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Tensions relatives à la crise de la culture scolaire

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Tensions relatives à la crise de la culture scolaire
1. Introduction
Avec deux objectifs différents, l'un pour créer de bons chrétiens et l'autre pour former
de bons citoyens, l'Église et la République sont les fondateurs de l'école obligatoire en Suisse.
Au fil du temps, l'éducation a connu de nombreux changements et a ouvert ses portes à de
plus en plus d'enfants. Soit par une compétition entre les protestants et l'Église catholique, soit
par une série de réformateurs laïques, l'enseignement s'est beaucoup développé.
En France, avant la massification scolaire, la majeure partie de l'enseignement était
organisée par les autorités religieuses, notamment dans le nord. Les garçons avaient accès
aux écoles militaires et les filles aux écoles des monastères. Mais les frais étaient si élevés
que seules les familles riches pouvaient se les permettre. Pour la classe populaire, il y avait
les soi-disant « écoles caritatives » qui étaient moins chères, mais les très pauvres n’avaient
pas du tout accès à l’école. Dans le sud de la France, les écoles communales fonctionnaient
avec les écoles religieuses, mais elles étaient également payantes. (Merle, 2009, p. 10) Les
changements et l'accès à l'éducation sont venus progressivement.
Perrenoud mentionne les changements majeurs qui ont intervenus avec la
massification scolaire dans la société occidentale : une augmentation des frais de scolarité et
extension de la durée de l'enseignement ; une légère diminution de la disparité entre les
classes sociales ; une surqualification des diplômés des écoles par rapport au marché du
travail ; manque de travailleurs et chômage ; crise interne dans les écoles et les universités.
(Perrenoud, 1978 p. 155)
Avec la massification scolaire, les notions de culture scolaire et d’acculturation des
familles populaire ou migrantes sont de plus en plus discutées. Pour les classes populaires,
l'accès à l'éducation, même possible, ce n'est toujours pas facile. Elles sont éloignées de
l’école et elles doivent s'adapter à une nouvelle vie, à une nouvelle culture, imposée par le
système scolaire. Acculturation représente le processus par lequel un group humain assimile
tout ou partie des valeurs culturelles d’un autre group humain. (Petit Robert) C’est donc
l’adaptation des classes populaire à la culture scolaire, qui était traditionnellement celle des
élites sociales et économiques.
2. Respecter les cultures et les différences vs Valoriser notre culture.
Dans le texte Les epreuves et les enjeux de la culture scolaire, Dubet (2005) parle de
la culture scolaire comme traversant une crise. En effet, il existe des contradictions et des
incohérences entre ce que l'école veut promouvoir et ce que l'école offre réellement.
En Suisse et, en particulier à Genève, de nombreuses familles de migrants n'ont pas
étudié ici, mais leurs enfants doivent y aller à l'école. Dans les familles où les parents ne sont
pas allés à l'école, ou n'accordent pas beaucoup d'importance à l'école, ou dans les familles
migrantes qui viennent d'une culture différente et leurs enfants vont à l'école dans un nouvel
environnement, le rôle des enfants est très important. Surtout, l'enfant aîné
« se trouve investi d’un rôle d’ouvreur de chemins et passeur de mondes dans
les deux sens, son expérience scolaire permettant notamment la formation des
parents au métier de parents d’élève. La recherche montre par ailleurs que les
valeurs, pratiques, langue(s) de la société d’accueil pénètrent en effet plus
sûrement l’espace familial par le biais de l’école que par celui de la socialisation
professionnelle ou de loisir des parents. » (Changkakoti, 2010)
De son étude, Changkakoti (2010) a appris que certaines familles préfèrent prendre leurs
distances avec le modèle social et culturel offert par le système scolaire - qui peut être
standardisé et uniforme – et qui souhaitent se concentrer davantage sur le maintien et
l'élargissement de leur propre culture nationale (leur pays d'origine) et culture familiale. Mais
il y a bien sûr des familles qui s'adaptent mieux (ou tout simplement ne trouvent pas le temps)
et laissent leurs enfants s'imprégner de la nouvelle culture et essaient de ne pas interférer.
Prenant des exemples de mon expérience, je peux dire que je me retrouve parfois dans
un conflit parce que je ne sais pas comment agir dans des situations particulières. Il y a, bien
sûr, dans mes classes des élèves qui viennent d'horizons culturels et religieux très différents.
Personnellement, je fais de mon mieux pour respecter toutes leurs cultures et, de surcroît,
pour que personne ne se sente mal à l'aise ou se sentir comme ils n'appartenaient pas à ce
groupe-classe. Sans nécessairement penser à la laïcité, mais surtout en pensant que tous les
élèves n'ont pas les mêmes coutumes religieuses, j'évite de parler de fêtes chrétiennes comme
Noël et Pâques. Mais, d'autre part, lors de l'enseignement de l'anglais, l'un des points
mentionnés dans le programme est la culture des pays anglophones. Et pour certaines fêtes
chrétiennes, il y a tellement d'aspects intéressants à partager et tant d'activités amusantes. Et,
même en Suisse, en France, et dans de nombreux autres pays européens, les vacances
scolaires s'organisent autour des fêtes religieuses. Pour Noël, toute l'Europe est joliment
décorée et les marchés de Noël sont très populaires. Ce n'est pas que je ne puisse pas ignorer
tous ces aspects, mais c'est dommage d'éviter ces activités car tous les élèves ne les célèbrent
pas. Au final, je ne leur demande pas de changer leurs convictions, mais juste d'observer et
peut-être d'exprimer une opinion.
Une situation récente qui s'est produite dans l'une de mes classes était au début de ce
semestre lorsque j'ai décidé de discuter avec les élèves de la covid 19. Bien sûr, étant un sujet
très actuel, tous les élèves avaient une opinion, plus ou moins basée sur des faits évidents.
Cependant, j'ai remarqué que les deux élèves asiatiques dans l'une des classes étaient très
silencieux et timides et n'ont pas du tout participé. Personne dans la classe n'a dit que les
Asiatiques étaient coupables du virus, mais une sorte de blâme était déjà attribué à la Chine
dans les médias sociaux. Il y avait déjà de nombreuses histoires de personnes asiatiques
victimes de discrimination ou, pire encore, victimes d'agressions verbales ou physiques en
public. Donc, en voyant mes deux élèves dans ce cas, j'ai imaginé avoir fait une erreur en
amenant le sujet de discussion en classe. J'ai dû réagir assez vite et trouver une solution, j'ai
donc réorienté la conversation avec les élèves vers la grippe espagnole puis vers qui est à
blâmer pour ces situations. Et à partir d'ici, j'ai présenté un nouveau sujet – même s'il n'était
pas dans ma planification – la discrimination.
Ainsi, ce que je veux dire, c'est qu'il n'est pas toujours très clair quels sont les bons
choix pour impliquer tout le monde et les aider à se sentir intégrés dans une communauté - la
classe, dans ce cas. Nous vivons toujours dans un monde où les gens se jugent et parfois,
nous ne savons même pas que nous le faisons. Et en Suisse, c'est encore beaucoup mieux
que dans d'autres pays, parce que ce pays a ouvert ses portes à d'autres cultures. Ce n'est
pas une question que les élèves et leurs familles ne veulent pas accepter la culture de l'école
- parfois étendue à la culture du pays / de la ville - mais c'est un problème pour les élèves pour
qui il est difficile de simplement écarter leurs croyances et leurs milieu social et soudainement
accepter et embrasser le nouveau.
Au lieu de parler d'un processus d'acculturation, nous devrions éventuellement parler
davantage d'interculturalité. Les élèves devraient probablement partager leur propre culture
avec les autres élèves et avec l'école et ramener une partie de la culture scolaire dans leurs
familles. Ainsi, un échange de culture pourrait fonctionner bien mieux qu'un désir d'imposer même subtilement - la culture scolaire dans chaque famille.
3. Promouvoir l’égalité vs Fabriquer de l’excellence
Sur fond de crise de l’emploi dans les années 70, les aspirations scolaires des parents
vont s’élever et ces derniers vont viser pour leurs enfants des emplois non-ouvrières, ils font
de leur mieux pour assurer à leurs enfants les moyens d'acquérir un « capital scolaire » (Perier,
2005, p. 48 - 49). De nouvelles formes d’inégalités sont causées par la compétition scolaire :
certaines filières qui sont mieux vues que d’autres et le contexte concurrentiel mène à
dévalorisation des titres scolaires et au désenchantement. On peut dire que les diplômes sont
de plus en plus nécessaires, mais ils perdent de la valeur.
Dubet (2005) parle d’une « culture duale » (p. 319) qui existait au milieu du XXème
siècle : d'une part, l'école gratuite et obligatoire pour la population de masse et, d'autre part,
le lycée fréquenté par les enfants bourgeois, ces derniers à qui on a offert « la grande culture »
(Dubet, 2005, p. 320).
Au niveau théorique, de nos jours, tous les enfants ont les mêmes chances à
l’'éducation. Cependant, ils n'ont pas tous les mêmes chances de réussite. Nous devons de
toute façon faire la distinction entre l'égalité et l'équité. Si nous traitons tout le monde de la
même manière, nous parlons d'égalité. Si nous offrons plus à ceux qui en ont besoin de plus
en moins à ceux qui n'ont pas besoin de beaucoup, nous parlons d'équité. Pourtant, dans une
classe hétérogène, il n'est pas facile de traiter tout le monde équitablement.
Dans mon expérience d'enseignement cette année scolaire, j'ai deux groupes de 1ère
année de collège. Dans les deux groupes, j'ai des élèves de tous niveaux, à commencer par
ceux qui ne savent presque rien - et ici je veux dire même des phrases simples comme « j'aime
skier » - à des élèves qui sont locuteurs natifs de l'anglais. Si on veut faire référence à
promouvoir l'égalité, je dirais que j'enseignerais à tous les élèves la même chose et au même
niveau. Mais cette approche serait-elle juste ? Probablement, les seuls qui ont une chance de
progresser sont les élèves moyens. Les plus faibles ne suivraient pas le rythme, les plus forts
s'ennuieraient parce qu'ils savent déjà ce qui est enseigné. Alors, bien sûr, la solution la plus
courante est l'apprentissage différencié. Et je peux dire que c'est une bonne solution, ça
marche, mais, malheureusement, seulement pour les élèves les plus faibles et pour les élèves
moyens.
Parce que le travail différencié en classe n'est pas toujours facile, le temps étant le pire
ennemi, j'ai décidé de prendre les plus faibles en dehors de la classe et de leur enseigner à
leur rythme, un, maximum deux élèves à la fois. Surtout au début du second semestre, j'ai eu
pas mal de demandes. Je pourrais dire que j'étais heureuse qu'ils étaient motivés, mais
ensuite, j'ai réalisé que je devais travailler au moins 4 heures de plus chaque semaine, sans
mentionner le temps de préparation et de correction pour les exercices supplémentaires.
J'allais même à l'école pour ces élèves les jours où je n'avais même pas mes cours réguliers.
Et c'était ma décision, je n'en ai parlé à aucun de mes supérieurs ou, du moins, à leur maître
de groupe. C'était notre accord car ils voulaient passer, je voulais qu'ils progressent. Une
solution pour cela afin de ne pas me surcharger de travail supplémentaire ? J'ai compris que
dans certaines écoles, ils organisent des cours d'appui avec des élèves volontaires. Je pense
que c'est une très bonne solution, mais je pense que je devrais être enseignante titulaire dans
une école afin de proposer cela.
Ainsi, il y avait le groupe des élèves de haut niveau, voir des locuteurs natifs. J'ai trouvé
une quoi faire avec eux, sans que je passe beaucoup de temps. J'ai préparé des textes de
niveau avancé avec des questions de compréhension et des exercices de vocabulaire. Je leur
ai dit qu'ils devraient toujours avoir ces textes avec eux et chaque fois qu'ils ont l'impression
qu'il n'y a rien de nouveau pour eux dans la leçon que nous faisons, chaque fois qu'ils terminent
un exercice et nous devons encore attendre que les autres élèves finissent, ils devraient
travailler sur ces lectures. Quand ils ont fini une lecture, je leur ai donné la correction puis un
autre texte. Et cela a fonctionné, pour exactement deux textes. Et, pour être honnête, certains
d'entre eux ne m'ont jamais demandé la correction du deuxième texte. C'est avec ces élèves
que l'on peut parler de fabriquer l'excellence, ce sont eux qui ont la chance de devenir
excellents en anglais.
Mais qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Il est très clair pourquoi cela n'a pas fonctionné.
Ces élèves n'ont rien appris de nouveau. Ils ont été forcés de travailler seuls et ils se sont
simplement ennuyés. Il n'y avait pas de défi, pas de récompense évidente. Les tests étaient
les mêmes pour tout le monde, donc ils auraient eu leur 6 avec ou sans le travail
supplémentaire. Qu'est-ce que j'aurais dû faire d'autre ? Je sais ce qui fonctionnerait
probablement et ce que ce que j'aimerais essayer une fois que j'aurais un poste permanent
dans une école. Il n'est pas nécessaire que ce soit un cours payant, mais ce devrait être un
cours reconnu et enregistré - pour que je puisse avoir un peu de contrôle. Je rassemblerais
les meilleurs élèves de toutes les classes de la même année une fois par semaine pendant 1
heure et demie et je faisais des activités de lecture intensives, des jeux de rôle, des concours,
débats et des jeux. Ce serait un cours spécialement conçu pour eux et ce serait l'occasion
pour eux d'interagir avec d'autres élèves du même niveau.
En guise de conclusion, qui vient principalement de mon expérience pratique, est que
dans les classes hétérogènes, il est possible de promouvoir l’égalité – mais cela signifie que
nous ne pouvons pas être justes, donc il n'y a pas d'équité – et il est impossible de fabriquer
de l’excellence. Par conséquent, cette tension n'est pas nécessairement quelque chose que
nous pouvons contrôler, il faudrait une réorganisation importante de l'ensemble du système
pour mettre en place uniquement des classes homogènes pour chaque matière afin que notre
travail soit plus facile et que nos élèves en bénéficient davantage. Pourtant, cela porterait
atteinte à d'autres formes d'inégalité – les différences entre les élèves ayant obtenu leur
diplôme d'une classe de niveau inférieur et ceux qui ont obtenu leur diplôme d'une classe de
niveau supérieur ainsi que leurs chances sur le marché du travail.
Bibliographie :
Dubet, F., (2005). Les épreuves et les enjeux de la culture scolaire in Jacquet-Francillon, F.,
Kambouchner, D., (éds.), La crise de la culture scolaire, Paris, PUF, p. 319-330.
Perier, P., (2005). Chapitre 3. L’acculturation des familles populaires au monde scolaire in
École et familles populaires : Sociologie d'un différend [en ligne]. Rennes : Presses
universitaires
de
Rennes,
DOI
:
10.4000/books.pur.24258.
Repéré
à
http://books.openedition.org/pur/24258
Changkakoti, N., (2010). L’entrée à l’école : un passage plus angoissant lorsqu’on vient
d’ailleurs
?,
Genève.
Repéré
à
https://plone.unige.ch/aref2010/symposiumslongs/coordinateurs-en-f/familles-en-exil-et-parents-migrants-questions-vives-et-approchesinnovantes-dans-le-secteur-de-laccueil-et-leducation-de-la-petite-enfance-3-6ans/Lentree%20a%20lecole.pdf/view
Perrenoud, P., (1978) Les politiques de démocratisation de l’enseignement et leurs
fondements idéologiques in Revue suisse de sociologie, vol 4 (1), p. 129. Repéré à
https://www.e-periodica.ch/digbib/view?pid=soz-001:1978:4::700#134
Merle, P., (2000). Le concept de démocratisation de l'institution scolaire: Une typologie et sa
mise à l'épreuve in Population (French Edition), Vol. 55, No. 1, pp. 15-50. Repéré à
https://www.jstor.org/stable/1534764
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