart des cas, ne touche qu’une seule personne au sein de sa patientèle. Les effets secondaires des ITK tels que la prise de poids, les œdèmes, les épanchements, les essoufflements, les palpitations, peuvent ainsi être gérés en ville de façon pluridisciplinaire et avec prudence par le médecin traitant, avec le recours éventuel aux spécialités de cardiologie ou de pneumologie par exemple, en fonction de la symptomatologie. Quelques très rares patients sont réfractaires à tous les ITK disponibles. La prise en charge de la LMC devient alors problématique. Pour ces raisons, la possibilité d’induire une réponse immunitaire anti-leucémique fait partie des voies de recherche actuelles, à travers des vaccinations ou bien des immunostimulants (comme l’interféron). L’allogreffe de moelle - ou, le plus souvent maintenant, de cellules souches du sang périphérique - reste un modèle d’immunothérapie : le greffon détruit les cellules de la LMC. Cette procédure, qui était le standard de première ligne du sujet jeune il y a dix ans à peine, est néanmoins à l’heure actuelle réservée aux échecs des ITK à cause de sa toxicité et de la lourdeur pour le patient. 57 Professeur Philippe Rousselot Hématologue au Centre hospitalier de Versailles, le Professeur Philippe Rousselot a vingt années d’expertise en hématologie. Vice-président du groupe Fi-LMC, en charge des essais cliniques, il a récemment coordonné l’essai académique de dasatinib en première ligne «optim dasatinib». L’éducation thérapeutique en hématologie : un sujet de recherche L’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE A-T-ELLE UN RÔLE À JOUER DANS LA LMC ? L’éducation thérapeutique en hématologie reste à ce jour un sujet de recherche. Il existe une fréquente assimilation entre éducation thérapeutique et consultation d’annonce. Ces deux démarches sont pourtant bien distinctes : La consultation d’annonce est menée avec une infirmière dédiée. Elle vise à apporter au patient des informations sur sa maladie et à lui présenter son parcours personnalisé de soins. Elle permet d’ouvrir le débat et d’élargir la vision du patient en lui procurant un nouveau cadre relationnel au-delà de son seul hématologue. Il s’agit d’une obligation réglementaire de l’INCa pour les spécialités d’oncologie et d’hématologie, mais qui requiert des moyens organisationnels ; sa mise en œuvre n’est pas encore systématique. Si l’éducation thérapeutique (ETP) fait partie de la vie courante dans le cadre de certaines pathologies, elle reste encore embryonnaire en oncologie et hématologie. Comme la consultation d’annonce, elle délivre des informations mais l’ETP répond à d’autres objectifs de formation et d’éducation par l’ajout d’un programme interactif auquel le patient est invité à participer. L’ETP répond de plus à un projet qui est établi patient par patient ou par groupes de patients. Elle se déroule dans le cadre de séances dédiées, en dehors du temps de consultation. ►► L’impact de l’ETP dans la LMC reste à évaluer La LMC est en soi une maladie candidate pour l’ETP car elle concerne des patients suivis en ambulatoire en consultation. Le traitement est per os et une mauvaise compliance peut être responsable d’échecs thérapeutiques, l’espérance de vie des patients est élevée et les marqueurs moléculaires de réponse aux traitements sont bien standardisés. 58 Les enjeux sont aussi bien réels : une meilleure gestion des traitements et des effets secondaires, l’obtention d’une bonne réponse et l’absence de progression de la médecine. Cependant, si les bénéfices secondaires de l’ETP dans la LMC semblent évidents si l’on considère la satisfaction des patients avec une amélioration de leur compréhension de la maladie voire de leur qualité de vie, l’objectif premier d’un impact sur l’observance et la qualité de la réponse moléculaire restent à démontrer. L’Institut de Recherche en Santé Publique (IReSP) s’est d’ailleurs saisi de ce problème de l’évaluation des programmes d’ETP. Seule cette démonstration d’impact sur le contrôle de la maladie pourrait argumenter en faveur d’un déploiement large de l’ETP dans la LMC. L’ETP n’est aujourd’hui validée par son efficience en santé publique que dans quelques pathologies tels le diabète, l’asthme ou les coronaropathies. L’ETP en hématologie et dans le cas précis de la LMC reste donc un sujet de recherche ; elle doit faire ses preuves en complément de la consultation d’annonce. ►► Un projet d’évaluation de l’ETP Au vu de ce constat, le Docteur Aude Charbonnier (IPC, Marseille) et moi-même avons déposé un projet d’évaluation de l’ETP dans la LMC. Il s’agit d’une étude randomisée comparant après consultation d’annonce, deux groupes de patients bénéficiant soit d’un programme d’ETP d’emblée au décours du diagnostic, soit secondairement après 6 à 12 mois de traitement. Les critères d’évaluation portent sur les différences d’observance et de réponses entre les deux groupes. Si la consultation d’annonce favorise la rencontre du patient avec l’infirmière et l’équipe de soins, la prise en charge de la LMC reste encore très centrée sur l’hématologue. Nous nous réjouissons que le patient puisse avoir d’autres interlocuteurs non médicaux comme l’infirmière avec laquelle il peut aborder avec d’autres mots, sa maladie, son vécu et ses traitements. Cette interactivité favorise sa relation de confiance avec toute l’équipe. La LMC doit être désacralisée afin que sa prise en charge devienne plus large et non assumée par le seul hématologue qui devient en pratique le médecin traitant du patient. Or l’hématologue doit gérer une augmentation de la prévalence de cohortes de patients. Un relais avec le médecin de ville est possible, nous devons faire comprendre qu’il n’y a pas à avoir peur et qu’il est possible de gérer au quotidien un traitement de la LMC en coordination avec l’hématologue. Un effet vertueux de l’ETP serait que le patient bien éduqué pourrait tout à fait informer des enjeux de son traitement et favoriser le lien avec son médecin traitant. 59 Professeur Mauricette Michallet Professeur des Universités, praticien hospitalier, le Professeur Mauricette Michallet est chef de Service d’hématologie clinique au Centre hospitalier Lyon-Sud. Elle possède une expertise de plus de trente ans en hématologie Se projeter dans le futur QUELLES PERSPECTIVES OUVRENT LES PROGRÈS THÉRAPEUTIQUES ? Les médicaments actuels procurent ce que l’on pourrait qualifier de perspectives de guérison, sans que l’on puisse cependant prononcer ce mot de guérison seul puisque les patients ne sont pas indépendants de leur traitement ni à l’abri d’une rechute. Mais la publication d’études françaises sur l’arrêt des médicaments montre qu’un changement de paradigme est réel. Le suivi des marqueurs moléculaires est essentiel. L’enjeu des traitements est l’atteinte d’un niveau de réponse élevé signant une réponse complète et une absence de maladie. ►► Un enjeu à l’avenir : pouvoir prédire quels patients vont rechuter On observe qu’environ 50% des patients en réponse complète après traitement par les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) de première génération rechutent. Mais on ne connaît pas aujourd’hui les facteurs prédictifs. Nous savons que des cellules souches leucémiques, non quantifiables et quiescentes, peuvent demeurer dans des sanctuaires que l’on ne sait pas atteindre. Ce sera l’enjeu des thérapeutiques à venir. Ce qui doit aider les patients est de savoir que 50 % ne rechuteront pas à l’arrêt du traitement. Nous restons bien entendu très vigilants, mais le temps passé sans maladie est le meilleur critère pour conforter la guérison. Il faut rassurer les patients, les faire vivre le plus normalement possible et profiter de la vie. Nous constatons malgré tout une évolution psychologique de nos patients, parfois dominée par des effets secondaires des traitements. Ces progrès thérapeutiques font aussi évoluer les relations avec les patients. Nous devons mener une réflexion autour de la notion de guérison. Les avancées 60 récentes apportent de l’espoir aux patients nouvellement diagnostiqués. Mais n’oublions pas les anciens chez lesquels nous avons exploité toutes les stratégies. Nous avons un rôle à jouer pour ces cohortes de patients afin de les déchroniciser. L’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques reste un objectif et une attente forte pour ceux pour lesquels les traitements actuels ne donnent pas de résultats optimaux. Il y a besoin de travailler sur la notion de guérison en se projetant vers l’avenir. Certains patients ont une réelle possibilité de guérir mais n’arrivent pourtant pas à chasser l’idée qu’ils sont et restent des malades. ►► Aller vers une autre façon de gérer la maladie Les ITK de deuxième et troisième générations apportent une réponse optimale plus rapide. C’est bien la corrélation de cette réponse complète rapide avec son maintien à long terme qui valide la perspective d’un arrêt du traitement. Certains patients savent qu’ils peuvent évoluer vers la chronicité. Ainsi le groupe Fi-LMC constate que ces patients traités par ITK de première génération peuvent rester équilibrés sur le long terme ; mais cet inhibiteur, par sa réponse moins rapide, ne peut rendre envisageable un arrêt de traitement chez tous les patients dans le futur. Certains anciens patients parviennent à une réponse moléculaire optimale, parfois de façon discontinue dans le temps. Ils comprennent qu’ils ne pourront pas arrêter le traitement mais le vivent bien. D’autres refusent eux-mêmes d’arrêter ; ayant vécu un miracle avec un ITK de première génération, ils se satisfont tout à fait de ce bénéfice. ►► Accompagner les patients jeunes La chronicité est dure à vivre pour les patients jeunes, c’est un vrai problème. Ils sont obnubilés par les résultats des bilans. Ils demandent si un jour cela va s’arrêter. Fi-LMC a créé un groupe de travail rassemblant des adolescents, en rapport avec Jeunes Solidarité Cancer (JSC). L’association doit organiser une Journée nationale des jeunes touchés par la LMC pour faire remonter leurs attentes et leurs difficultés. Tous les jeunes ont besoin de guérir et de vivre dans l’indépendance au traitement. Cette vision est partagée par les cliniciens et les industriels qui s’engagent dans cette voie de recherche. ►► Prendre soin des patients : l’étude pilote sur la réadaptation Il s’agit d’une étude menée dans notre centre avec un autre établissement de santé des Hospices Civils de Lyon (HCL). Elle évalue le bénéfice d’une réadaptation des patients grâce à une prise en charge spécifique par des kinésithérapeutes experts et une activité physique adaptée, encadrée par des professeurs de sport. La maladie crée un besoin qu’il faut prendre en compte. Il ne faut plus ‘’avoir peur de faire’’. L’image de la LMC a tendance à se banaliser et les traitements paraissent simples. Il est temps d’aider les patients à prendre soin de leurs corps, notamment, par exemple, lors de la prise de poids liée à une rétention d’eau dans le cadre d’un traitement par ITK de première génération. Il faut envisager ces soins d’accompagnement, même si l’enjeu reste l’arrêt du traitement chez de nombreux patients. 61 ►► L’émergence de nouvelles attentes Nous voyons se manifester chez les nouveaux patients la demande de l’obtention d’une réponse optimale rapide. Ces patients ne veulent pas envisager quinze années de traitement ou alors ils accepteraient par défaut un long traitement mais suivi de façon discontinue. Comment répondre à ces attentes? Le critère de décision d’arrêt de traitement repose sur la valeur et le suivi des marqueurs moléculaires. Mais nous ne voulons pas prendre de risques. Hier, 100% des patients évoluaient vers une acutisation en leucémie aigue de leur maladie, aujourd’hui le taux d’acutisation est de 5%. Nous avons donc progressé dans la compréhension de la LMC. Mais en attente d’identification des facteurs déclenchants et de risques réels, il faut savoir mesurer toute la responsabilité que représente l’arrêt du médicament en cas d’apparition d’une acutisation après l’arrêt du traitement. Ceci freine la prise de décision d’arrêter. Donc, nous ne l’effectuons que dans le cadre de protocoles sous haute surveillance. ►► Il y a trois enjeux prioritaires : • l’arrêt des traitements pour une majorité de patients ; • la prise en charge des patients jeunes en leur faisant vivre une réelle guérison en toute indépendance des traitements. La Journée nationale sera un événement fort. • la réhabilitation : cette démarche devrait procurer un nouvel élan vital aux patients tout en tenant compte de leurs problèmes spécifiques. QUELS MESSAGES SOUHAITEZ-VOUS TRANSMETTRE AUX PATIENTS, AUX SOIGNANTS ET AUX DÉCIDEURS DE LA SANTÉ ? Il faut privilégier la qualité de la relation avec le patient. Le temps de consultation est court ; pourtant cet espace entre le médecin et son patient est important et celui-ci en a besoin. La qualité de l’échange est d’autant plus essentielle. Les infirmiers sont aussi un relais mais les jeunes auraient besoin d’être formés et accompagnés dans le cadre de groupes de paroles avec les professionnels de santé afin de pouvoir mieux s’impliquer dans l’accompagnement des patients. Les patients essaient de montrer qu’ils vont bien, mais si certains franchissent bien les étapes, d’autres peuvent avoir du mal à faire face à la maladie, décider eux-mêmes d’arrêter leurs traitements et se fragiliser sur un plan psychologique. Les médecins veulent les aider mais ils ne peuvent pas tout. Les nouveaux médicaments ont révolutionné la prise en charge de la LMC et ont mis en lumière cette pathologie, comparativement à d’autres pathologies aiguës ou chroniques de la moelle osseuse. Cette mise en avant a bénéficié aux patients mais ils réclament aujourd’hui encore plus de progrès. Pourtant, nous sommes allés déjà très loin dans l’information et dans la prise en compte des marqueurs. Des travaux restent à mener sur des cohortes de patients chroniques et pas uniquement sur les nouveaux patients. Il faudrait notamment se pencher sur la culpabilisation à propos de l’observance. 62 Enfin, l’uniformisation des suivis devrait être améliorée (par exemple : la biologie moléculaire devrait être mieux codifiée.) On se doit aussi d’interpeller d’autres acteurs de santé, les décideurs, les payeurs et les politiques sur l’égalité de l’accès aux soins et sur la mise en place de centres de référence avec accès aux traitements innovants. 63 LES 16 PROPOSITIONS DE LMC FRANCE A u lendemain des premiers États Généraux des patients atteints de LMC, et fidèle à ses engagements envers les participants, LMC France, après avoir recueilli l’ensemble des propos tenus lors des tables rondes, ouvre dans les pages suivantes, un espace de réflexions et de propositions sur l’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes d’une LMC. RECONNAISSANCE PUBLIQUE DE LA LMC Proposition 1 Promouvoir la reconnaissance de la LMC La LMC souffre de la méconnaissance générale du public. La majorité des médecins n’ont qu’une connaissance partielle et ancienne de cette pathologie, étant donné sa faible prévalence. Les thérapies ciblées - innovation toute récente - relèvent d’un domaine de recherche très spécialisé. Enfin, l’usage du mot « leucémie » renforce le caractère morbide de la maladie. Cela contribue à fausser dans la société la réalité de la LMC. En dépit de sa gravité, son pronostic s’est pourtant grandement amélioré ces dernières années grâce aux résultats de la recherche. Le public assimile malgré tout la LMC à une maladie incurable, contribuant sans le savoir à une forme d’ostracisme dont sont encore trop souvent victimes les patients et leurs familles. Comment appréhender le mot « leucémie » ? Ce terme a un caractère traumatisant pour les patients et les familles concernées, puisqu’il assimile la maladie à une courte espérance de vie. La connotation péjorative sur la vie des patients et sur la sérénité des proches est facile à imaginer. Comment supporter l’ambivalence qui consiste d’un côté à vivre pratiquement normalement et pendant longtemps (à condition de suivre régulièrement sa thérapie), et d’un autre à porter sur ses épaules les effets relatifs d’une stigmatisation sociale engendrés par le mot « leucémie » ? En l’état actuel des connaissances, la LMC est une leucémie dont le pronostic est en train d’évoluer de manière positive. Notre espoir est que le terme « leucémie » acquière un jour un sens nouveau, celui de « guérison possible ». RECOMMANDATIONS : LMC France demande de relever le défi médiatique que cette pathologie représente au plan national, en mettant en œuvre les actions suivantes : ►► organiser la communication sur la LMC destinée, d’une part, à tous les acteurs de santé, d’autre part, aux autres partenaires impliqués (administration, acteurs de politique de santé…), concevoir le contenu des messages et un plan de diffusion adapté ; ►► mettre à jour les informations sur les avancées de la thérapie au moyen de campagnes médiatiques visant les différents publics concernés. 65 AIDE AUX PATIENTS Proposition 2 Améliorer les relations entre le patient, ses proches et les acteurs de santé En France, pays phare dans la lutte contre le cancer, la LMC est le syndrome myéloprolifératif le mieux étudié en hématologie. Nous bénéficions d’un niveau d’excellence inégalé en ce qui concerne la recherche et la prise en charge de la thérapie. Les infirmiers, médecins et spécialistes oncologues font leur possible pour prodiguer aux patients les soins les plus qualifiés et pour prendre en considération leurs attentes et leurs interrogations dans le respect de leur dignité. Cependant, les patients rapportent de grandes disparités dans l’attitude et la prise en charge par les praticiens et dans les centres de traitement où ils sont accueillis. Très souvent sont reprochés l’insuffisance d’explications, le manque d’écoute et l’emploi de termes techniques en guise de refuge du médecin. Les patients et leurs proches demandent à bénéficier d’une meilleure qualité des rapports avec leur médecin généraliste et leur hématologue. Une plus grande considération à leur égard ne peut que contribuer à une meilleure acceptation de leur pathologie, une meilleure observance de leur traitement et créer une disposition d’esprit propice à de bons résultats du traitement. RECOMMANDATIONS : ►► améliorer la qualité des consultations d’annonce des hématologues ; ►► encourager les hématologues, leurs équipes et les médecins généralistes chargés d’accueillir et de suivre les patients à adopter une base relationnelle prenant en considération les interrogations et la personnalité des patients et de leurs proches ; cette relation amènerait les acteurs de santé à prendre en compte les patients dans leur globalité dès leur prise en charge (personnalité du sujet, état civil, engagements socio-économiques, responsabilités professionnelles, mode de vie, charges de famille qu’il doit assumer, activités culturelles, sportives, etc.) ; ►► faciliter et développer la communication et la rencontre des patients avec les hématologues spécialistes (aménagement d’horaires, planning, etc.) ; ►► accepter de recevoir en consultation la famille du patient. 66 Proposition 3 Améliorer l’information médicale du patient dans le respect de la liberté de choix thérapeutique Dans un grand nombre de cas, l’hématologue expose verbalement à son patient le type de traitement préconisé à la suite de la confirmation de sa maladie. Cet exposé oral n’est pas sans soulever des difficultés de compréhension du patient qui oublie souvent les informations essentielles et ignore les détails des analyses ou du diagnostic. Il y a cependant des hématologues qui se mettent à la portée de leurs patients. Ils prennent le temps d’expliquer la nature de leur maladie et les modalités de mise en œuvre de leur thérapie de manière qu’une relation de confiance s’instaure entre l’hématologue et le patient. La loi dispose que la relation médecin-malade intègre l’obligation de consentement éclairé où le médecin est tenu de présenter clairement au patient les modalités et les risques de la conduite thérapeutique qu’il préconise, prévisibles en l’état des connaissances scientifiques. L’information délivrée au patient doit être complète et compréhensible. La notion du consentement éclairé offre la liberté au patient de se déterminer à propos du modèle thérapeutique proposé. Il peut estimer ne pas être suffisamment informé et souhaiter l’obtention d’un autre avis médical. Cette notion de consentement éclairé ne saurait souffrir des limites admises dans le cadre des autres pathologies oncologiques, les procédures thérapeutiques actuelles de la LMC étant moins lourdes et pouvant être expliquées aux patients comme n’importe quel autre traitement malgré le caractère technique des informations. Le concept d’autonomie du malade et de son égalité avec le médecin devrait opérer pleinement dans le cadre de la LMC. Nous assistons, avec l’évolution de la chronicité de la LMC, à une mutation du statut du patient et de celui du spécialiste. L’hématologue est amené à devenir l’« accompagnateur » de son patient sur plusieurs décennies. RECOMMANDATIONS : LMC France recommande : ►► que des dispositions soient prises pour inciter le corps médical à passer, dans la relation médecin-patient, du modèle « paternaliste » à un modèle respectant l’autonomie du patient. Dans ce modèle « contractuel », la liberté de décision du patient, sa capacité de compréhension, son concept personnel de la santé, son histoire personnelle et sa dignité devraient être respectés ; ►► que soit adopté un protocole d’annonce des résultats d’analyse qui satisfasse le besoin de compréhension du patient, intégrant des informations détaillées à propos de l’évolution possible de la maladie, pour lui permettre d’envisager son avenir sans contrainte et en toute connaissance de cause ; 67 ►► que soit adopté et harmonisé au niveau national un livret1 unique à remplir par le médecin et à remettre au patient, auquel il puisse se référer librement. Ce livret servirait de parcours de soins, exposant au patient les modalités de sa thérapie. Il lui permettrait de mettre à jour les informations le concernant sur les divers aspects de sa thérapie et au médecin de le consulter et de l’enrichir ; ►► rendre disponible la liste des interactions médicamenteuses actualisées, identifiées par un groupe de travail ad hoc expert de la LMC, constitué de pharmacologues collaborant avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM); ce thesaurus, validé par l’ANSM, serait accessible à tout médecin et professionnel de santé en rapport avec le patient ; ►► que les moyens mis à la disposition des patients et de leurs proches (accompagnants) pour communiquer à distance avec leurs médecins traitants soient plus effectifs (traitement des appels téléphoniques, emails, etc.). Les demandes d’information des patients devraient être plus rapidement satisfaites. 1. La conception d’un tel livret est actuellement à l’étude dans différents réseaux régionaux de cancérologie. Sa réalisation sous l’égide d’une instance nationale éviterait toute disparité dans son contenu et son emploi. Proposition 4 Améliorer le soutien psychologique du patient contre l’isolement Alors que la recherche de l’efficacité thérapeutique requiert du médecin toute son attention d’un point de vue technique, le patient se sent parfois le grand oublié sur le plan humain. Si le « savoir écouter » est bien maîtrisé par certains praticiens, il est malheureusement peu appliqué par de nombreux médecins qui n’accordent pas assez de temps à un entretien approfondi avec leurs patients, minimisant sans doute l’importance de la relation médecin-patient. Dans un tel cas, au cabinet ou à l’hôpital, le dialogue se résume souvent à un double monologue, générant chez le patient et ses proches un sentiment de frustration, des malentendus, l’isolement ou le découragement. En prêtant une attention véritable à la détresse du patient, à ses interrogations, à sa vie, le médecin contribuerait à établir une relation de confiance durable, propice à une meilleure acceptation du traitement, à une meilleure qualité de vie, à une meilleure observance pouvant aboutir à un meilleur traitement de la maladie. RECOMMANDATIONS : ►► mettre en œuvre auprès des praticiens et des soignants du secteur privé et public appelés à recevoir et à traiter les patients LMC, une formation psychologique minimale ; 68 ►► réduire l’isolement physique et moral du patient pendant son traitement ; ►► fournir un soutien psychologique aux patients lorsque leur hématologue propose un changement ou un arrêt de leur traitement ; respecter le principe du consentement éclairé (Proposition 3) ; ►► renforcer l’information des patients et de leurs proches sur l’existence et l’activité des associations représentatives de leurs intérêts, dont une partie du rôle consiste à : • créer et animer des groupes de parole ; • contribuer à apporter un soutien psychologique à la maison et au travail ; • aider les patients à rester dans leur cadre de vie ; • faciliter les rencontres entre patients, par exemple dans des journées d’information spécifiques à la LMC ; ►► aider les patients à se préparer moralement à leur nouvelle existence après l’arrêt de leur traitement. Proposition 5 Améliorer les modalités de la prise en charge, du suivi thérapeutique, de l’observance, des essais thérapeutiques et de l’arrêt du traitement du patient Bien que les avancées obtenues dans les protocoles thérapeutiques de la LMC apportent de nouvelles perspectives dans le traitement de la maladie, il n’empêche que la prise en charge du patient reste un acte d’une grande complexité, par la nature même de cette pathologie. Les décisions thérapeutiques prises dès la confirmation de la LMC ont des conséquences sur l’évolution de sa santé et de son existence. Il faut que le patient dispose dès sa prise en charge de la meilleure expertise médicale possible. Considérée sous l’angle d’une globalité singulière propre à chaque individu, la santé de la personne du patient requiert, pour pouvoir bénéficier d’un traitement efficace, une démarche thérapeutique unique, adaptée à son cas. Il importe donc d’accorder une attention particulière à chaque sujet qui soit exempte de tout « stéréotype ». Il arrive en outre que le patient et son proche (accompagnant) se déplacent en France ou à l’étranger. Des patients atteints de LMC résident dans les départements et territoires d’outre-mer. LMC France a constaté un écart important vis-à-vis de la qualité de l’accueil et des soins en métropole et les autres territoires. Le domaine des essais thérapeutiques et de l’arrêt du traitement est un autre sujet délicat et complexe qui exige les garanties de transparence, de sécurité et de qualité. 69 RECOMMANDATIONS : ►► réserver aux patients, dès leur prise en charge et sans délai, l’expertise médicale la plus qualifiée de la part d’hématologues spécialistes de la LMC, afin de mobiliser les meilleures conditions de réussite du traitement ; ces experts feraient partie de ceux qui maintiendraient régulièrement à jour leur niveau de connaissance de la maladie ; ►► rappeler et renforcer le principe de l’individualisation des soins dans tout le parcours du patient (voir livret unique du patient, Proposition 3) ; ►► instituer une procédure cohérente de suivi des patients, validée et appliquée par tous les hématologues (voir livret unique du patient, Proposition 3) ; ►► renforcer la qualité de l’observance des patients et créer des outils pour l’évaluer ; ►► donner aux patients la possibilité de bénéficier d’essais thérapeutiques où qu’ils se trouvent sur le territoire français ; ►► veiller à l’application de la règlementation en matière d’essais thérapeutiques ; ►► réduire les inégalités de traitement dues à la disparité géographique des structures médicales et hospitalières en matière de suivi des patients LMC ; ►► instituer si nécessaire des dispositifs d’accueil et de logement temporaires facilitant l’accès à une prise en charge de qualité ; ►► mettre en œuvre un système de coordination entre les services sanitaires et sociaux des départements et territoires d’outre-mer et ceux de la métropole. Proposition 6 Améliorer le confort de vie du patient avec l’appoint de thérapeutiques non médicamenteuses En préambule à son rapport Développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées, la Haute autorité de la santé (HAS) affirme en avril 2011 que « la plupart des autorités scientifiques soulignent les enjeux de santé publique que représente le suivi de certaines thérapeutiques non médicamenteuses, en particulier dans le cadre de la prise en charge des maladies chroniques. » LMC France connaît chez un certain nombre de patients une demande de prescriptions complémentaires destinées à soulager leurs souffrances physiques et morales. Diverses approches thérapeutiques non médicamenteuses pourraient les aider à faire face à des situations de stress aigu ou chronique, de douleurs physiques et/ou psychiques ou à des situations sociales éprouvantes. Ces traitements de support s’avérant complémentaires du traitement médicamenteux, ils pourraient 70 être systématiquement prescrits ou proposés aux patients. Les traitements incluraient les règles hygiéno-diététiques (régimes diététiques, activités physiques et sportives, modifications des comportements alimentaires, compléments alimentaires), les traitements psychologiques, les thérapeutiques physiques (techniques de rééducation, kinésithérapie, ergothérapie, massothérapie) et certains autres (kinésiologie, yoga, etc.). RECOMMANDATIONS : ►► faciliter l’accès à ces thérapies non conventionnelles dans les établissements de santé publics et privés ; renforcer l’information et l’accès aux soins existants ; multiplier ces offres en relation avec des professionnels privés accrédités ; ►► donner accès financièrement aux patients à l’offre de soin de certaines thérapeutiques éprouvées, nécessitant un professionnel spécialisé ; ►► faciliter l’information et l’adhésion des professionnels de santé sur les thérapeutiques non conventionnelles ; ►► instituer une plateforme de coordination générale qui oriente vers différents types de soin en fonction des besoins et de la demande des patients LMC. Proposition 7 Une meilleure prise en compte des effets indésirables des médicaments Même si la balance bénéfice/risque est considérée comme favorable, tout médicament peut provoquer des effets indésirables. Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), « les réactions nocives et inattendues aux médicaments font partie des principales causes de mortalité dans de nombreux pays. » Si des patients LMC ne souffrent pas d’effets indésirables de leur chimiothérapie ou les supportent bien, d’autres éprouvent de graves difficultés physiques et/ou psychologiques imputables à leur traitement. L’importance des effets secondaires ne peut être négligée. L’authenticité de la plainte des patients à ce sujet ne saurait être écartée, comme le font un nombre encore trop grand d’hématologues. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) rappelle que les professionnels de santé doivent déclarer immédiatement tout effet indésirable suspecté d’être dû à un médicament dont ils ont connaissance au Centre régional de pharmacovigilance dont ils dépendent géographiquement et dont les coordonnées sont disponibles sur le site internet de l’ANSM1 . 1. Le patient ou ses proches ont la possibilité de leur côté de déclarer un effet indésirable en remplissant un formulaire disponible sur le site internet de l’ANSM (www.ansm.sante.fr) et en l’envoyant au Centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de leur région. Ce formulaire intitulé « Signalement-patient d’événement(s) indésirable(s) lié(s) à un médicament » est par ailleurs accessible sur notre site www.lmc-france.fr 71 RECOMMANDATIONS : ►► rappeler le respect de la loi sur le consentement éclairé, permettant l’accès du patient à une meilleure information de la part de son hématologue sur les risques des effets indésirables dus au traitement préconisé ; ►► délivrer au patient une brochure informative rappelant les risques des effets indésirables liés aux médicaments préconisés, les modalités de surveillance et les règles de leur bonne utilisation, cette brochure pouvant être éditée conjointement par l’ANSM ; ►► lancer une campagne de sensibilisation des acteurs de santé à propos des effets indésirables des médicaments entrant dans le traitement de la LMC ; ►► mettre en place un protocole formalisé d’écoute et de recueil des plaintes du patient ; ►► délivrer aux patients un livret dans lequel ils puissent noter les effets indésirables ressentis, les informations sur les autres médicaments prescrits par les autres médecins, les interrogations qu’ils réservent à leur médecin, et tout autre information susceptible d’intéresser leur hématologue (ce livret fait partie des recommandations de la Proposition 3) ; ►► offrir une possibilité de surveillance régulière de l’état du patient ; ►► instituer une meilleure coordination entre l’hématologue et les autres médecins intervenant; ►► demander aux laboratoires de publier à l’intention des praticiens et des patients une information actualisée et objective des effets indésirables ; ►► renforcer le rôle et la responsabilité des pharmaciens d’officine ; ►► s’orienter sur un système de pharmacovigilance unique en Europe. Proposition 8 Soutenir la vie professionnelle du patient Du fait de leur pathologie, les patients atteints de LMC risquent de perdre leur emploi régulier. Dans le cas où ils ne peuvent plus assumer de responsabilités professionnelles, ils risquent d’être confrontés à de graves difficultés économiques. Le patient et son entourage font par ailleurs face à des coûts imprévus : les accompagnants changent parfois d’activité professionnelle, le patient peut perdre son autonomie et devoir recourir à des personnels d’accompagnement, etc. Ces difficultés économiques peuvent s’aggraver si le patient a refusé les complications administratives et la stigmatisation qui pourraient s’ensuivre d’une demande d’invalidité. Les patients éprouvent en outre souvent des difficultés à obtenir une reconnaissance officielle de la maladie ou une pension d’invalidité qui 72 correspondent à une aide financière équitable. De leur côté, les personnes en rémission de la LMC qui souhaitent reprendre une vie professionnelle et sociale rencontrent souvent des obstacles. Les informations prévues par la législation sont souvent méconnues et/ou les dispositions peu adaptées à leur cas. RECOMMANDATIONS : ►► inclure dans le programme de soins réservé au patient un volet social prévoyant un ensemble de mesures d’accompagnement professionnel pour ces personnes, facilitant l’accès à l’emploi, pendant et après la maladie, la réadaptation et la réinsertion des patients, en concertation avec les organismes complémentaires santé et les fonds de prévention des caisses d’assurance maladie ; ce volet social serait pris en charge en concertation avec la médecine du travail ; ►► adopter des dispositions administratives facilitant la reconnaissance de la LMC au travail, des aménagements du poste de travail ; ►► adopter des dispositifs de congé longue maladie adapté ; réévaluer le dispositif de mi-temps thérapeutique pour les patients jeunes, pour leur permettre de bénéficier d’une pension d’invalidité équitable ; ►► améliorer les dispositifs d’assurance sociale ; ►► améliorer les réponses aux possibles situations de perte d’autonomie définitives liées à la LMC ; aider les personnes atteintes de LMC et qui présentent une limitation chronique de leur autonomie à bénéficier des mesures spécifiques développées pour les personnes handicapées, en fonction de leur âge. Proposition 9 Améliorer l’accès des patients en rémission aux assurances et au crédit Les personnes atteintes de LMC rencontrent des obstacles dans l’accès aux assurances souvent nécessaires à l’octroi d’un crédit immobilier, professionnel ou de consommation. Ces difficultés s’opposent à la réalisation des projets de ces personnes. Les assureurs, qui s’appuient sur des informations obsolètes au regard des dernières avancées médicales de la LMC, excluent souvent la pathologie de la garantie exigée par l’établissement de crédit, ou fixent des surprimes d’un montant élevé. Les patients se voient souvent refuser leur prêt par l’établissement de crédit. 73 RECOMMANDATIONS : ►► mettre à jour et diffuser auprès des organismes de crédit et d’assurance, et des médecins conseils des compagnies d’assurance, les informations actualisées sur les avancées médicales de la LMC ; ►► faciliter l’accès des patients au dispositif de la Convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) en assouplissant les modalités d’acceptation des dossiers (prise en compte du risque invalidité, mutualisation des surprimes, accès à des garanties alternatives, etc.). AIDE AUX ACCOMPAGNANTS FAMILIAUX Proposition 10 Aider les accompagnants par un soutien psychologique approprié Le conjoint qui vient en aide au patient peut éprouver autant de difficultés psychologiques que lui. Étant régulièrement la deuxième victime de la LMC, il est souvent démuni face au bouleversement de son existence familiale. Les accompagnants méritent eux-mêmes une aide qui pourrait être étendue à la famille. RECOMMANDATIONS : ►► élaborer un dispositif de soutien psychologique des proches (du conjoint, des enfants et de la famille) et particulièrement de l’accompagnant ; ►► élaborer un dispositif de prise en compte des frais de soutien psychologique ; ►► créer des centres de discussion, d’échanges et de documentation. 74 Proposition 11 Éducation thérapeutique des accompagnants familiaux Dans la grande majorité des cas, le parent qui prend la responsabilité d’apporter son aide au malade s’improvise « accompagnant ». Il assume chaque jour un rôle irremplaçable dans le soutien psychologique du proche, dans l’observance de son traitement et dans une foule de détails liés de près ou de loin à sa thérapie et à sa vie. Son dévouement se heurte cependant à un obstacle majeur, ne sachant pas toujours quels actes accomplir pour se rendre plus efficace. Une éducation thérapeutique lui permettrait d’acquérir des compétences propres à améliorer la qualité de son assistance auprès du malade, à réaliser des gestes essentiels liés aux soins, à prévenir les complications évitables. RECOMMANDATIONS : ►► élaborer, en concertation avec les autorités de santé en charge de la LMC, un dispositif d’éducation thérapeutique gratuit des accompagnants ; élaborer un manuel portant sur cet apprentissage; cette éducation comprendrait aussi les divers aspects de la vie quotidienne avec le malade ; développer l’aide à l’aidant. Proposition 12 Valoriser l’engagement des aidants familiaux Il arrive que l’état physique et/ou psychologique du patient conduise la famille à prendre des mesures qui sortent de l’ordinaire pour venir en aide au malade. Le parent peut être amené à mobiliser la majorité de son temps et de son énergie dans cette responsabilité. Le traitement de la LMC demandant plusieurs années, l’aidant est confronté à des choix cruciaux qui bouleversent son avenir et celui de la famille. S’il exerce une activité professionnelle, s’il élève des enfants, il est parfois contraint de modifier son emploi pour assister le malade. Qu’il soit salarié, professionnel indépendant, dirigeant de société, il risque en conséquence de perdre une importante partie de ses revenus, ses droits sociaux (congés, retraites, chômage, etc.) ainsi que ses opportunités d’évolution de carrière. RECOMMANDATIONS : ►► qu’une compensation financière soit attribuée à l’aidant ayant modifié son activité professionnelle, basée sur une partie de son ancienne rémunération ou sur celle du malade ; 75 ►► que les trimestres des aidants qui ont interrompu leur travail pour soutenir un proche malade soient pris en compte dans le calcul des retraites ; ►► que soient prises des dispositions de soutien économique à l’intention des parents d’enfants souffrant de LMC, selon le niveau de précarité de la famille. ACTEURS DE LA SANTE Proposition 13 Instituer une coordination scientifique pluridisciplinaire et améliorer la formation des acteurs de santé en LMC Rares sont les médecins généralistes et les hématologues non spécialistes de la LMC confrontés à cette maladie. Les spécialistes qui traitent entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de patients dans l’année possèdent un acquis et une expérience dont pourraient tirer profit les autres médecins et acteurs de santé qui ne traitent que quelques cas. Concernant les patients présentant des polypathologies ou des effets secondaires graves, les différents acteurs de santé devraient pouvoir se concerter plus facilement. Les difficultés rencontrées par les hématologues spécialistes de la LMC comportent la prise en charge de la maladie réfractaire et celle de très nombreux effets secondaires. Chez les patients bons répondeurs, un nouvel objectif thérapeutique est apparu ces dernières années: l’arrêt du traitement, enjeu individuel et économique de la prise en charge des LMC. Un des axes de recherche actuel dans le domaine de la LMC est l’amélioration des réponses pour atteindre ce but. RECOMMANDATIONS : ►► harmoniser et améliorer la prise en charge des patients : tous les cas doivent être discutés et les choix thérapeutiques validés dans la réunion de concertation multidisciplinaire (RCP) ; • concernant les choix thérapeutiques des cas difficiles, développer des réunions entre spécialistes au niveau régional, voire national ; • concernant la gestion des effets secondaires des traitements, développer des réunions pluridisciplinaires locales avec, dans chaque ville, des médecins 76 référents dans chaque spécialité ; ►► proposer une formation des acteurs non spécialistes impliqués dans les soins des patients LMC (médecins généralistes, infirmiers, etc.) et un système de mise à jour des connaissances ; ►► renforcer le rôle des pharmaciens et encourager leur responsabilisation dans l’observance au traitement, les éventuelles interactions médicamenteuses et les séquelles de la LMC ; ►► organiser l’information de référence à l’intention des médecins généralistes, cadres de santé, infirmiers, pharmaciens, oncologues médicaux, hématologues et médecins internistes ; ►► sur le plan national, identifier les centres de référence ; leur réseau devrait couvrir les départements et territoires d’outre mer ; ►► renforcer les échanges d’information entre les acteurs de santé et les associations de patients LMC. RECOMMANDATIONS CONCERNANT LES ACTEURS DE SANTE SPECIALISTES DE LA LMC : ►► développer l’accès à l’éducation thérapeutique du patient ; ►► encourager la formation d’hématologues dans la LMC infantile ; ces pédiatres spécialistes de la LMC agiraient comme référents auprès de leurs pairs ; ►► créer une délégation ou un transfert des tâches vers les infirmiers pour soulager la charge des hématologues spécialistes de la LMC qui ont une importante file active de patients ; ►► coordonner les centres dotés de toutes les technologies modernes de surveillance de l’hémopathie maligne (biologie moléculaire); ►► faciliter l’intégration aux groupes coopérateurs et/ou faciliter l’information auprès de ces groupes, afin que les hématologues soient informés des recommandations de traitements, des développements de la recherche, des essais cliniques existants ; ►► encourager l’engagement officiel des hématologues recommandations de l’ELN1 (European LeukemiaNet). à suivre les 1. L’European LeukemiaNet est une organisation subventionnée par l’Union européenne regroupant des médecins, des scientifiques et des patients concernés par la leucémie. Elle vise à améliorer le traitement et les connaissances au sujet de la leucémie en Europe et à prôner l’excellence dans ce domaine. 77 Proposition 14 Désir de grossesse Le traitement des patientes enceintes souffrant de LMC suscite des débats dans la communauté scientifique internationale. Des interrogations subsistent à propos des possibilités d’avoir des enfants lorsqu’une femme est atteinte de LMC, principalement dues à l’absence d’études prospectives et au manque de recul quant au devenir des enfants exposés. Par ailleurs, malgré l’absence de toxicités jusqu’à présent rapportées, l’influence des traitements par ITK sur la spermatogénèse reste incertaine. Il est souhaitable, selon le témoignage de plusieurs patientes, de considérer avec plus de soin la manière avec laquelle les médecins formulent leurs préconisations aux femmes atteintes de LMC qui attendent un enfant ou qui désirent en avoir un. On a vu par exemple des généralistes ou des hématologues préconiser l’avortement à leur patiente alors que des alternatives étaient possibles. LMC France estime que la jeune femme souffrant de LMC a le droit à une plus grande considération en ce qui concerne ses projets de procréation. RECOMMANDATIONS : ►► clarifier d’urgence les recommandations concernant le traitement des patientes désireuses d’avoir un enfant ou en situation de grossesse. Proposition 15 Coût du médicament Le coût du traitement d’un patient s’élève entre 2 000 et 4 000 € par mois au long cours. Cela pose un réel problème de santé publique, en France où ces traitements sont pris en charge à 100% par la Sécurité sociale, et dans de nombreux autres pays où le coût de la thérapie est prohibitif et la rend inaccessible. Les médicaments génériques sont moins chers que le médicament princeps (original) mais aucune version générique des ITK de la LMC ne peut être utilisée en France à l’heure actuelle. Des molécules utilisées dans les thérapies ciblées de la LMC vont tomber prochainement dans le domaine public. Au nom des patients, LMC France exercera une vigilance particulière pour que ces médicaments génériques soient fabriqués selon les règles de l’art. 78 RECOMMANDATIONS : ►► inciter le Comité économique des produits de santé (CEPS), responsable de la fixation du prix des médicaments remboursables, à réévaluer le prix des médicaments onéreux liés au traitement de la LMC ; ►► favoriser la production de médicaments génériques à un prix raisonnable pour la Sécurité sociale ; ►► mener une réflexion à propos de l’équivalence thérapeutique entre la molécule de référence et la molécule générique de manière à prémunir les patients, non seulement contre des variations des doses, mais aussi contre d’éventuels effets indésirables et tout autre risque médicamenteux ; la continuité du même médicament générique doit être prévue pour éviter les variations de doses lors de son utilisation ; ►► dans le cas où ne sont pas respectées les règles de bonnes pratiques dans la fabrication des médicaments génériques anti-LMC, et dans celui où les services de pharmacovigilance détectent des situations à risques consécutives à la prescription de ce type de molécules, les autorités de santé devraient aussitôt alerter les spécialistes de la LMC, les médecins généralistes et les pharmaciens d’officine, et reconsidérer ce type de prescription. Proposition 16 Création d’un observatoire de la LMC Actuellement, les acteurs de santé, les institutions concernées et la société civile manquent d’informations homogènes sur le plan national relatives à l’état épidémiologique et à l’évolution de la LMC. Il semble opportun de créer un observatoire spécialisé dans ce domaine. Cette structure permettrait de renforcer la surveillance épidémiologique de ce type de cancer. Les rapports individuels qu’entretiennent quotidiennement les professionnels de santé avec leurs patients et leurs proches sont de nature à constituer une source inestimable de données exploitables. L’observatoire analyserait les conséquences de la maladie sous de nombreux aspects, les corrélations entre la fréquence de la LMC dans diverses populations et les causes probables de la pathologie. Il conduirait des études démographiques en relation avec la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), analyserait les difficultés sociales liées à la maladie et suggérerait des solutions appropriées. La surveillance épidémiologique de la LMC entrerait dans le cadre plus général de la surveillance de l’état sanitaire de la population française, confiée à l’Institut 79 de veille sanitaire (InVS). L’observatoire constituerait une aide pour les décideurs et faciliterait le pilotage et l’évaluation des mesures de prévention et de prise en charge de la maladie. Il contribuerait à l’élaboration d’un futur « Plan LMC ». RECOMMANDATIONS : ►► créer un Observatoire de la LMC en s’appuyant sur les données de l’Observatoire sociétal des cancers créé sous l’égide de la Ligue contre le cancer ; ►► développer les outils permettant à l’Observatoire de se documenter. 80 LMC FRANCE UNE ASSOCIATION RECONNUE SUR LE PLAN NATIONAL ET INTERNATIONAL A ssociation reconnue sur le plan national et international, LMC France a été créée le 5 février 2010 par Mina Daban. Sa vocation est de rassembler les patients et leurs proches pour les aider dans leur lutte contre la maladie, de promouvoir l’éducation et la sensibilisation de tous à la LMC, et de récolter des fonds destinés à soutenir la recherche et les personnes malades. LMC France constitue un foyer d’initiatives bénévoles pour la création d’événements destinés à mieux faire connaître la LMC. L’Association prend en charge la création d’œuvres artistiques, la diffusion d’outils d’information, le recueil de témoignages, l’organisation de réunions d’information. Elle est à l’origine des États Généraux de la LMC et de la Journée mondiale de sensibilisation à la LMC. LES OBJECTIFS DE LMC FRANCE ►► DEVELOPPER par tous moyens, toutes actions liées à la leucémie myéloïde chronique. ►► RASSEMBLER les patients et leurs proches afin de les aider dans leur lutte contre la maladie à travers la recherche, l’information et la formation. ►► PROMOUVOIR l’éducation et la sensibilisation de tous à la leucémie myéloïde chronique. ►► RECOLTER des fonds pour le soutien à la recherche et aux personnes malades. 82 LE CONSEIL SCIENTIFIQUE DE LMC FRANCE Docteur Aude CHARBONNIER Département d’Onco-Hématologie, Institut Paoli Calmettes, Marseille Professeur François GUILHOT Service d’Oncologie hématologique et de Thérapie cellulaire, CHU de Poitiers Professeur François-Xavier MAHON Laboratoire d’Hématologie, CHU de Bordeaux Professeur Mauricette MICHALLET Service d’Hématologie clinique, Hôpital Lyon Sud, Pierre Bénite Docteur Franck-Emmanuel NICOLINI Service d’Hématologie clinique, Hôpital Lyon Sud, Pierre Bénite Docteur Delphine REA Docteur Marie-José ROMERO Professeur Philippe ROUSSELOT Hématologue, Hôpital Saint Louis, Paris Médecin généraliste, Marseille Service d’Hématologie et d’Oncologie, Hôpital Mignot, Versailles 83 UN RESEAU NATIONAL Plus de 2 000 membres touchés par la leucémie myéloïde chronique et leurs proches. La mise en place de relais associatifs dans toute la France. Un Conseil scientifique de renom qui garantit les informations médicales diffusées. Un site internet qui s’est imposé comme une source d’information fiable et continuellement mis à jour. Tout au long de l’année, LMC France offre aux personnes atteintes de LMC et à leurs proches des services de soutien, des groupes de parole dans toute la France (écoute, droit, social…), un forum. LMC France crée des outils d’éducation et d’information sur la LMC destinés aux patients (outils interactifs, vidéos, ouvrage d’information…) Grâce à la création de manifestations fédératrices, elle soutient et finance des projets de recherche sur la maladie. La prise en compte des proches de patients qui sont souvent délaissés. La mobilisation de ses membres pour la Journée Patients Fi-LMC. Des partenaires associatifs : Cancer info service, Fi-LMC, Médicalistes, LMC France fait partie du réseau national CISS, etc. Des partenaires institutionnels : INSERM, APHM, divers CHU, Institut Paoli-Calmettes, Le réseau des ERI (Espace Rencontre et d’Information dédié au cancer) de l’Assistance Publique et de la Ligue contre le cancer, Cancéropoles, EFS, Réseau Régional de Cancérologie, etc. LMC France participe à de nombreux meetings, rencontres et conférences en France et à l’international. 84 UN RESEAU EUROPEEN ET INTERNATIONAL LMC France fait partie de différents groupes d’experts européens. LMC France fait partie du Comité directeur du réseau international d’association de patients CML ADVOCATES NETWORK. En 2011, LMC France lance la «Journée Mondiale de Sensibilisation à la LMC» et propose la date du 22 Septembre aux pays du monde entier ; l’engouement général est immédiat. Cette date est symbolique pour les patients ; elle représente la paire de chromosomes 22 et 9 impliquée dans le déclenchement de la maladie. Les associations de patients du monde entier ont répondu présent à cet appel ; depuis, chaque année, à cette date, des événements voient le jour sur tous les continents. LMC France coordonne cette action internationale dans près de 70 pays autour du globe. En hommage à LMC France, la communauté internationale a adopté son slogan «Tous unis, tous uniques» dans sa forme Anglophone «All United, all unique !» 85 Une coccinelle pour Mina D e ses propos, on note une inébranlable croyance en l’avenir et une joie de vivre communicative. Après avoir traversé l’insoutenable, Mina Daban, Présidente de l’association LMC France, est aujourd’hui pleine d’énergie et d’enthousiasme. Le 26 août 2003, le verdict tombe : la fatigue de Mina n’est pas due à son récent mariage et à sa vie familiale et professionnelle bien remplie, mais à la leucémie myéloïde chronique. Son univers bascule brutalement. L’annonce inattendue d’une mort imminente plonge Mina et ses proches dans l’accablement. Ses projets deviennent obsolètes, elle ne verra pas grandir ses enfants alors âgés de deux et quatre ans. Elle décide de leur écrire un livre pour laisser une trace tangible de l’amour qu’elle leur porte, cet amour qu’ils risquent d’oublier. Elle se prépare tant bien que mal à l’idée de partir. Mais elle se dit que, par chance, son médecin a vaguement entendu parler d’un nouveau traitement dont on ne sait encore pas grand-chose. Qu’elle ne risque rien à essayer de toute façon. Que, par chance toujours, son organisme répond bien au traitement et qu’elle survit. A l’entendre parler, on pourrait occulter les prises de sang quotidiennes et les années de souffrance dues aux effets secondaires du traitement. Elle vit, c’est déjà beaucoup face à une maladie alors considérée fatale. « Tout le monde s’attendait à me voir mourir bientôt, et j’ai survécu » ironise-t-elle. Toutefois, la perplexité et l’incertitude qui planent autour d’elle la poussent à entreprendre des recherches. Surfer sur internet est l’une des rares choses qu’elle parvient à faire, clouée sur son lit durant six ans. Mais aucune information sur cette pathologie si rare et encore si mal connue n’est disponible. Tout ce qu’elle trouve dans ce qu’elle nomme le « vide sidéral », c’est un numéro de téléphone, celui d’une association sur la leucémie. Elle appelle un peu au hasard, faute de mieux. L’association non plus, n’en sait pas davantage sur la LMC, mais la dirige vers l’Institut Paoli-Calmettes, un centre de lutte contre le cancer situé à Marseille. Elle prend rendez-vous, sans y croire. Et pourtant… « J’ai été ressuscitée par les médecins de l’Institut. On m’accordait des années supplémentaires de vie et mes questions trouvaient enfin une réponse ! » s’exclame Mina. Elle se souvient avoir entendu une phrase prononcée par le docteur Aude Charbonnier, son hématologue 86 à l’IPC, qui hante encore sa mémoire : « nous allons vieillir ensemble ». Cette phrase venait de lui redonner un avenir ! Petit à petit, les doses de son traitement ont pu être diminuées, parallèlement aux effets secondaires. Mais il aura fallu attendre encore quelques années pour que la recherche découvre une nouvelle molécule, plus efficace et moins délétère. S’ensuit alors un sentiment étrange. Accepter l’interruption du traitement qui l’a maintenue en vie toutes ces années a été psychologiquement difficile. « On finit par lui être attaché, c’est un peu comme le syndrome de Stockholm. On aime son bourreau sauveur ». Il lui aura fallu six mois pour se résigner à changer de traitement. Six mois de réflexion, alors qu’au bout de dix jours de ce nouveau traitement, elle était debout. Cette ironie lui fera prendre conscience que le « vide sidéral » doit être comblé. Pour les patients à venir qui, comme elle, vont s’entendre dire qu’ils vont bientôt mourir, pour les familles qui font le deuil d’un malade qui ne meurt pas. C’est ainsi qu’elle crée l’association nationale LMC France en 2010, qui fédère aujourd’hui plus de 2000 adhérents. Et si elle a choisi une coccinelle comme logo, c’est parce qu’à l’occasion de sa première sortie, ses enfants lui ont dit : « Regarde maman, une coccinelle ! Ça te portera chance… » Dix ans après son diagnostic, Mina suit désormais un protocole d’arrêt du traitement sous le contrôle de son hématologue. C’est le formidable message d’espoir de Mina ! « Regarde, maman, une coccinelle ! Ça te portera chance… ». 87 Historique de la LMC L , histoire de la leucémie myéloïde chronique commence en 1845. Cette année-là, le médecin anglais John Hugues Bennet et le médecin allemand Rudolph Virchow décrivent, chacun de leur côté, un cas différent de patient souffrant d’une augmentation anormale de la rate et du foie et présentant un taux excessif de globules blancs dans le sang. Bennet pense que l’origine de la maladie est infectieuse. Pour Virchow, le problème se situe au niveau de la moelle osseuse, siège de la fabrication du sang. Il donne à ce phénomène le nom de « leucémie », du grec leukos, « blanc ». Plus d’un siècle plus tard, en 1960, deux chercheurs américains de l’université de Philadelphie, Peter Nowell et David Hungerford, découvrent dans la moelle de patients atteints de maladie du sang la présence d’un chromosome anormal. Leur découverte est annoncée dans la revue Science. C’est la première fois qu’une anomalie chromosomique est associée de façon spécifique à une pathologie hématologique. Mais à cette époque, les techniques de coloration des chromosomes sont bien moins performantes que celles d’aujourd’hui et le marquage des chromosomes n’existe pas encore. Il faudra attendre 1970 pour pouvoir identifier ce chromosome anormal. En attendant, les deux chercheurs le baptisent « chromosome de Philadelphie ». En 1973, grâce aux nouvelles techniques de coloration, le Dr Janet Rowley réussit à Chicago à montrer que cette anomalie résulte d’une « translocation », c’est-à-dire d’un échange de fragments génétiques entre un chromosome 9 et un chromosome 22, lors de la division cellulaire. Au début des années 1980, les gènes impliqués dans cette translocation sont identifiés. Sur le chromosome 9, le gène s’appelle « Abelson » et noté « ABL1 » ; sur le chromosome 22, le gène s’appelle « BCR ». Le gène ABL est très important puisque c’est sur lui que sera basé le premier traitement ciblé en hématologie. La protéine produite par le gène ABL est ce que l’on appelle une « protéine tyrosine kinase », ce qui signifie qu’elle est chargée dans la cellule de capter des groupements phosphates et de les transférer à d’autres protéines qui en ont besoin pour leur bon fonctionnement. Pour loger ces groupements phosphates, les tyrosines kinases possèdent une poche spéciale où se niche le phosphate. Dans la LMC, l’échange de portions de chromosomes entre les chromosomes 9 et 22 conduit au rapprochement, puis à la fusion des gènes ABL1 et BCR. De ce fait, la protéine tyrosine kinase ABL1 s’active, s’emballe et capte sans arrêt des 88 phosphates, activant à leur tour les autres protéines de façon débridée. C’est le mécanisme de la LMC. L’objectif de la recherche est donc d’empêcher cet emballement. En 1998, les laboratoires Novartis commercialisent un médicament « anti-tyrosine kinase » qui agit précisément au niveau de la protéine ABL1. En se nichant dans la poche destinée à recevoir le phosphate, il empêche sa fixation. Ce médicament, l’imatinib (Glivec), révolutionne le traitement de la LMC. Depuis, d’autres médicaments sont apparus, en 2006 et 2007 : le dasatinib (Sprycel) des laboratoires Bristol-Myers Squibb, le nilotinib (Tasigna) des laboratoires Novartis et récemment le bosutinib (Bosulif) des laboratoires Pfizer ainsi que le ponatinib (Iclusig) des laboratoires Ariad. 89 GLOSSAIRE Acutisation : passage d’une maladie de l’état chronique à l’état aigu. Allogreffe de moelle osseuse : prélèvement de moelle osseuse d’un donneur et transplantation vers la moelle osseuse d’un receveur, le malade. Ce type de greffe nécessite une compatibilité tissulaire très étroite entre donneur et receveur. Anomalie génétique acquise : anomalie génétique survenue ou constatée après la naissance (par opposition à congénitale, transmise par les parents ou survenue au cours du développement intra-utérin). Caryotype : examen permettant de repérer les anomalies chromosomiques à partir d’un échantillon sanguin ou de moelle osseuse. Cellules souches : les cellules sont les plus petites entités vivantes de l’organisme qui constituent les tissus et organes du corps humain. Les cellules souches situées dans la moelle osseuse se multiplient, puis se spécialisent pour former l’ensemble des cellules et éléments du sang : globules blancs, globules rouges et plaquettes. Chimiothérapie : traitement à base de médicaments, extraits naturels de végétaux ou de synthèse. Ils bloquent la multiplication des cellules cancéreuses et entraînent leur destruction. Une chimiothérapie peut prendre différentes formes : médicaments avalés ou injectés, doses variables, durée et cycles de prises variables. Chromosome : support de l’information génétique présent dans toutes les cellules de l’organisme. Chromosome Philadelphie 1 ou Ph 1 : petit chromosome de la paire 22 ayant perdu la moitié de sa substance (délétion de son bras long) ou, le plus souvent, ayant échangé ce segment contre un autre appartenant au chromosome de la paire 9 (translocation entre les bras longs des chromosomes des paires 22 et 9). On l’observe dans les cellules de la lignée myéloïde de la moelle osseuse, au cours de la leucémie myéloïde chronique. Le chromosome Philadelphie est caractéristique de cette maladie. Cohorte : groupe d’individus constituant un type particulier d’échantillon statistique, utilisé notamment dans des études médicales. Cet échantillon consiste en une population choisie à un moment donné et possédant un caractère particulier (même âge, même pathologie, même traitement...) et suivie pendant un temps long, en général plusieurs années. Compliance : voir Observance. Dormance : phénomène caractérisé par la persistance de cellules leucémiques résiduelles pendant des périodes prolongées. Enzyme : protéines particulières qui permettent la réalisation d’un très grand nombre de réactions chimiques au sein de l’organisme. Étude (ou essai) multicentrique : essai clinique qui se déroule simultanément dans plusieurs lieux différents. Ce contexte permet l’étude d’un plus grand échantillon et limite les biais de sélection géographiques, climatiques ou ethniques. 90 Hématologiste : médecin spécialiste qui étudie le sang, les organes hématopoïétiques et leurs maladies. (Du grec héma, « sang » et logos, « étude de »). Hémato-oncologie : branche de la médecine consacrée à l’étude et au traitement des affections hématologiques et des cancers. (Du grec onkos, « masse, tumeur », et -logie, « étude de »). Hématopoïétique : adjectif, de hématopoïèse (mécanisme à l’origine de la création et du renouvellement des cellules sanguines). (Du grec héma, « sang » et poïèse, « action de faire, création»). Hémopathie : maladie du sang, qui touche les globules rouges, les leucocytes et les plaquettes. Imatinib : premier traitement d’un nouveau concept thérapeutique, les thérapies ciblées. Molécule dont la conformation bloque l’activité de l’enzyme : les cellules malades meurent car elles étaient devenues dépendantes de l’enzyme, ce qui permet à la moelle osseuse saine de reprendre son activité de fabrication de globules sains. Ainsi, seules les cellules malades sont tuées de façon spécifique. Mais les cellules souches « dormantes », malades de la moelle, ne sont pas sensibles au traitement, et celui-ci doit être donné en continu aux patients pour éviter une rechute de la LMC. Néanmoins, à lui seul, le traitement permet dans 80% des cas d’offrir aux patients une espérance de vie semblant identique à celle de la population générale. Nom : Glivec. Inhibiteur de tyrosine kinase : la tyrosine est l’un des 20 acides aminés participant à la synthèse des protéines. Les kinases sont des protéines essentielles à la régulation de la cellule. Le dysfonctionnement de certaines kinases est à l’origine de nombreux processus de cancérisation. Les inhibiteurs de tyrosine kinase (ou ITK) sont de nouveaux médicaments qui bloquent l’enzyme appelée « tyrosine kinase ». Les ITK utilisés dans le traitement de la LMC ciblent la tyrosine kinase « bcr-abl » et entraînent la mort des cellules leucémiques. ITK : voir « Inhibiteur de tyrosine kinase ». Interféron : protéines produites par les cellules du système immunitaire, en réponse à la présence d’agents pathogènes et de cellules tumorales. Elles sont utilisées dans le traitement de maladies virales et en cancérologie. Produit par les leucocytes (globules blancs), l’interféron alpha est employé dans le traitement de certaines leucémies. (Emprunté à l’anglais interferon, dérivé du verbe to interfere, « intervenir dans, influencer »). Interféron pégylé : interféron standard résultant d’une pégylation, c’est-à-dire auquel a été associé du polyéthylène glycol (PEG) pour le faire durer plus longtemps dans l’organisme. Lymphome : cancer du système lymphatique qui se développe aux dépens des lymphocytes. Il est caractérisé par des proliférations cellulaires malignes dans les organes lymphoïdes secondaires comme la rate, le foie, la moelle osseuse, les ganglions lymphatiques, le thymus ou les poumons. (Du latin lympha, « eau », suffixe -ome, « pathologie »). Maladie orpheline : l’appellation « orpheline » traduit l’abandon et le désintérêt dont sont l’objet des milliers de pathologies en matière de recherche, d’offres thérapeutiques, d’accès aux soins et aux prises en charge. Myélogramme : prélèvement et analyse des cellules de la moelle osseuse. Myéloïde : qui concerne la moelle osseuse ; de la nature de la moelle osseuse. (De myélo-, du grec muelos « moelle » et -oïde, du grec eïdo « forme, aspect »). 91 Observance : façon dont un patient suit les prescriptions médicales et coopère à son traitement. L’observance est un élément clé du succès d’une thérapie médicamenteuse. Si la prise rigoureuse des médicaments selon leur horaire établi n’est pas respectée, on parlera alors d’inobservance, une condition qui peut faire échouer le traitement médicamenteux et mettre en danger la santé d’un patient. Oncologie : spécialité médicale s’intéressant aux cancers. Un médecin qui pratique cette discipline est appelé oncologue (ou cancérologue). (Du grec onkos, « masse, tumeur », et -logie, « étude de »). Synonymes : carcinologie, cancérologie. PCR : abréviation de l’expression anglaise « Polymerase Chain Reaction » que l’on traduit en français par « Réaction en chaîne par polymérase ». C’est une méthode de laboratoire permettant d’amplifier les gènes pour pouvoir les quantifier. La PCR est un outil de diagnostic des LMC et un outil de contrôle pour le suivi de leur traitement. Per os : par voie buccale, relatif à l’administration d’un médicament. Prévalence : rapport du nombre de cas d’un trouble morbide à l’effectif total d’une population, sans distinction entre les cas nouveaux et les cas anciens, à un moment ou pendant une période donnés. Protéine BCR-ABL : la tyrosine kinase « BCR-ABL » est une protéine anormale issue du chromosome de Philadelphie qui provoque la production incontrôlée des globules blancs matures et immatures. Quiescence : phase durant laquelle la cellule arrête de se diviser et le développement cellulaire peut s’interrompre. (Du latin quiescens, de quiescere « se reposer, être tranquille »). Réponse cytogénétique complète (RCgC) : l’analyse cytogénétique ne trouve plus de cellules porteuses du chromosome Philadelphie dans le sang ou la moelle osseuse. Réponse hématologique complète (RHC) : la numération formule sanguine est de nouveau normale et les analyses sanguines montrent qu’il n’y a plus de globules blancs immatures. La taille de la rate, si elle avait augmenté, est à nouveau normale. Réponse moléculaire complète (RMC) : le test PCR ne détecte pas de gène BCR-ABL dans le sang. Réponse moléculaire majeure (RMM) : le test PCR peut encore détecter le gène BCR-ABL, mais à un niveau très faible. Splénomégalie : augmentation du volume de la rate, repérable par palpation. Thérapie ciblée : traitement ciblant spécifiquement la molécule anormale impliquée dans la maladie. Dans le cas de la LMC, il s’agit de la tyrosine kinase BCR-ABL. Les inhibiteurs de tyrosine kinase sont des thérapies ciblées. Translocation : dans le domaine de la génétique, la translocation de chromosomes est un échange de matériel chromosomique entre des chromosomes non homologues, c’est-à-dire n’appartenant pas à la même paire. 92 Remerciements Danielle C. - Sébastien M. - Brigitte M. - Yves L. Marie-Paule L. - Marino L. - Hélène L. - Anaïs B. Jérôme A. - Evelyne A. - Marguerite M. Jacques M. - Fati C. - Mina D. - Stéphane D. - Aurélie D. - Cyril D. - Nelly C. - Jean-Jacques S. - Joseph G. - Frédérique G. - Nicole G. - Jean-François G. - Jocelyne G. Julienne R. - Martial G. - Fanjamanara R. - Alain V. Marie-Bénédicte E. - André A. - Odette A. - Sylvette M. de L. - Catherine M. - Patrick R. - Cloé T. - Cathy T. - Louis V. - Séverine V. - Liliane B. - Serge R. - Kelly R. L. - Farid R. L. - Yves C. - Catherine D. - Josette T. - Angélique A. - Guälord G. - Guillaume de S. A. - Bernadette M. - Frédéric B. - Marina N. - Tounsia A. - André D. - Ghislaine Lasseron - Professeur François Guilhot - Docteur Aude Charbonnier Docteur Delphine Rea - Docteur Franck-Emmanuel Nicolini - Professeur François-Xavier Mahon Professeur Régis Costello - Professeur Philippe Rousselot - Professeur Mauricette Michallet - 93 © LMC France 2013 - Tous droits réservés www.lmc-france.fr contact@lmc-france.fr