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russe 1161-0557 2007 num 29 1 2303

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Revue Russe
Stanislavski en quête d'une méthode : la prière du cœur et la
pensée hésychaste
Fabrice Pruvost
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Pruvost Fabrice. Stanislavski en quête d'une méthode : la prière du cœur et la pensée hésychaste. In: Revue Russe n°29,
2007. Du spirituel au théâtre et au cinéma. pp. 49-66;
doi : https://doi.org/10.3406/russe.2007.2303
https://www.persee.fr/doc/russe_1161-0557_2007_num_29_1_2303
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Fabrice PRUVOST
Stanislavski en quête d'une méthode:
la prière du cœur et la pensée hésychaste
La vie active est la voie d'accès à la contemplation.
Origène, Homélie sur Luc, I.
Il nous semble bon et particulièrement utile d'exposer d'abord une
méthode naturelle du bienheureux Nicéphore touchant l'entrée
dans le cœur au moyen de l'inspiration, et qui contribue dans une
certaine mesure au recueillement de l'esprit.
Calliste et Ignace Xanthopouloi, Méthode et règle détaillée,
inspirée des saints, à l 'usage de ceux qui ont élu la vie hésychaste.
L'exhumation des notes compilées par Demidov 1 permet de prouver
l'intérêt certain que Stanislavski porta, au moins à partir de 1911, aux dernières
découvertes dans le domaine de la psychophysiologie, à l'enseignement des
yogis ainsi que, certainement pour un temps, aux mystiques chrétiens et à
leur « technique » de la prière du cœur. Ces diverses sources d'inspiration
furent bien évidemment encombrantes pour la stricte idéologie soviétique et
la volonté de l'appareil de faire du « Système » une méthode correspondant
aux canons scientifiques officiels. Toute référence au religieux, ou à quelque
mysticisme que ce soit, fut ainsi soigneusement effacée même si quelques
traces réapparaissent aujourd'hui.
Néanmoins, la preuve de l'intérêt de Stanislavski envers une tradition
séculaire de prière propre à Phésychasme2 n'apparaît en fait que comme une
demi-surprise. Le témoignage de Galina Brodskaïa montre à lui seul
l'omniprésence chez cet homme d'une foi religieuse et d'une culture orthodoxe
profondément ancrées :
1.
2.
Cf. dans ce volume l'article de Marie-Christine Autant-Mathieu, « L'inconscient créateur
dans le Système de Stanislavski ».
De hesychia signifiant « impassibilité », « repos », « quiétude ». Le mot, selon le contexte,
renvoie aussi parfois à une marque d'unification intérieure ou à une simple attitude
physique contemplative: « être assis en silence ». Remarquons que Platon définissait déjà
le véritable philosophe comme un être se tenant en repos, loin de la multitude. Il est vrai
que la mystique du christianisme primitif s'inspire volontiers du platonisme et du
néoplatonisme. J'y reviendrai. Au niveau mystique, l'hésychaste désigne celui qui se livre à
la prière perpétuelle de l'âme en repos et s'adonne entièrement à la contemplation, ce
dernier terme étant à entendre - paradoxalement - en un sens actif. Je reviendrai aussi sur
ce point.
Fabrice Pruvost est comédien de théâtre et de cinéma, metteur en scène et chargé de cours à
l'Association théâtrale de recherche, d'études et d'enseignement (ATREE). Il prépare un
ouvrage sur Pierre Débauche.
LA REVUE RUSSE, Paris, 29, 2007, pp. 49-66.
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FABRICE PRUVOST
Stanislavski était croyant et le resta. Seuls ses proches connaissaient la fermeté de sa foi.
C'était une foi naïve, patriarcale, héritée de ses ancêtres, reçue de ses parents, en partie
inconsciente et constituant, selon lui, neuf-dixièmes de la nature vivante. Et de l'homme. Il
se maria religieusement dans l'église du domaine familial de Lioubimovka. Il fit baptiser
ses enfants et sa petite-fille. Il les bénissait avant leur sommeil. Il vénérait les saintes
reliques. Il célébrait, comme il convient à un orthodoxe, les fêtes religieuses: Noël, Pâques,
Pentecôte, il connaissait bien les rituels, observait le jeûne. Avant d'ouvrir une nouvelle
usine, il la faisait toujours bénir. Il commençait une saison par un Te Deum, et ce, jusqu'à
la Révolution [...]. L'idéal, le superobjectif intérieur des rôles et des spectacles du
Stanislavski d'avant la Révolution était l'égalité idyllique chrétienne des gens dans le bien.
Mais pas l'égalité des gens dans la misère selon l'idéal de la révolution socialiste [. . .]3.
Ainsi, il paraît difficile d'imaginer que cet homme si proche de la
tradition orthodoxe ait pu ignorer l'existence de la Dobrotoljubie (Philocalie4).
Cet ouvrage, anthologie de textes de contemplatifs sur la tradition de
l'expérience spirituelle authentique par la prière, est préparé tout d'abord en slavon
par le grand starets Paisie Velitchkovski5. Sa publication à Saint-Pétersbourg
en 1793 connaît huit rééditions. Ce succès témoigne à lui seul de la «
renaissance philocaliste » que la Russie traverse tout au long du xixe siècle. C'est
en effet à cette période que l'approche de la pensée orthodoxe se renouvelle
entièrement et affirme une spiritualité fervente allant à rencontre de
l'oppression tsariste et de sa volonté de sécularisation du pouvoir.
La version russe de la Philocalie, monumentale, est quant à elle l'œuvre
de Théophane le Reclus (1815-1894). Il en entreprend en 1877 6 une
publication qui connaîtra quatre rééditions. Certes, cette version retranche
sévèrement certains textes prenant le mot « cœur » en un sens jugé trop
physiologique, ou d'autres faisant explicitement référence aux techniques physiques
employées pour la prière, en particulier les méthodes respiratoires de
Nicéphore le Solitaire (seconde moitié du хше siècle) et du pseudo-Syméon
le Nouveau Théologien (début du xive siècle). L'édition réintègre en
revanche des auteurs écartés injustement de la Dobrotoljubie, comme, entre autres
exemples, ceux de Jean Climaque ou de l'Échelle (vers 580-650), garant de
la « spiritualité sinaïte » et largement commentée lors du renouveau hésychaste de la fin du xine siècle.
3.
4.
5.
6.
Galina Brodskaja, Alekseev-Stanislavskij, Cehov i drugie, t. 2 Visvevosadskaja èpopeja,
Moskva, Agraf, 2000, p. 277.
Philocalie: amour de la beauté, du bon, du bien.
Velitchkovski (1722-1794) s'appuie lui-même sur une édition parue en 1782 à Venise,
préparée par l'évêque de Corinthe Macaire (1731-1805) qui en découvre le manuscrit et
par le moine Nicodème dit l'Hagiorite (1749-1809) qui en prépare la préface et les
notices. Notons que c'est encore Velitchkovski qui rétablit les liens entre le monachisme russe
et celui du Mont Athos où il séjourna pour se pénétrer de ses anciennes traditions. C'est
pourtant Nil de la Sora (ou Nil Sorski, 1435-1508) qui, le premier, introduisit l'hésychasme du Mont Athos dans la Russie du XVe siècle. Ses actions furent violemment
combattues par les dirigeants de l'Église russe, à tel point que son mouvement, après
avoir donné des fondements mystiques à l'ascèse monastique, disparut presque
complètement.
L'édition, comprenant 5 tomes, sera achevée en 1889.
STANISLAVSKI EN QUÊTE D'UNE MÉTHODE
51
II existe néanmoins un autre accès à ces textes écartés de la version russe :
les Récits d'un pèlerin russe. Cette œuvre anonyme fut sans doute élaborée
par un religieux de l'ermitage d'Optino à partir de divers souvenirs
d'authentiques pèlerins. L'ouvrage paraît tout d'abord à Kazan vers 1870 dans
une version « fautive et peu sûre 7 », mais est republiée correctement en 1881
puis rééditée en 1884, toujours à Kazan. Les Récits montrent les
pérégrinations d'un pèlerin chrétien orthodoxe à travers une Russie à peine remise de
la guerre de Crimée (1854-1856) et connaissant encore le servage (aboli le
3 mars 1861). En quête d'une explication profonde sur le pourquoi de la
prière, le pèlerin acquiert une Bible ainsi qu'un exemplaire de la DobrotoIjubié dans l'édition de Velitchkovski. La narration de son aventure mystique
vers l'illumination consciente donna définitivement une dimension populaire
à la Philocalie et la pensée hésychaste.
On peut encore rappeler ici la prégnance de l'atmosphère spiritualiste qui
règne en Russie dès la première moitié du xixe siècle et jusqu'aux années
1920. Sous les coups de boutoir de l'histoire, l'âme orthodoxe s'est
considérablement affermie depuis plusieurs générations. Parmi les plus importants
ermitages, le monastère d'Optino et sa lignée de starets, dont le Zosime des
Frères Karamazov 8 est un sublime portrait, irradie la littérature et la pensée
russes du xixe siècle9. De plus, l'effort missionnaire orthodoxe, utilisant
systématiquement les langues locales, se développe à nouveau
considérablement, rayonne jusqu'au Japon en passant par l'Asie du Nord et les îles
Aléoutiennes (mer de Bering). La Russie connaît en fait une « crise du
sens 10 » exacerbée durant son « Âge d'argent », cette période qui court sur les
vingt-cinq années précédant la révolution bolchevique de 1917. L'influence
spirituelle comblant partiellement l'abîme entre l'Église et les intellectuels,
l'intelligentsia interroge l'identité culturelle de la Russie par le biais
notamment d'une inévitable confrontation entre le rationalisme de l'Occident et les
valeurs spirituelles de la tradition orthodoxe:
En réaction contre le positivisme [. . .], l'Âge d'argent apparaît comme une période de
renouveau spirituel, et plus précisément de ressourcement de la pensée dans la tradition
chrétienne orientale, caractérisée par son christocentrisme, ou logocentrisme. C'est ainsi
que le questionnement ontologique qui est au fondement de la quête du sens se manifeste
par un retour à la notion du Logos, appréhendée dans sa dimension à la fois antique et
chrétienne [...]. Cette réflexion tour à tour philosophique, mystique ou poétique sur le
7.
Introduction aux Récits d 'un pèlerin russe, traduits et présentés par Jean Laloy, co-édition
Paris, Seuil, coll. « Points Sagesses » et Éditions de la Baconnière, Boudry (Suisse),
2003, p. 9.
8. Dostoïevski invente ce personnage de Zosime à partir du père Ambroise à qui il rend
visite à Optino en juin 1878.
9. Outre Dostoïevski, nombre d'intellectuels russes comme Gogol, Soloviev ou Tolstoï,
visitèrent les starets d'Optino.
10. Florence Corrado, « Représentation de la Russie à l'Âge d'argent: Vladimir Ern et la
pensée du Logos », article consultable sur le site http://cid.ens-lsh.fr/russe/lj.corrado.
htm#appel10.
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FABRICE PRUVOST
Logos, tout en manifestant une quête ontologique qui fait face à la crise du sens, peut
aussi apparaître comme une quête identitaire cherchant à établir une filiation entre la
Russie et l'Antiquité grecque puis chrétienne n.
Poètes symbolistes (comme Andrei Biély, Alexandre Blok, Valéry Brioussov
ou Viatcheslav Ivanov), philosophes (comme Vladimir Soloviov, Vladimir
Ern, Nicolaï Berdiaev, Sergueï Troubetskoï, Semion Frank ou Sergueï Boulgakov) et mystiques affirment la possibilité d'une connaissance par la foi.
Le tolstoïsme, naissant peu après la publication d'Anna Karénine (1877),
participe encore largement de cette fièvre spiritualiste, bien qu'il s'agisse là
d'un travail radical de critique et d'exégèse de la tradition religieuse qui
rejette le surnaturel (et par conséquent la divinité de Jésus), pour ramener le
message christique à une règle de vie comportant deux principes, l'amour de
Dieu et du prochain, et s 'appuyant sur les cinq commandements du Sermon
sur la montagne. Néanmoins, la redéfinition de l'art par Tolstoï conclut sur la
nécessité pour toute œuvre d'exprimer les aspirations profondément
spirituelles et religieuses de l'homme. En ce sens, l'art doit pouvoir dépasser le
seul savoir-faire, sa technè, pour devenir un « fait de nature 12 ». Ce paradoxe
de Tolstoï qui pose le « surmontement de l'art par l'art lui-même 13 », en le
« naturalisant » sera aussi celui de Stanislavski. Ainsi, la collaboration de
Stanislavski avec ce disciple de Tolstoï que fut Leopold Soulerjitski n'est pas
due aux seuls effets de la sympathie. On sait d'ailleurs l'influence profonde
que « Soûler » eut sur le travail du premier Studio. Leur relation prouve
encore, s'il en était besoin, l'attachement qu'éprouvait l'inventeur du
« Système » envers un art authentiquement tourné vers « la vie spirituelle de
l'homme14 ».
Enfin, et au moins définitivement grâce aux notes de Demidov,
Stanislavski a pu facilement établir les liens qui existent entre les techniques de
pacification du mental propres au yoga et la recherche, par l'ascèse, d'une
intériorité unificatrice, une « connaissance expérimentale de Dieu » a-t-on pu
dire, caractéristique de l'hésychasme 15.
1 1 . Florence Corrado, op. cit.
12. Je tire cette expression du texte de Jean-Claude Lanne, « Les idées esthétiques de Léon
Tolstoï », in Cahiers Léon Tolstoï, n° 14, Tolstoï et l'art, Institut d'études slaves, Paris,
2003, p. 15.
13. Id., p. 17.
14. Constantin Stanislavski, Ma vie dans l'art, Lausanne, L'Âge d'Homme (réimpression),
1999, p. 392. On retrouve cette expression de « vie spirituelle » déclinée de nombreuses
fois tout au long des écrits de Stanislavski.
15. Ces ressemblances entre l'hésychasme et les pratiques du yoga ont été souvent
remarquées au XXe siècle, en particulier par Mircea Eliade dès sa thèse de doctorat. Celui-ci
remaniera son texte pour le publier une première fois en anglais, puis en roumain et enfin
en français sous le titre Le Yoga. Essai sur les origines de la mystique indienne (BucarestParis, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1936). Eliade reprit et modifia une dernière
fois son ouvrage pour l'éditer sous un nouveau titre Le Yoga, immortalité et liberté (Paris,
Payot, 1983).
STANISLAVSKIEN QUÊTE D'UNE MÉTHODE
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L'exhumation du contenu de ces dossiers pose néanmoins d'autres
questions. Il n'est en effet peut-être pas entièrement inutile de se demander ce qui,
au sein de cette tradition, a particulièrement retenu l'attention de Stanislavski
vis-à-vis de l'élaboration de son Système. S'il s'est penché avec précision sur
les écrits relatant les expériences de la prière perpétuelle, qu'a-t-il jugé utile
de reverser de cette tradition dans ses recherches? S'est-il uniquement
intéressé aux aspects « techniques » de la prière perpétuelle? A-t-il au contraire
été inspiré par le caractère résolument méthodique de la tradition colportée
par cette longue lignée d'ascètes, certains d'entre eux n'hésitant d'ailleurs
pas à qualifier cette méthode de « scientifique »? Sans doute sera-t-il à jamais
impossible de connaître son degré d'implication dans l'étude de cette
tradition. Il est en revanche assez clair que la prière ininterrompue, quelle que soit
sa traduction chrétienne, renvoie à toute une série d'expériences vécues
témoignant d'une relation maîtrisée avec l'inconscient. En écartant les
objectifs purement mystiques de la prière continue, Stanislavski a pu y trouver
d'autres centres d'intérêt. Il est tout à fait probable que la possibilité pour un
sujet d'occuper l'espace inconscient et d'entrer en une sorte de dialogue avec
lui - dialogue qui régénère la vie intérieure - favorise l'unicité du corps et de
l'esprit, aide enfin à la compréhension du Moi profond - cette possibilité
devait fortement intriguer quelqu'un ayant pour but de pénétrer plus avant
dans l'entendement des mécanismes psychophysiques ouvrant sur l'état de
création.
*****
Dans sa très belle introduction à Г Encyclopédie des mystiques 16, Jean
Baruzi s'interroge sur l'existence d'un langage mystique et la capacité pour
le profane de discerner dans les textes ce qui, par définition, reste à jamais
ineffable. Baruzi appuie sa réflexion sur celle d'Henri Bremond 17 pour
avancer avec lui que « ce n'est pas l'expérience du poète qui me fait comprendre
l'expérience du mystique, mais, inversement, l'expérience du mystique qui
me fait comprendre l'expérience du poète18 ». Il est possible que l'intérêt de
Stanislavski envers les mystiques de la prière du cœur parte d'un
cheminement de pensée tout à fait comparable. Dès 1906 en effet, son
questionnement tourne autour des modalités conscientes qui lui permettront de faire
émerger une méthode visant à reproduire efficacement une intuition créatrice
vécue. Il s'agit de rompre avec une activité théâtrale dont les « racines réelles »
ne plongent pas profondément en l'acteur, de restaurer « la joie de créer qui
était autrefois (sienne) »; l'injonction est désormais de se mettre sur la voie
16. Voir le tome I de cette Encyclopédie des mystiques, sous la direction de Marie-Madeleine
Davy, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1996, p. xxxii. Outre l'introduction de Jean
Baruzi, je ne peux que recommander cet excellent ouvrage sur lequel je m'appuierai
largement tout au long de cet article.
17. Dont il cite l'ouvrage, Prière et Poésie (Paris, 1926).
18. « Introduction », Encyclopédie des mystiques, op. cit., p. xxxii.
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permettant « une approche (correcte) de la création 19 ». Pour finir, la question
se décline donc ainsi: « n'existe-t-il pas de procédés techniques capables de
créer l'état de création? 20 », mais aussi « pour que cet état ne soit pas le fait
du hasard, mais qu'il puisse être créé suivant le libre arbitre de l'acteur, à
volonté, "sur commande"?21 ». Plaçant l'inspiration en idéal absolu de l'art,
il conçoit que nul ne peut la créer artificiellement. Du moins peut-on faire en
sorte d'en préparer « le terrain favorable, l'atmosphère qui permettent à
l'inspiration de descendre dans (son) âme plus volontiers et plus souvent22 ».
L'intuition première de Stanislavski est de placer le physique et le
psychique dans la perspective du spirituel :
Avant chaque représentation, faire une toilette totale, pas seulement corporelle, mais
aussi, mais surtout une toilette mentale; avant de créer, savoir se mettre dans
l'atmosphère spirituelle sans laquelle ne peut avoir lieu le sacrement de la création23.
Le premier élément de réponse que Stanislavski découvre pour atteindre
à un art véritable est dans la primauté accordée à la « liberté corporelle »,
qu'il entend comme une « obéissance parfaite de tout le système physique
aux exigences de la volonté 24 ». Ici, corps et âme sont indissociablement liés :
Seule une telle discipline permet d'organiser le travail créateur à la perfection, autrement
dit permet à l'acteur d'exprimer avec son corps, en toute liberté et sans la moindre
entrave, ce que ressent son âme25.
Une autre « vérité élémentaire 26 » lui semble tout aussi importante : le
sentiment de bien-être, de bonheur sur scène n'est pas la seule conséquence
positive de cette nécessaire liberté corporelle. Elle permet encore une activité
sans faille de l'attention qui annule l'angoisse du « terrible trou noir27 » de la
19. Constantin Stanislavski, Ma vie dans l'art, op. cit., p. 370 et 372. Le titre du chapitre,
« Découvertes de vérités depuis longtemps connues », peut étonner; Stanislavski fait-il ici
uniquement référence à des découvertes relevant de sa propre expérience, ou renvoie-t-il
encore à d'autres, en d'autres temps? D'autre part, en ce qui concerne la «joie de créer »,
expression que l'on retrouve couramment chez beaucoup d'artistes authentiques, il y
aurait grand intérêt, à mon sens, à la rapprocher dans ce contexte spirituel de la définition
qu'en donne Spinoza: « Par Joie j'entendrai donc, par la suite, une passion par laquelle
l'Âme passe à une perfection plus grande », Éthique, III, scolie de la proposition XI,
Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 146. Je reproduis les italiques de l'édition.
20. Qu'il oppose plusieurs fois à « l'état d'acteur » entraînant une « dictature de l'habitude »,
une « dégénérescence » du rôle et, finalement, une « agonie spirituelle ».
21. Ma vie dans l'art, op. cit., p. 374. Maria Knebel résume ce qui fait pour elle « le thème
qui court à travers toute l'œuvre de Stanislavski [. . .]. Comment créer la sensation de soi
psychophysique grâce à laquelle l'acteur serait capable d'un authentique processus
créateur de connaissance? ». Maria Knebel, L'Analyse-Action, Arles, ENS ATT-Actes SudPapiers, 2006, p. 147.
22. Ma vie dans l'art, op. cit., p. 374.
23. Id., p. 372.
24. Id., p. 375.
25. Id.. C'est moi qui souligne.
26. Id.
27. Id.
STANISLAVSKIEN QUÊTE D'UNE MÉTHODE
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salle et permet même, du moins en partie, l'oubli de cet « état contre
nature »28, de l'artificialité du théâtre. Ses conclusions sont d'ordre
ontologique, mais une ontologie qui insiste sur une idée de l'être pris dans sa
totalité et visant l'approfondissement de son intériorité:
L'acte de création est avant tout concentration sans faille de l'être tout entier, tant
spirituel que physique; concentration qui englobe non seulement la vue et l'ouïe, mais tous
les sens humains; qui englobe aussi tout le corps, les pensées, l'esprit, la volonté, le
sentiment, la mémoire, l'imagination29.
Schéma représentant la « topographie » de la prière,
issu d'un codex du XVIIIe ou XIXe siècle, et présenté par J. Gouillard
dans La Petite Philocalie de la prière du cœur.
Ce schéma prévient des déviations erotiques
(« Gardez- vous de l'opération qui descend dans le nombril et aboutit à la volupté »)
et insiste sur le lien nécessaire entre l'intellect, la raison et l'esprit ou pneuma, respiration.
En quoi la tradition mystique a-t-elle pu renforcer ces nouvelles
convictions et en appuyer les recherches?
Pères du Désert, ascètes ou martyrs, tous s'accordent en premier lieu sur
ce point: il est avant tout nécessaire de s'abstraire du collectif et du social,
de rechercher le « Désert ». Cénobite ou ermite, moine ou pèlerin solitaire,
le premier pas à faire pour que se manifeste l'Esprit, l'attitude juste qui mettra
l'aspirant sur la voie pour devenir ce parfait connaissant, est la recherche
d'une libération de tout ce qui peut venir entraver le mouvement vers la Vérité
intériorisée. C'est déjà ce que proposait Platon pour qui une véritable
réalisation spirituelle n'est possible que si le nous (l'intelligence suprême) se
libère au préalable d'un corps et d'une âme ainsi astreints à se purifier
entièrement (on retrouve ici l'idée de « toilette »). Il est vrai que la philosophie
28. Id. p. 372.
29. Id., p. 376. C'est l'auteur qui souligne.
56
FABRICE PRUVOST
platonicienne est déjà une conversion de l'âme, une véritable recherche
métaphysique qui s'élance vers la Diké, l'essence Divine, assimilant le Bien
et le Beau:
D'où l'identification, dans ce dernier cas, de philosophos et dephilokalos (l'ami du beau).
Ainsi, la mystique platonicienne [...] est aussi une philocalie et une science d'amour
comme disait le Phèdre (philosophos, philokalos, philomousos, Erotikos) et le Banquet™.
Dès lors, rien d'étonnant à ce que les premiers mystiques chrétiens,
encore largement hellénistes, identifient le Christ comme le philosophe par
excellence. Et en effet, les Pères du désert, les moines, les premiers ascètes
chrétiens seront eux aussi connus comme les « parfaits philosophes ». Ce
point est d'importance car le travail intellectuel, loin d'être négligé, est
présenté comme un degré nécessaire, celui où se pressent la présence divine
au sein de toute la création. Ce n'est que dans le degré suivant que l'intellect
devra s'effacer, suspendre l'activité de pensées conceptuelles, inférieures par
définition, à l'Être divin.
Remarquons que, de son côté, Stanislavski propose lui aussi une
graduation similaire. Certes, il critique sa première façon de faire: l'habituel « travail
à la table » marquant le début des répétitions au Théâtre d'Art présentera à ses
yeux « une série d'aspects négatifs », dont, notamment, « une passivité
grandissante de l'acteur31 ». Il ne conservera pas moins dans « ses ultimes
avancées concernant la nouvelle méthode de répétition32 » une étape dite d'«
exploration intellectuelle33 ». Ce n'est que l'étape suivante, celle de l'« analyse
par l'action », qui permettra de « ressentir réellement et concrètement l'unité,
le caractère indissociable des processus psychophysiques 34 ».
Le message christique a modifié le discours platonicien en introduisant
la Trinité : Dieu, Logos, Sophia, chacun et chacune laissant son empreinte sur
l'homme. Le lieu en l'homme de l'image divine est controversé: elle se situe
parfois encore dans le nous, parfois aussi (nous y sommes) dans le cœur.
Quelle que soit sa situation exacte, le mystique, fidèle en cela au pneumatisme du Ier siècle chrétien, intériorise avant tout sa vie religieuse. Sa question
spirituelle consiste ainsi en la recherche d'une praxis qui lui fera retrouver la
lumière de son corps céleste perdu lors de la chute. L'image de Dieu étant
encore présente dans le corps terrestre, cette praxis lui permettra d'approcher
au plus près, de rénover ce sceau divin que voile une chair devenue opaque
après la perte du paradis de lumière. Mettre au point les voies de l'ascèse, les
nuancer, voire innover, parfois aussi en retrouver les traditions, telle est au fil
30.
31.
32.
33.
Encyclopédie des mystiques, op. cit., p. 143.
Maria Knebel, L 'Analyse-Action, op. cit., p. 4 1 .
Id.
Maria Knebel, L'Analyse-Action, op. cit., p. 74. L'expression varie selon le contexte:
« exploration par l'intelligence » (p. 147), « exploration de l'œuvre par la raison »
(p. 155). Quoi qu'il en soit, Stanislavski, d'après Knebel, jugeait cette étape de première
importance.
34. Id., p. 147.
STANISLAVSKI EN QUÊTE D'UNE MÉTHODE
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des siècles l'histoire de la prière du cœur. Si donc Stanislavski s'est penché
avec intérêt sur la technique de la prière du cœur, il en a d'abord perçu son
histoire, dont la première caractéristique est sa volonté de méthode.
C'est ce principe méthodique qui permet au mystique d'entamer un
parcours intérieur vers l'état initial absolu. Origène (vers 185-254), un des
premiers pères grecs des plus prolixes, repris et commenté tout au long de la
tradition mystique, établit déjà des degrés d'ascension: ascèse, apatheia et
charité (amour). Si l'art de l'ascète consiste bien en l'ordonnancement de son
âme et de son esprit, sa méditation implique en premier lieu son corps.
Contrairement à la tradition occidentale, le corps n'est donc pas jugé impur,
le véhicule de toutes les souffrances, mais, comme l'imaginait Stanislavski,
pris comme le lieu physique d'une totalité35; mieux : il est considéré comme
un temple, puisque le véritable temple, le seul digne d'être imité, est le corps
même du Christ36. Il s'agit d'ailleurs bien plus qu'une seule imitation: c'est
dans sa propre chair que le mystique appelle le mystère de l'incarnation. Ce
corps humain doit cependant livrer toute son énergie pour rejoindre le flux
divin fourni par le Verbe et l'Esprit. Le corps de la tradition hésy chaste est
ainsi le premier lieu d'expérimentation qui permet d'accéder à un état
supérieur de conscience. Nous verrons plus loin comment ces principes
méthodiques sont traduits en une technique physique.
L'idée de méthode impliquant celle de progression, Origène assimile
logiquement les degrés d'ascension aux différents stades de l'apprentissage:
les débutants ne perçoivent pas les mêmes « états » que les « progressants »,
ces derniers étant encore bien éloignés des « parfaits ». Le débutant doit
avant tout comprendre que l'acte de prière ne suffit pas en soi, il doit devenir
chez lui un état continuel, une cause immanente. De temps à autre, cette
rumination constante vient révéler la vertu profonde et cachée des Saintes
Écritures. Ces révélations peuvent pour commencer rester fragmentaires,
l'essentiel étant d'assurer l'orant du sens céleste de l'Écriture, mais aussi et
surtout de la ressemblance de son intériorité à l'image divine:
En rentrant en soi-même on découvre sa nature divine. Ce thème si fréquent chez les
platoniciens est présenté (à partir d'Origène) comme une propriété naturelle 37.
Emprunté donc au platonisme et au néo-platonisme, ce premier stade du
« Connais-toi toi-même » où l'âme cherche à appréhender sa nature et sa
grandeur, ne suffit évidemment pas pour obtenir la perfection recherchée.
35. Cette définition unitaire s'oppose en effet à la tradition occidentale où la primauté
accordée à l'intellect favorise l'esprit ou la parole révélant une dichotomie « somatophobe »
éloignée de l'essence de l'hésychasme.
36. Comparer à ce sujet avec la note 49 de l'article de M.-Chr. Autant-Mathieu,
« L'inconscient créateur. . . ».
37. Encyclopédie des mystiques, op. cit., p. 445.
58
FABRICE PRUVOST
Le second stade de l'ascète est un temps d'épreuves, un mouvement vers le
spirituel, sa véritable traversée du désert où les instincts charnels se purifient
définitivement, où se manifestent aussi les premières illuminations. C'est le
combat pour Yapatheia, qu'il convient ici de ne pas confondre avec
l'indifférence ou la rémission définitive des passions, passions qu'il s'agit bien plutôt
de mesurer, d'ordonner, mais aussi d'assumer dans une hésychia (tranquillité,
repos de l'âme). Enfin, l'état d'illumination tant recherché n'est en rien une
inconscience, mais bien plutôt une « supra-conscience 38 », autrement dit un
dépassement du psychique vers le spirituel : la connaissance suprême est une
illumination spirituelle de l'intelligence. Durant ces instants de grâce, la
vigueur du corps et la maîtrise des cinq sens obtenues par le contrôle de l'esprit
sont gagnées d'une dimension nouvelle. Remarquons enfin que la méthode
ascétique des premiers siècles du christianisme, à laquelle la mystique
byzantine se rattachera fidèlement après son divorce avec l'Occident, repose
donc bien plus sur une théorie dynamique que sur un dogme figé.
Parmi les nombreuses analogies qui surgissent spontanément, certaines
paraissent troublantes.
Toute profane qu'elle soit, la science de l'art de l'acteur sans cesse
remaniée par Stanislavski pose elle aussi des liens dynamiques entre la « vie du
corps humain » et la « vie de l'esprit humain »39. Les divers degrés
d'ascension des mystiques (connaissance de soi, apatheia - dans le sens actif décrit
plus haut -, incarnation de la révélation dans un état de « supra-conscience »)
trouvent chacun une équivalence pour différents points du Système : «
sensation de soi scénique intérieure 40 », approfondissement de « cette ligne de la
vie jusqu'à ce qu'elle atteigne les oubliettes où commence la vie de "l'esprit
humain"41 », caractère conscient de l'état de création alors que « le processus
dont (Stanislavski) parle s'accomplit en même temps à l'aide de toutes les
forces intellectuelles, émotionnelles, psychiques et physiques de notre
nature 42 ». Certes, pour l'hésychaste le divin n'est pas œuvre de fiction.
Néanmoins, les « amants de Yhésychia » pensent eux aussi l'ascèse extérieure
(physique) comme une aide à l'ascèse intérieure (étendue au cœur et à
l'esprit). Le parfait connaissant aura quant à lui parfaitement unifié ses facultés,
abolissant cette première disparité entre le dedans et le dehors. Quelle que
soit son activité terrestre, son entière volonté ne se tend que pour obtenir un
parfait silence intérieur lui permettant d'être à l'écoute du Verbe. Voilà pourquoi
38. Id., p. 448.
39. Maria Knebel, L 'Analyse-Action, op. cit., p. 150. Ces expressions, parfois avec quelques
variantes, sont déclinées tout au long de l'ouvrage.
40. Id., p. 149. Voir aussi p. 146: « Pour se faire un jugement sur la pièce et le rôle, il est
indispensable que l'acteur ait avant tout une sensation réelle de la vie du rôle, sensation
non seulement de l'âme, mais du corps ». Je reproduis les italiques de l'édition.
41. Id., p. 150.
42. Constantin Stanislavski, « Sur les actions physiques », in Teatr, 1948, n° 8, p. 11, cité in
Maria Knebel, L 'Analyse- Action, op. cit., p. 149.
STANISLAVSKI EN QUÊTE D'UNE MÉTHODE
59
la mystique érémitique ne cesse d'insister sur cette vigilance [...], engendrant une
lucidité aiguë; celle-ci provoque un discernement [...] permettant de distinguer les
agitations les plus subtiles susceptibles d'apporter le trouble et l'inquiétude43.
Stanislavski n'insiste-t-il pas lui aussi sur la nécessité d'une attention
absolue, cette « concentration sans faille de l'être tout entier, tant spirituel
que physique44 »? À l'instar du moine parvenu au stade pneumatique, celui
où la prière Га entièrement envahi, où « le parfum de la prière s'exhale
spontanément de son âme 45 », Stanislavski ne souhaite-t-il pas que le rôle
accompagne sans cesse l'interprète jusqu'à l'obsession, y compris en dehors du seul
cadre des répétitions? Ce mode d'approche du rôle ne ressemble-t-il pas à
une sorte de mysticisme laïque dont la préoccupation première est de
dépasser une illusion de vérité :
II y a deux sortes de vérités: la première est extérieure; elle se tient à la périphérie de la
vie ou de l'intrigue de la pièce, à la surface de la pensée, du sentiment, des sensations
physiques; l'autre est la vérité intérieure, qui se déroule dans les profondeurs de l'âme
humaine46?
La tradition mystique insiste à de nombreuses reprises sur l'aspect décisif
de l'expérience personnelle, s 'opposant ainsi à l'engagement purement
théorique et dogmatique des théologiens. La venue de la grâce ne peut s'atteindre
par l'expérience de l'autre, ni par celle contenue dans les livres. La position
du maître reste donc fondamentale pour le prétendant à la béatitude en lui
fournissant les explications nécessaires aux différents stades de son noviciat.
Mais une réelle connaissance ne peut venir qu'en se formant soi-même par
l'expérience de sa foi: « De même celui qui n'a pas vu le soleil de ses
propres yeux n'est pas capable, s'il en entend parler, d'imaginer sa lumière47 ».
Comparons avec ce que dit Stanislavski :
Au début, l'acteur cherche de lui-même l'aide et les indications de quelqu'un d'autre,
poussé par un besoin, une nécessité, une impulsion qui lui sont propres. Il ne les reçoit
pas de force. Dans le premier cas, il conserve son autonomie, dans le second, il la perd.
Le matériau de l'âme, le matériau créateur, reçu de quelqu'un d'autre que soi et non
éprouvé dans l'âme, est froid, rationnel, inorganique. Il reste stocké dans les entrepôts de
l'âme et de l'intelligence, encombrant la tête et le cœur48.
Certes, ces comparaisons n'ont pas force de preuve. L'équivalence de
pensée est néanmoins frappante. La pédagogie de Stanislavski comme la
43. Encyclopédie des mystiques, op. cit., p. 509.
44. С Stanislavski, Ma vie dans l'art, op. cit., p. 376.
45. Isaac de Ninive (VIIe siècle) in Petite philocalie de la prière du cœur, traduction et
présentation de Jean Gouillard, Paris, Seuil « Points-Sagesses », 1979, p. 82.
46. Constantin Stanislavski, Ma vie dans l'art, op. cit., p. 516 (note 3 de « La ligne de
l'intuition et du sentiment »). Je respecte les italiques de l'édition.
47. Isaac de Ninive, cité dans Encyclopédie des mystiques, op. cit., p. 526.
48. Constantin Stanislavski, « Sur les actions physiques », cité in L'Analyse-Action, op. cit.,
p. 148.
60
FABRICE PRUVOST
propédeutique mystique, toutes deux psychologies des profondeurs, savent
que la connaissance spirituelle privée de son expérience mène à une impasse.
*****
Enfin, il faut évidemment évoquer le contenu « technique » de cette
prière du cœur, tout en avertissant immédiatement le lecteur qu'il risque
d'être déçu tant la tradition écrite pèche par un cruel manque de détails,
surtout ceux concernant les attitudes physiques de l'orant. On peut
néanmoins s'en faire une idée plus précise en se référant non seulement, comme
on l'a vu, aux méthodes yogiques, mais aussi aux Exercices spirituels
d'Ignace de Loyola49, à la pratique bouddhique du nembutsu 50 ou encore au
dhikr musulman auquel nous nous référerons ici. Ce glissement vers une
autre tradition peut surprendre. En fait, comme le rappelle Jean Gouillard,
« il est difficile d'exclure des contacts [...] entre l'Islam et le
christianisme51 ». Mais ce n'est pas tout. S'il est aisément compréhensible pour les
uns de « conclure à des circulations et des emprunts » entre Islam et monde
chrétien, ou pour les autres « d'admettre une cristallisation spontanée et
indépendante liée à certaines expériences religieuses » éloignées dans le temps et
dans l'espace, Jean Gouillard note surtout l'indéniable « unité et
homogénéité fondamentale des méthodes 52 » propres aux différentes traditions. Il
prend encore soin de nous faire remarquer que « la méthode est un fait
beaucoup plus universel qu'on ne l'avait soupçonné53 ».
La prière du cœur, on l'a vu, prend ses racines dès les premiers temps du
christianisme. Une longue transmission la soumet à une série d'évolutions
interprétatives sans jamais lui faire perdre son principe essentiel: la technique
de l'oraison contemplative vise à l'expérience de l'Incarnation. C'est
néanmoins vers la fin du хше siècle, au Mont Athos, qu'apparaissent nommément
les techniques respiratoires, peut-être jugées jusque-là trop dangereuses pour
être consignées dans un livre et donc pratiquées sans maître. Tout en
invoquant une longue tradition, la méthode se pare de prétentions plus
49. « La troisième manière de prier consiste à chaque inspiration ou expiration à prier
mentalement en prononçant chaque mot du Pater Noster ou de toute autre prière qu'on récitera
en ne prononçant qu'un mot entre l'une et l'autre respiration et, dans l'intervalle de temps
d'une respiration à l'autre, on s'attachera surtout à considérer soit le sens de ce mot, soit
la personne à qui la prière s'adresse, soit sa propre bassesse, soit la distance qu'il y a entre
une telle altesse et une telle bassesse ». Ignace de Loyola, « La troisième manière de prier
par rythme » cité par Jean Gouillard, « Introduction », Petite philocalie ..., op. cit., p. 21.
50. Terme désignant l'action de méditer sur un bouddha ou d'invoquer son nom.
51. Jean Gouillard, « Introduction », Petite philocalie..., op. cit., p. 22.
52. Id.
53. Id., p. 21.
STANISLAVSKI EN QUÊTE D'UNE MÉTHODE
61
scientifiques avec Grégoire le Sinaïte54 (mort vers 1346), Nicéphore le
Solitaire (ou l'Hésychaste, seconde moitié du хше siècle-début du xive)
auxquels il faut adjoindre le pseudo-Syméon le Nouveau Théologien (début
du xive siècle). Cet extrait donne quelques rares précisions psychotechniques
concernant la première phase :
Assieds-toi dans une cellule tranquille, à l'écart dans un coin et applique-toi à faire ce
que je te dis : ferme la porte, élève ton esprit au-dessus de tout objet vain ou passager.
Puis, appuyant ta barbe contre ta poitrine, dirige l'œil du corps en même temps que tout
ton esprit, sur le centre de ton ventre, c'est-à-dire sur ton nombril, comprime l'aspiration
d'air qui passe par le nez de manière à ne pas respirer à l'aise et scrute mentalement
l'intérieur de tes entrailles à la recherche de la place du cœur, là où toutes les puissances de
l'âme aiment à fréquenter. Au début, tu trouveras des ténèbres et une opacité opiniâtre
mais si tu persévères, si nuit et jour tu pratiques cet exercice, tu trouveras, ô merveille!
une félicité sans bornes. Car aussitôt que l'esprit a trouvé la place du cœur, il voit tout à
coup ce que jamais encore il n'avait vu. Il voit l'air qui se trouve au-dedans du cœur, il
se voit lui-même entièrement lumineux et rempli de discernement55.
On ne peut que remarquer les similitudes avec les exercices propres au
yoga, même si la place du cœur ne correspond pas exactement à celle du
plexus solaire où les yogis situent le principe universel du prana (le « souffle
vital »). Surtout, les exercices des yogis, utilisés par Stanislavski, ont
l'immense mérite d'être précisément décrits. La tradition hésychaste reste quant
à elle bien avare de détails sur le sujet. C'est en se tournant vers le dhikr soufi
que l'on obtient d'autres précisions concernant la technique proprement
respiratoire :
Le dhâkir (celui qui pratique le dhikr) passe à « la négation et à l'affirmation »
représentées par la formule Là 'ilâha 'illâh-Llâh = « Pas de Dieu si ce n'est le Dieu » (Absolu et
Universel).
La méthode d'emploi de cette formule est la suivante: Le dhâkir collera sa langue au
palais de la gorge et, après avoir inspiré, il retiendra son souffle. Alors il commencera la
prononciation par le vocable là (= « Pas » ou « non ») en se l'imaginant [. . .] placé sous
son nombril; de là il tirera ce vocable vers le milieu des centres subtils où se trouve le
centre appelé « le-plus-caché 5б » et le prolongera jusqu'à ce qu'il atteigne le point qui
correspond au centre subtil de l'« âme logique » ou « raisonnable »; ce dernier centre est
situé symboliquement dans la première enceinte du cerveau appelée le « chef ».
- Ensuite le dhâkir procédera à l'articulation du mot 'ilâha (= « Dieu ») en commençant
imaginativement avec l'élément phonétique appelé hamzah [...] depuis le cerveau et le
faisant descendre jusqu'à l'épaule droite pour le faire couler vers le point correspondant
au centre subtil appelé l'« esprit ».
- Enfin le dhâkir procédera à la prononciation de 'illâ-Llâh (= « si ce n'est le Dieu »), en
faisant partir imaginativement le hamzah de 'illâ depuis l'épaule (droite) et en l'étendant
vers le « cœur » où le dhâkir frappera avec la parole finale Allah. [...]; la force du
souffle retenu frappera ainsi le « petit point noir du cœur » pour en faire sortir l'effet et la
54. Un texte retraçant sa vie a été publié à Saint-Pétersbourg en 1894 par Pomialovski
(« Publications de la Faculté d'Histoire et de Philologie de l'Université de Pétersbourg »).
55. Le pseudo-Syméon le Nouveau Théologien, « La troisième prière », in Petite philocalie..., op. cit., p. 161.
56. Al-ahkfâ en arabe, dernier des cinq « centres subtils » et « situé symboliquement au milieu
de la poitrine ». Philocalie..., op. cit., p. 244.
62
FABRICE PRUVOST
chaleur vers le reste du corps et pour que cette chaleur brûle toutes les parties
corrompues du corps, alors que les parties pures de celui-ci seront illuminées par la lumière du
nom Allah [...].
À la fin de cette formule, il fera imaginativement un arrêt en un nombre impair (de
temps) [...]. Ensuite il relâchera son souffle lorsqu'il sentira la nécessité de le faire et il
s'« arrêtera » selon un nombre impair (de temps) : trois ou cinq ou sept, etc. jusqu'à vingt
et un. C'est ce qu'on appelle chez nos maîtres l'« arrêt compté » [...].
Une fois le souffle expulsé, il reprendra un autre souffle qu'il utilisera de la même façon
que le premier mais entre une expiration et une inspiration, il observera cette attitude
imaginative (pour le décompte des « temps ») 57.
Le dhikr décrit ici introduit la prière monologique que l'on retrouve dans
la « seconde phase » de la tradition hésychaste où est invoqué mentalement
le nom de Jésus :
Dès le matin, assieds-toi sur un siège bas, d'une demi-coudée, refoule ton esprit et ta
raison dans ton cœur et maintiens-l'y, cependant que, laborieusement courbé, avec une
vive douleur de la poitrine, des épaules et de la nuque, tu crieras avec persévérance dans
ton esprit ou ton âme: « Seigneur Jésus-Christ, ayez pitié de moi!58 ».
Ce travail de Г hésychaste ou du soufi cherchant à rythmer et
synchroniser respiration et invocation mentale n'est pas sans rappeler ce que
Stanislavski jugeait être une « grande découverte 59 » pour l'art de l'acteur: le
tempo-rythme. Voici en effet ce que Tortsov-Stanislavski fait découvrir à ses
élèves :
Plus notre langage est rythmé [...], plus notre préhension des pensées et des émotions qui
sous-tendent le texte sera clairement définie. Et inversement, plus notre mode de
préhension des pensées et des émotions sera claire, définie, et rythmique, plus nous aurons
besoin d'une expression verbale rythmée [...]. Même si nous ne comprenons pas la
signification des mots, leur son nous affecte par leur seul tempo-rythme 60.
Surtout, Stanislavski, juge cet outil extrêmement puissant pour atteindre
les profondeurs du psychisme :
Le tempo-rythme est l'auxiliaire le plus étroitement lié au sentiment, car il apparaît
souvent comme le stimulus direct, immédiat, même parfois presque mécanique, de la
mémoire affective, et par conséquent de nos sensations intérieures les plus profondes61 .
Il est intéressant de noter que Stanislavski insiste plusieurs fois sur
l'aspect mécanique de la méthode. Tout d'abord désincarné, sans âme, le
56. Al-ahkfâ en arabe, dernier des cinq « centres subtils » et « situé symboliquement au milieu
de la poitrine ». Philocalie..., op. cit., p. 244.
57. « Une technique soufie de la prière du cœur », in Petite philocalie..., op. cit., pp. 245-246.
58. Grégoire le Sinaïte, « De la vie contemplative et des deux modes de la prière », in Petite
philocalie..., op. cit., p. 183.
59. Constantin Stanislavski, La Construction du personnage, Paris, Pygmalion/Gérard
Watelet, 1984, p. 273.
60. Id., p. 264.
61. Id., p. 273. C'est l'auteur qui souligne.
STANISLAVSKI EN QUÊTE D'UNE MÉTHODE
63
travail mécanique du tempo-rythme appelle peu à peu les états profonds de
l'être jusqu'à être capable de « faire naître en (l'acteur) la sensation juste
que vit son personnage62 ». Pour les mystiques, que les phases de prière
soient hiérarchisées ou simultanées, la concentration absolue est obtenue
elle aussi mécaniquement grâce à la formule brève de la prière
monologique, qui deviendra peu à peu spontanée. L'« énergie » qui s'en dégage est
le signe même de la prière pure, cet « instant » où la nature humaine s'unit
consciemment et sans confusion à la nature divine, où « l'homme "assimile"
le nom, devient le lieu du nom63 ».
Le moine nestorien Isaac de Ninive (seconde moitié du VIIe siècle) décrit
avec beaucoup de précisions l'état exact d'aboutissement de la prière pure:
Dès que l'esprit a franchi la frontière de la prière pure et s'est engagé au-delà, il n'y a
plus ni prière ni émotions, ni larmes, ni autorité, ni liberté, ni supplications ni désir, ni
impatiente espérance pour ce monde ou pour l'autre. Il n'y a donc pas de prière au-delà
de la prière pure. . . En franchissant cette limite on entre dans l'extase, on n'est plus dans
les prières. C'est la vision: l'esprit ne prie plus [...] L'objet de la prière est oublié. Les
mouvements sont noyés dans une profonde ivresse, on n'est plus de ce monde. C'est
l'ignorance bien connue dont Evagre64 a dit: « Bienheureux celui qui est parvenu, dans
la prière, à l'inconnaissance qu'il est impossible de dépasser » 65.
Ninive détaille alors les degrés et prend bien soin de noter les liens
profonds unissant corps, cœur et âme au moment de l'unité cosmique:
Au début, c'est une énergie vague que l'amour éveille au cœur sans causes apparentes.
Car il met en branle le tempérament sans vision personnelle, sans pensée pratique. On le
trouve dépourvu de cause, l'intellect est encore vague. C'est l'impression produite sur le
sujet peu exercé. Quand il sera parfait, la cause se révélera à l'examen. Alors
l'impression sera plus puissante, car la jouissance s'exercera dans le cœur. Car le cœur tient le
milieu entre les sens de l'âme et ceux du corps. Il est à l'âme dans une relation d'organe,
au corps dans une relation de nature. Le sujet dirige le goût de son action des deux côtés.
Aussi le monde est-il contraint de se séparer de lui, de même qu'il se sépare des choses
de ce monde 66.
Apparaissent enfin les derniers signes qui ne sont pas sans rappeler
l'« état créateur » de Stanislavski :
Tout à coup le visage s'empourpre et irradie, le corps s'échauffe, la crainte et la timidité
sont bannies, le pouvoir de concentration fuit, c'est le règne de l'enthousiasme et du
bouleversement 67.
De tels témoignages ne devaient pas laisser indifférent un homme comme
Stanislavski prêt à s'emparer du moindre indice susceptible de lui donner
62.
63.
64.
65.
66.
67.
Id.
Encyclopédie des mystiques, op. cit., p. 542.
Évagre le Pontique (mort en 399).
Isaac de Ninive, « Degrés de la prière », in Petite philocalie..., op. cit., p. 84.
Id., p. 84/85. Le dhâkir parlera lui de « rapt divin essentiel ».
Isaac de Ninive, op. cit., p. 85.
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Extrait du programme Les Lamentations de Jérémie,
metteur en scène Anatoli Vassiliev, compositeur V. Martynov.
« La pulsation rythmique du chant sacré réalise de manière concrète et tangible le rythme du calendrier
orthodoxe et celui qui fréquente régulièrement le temple est forcément soumis à ce rythme et à cette
pulsation. Ainsi, le chant sacré structure la vie intérieure de l'âme et sacralise l'ensemble de la vie séculière.»
STANISLAVSKI EN QUÊTE D'UNE MÉTHODE
65
accès à une conscience transcendante capable de sublimer les capacités
physiques :
Pourquoi nous autres comédiens ne pouvons-nous nous défaire de la matière, pourquoi
ne pouvons-nous être désincarnés? Il faut que nous cherchions; il faut travailler notre
corps pour le délester de sa matérialité68.
*****
Encore une fois, il n'y a pas ici prétention d'apporter des preuves
irréfutables quant aux sources d'inspiration du Système puisant directement à la
tradition hésychaste. Au mieux peut-on parler d'un faisceau de présomptions
auquel la découverte des notes de Demidov donne un certain liant. Il est en
revanche parfaitement légitime de penser que Stanislavski se soit senti
encouragé dans ses recherches dès l'instant où, au sein même de sa propre
culture religieuse, quelques témoignages de cette tradition mystique venaient
conforter l'idée d'une possible union organique et maîtrisée du verbe, de
l'inconscient et du spirituel. En partant de l'hypothèse que cette influence soit
simplement diffuse, l'utilisation récurrente d'un vocabulaire bien proche des
mystiques provoque encore le trouble. En voici un dernier exemple :
Quand l'homme est en état de veille créatif, c'est comme s'il se détachait de la terre pour
entrer dans l'atmosphère des sentiments énergiques. Là, il lui est facile de les trouver, de
les capter et d'éprouver. En bas, se trouvent les hommes, incapables de créer. C'est
comme s'ils rampaient par terre, sans pouvoir voler avec les ailes de l'artiste [. . .]. Est-ce
que celui qui est en bas est capable de réaliser cette joie infinie que procure la vue des
vastes horizons et l'état de grâce que l'on éprouve dans cette atmosphère haute et pure de
l'air raréfié? Est-ce qu'on peut exprimer ces sensations avec des mots? Est-ce que ces
deux-là peuvent se comprendre? 69.
D'une certaine manière, Stanislavski avoue lui-même, dans La
Construction du personnage, s'être préoccupé de ces questions, tout en
récusant un mysticisme personnel et en déniant les conséquences pratiques
d'expériences extrêmes :
Certaines gens croient que ces choses mystérieuses et miraculeuses nous sont envoyées
d'en haut, qu'elles sont un don des Muses. Mais je ne suis pas un mystique et je ne partage
pas cette croyance, bien que, dans les moments où je suis appelé à créer, il m 'arrive de
souhaiter pouvoir la partager. Une telle croyance enflamme l'imagination.
D'autres disent que le siège de cette chose que je cherche est dans notre cœur. Mais je ne
sens mon cœur que lorsqu'il bat trop fort, lorsqu'il se gonfle, ou lorsqu'il me fait mal, et
tout cela est déplaisant. Ce dont je parle est au contraire agréable, captivant, jusqu'à
l'oubli de soi.
D'autres encore affirment que le génie ou l'inspiration logent dans le cerveau [...]. Il y a
des moments où l'ensemble de la surface du cerveau est illuminé par un éclair; tout ce
qui était dans l'ombre est alors baigné de lumière pendant un bref instant70.
68. Constantin Stanislavski, Ma vie dans l'art, op. cit., p. 353.
69. Constantin Stanislavski, Notes artistiques, [Saulxures] Circé/TNS « Penser le théâtre »,
1997, pp. 178/179 (« Troisième Cahier, 1908-1913 »).
70. Constantin Stanislavski, La Construction du personnage, op. cit., p. 328.
66
FABRICE PRUVOST
Pourtant, sa réflexion si influente sur l'art de l'acteur ne tire-t-elle pas sa
puissance, à l'instar des mystiques, d'une préoccupation constante envers la
vérité intérieure de l'homme, une vérité totale, unifiante, où le moindre détail
rejoint le « tout »? Il est vrai que cette quête de la vérité de la vie, du mystère
de la création, n'est pas l'apanage du seul Stanislavski. C'est toute une
époque qui favorise une idée microcosmique de « l'homme (contenant) la
clef du mystère de l'être, du macrocosme. Telle est la vérité fondamentale de
toute métaphysique religieuse71 ».
71. Nikolai Berdiaev, La Philosophie de la liberté (1911), cité par Florence Corrado,
« Représentation de la Russie. . . », article cité (cf. note 10).
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