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Ponthoreau_L_Espace_constitutionnel

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M.-C. PONTHOREAU, « L’opposition constitutionnelle », RDP 2002,
p. 1127 (extraits).
(...)
VI. L’OPPOSITION CONSTITUTIONNELLE
L’opposition constitutionnelle, c’est-à-dire l’opposition comme garantie
constitutionnelle, est avant tout une fonction nécessaire à la préservation de la
démocratie constitutionnelle. C’est d’abord une fonction de limitation et de
contrôle du pouvoir. A la différence des autres contre-pouvoirs qui assument eux
aussi cette fonction, l’opposition parlementaire (ou politique de manière plus
générale dans les régimes démocratiques non parlementaires) peut en plus
constituer l’alternative. D’un côté, la majorité a le devoir d’accepter la minorité et
donc de reconnaître le droit de s’opposer. De l’autre, l’opposition a aussi le devoir
de se faire accepter et donc d’être reconnue. Elle est responsable car elle a
conscience de ne pas être reléguée pour un temps indéterminé dans un simple rôle
de contestation. Elle a une chance d’être un jour la majorité qui gouverne car elle
incarne l’alternative. Elle est donc prête à assumer ses devoirs et, en particulier, à
jouer loyalement son rôle de critique du gouvernement sans contester les « règles
du jeu ».
L’objet de la théorie constitutionnelle doit être celui de rappeler en tout premier
lieu le caractère vital de la fonction d’opposition pour tout régime politique. Ce
caractère vital est certainement acquis comme une évidence dont on ne discute
plus dans un régime démocratique. A l’issue d’une expérience autoritaire, en
revanche, le besoin est ressenti de l’affirmer et de la consacrer. Le droit
d’opposition est ainsi reconnu par la Constitution au Portugal (art. 117 al. 2 et 228
i) et les nouvelles constitutions des pays d’Europe de l’Est accordent une place
importante aux partis politiques.
Cependant, reste le problème de la conciliation entre la majorité (le droit de
gouverner) et la minorité (le droit de faire opposition). Pourquoi ? G. Ferrero
l’explique de manière lumineuse : « Pouvoir et opposition, c’est un dualisme ; or,
tout dualisme tend à se modeler sur le souple ennemi qui, inconciliable,
éternellement en lutte, domine toute la vie, le bien et le mal ; à provoquer des
luttes, dans lesquelles chaque force se considère la force ennemie comme le mal.
Le dualisme aboutit alors à la haine, au mépris, à l’impossibilité de se
comprendre, à la nécessité de s’entredétruire – seule issue du conflit. Mais un
Etat, quel qu’il soit, ne devient pleinement légitime que s’il réussit à gagner tous
ses sujets par un attachement [...]. En somme, la démocratie est soumise à la
même loi vitale que la monarchie : ou bien elle est une unité, ou bien elle n’est
pas ». Et de formuler le problème constitutionnel fondamental : « comment
concilier l’unité avec le dualisme du pouvoir et de l’opposition ? ». Cette
conciliation ne peut se faire qu’au moment de la délibération, mais encore faut-il
que certaines conditions soient remplies de sorte que la majorité et l’opposition
soient « les deux organes solidaires de l’unique volonté générale ». Il faut, d’une
part, une majorité réelle qui renonce à se servir du pouvoir pour s’y installer et,
d’autre part, une opposition loyale. »
(...)
IX. L’OPPOSITION ANTICONSTITUTIONNELLE
A côté de l’opposition loyale, le régime démocratique peut connaître une
opposition d’ordre structurel qui remet en cause les institutions et ses principes
fondateurs. Autrement dit, une opposition au régime. Elle est d’un premier abord
l’antithèse d’une opposition politique responsable et respectée. Un effort de
définition doit être de nouveau consenti pour cerner cette notion et il doit être
d’autant plus consenti que si la définition a été dans la passé « facilitée » par les
formes antithétiques que cette opposition a prises, ceci est nettement moins
évident aujourd’hui alors que certaines formations politiques protestataires
intègrent les institutions.
Dans sa forme la plus radicale, son objectif est la destruction de l’Etat et son
arme, la violence. Toujours condamnable, moralement et politiquement, la
violence n’a aucune légitimité en régime démocratique dès lors que le droit de
s’opposer est reconnu et garanti, en particulier, grâce à des élections libres. Les
minorités nationales s’estimant sous le joug d’une culture majoritaire pratiquent
souvent la violence terroriste. Entre autres, les exemples basques et irlandais en
témoignent aujourd’hui.
Mais, il faut sans aucun doute distinguer entre la destruction de l’Etat et la
contestation de sa structure. On peut s’appuyer sur deux arrêts récents de la Cour
européenne des droits de l’homme : cette dernière n’a pas admis que les principes
constitutionnels invoqués (principes et structures actuels de l’Etat turc) par le
gouvernement turc puissent justifier l’interdiction des partis socialiste et
communiste qui les contestent dès lors qu’ils le font en suivant une démarche
parfaitement démocratique. Le fait qu’un « projet politique passe pour
incompatible avec les principes et les structures actuels de l’Etat turc » précise la
Cour, en visant le projet du parti socialiste soutenant l’établissement d’un système
fédéral dans lequel les Turcs et les Kurdes coexisteraient sur un pied d’égalité, «
ne le rend pas contraire aux règles démocratiques. Il est de l’essence de la
démocratie de permettre la proposition et la discussion de projets politiques
divers, même ceux qui remettent en cause le mode actuel d’un Etat, pourvu qu’ils
ne visent pas à porter atteinte à la démocratie elle-même ». La solution aurait été
différente si les partis politiques visés avaient fait usage de la violence pour
contester l’actuelle organisation étatique et soutenir une forme fédérale. D’où la
conclusion d’un auteur commentant la décision : « un parti politique est légitime,
au nom de la CEDH, à promouvoir un programme autonomiste et même
séparatiste : la contestation, voire la destruction, des structures étatiques
existantes constituent des objectifs parfaitement louables ».
Cette jurisprudence appelle plusieurs remarques dès lors qu’elle atteste d’un
glissement de définition des partis anticonstitutionnels. Cela tient d’abord à la
démocratie libérale renforcée à la fois par un enracinement de certaines valeurs,
notamment la protection des droits de l’homme et des droits de minorités, et par
son expansion facilitée par la quasi-absence de contre- modèle depuis la chute du
mur de Berlin. L’interdiction des partis politiques au nom de la protection de «
l’ordre constitutionnel libéral et démocratique » se pose toujours dans les mêmes
termes, mais les «ennemis de la démocratie» ont changé. Les idéologies
totalement contradictoires avec la démocratie libérale – le communisme version
marxiste-léniniste, le nazisme et le fascisme – se sont effacées. Les partis
constituaient l’expression de clivages historiques, dont celui de classe a été le
plus puissant. Subissant les transformations engendrées en particulier par la
mondialisation, les grands partis sont privés d’une base sociale homogène et
peinent à assurer leur tâche de représentation. Le brouillage progressif des
clivages traditionnels conduit à abandonner la vision de la lutte politique en
termes de positions antagonistes entre la droite et la gauche. Le populisme,
indéfinissable par un contenu idéologique spécifique et homogène, atteste des
mutations en cours. Jusqu’au début des années 80, les systèmes partisans
européens n’avaient quasiment plus de traces des partis d’extrême droite et les
formes résiduelles persistantes se sont transformées (par exemple, en Italie, le
MSI est devenu Alleanza Nazionale en 1995) à tel point que «l’extrême droite
classique, c’est-à-dire néofasciste, n’existe pratiquement plus ». Les vieux
antagonismes au communisme ne sont plus le terrain privilégié de ces nouvelles
droites. Elles exploitent plutôt l’antiparlementarisme ou, de manière plus large,
l’anti-establishment. Mais, parmi les partis concernés, certains sans reposer sur
des statuts spéciaux prônant la supériorité d’une race tiennent, toutefois, par la
voix de leurs chefs des discours visant à encourager la discrimination ou la haine
raciste. Le problème a été soulevé à l’égard du Front national en France et du Fpö
autrichien en Europe. L’interdiction – ou la mise au ban des institutions
européennes – met en jeu la confiance accordée aux institutions démocratiques
afin d’absorber les forces hostiles à leurs valeurs. Si le régime d’interdiction des
partis politiques paraît de nature antilibérale, « la démocratie doit-elle [cependant]
accepter le risque de sa propre disparition ? ».
Comme le souligne justement Patrick Wachsmann, la réponse est loin d’être
évidente. La légitimité des actions contre les formations utilisant la violence
comme moyen de la lutte politique est, néanmoins, indiscutable et ces actions
appellent le soutien de toutes les forces démocratiques. Aujourd’hui, le recours à
la violence constitue la ligne de partage. Ce n’est pas une frontière
infranchissable dans un sens comme dans l’autre et, surtout, un parti peut
entretenir l’ambiguïté sur ses intentions. Ce qui n’est pas nouveau. Le PCF,
pendant longtemps, a joué sur les deux registres : « par sa finalité son opposition
[était] une opposition au régime ; par sa tactique, c’[était] une opposition dans le
régime ». Devenu un parti de gouvernement, la fonction tribunitienne qu’il a
assumée longuement, est désormais prise en charge aussi bien par les partis
d’extrême droite que d’extrême gauche.
Bien que soulevées en des termes radicaux (sur lesquels on peut porter un
jugement politique négatif), les questions portant sur l’immigration et les
problèmes connexes de sécurité ou/et de cohésion de la communauté nationale ou
encore sur le poids des multinationales dans la vie économique et sociale
nationale (licenciements massifs alors que les entreprises engrangent des
bénéfices) ne sont pas sans fondement. L’utilité politique de telles forces ne doit
pas être sous-estimée car, en obligeant les partis traditionnels à prendre position,
elles participent à rendre effective la dynamique agonistique. Cela suppose,
toutefois, des partis ayant une « culture de gouvernement » et prêts à servir le
bien commun. L’intégration des partis nationalistes, en particulier au sein d’une
coalition gouvernementale, démontre à la fois la capacité des institutions
démocratiques à absorber ces forces et leurs propres capacités à modifier les
règles du jeu majoritaire : « aptes à y [l’échelon national] jouer un rôle,
éventuellement déterminant, leurs objectifs ne sont pas nationaux et leurs rapports
avec les partis nationaux rentrent difficilement dans le cadre traditionnel des
règles de fonctionnement des coalitions ». Leur pouvoir de chantage est d’autant
plus grand s’ils ont la majorité sur le plan local en contrôlant, par exemple, une
région ou des grandes villes. On touche ici au problème de la minorité de la
majorité d’une coalition gouvernementale qui pèse plus que ce qu’elle représente
électoralement : bien que constitutionnelle, elle est irresponsable dans le sens où
elle sait qu’elle n’a aucune chance de pouvoir gouverner seule un jour et profite
de cette position avantageuse de « parti charnière » en utilisant son pouvoir de
veto (sans elle, aucun gouvernement n’est possible) ou son pouvoir de destruction
(son retrait du gouvernement entraîne sa chute).
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