Uploaded by Justin Lehoux

Module 5

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LES FONDEMENTS
DE L'ECOPOLITIQUE INTERNATIONALE
En novembre 1992, des scientifiques prestigieux signaient une déclaration solennelle avertissant
une fois de plus l’Humanité que l'homme et la nature se dirigeaient rapidement vers une collision
qui rendra impossible le maintien de la vie telle que nous la connaissons1. La déclaration citait
notamment l'appauvrissement de la couche d'ozone, la pollution de l'air et les pluies acides, la
demande croissante en eau, la surexploitation des pêcheries et la pollution des océans, la perte de
productivité des sols, la destruction des forêts et l'extinction des espèces. Ses signataires
appelaient les États à limiter leurs activités destructrices, à conserver les ressources, à stabiliser
leur croissance démographique, à éliminer la pauvreté et à accorder la pleine égalité aux femmes,
y compris le droit à la régulation des naissances. Ils soulignaient également le devoir des pays
développés d'aider les pays pauvres à faire face à ces défis. Enfin, pour faire bonne mesure, les
opérations militaires étaient aussi condamnées au nom des destructions qu'elles engendrent.
De tels appels, qui se multiplient face à l'inertie apparente, reflètent des préoccupations à la fois
disparates et profondes et soulignent certains aspects de la problématique de la protection
internationale de l’environnement qui seront abordés dans ce chapitre, tels que l’appel à la société
civile internationale, une définition particulière des problèmes ou le sentiment que les solutions
vont de soi, qu'elles se renforcent mutuellement et que leur réalisation ne dépend que d'un
manque de volonté politique. Mais la conviction que le salut réside essentiellement dans une prise
de conscience des individus qui, à leur tour, feront pression sur les autorités, présuppose un
accord sur la définition des problèmes et des solutions appropriées, ainsi qu'une configuration
particulière des rapports politiques nationaux et internationaux où existerait un lien quasi
automatique entre prise de conscience, mobilisation et résultats.
Il est en effet courant pour les chercheurs scientifiques — qu’ils soient biologistes, écologues,
géologues, climatologues, ou physiciens —, pour les économistes, les ingénieurs ou les
fonctionnaires des agences de développement de déplorer la « politisation » de la protection
internationale de l’environnement, c’est-à-dire, l'intrusion de considérations politiques dans ce
qui apparaît comme un problème de survie reposant sur des fondements scientifiques
incontestables. Lorsqu’on étudie certains problèmes, que l’on met en évidence des relations de
cause à effet claires qui ont un impact négatif direct sur l’intégrité des phénomènes naturels ou du
bien-être humain auquel on est attaché, et que l'on a identifié les solutions possibles et les
ressources nécessaires, il est difficile de concevoir pourquoi ces solutions ne pourraient être
mises en œuvre. « Nous avons observé, diront les écologues, comment les écosystèmes se
dégradent et nous connaissons l'importance de certaines espèces clefs. » « Nous avons mis en
évidence, diront les chimistes, les liens entre la consommation d’hydrocarbures chlorofluorés
(CFC ou chlorofluorocarbones) et la dégradation de la couche d’ozone. » « Nous savons, diront
1
. Union of Concerned Scientists, 18 novembre 1992.
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les biologistes, que la diversité biologique est reliée à la stabilité des écosystèmes et à la capacité
future de l'humanité de s'adapter aux fluctuations naturelles. » « Nous connaissons, diront les
climatologues, les conséquences de l'accroissement du taux de gaz carbonique et de méthane dans
l'atmosphère. » Mais la dégradation de l'environnement résulte d'activités économiques et
sociales. Au niveau international, ces processus sont intimement liés aux relations diplomatiques
et économiques, et à la formation et à la mise en œuvre des politiques nationales dans des
domaines divers. La « politisation » est légitime et inhérente au domaine, comme l’illustrent les
huit principes suivants.
I- Les problèmes d’environnement reflètent des préoccupations scientifiques mais aussi une
certaine hiérarchie de valeurs. On choisit une direction et non une décision optimale.
L'urgence scientifique est généralement moins importante que l'urgence sociale ou morale. La
déclaration des chercheurs scientifiques de 1992, mentionnée ci-dessus, se fonde sur le constat
que l'évolution de notre civilisation met en danger les systèmes biologiques sur lesquels repose
notre survie. Mais au delà des rares cas qui mettent les sociétés en péril et qui imposent des
solutions claires, la notion de problème d'environnement relève du domaine du choix. Un
problème d’environnement n’existe qu’à travers son impact sur certains acteurs, la façon dont ils
le perçoivent et son inscription à l’ordre du jour politique (voir chapitre 3). Qui, alors, imposera
ses critères selon lesquels l'environnement est considéré comme sain, agréable ou désirable?
Dans le cas contraire, quelles valeurs serviront à définir les problèmes et les solutions adéquates?
Tableau 1.1
Les problèmes d'environnement prioritaires selon l'origine géographique des chercheurs
(en 1995-1996)
USA-CanadaPacifique-Europe
du Nord
Interactions
Démographie Pénurie des
ressources
Changements
climatiques
Pollution et
pénurie d'eau
Europe du Sud
Europe de l'Est
Asie du Sud et
Afrique
Pollution et
pénurie d'eau,
Dégradation
des sols
Changements
climatiques
Interactions
Démographie
Pauvreté
Atmosphère
(changements
climatiques,
ozone)
Interactions
démographie
Pauvreté
Pollution et
pénurie d'eau
Interactions
Démographie
Pénurie des
ressources pauvreté
Changements
climatiques
Pollution et
pénurie d'eau
Problèmes
urbains
Risques
industriels et
nucléaires
France
Risques
industriels et
nucléaires
Source: d'après Courtet, Theys et Volatier (1998)
Cette définition repose sur des facteurs géographiques, démographiques, historiques, culturels,
religieux, scientifiques, économiques et politiques. L’impact de ces paramètres se manifeste au
3
sein de la communauté scientifique. Par exemple, une enquête effectuée en 1995 et 1996 auprès
de 1030 chercheurs scientifiques (de toutes disciplines) travaillant sur l'environnement, a montré
que l'origine géographique, plus que l'appartenance disciplinaire, l’âge ou les responsabilités des
répondants expliquait l'accent différent mis sur la nature des problèmes d'environnement
considéré comme prioritaire (tableau 1.1). Ces variations reflètent à la fois la nature des
problèmes d'une région donnée (par exemple, la dégradation des terres agricoles), l'impact de
développements récents (l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl) et des différences
culturelles. Les enquêteurs ont aussi noté des différences entre la vision que les répondants
extérieurs peuvent avoir des problèmes d'une zone donnée et celle qu'ont les répondants de cette
même zone.
Une enquête plus récente auprès de spécialistes de l'environnement montre encore plus
clairement ces différences régionales dans les priorités accordées à divers problèmes
d'environnement (tableau 1.2). Les répondants des pays en développement ont tendance à
privilégier la dégradation des écosystèmes (désertification, déboisement, perte de biodiversité),
les pollutions et la pauvreté alors que ceux des pays développés insistent sur les changements
climatiques, les pénuries (en eau et en aliments) et la dégradation des écosystèmes, avec des
variations régionales significatives, notamment en Europe.
Rarement donné, l'« environnement » est construit (Lascoumes, 1994). Il renvoie à différentes
notions et priorités selon que l'on vit en Amérique du Nord ou en Europe, selon que l'on est issu
d’une culture occidentale ou orientale, selon que l'on est pauvre ou riche. En France, par
exemple, l'environnement, c’est avant tout les nuisances et les paysages, le bâti et la nature
domestiquée. Aux États-Unis, en revanche, l'environnement fait essentiellement référence à la
protection des grands espaces naturels et la pollution de l'air et de l'eau. Ces deux perspectives
renvoient à des conceptualisations différentes de l'interaction Homme-Nature (Whiteside, 2002).
Par ailleurs, la capacité d’absorption d’un écosystème dépend non seulement des caractéristiques
des puits naturels (air, eau, sol), mais encore du niveau de pollution que la société est prête à
accepter. De même, le rapport au risque diffère non seulement selon les cultures et les valeurs
dominantes, mais aussi selon la capacité des individus ou des sociétés de s'en soustraire et de se
projeter dans l'avenir (voir à ce sujet Peretti-Watel, 2001 et Beck, 2001)2. Sur le plan interne,
chaque société, en fonction de ses propres valeurs et priorités, détermine les coûts économiques
et sociaux des mesures de prévention ou de réhabilitation envisagées par rapport aux coûts futurs
d’une dégradation de l’environnement. Sur le plan international, les solutions prônées par chaque
acteur reflètent souvent une tendance à l’universalisation d’une culture politique, de traditions
administratives ou d’une expérience nationale.
. L’objectif de la Convention-cadre sur les changements climatiques «est de stabiliser…les concentrations de gaz à
effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système
climatique» (Article 2). La détermination de ce qui constitue un tel danger est naturellement sujette à interprétation.
Le troisième rapport de synthèse du GIEC (2001) en est bien conscient et souligne que «cette définition est un
jugement subjectif établi à partir de processus socio-politiques et qui prend en compte des facteurs tels que le
développement, l’équité et la durabilité, ainsi que les incertitudes et les risques.»
2
4
Tableau 1.2
Les principales préoccupations environnementales
des professionnels de l'environnement*, par région, 2003
R
a
n
g
1
Japon
USA &
Canada
Europe
(Ouest)
Europe (Est)
Asie
Amérique
latine
Changements
climatiques
Changements
climatiques;
Changements
climatiques
Modes de
consommation,
déchets
Dégradation
des
écosystèmes
terrestres
Pollutions (air,
eau, mers);
Dégradation
des
écosystèmes
terrestres
Population,
pauvreté,
statut de la
femme
Pollutions (air,
eau, mers)
Pollutions
(air, eau,
mers)
Pénuries
Problèmes
généraux
Pénuries
2
Dégradation
des
écosystèmes
terrestres
3
Pénuries
R
a
n
g
1
Population,
pauvreté,
statut de la
femme
Afrique
Océanie
Proche Orient
Pénuries
Régions
Développées
Régions en
développement
Dégradation des
écosystèmes
terrestres
Dégradation des
écosystèmes
terrestres
Pollutions (air,
eau, oceans)
Changements
climatiques
Dégradation
des
écosystèmes
terrestres
2
Population,
pauvreté, statut de
la femme
Pollutions (air, eau,
mers)
Pénuries
Pénuries ;
Dégradation des
écosystèmes
terrestres
Pollution (air,
eau, mers)
3
Pénuries
Population,
pauvreté, statut de
la femme
Dégradation
des
écosystèmes
terrestres
Population,
pauvreté, statut
de la femme
*Gouvernements, ONG, universités, entreprises
Source: d'après Asahi Glass Foundation, 2003
Cette imbrication des dimensions internes et externes de l’écopolitique, qui résulte non seulement
des impacts des problèmes et des solutions sur les intérêts nationaux et les préoccupations
internationales, mais aussi de l’expérience historique et des valeurs politiques, économiques,
sociales et culturelles nationales, ajoute à la complexité de l'analyse et de l'action politiques. Les
politiques nationales et l’action internationale d’un État en faveur de la protection de
l’environnement ont aussi des ressorts identitaires et idéologiques. Les oppositions entre États ne
se résument pas toujours à des conflits d’intérêts.
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II- La définition des problèmes d’environnement et les solutions choisies entraînent une certaine
distribution des coûts et des avantages : certains acteurs gagnent, d’autres perdent.
Interrogez un biologiste, il répondra que les problèmes d'environnement sont ceux liés à la
dégradation des écosystèmes, à la modification des cycles fondamentaux — cycles de l’azote ou
de l’eau par exemple — ou à la croissance démographique ; un géographe raisonnera en termes
d'occupation de l’espace territorial ; pour un sociologue, les problèmes d’environnement sont des
problèmes sociaux car leur définition et leur solution reflètent et peuvent geler les inégalités
(Stretton, 1976). D’autres penseront qu’ils sont le produit de certains rapports de force politiques
ou économiques qu’il faut changer ; d’autres encore raisonneront en termes moraux et remettront
en cause la civilisation occidentale et la revendication moderne de la prééminence d’« homo
sapiens sapiens » sur la nature, que symbolise le terme même d’« environnement ».
Le jeu politique vise à imposer sa propre définition du problème, car celle-ci comporte souvent
des solutions en conformité avec des valeurs et intérêts particuliers. Par exemple, face à la
question du déboisement, les pays industrialisés du Nord insisteront sur la perte de biodiversité
alors que les pays en développement du Sud souligneront la surexploitation des forêts au delà des
capacités régénératrices, ou le développement socioéconomique des populations locales
adjacentes. De cette définition dépend également le choix du lieu de négociation. Selon que la
perte de biodiversité est conçue comme un problème lié à la production agricole, à la protection
de l'environnement ou au commerce international, elle sera débattue dans divers forums où les
rapports de force entre acteurs diffèrent et qui encadreront les solutions choisies. Enfin, la
définition du problème entraîne celle des acteurs parties prenantes — responsables, victimes;
intervenants légitimes. Elle structure donc la dynamique du jeu politique qui en résultera. Dans le
cas des négociations sur les pluies acides en Europe et en Amérique du Nord, l’opposition entre
les États en amont et en aval de la pollution empêcha la formation d’un consensus. Les deux États
en amont, le Royaume-Uni et les États-Unis, adoptèrent un comportement similaire dans deux
régions et deux contextes politiques et juridiques différents. Quand le comité de
l’Environnement, de la Santé publique et de la Protection des consommateurs du parlement
européen tint des auditions publiques sur les pluies acides en 1983, le débat ne tourna pas autour
de la nécessité ou non de réduire les émissions polluantes, mais sur les méthodes à employer et
sur les responsabilités financières (Park, 1987).
Les débats actuels entourant la possible extension aux pays en développement (PED) des
engagements contenus dans le protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre
(Najam, Huq et Sokona, 2003)  extension que d'aucuns rejettent catégoriquement  reflètent
largement ceux qui avaient caractérisé la négociation de la Convention en 1991 (v. Lunde, 1991).
L’intensité des conflits sur les remèdes possibles reflète des perceptions différentes de l’impact
des solutions proposées. Une première option serait d'adopter une base d'allocation des droits
d'émission de CO2-eq selon le poids démographique de chaque pays, à partir d'un maximum
établi pour tout le globe. Ceci entraînerait soit des réductions dramatiques dans certains pays du
Nord, soit des transferts massifs de ressources vers le Sud. Une deuxième option, proposée par le
Brésil, modulerait les cibles de réductions en fonction de la contribution historique des pays au
réchauffement de l'atmosphère, ce qui, bien entendu, est inacceptable aux yeux des pays
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industrialisés. À l'inverse, une troisième option appliquerait les critères de 1990 aux engagements
futurs des PED, en allouant ces droits d'émission sur la base des émissions actuelles, ce qui
récompenserait les grands pays pollueurs d'aujourd'hui au détriment de ceux de demain. D'autres
options, faisant appel au revenu national brut (RNB) absolu ou relatif comme base d'allocation,
seraient également inacceptables aux yeux de certains pays.
Les conflits qu’engendrent les solutions proposées aux nombreux problèmes d’environnement
proviennent donc des inégalités qu’elles reflètent ou qu’elles pourraient créer. En d'autres termes,
elles soulèvent des questions de justice distributive : comment le fardeau devrait-il être réparti ?
Qui devrait profiter de ces mesures ? Les désaccords pratiques sont rarement de simples conflits
entre, par exemple, partisans de la croissance économique et partisans de politiques de
conservation, entre les chasseurs de phoques des îles de la Madeleine du Québec et Brigitte
Bardot. Ils portent plutôt sur : quelles ressources exploiter ? Qui devrait les exploiter ? Que
produire ? Comment payer ? De nombreuses solutions proposées par les écologistes gèleraient ou
augmenteraient les inégalités locales, nationales ou internationales.
Cette dimension que nous retrouverons dans l’analyse des fondements de la coopération
internationale (voir chapitre 10) assume une forme politique (l’impact des solutions proposées
sur la distribution du pouvoir entre les individus, les groupes, les firmes ou les États) et
économique (l’impact sur la répartition des richesses). Elle est au cœur des négociations
internationales sur l'exploitation des ressources génétiques. Le principe d'équité, notamment
économique, est un élément central de l'écopolitique internationale dont on méconnaît souvent la
prévalence et la nature. L’objet principal de la politique dans les pays africains, par exemple,
selon Bayart (1983), serait moins la distribution de la puissance et le contrôle du pouvoir comme
en Occident que la distribution des richesses. Ceci aura donc différentes implications pour
l'élaboration et la mise en œuvre des politiques environnementales en Europe et en Afrique.
La difficulté ne réside donc pas nécessairement dans l'identification d’une solution avantageuse
pour tous, mais dans l’élaboration d'une distribution des gains qui n’augmente pas les inégalités
ou les insécurités. Des adversaires ou concurrents potentiels accorderont ainsi bien plus
d'importance aux gains relatifs, qu'aux gains absolus. Dans ce contexte, il ne s’agit pas de savoir
si un pays gagne ou non à signer un accord de coopération, mais combien il gagne ou perd par
rapport aux autres pays (voir chapitre 10).
III. Les problèmes d’environnement entraînent des conflits qui sont à la fois inévitables et
normaux
Ces conflits sont multiformes et porteront sur l’identification des problèmes et des solutions,
aussi bien que sur l’utilisation des ressources. Ils opposeront pollueurs et victimes de pollutions,
intérêts nationaux et intérêts régionaux ou mondiaux, pays riches et pays pauvres, puissants et
faibles. Au Sénégal, les Mourides ont exercé avec succès de fortes pressions politiques en faveur
du déboisement et de la mise en culture d’arachides — base de leur pouvoir — d’une partie de la
forêt classée de Khelcom. Dans ce conflit avec les sylvo-pastoralistes Peuls, le poids politique
des Marabouts leur a permis d’imposer la solution qui les avantageait. En Tanzanie et au Kenya,
l'exclusion des populations locales de l'accès aux produits de la nature par la puissance coloniale
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(à travers des droits de chasse à l'avantage des blancs ou la création de parcs naturels et de
réserves de gibier) a provoqué l’opposition de ces populations aux efforts de protection de la
nature (Western, 2002).
Ces conflits sont inévitables et normaux. Les préoccupations environnementales remettent en
question des choix de société antérieurs ou la notion même de développement, fondement de la
construction nationale de nombreux États récents. Elles soulèvent aussi des conflits de juridiction
entre unités administratives ou entre administrations nationales et agents d'exécution de projets.
Au niveau international, des conflits apparaissent parmi les organisations internationales, les
organisations non gouvernementales et les États, et entre tous ces acteurs. Les conflits
accompagnent aussi les solutions envisagées puisque celles-ci influencent la distribution des
valeurs, du pouvoir ou de la richesse. Ces antagonismes sont d’autant plus inévitables que les
résultats à long terme de toute politique sont difficiles à prévoir et que ces actions visent à la fois
à prévenir et à remédier les dommages envers l’environnement.
La question importante devient donc comment gérer ces conflits, tant au niveau national
qu’international (Guimarães, 1992). Les critères de succès ou d’efficacité, et les réglementations,
seront donc négociés. Par exemple, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur
l'évolution du climat (GIEC), diffusé en 1996, ne fait aucune recommandation quant au caractère
plus ou moins « dangereux » des niveaux de pollution pour les sociétés humaines, car cette
détermination ne peut se faire qu’à travers un processus de négociation dans le cadre de la
Convention sur les changements climatiques, et entre les parties potentiellement affectées —
pollueurs, victimes, gouvernements, etc. Le groupe lui-même est une tentative de forger un
consensus scientifique international, objectif autant politique que scientifique.
IV. Dans les pays en développement, les questions d’environnement et leurs solutions remettent
directement en question les arrangements politiques existants au sein d'États souvent faibles.
Contrairement à certaines idées reçues, la plupart des États en développement sont faibles. Bien
que cette situation se retrouve aussi dans les pays du Nord — comme les États-Unis — et dans
les économies de transition — comme la Russie — elle est bien plus fréquente dans l’ancien
« tiers monde », particulièrement en Afrique où l’environnement ne peut être dissocié de la
consolidation du pouvoir d’État. Par conséquent, il devient un autre instrument de restructuration
des rapports de pouvoir sur la scène intérieure aussi bien qu’internationale3, comme l’illustrent
les controverses sur les liens entre stratégies de développement et protection de l’environnement.
Dans les années soixante, les critiques des stratégies de développement conventionnelles
soutenaient que l’aide au développement, loin de viser des objectifs humanitaires ou de justice,
. Dans les années soixante-dix, les éleveurs Massaïs du Kenya considéraient que la législation visant la protection de
la faune sauvage signifiait, de facto, la perte de leurs droits traditionnels au profit du gouvernement, c’est-à-dire une
véritable expropriation (Western, 2002). À travers la création d'une réserve naturelle, la faune sauvage devient le
«bétail du gouvernement» contre lequel ces éleveurs ne peuvent obtenir réparation pour les déprédations qu'il peut
causer. Cette dimension assume encore plus d'importance quand le gouvernement est contrôlé par une ethnie rivale
(les Kikouyous dans ce cas précis) qui, aux yeux des Massaïs, utiliseraient l'environnement afin d’asseoir leur
domination politique et économique.
3
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reflétait les intérêts de politique étrangère des bailleurs de fonds, qu’elle avait tendance à
renforcer le pouvoir des élites locales et la hiérarchie sociale en place, qu’elle perpétuait la
dépendance de ces économies envers celles des pays plus riches et qu’elle se caractérisait par une
bureaucratie davantage soucieuse de maintenir un certain rythme de décaissement et de
promouvoir des carrières individuelles que de soutenir des projets qui aideraient vraiment les plus
pauvres.
Ces critiques proposèrent alors une autre stratégie vouée à un développement fondé sur la
participation des individus aux décisions économiques qui les affectent, sur l’autonomie des
groupes et des individus et sur la justice sociale (voir van Wicklin, 1990). C’est moins la
distribution des bénéfices que le fait de donner les moyens aux populations de se prendre en main
qui importerait. Ils plaident en faveur d’un renforcement des ONG qui devraient être les
principaux véhicules de l’aide car elles seraient mieux adaptées aux objectifs du développement,
libres de contraintes politiques, mieux disposées face à cette approche non orthodoxe du
développement économique, plus souples, plus proches des populations locales et plus
efficientes. Ces critiques forment encore la base de la contestation des politiques
d’environnement des agences de développement (voir chapitre 9). Les préoccupations liées à
l’environnement n'auraient été qu'un moyen d’imposer de nouveaux objectifs politiques aux États
et aux organismes de développement internationaux.
Dans bien des pays, l’environnement est donc le lieu d’expression des conflits entre la société et
l’État. La protection de l’environnement n’est pas seulement une fin en soi; elle est aussi un
moyen d’atteindre d'autres objectifs, tels que la démocratisation de la vie politique ou la
décentralisation du pouvoir. L’État faible utilisera l’environnement afin de promouvoir la
modernisation de l’économie et l’unité nationale face à une société civile qui s’en servira, elle,
comme moyen de création d'une sphère politique autonome. L'environnement peut donc être la
victime tout autant que le bénéficiaire de ce processus de « revanche » de l'État ou de la société
civile, pour reprendre l'expression de Bayart (1983).
La colère des Ogonis du Nigeria et l'exécution de l'écrivain et militant politique Ken Saro-Wiwa
en novembre 1995 illustrent la fonction politique que peuvent jouer les appels à la protection de
l’environnement. Dans leur lutte contre le pouvoir central en faveur d’une plus grande autonomie
politique et d'une répartition plus équitable des richesses issues de l’exploitation pétrolière de la
région, les Ogonis (environ 500 000 personnes sur une population totale de 100 millions) ont
avancé des arguments liés à la défense de l’environnement et des droits fondamentaux, ce qui
facilita la mobilisation internationale d’organisations environnementales et de défense des droits
de la personne. De même, un mouvement clandestin de lutte contre le déboisement et la
malnutrition apparut en Haïti au début des années quatre-vingt-dix, principalement dans une
optique de résistance au régime militaire (Green, 1994). Puisque les disputes liées ostensiblement
à l’environnement masquent souvent des enjeux plus profonds, le conflit persistera même lorsque
le problème initial aura disparu. Par exemple, la controverse autour de la protection de la chouette
tachetée (strix occidentalis) des forêts humides de la côte ouest des États-Unis a moins tourné
autour de cet oiseau que des pratiques de l’industrie forestière en général. Un « problème »
d’environnement est rarement un simple problème d’environnement.
9
V. Les implications scientifiques, politiques, financières, économiques et sociales des
engagements environnementaux sont obscures, ce qui incline à la prudence.
Les travaux scientifiques s’interrogent toujours sur l’influence relative des politiques publiques
d’une part, et des variations naturelles d’autre part, sur la fluctuation des espèces, en dehors des
cas clairs de destruction systématique par la chasse, la pêche, ou l’élimination des habitats. Les
controverses sur les changements climatiques ont en partie reposé sur l’impact relatif des
influences naturelles et anthropiques sur le réchauffement de l’atmosphère. Il est difficile de voir
où l'on s'engage lorsqu'on adopte des objectifs de protection de l'environnement. Les mesures
prises auront toujours des conséquences inattendues. Entre 1976 et 1985, par exemple, les
gouvernements européens souscrirent fréquemment à des directives de la Commission
européenne qui, par la suite, entraînèrent des coûts qui dépassaient le cadre de ce qui avait été
initialement négocié. L’accroissement des connaissances relatives à un problème donné et les
mesures prises pour y faire face entraîneront de nouveaux conflits sur des questions annexes très
sensibles (Caldwell, 1988).
« Gouverner, c'est choisir », disait le duc de Lévis ; ce choix n'est jamais simple. Le plus souvent,
le décideur fait face à un dilemme ; il lui faut choisir entre deux — ou de multiples — possibilités
qui ont toutes des inconvénients. Une politique de conservation des sols peut passer par le
transfert de larges populations qui coloniseront une région lointaine, provoquant une déboisement
massif, comme en Indonésie ; ou bien, les éleveurs d’Asie et d’Afrique peuvent être forcés de
quitter leurs terres traditionnelles au nom de la protection des ressources naturelles, ce qui
soulève de nouvelles questions relatives aux droits des populations locales. Ce fut le cas des
Gujaris de la forêt de Van, aux pieds de l’Himalaya, accusés de détruire la forêt et la vie sauvage
du parc national du Rajaji (État indien de l’Uttar Pradesh), désigné futur sanctuaire pour
éléphants4.
Les effets pervers font partie intégrante de l'action politique. Les bonnes intentions peuvent se
retourner contre soi. Par exemple, une partie des bénéfices espérés de la limitation des émissions
d’anhydride sulfureux (SO2) pour lutter contre les pluies acides peuvent être perdus à cause
d'efforts parallèles de protection de l’atmosphère visant à réduire les poussières alcalines qui les
neutralisent. La convention de Bâle, qui réglemente l’exportation de déchets dangereux, prévoit
de limiter l’exportation de déchets destinés au recyclage vers les pays en développement (PED) si
ceux-ci ne peuvent se conformer aux critères de traitement des pays riches. Ces restrictions
forceront les PED soit à accroître leurs activités d’extraction au prix d’un coût environnemental
certain, soit à importer l’aluminium, le papier, l’acier ou le plomb dont ils ont besoin à un coût
supplémentaire qui peut entraver leur croissance ou leur capacité d’investissement dans le
développement durable5.
Les effets pervers — surtout dans le sens de surprises négatives — et les contradictions — dans
le sens de relations inverses — caractérisent donc l'action politique en général, et
4
. India News Network Digest, vol. 2, no 302, 23 juillet 1994.
. The Economist, 2 september 1995, p. 61. Il s’agit, ici, de souligner la présence d’effets pervers et de contradictions,
et non de nier la nécessité de réglementer les exportations de déchets dangereux.
5
10
particulièrement la politique de l’environnement. Cet aspect demeure essentiel pour la
compréhension du jeu politique national et international et souligne les difficultés d'élaboration et
de mise en œuvre de politiques qui font l’objet d’un assentiment général, lorsque le contexte de la
définition du problème et de solutions change. On comprend mieux le mot de l'ancien président
du Conseil, Henri Queuille, qui, érigeant la prudence — ou inertie — en vertu politique,
s’exclamait qu’« il n’est pas de problème qu’une absence de décision ne finisse à la longue par
résoudre ».
Toute politique environnementale doit fournir les moyens de gérer des dilemmes multiples et de
se protéger contre des effets pervers à la fois inévitables et imprévisibles. Une bonne politique est
celle qui élargit les options futures. La réussite d’une politique s’articule autant autour de sa
contribution au développement de capacités d’adaptation et de résilience — afin de pouvoir faire
face aux incertitudes à venir — qu’autour de la réduction immédiate des impacts négatifs des
activités humaines sur l’environnement.
VI. Le consensus sur la définition du problème importe davantage que l'adoption d'une politique
« idéale ».
Puisque les incertitudes scientifiques sont grandes, que les impacts engendrent des inégalités, que
différentes valeurs sont en jeu et que, par conséquent, les conflits sont inévitables, la réussite de
toute politique environnementale dépend du degré de consensus sur laquelle elle repose. Cette
recherche du consensus appelle des compromis et des solutions partielles aux problèmes. Son
absence risque de mener au non-respect des mesures décidées, à des tentatives de sabotage des
politiques par les groupes qui y sont opposés, voire à une dérive autoritaire6.
Ce consensus doit dépasser la communauté scientifique. Comme l’a montré Zehr (1994), même
lorsque les scientifiques sont largement en accord sur la nature du problème, des incertitudes
peuvent naître dans l’esprit des législateurs au moment de la communication de leur message.
Ces incertitudes suffisent à justifier des positions opposées, au nom même de la science.
Paradoxalement, l’appel à la science peut donc avoir pour effet de polariser ou de prolonger le
débat politique au lieu de le conclure. Ce n’est donc pas la science en elle-même qui pourra régler
des questions très controversées car, dans ce contexte, elle possède une fonction essentiellement
instrumentale : elle sert à justifier des préférences politiques existantes.
Touchant le développement durable, deux consensus sont importants : un consensus national et
un consensus parmi les acteurs externes. Par exemple, les plans nationaux d'action pour
l'environnement doivent, pour réussir, à la fois forger et reposer sur un consensus interne sur les
buts visés et refléter un accord parmi les bailleurs de fonds quant à leur nécessité et leurs
caractéristiques. Consciente de l'importance de cette dimension, la Banque mondiale est de plus
en plus engagée dans la coordination des priorités et la réconciliation des intérêts et des
perspectives diverses. Elle joue un rôle d'impulsion et de médiation au niveau national et tente de
coordonner l’action des diverses agences de développement. Elle a aussi insisté sur le
6
. Sur ce dernier aspect, voir l'argument de Luc Ferry (1992). Pour une mise en perspective, voir Whiteside (2002).
11
« consensus » de Rio, renforcé par le Sommet de Johannesburg de 2002, qui accorde la priorité à
la lutte contre la pauvreté.
Lors des négociations internationales, rien ne peut se faire sans consensus puisque, par définition,
chaque État est maître chez lui et que les mesures acceptées sont appliquées par les États. De
plus, le consensus est la règle de fonctionnement de la plupart des forums où se traitent les
questions d'environnement. Ce n’est donc pas la meilleure solution qui sera retenue, mais celle
qui est à la fois acceptable et faisable. Ces principes d’acceptabilité et de faisabilité forment deux
conditions centrales d’une gestion réussie des changements à l’échelle mondiale.
VII. Les connaissances scientifiques ne peuvent dicter les choix. De plus, leur accroissement peut
faciliter ou compliquer la poursuite d’un consensus.
Cette proposition dérive de la précédente. En dehors de la mise à l'ordre du jour (voir chapitres 3
et 10), le savoir scientifique a rarement joué le rôle central dans les politiques de protection de
l'environnement qu'on lui prête généralement, même si les questions d’environnement sont très
largement couchées en termes scientifiques7. Le recours à des arguments apparemment
scientifiques ne signifie pas que la connaissance scientifique ait régi la définition du problème et
le choix des solutions proposées. Il existe une grande distance entre, d’une part, définitions et
solutions scientifiques et, d’autre part, définitions et solutions politiques. Même si les incertitudes
scientifiques étaient négligeables, sociétés et États ne seraient pas prêts à déléguer aux
scientifiques le soin d'effectuer les choix politiques.
Le rôle important joué par la science dans les négociations sur la couche d’ozone apparaît comme
une exception. Mais si des travaux théoriques avaient suggéré, dès 1977, la possibilité que les
CFC puissent engendrer un amincissement de la couche d'ozone, la Convention de Vienne de
1985 fut négociée avant la découverte soudaine de son amincissement dans les régions polaires
de l’hémisphère Sud, et les négociateurs du Protocole de Montréal (1987) décidèrent de l'ignorer.
Les premières données indiquant une diminution de l'ozone à l'échelle mondiale sont postérieures
au Protocole. Toutefois, ces données contribuèrent à mobiliser les publics et à convaincre des
gouvernements, auparavant hésitants, d’y prêter attention. De plus, les études subséquentes sur
les effets délétères de certains gaz stimulèrent le renforcement de la Convention de Vienne et du
Protocole de Montréal. En règle générale, cependant, l’influence des chercheurs scientifiques
diminua à mesure que la question se politisait (Parson, 2003)8.
En relations internationales, avant d’avoir un contenu, la connaissance a une origine que l’on
soupçonne de masquer des intérêts. Lors des négociations de la Convention de Barcelone sur la
protection de la Méditerranée, les PED respectaient l’impartialité du Programme des Nations
unies pour l’environnement (PNUE) et acceptaient généralement sa documentation. La même
7
. Une illustration courante de cette foi dans le pouvoir des connaissances est la conviction, que partagent les
organisations intergouvernementales et non gouvernementales (OIG et ONG), qu'il suffit de transmettre des
connaissances ou de faciliter l'accès aux connaissances, pour engendrer un changement de comportements. Cette
conviction est un élément essentiel de l'idéologie démocratique libérale, reprise par les OIG, qui insiste sur le pouvoir
de l'éducation.
8
. Pour une plus ample discussion, voir le chapitre 10.
12
information scientifique soumise par la France eût été suspecte. Les États africains craignaient
que les activités scientifiques internationales près de leurs côtes n'affaiblissent leur droit de
recours contre les navires pollueurs et ne remissent en question leur souveraineté sur le plateau
continental. Certains soupçonnaient même que le programme de la Commission océanographique
internationale de l’Unesco n’était qu’un moyen détourné pour les États-Unis et l’Union
soviétique d’acquérir des données sur les fonds marins afin d’y dissimuler des sous-marins (P.
Haas, 1990).
Dans le cas de la couche d’ozone, le premier ministre de Grande-Bretagne, Margaret Thatcher,
qui soupçonnait la Commission des Nations unies sur l’évolution de la couche d’ozone de
partialité en faveur des intérêts américains, préféra créer une commission scientifique britannique
spéciale — le groupe de recherche sur l’ozone stratosphérique — chargée d'évaluer les données
scientifiques. Ce n’est qu’après que celui-ci eut publié, en 1988, un rapport soutenant les
conclusions de la Commission internationale que le premier ministre appela à une mobilisation
internationale en faveur de la protection de l’atmosphère (Brown, 1995).
On a souvent vu diverger les experts scientifiques et les organisations vouées à la conservation
des ressources naturelles. Les uns hésitent à affirmer des certitudes et insistent sur ce qu'ils
ignorent, les autres s’appesantissent sur ce qu’ils craignent. Les uns soutiennent une gestion
rationnelle des populations, les autres mettent l’accent sur la conservation absolue de chaque
individu : bébés phoques (ou « blanchons »), éléphants, baleines. La solution scientifique peut
donc s'avérer insuffisante aux yeux de l'opinion publique puisque la protection de
l'environnement possède aussi un ressort moral. En 1912 déjà, lors du débat sur la ratification du
Traité multilatéral sur les phoques du Pacifique nord — signé par les États-Unis, la GrandeBretagne (pour le Canada), le Japon et la Russie — le Congrès américain, sous la pression des
mouvements de protection de la nature, alla bien au-delà des termes du traité et des solutions
préconisées par les experts scientifiques. Il interdit toute chasse aux phoques pendant cinq ans
dans le Pacifique nord, alors que l’accord initial ne prohibait que la chasse en mer et réglementait
la gestion scientifique des troupeaux (Dorsey, 1998).
On suppose souvent que la connaissance facilite les choix; que plus les connaissances
scientifiques seront étendues et mieux on connaîtra les mécanismes de dégradation de
l'environnement, plus aisée sera la formulation de politiques éclairées, bénéficiant d’un consensus
large et de grandes chances de réussite. Distinguons, toutefois, entre le désir de préserver ou de
maximiser l’intégrité des systèmes biologiques, géophysiques ou sociaux, d’une part, et favoriser
un consensus, donc un progrès vers une plus grande prise en compte des paramètres
environnementaux dans les accords internationaux, d’autre part.
L’accroissement des connaissances ne réduit pas automatiquement l’incertitude qu'affrontent les
décideurs; car il complique le processus de coopération et soulève de nouvelles questions. Des
connaissances nouvelles peuvent parfois aider à surmonter les blocages, mais faire dépendre la
décision politique d'un accroissement des connaissances sert aussi à repousser le moment de la
décision. À mesure que l'on perce l'un des mystères de la dynamique des climats, d’autres
surgissent. À cet égard, Princen (1994, p. 42) cite cette réflexion de l’économiste Perrings (1991,
p. 153-166) :
13
L’incertitude sur les implications à long terme des activités
économiques actuelles augmente à mesure que s’accroît notre
connaissance du système global. Combiné à l’incertitude engendrée
par le développement rapide des technologies d’exploitation des
ressources, ceci suggère que l’augmentation de l’information ne
donne pas une information plus complète. Les problèmes
qu’affrontent les décideurs ne deviennent pas plus faciles à
résoudre. Non seulement la perception des dimensions et de la
gravité des impacts possibles de l’activité économique s’élargit-elle,
mais leur période de gestation également.
Les connaissances scientifiques peuvent parfois présenter un obstacle à la résolution politique des
conflits environnementaux. Si l’origine et la circulation des polluants sont bien connues, la
volonté de toutes les parties concernées d'accepter une part des coûts de leur contrôle peut
s’amenuiser. Pourquoi, par exemple, les victimes devraient elles payer?
Le protocole de Montréal de 1987 a montré qu’un accord préventif était possible, même en
l'absence d'observations empiriques précises. L’incertitude scientifique peut même jouer en
faveur de la coopération. Ce n’est qu’après des études systématiques que l’on s’aperçut que la
Méditerranée n’était pas si moribonde qu'on le pensait au début des années soixante-dix. Les
négociations étaient cependant déjà bien lancées. Peter Haas (1990, p. 70) rapporte que les
fonctionnaires du PNUE, sachant bien que les courants n’étaient pas capables de transporter les
polluants de l’autre côté du bassin méditerranéen, mais désireux de parvenir à un accord global,
« souriaient et opinaient de la tête quand d'autres caractérisaient la pollution méditerranéenne
comme un problème commun ». Cette fausse perception permit d'arriver à un accord, tout en
renforçant la position des pays d’Afrique du Nord.
Des connaissances précises peuvent donc faire obstacle à une entente générale. Un « voile
d’incertitude », selon l’expression d’Oran Young (1989) est quelquefois nécessaire afin de
compliquer l’évaluation précise des conséquences d'accords spécifiques. Dans le cadre du Plan
d'action pour la Méditerranée, les experts techniques fusionnèrent les données nationales sur les
pollutions telluriques afin d’obscurcir la responsabilité de chacun et d’éviter ainsi que certains
pays méditerranéens ne soient clairement identifiés comme de gros pollueurs (P. Haas, 1990).
Les États se méfient souvent des études scientifiques et ne veulent pas trop en savoir. Les grands
pays industrialisés (Italie, France, Espagne) ont empêché la poursuite d’études impartiales sur la
circulation, la distribution et l’impact de leurs polluants sur les côtes méditerranéennes. Un État
peut même hésiter à fournir des données scientifiques de peur de se retrouver responsable d'une
grande proportion de la pollution ambiante ; ce fut notamment le cas des émissions françaises de
radionucléides (Idem, p. 101).
Enfin, l’incertitude scientifique est souvent évoquée par les écologues et les écologistes pour
justifier le principe de prudence. En un sens, la preuve de l'innocuité de certaines pratiques, telles
que les émissions de gaz carbonique, incombe, selon eux, à ceux qui la revendiquent. La
constance des effets pervers peut renforcer cette attitude. En revanche, cette même constance,
14
associée aux dilemmes en jeu, aux incidences politiques et financières des mesures de protection,
aux difficultés d’évaluation des bénéfices des mesures prises — alors que les coûts sont
immédiats et visibles — justifie également l'attitude inverse : ce serait aux critiques de démontrer
les dangers associés à ces pratiques. À qui incombe la preuve est, là aussi, un enjeu politique.
On ne peut demander à la science de résoudre tous ces dilemmes. Plus les connaissances
s’accumulent, plus les choix deviennent difficiles à mesure que les contradictions potentielles
entre diverses solutions aux problèmes d’environnement deviennent plus évidentes. Par exemple,
la diminution des pluies acides passe par la réduction des émissions de soufre qui affectent la
quantité d’anhydride sulfureux présent dans l’atmosphère. Mais ces mêmes particules de soufre
réduisent le réchauffement de l'atmosphère causé par l'accumulation de méthane ou de gaz
carbonique. La lutte contre les pluies acides peut donc accélérer le réchauffement de
l’atmosphère, particulièrement à l’échelle régionale. De même, la réduction de la couche d’ozone
entraîne un refroidissement de l'atmosphère qui compense l'effet de serre9. La science ne pourra
résoudre ces contradictions; mais les connaissances scientifiques seront précieuses afin de
pouvoir les mettre en évidence.
VIII. Les solutions proposées aux problèmes de développement et d’environnement doivent viser
un équilibre entre la croissance, l’équité, la conservation et la démocratie. On ne peut conserver
les ressources naturelles et ignorer les droits des États, ou les habitants qui en vivent ou qui
vivent parmi elles. L’environnement ne peut être dissocié des objectifs économiques,
sociologiques ou politiques que se donnent les sociétés.
On ne peut traiter les questions d’environnement de manière isolée. On ne peut protéger les
éléphants ou les phoques et ignorer les gens qui vivent parmi eux. Les questions d’environnement
et de développement sont inséparables. Le cas de la protection des éléphants du Parc Amboseli,
au Kenya, illustre bien les perspectives qui s’affrontent, même au sein de la communauté
scientifique (Western, 2002). Que faut-il protéger ? La réponse dépendra des acteurs, de leurs
intérêts, de leur conception de la nature, des liens entre les êtres humains et la nature, de la
science, de leur expérience passée, etc. Le gouvernement kenyan privilégiera les revenus de
l'État, les Massaïs celui des populations locales. Les éthologues et les ONGE, les éléphants ; les
écologues, l'écosystème ; l’industrie touristique, l'accès aux richesses naturelles ; les ethnologues
et les Massaïs, une culture. Les éthologues, désireux de protéger l’espèce dans son plus grand
nombre et opposés à la présence des Massaïs, insistaient sur l’importance scientifique de la
population d’éléphants et sur les « droits intrinsèques » des sociétés animales. Les biologistes et
les écologues, quant à eux, soucieux de maximiser la biodiversité, répondaient qu'une protection
absolue des éléphants ne pourrait s'accomplir qu'aux dépens de la diversité végétale de
l'écosystème et des intérêts des Massaïs, peuple d'éleveurs déjà expulsés d'une grande partie de
leur terres, dont les cultures étaient ravagées. Ils avançaient une approche écosystémique de la
conservation (approche adoptée par la Convention sur la diversité biologique) où il s'agirait de
. «Interview with Mostafa Tolba,» Our Planet, vol. 4, no 6, 1992, p. 9-11. De même, la combustion des énergies
fossiles, en plus des gaz à effet de serre (GES) tels que le CO2, engendre des sulfates qui, sous forme de nuages,
reflètent la chaleur solaire et réduiraient l'effet des GES dans une proportion d'environ 30% (New Scientist, mai
1995).
9
15
dépasser l'opposition entre les intérêts des Massaïs, d'une part, et la valeur intrinsèque
scientifique et morale des éléphants, d'autre part. Deux arguments sous-tendent cette dernière
option : (i) la nécessité de s'allier le soutien de populations locales dans les politiques de
protection des espèces, sans quoi les politiques de conservation seraient soit vouées à l'échec (par
braconnage ou destruction d'habitats), soit injustes (expulsion des populations de leurs terres
traditionnelles sans compensation) ; (ii) la reconnaissance du rôle que jouent ces mêmes
populations dans la formation et le maintien des écosystèmes que l'on désire protéger : la
« Nature » n'est pas toujours « naturelle » mais aussi le produit de l'action humaine.
Les États accordent plus ou moins d’importance à un domaine en fonction d'une hiérarchie des
priorités nationales qui s’établit, grosso modo, comme suit : (1) sécurité nationale, (2) santé
publique, (3) croissance économique et emploi, (4) développement régional, (5) redistribution des
revenus, (6) égalité des chances, (7) qualité de l'environnement. Ceci implique que les
préoccupations relatives à l’environnement ont tendance à être subordonnées à d’autres objectifs,
à moins de pouvoir établir un lien entre la protection de l’environnement et d’autres priorités dont
l’importance apparaît plus immédiate ou qui peuvent entraîner l’adhésion du plus grand nombre.
Par exemple, dans un rapport à la deuxième conférence des parties à la Convention-cadre sur les
changements climatiques (juillet 1996), l’OMS, l’OMM et le PNUE ont lié le réchauffement de
l’atmosphère à l’apparition d’épidémies, à l’extension de l’aire des maladies parasitaires (telles
que le paludisme) et à une augmentation de la mortalité due à un accroissement des coups de
chaleur. Le rapport cherchait à lier explicitement réchauffement climatique et santé afin de
galvaniser l’opinion publique face à des gouvernements peu pressés de mettre en place les
mesures nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par la Convention de 1992 (Cushman,
1996). On retrouve une dynamique semblable entre problèmes d'environnement : la question du
déboisement massif des forêts tropicales devint plus « urgente » quand les pays du Nord
l'associèrent à celle des changements climatiques et à la perte de biodiversité (Smouts, 2001).
Inversement, à mesure que les préoccupations environnementales sont plus largement partagées
sur le plan international, des politiques nationales visant à favoriser certains groupes aux dépens
d’autres, à consolider l’État ou à promouvoir la démocratie seront présentées comme positives
pour l’environnement. Au nom de la conservation, par exemple, les éleveurs Massaïs au Kenya
ou les Gujaris, minorité musulmane de l'Inde, peuvent être déplacés ou intégrés de force dans la
société nationale. C’est pourquoi les conflits politiques commencent au niveau de la définition du
problème avant de se cristalliser autour des solutions.
16
Encadré 1.1
Les questions que se pose l'écopolitiste
Des questions normatives (quels buts la société devrait-elle se donner et comment devrait-elle chercher à les
atteindre?), telles que :
 Comment et sur quelles bases définir l’intérêt commun ?
 Quels principes devrait-on privilégier ?
 Les principes (ex. la souveraineté) qui régissent les relations internationales devraient-ils être modifiés ?
 Comment et sur quelles bases répartir les coûts des mesures de réduction de pollution ou de restauration
des écosystèmes?
 Quel rôle l’État (et d’autres acteurs) devrait-il jouer dans la protection de l’environnement ?
Des questions explicatives (pourquoi observe-t-on tel ou tel développement?), telles que :
 Pourquoi la coopération internationale en matière d’environnement est-elle si difficile?
 Pourquoi existe-t-il des accords dans un domaine et pas dans un autre ?
 Fondements et formes de la coopération ?
 Comment les accords sont-ils mis en œuvre et avec quels résultats, et pourquoi ne le sont-ils pas ?
 Les accords et institutions créés sont-ils efficaces ? Sous quelles conditions ?
 Comment l'émergence des problèmes d'environnement modifie-t-elle les dynamiques politiques
traditionnelles (internes et externes) ?
 Quel est l'impact des accords internationaux sur les politiques nationales (et vice versa) ?
 Pourquoi les États adoptent-ils des politiques différentes ?
 Dans quelle mesure l'environnement est-il un instrument de consolidation ou de fragilisation des systèmes
d'autorité, un moyen d'accroître ou de réduire les inégalités, ou représente-t-il une remise en cause ou un
renforcement des structures de pouvoir ?
Des questions pragmatiques, telles que :
 Comment construire des accords plus performants ? Quelles institutions créer susceptibles de changer les
comportements ?
 Comment surmonter les égoïsmes nationaux ?
 Comment réconcilier les différentes aspirations des sociétés : démocratie, équité, respect de la nature,
efficacité, sécurité, bien-être, légitimité ?
<TITRE>Gouvernance internationale
<IT1>Un
concept ambigu
17
<TEXTE>L’incertitude
associée à la notion de «gouvernance» ne provient pas seulement de
l’amalgame entre gouvernance et gouvernement, mais également de l’usage du terme dans
un sens à la fois analytique et normatif. Dans le premier cas, il fait simplement référence à
des modes de régulation non hiérarchiques qui engagent une multitude d’acteurs œuvrant à
différents niveaux. Dans le second, il correspond à un programme politique visant à gérer
les défis de la mondialisation, ou simplement à une bonne gestion des affaires publiques ou
privées. De façon générale, la gouvernance peut être conçue comme la capacité de
poursuivre le bien commun sans nécessairement posséder l’autorité de l’imposer, c’est-àdire de faire accepter une certaine conception des problèmes d’environnement, identifier les
normes, les règles et les solutions pertinentes, et mobiliser les moyens nécessaires afin de
modifier les comportements des acteurs dans le sens voulu.
<IT1>Une
pluralité d’acteurs nouveaux
La gouvernance internationale de l’environnement (GIE) engage à la fois des acteurs
étatiques et non étatiques. Par leurs actions unilatérales, les États peuvent encourager la
coopération internationale qui s’est principalement traduite par un foisonnement d’accords
juridiques et l’expansion des bureaucraties internationales. Viennent ensuite les structures
organisationnelles
créées
pour
gérer
l’interdépendance
des
États
en
matière
d’environnement ou mettre en œuvre ces accords. Sur ce plan, la réponse a été de deux
types : l'expansion du domaine d'action des organisations intergouvernementales (OIG)
existantes et la création de nouvelles institutions, notamment le Programme des Nations
unies pour l’environnement (PNUE) et les secrétariats d'accords multilatéraux sur
l’environnement (AME). A cela s’ajoutent des structures créées et encadrées par les États
mais reposant sur la société civile, telles que les instances d’évaluation scientifiques
internationales.
18
L’émergence des acteurs de la société civile a changé le contexte politique de la
gouvernance en favorisant la construction de nouvelles constellations d’intérêts et le
développement de nouvelles formes de régulations transnationales. L’ONU les a répartis en
neuf grands groupes: les femmes, les enfants et les jeunes, les populations autochtones, les
organisations non gouvernementales, les collectivités locales, les travailleurs et les
syndicats, le commerce et l’industrie, la communauté scientifique et technique et les
agriculteurs, auxquelles pourraient s’ajouter les fondations. Tous revendiquent un degré de
légitimité dans la définition du bien commun et des solutions appropriées à la crise
environnementale.
<IT1>Les
défaillances du système de gouvernance
Depuis le milieu des années 1990, le débat sur la réforme de la GIE a été dominé par les
efforts du système des Nations unies de rationaliser ses activités en la matière. Toutefois, la
question de la GIE s’est posée dès 1972 avec la création du PNUE, dont le mandat, les
ressources et les compétences furent alors volontairement limités. Elle a resurgi au milieu
des années 90 avec divers appels à la création d’une organisation mondiale de
l’environnement, puis a dominé l’agenda des préparations des Sommets de Johannesburg
(2002) et de Rio + 20 (2012).
Parvenir à un consensus sur la nature du problème ne fut pas aisé. Les points de
convergence, qui forment le cadre de discussion depuis 2001, concernent (i) l’absence de
capacités d’évaluation scientifique cohérente et qui fasse autorité, les chevauchements des
organes scientifiques subsidiaires et l’absence de mécanisme d’alerte précoce; (ii)
la
fragmentation institutionnelle qui engendrerait incohérences, gaspillages et un lourd fardeau
diplomatique et administratif; (iii) la mise en œuvre nationale insuffisante des engagements
pris; (iv) des mécanismes de financement complexes et dispersés; (v) la faible autorité et les
19
moyens limités du PNUE; et (vi) l’utilisation insuffisante des possibilités de partenariats
avec la société civile.
Les fonctions de la GIE qui mériteraient d’être améliorées comprennent
l’identification et l’évaluation de l’état de l’environnement, la production de normes et de
politiques, la mise en œuvre à tous les niveaux et l’évaluation et le soutien aux politiques.
Cependant, comment traduire ces préoccupations en solutions efficaces et politiquement
acceptables demeure élusif.
<IT1>L’absence de réformes
profondes et l’émergence de modèles de remplacement
Sur le plan intergouvernemental, même si le diagnostic repose davantage sur des
impressions et des anecdotes que sur une analyse empirique rigoureuse, le débat a
davantage tourné autour des solutions, notamment la transformation du statut du PNUE en
agence spécialisée, les rapports entre gouvernance de l’environnement et gouvernance du
développement durable, le statut et la coordination des AME, ou la contradiction potentielle
entre une GIE qui rationaliserait la distribution des compétences et faciliterait l’action
collective et une GIE plus centrée sur la mise en œuvre nationale des accords.
Sur le plan onusien, les politiques demeurent déclaratoires et les réformes modestes.
Dans le cas du PNUE, si les réformes adoptées avaient essentiellement pour objectif
d’affermir son poids politique et d’améliorer la prévisibilité de ses ressources, elles n’ont ni
étendu son domaine d’action, ni accru ses moyens de manière significative, ni transformé
son statut. Sa structure et son fonctionnement ont été modifiés, avec la création en 1998 du
Groupe de gestion de l'environnement, celle du Forum mondial des ministres de
l'Environnement (FMME) en 1999, l’adoption d’une échelle de contributions volontaires en
2002 et la composition universelle de son conseil d’administration en 2012. Mais la
proposition de le transformer en agence spécialisée des Nations unies n’a pas abouti.
20
L’idée de regrouper les AME sous la tutelle du PNUE, de transformer le Conseil de
tutelle en Conseil du développement durable, ou de mettre en place une procédure de
règlement des différends analogue à celles de l’OMC ne furent jamais sérieusement
étudiées. En revanche, le Sommet de Rio+20 a approuvé la transformation de la
Commission du développement durable, créée en 1992 pour assurer le suivi de la mise en
œuvre du Plan d’action du Sommet de Rio sur l’environnement et le développement durable
(Agenda 21), en un Forum politique de haut niveau dont le mandat, toutefois, demeure
vague. Des efforts ont cependant été entrepris afin d’améliorer la coordination entre AME et
une tentative expérimentale de regroupement sectoriel a vu le jour dans le domaine des
produits chimiques.
Toutefois, la question de la GIE ne se limite plus à la meilleure façon de réorganiser
le système onusien. Parallèlement aux efforts de rationalisation des institutions
internationales, ont émergé de nouvelles formes de gouvernance, essentiellement privées.
Cette autorité privée s’exerce de trois manières distinctes. La première prend la forme d’une
délégation d’autorité de la part des États, qui confient à des acteurs privés la gestion de
règles ou la mise en œuvre de politiques, notamment des tâches de surveillance. La
deuxième forme correspond à la mise en place d’instruments de gouvernance dans un
domaine donné, face à l’incapacité des États de s’entendre ou de mettre en œuvre des
mesures efficaces, ou afin de devancer des mesures étatiques qui pourraient nuire aux
intérêts de ces acteurs. Cette gouvernance parallèle assume trois formes distinctes : (i)
l'adoption
par
l'industrie
de
nouvelles
formes
d'auto-réglementation (certification
environnementale, codes de conduite, étiquetage volontaire, accords volontaires négociés);
(ii) des alliances ONG-entreprises afin de définir et faire respecter de nouvelles normes
régissant la conduite des firmes (telles que le Forest Stewarship council). Dans d’autres cas,
face à la timidité de certains États en matière de lutte contre les changements climatiques,
par exemple, états fédérés et villes se sont organisés afin de promouvoir des modes de
21
coopération visant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Enfin, la troisième
expression de l’émergence d’une autorité privée est hybride, lorsque, par exemple, des
acteurs privés et publics s’allient pour définir des normes transnationales, mais sur une base
non hiérarchique, tels les partenariats public-privé.
L'essor rapide des normes privées génère de multiples interrogations quant à leurs
impacts réels, les conflits d'intérêt des ONG, les fondements scientifiques des critères de
gestion édictés, la difficulté d'évaluer le respect des normes en raison de leur caractère
vague, leurs effets pervers, et l'absence de débat public sur les normes et leur application.
<IT1>Vers
quelle gouvernance internationale de l’environnement?
Les conditions ne sont pas propices à l’adoption d’un modèle de gouvernance centralisé, si
tant est que ce dernier soit souhaitable. La création d’une ONUE se heurte à l’absence de
soutien de pays clés, à la méfiance de nombreux pays émergents et en développement et à la
concurrence des OIG existantes. Le Groupe des 77 continue d’affirmer la nécessité de
traiter l’environnement conjointement avec les questions économiques et sociales, c’est-àdire dans le contexte d’une gouvernance du développement durable.
En général, les positions se cristallisent autour de trois questions :
(1) faut-il un cadre institutionnel nouveau? Face à l’opposition politique envers une réforme
profonde et à l‘incertitude qui accompagne le diagnostic et l’impact des solutions
proposées, on ne peut envisager que des réformes limitées à moyen terme;
(2) faut-il adopter une approche centralisée ou bien favoriser une approche décentralisée?
Cette dimension oppose surtout l’Union européenne aux États-Unis, les pays en
développement étant eux-mêmes plus proches de ces derniers sur ce point. Le débat reste
ouvert, sans que l'évolution des discussions ne permette de dégager une orientation claire.
(3) enfin, l’objet d’une GIE est-il le renforcement des capacités nationales ou bien la
coopération sur les questions qui ont un impact sur l’efficacité des politiques nationales? En
22
d’autres termes, la centralisation internationale de l’autorité est-elle nécessaire à une mise
en œuvre nationale efficace?
Les appels à plus de gouvernance reposent sur le postulat qu’une gouvernance plus
«efficace» passe par la centralisation de l’autorité; mais c’est sans doute prendre le
symptôme pour le mal. De plus, la GIE ne se résume plus à l’action des seuls organes de
l’ONU. Dans ce contexte, un certain nombre de questions méritent attention. Comment
conserver les atouts existants tout en renforçant le système?
Dans quelle mesure la
fragmentation si décriée, sous la forme d’une multiplication des instances de négociation et
de régulation, peut-elle constituer un atout? En outre, bien que les études sur la gouvernance
mettent de plus en plus l’accent sur ses aspects multi-scalaires et que certains régimes
actuels n’excluent pas, voire reposent sur l’utilisation de mécanismes régionaux, les règles
propres au multilatéralisme privilégient la recherche de stratégies valables pour l’ensemble
des États, laissant le développement des autres échelles de décision aux efforts
supplémentaires des pays. Cette approche globaliste a occulté les potentialités d’une
perspective davantage centrée sur les régions (formées de pays géographiquement et
culturellement proches) qui sont pourtant au cœur du problème et des solutions de
nombreuses questions environnementales.
Si la réforme de la GIE demeure élusive, c’est sans doute qu’il est illusoire de
vouloir centraliser l’autorité et la production de normes et de savoir dans ce domaine. Les
impasses actuelles ou les progrès marginaux enregistrés depuis 2001 suggèrent la nécessité
de réfléchir à des modes de gouvernance différents de ceux qui, jusqu’ici, ont servi de
modèle et qui agissent davantage comme des carcans que comme des moyens d’avancer
vers la définition collective d’un bien commun en matière d’environnement et de
développement durable.
23
Un avant-goût de l’avenir
Philippe Le Prestre
Objet de l’ouvrage
En 2012, l’ONU célébrera les 20 ans du Sommet de Rio et tentera d’insuffler un nouveau
dynamisme à la coopération internationale dans le domaine de l’environnement. Comme
pour le Sommet de Johannesburg de 2002, on voudra faire un bilan du chemin parcouru et
comme pour Johannesburg, cet exercice sera forcément limité. 2012 n’aura pas la même
ampleur que Rio qui, après tout, définissait l’ordre du jour d’un siècle (Agenda 21).
Les sommets constituent autant d'« instantanés » de ce que la communauté internationale
estime politiquement acceptable, des souhaits de certains États et des aspirations d’une
multitude d’acteurs. Ils permettent de faire le point sur le chemin parcouru et la diffusion de
normes, de développer la cohérence entre les évolutions sectorielles (et de stimuler la
diffusion de normes d’un secteur a l’autre) et d’identifier les grands thèmes possibles de
l’agenda politique futur.
Depuis le Sommet de la Terre de 1992, et malgré la ratification des trois conventions de
Rio par la plupart des pays, la route vers les objectifs adoptés par la communauté
internationale, réaffirmés par le Sommet mondial sur le développement durable (SMDD) de
Johannesburg en 2002, est semée d’embûches et de détours qui empêchent de voir le
chemin parcouru.
Face à la multiplication des réunions internationales et à la dramatisation des résultats
jugés désastreux de certaines d’entre elles, face à l’interdépendance croissante des enjeux
d’environnement, de développement, de commerce, de sécurité et de politique étrangère et
interne, face à l’accroissement du volume et de l’incertitude des connaissances, de
nombreux pays et bien d’autres organisations et observateurs éprouvent des difficultés bien
compréhensibles à comprendre l’utilité des discussions multilatérales et à apprécier les
progrès réalisés en matière de coopération internationale pour la résolution des problèmes
d’environnement. Dans la perspective de la tenue d’une nouvelle réunion « bilan » en 2012,
vingt ans après Rio et cinquante ans après Stockholm, cet ouvrage vise en premier lieu à
augmenter et à améliorer la perception de l’utilité de ces processus multilatéraux et de leur
impact aussi bien au niveau local que national et international.
C’est dans ce contexte que l’Observatoire de l’écopolitique internationale (OEI) et
l’Institut de l’Énergie et de l’Environnement de la Francophonie (IEPF) ont souhaité mettre
à profit l’expérience et les connaissances accumulées au cours des douze premières années
d’existence d’Objectif Terre sur le suivi des négociations internationales en environnement,
afin d’offrir un ouvrage accessible à un large public sensible à l’importance d’adopter une
perspective de développement durable pour tout projet de société.
Objectif Terre : gazette de la coopération internationale en développement durable
Objectif Terre (OT) a été fondé en 1998 à l’initiative de l’EPF et de l’OEI, afin de donner
au monde francophone un moyen de suivre les négociations internationales clefs dans le
domaine du développement durable, principalement à travers le suivi des conventions de
Rio (climat, désertification, biodiversité) d’importance particulière pour ces pays.
L’organisation pionnière en la matière a été l’Institut international du développement
24
durable (IIDD), qui a initié le Bulletin des négociations de la Terre à Rio puis une
publication plus synthétique, Linkages. Celle-ci changea rapidement de format, cependant,
en raison de l’étendue des sujets couverts. OT s’en inspira au départ, en tentant de conserver
un nombre étroit de sujets, tout en se gardant la capacité d’évoluer.
OT a pour principale mission d’améliorer le niveau et la qualité de l’information mise à
la disposition des délégués et décideurs nationaux francophones engagés dans les
négociations internationales sur l’environnement et le développement durable dans cinq
principaux domaines : changements climatiques, biodiversité, désertification, eau, forêts et
gouvernance. Outre le suivi de ces cinq secteurs, OT aspire à rendre compte de la
dynamique de coopération dans le monde francophone, que ce soit à travers les actions de
l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), la création de sites ressources, ou
les publications gouvernementales ou non-gouvernementales. OT paraît quatre fois par an,
ce qui n’en fait pas une source d’information immédiate; en revanche, il aspire à être un
organe de référence, dont les textes se basent autant que possible sur des documents
officiels ou des sources crédibles, voire, sur une participation sur place. Outre ses numéros
réguliers, des numéros thématiques ont été publiés lors de la 11e Conférence des Parties
(CP) de Montréal sur le climat (CP‐11, décembre 2005) et le processus de revue du Plan
d’action des petits États insulaires en développement (la Stratégie de Maurice). Des
publications connexes ont aussi vu le jour, telles que les guides de négociation, ce qui en
fait la principale source d’information francophone sur ces questions, diffusée à plus de
2000 fonctionnaires, observateurs et analystes dans le monde.
Les organisations de la société civile, les organisations intergouvernementales, les
centres de recherche et le milieu universitaire sont également les bénéficiaires de cette
information. Il est, en effet, difficile pour quiconque s’intéresse à ces questions ou doit les
suivre pour des raisons professionnelles, de suivre toutes les réunions pertinentes dont le
nombre s’est accéléré depuis 1992. Il est encore plus difficile d’en faire sens, et un des défis
d’OT est, tout en maintenant une stricte neutralité politique, de dégager une direction dans
l’évolution de la coopération internationale en la matière.
Cet ouvrage, qui vise un public plus large, entend offrir une vue d’ensemble des
avancées majeures accomplies depuis une douzaine d’années dans les six domaines clés que
suit OT : les changements climatiques, la diversité biologique, la désertification, la
gouvernance internationale de l’environnement et les enjeux liés à la gestion de l’eau et des
forêts. Cette publication ne prétend pas à l’exhaustivité, et plusieurs aspects importants en
sont absents, simplement parce qu’ils ne sont pas couverts par OT. Mentionnons, par
exemple, les ressources marines, les déchets, l’énergie ou l’ozone, secteurs dans lesquelles
les progrès ou les inerties ont pu être marqués.
L’idée de base est de répondre aux interrogations que se pose tout citoyen soucieux de
l’avenir de la planète : « A quoi ces nombreuses réunions de négociations ont-elles servi?
Le paysage de la coopération internationale dans le domaine de l’environnement est-il
sensiblement différent en 2010 qu’en 1998, et si oui en quoi? En quoi la coopération
internationale a-t-elle avancé depuis cette date? Dans quelle mesure ces différences
peuvent-elles être source d’optimisme? Quels sont les défis restants et sommes-nous mieux
préparés à les affronter? »
En résumé cet ouvrage vise donc à :
1) dresser un bilan du chemin parcouru depuis la publication du premier numéro
d’Objectif Terre en 1998 ;
2) présenter les progrès de la coopération internationale dans le domaine de
l’environnement, mais aussi les obstacles qui restent à franchir pour une mise en œuvre
complète des principaux accords multilatéraux en environnement;
3) illustrer par des cas concrets l’efficacité et l’importance des Accords multilatéraux en
environnements (AME) au plan national;
25
4) offrir une mise en perspective à travers les points de vue d’experts et d’acteurs
engagés dans les négociations et la mise en œuvre.
Faut-il désespérer du politique?
Un verre aux trois-quarts vide?
A la suite de l’«échec» de Copenhague, on ne pourrait qu’être pessimiste quant à la capacité
de la communauté internationale de faire face à l’urgence des problèmes écologiques.
Malgré les efforts diplomatiques déployés depuis quatre décennies, les problèmes de
pollution et d’extinction demeurent, voire s’amplifient, tandis que d’autres surgissent. Une
certaine « fatigue diplomatique » semble gagner certains acteurs clefs (tels que l’Union
européenne) et le découragement de nombre de citoyens. On assiste ainsi à une réaction de
frustration face aux espoirs engendrés par diverses « grandes messes » internationales (Rio,
1992; Johannesbourg, 2002; Copenhague, 2009), avec le risque d’une démobilisation
marquée du public ou des élites.
Une attitude essentiellement pessimiste quant à la capacité de la communauté
internationale de faire face aux défis de l’environnement soulignera la dégradation continue
de la biodiversité (Butchart 2010), de la qualité des terres ou des conditions de vie des
populations, l’absence d’accords ambitieux et contraignants, la faible mise en œuvre
d’engagements déjà inadéquats, voire la remise en cause de certaines normes considérées
comme acquises (ex. principe de précaution), l’absence de ressources financières suffisantes
en provenance du Nord et la supposée indifférence des gouvernements du Sud à ces
questions, l’intérêt qu’auraient certaines organisations à perpétuer cet état de fait, ou
l’incapacité de la classe politique à prendre les décisions qui s’imposent en raison
(choisissez ce qui vous plaît) (i) de la structure du système international –souveraineté,
rivalités économiques et idéologiques-, (ii) de la puissance des intérêts économiques
internes, (iii) de l’incapacité de faire triompher l’intérêt collectif à long terme sur l’intérêt
individuel à court terme, etc. Tout cela constitue un ensemble d’idées reçues soit fausses,
soit qu’il faudrait nuancer. Notre propos, dans cette introduction, n’est pas de nous y
engager; je renverrais donc le lecteur à découvrir de tels éléments de nuance dans les textes
qui suivent, et à une publication future sur ce sujet.
De plus, le progrès des connaissances, loin de simplifier les problèmes, en montre toute
la complexité. On s’aperçoit qu’il n’y a jamais de solution miracle, mais un déplacement
des problèmes. Les effets pervers abondent. Plus nos connaissances sur la dynamique du
climat à long terme s’accroissent, plus le sujet devient complexe. On sait aussi que
l’environnement est le lieu d’excellence de dynamiques systémiques dont l’une des
caractéristiques est précisément la difficulté de prédire le comportement du système à partir
de l’action des agents qui le composent. En d’autres termes, une meilleure connaissance des
ressorts des politiques nationales d’environnement ne nous permet pas nécessairement de
formuler des conclusions sur la nature de la coopération internationale en ce domaine.
Les progrès, si progrès il y a, semblent effectivement trop lents par rapport à « l’urgence
d’agir », et le découragement apparaît logique lorsqu’on se souvient des propos du Premier
Ministre suédois, Olof Palme, lors de l’ouverture de la Conférence de Stockholm, il y aura
bientôt quarante ans : « Les gens ne se satisfont plus de simples déclarations. Ils veulent des
décisions fermes, des résultats concrets. Ils s’attendent à ce que les nations du monde, ayant
diagnostiqué un problème, aient la force d’agir10.»
Certains, face aux problèmes environnementaux qui s’accumulent ou aux échecs
spectaculaires de la coopération internationale (voir Copenhague 2009), vont ainsi
10 UNEP (2005), GEO : Global Environmental Outlook, [en ligne], www.unep.org/Geo/geo3/french/043.htm, consulté le
6 novembre 2010.
26
développer un cynisme potentiellement dangereux car il peut encourager l’inaction,
l’abandon des efforts en cours ou occulter la réflexion sur de nouvelles pistes d’action.
D’autres, tels que de nombreuses ONG ou certains experts scientifiques, vont souligner les
problèmes qui demeurent ou s’aggravent afin de mobiliser un plus grand soutien à leurs
actions ou à leurs projets. Les gouvernements, quant à eux, vont rejeter sur leurs adversaires
la responsabilité de l’inaction ou se cacher derrière les ambivalences d’un public pour qui il
apparaît que plus on s’occupe d’environnement, plus les problèmes d’environnement
s’accumulent (ce qui est d’ailleurs logique) et auquel on présente la résolution de ces
problèmes comme un coût d’opportunité. L’instrumentalisation politique des questions
environnementales ajoute au problème puisqu’il fait dépendre l’attention accordée aux
problèmes (voire leur définition même) d’objectifs politiques externes.
On a vu un tel désenchantement se manifester lors des grandes réunions internationales,
telles que celles de Johannesburg en 2002. Des engagements ambitieux sont négociés
péniblement pour être ensuite, semble-t-il, largement ignorés. Si bien que de plus en plus de
réunions sont consacrées à relancer l’effort international de mise en œuvre d’engagements
précédents, plutôt que de renouveler la réflexion ou d’en assumer de nouveaux.
En opposition à cette attitude défaitiste, qui peut souvent être le fruit de calculs
politiques, cet ouvrage est fondé sur la conviction que la coopération internationale en la
matière est plus profonde qu’on ne le pense et même croissante. Le défi est bien sûr
d’identifier en quel sens. De plus, cela ne veut pas dire que les progrès vont à un rythme
adéquat ou qu’ils sont acquis.
Surmonter le désenchantement
Une prémisse optimiste est inhabituelle dans le discours public, dans les médias, ou chez les
ONG. Un certain nombre d’éléments incitent pourtant à une vision plus nuancée de la
situation.
En effet, les jugements d’échec trouvent d’abord racine dans les critères que l’on se
donne. Par exemple, Amartya Sen, prix Nobel de science économique en 1998, a dénoncé
les jugements négatifs de la conférence de Copenhague sur les changements climatiques en
2009, soutenant que la perception de l’échec provenait des attentes irréalistes des
Européens, alors qu’on a assisté à une reconnaissance mondiale du problème et de la
nécessité d’agir, et à un engagement financier notable en faveur de l’adaptation des pays les
plus vulnérables.
Le Sommet de Johannesburg de 2002, lui aussi, fit l’objet de vives critiques, surtout de la
part d’environnementalistes inquiets de la prééminence accordée aux Objectifs du
Millénaire. Mais il eut aussi pour effet de stimuler la réflexion et l’action en faveur du
développement durable et la visibilité des questions qui y sont attachées, telles que le
financement de la lutte contre la désertification ou l’avènement de la problématique de
l’eau. Johannesburg, à travers les discussions ministérielles sur la gouvernance
internationale de l’environnement, a initié une réflexion en profondeur sur l’architecture
institutionnelle onusienne relative à la protection de l’environnement et à la promotion du
développement durable. Relevons également la question de la relation entre droits humains
d’une part et environnement, santé ou pratiques religieuses d’autre part, la responsabilité
des entreprises, la transparence des décisions, ou la notion de biens publics mondiaux.
On pourrait aussi reprendre les arguments habituellement avancés depuis la réunion de
Stockholm en 1972 sur les effets indirects de ces réunions planétaires. Souvent difficiles à
percevoir et à évaluer, ils varient fortement d’un pays ou d’une organisation à l’autre et
dépendent souvent de l’engagement de chaque État. La tenue d’un tel sommet, en effet, peut
stimuler les conditions internes nécessaires à la réalisation du développement durable ou à
l’adoption et à l’atteinte des objectifs de protection de l’environnement (coordination entre
administrations, renforcement des ministères concernés, transparence et participation,
27
éducation publique, stimulation de la recherche, mobilisation et structuration des ONG,
accroissement de l’aide extérieure, etc.).
Une vision plus optimiste pourrait faire appel à un certain nombre d’arguments. En
premier lieu, si de nouveaux problèmes, notamment ceux à l’échelle mondiale, sont
apparus, des avancées significatives ont été faites sur d’autres, autant au niveau
international (protection de la couche d’ozone, alliances transnationales) que national
(pollutions, protection du consommateur).
Il est vrai que la communauté internationale a commencé par le plus facile. Les
premières réductions de pollutions sont les plus économiques. Créer des parcs nationaux là
où personne ne vit ou là où n’existent pas de ressources importantes à exploiter est plus aisé
que de déplacer des populations, d’exclure des industries ou élaborer et faire respecter des
règles d’accès. Dans beaucoup de cas (climat, biodiversité), les questions épineuses
soulevées lors des négociations ont été remises à plus tard lors de la signature de l’accord. Il
n’est donc pas étonnant que l’on ait l’impression que les discussions s’enlisent.
Les efforts de coopération s’engagent ainsi de plus en plus soit sur des terrains délaissés
initialement car trop complexes, soit dans des domaines où l’incertitude scientifique est
grande alors que les coûts de toute action de restauration sont considérables ; ou bien encore
la coopération fait appel à des normes et à des solutions susceptibles d’affecter directement
la distribution du pouvoir ou des bénéfices et des coûts de protection, ce qui exacerbe les
considérations d’équité et les rivalités politiques. Les relations entre commerce et
environnement sont maintenant au cœur de l’écopolitique internationale contemporaine. La
gestion de la relation entre différentes normes, obligations et institutions qui structurent ces
différents régimes présente un défi particulièrement aigu aux négociateurs contemporains.
Par conséquent, si la coopération internationale est plus difficile, c’est aussi que les
problèmes sont plus complexes et les interdépendances plus étroites.
Paradoxalement, les difficultés rencontrées aujourd’hui peuvent aussi être le fruit non
d’une absence de coopération mais d’une plus grande coopération. Prenons l’exemple de
l’intention de remplacer le moratoire existant sur les prises de cétacés par un système de
quotas, qui fut rejetée par la Conférence des Parties de la CITES en 2010. Selon The
Economist, si le Japon s’est opposé à la CITES et aux tentatives d’inclure le thon rouge
dans l’appendice 2 qui en limiterait les prises et la commercialisation, c’est l’absence de
souplesse des instruments, et, plus précisément la difficulté, dans le cas des éléphants, de
réduire ou de retirer la protection de la CITES lorsque les populations de pays du cône sud
de l’Afrique s’accrurent; ce qui ne permet pas de récompenser les États qui gèrent bien leur
ressource11. Si l’adoption du Principe de responsabilité commune mais différenciée a été et
demeure un fondement de la coopération entre le Nord et les Suds sur ces questions, il a
aussi créé des catégories de pays soumis à des obligations différentes et qui n’ont aucun
intérêt à changer de catégorie. En figeant les inégalités de responsabilité, il a permis un
accord minimal sur des directions à prendre, au prix d’une absence de souplesse (comme on
le voit dans le cas des changements climatiques).
On pourrait aussi tout simplement remettre en question les critères utilisés pour juger du
degré de progrès. L’exemple classique est celui des régimes. Poser la question, « les accords
internationaux sont-ils efficaces? », peut renvoyer à différentes notions : ont-ils été mis en
œuvre? Ont-ils résolu le problème d’environnement initial? Ont-ils mené à l’atteinte des
objectifs initiaux de l’accord? Ont-ils été respectés? Ont-ils changé les comportements des
acteurs concernés? Ont-ils servi à diffuser certaines normes, telles que la justice
environnementale?
Une spirale de coopération ascendante
11 The Economist, 27 mars 2010, p. 90.
28
Que retenir des efforts internationaux en matière d’environnement depuis la fin des années
1990? Nous ne passerons pas en revue les progrès que l’on peut observer sur le terrain. Si
de nombreuses évaluations scientifiques (dont le nombre, la portée et la rigueur sont ellesmêmes le signe d’un progrès certain (v. infra) ont montré l’impact négatif croissant des
activités humaines sur les écosystèmes, ceci ne doit pas nous faire oublier les progrès
ponctuels et significatifs observés depuis plusieurs décennies, mais qui demeurent trop
souvent géographiquement limités, que ce soit l’étendue des aires protégées, la lutte contre
la réduction de la pollution atmosphérique et hydrique, l’encadrement et la réduction des
polluants organiques persistants, l’accroissement de la surface forestière (au Nord), le
rétablissement de certaines espèces menacées ou la qualité de la vie dans de nombreuses
villes. Nous nous pencherons plutôt sur le cadre général de l’action publique et privée que la
coopération internationale dans le domaine de l’environnement tente d’instaurer. En
général, cette période a vu un essor marqué des opinions publiques (dont l’influence exacte
demeure à cerner mais ne peut être que ponctuelle, limitée à certains domaines et éphémère)
et une prise de conscience accrue des dangers liés aux changements de l’environnement,
ainsi que l’établissement de liens plus explicites entre environnement, économie et société
(que reflète la notion de biens et services écosystémiques), voire l’adoption d’un discours
uniquement économique (v. l’entrevue d’Achim Steiner). Les paragraphes suivants
évoqueront rapidement quelques points qui ressortent des diverses contributions à cet
ouvrage, concernant, notamment, les progrès institutionnels, le développement de normes,
la place de la science et le rôle d’une multiplicité d’acteurs.
Progrès institutionnels
S’il ne suffit pas de créer de nouvelles institutions pour régler un problème, l’absence
d’institutions rendra leur résolution plus difficile. Les institutions encadrent et permettent
les changements de comportement requis des acteurs dont les activités ont un impact sur la
qualité de l’environnement et l’atteinte des objectifs du développement durable. Le champ
de l’environnement a connu une institutionnalisation rapide depuis la fin des années
soixante (Meyer et al. 1997). Même si le rythme de création de nouvelles institutions s’est
quelque peu ralenti depuis la fin du siècle, le souci d’accroître la prévisibilité des
comportements des acteurs et de rassembler les ressources pour un effort collectif de mise
en œuvre du bien commun demeure. Les progrès sont survenus à deux niveaux : national et
international.
Au niveau des États ― La mise en œuvre des accords internationaux mène, par définition, à
la création de nouveaux instruments législatifs et politiques qui traduisent les ententes
internationales dans le droit et les politiques publiques nationaux. Dans le cas des
changements climatiques, par exemple, les États ont créé de nouvelles structures chargées
de suivre cette question et les actions en matière de carbone (les Autorités Nationales
Désignées). Le protocole de Kyoto, à travers ses mécanismes de souplesse, a mené à la
création d’embryons de marché du carbone (v. le texte d’Ali Agoumi).
En outre, le droit à un environnement sain, l’incorporation de normes, telles que le
principe de précaution, dans les constitutions nationales, ou l’obligation de repenser les
décisions à la lumière du développement durable se retrouvent de plus en plus dans les
instruments législatifs nationaux.
Au niveau international ― Au sein du système des Nations unies comme à l'extérieur, le
nombre d'institutions dont les préoccupations touchent à la protection de l'environnement au
niveau international a connu un développement exponentiel: les accords multilatéraux sur
l'environnement sont désormais légion; la Commission du développement durable (CDD)
s'ajoute, en 1992, au dispositif institutionnel déjà en place; la majorité des agences
29
spécialisées de l'ONU sont actives dans le domaine et ont créé des unités dédiées à
l'environnement. De nouveaux types d’acteurs se sont multipliés, tels que les secrétariats de
conventions. Enfin, hors ONU, certains forums ou organisations ont mis la protection de
l'environnement à leur ordre du jour, comme en témoignent la mise en place du Comité du
commerce et de l’environnement de l’OMC ou les discussions menées dans le cadre du G8
et du G20.
Si la période faste de l’évolution du droit international de l’environnement se situe plutôt
entre 1975 et 1995, le droit international de l’environnement, comme le montre le chapitre
de Sandrine Maljean-Dubois, a continué de se renforcer depuis la fin du siècle. Ceci s’est
moins traduit par la conclusion d’accords novateurs que par des progrès dans l’architecture
juridique, notamment les systèmes de conformité (protocole de Kyoto) et le suivi de la mise
en œuvre (biodiversité). Selon elle, la procédure de non-respect du protocole de Kyoto se
présente comme la plus élaborée et innovante de ces procédures, tandis que le Comité de
contrôle du respect des dispositions est le plus puissant et indépendant des comités de ce
type, renforçant ainsi les avancées du droit international de l’environnement qu’avait
amorcé le protocole de Montréal sur l’appauvrissement de la couche d’ozone.
Mais cette période a surtout vu le renforcement des tendances exprimées lors du Sommet
de Rio, que ce soit sur le plan des objectifs (contenus dans la Déclaration du Millénaire, le
protocole de Cartagena, la Déclaration de Doha de l’OMC ou le Consensus de Monterrey),
des principes déjà affirmés dans la Déclaration de Rio (principe de responsabilité commune
mais différenciée promu par les PED, principe de précaution), des approches (approche
écosystémique de la CDB), du processus de prise de décision (transparence, « bonne »
gouvernance, participation) ou des impacts de la mondialisation et de la libéralisation des
échanges.
On constate, enfin, que la majorité des ces ententes ont eu pour effet de tirer vers le haut
les politiques régionales et nationales et jouent maintenant un rôle moteur de l’action
collective à l’échelle internationale. Dans le domaine de l’eau, par exemple, les travaux de
la Commission du droit international et la Convention de 1997 sur le droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation ont exercé une
influence sur l’adoption d’autres instruments, aussi bien à l’échelon régional qu’à l’échelon
de bassin (Boisson de Chazournes et Mara Tignino, ce volume).
Financement
Les ministères et agences de protection de l’environnement, on le sait, ont toujours été les
parents pauvres des budgets nationaux et internationaux. Les ressources du Programme des
Nations unies, par exemple, sont bien inférieures à celles dont disposent plusieurs grandes
ONG. Outre leur faiblesse, le manque de prévisibilité de ces mêmes ressources a
considérablement entravé l’action des organisations internationales, ce que n’a pas aidé la
prolifération de fonds volontaires dont les coffres demeurent largement vides. En
conséquence, et face à l’essoufflement de l’aide internationale, les années qui ont précédé la
conférence de Rio avaient déjà vu l’émergence d’instruments de financement novateurs, tels
que les échanges dette-nature.
Les années suivant la conférence de Rio ont vu l’affirmation d’un nouvel acteur, le
FEM, dont la création précède Rio, et qui dispose de ressources substantielles12. Comme le
rappelle Emma Broughton, le FEM a connu une importante période d’expansion, qui s’est
exprimée par un élargissement de ses partenaires au-delà du PNUD et du PNUE et de ses
domaines d’intervention à la dégradation des sols et aux polluants organiques persistants,
qui se sont ajoutés aux changements climatiques, à la biodiversité et aux eaux
12 Lors de la cinquième reconstitution des ressources de la Caisse du Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM), en mai
2010, une trentaine de pays donateurs se sont engagés à lui octroyer 4,25 milliards de dollars pour la période 2011-2013.
30
internationales. Le FEM est aujourd’hui le plus gros bailleur de projets pour la protection de
l’environnement mondial dans les pays en voie de développement et, de ce fait, est appelé à
jouer un rôle important de coordination dans la mise en œuvre des conventions de Rio.
Au-delà de l’aide officielle au développement, les acteurs de l’environnement et du
développement durable, principalement les États, les organisations intergouvernementales,
les entreprises et les organisations non gouvernementales, ont tenté d’imaginer de nouveaux
partenariats et modes de financement pour l’environnement. Le Sommet de Johannesburg,
par exemple, a lancé une grande initiative visant à promouvoir les partenariats tripartites
(Etat-ONG-Privé) dont le développement et l’impact semblent toutefois rester limités. Le
protocole de Kyoto, quant à lui, a donné naissance au mécanisme de développement propre
et à l’initiative REDD+ pour la conservation des forêts, les crédits générés par une
convention (la CCNUCC et son Protocole) servant ainsi les objectifs d’une autre convention
(la CDB). L’appréhension croissante des problèmes de biodiversité à travers le prisme des
biens et services écosystémiques permet aussi d’imaginer des mécanismes innovants de
conservation, tels que les paiements pour les services rendus par les écosystèmes, les
mécanismes de compensation, les réformes fiscales ou les marchés pour les produits
écologiques. Un exemple d’approche plus générale est l’Initiative du Mécanisme de
développement vert 201013, qui vise à examiner les modalités de la création d’un
mécanisme mondial ayant pour but d’encourager et d’augmenter les investissements du
secteur privé dans le domaine de la conservation et l’utilisation durable de la diversité
biologique.
Ces mêmes questions de financement menacent de faire achopper le processus de
coopération internationale. Malgré les efforts de la CLD et ceux des gouvernements-parties
de se doter d’outils de planification adéquats, par exemple, les maigres ressources vouées à
la lutte contre la désertification demeurent une source de frustration. Les plans d’action
nationaux ne suscitent que très peu d’intérêt auprès des investisseurs qui leur reprochent,
notamment, un manque de vision à long terme et l’absence de mécanismes permettant de
tirer profit des expériences passées. Cette frustration déborde le cadre d’une seule
convention. A la CP-10 de la CDB, les PED ont explicitement liés l’adoption d’un nouveau
Plan stratégique de la convention à la conclusion positive des négociations sur un Protocole
APA et à la mobilisation de nouvelles sources de financement14.
Développement des normes
Etroitement liés au précédent, puisque les normes sous-tendent et aident à constituer les
institutions, le droit international a vu proliférer de nouveaux instruments normatifs, tels que
des lignes directrices15. Mais c’est surtout le développement de normes privées qui retient
l’attention. Un des développements les plus remarquables depuis Rio, en effet, a été
l'émergence ou l'affirmation d'une gouvernance internationale privée de l'environnement qui
s'exprime
soit
par
l'adoption
par
l'industrie
de
nouvelles
formes
d'autoréglementation (certification environnementale ― ISO 14000 et ISO 21000, produits
de la forêt ― v. pp 193 et suivantes ―, codes de conduite de l’industrie chimique,
étiquetage volontaire, accords volontaires négociés (Gibson 1999 ; Garcia-Johnson 2000 ;
13 V. http://gdm.earthmind.net. Pour des informations sur les actions en cours dans le cadre de cette initiative, voir les
documents UNEP/CBD/WGRI/3/8 et UNEP/CBD/WGRI/3/INF/5.
14 On peut aussi s’interroger sur le bien-fondé de créer un système par lequel le financement de la biodiversité et d’autres
domaines est de facto à la remorque de celui de la CCNUCC, comme lorsqu’on tente de voir dans REDD+ la principale
source du financement futur de la biodiversité.
15 La Convention sur la diversité biologique, par exemple, s’est dotée d’outils pour guider les pays face aux questions de
conservation et d’utilisation de la biodiversité: lignes directrices Akwé: Kon pour la conduite des évaluations d’impacts
culturels, sociaux et sur l’environnement de projets menaçant des sites sacrés ou des territoires autochtones, Principes
d’Addis Abeba sur l’utilisation durable de la biodiversité, Stratégie globale de la conservation des végétaux, mise en
œuvre de l’approche écosystémique, sept programmes de travail.
31
Smouts 2001), soit par des accords entre celles-ci et des ONG afin de définir, mettre en
œuvre et faire respecter de nouvelles normes régissant la conduite des firmes (Bendell
2000), tels que la norme FSC pour les produits ligneux. Cette gouvernance s'inscrit dans un
mouvement général où le secteur privé devance l'État, s'y substitue (avec son accord),
complète son action ou l'induit à redéfinir les bases de l'intérêt national16. Cette évolution
des modes de gouvernance sur deux plans distincts, public ou privé, réglementée (codifiée)
ou spontanée, représente un défi. Les normes privées peuvent être très influentes dans les
marchés intégrés verticalement et peuvent créer des précédents difficiles à modifier par la
suite (Gupta 2005).
Si les conventions, telles que les conventions de Rio ou la convention d’Aarhus sur
l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la
justice en matière d'environnement, sont de grandes productrices de normes, les discussions
plus décentralisées dans le domaine de l’eau ou de la forêt ont aussi progressivement
légitimé des normes d’exploitation qui pourront sous-tendre de futurs instruments juridiques
ou renforcent les normes qui demeurent chancelantes, telles que le principe de précaution.
La contribution de Laurence Boisson de Chazournes et Mara Tignino en fournit plusieurs
exemples. C’est ainsi que la Convention des Nations unies de 1997 facilite l’harmonisation
des pratiques en matière de gestion des cours d’eau internationaux et que, d’autres
instruments favorisent la participation du public dans la gestion des ressources en eau ou
demandent la réalisation d’études d’impact. Les organes d’inspection des banques de
développement, qui ont émergé depuis Rio, sont eux-mêmes sources d’harmonisation et de
diffusion des normes : la pratique récente du Panel d’Inspection de la Banque Mondiale, du
Mécanisme indépendant d’enquête de la Banque interaméricaine de développement et du
Mécanisme indépendant de la Banque africaine de développement appréhende l’eau dans
une perspective intégrée, incluant les dimensions sociales, environnementales et
économiques.
L’émergence de la reconnaissance d’un droit à l’eau ne relève pas exclusivement des
instruments des droits humains. Des conventions relatives au droit des cours d’eau
internationaux, tels le Protocole sur l’eau et la santé de 1999 à la Convention d’Helsinki de
1992 et la Charte des eaux du fleuve Sénégal de 2002, énoncent la réalisation de ce droit en
tant qu’objectif de gestion des cours d’eau en question. Enfin, le 28 juillet 2010,
l’Assemblée générale de l’ONU a reconnu l’existence d’un «droit à une eau potable, salubre
et propre comme un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous
les droits de l’homme»17. Cependant, l’impossibilité d’adopter cette résolution par
consensus indique combien l’existence même d’un tel droit demeure controversée.
En ce qui concerne les forêts, une gouvernance des forêts à l’échelle mondiale existe bel
et bien selon Lucie Verreault, et a considérablement progressé depuis le début des années
1990. Les pays s’entendent sur un principe directeur, la gouvernance forestière durable
(GFD), qui rassemble les principaux concepts avancés et réitérés dans les différents outils
de gouvernance adoptés au cours des quinze dernières années. Sans être un concept
univoque, la GFD fait néanmoins référence à un ensemble de normes ultérieurement
adoptées par la communauté internationale et liées au développement durable.
Cependant, l’investissement d’un champ, tel que l’eau ou les forêts, à partir de
perspectives différentes, pose la question des rapports entre normes, en dépit des efforts des
mécanismes de financement internationaux (banques de développement, comité d’aide au
développement de l’OCDE, FEM). Les instruments relatifs à la protection de
l’environnement, aux droits de l’homme, ou au droit du commerce international et des
investissements contribuent tous à la gestion des eaux. Si, comme le rappellent Laurence
16. Pour une vue d'ensemble dans le domaine essentiellement économique, voir Cutler, Haufler et Porter (1999).
17 A/64/L.63/Rev.1. Résolution adopté par 122 voix pour et 41 absentions. www.un.org/News/frpress/docs/2010/AG10967.doc.htm
32
Boisson de Chazournes et Mara Tignino, les interactions nécessaires entre corps de normes
soulignent la relation vitale entre eau, environnement et êtres humains, leur réconciliation
représente un défi que l’on retrouve dans de nombreux autres domaines d’action de
l’environnement.
Le rôle de la science
La science sur les changements globaux a connu un essor remarquable. Par exemple, le
groupe intergouvernemental ad hoc sur l'observation de la Terre (GEO), un partenariat, créé
en 2003, compte plus de 70 pays et 50 organisations membres. Son objectif est d’améliorer
la coordination des données existantes et de promouvoir de nouvelles observations de la
terre. Dans ce but, GEO supervise le mécanisme Global Earth Observation System of
Systems (GEOSS), dont fait notamment partie le réseau d’observation de la biodiversité
(GEO-BON), un partenariat international dédié spécifiquement à l’observation et à
l’interprétation de l’évolution des données sur la biodiversité dans le temps 18. Les
informations recueillies par GEO-BON serviront de base pour les évaluations futures de la
plateforme internationale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dont
l’assemblée générale a approuvé la création en décembre 2010.
Comme le souligne Clark Miller, le développement des connaissances a entraîné
l’émergence de nouveaux instruments de gouvernance ― processus, traités, lois et
organismes ― qui régissent l’environnement planétaire.
Même si les progrès de la connaissance ne facilitent pas nécessairement la
coopération internationale, des lacunes dans les connaissances peuvent la bloquer. Les
discussions internationales dans le domaine ont induit un essor considérable des efforts
visant à synthétiser les connaissances, évaluer les impacts des nouvelles technologies et
rapprocher la science de la décision. Comme le montrent les cas de la couche d’ozone et de
la politique européenne sur la pollution atmosphérique, l’adoption de protocoles a permis de
renégocier périodiquement les accords internationaux, à la lumière de l’évolution des
connaissances travers l’adoption des connaissances (Sand 1999 ; Miller, ce volume), et les
négociations elles-mêmes ont considérablement stimulé le volume des connaissances
disponibles.
Par exemple, les négociations sur les changements climatiques ont stimulé la réalisation
régulière d’inventaires des émissions en GES par les parties à cette convention, permettant
de suivre l’évolution des émissions mondiales. Les rapports nationaux ou « communications
nationales » (dans le cas des changements climatiques), malgré toutes leurs imperfections,
forcent les États à revenir sur les actions entreprises et diffusent l’information sur l’état de
la question. Ils peuvent aussi devenir des instruments utiles de définition de l’intérêt
national, d’harmonisation des actions nationales et de mobilisation d’aides externes.
Si le rôle de la science a parfois été minime dans les négociations internationales ou ne
peut expliquer la nature de décisions particulières (voir par exemple, la Convention sur la
lutte contre la désertification), elle a été loin de jouer un rôle marginal et son impact bien
18 À travers la mise en réseau, GEO-BON favorisera l’intégration de données portant sur la biodiversité des
environnements terrestres, marins et d’eau douce et leur diffusion auprès des parties intéressées. GEO-BON aura pour
objectifs : a) la quantification et la cartographie des facteurs de changement de la biodiversité ; b) suivre les impacts des
changements de la biodiversité, principalement en ce qui concerne les services écosystémiques indispensables et c) rendre
compte de l’état actuel de la biodiversité et des changements qui l’affectent au fil du temps. Les données utilisées
proviennent d’observations empiriques (incluant celles des observateurs profanes regroupés au sein de réseaux de
bénévoles), de collectes d’images et de spécimens et de télédétection. La modélisation est aussi un élément-clé de GEOBON puisqu’elle permet d’identifier les omissions dans les observations et pose les conditions nécessaires à une science
prédictive de la biodiversité. GEO-BON facilitera l’accès aux données existantes et l’intégration d’initiatives qui
participent au développement d’infrastructures informatiques pour l’évaluation de la biodiversité mondiale. (The Group on
Earth Observations (2008), «GEO Biodiversity Observation Network Concept Document», document submitted to GEOV, 19-20 November 2008.
33
plus marqué que ne veulent le croire les scientifiques eux-mêmes. Selon Clark Miller, par
exemple, la science a joué un rôle central dans l’émergence de la GIE en posant des bases
conceptuelles, empiriques et ontologiques (telles que la notion de système Terre), en
transcendant la diversité des cultures et le principe de souveraineté, et en légitimant les
politiques et en aidant à redéfinir le débat autour d’aspects scientifiques19.
En conséquence, la gouvernance internationale se tourne de plus en plus vers des
évaluations ou des organes d’avis scientifiques internationaux formellement constitués, afin
de court-circuiter ou de résoudre les débats scientifiques et d’offrir une base scientifique
reconnue sur laquelle développer des politiques internationales légitimes. Le désir de
faciliter l’impact de la science sur la décision publique est à la base d’un des grands
développements depuis Rio, soit l’engouement pour la rédaction d’évaluations scientifiques
internationales dans des domaines spécifiques : changements climatiques (GIEC 2007),
biodiversité (MEA 2005), agriculture (IAASTD 2009), etc.)20. En effet, évaluer l’état de
l’environnement n’est pas aisé, et les experts scientifiques ont découvert que dresser un
bilan de l’environnement est une tâche complexe, même dans un secteur particulier. La
complexité des problèmes environnementaux et leur caractère multidisciplinaire ne
permettent pas aux experts scientifiques d’un domaine particulier de formuler des solutions
à la fois scientifiquement évidentes et politiquement acceptables (v. Roqueplo 1997).
Ces évaluations ont plusieurs fonctions, à l’image de celles du Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), pionnière en la matière, dont
l’élaboration d’un consensus scientifique sur le sens des données existantes, la mobilisation
des chercheurs et du financement de la recherche, et la sensibilisation des décideurs. Dans
quelle mesure peuvent-elles servir à sensibiliser le public demeure une question ouverte. En
effet, le rapport entre les ONG et la science n’est pas dépourvu d’ambiguïté. D’une part les
ONG de protection de l’environnement feront largement appel à leurs conclusions si cellesci soulignent la persistance de problèmes auxquels s’attaquent ces mêmes organisations;
d’autre part il existe une certaine tension entre une partie de la société civile et les savoirs
scientifiques et techniques, critiqués pour le type de développement social auxquels ils
pourraient conduire (ex. OGM)21.
D’autres rapports, tels que le Rapport Stern (Stern 2006) sur le climat, l’Évaluation des
Écosystèmes pour le Millénaire (MEA 2005) et le rapport TEEB ― The Economics of
Ecosystems and Biodiversity (TEEB 2010) ― sur la biodiversité, ont cherché à redéfinir un
problème, principalement dans une perspective économique, afin de stimuler l’action.
Face à ces développements, les conventions, au lieu de renoncer à leur rôle en la matière,
ont cherché à le redéfinir et à renforcer leur appareil de conseil scientifique. Par exemple,
alors que les aspects scientifiques avaient été largement absents des négociations de la
convention, la Convention accorde une importance grandissante à la science et à la
technologie, comme l’atteste la tenue d’une première conférence scientifique par la CP-9 de
la CLD.
La science peut donc être un puissant agent de la gouvernance internationale, comme
dans le cas des changements climatiques. Mais son rôle demeure incertain, diffus, ponctuel,
erratique et inégal. Même si on laisse de côté la question de savoir de quelle science on
19 L’opposition Nord-Sud procède en partie de cette évolution. A une volonté de scientifiser le débat des pays du Nord, le
discours des pays du Sud dans les enceintes internationales oppose un discours plus politique centré sur la distribution du
pouvoir, les inégalités, l’équité, la justice, la morale, le dorit au développement et l’autonomie de décision.
20 La création éventuelle d’une nouvelle plate-forme scientifique sur la biodiversité, l’Intergovernmental Platform on
Biodiversity and Ecosystems Services ― IPBES, initialement inspirée du GIEC, et dont le principe a été adopté par une
conférence intergouvernementale en juin 2010, promet de renforcer considérablement l’apport d’une science de la
biodiversité dans les décisions de politique internationales, tout en contribuant à construire cette dernière.
21 L’École de Francfort et notamment Jürgen Habermas, qui étudia les rapports entre la politique, la science et l'opinion
publique, a cherché à mettre en lumière comment l'idéologie technocratique œuvrait pour la substitution progressive des
techniques à l'action démocratique; v. Habermas, Jürgen (1973) mais aussi, dans une perspective non marxiste, Ellul,
Jacques (1954)
34
parle (les sciences sociales sont trop souvent marginalisées et les groupes indigènes se
plaignent de la dominance d’une science occidentale), différentes représentations du rôle
que devrait jouer la science, la compétition entre champs disciplinaires (voire laboratoires
de recherche), la conviction qu’aucun savoir n’est politiquement neutre et que les solutions
auxquelles il peut mener le sont encore moins, et l’incertitude scientifique liée à la
complexité des problèmes limitent l’impact de la science sur la prise de décision.
Une multiplication d’acteurs plus actifs
La gouvernance internationale de l’environnement repose aujourd’hui sur l’action d’une
multitude d’acteurs qui ne limitent pas leur intervention à un seul niveau de gouvernance,
mais qui interviennent à plusieurs niveaux en même temps (global, régional, national, sousnational et local) et souvent dans plusieurs domaines d’action. États, entités fédérées,
autorités locales, groupes indigènes, agriculteurs, entreprises, chercheurs, femmes22, jeunes,
fondations, syndicats revendiquent tous un droit légitime de participer aux décisions qui les
affectent. La prolifération des acteurs de l’eau en est un exemple. Felix Dodds soutient
même que nous traversons une période de transition d’une démocratie représentative à une
démocratie participative dans le monde, en commençant par une démocratie de Parties
prenantes. La CDD a d’ailleurs activement contribué à renforcer ce rôle des Parties
prenantes à travers tout le système des Nations unies.
Les entreprises ― Lors de la Conférence de Rio, Maurice Strong, son secrétaire général,
avait tenté de mobiliser le monde de l’entreprise sans lequel il pensait que les politiques
internationales ne pourraient avoir que des effets limités sur le terrain. Ce rôle s’est
graduellement affirmé depuis Rio, à travers leur contribution au renforcement du protocole
de Montréal sur l’appauvrissement de la couche d’ozone, leur mobilisation par le Secrétaire
général de l’ONU dans le cadre du Pacte mondial, l’essor de la gouvernance privée (v.
supra) ou les efforts de certaines conventions, telles que la CDB, de les mobiliser à la fois
aux niveaux international et national. Plutôt que d’être abordées uniquement comme faisant
partie du problème, elles sont maintenant considérées comme partie intégrante de toute
solution aux problèmes à l’échelle mondiale.
Les ONG ― Il est courant de souligner la présence accrue des ONG dans les négociations
internationales, depuis Rio, et le rôle parfois significatif qu’elles jouent dans différentes
phases des politiques publiques internationales. Le cas des groupes indigènes, en particulier,
mérite une plus grande attention. Ces groupes se sont, en effet, servi avec succès des
instruments internationaux existants afin de promouvoir leurs droits par rapport au
gouvernement central (comme dans le cas de la CDB). Dans certains cas, ce sont les
développements internationaux, qui ont suscité l’émergence de nouvelles identités qui
avaient disparu. Le cas des Inuit est particulièrement intéressant, car c’est principalement à
travers les négociations nationales et internationales, dans ce dernier cas au sein du Conseil
de l’Arctique, qu’ils ont développé le sentiment de former un peuple et où ils ont pu
introduire, avec succès, les questions de développement durable et de santé (v. Huebert
1998).
Le Forum international autochtone sur la biodiversité (FIAB), quant à lui, a été formé
lors de la CP-3 (Buenos Aires, 1996) pour donner une voix aux peuples autochtones à la
22 Dans le sillage de la création d’une nouvelle agence ONU-Femmes en juillet 2010, la promotion d’une perspective
genre n’est plus l’apanage de groupes de pression externes mais pourrait devenir de plus en plus internalisé aux
négociations. Par exemple, au cours du 8e Groupe de travail sur l’accès et le partage des avantages de la CDB (Montréal,
nov. 2009), la représentante de la Nouvelle-Zélande a annoncé la création d’un nouveau groupe interrégional, le Groupe de
femmes de même esprit. Ce groupe, composé de femmes chefs de délégation, mais ouvert à la participation de toutes les
déléguées, s’est donné pour mission de veiller à ce que le texte du régime rende compte de la perspective féminine.
35
Convention sur la diversité biologique (CDB) et que soient pris en compte les besoins des
communautés autochtones et locales (CAL). Il réunit des représentants de gouvernements
autochtones, des experts et des activistes autochtones. Le FIAB prend régulièrement la
parole dans les négociations sur l’APA. Sa position est que l’accès aux ressources
génétiques devrait être subordonné à la législation nationale et au consentement préalable
donné en connaissance de cause (CPCC) des peuples autochtones. Il prône également la
reconnaissance du droit coutumier et des savoirs traditionnels.
Cette intégration des ONG dans la gouvernance internationale de l’environnement est
une tendance lourde. Plutôt que de les aborder comme des contre-pouvoirs, il s’agira de
réfléchir à leur rôle de partenaires dans une gouvernance décentralisée et donc sur les
conditions qui permettent aux systèmes de gouvernance des conventions SGC de
développer et gérer ces réseaux et à ces derniers de contribuer à renforcer les conditions
d’efficacité des régimes. Cette évolution, qui ne signifie pas la disparition d’ONG agissant
comme des contre-pouvoirs, appelle cependant un certain nombre d’observations ou le
développement de garde-fous.
L’influence des ONG n’est pas ipso facto positive sur le plan du renforcement de
l’efficacité du régime. Les ONG peuvent bloquer le progrès en politisant une question et en
bloquant certaines actions23. D’autres peuvent se substituer aux ONG locales en prétendant
représenter l’intérêt des populations locales afin de se constituer un capital politique au
Nord. D’autres dysfonctionnements sont possibles. Les ONG peuvent devenir dépendantes
de leurs sources de financement; utilisées comme experts, elles peuvent facilement devenir
des conduits d’influence des pays du Nord (à travers les concepts utilisés et la définition des
problèmes et solutions avancées; Yamin 2001). Enfin, la question du déficit
démocratique se pose toujours: comment accroître la responsabilité et la transparence des
réseaux ? Comment encadrer l’émergence de normes privées (v. supra)? Quels critères de
représentativité et de légitimité devraient s’appliquer aux ONG (du Sud et du Nord)? En
quels termes poser la légitimité des liens étroits existants entre Etats et ONG?
Défis
Parmi les nombreux défis qu’affronteront les efforts de coopération internationale dans le
domaine de l’environnement, nous en retiendrons quatre. Ces défis mettent l’accent
davantage sur les relations entre acteurs de l’écopolitique mondiale, que sur la suppression
des obstacles qui entravent la résolution des problèmes d’environnement. Il est évident, par
exemple, que la priorité en la matière doit être la mise en œuvre efficace des engagements
existants et la création des conditions qui permettront les changements de comportement
nécessaires à la préservation des écosystèmes et à la promotion d’une meilleure qualité de
vie des sociétés qui en dépendent.
En premier lieu, la redistribution de la puissance et la transformation des coalitions
traditionnelles ne s’accompagnent pas d’un leadership renouvelé. Les marchandages NordSud font place à des coalitions changeantes, les divisions au sein de chaque groupe se sont
accentuées. L'UE a adopté une position plus avancée sur bien des questions
d'environnement, au risque d'éveiller des suspicions ; l'impact de son élargissement, qui se
traduit par de plus grandes difficultés à parvenir à une position commune et donc une
souplesse de négociation réduite, pourrait limiter sa capacité de jouer un rôle de chef de file.
Le Sud se fragmente en Suds, sans que les pays émergents ne jouent un rôle dirigeant, que
ce soit du point de vue diplomatique, intellectuel ou financier. Les États-Unis se sont
23 Comme dans le cas des conventions sur les déversements de déchets radioactifs en haute mer (v. Miles et al. 2002:
438).
36
distancés des processus multilatéraux en exprimant des réserves formelles aux accords
passés ou en refusant de se joindre à de nouvelles ententes, tandis que des états, tel le
Canada, traditionnellement chefs de file, se retrouvent plus souvent en position de blocage à
mesure que les questions d’environnement touchent aux questions commerciales, de droits
de propriété intellectuelles, ou pourraient avoir un impact sur les arrangements
constitutionnels internes.
Le rôle des pays en développement, et notamment des pays émergents, est un
phénomène palpable. Comme le rappelle Achim Steiner, l’environnement et le principe de
durabilité ne sont plus perçus comme seulement des préoccupations du monde industrialisé.
Il ne s’agit plus de privilégier le développement, mais de le repenser. Cependant,
l’affirmation diplomatique des pays émergents ne se traduit pas encore par la prise de
responsabilités nouvelles, que ce soit sur le financement ou la promotion de questions qui
dépassent les revendications traditionnelles du Groupe des 77 (v. le chapitre d’Ana Flávia
Barros-Platiau).
De plus, une diplomatie plus intense et plus technique complique la participation
effective de nombreux pays en développement et d’organisations de la société civile. Tous
affrontent non seulement des limites financières et humaines mais aussi, dans le cas des
États, éprouvent des difficultés à définir leur intérêt national face à l’ordre du jour (et, a
fortiori, à influencer la définition de ce dernier).
Ensuite, se pose la question de la gouvernance, qui possède plusieurs aspects : (i) la
quête d’une gouvernance décentralisée efficace fondée sur le développement, le contrôle et
l’harmonisation de réseaux de gouvernance divers, sur une régionalisation croissante et sur
des efforts d’intégration de différents niveaux de gouvernance ; (ii) la compatibilité des
régimes environnementaux entre eux et de ces mêmes régimes avec des arrangements qui
visent à répondre à d’autres priorités de la communauté internationale, telles que le
commerce ou les droits humains ; (iii) Un manque de légitimité croissant des règles de
procédures des négociations (comme Copenhague l’a démontré avec force) qui provient
notamment du non-respect de la règle du consensus et d'une diplomatie de concert où un
petit nombre d'États s'entendent sur des points qui sont ensuite soumis aux autres
délégations sans grande possibilité de révision ; à mesure que l'écopolitique internationale
touche de plus en plus aux intérêts fondamentaux des États, les questions de procédure
assument davantage d'importance.
La Conférence des Nations unies sur le développement durable de 2012 projette
d’inscrire la gouvernance internationale de l’environnement à son ordre du jour (avec
l’économie verte). Peu de progrès ont été faits jusqu’ici, mais il semble que les progrès
accomplis proviennent davantage de la base que du sommet. Ce sont, par exemple, la
collaboration croissante entre certaines conventions. Les conventions chimiques sont allées
le plus loin mais des avancées notables ont été effectuées par d’autres conventions
(notamment dans le domaine de la biodiversité).
Enfin, la fracture entre développement durable et environnement s’amplifie, symbolisée
par les Objectifs du Millénaire qui accordaient une place réduite aux questions
d’environnement traditionnelles, le passage d’une conférence des Nations unies sur
l’environnement et le développement à Rio, aux Sommets du développement durable de
Johannesburg et de 2012. L’accent mis sur le développement durable a pour conséquence de
privilégier les préoccupations locales de développement au détriment des questions
environnementales transnationales (changements climatiques, ozone, commerce des espèces
menacées) ou de la gestion des biens communaux (océans), la redistribution des ressources
(par exemple dans le cadre des négociations APA), et la lutte contre la pauvreté qui
contribue à redéfinir le problème, comme dans celui de la CDB et de la CLD. Il s'agit, en
fait, moins d'un manque d'intérêt pour l'environnement que de la domination de l'agenda
environnemental par les préoccupations des pays en développement, axées sur la fourniture
37
de biens et services de base (accès à l'eau, assainissement, agriculture), évolution que
renforce l’adoption d’un discours centré sur les biens et services écosystémiques. Ces
tensions entre environnement et développement durable se sont manifestées dans d'autres
forums, notamment à l'Organisation maritime internationale (OMI) et lors des discussions
sur la réforme de la gouvernance internationale, par un conflit normatif entre le
développement durable et la préservation de l'intégrité des milieux naturels ou les questions
éthiques liées à l'exploitation de certaines espèces d'animaux supérieurs.
Conclusion
En 1993, alors que les engagements de Rio n'avaient pas encore commencé à s'effriter et
que les travaux sur l'écopolitique internationale se multipliaient, un spécialiste reconnu des
relations internationales, concluait que l'environnement allait demeurer largement « à la
périphérie des relations internationales » (Smith, 1993). Il est vrai que les dangers que pose
la protection de l'environnement ne peuvent rivaliser, tout au moins dans l'esprit de
dirigeants politiques élus au suffrage universel, avec l'urgence de la lutte contre le
terrorisme ou contre le chômage. Les années qui nous éloignent de la conférence de Rio ont
aussi démontré qu'il était de plus en plus difficile de séparer les enjeux d'environnement de
la poursuite d'autres objectifs liés à la cohésion sociale, à l'économie ou à la sécurité.
Mais s’il est une évidence depuis douze ans, c’est que l’environnement, loin de demeurer
marginal, s’est imposé au centre des préoccupations des États et des populations. Par ce fait,
il est davantage sujet aux dilemmes de gouvernance qu’affrontent les gouvernements. Les
questions d'environnement ne sont plus simplement techniques et scientifiques ; elles
touchent à la vie des gens, à la conception qu’ils ont de leur avenir et à leur capacité de
l’imaginer; elles sont aujourd’hui intimement liées à d'autres questions importantes en
relations internationales, telles que la maîtrise des conséquences de la mondialisation,
l'avenir des relations Nord-Sud et la fragmentation de chaque groupe, le système
international de production et d'exploitation des ressources, la liberté de commerce, la
sécurité des États, le rôle de la société civile, l'évolution des systèmes de gouvernance, ou la
réconciliation des développements internes et externes aux États. Mais elles sont aussi liées
à des questions politiques fondamentales qu’affronte chaque société : comment réduire les
inégalités? Promouvoir la justice? Assurer à tous une vie décente? Protéger les fondements
naturels de notre bien-être?
La dynamique de Johannesburg a aussi montré combien Agenda 21 et la Déclaration de
Rio représentaient une vision optimiste des capacités ou de la volonté des États de donner
corps à leurs aspirations en matière de protection de l'environnement et de promotion du
développement durable. Agenda 21 est un document massif et complexe, un agenda pour un
siècle, pas pour une décennie. La déclaration de Rio accole, sans les intégrer ou les
hiérarchiser, les principes soutenus par les pays du Nord et ceux soutenus par les pays du
Sud. Certains ont été réaffirmés dans de nombreux accords subséquents, alors que d’autres
continuent d’être remis en question. Certains sont mis en œuvre sur une base régionale et
ignorés ailleurs. Tout progrès, en relations internationales, est difficile. Si les relations
internationales étaient aisées, nous n’aurions pas d’Organisation des Nations unies ou de
diplomates. À mesure que la communauté internationale prend conscience de la gravité et
de la complexité des problèmes, à mesure que s’impose la nécessité d'engagements
contraignants, les coûts politiques, économiques et sociaux des solutions envisagées
deviennent plus lourds, les incertitudes plus grandes et les dilemmes qu'elles entraînent plus
difficiles à résoudre.
Si la politique est « le goût de l’avenir » (v. Guillebaud 2003), les années Objectif Terre
ont fourni un avant-goût de l’écopolitique mondiale qui se dessine. L’environnement étant
38
une cible mouvante en raison de l’accroissement des connaissances et de l’évolution des
valeurs, et les problèmes apparaissant de plus en plus complexes, il est tentant d’adopter une
attitude de découragement face à ce qui paraît comme une inaction criminelle. On a vu, et le
reste de l’ouvrage le montrera, que la communauté internationale, ou certaines sociétés, ont
fait des avancées significatives. Certaines jettent les bases d’avancées futures, pourvu que
les incitations ou les stimulants demeurent; d’autres constituent des progrès en eux-mêmes.
Naturellement, beaucoup reste à faire et on peut déplorer les inerties qui ralentissent le
mouvement. Il est clair aussi que nous nous dirigeons vers un monde différent et non
simplement vers une harmonie mythique avec le monde naturel. Il s’agit de survivre en tant
que sociétés mais aussi de recomposer nos rapports avec le monde naturel. Ce défi est celui
de plusieurs siècles. Plutôt que de construire une société et des institutions internationales
idéales, il est sans doute plus raisonnable, face aux difficultés rencontrées, de s’attaquer aux
problèmes les plus importants et non pas simplement aux (fausses) urgences. Des pas
significatifs ont été faits dans cette direction, même si les défis demeurent énormes. La
politique est aussi là pour y aider.
La gouvernance internationale de l’environnement : une réforme élusive
Philippe Le Prestre1
RÉSUMÉ
Face aux dysfonctionnements du système et au manque d’efficacité apparents des régimes internationaux
de protection de l’environnement, la communauté internationale s’efforce, depuis 2001, d’élaborer les
contours d’une réforme qui demeure élusive. Si le processus engagé par le PNUE, l’ONU et les initiatives
franco-allemandes ont redynamisé le débat sur la gouvernance de l’environnement, les conditions ne sont
pas réunies pour la mise en place d’un modèle plus centralisé. Les impasses actuelles et les progrès limités
depuis le Sommet de Johannesburg de 2002 suggèrent la nécessité de réfléchir à des modes de
gouvernance différents de ceux qui, jusqu’ici, ont servi de modèle et qui agissent davantage comme des
39
carcans que comme des moyens d’avancer vers la définition collective d’un bien commun en matière
d’environnement.
The elusive reform of international environmental governance
ABSTRACT
Confronted with institutional dysfunctions and the apparent lack of effectiveness of international
environmental regimes, the international community has been actively engaged in a debate over the
contours of a new system since 2001. Yet, success remains elusive. Though recent initiatives by UNEP, the
UN, and the French and German governments have given new dimensions and a renewed impetus to the
debate on environmental governance, conditions are not yet in place for the development of a more
centralised system. The current impasse and limited progress since the 2002 Johannesburg Summit suggest
the need to think about new governance models, more reflective of the reality of the new international
system and more conducive to fostering a collective definition of a common environmental good
*
Réformer la gouvernance internationale de l’environnement (GIE) est un peu comme
modifier la course d’un supertanker : l’inertie est formidable, les raisons de continuer
dans la même direction puissantes, les voies navigables encombrées, les récifs nombreux
et les capacités de traitement des différents ports de destination souvent incertaines.
Les plus optimistes souligneront que les discussions, qui ont pleinement débuté dès
1995, se poursuivent, sinon activement, du moins de façon continue depuis 2002. Le
processus engagé durant la préparation du Sommet de Johannesburg, avec le soutien actif
du Canada et de l’Union européenne (UE) — en particulier de la France et de
l’Allemagne — en faveur d’une Organisation mondiale pour l’Environnement (OME)
puis d’une Organisation des Nations unies pour l’Environnement (ONUE), a accéléré la
réflexion et maintenu ces questions à l’ordre du jour. Ces mêmes observateurs mettront
aussi l’accent sur les processus parallèles en cours, sur l’augmentation du nombre de pays
désireux de réformer le système et sur les exemples de coopération moins visibles entre
accords multilatéraux sur l’environnement (AME).
Les pessimistes, quant à eux, insisteront sur le flou d’une telle réforme, sur
l’opposition de pays puissants et sur les divergences d’opinions à la fois sur la définition
du problème et sur les solutions possibles. En 2007, quinze ans après Rio et cinq ans
après Johannesburg, un Groupe de personnalités de haut niveau appelait encore à dresser
le diagnostic des problèmes. Le débat tourne toujours autour du renforcement et du statut
du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), des rapports
Professeur titulaire de science politique, département de science politique, Université Laval. L’auteur remercie Cécile Pilarsky de
son assistance et le Conseil de la Recherche en Sciences Humaines du Canada de son soutien financier.
1
2
entre gouvernance de l’environnement et gouvernance du développement durable
(GIDD), du statut et de la coordination des AME, ou de la contradiction potentielle entre
une GIE qui rationaliserait la distribution des compétences et faciliterait l’action
collective et une GIE plus centrée sur la mise en œuvre nationale des accords.
Le rythme de discussion s’est accéléré dans le cadre de quatre processus parallèles :
(i) la poursuite de la mise en œuvre des réformes adoptées en 2002 par le conseil
d’administration du PNUE; (ii) le suivi du rapport du Groupe de haut niveau sur la
cohérence de l’action du système des Nations Unies dans les domaines du
développement, de l’aide humanitaire et de la protection de l’environnement; (iii) les
consultations informelles sur la GIE de 2006 et 2007; et (iv) l’initiative européenne,
principalement pilotée par la France, de création d’une ONUE.
La prolifération des processus de discussion reflète à la fois le sentiment qu’une
réforme est souhaitable, la volonté de forger une convergence de vues sur le diagnostic et
les solutions minimales, et une absence de consensus profond sur son objet et ses
dimensions. Mais l’élan s’est ralenti. Les discussions attendent maintenant une initiative
de l’Assemblée générale qui, après la conférence de Paris de février 2007 et la création
du groupe des amis d’une ONUE, la publication du rapport Heller-Maurer2 en juin 2007
qui trace les contours des points en discussion et des convergences possibles, et la
décision du Secrétaire général d’endosser les principales conclusions des propositions du
Groupe de haut niveau sur la cohérence du système des Nations unies, reprendrait la
recommandation des ambassadeurs Heller et Maurer d’adopter les termes de référence
d’un cycle de négociations sur la réforme de la GIE.
Le débat sur la réforme de la GIE est pluriel et recoupe des préoccupations
différentes3. Bien qu'elles soient, pour l'instant, largement circonscrites au système
onusien, ces discussions dépassent les problèmes du PNUE et le seul régime de
protection de l'environnement. Elles s’inscrivent dans le contexte plus large de la réforme
de l’ONU et de la redistribution de la puissance, de l’autorité et des responsabilités dans
le système international, de l’interdépendance et de son corollaire, l’imbrication des
politiques internes, de la prise de conscience des limites des systèmes naturels et des
menaces que cela pose aux systèmes socio- économiques, des risques d’un
contournement progressif du système de l’ONU4 et de l’urgence de mobiliser les moyens
nécessaires à l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement.
Plutôt qu’une analyse des mérites des différentes propositions de réforme ou des
modèles de gouvernance possibles5, notre propos est de faire le point sur la nature,
l’évolution et les perspectives d’avenir des discussions en cours. En conséquence, cette
note retrace les suites des initiatives issues du Sommet de Johannesburg et décrit les
nouvelles tentatives de relancer le processus de réforme, pour
Informal Consultative Process on the Institutional Framework for the UN’s Environmental Activities, «Co-Chairs’ Options Paper;
14 June, 2007», mimeo, 2007 (ci-après, HELLER & MAURER, 2007).
2
3
Pour un survol des diagnostics en cours, voir P. LE PRESTRE et B. MARTIMORT-ASSO, «Les questions soulevées par le système de
gouvernance internationale de l'environnement», Paris, IDDRI, 2004 (accessible à www.iddri.org).
4
Par exemple, par des alliances et coalitions ad hoc d’États dans des domaines particuliers — tels que le changement climatique —,
par le secteur privé ou à travers des collaborations entre celui-ci et les organisations non gouvernementales – tels que les
certifications.
5
Voir, entre autres, Lydia SWART and Estelle PERRY, Global Environmental Governance: Perspectives on the Current Debate, New
York, Center for UN Reform Education, 2007; F. B IERMANN and S. BAUER, eds., A World Environment Organization : Solution or
Threat for Effective International Environmental Governance? Aldershot, Ashgate, 2005; S. DODDS, W. B. BRADNEE CHAMBERS, and
N. KANIE, International Environmental Governance. The Question of Reform: Key Issues and Proposals. Preliminary Findings.
Tokyo, UNU/IAS, 2002; D. ESTY and M. H. IVANOVA, Revitalizing Global Environmental Governance : A Function-Driven
Approach, New Haven, Yale School of Forestry and Environmental Studies, 2002. A. N AJAM, «The Case Against a New
International Environmental Organization», Global Governance, vol. 9, 2003, pp. 367-384.
3
4
terminer par des éléments de réflexion sur les difficultés actuelles, les limites du processus
et quelques questions dont devront tenir compte les futures tentatives de réforme.
1. Les suites du Sommet de Johannesburg
1.1. Des résultats modestes
La réforme de la GIE fut au cœur du processus de préparation du Sommet mondial sur le
développement durable (SMDD) de Johannesburg, en 2002. En février 2001, le conseil
d’administration du PNUE créait le groupe intergouvernemental de ministres (GIM)
chargé de conduire une évaluation complète des faiblesses institutionnelles existantes et
d'identifier les besoins et options futurs en matière de renforcement de la GIE (décision
UNEP 21/21). La préparation du Sommet de Johannesburg fut donc l’occasion d’une
réflexion d’ensemble qui plaça fermement la question de la réforme de la GIE à l’ordre
du jour international.
En février 2002, le GIM transmit ses recommandations au 4e Forum mondial des
ministres de l’environnement (FMME) et à la 7e session spéciale du PNUE, qui se tinrent
à Carthagène. La décision 1 du FMME, intégrée plus tard au Plan de mise en œuvre du
Sommet de Johannesburg, portait sur (1) le rôle et la structure du FMME comme moyen
d’améliorer la cohérence du système et d’encadrer l’action du PNUE, (2) le renforcement
de la base scientifique du PNUE, (3) la situation financière du PNUE (avec l'adoption
d'une échelle de contributions volontaires), (4) l’amélioration de la coordination de
l’action des AME, (5) le renforcement des capacités des pays en développement et (6) sur
le rôle du Groupe de gestion de l’environnement (GGE) en tant qu’instrument de
coordination des politiques des membres du système des Nations unies6.
Toutefois, dès le début des discussions sur la GIE, les pays en développement
soulignèrent l’importance de dépasser les questions d’environnement stricto sensu afin
d’élargir la réflexion à la gouvernance du développement durable. Ces deux étapes se
sont déroulées séquentiellement, et le plan d’action du SMDD comprend une série de
mesures destinées à répondre à ces préoccupations portant sur le rôle de la Commission
du développement durable, le financement du développement, la coopération entre le
PNUE et les institutions de développement ou le renforcement des compétences
nationales.
1.2. Une mise en œuvre lente et incomplète de la décision de Carthagène
C’est dans le cadre du PNUE et de la décision de Carthagène (2002) qu’ont été prises les
principales mesures de réforme du système de la GIE. Si les modestes actions envisagées
ont permis d’améliorer légèrement la situation financière de l’organisation7 et de la doter
d’un cadre de développement des activités de renforcement des compétences et de
transferts de technologie, le PNUE n’en sort pas profondément renforcé. Les principales
initiatives ont porté sur le fonctionnement du PNUE, notamment sur l’échelle de
contributions volontaires (1.2.1.), le Plan stratégique de Bali pour l’appui technologique
et le renforcement des capacités (1.2.2.), le renforcement de la base scientifique du PNUE
(1.2.3.) et sur les regroupements sectoriels (1.2.4.).
1.2.1. L’échelle de contributions volontaires
5
Face aux difficultés financières du PNUE, la Déclaration ministérielle de Malmö8(2000)
appelait les États à élargir l'assiette financière du PNUE et à améliorer la prévisibilité
de leur contribution financière. La
Décision SS.VII/1 du Conseil d’administration du PNUE, adoptée à Carthagène lors de sa septième session spéciale, le 15 février
2002, (doc. UNEP/GCSS.VII/1).
7
D’un point de vue strictement juridique, le PNUE, comme son nom l’indique, n’est pas une «organisation» dotée de sa propre
personnalité juridique, mais un « programme». Le terme «organisation», pris dans son sens sociologique et politique, sera cependant
utilisé ici, suivant en cela l’usage courant en relations internationales. Il en sera de même pour le PNUD et les secrétariats de
conventions.
8
GLOBAL MINISTERIAL ENVIRONMENT FORUM, «Malmö Ministerial Declaration», Nairobi, UNEP (UNEP/GCSS.VI/L.3), 2000
(http://www.unep.org/malmo/malmo_ministerial.htm).
6
6
même année, la résolution 55/200 de l'AGNU soulignait les besoins du Programme en
ressources financières adéquates, stables et prévisibles, et la décision UNEP 21/21 de
2001 affirmait qu’«un financement stable, prévisible et adéquat est une condition de
l’amélioration de la gouvernance et devrait constituer un des aspects centraux des
délibérations sur l’amélioration de la gouvernance internationale de l’environnement».
L'adoption, en 2002 d'une échelle indicative (un État membre peut contribuer sur la base
d'une échelle indicative de contribution ou toute autre base qu'il identifie) visant à élargir
la base des contributions au Fonds des Nations unies pour l’environnement (FNUE) et à
en améliorer la prévisibilité, a permis d’élargir le nombre d’États donateurs et
d’augmenter légèrement le volume des contributions dans l’immédiat, mais l’impact à
long terme demeure incertain et restera probablement limité9.
1.2.2. Le plan stratégique de Bali
L’identification de ce besoin fut un des éléments majeurs de la décision de Carthagène de
2002. En conséquence, la décision 22/17 (7 février 2003) du Conseil d’administration
(CA) du PNUE demande au directeur exécutif de développer un projet de plan et d’initier
des négociations qui se conclurent le 4 décembre 2004. Le plan stratégique fut ensuite
adopté à la 23e session du CA du PNUE, deux mois plus tard10.
L’ambition initiale qui était de développer une approche intégrée du renforcement
des capacités et de l’appui technique fut rapidement abandonnée, face, notamment, aux
craintes de domination par un système normatif particulier et aux rivalités interorganisationnelles. L’idée demeure néanmoins de prendre en compte les activités du
système onusien, des organisations régionales, des agences bilatérales, des ONG et du
secteur privé. C’est surtout un moyen pour le PNUE, comme d’autres organisations, telles
que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD)11, l’ont perçu, de
jouer un rôle plus important dans les activités de développement de l’ONU12.
Près de trois ans après son adoption, le Plan de Bali demeure balbutiant. Il est encore
loin de fournir le cadre conceptuel global régissant les activités des AME, des agences de
l’ONU et des institutions financières internationales (IFI) au niveau national. Les défis
demeurent de promouvoir les partenariats publics-privés et d’intégrer les objectifs du
Plan et le PNUE dans les travaux des équipes de pays des Nations unies, par le biais du
mécanisme des coordonnateurs résidents et dans le cadre du programme unique de pays
que les Nations unies mettent sur pied.
1.2.3. Le renforcement de la base scientifique du PNUE
La mise en place d’une GIE passe par un système capable de fournir des informations
scientifiques non biaisées en réponse à des priorités politiques, de guider les choix
politiques sans les déterminer et d’informer sur la nature, la probabilité et l’impact des
menaces. Les lacunes existantes portent sur la rareté des données fiables, l'évaluation
intégrée de l'évolution des paramètres environnementaux, le faible poids des sciences
sociales face aux sciences naturelles et l'absence de mécanisme d'identification des
problèmes émergents. L'ONU ne possède pas d'autorité scientifique centrale capable
d'intégrer les connaissances des sciences physiques, naturelles, sociales et humaines.
En janvier 2004, 123 États avaient annoncé ou versé des contributions, soit 30% de plus que les 92 donateurs de 2002. De façon
générale, les contributions globales avaient augmenté de 4.3 millions de dollars par rapport à 2002, malgré des contributions en baisse
des États-Unis et du Japon. Le montant total des contributions a cependant légèrement diminué en 2006 par rapport à 2005 (la
9
7
contribution du Canada ayant notamment chuté de près de 60%). Voir PNUE, Le PNUE en 2003. Rapport annuel, Nairobi, PNUE,
2004; PNUE, Le PNUE en 2005. Rapport annuel, Nairobi, PNUE, 2006.
10
Le Plan vise à (i) renforcer les capacités des pays en développement (PED) et des pays en transition (PET) à tous les niveaux; (ii)
prévoir des mesures systématiques, ciblées, à long et à court terme pour l’appui technologique et le renforcement des capacités; (iii)
faciliter la collaboration entre parties prenantes et fournir la base d’une approche d’ensemble pour le développement de partenariats, y
compris publics-privés; (iv) identifier et faire connaître les bonnes pratiques et encourager l’esprit d’innovation et les partenariats; (v)
fournir un cadre de renforcement des capacités afin d’assurer la participation des pays en développement et à économie en transition
aux négociations sur les AME; (vi) améliorer l’appui technologique et les activités de renforcement des capacités du PNUE sur la base
des bonnes pratiques au sein et en dehors du PNUE; (vii) renforcer la coopération entre le PNUE, les AME et d’autres organes
engagés dans le renforcement des capacités, y compris le PNUD, le FEM et autres parties prenantes; (viii) promouvoir, faciliter et
financer l’accès et le soutien au développement de technologies et au savoir écologiquement rationnels
11
Fin 2004, un mémorandum d’accord a été signé entre le PNUE et le PNUD afin de résoudre les conflits potentiels et d’améliorer la
coopération au niveau national. L’ambition initiale du PNUE d’ouvrir des bureaux nationaux et donc de jouer potentiellement un rôle
de coordination nationale, se heurtait aux fonctions traditionnelles du PNUD, renforcées par les propositions du rapport du Groupe de
haut niveau sur la cohérence qui fait du PNUD la plaque tournante des activités du système de l’ONU au niveau national.
12
UNEP, «UN Reform: Implications for the Environment Pillar,» Issue Paper by the Officer in Charge/ Deputy Executive Director, 4
May 2006 (UNEP/DED/040506), ci-après, UNEP/DED/040506.
8
La décision de Carthagène de 2002 a initié un processus de consultation sur le
renforcement de la base scientifique du PNUE (dite «initiative scientifique») qui identifia
un certain nombre de besoins, notamment :
-
-
-
-
renforcer les liens entre la connaissance scientifique et le développement de politiques,
notamment en renforçant la crédibilité, l’opportunité, la pertinence et la légitimité des
évaluations scientifiques, et en favorisant leur complémentarité;
mettre l’accent sur les liens scientifiques entre les défis environnementaux et les
réponses à y apporter et entre les défis liés à l’environnement, d’une part, et au
développement, d’autre part;
améliorer la quantité, la qualité et la disponibilité des données et de l’information sur les
questions d’environnement, y compris les alertes précoce et les désastres naturels.
L’harmonisation et l’interopérabilité des banques de données devraient aussi être
améliorées;
développer les compétences nationales des PED en matière de collecte et d’analyse de
données, ainsi qu’en matière de surveillance et d’évaluation intégrée.
améliorer la coopération, les synergies et la mise en réseau des organes des Nations
unies, des forums environnementaux régionaux et des institutions universitaires et
scientifiques13.
Sur la base de la recommandation du FFME de février 2002, la Norvège a proposé,
en janvier 2003, la création d’un Groupe intergouvernemental sur l’évaluation des
changements de l’environnement à l’échelle mondiale (Intergovernmental Panel for
Assessing Global Environmental Change — IPEC). La proposition norvégienne visait (i)
à faire face au problème des données, à la fois trop nombreuses et pas assez comparables,
en créant une véritable base de données complète, cohérente et adaptée, et en aidant les
gouvernements qui hésitent à s’engager financièrement à long terme; (ii) à intégrer tous
les aspects des changements de l’environnement à l’échelle mondiale dans une
perspective systémique et à différentes échelles; (iii) à identifier leurs implications pour
les politiques publiques, y compris le calcul du coût économique des changements
environnementaux globaux et (iv) à faciliter la préparation de l’agenda du FMME. Les
réponses des Gouvernements allèrent de l’appui prononcé (UE) au rejet. Les principales
craintes portaient sur les risques de dédoublement d’institutions existantes (Inde,
Amérique du Nord), de politisation de la science (associations scientifiques) ou
d’affaiblissement des capacités et des ressources des unités scientifiques du PNUE
(ONG)14.
En 2005, lors de la 23e Session du CA du PNUE, et suite à un processus consultatif
mené par ce dernier sur le renforcement de ses capacités scientifiques, plusieurs
propositions sont avancées qui donnent priorité au caractère fonctionnel plutôt
qu’institutionnel15 de toute initiative scientifique et qui privilégient le renforcement du
rapport sur L’Avenir de l’environnement mondial (Global Environment Outlook ―
GEO)16 et recommandent la réforme de la Veille écologique (Environmental Watch).
Cette dernière comprendrait cinq composants essentiels : un cadre conceptuel; un réseau
d’information; un volet évaluation scientifique; un programme de renforcement des
capacités; et le développement d’une boîte à outils.
Suite à une demande de précisions par le CA lors de sa la 9e Session Spéciale, en
2006, le Directeur exécutif du PNUE en présenta une nouvelle version à la 24e Session du
CA/PNUE de 2007. Ces précisions concernaient le lien entre la Veille écologique et les
9
autres structures existantes à tous les niveaux (national, régional, mondial), l’organisation
d’expériences pilotes, la clarification du rôle des points focaux, notamment au niveau
national et la coordination avec le Plan de Bali. La proposition vise à remplacer le modèle
initial de développement d’un système par une stratégie pluriannuelle intitulée «Stratégie
pour la Veille écologique: Vision 2020»17, basée sur le renforcement des capacités et
l’appui technologique, la mise en réseau et le partage d’information, et sur l’évaluation
des connaissances scientifiques.
13
UNEP/DED/040506:6, op.cit.
Losby GODS, IPEC. Discussion document for the Expert Think Tank Meeting, Oslo, UNEP, 2003, par.55
(http://www.unep.org/scienceinitiative/IPEC_Discussion_Doc.doc).
15
En référence à l’avortement du projet d’IPEC.
16
UNEP, Global Environment Outlook. GEO 4: Environment fo Development, Nairobi, UNEP, 2007 (disponible sur le site du PNUE:
www.unep.org)
17
Document UNEP/GC/24/3/Add.2 (2007), §13. Suite aux commentaires des gouvernements et autres institutions sur cette
proposition de stratégie, une version révisée a été présentée à la 25e session du CA/FMME, en février 2009 (UNEP/GC.25/INF/20).
14
10
Si certains pays sont opposés à ce que le PNUE développe une capacité de recherche
scientifique indépendante, il existe néanmoins un consensus sur la nécessité qu’il
devienne, au sein des Nations unies, la principale source d’information sur
l’environnement mondial et l’autorité scientifique en la matière. Ceci peut se faire à
travers la constitution de réseaux au sein du système des Nations unies, entre les AME et
avec les IFI, et par le renforcement de sa capacité à fournir une information crédible et
utile aux États sur des aspects importants de l’environnement mondial et sur les
catastrophes naturelles potentielles.
Les options présentées par les co-présidents de la consultation informelle (voir cidessous, section 2.2.2.) reprennent largement ces propositions et comprennent la création
d’un poste de scientifique-en-chef du PNUE, le renforcement des partenariats avec les
organismes de recherche, les universités et les associations professionnelles, la création
d’un réseau d’information mondial de veille de l’environnement à l’horizon 2020 et le
maillage entre les activités scientifiques du PNUE et le Global Earth Observation System
of Systems (GEOSS)18.
1.2.4. Regroupements (clustering)
Le clustering fait référence au regroupement des systèmes de gouvernance des
conventions ou de certaines de leurs fonctions19. Plusieurs types de regroupements ont été
imaginés : thématique, fonctionnel, géographique, ou administratif. La décision de la
septième session spéciale du CA du PNUE, endossée à Johannesburg, estime que «
l’approche par regroupement sectoriel est prometteuse, et les questions liées à
l’emplacement des secrétariats, à l’ordre du jour des réunions et à la coopération
programmatique de ces organes entre eux et avec le PNUE devraient être abordées». Les
promoteurs des regroupements des AME soutiennent qu'ils permettront de générer
davantage de fonds, stimuleront un meilleur accès aux capitaux, accroîtront la visibilité
de chaque thème, réduiront le fardeau des États et encourageront les synergies. Six
grands thèmes ont été identifiés : conservation des ressources naturelles, atmosphère,
sols, substances dangereuses, pollution marine et ressources naturelles20, tandis que le
PNUE propose un regroupement sous quatre thèmes : développement durable,
biodiversité, déchets chimiques et dangereux et mers régionales21. Le regroupement
fonctionnel, quant à lui, part de l’idée que les différents AME utilisent des institutions ou
ont recours à des fonctions dont les finalités sont similaires bien qu’adaptées à chaque
AME : études scientifiques ; participation et transparence; rapports de mise en œuvre;
règlement des conflits22.
La principale critique à l’encontre de cette option porte sur l'identification des
regroupements (certains AME, tels que la CDB, pourraient appartenir à plusieurs d’entre
eux) et aux difficultés opérationnelles liées à la diversité des mandats, des approches, des
membres et des règles de procédure que symbolisent les AME. Les problèmes
d’environnement ne sont pas nécessairement définis de la même façon23, les Parties aux
conventions ne sont pas toujours les mêmes, les responsabilités administratives diffèrent,
les objectifs et priorités sont parfois éloignées ou le déménagement du siège des
secrétariats devrait faire l’objet de choix politiques. D'autres difficultés ont trait à la
gouvernance des regroupements. Si, potentiellement, ils pourraient faciliter la
participation des acteurs non étatiques, des questions de gouvernance demeurent: Qui
11
parle au nom du regroupement ? Comment minimiser la compétition en son sein ? Le
regroupement des fonctions plutôt que des organisations, telles que la sensibilisation,
l'évaluation scientifique, les activités d'information, les transferts de technologie, le
renforcement des compétences, la rédaction des rapports nationaux ou le développement
du droit, apparaît plus opérationnel.
18
HELLER & MAURER, 2007.
Sebastian OBERTHÜR, «Clustering of Multilateral Environmental Agreements : Potentials and Limitations», International
Environmental Agreements : Politics, Law and Economics, vol. 2, 2002, pp. 317-340; UNEP, «Implementing The Clustering Strategy
For Multilateral Environmental Agreements : A Framework», Nairobi, UNEP, 2001 (UNEP/IGM/4/4); Konrad VON MOLTKE, «On
Clustering International Environmental Agreements», Winnipeg, IISD, 2001.
20
VON MOLTKE, op. cit.
21
UNEP, «A Policy Paper for Improving International Environmental Governance among Multilateral Environmental Agreements:
Negotiable Terms for Further Discussion», The Third Consultative Meeting of the MEA Secretariats on International Environmental
Governance, Téléconference, UNEP, 2001.
22
VON MOLTKE, op. cit.
23
Par exemple, les problèmes de biodiversité ont une structure (en termes de types d’acteurs, de distribution de la puissance, de
consensus scientifique, de liens avec l’économie ou les modes de vie, de capacités de mesure, etc.) qui diffère de celle des déchets
toxiques; il en va de même pour des accords qui touchent au même milieu, tels le Protocole de Montréal sur
19
l’appauvrissement de la couche d’ozone et celui de Kyoto sur les changements climatiques.
12
La troisième rencontre du GIM (septembre 2001) a décidé d'initier une phase pilote
de collaboration entre les accords dans le domaine des produits chimiques. En
conséquence, le PNUE lança des discussions sur l'approche stratégique internationale sur
la gestion des substances chimiques en 2002 (SAICM)24 qui fut finalement adoptée lors
de la Conférence internationale sur la gestion des produits chimiques de Dubaï (ICCM),
le 6 février 2006, puis lors du GCSS/IX. Cependant, son objet est limité car il ne couvre
pas les produits déjà réglementés par des autorités sanitaires nationales25.
En dépit des limites de la SAICM, le secteur chimique demeure le plus prometteur
quant à la faisabilité et à l’intérêt de regroupements sectoriels. Les trois conventions de
Rotterdam26, de Stockholm27 et de Bâle28 ont créé un Groupe de travail conjoint sur le
renforcement de leur coopération et coordination mutuelles en 2007. Ce rapprochement
devrait, notamment, se traduire par une coordination administrative renforcée, par une
coopération technique et par la tenue d’une conférence des Parties extraordinaire
conjointe en 201029.
1.2.5. Renforcer les organes d’impulsion et de coordination
D’autres questions issues de la décision de Carthagène qui feront nécessairement partie
d’une gouvernance renouvelée portent sur le rôle du FMME que de nombreuses
délégations considèrent comme le forum ministériel le plus important mais dont les
déclarations demeurent générales et déconnectées des décisions du CA, sur celui du
Groupe de gestion de l’environnement30 et sur la composition universelle du PNUE.
Dans l’éventualité où les discussions sur la GIE entraîneront un renforcement du
PNUE, la question de la composition universelle du FMME et du CA du PNUE,
récurrente depuis le processus GIM, devient importante. Les partisans de cette option
soulignent qu’elle accroîtrait le sentiment d’appropriation et de responsabilité des
décisions et des activités du PNUE, ainsi que la légitimité de l’organisation et la
transparence du processus de décision. Ses adversaires, en revanche, rappellent que le
mode de gouvernance du PNUE est conforme au modèle général des organes subsidiaires
de l’AG, qu’absence d’universalité ne signifie pas manque de légitimité, que cela
accroîtrait les coûts de fonctionnement de l’organisation (et donc les pressions à
contribuer financièrement davantage à l’organisation), qu’en pratique l’absence
d’universalité n’a que peu d’effets puisque les décisions sont prises par consensus, que la
composition actuelle du CA est équitable et que ce qui importe est davantage la
participation que la composition universelle, cette participation étant exercée à travers le
FMME31.
2. Des initiatives nouvelles afin de relancer le processus
Les discussions sur la GIE ne se sont pas limitées à la mise en œuvre de la décision de
Carthagène. Du fait de la primauté du développement durable et des objectifs du
Millénaire, la relation entre gouvernance de l’environnement et gouvernance du
développement constitue un élément important du contexte de
Décision UNEP/GCSS.VII/3. Sur la SAICM, voir Franz Xavier PERREZ, «The strategic approach to international chemicals
management : lost opportunity or foundation for a brave new world?» RECIEL : Review of European Community & International
Environmental Law, vol. 15, no 3, 2006, pp. 245-257.
24
25
13
Perrez, op. cit., p. 253. La SAICM est une initiative trans-sectorielle, volontaire et juridiquement non contraignante qui porte sur le
cycle de vie entier des produits chimiques, s’appuie sur les instruments internationaux existants et fournit le cadre d’un régime
général. Si elle possède une vocation globale, elle se concentre sur les pays en développement et à économie en transition. Les États
africains ont été parmi les plus actifs et ont notamment contribué à la définition du Plan d’action mondial. La stratégie comprend trois
documents : la Déclaration de Dubaï, une Stratégie politique globale (Overarching Policy Strategy — OPS) et un Plan d’action
mondial (en fait une boîte à outils pour la gestion des produits chimiques).
26
Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits
chimiques et pesticides dangereux qui font l'objet du commerce international, adoptée le 10 septembre 1998, entrée en vigueur le 24
février 2004. Adresse du secrétariat : http://www.pic.int/.
27
Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP), adoptée le 23 mai 200, entrée en vigueur le 17 mai 2004.
Adresse du secrétariat: http://www.pops.int/.
28
Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières des déchets dangereux et de leur élimination, adoptée en 1989,
entrée en vigueur le 5 mai 1992. Secrétariat : http://www.unep.ch/basel/.
29
Voir les recommandations des co-présidents du Groupe: UNEP/FAO/CHW/RC/POPS/JWG.3/2 (2008). La recommandation du
groupe de travail, qui offre un compromis entre l'autonomie préservée des conventions et l'établissement d'une coordination conjointe
des trois secrétariats, a été adoptée par la CP-9 de Bâle (en juin 2008), la CP-4 de Rotterdam (en octobre 2008) et la CP-4 de
Stockholm (en mai 2009) (Bulletin des négociations de la Terre, 2009).
30
Par exemple, comment lui faire jouer pleinement son rôle de coordinateur des organes de l’ONU? Comment renforcer ses liens avec
le Groupe de l’ONU sur le développement? Devrait-il avoir pour mandat de coordonner les AME?
31
Voir UNEP/GCSS.IX/3, 30 Novembre 2005.
14
discussion et génère tensions et blocages que deux processus parallèles de l’ONU (le
groupe de haut niveau et les consultations informelles) tentent de surmonter et dont une
troisième initiative, hors ONU, s’est efforcée de tenir compte, au prix d’une certaine
incohérence.
2.1. Le projet d’une ONUE
Le processus GIM permit aux États de préciser leurs positions, d’identifier leurs intérêts,
de soulever certains problèmes, de jongler avec des solutions, d’en exclure d’autres et
d’initier un dialogue avec les pays du Sud et entre pays industrialisés; mais l’indifférence
des États-Unis et la méfiance des PED empêchèrent toute réforme majeure du PNUE ou
de la gouvernance. Le président de la République française, soutenu par quelques pays
qui, depuis les années 1990, avaient avancé l’idée d’une Organisation mondiale de
l’Environnement — OME — (Allemagne, Afrique du Sud, Brésil), encouragea donc les
Affaires étrangères à développer une initiative diplomatique visant à poursuivre le
dialogue et à promouvoir une solution organisationnelle aux défaillances présumées du
système, solution à peine évoquée durant le processus GIM, soit le changement de statut
du PNUE32.
Face à l’impasse des discussions internationales, la France entreprit, avec le soutien
actif de l’Allemagne, d’initier des discussions entre pays intéressés qui visaient
essentiellement à construire un consensus sur la nature du problème et à initier un
mouvement vers une solution qu’elle identifia a priori comme la transformation du statut
du PNUE en agence spécialisée, plutôt que le projet d’une OME longtemps mis de
l’avant. On ne discuterait donc pas de la nature ou de l’avenir de la Commission du
développement durable, du PNUD et de l’ONUDI, ou du rôle du FEM, même si, en
pratique, il sera difficile de les ignorer. L’objet de cette initiative demeurait
ostensiblement limité: maintenir les questions de gouvernance à l’ordre du jour,
particulièrement lors du Sommet de 2005 sur les objectifs du Millénaire, et ainsi créer
une force en faveur d’une réforme importante de la GIE.
La solution privilégiée vise une réforme pragmatique du système plutôt que sa
transformation. Il s’agit de renforcer le statut, les compétences et la capacité d’action
concrète du PNUE en le transformant en agence spécialisée, plutôt que créer une
organisation sur le modèle de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). On veut
renforcer l’action multilatérale au sein de l’ONU et non en dehors d’elle, et solidifier et
de légitimer les compétences existantes du PNUE. Les discussions ont donc réaffirmé le
maintien du siège de l’ONUE à Nairobi33 et l’autonomie juridique des AME. Enfin, le
discours sur les rapports entre une ONUE et l’OMC change progressivement. Alors que
le discours initial insistait largement sur la capacité d’une ONUE d’agir en contrepoids à
l’OMC, voire de faire respecter ses normes par cette dernière, on cherche plutôt à
transformer une représentation fragmentée et inefficace en représentation institutionnelle
intégrée et forte, et à exclure le domaine de l’ONUE du champ de compétence de l’OMC,
même si les activités respectives de ces deux organisations s’affectent mutuellement. Ce
besoin de rééquilibrage ne s’adresse pas qu’à l’OMC mais touche aussi les grandes
agences des Nations unies (Unesco, OMS, FAO).
L’ONUE aurait trois grandes fonctions 34: (i) une fonction d’orientation politique,
principalement à travers le FFME, c'est-à-dire la définition de l’ordre du jour
15
environnemental et d’orientations stratégiques qui s’appliqueraient à l’ensemble du
système de l’ONU; (ii) une fonction de coordination qui se traduit par le concept
d’organisation «parapluie» qui voit «la coordination ou, dans certains cas, la mise en
commun de certaines activités transversales (collecte et échanges d’information, alerte et
analyse scientifique, renforcement des capacités et transferts de technologie, suivi des
engagements)»35, en s’inspirant du modèle de l’Organisation internationale du Travail
(OIT) ou de l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI). On suppose
aussi que la mise en commun de certaines fonctions administratives se poursuivrait. Ceci
s’appliquerait uniquement aux AME déjà rattachés à l’ONU ou au PNUE; et (iii) une
Pour une présentation détaillée de cette initiative, voir Philippe LE PRESTRE, « Gouvernance internationale de l’environnement. Une
initiative française », Annuaire français des Relations Internationales, 2006, pp. 924-941. Accessible sur le site :
www.diplomatie.gouv.fr
33
Si la localisation dans un PED peut être importante, il est moins clair que Nairobi soit le meilleur endroit, particulièrement lorsque
de nombreux PED n’y possèdent pas de représentation diplomatique.
34
MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES, «Résumé des travaux», 2005 (MAE 2005); disponible sur le site Internet
www.diplomatie.gouv.fr.
35
MAE, 2005, op. cit.
32
16
fonction de renforcement des capacités des pays en développement, déjà envisagée dans
le Plan de Bali, telles que la participation aux négociations internationales, le
renforcement des compétences et de l’expertise scientifique, le soutien aux politiques et
aux législations nationales, les transferts de technologie et la fourniture d’expertise. Le
PNUE accomplit déjà la plupart de ces activités ; il s’agirait donc de renforcer ses
moyens et sa légitimité.
Les discussions ont clairement fait avancer certaines positions et forcé quelques États
à se prononcer. La France acquit le soutien de l’Union européenne, peu de temps avant le
Sommet de l’ONU de septembre 200536. La Francophonie avait auparavant endossé cette
option. Les positions du Canada et d’autres pays, tels que Mexico ou le Royaume-Uni,
voire celle de la Chine (dont la position n’est cependant pas dépourvue d’ambiguïté) ont
aussi évolué en faveur d’une telle solution37. La coalition potentielle en faveur d’une
réforme est donc aujourd’hui plus grande qu’elle ne l’était en 2001. Cependant, la
difficulté n’a jamais été de convaincre les autres membres de l’Union européenne et
quelques pays du Sud francophones, mais d’inciter les États-Unis, le Japon, la Russie,
l’Australie et les pays émergents à envisager sérieusement une telle option.
A cet égard, les difficultés sont de plusieurs ordres et concernent :
-
-
Le contrôle et la légitimité d’une telle organisation : de nombreux PED craignent d’être
assujettis à des normes environnementales dont ils contrôleront difficilement l’élaboration
et susceptibles de limiter leur potentiel d’exportation ou de conditionner leur accès à
l’aide publique au développement; de plus, la centralisation pourrait réduire la capacité
des acteurs de la GIE, en général, d’influencer le processus de création des normes et
obligations internationales;
Le financement de l’organisation : alors que les bailleurs de fonds ont largement adopté
une politique de gel de leurs contributions aux OIG, les PED rejettent le principe de
futures contributions qui deviendraient obligatoires ;
-L’opposition sourde d’autres organisations intergouvernementales qui s’inquiètent à
la fois d’une diversion potentielle des ressources et d’une concurrence accrue;
-L’efficacité de la future organisation : ne créerait-on un autre monstre
bureaucratique? De plus, si le problème est la mise en œuvre des accords et
l’éducation des décideurs et des citoyens, la solution passe-t-elle par une ONUE,
ou bien ne faudrait-il pas à la fois renforcer le PNUE et les AME ?
En février 2007, le président Chirac organisait une conférence à l’Élysée38 qui réunit
des ministres, des scientifiques, des chefs d’entreprises, des ONG et des personnalités
venant de plus de soixante pays et dont l’objet principal était de sensibiliser l’opinion aux
urgences écologiques, définir des actions prioritaires et, surtout, redynamiser le
mouvement en faveur d’une réforme de la GIE en général et d’une ONUE en particulier.
Les participants endossèrent l’«Appel de Paris» qui invite «à l’adoption d’une
Déclaration universelle des droits et devoirs environnementaux» (restée lettre morte) et
appelle «à transformer le Programme des Nations Unies pour l’Environnement en une
véritable Organisation internationale à composition universelle.» Un «Groupe des amis
de l’ONUE» a été formé à cette occasion qui comprend plus d’une cinquantaine de pays,
et qui est principalement chargé de soutenir le projet d’ONUE dans le contexte de la
réforme des Nations unies, de contribuer activement aux consultations de l’Assemblée
générale sur le renforcement de la gouvernance internationale de l’environnement et de
promouvoir ce sujet dans toutes les enceintes internationales et régionales pertinentes. Si
17
peu de gouvernements sont fortement opposés à cette idée, beaucoup proposent
d’explorer d’autres options, telles qu’un consortium ou un réseau d’institutions aidé d’un
secrétariat commun; un consensus sur la question demeure élusif.
L’UE endossait ainsi l’appel du Secrétaire général en faveur d’un renforcement de la cohérence institutionnelle des Nations unies:
«L’UE soutient une gouvernance de l’environnement mondial plus efficace à travers une structure plus intégrée, afin de renforcer la
normalisation environnementale, les débats scientifiques et le suivi de la conformité». E UROPEAN UNION, 2660th Council meeting
General Affairs and External Relations - Bruxelles, 23 et 24 mai 2005, par.32. Voir aussi la déclaration de l’UE sur la réforme de la
gouvernance de l’environnement du 18 janvier 2007.
(www.new-york-un.diplo.de/Vertretung/newyorkvn/en/Statement_20Graf_20190107.html). Ce processus bénéficie du fort soutien de
l’Allemagne et de l’Espagne.
37
Jürgen TRITTIN, « Economic globalisation necessitates stronger global environmental protection. In support of a UN Environment
Organisation in Nairobi », Address at the Opening of the Ecologic/IDDRI Conference, Berlin, 26 mai 2005.
38
«Citoyens de la Terre : Conférence de Paris pour une gouvernance écologique mondiale» (disponible sur le site du ministère des
Affaires étrangères (www.diplomatie.gouv.fr).
36
18
2.2. Un regain d’activité au sein de l’ONU
En décembre 2004, le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les
menaces, les défis et le changement 39 identifiait plusieurs faiblesses institutionnelles du
système des Nations unies, notamment la faible capacité d’adaptation des instances
existantes à la nature des nouveaux problèmes d’environnement, et l’absence de
cohérence des efforts de protection de l’environnement au niveau global en raison
d’approches trop sectorielles.
En mars 2005, le Secrétaire général endossait la plupart des conclusions du Groupe,
notant, à propos de la GIE :
Il est maintenant grand temps de songer à une structure plus
intégrée permettant d’établir les normes en matière
d’environnement, de mener des débats scientifiques et de
suivre l’application des traités. Cette structure devrait
s’appuyer sur des institutions existantes telles que le
Programme des Nations Unies pour l’environnement, ainsi
que sur les organes conventionnels et les institutions
spécialisées. Parallèlement, les activités menées dans les
pays devraient profiter d’une meilleure synergie entre les
institutions de l’ONU, tant sur le plan normatif que sur le
plan opérationnel, en tirant le meilleur parti possible de
leurs atouts respectifs, de sorte que nous appliquions au
développement durable une démarche intégrée qui accorde
une égale importance à la composante « développement »
qu’à la composante « durable »40.
Le document du Sommet mondial de 2005 identifie un certain nombre de questions
méritant attention afin de renforcer l’efficacité des actions du système des Nations unies
en faveur de l’environnement, dont la création d’entités plus étroitement gérées dans le
domaine du développement, de l’aide humanitaire et de l’environnement, l’amélioration
de la coordination et des fonctions de conseil, le renforcement des connaissances
scientifiques, les évaluations et la coopération, et une intégration plus étroite des activités
environnementales dans le cadre plus vaste du développement durable, notamment grâce
au renforcement des capacités. En conséquence, le Sommet a convenu « d’étudier la
possibilité de mettre en place un cadre institutionnel plus cohérent à cette fin, y compris
une structure plus intégrée s’appuyant sur les institutions existantes et les instruments
adoptés à l’échelon international ainsi que sur les organes conventionnels et les
institutions spécialisées.»41
Le sommet de 2005 engendra un double processus de réflexion. Le premier, sous
l’autorité du Secrétaire général vit la création en février 2006 d’un Groupe de haut niveau
chargé d’examiner la cohérence du système dans les domaines du développement, de
l’aide humanitaire et de l’environnement («Groupe sur la cohérence»). Le second, sous
l’autorité de l’Assemblée générale, devait conduire une série de consultations informelles
sur le cadre institutionnel des activités de l’ONU dans le domaine de l’environnement.
19
Initialement présidé par les ambassadeurs Berruga (Mexique) et Maurer (Suisse), il
commença ses travaux en avril 2006.
Bien que les chevauchements et donc la nécessité d’une consultation mutuelle
fussent évidents, l’objet et la perspective de deux processus différaient. Le groupe sur la
cohérence a abordé la question principalement sous l’angle de l’intégration des
considérations environnementales dans l’ordre du jour plus large du développement, tel
qu’articulé dans le septième objectif du Millénaire, tandis que les consultations
informelles cherchaient d’abord à identifier comment renforcer le cadre institutionnel de
l’environnement42.
ONU, Assemblée générale, Un monde plus sûr : notre affaire à tous. Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les
menaces, les défis et le changement, New York, ONU, 2004. (A/59/565).
40
ONU, Secrétariat Général, Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous.
Rapport du Secrétaire général (A 59/2005, 21 March 2005), par. 212.
41
ONU, Assemblée générale, Document final du Sommet mondial de 2005 (A/60/L.1, 20 sept. 2005), par. 169.
42
UNEP/DED/040506, op.cit, p.3-4.
39
20
Le Groupe de haut niveau sur la cohérence du système
2.2.1.
En matière d’environnement, les termes de référence du Groupe identifiaient deux
grandes questions: une évaluation de la façon dont les Nations unies pourraient mieux
gérer et suivre les activités et le développement des AME, et la nécessité d’une meilleure
intégration de la perspective environnementale au sein du développement durable au
niveau national, notamment à travers le renforcement des capacités et les transferts de
technologie.
Le Groupe de haut niveau publia son rapport le 20 novembre 200643. Ses principales
recommandations demeuraient modestes et reprenaient des idées antérieures sur le statut
et le renforcement du PNUE, les partenariats entre AME et la rationalisation
administrative, tout en ouvrant un nouveau volet, soit le renforcement du FEM44. Le
rapport ne mentionne pas explicitement une ONUE, c’est-à-dire une centralisation des
moyens, mais en reporte la recommandation après la conclusion d’une future évaluation
du système de gouvernance.
2.2.2.
Le processus de consultation informel
Ce processus, le deuxième volet du suivi des recommandations du paragraphe 169 du
Document du Sommet mondial de 2005, se fit en deux étapes. La première prit la forme
d’entrevues en avril et juin 2006 dont la teneur fut résumée en un document publié le 27
juin 2006. La seconde phase débuta en janvier 2007, après que le président de
l’Assemblée générale, en octobre 2006, eut demandé aux co-présidents de reprendre leurs
consultations suite à la publication du rapport du Groupe de haut niveau sur la cohérence
du système. Le deuxième rapport des co-présidents a été publié le 14 juin 200745.
Les résultats de cette consultation peuvent être vus comme une tentative de parvenir
à un consensus sur la nature du problème et sur l’objet de négociations futures. Les coprésidents relevèrent les points de convergence suivants qui, pour la plupart et à quelques
nuances près46, forment le cadre de discussion depuis 2001, hormis un accent plus grand
sur la subordination de la gouvernance internationale de l’environnement à la
gouvernance du développement durable. Ce cadre porte sur :
-
-
Les évaluations scientifiques (absence de capacité de conseil cohérente et qui fasse
autorité, chevauchements, absence de mécanisme d’alerte précoce);
La complexité institutionnelle et la fragmentation; bien que la fragmentation du
système ait pu permettre de traiter efficacement certaines questions
d’environnement, elle a aussi engendré des politiques non coordonnées, accru le
fardeau de la participation, de l’observance et de la mise en œuvre efficace des
instruments juridiques, et la coordination nationale;
La mise en œuvre des engagements (y compris le renforcement des capacités et
l’appui technologique);
Le financement (mécanismes complexes, problèmes du PNUE);
Les partenariats (utilisation insuffisante des possibilités de partenariats avec la
société civile, l’entreprise, la communauté scientifique et universitaire; règles et
procédures au sein du système des nations unies qui limitent les partenariats).
En général, toute tentative de réforme devrait commencer par renforcer et développer
les structures existantes, favoriser les regroupements sectoriels et améliorer les liens entre
différents niveaux de gouvernance (global, régional, national). De plus, s’il s’agit
21
d’insérer l’environnement dans la planification économique et de l’intégrer au
développement durable, il faut aussi se garder d’ériger de nouveaux obstacles au
commerce, de détourner l’attention des questions de pauvreté et de développement, ou
ONU, Assemblée générale, Unis dans l’action. Rapport du Groupe de haut niveau sur la cohérence de l’action du système des
Nations Unies dans les domaines du développement, de l’aide humanitaire et de la protection de l’environnement. 20 nov. 2006
(A/61/583).
44
Sur ce point, le FEM, qui insiste sur sa liberté d’action, craint plutôt d’être ainsi subordonné à l’ONU.
45
Voir le site internet ReformtheUN.org: http://www.reformtheun.org/index.php/issues/2061?theme=alt4
46
INFORMAL CONSULTATIVE PROCESS on the Institutional Framework for the UN’s Environmental Activities, «Co-Chairs’ Summary
of the Informal Consultative Process on the Institutional Framework for the UN’s Environmental Activities; 27th June, 2006», mimeo
(Enrique BERRUGA & Peter MAURER); Rapport HELLER & MAURER, 2007, op. cit.
43
22
d’éroder le cadre général de développement durable. La gouvernance du développement
durable devrait continuer de reposer sur l’Assemblée générale, l’Ecosoc et la CDD, et le
PNUE se concentrer sur l’environnement. Une nouvelle GIE devrait renforcer les
objectifs du Millénaire et viser, non pas comme un exercice visant à «rationaliser les
ressources» en coupant les budgets, mais comme un moyen d’acheminer de nouveaux
fonds en soutien au développement durable.
Les fonctions de la GIE sur lesquelles les délégations s’accordent et qui méritent
d’être améliorées comprennent l’identification et l’évaluation de l’état de
l’environnement, la production de normes et de politiques, la mise en œuvre à tous les
niveaux et l’évaluation et le soutien aux politiques (financement, renforcement des
compétences, transferts technologiques, partenariats). Sur la base de ces éléments d’un
consensus sur les contours minimaux possibles d’une réforme, les co-présidents ont
proposé que l’Assemblée générale décide en 2007 (i) de poursuivre les consultations
informelles sur les besoins et les possibilités d’un système de gouvernance plus cohérent;
et (ii) d’adopter les termes de référence de négociations formelles pour une
transformation du système de GIE qui débuteraient en 2008.
Conclusion : Une réforme élusive
Le rapport du groupe de haut niveau sur la cohérence du système et les options présentées
à l’issue des consultations informelles forment le cadre général de ce qui est
politiquement faisable. Si le processus engagé par le PNUE, le suivi du Sommet de 2005
et les initiatives françaises et allemandes ont insufflé un nouveau dynamisme au débat sur
la gouvernance de l’environnement, les conditions ne sont pas encore réunies pour aller
au-delà de modestes ajustements vers un modèle plus centralisé, comme en témoignent le
piétinement de l’initiative pour une ONUE ou l’échec de l’IPEC. En effet, les acteurs
politiques affichent des divergences de vues tant sur l’analyse des déficiences du système
que sur leur solution.
Ni le rapport du Groupe de haut niveau, ni ceux des deux processus qui s’ensuivirent,
n’apportent de soutien explicite à une ONUE qui se heurte à l’absence de soutien de pays
clés (États-Unis, Japon, Australie, Russie), à la méfiance des pays émergents et en
développement (hormis quelques exceptions) et à la concurrence des OIG existantes. Le
Gouvernement des États-Unis, pour qui la fragmentation n’a pas que des désavantages et
qui insiste sur la pleine mise en œuvre des réformes précédemment adoptées, préfère une
approche ad hoc et se méfie d’un modèle de gouvernance centralisé qu’elle juge enclin à
la bureaucratisation, à l’autoritarisme, au gaspillage des ressources et à la sclérose. Le «
Groupe des 77 et la Chine» demeure partisan d’un cadre institutionnel plus cohérent, tel
que proposé dans le document du Sommet mondial de 2005, mais continue d’affirmer la
nécessité de traiter l’environnement conjointement avec les questions économiques et
sociales.
Les positions se cristallisent autour de trois questions : (1) faut-il un cadre
institutionnel nouveau ou non? Les réponses opposent étapistes et transformistes, c’est-àdire les partisans d’une réforme radicale et ceux d’une réforme graduelle. Il est clair que
face à l’opposition politique envers une réforme profonde, face aussi à la prévalence des
idées reçues sur les défauts du système actuel, on ne peut envisager que des réformes
23
limitées à moyen terme; (2) faut-il adopter une approche centralisée ou bien favoriser une
approche décentralisée ? Cette dimension oppose surtout l’Union européenne aux ÉtatsUnis, les pays en développement étant eux-mêmes plus proches de ces derniers sur ce
point. Des initiatives en cours vont dans le bon sens. Par exemple, au sein de la
convention sur la diversité biologique (CDB), le Groupe de liaison sur la biodiversité,
formé après la 7e conférence des Parties au plus haut niveau (en principe), regroupe cinq
conventions (CDB, CMS, Ramsar, WHC, CITES). De plus, ce qui apparaît comme une
faiblesse, la décentralisation, peut aussi devenir une force47; (3) enfin, l’objet d’une GIE
est-il le renforcement des capacités nationales ou bien la définition du bien commun et les
questions qui ont un impact sur l’efficacité des politiques nationales? En d’autres termes,
une institution internationale forte est- elle nécessaire à la mise en œuvre nationale?
En termes, par exemple, de renforcement de la participation ou de capacités d’adaptation et d’apprentissage. Voir Philippe LE
PRESTRE, « Releasing the Potential of Emerging Trends: For a Canadian Initiative on Strengthening Convention Governance
Systems», International Environmental Governance Workshop, Environment Canada, Vancouver, 2001; Norichika KANIE,
«Governance with Multilateral Environmental Agreements: A Healthy or Ill-Equipped Fragmentation?» In Lydia SWART et Estelle
PERRY, op. cit., pp. 67-86.
47
24
Dans ce contexte, un certain nombre de questions méritent attention48 :
(1) Identifier la nature des problèmes et les liens entre diagnostic et intérêts — le
premier défi est de renforcer les fondements empiriques des problèmes identifiés ; l’appel du
Groupe de haut niveau sur la cohérence à l’approfondissement des recherches sur la nature des
problèmes doit être l’occasion de développer des études rigoureuses.
(2) Reconnaître les atouts existants — comment les conserver tout en renforçant le
système ? Le débat sur la réforme de la gouvernance internationale de l’environnement s’est
exclusivement concentré sur la critique et l’identification des défaillances du système actuel en
omettant ses atouts et ses succès. Les difficultés de mise en œuvre ne signifient pas absence
d’activité internationale. Depuis 1997, différents indices témoignent d’un certain progrès, tels que
la signature de nombreux accords (sur la désertification, les pêcheries, les polluants organiques
persistants, la participation citoyenne) dont certains sont contraignants (protocoles de Kyoto et de
Carthagène), le renforcement d’autres accords (protocole de Montréal), l’augmentation du
financement disponible, l’affirmation de certains principes (consentement préalable en
connaissance de cause, précaution, responsabilités communes mais différenciées) et la
participation effective d’un plus grand nombre d’acteurs (ONG, industrie).
(3) Articuler environnement et développement durable — Toutes les bonnes choses ne
vont pas nécessairement ensemble; le débat sur la gouvernance a mis en évidence le fossé qui
peut exister entre protection de l’environnement et développement durable. On ne peut, par
exemple, faire l’économie d’une réflexion profonde sur la nature et le fonctionnement de la
Commission du développement durable chargée d’effectuer le suivi d’Agenda 21, le programme
d’action de la Conférence de Rio de 1992. Six anciens présidents de la Commission et la société
civile ont, chacun de leur côté, proposé des éléments de diagnostic et de solutions, telles que sa
transformation en organe subsidiaire de l’Assemblée générale.
(4) Intégrer sans centraliser — Si la centralisation des fonctions n’est pas la panacée que
certains avancent, une meilleure articulation et intégration des activités et des fonctions des
AME, des OIG traditionnelles, des autorités nationales et des acteurs de la société civile demeure
souhaitable. Cette articulation doit se faire à travers le développement des réseaux de politiques
publiques et à plusieurs niveaux : (i) entre AME (et ici l’approche par regroupements sectoriels
s’impose de plus en plus dans certains domaines), tout en œuvrant pour le renforcement de
l’autorité et des moyens des AME et en gardant à l’esprit qu’il ne peut y avoir un seul modèle
pour tous les problèmes d’environnement; (ii) entre des domaines d’action différents mais qui
touchent, ensemble au développement durable, tels que les activités humanitaires et les mesures
de protection de l’environnement; (iii) entre initiatives privées et publiques. De nouvelles sources
de normes ont émergé à travers des partenariats entre acteurs non étatiques qui comblent un
vide que les institutions intergouvernementales n’ont pas réussi à occuper mais qui échappent
aussi au contrôle démocratique et fragmentent encore davantage la gouvernance actuelle49. Il
s’agit moins d’unifier les normes (puisqu’un système décentralisé doit, par définition, favoriser
l’expérimentation) que de s’assurer qu’elles ne sont pas incompatibles; (iv) entre échelles de
gouvernance. À ce propos, la réflexion interscalaire porte sur trois niveaux (global-national-local),
voire quatre niveaux si l’on tient compte du régional, dont les relations sont interdépendantes et
possèdent chacune leur importance. Il s'agit, non seulement de comprendre les mécanismes
d'interaction et d'agrégation entre ces niveaux, mais encore de permettre la construction d'un
«univers de sens commun» capable de soutenir la mobilisation d'acteurs participant à la définition
et à la mise en œuvre d’un régime. Cette interdépendance des différents niveaux de
gouvernance fait que l'on n'évacue pas le problème en changeant d'échelle ou en
Certaines sont également soulevées par Benoît MARTIMORT-ASSO et Laurence TUBIANA, «Gouvernance internationale de
l’environnement : les prochaines étapes», Les synthèses de l’IDDRI, n o 6, Paris, IDDRI, 2006.
49
Voir, notamment, Marie-Claude SMOUTS, Forêts tropicales, jungle internationale. Les revers d'une écopolitique mondiale, Paris,
Presses de Sciences po., 2001; A. Claire CUTLER, Virginia HAUFLER, and Tony PORTER, Private Authority and International Affairs,
48
25
Albany, State University of New York Press, 1999; Jennifer C LAPP, «The privatization of a global environmental governance: ISO
14000 and the developing world», Global Governance (1998), vol.4, pp. 295-316.
26
contournant un niveau: le global ne peut se substituer au local ou au national, ni le lien
global-local au lien national-local. La prise en compte de cette préoccupation pose un
certain nombre de défis : (i) comment renforcer le lien global-local sans délégitimer ni
affaiblir le niveau national, ou encourager les blocages, voire le risque de perception de
néo-colonialisme? (ii) comment s'assurer que le renforcement du lien global-local ne se
fasse aux dépens de ce dernier? (iii) comment renforcer le lien national-local tout en
tenant compte des objectifs du régime?50 Si la réforme de la GIE demeure élusive, c’est
sans doute qu’il est illusoire de vouloir centraliser l’autorité et la production de normes
et de savoir. Les impasses actuelles ou les progrès marginaux enregistrés depuis 2001
suggèrent la nécessité de réfléchir à des modes de gouvernance différents de ceux qui,
jusqu’ici, ont servi de modèle et qui agissent davantage comme des carcans que
comme des moyens d’avancer vers la définition collective d’un bien commun en
matière d’environnement et de développement durable.
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