Conception de produits : aspects psychosociologiques par Victor SCHWACH 8 - 1994 Docteur en Psychologie, Docteur d’État en sociologie 1. 1.1 1.2 1.3 Psychologie et marketing...................................................................... Le marketing et les attentes du public ....................................................... La composante non utilitaire ...................................................................... La composante utilitaire.............................................................................. 2. 2.1 2.2 2.3 2.4 Service rendu ............................................................................................ Définition ...................................................................................................... Typologie des fonctions .............................................................................. Reconnaissance du service......................................................................... Limites de la fonctionnalité......................................................................... — — — — — 3 3 3 5 5 3. 3.1 3.2 3.3 3.4 Complexité des objets et des produits : un facteur d’échec ....... Comment poser le problème ? ................................................................... Mur de la complexité................................................................................... Complexité comme champ d’errance........................................................ L’utilisateur s’adapte à la complexité......................................................... — — — — — 5 5 6 6 6 4. 4.1 4.2 Système des objets et des produits ................................................... Partage de l’espace...................................................................................... Concurrence entre les services proposés et les objets ............................ — — — 7 7 9 5. 5.1 5.2 Comportement de l’utilisateur ............................................................. Prise en compte de l’utilisateur dans la conception ................................. Conclusions intermédiaires ........................................................................ — — — 9 9 10 6. 6.1 6.2 6.3 6.4 Coût d’utilisation ..................................................................................... Définition ...................................................................................................... Raisonnement du coût généralisé.............................................................. Coût du cycle d’utilisation........................................................................... Optimum du coût zéro ................................................................................ — — — — — 11 11 12 12 13 7. 7.1 7.2 7.3 7.4 Pour une didactique de la technique ................................................. Développer un souci pédagogique ............................................................ Principe de la trappe.................................................................................... Apprentissage par paliers ........................................................................... Formations pédagogiques plutôt que techniques .................................... — — — — — 14 14 14 14 15 8. 8.1 8.2 8.3 Vers une psychologie de l’utilisateur ................................................. Collaboration entre psychologues et ingénieurs ...................................... L’utilisateur n’est pas un technicien ........................................................... Limites de la fonctionnalité......................................................................... — — — — 15 15 15 15 9. Conclusion ................................................................................................. — 15 T 4 000 Pour en savoir plus ........................................................................................... T 4 000 - 2 — 2 — 2 — 2 Doc. T 4 000 et article, en partant d’exemples et de constats de situations, va proposer différentes notions permettant à l’ingénieur-concepteur de produits de cerner la relation complexe que le public entretient avec les objets lors de leur utilisation. C Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle T 4 000 − 1 CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES ________________________________________________________________________________ Cette analyse psychosociologique des produits industriels devrait permettre de mieux prendre en compte, dès la conception, les attentes, les réactions des consommateurs, qui sont souvent inattendues, contradictoires mais aussi remplies d’exigences. Cet article permet de relativiser autant la vision marketing que la vision trop souvent technicienne de la conception, des produits en y adjoignant d’autres paramètres difficiles à cerner. 1. Psychologie et marketing 1.1 Le marketing et les attentes du public Le marketing a pour objectif premier de comprendre le consommateur-client, son comportement et ses processus de décision devant l’acte d’achat, afin d’augmenter les ventes et le profit de l’entreprise. La stratégie marketing est ainsi liée à la vie et au développement de l’entreprise. Ce qui va nous intéresser ici, ce sont les écarts entre les résultats de la politique marketing et la réalité vécue au moment ou après l’acte d’achat par le public. Pendant longtemps, le marketing a été l’un des rares départements dans l’entreprise à se préoccuper des consommateurs, notamment par le constat que leurs jugements de satisfaction exercent une rétroaction sur l’image du produit et ainsi sur son acceptabilité sociale, donc sur les ventes. En fait deux critères sont importants : — le produit doit être désirable pour être acquis ; — il doit donner satisfaction à celui qui s’en sert. Dans certains secteurs plus que dans d’autres, la conception des produits est prioritairement axée sur la satisfaction de l’utilisateur. On parlera de démarche marketing. Par exemple, dans une automobile, on considère qu’il y a autant de marketing que de technique – ou du moins autant de recherche mercatique que de recherche technique. Cette affirmation est généralisable à de très nombreux autres secteurs de production, notamment de luxe. Une connaissance, même superficielle, de cette discipline permettra de distinguer deux types d’attentes du public : — ce qui relève de l’imaginaire (composantes non utilitaires) ; — les attentes plus concrètes (composantes utilitaires). Cette distinction ne classe pas seulement les produits, elle différencie également les consommateurs. Dans le domaine de l’automobile, les hommes sont plus sensibles à l’imaginaire (la fonction virile de la technique) alors que les femmes ont une préoccupation qui concerne les détails pratiques. Le raisonnement de l’artisan qui choisit une camionnette n’est pas le même que celui du cadre qui opte pour une voiture de fonction. En fait il est rare que l’une des dimensions soit absente. Aussi faut-il admettre que ces deux aspects constituent les deux dimensions fondamentales de l’objet. signes. Plus récemment, Bourdieu, dans La distinction, critique sociale du jugement [2], a explicité comment le goût, et par là le choix des produits de consommation aussi bien matériels que culturels, correspondait à des stratégies personnelles et sociales de différenciation. En particulier, la volonté d’ascension sociale se traduit par la consommation de produits supposés caractériser la classe sociale supérieure. Ces théories ont donné naissance à des développements radicaux qu’il faut réfuter. Pourtant l’idée de base est incontestable. Dans de nombreux cas, l’objet n’est pas seulement désirable par ses propriétés techniques. Il est aussi désiré pour ce qu’il représente. En effet, certains objets permettent au consommateur de se définir. Ils entrent dans une stratégie de présentation de soi. Le marketing a établi une différence entre : — les objets non impliquants (c’est-à-dire qui n’impliquent pas la personnalité) où prédomine la dimension fonctionnelle ; — les objets impliquants qui sont vecteurs de l’affirmation sociale de soi, où prédomine la dimension symbolique. Cette distinction est arbitraire car peu d’objets relèvent de l’une seulement de ces catégories. Plutôt que d’une opposition bien tranchée, il s’agit de deux dimensions qui, à des degrés variables, sont toujours présentes. 1.2.2 L’objet comme expression de soi Si des significations sont associées aux objets, cela implique que chaque consommateur choisit un produit donné parce qu’il se sent lui-même en concordance avec la signification associée. On peut alors considérer que chacun exprime une identité (sa personnalité) au travers des objets qu’il possède et qu’il utilise. Exemple : dans l’automobile , le choix d’une marque et d’un modèle ne sont pas neutres. Acheter Peugeot ou Mercedes ne renvoie pas exclusivement au souci de trouver le meilleur moyen de se déplacer. Des notions d’image de marque sont alors prépondérantes. Intuitivement on se rend compte que le profil du propriétaire d’une Peugeot 405 Diesel est différent de celui qui a préféré la 205 GTI rouge. Ce dernier affirme un tempérament agressif, alors que le propriétaire d’une Safrane Baccara exprime une aisance financière mais aussi son goût pour le confort cossu. 1.3 La composante utilitaire 1.2 La composante non utilitaire 1.2.1 Signification de l’objet Les approches psychologiques et psychosociologiques ont le plus souvent porté sur les composantes symboliques des objets. Baudrillard, dans Le système des objets [1], a montré comment le choix des objets et des matériaux s’effectuait en référence à une signification sociale. Pour lui, l’assemblage des objets constitutifs d’une ambiance (d’un cadre de vie) se réalise selon des règles sociales : une sémiologie. Les objets définissent un système de T 4 000 − 2 Les sciences de l’ingénieur se sont préoccupées d’élaborer des méthodes permettant de cerner la composante utilitaire et fonctionnelle. On peut citer principalement les analyses sur la valeur d’usage ou encore l’élaboration des cahiers des charges fonctionnels utilisés en analyse de la valeur (cf. articles spécialisés dans ce traité). De leur côté, les sciences humaines ont facilement privilégié la dimension sémiologique des techniques, au point de perdre de vue que les objets existaient d’abord en raison de leur utilité. Ce n’est que récemment que certaines disciplines comme la micropsychologie ont réfléchi à la dimension fonctionnelle des objets. Cette Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle _______________________________________________________________________________ science, fondée par Abraham Moles, correspond au projet d’étudier « au microscope » l’individu de la vie quotidienne en observant, par exemple, les servitudes qu’il subit. ■ Apport de la micropsychologie Le postulat de base de la micropsychologie qui va considérer l’usager et la situation d’usage consiste à dire qu’il n’existe pas de petits détails négligeables, car tous ces éléments interviennent par un effet de sommation et créent le sentiment de qualité de vie. L’observation minutieuse de la vie quotidienne montre même un effet de dramatisation des microproblèmes. C’est particulièrement vrai à propos du rapport avec les objets techniques. Exemple : lorsque les téléviseurs ont commencé à être équipés de télécommandes, une évaluation faite à partir du simple bon sens aurait conclu qu’il s’agissait d’un gadget de peu d’intérêt. En effet, il faut être bien fatigué pour ne pas pouvoir s’extraire de son fauteuil, faire trois pas jusqu’au téléviseur, appuyer sur le bouton et aller s’asseoir. Tout cela n’implique normalement qu’un effort négligeable. Pourtant, tous ceux qui ont acquis un tel appareil ont expérimenté, un jour d’indisponibilité, combien ces quelques actes simples étaient détestables. Aujourd’hui, même les modèles bas de gamme sont équipés de la télécommande. L’exemple de la télécommande s’interprète suivant trois niveaux complémentaires : — l’idée de progrès technique. L’offre d’une petite fonctionnalité supplémentaire a été plébiscitée par le public, si bien que cet accessoire est devenu une composante essentielle du dispositif. Cette lecture correspond à l’idée de progrès technique : les perfectionnements ont pour fonction de faciliter la vie des utilisateurs, par exemple en augmentant leur confort et leur liberté d’action ; — la relation de dépendance. Toute fonctionnalité crée une relation de dépendance. Et c’est pourquoi l’indisponibilité temporaire constitue un drame et une atteinte disproportionnée à la qualité de vie ; — la modification du comportement. Ce petit accessoire a profondément modifié, chez une large frange de téléspectateurs, la manière de regarder la télévision en permettant ce nouveau comportement appelé « zapping ». On serait tenté par le principe : petites causes, grands effets. 2. Service rendu 2.1 Définition Considérons dorénavant l’objet comme un moyen pour arriver à une fin. Dans cette optique intervient le postulat que l’objet ne sera utilisé que s’il est le meilleur moyen pour arriver à cette fin. L’utilisation se fonde sur la valeur fonctionnelle de l’objet. 2.1.1 Épreuve de la réalité Tout objet acquis doit faire ses preuves. Il subit l’épreuve de la réalité. Exemple : un couteau pourra être acquis pour toutes les raisons qui l’ont rendu désirable : sentimentale (un bien de famille), esthétique (style moderne), etc. Mais à partir du moment où il est placé sur la table et pris en main, seule compte son aptitude à couper. Et si, dans cette situation, le couteau déçoit, alors malgré sa valeur sociale et affective, il est relégué dans un tiroir sans jamais plus être utilisé. CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES Cet exemple illustre un changement de registre qui s’opère dans tous les cas. — D’abord l’objet est acquis suivant un mécanisme qui relève du registre du sens (l’imaginaire, l’esthétique, le sentiment). — Ensuite l’utilisation effective ramène l’objet à sa seule valeur instrumentale (utile). Ce changement de registre implique que l’utilisation n’est pas automatique. 2.1.2 Fonction de l’objet L’épreuve de la réalité est un processus complexe. Ici nous le réduirons à une balance entre deux grandeurs : le service rendu et l’effort nécessaire pour l’obtenir. Ce dernier point sera traité au paragraphe 6. La dimension fonctionnelle de l’objet correspond à la capacité de réaliser de façon efficace le service pour lequel il a été conçu. Cela rejoint encore les analyses de la valeur qui ont introduit dans l’industrie le cahier des charges fonctionnel décrivant les services à rendre. Mais pour faire ses preuves, cette capacité doit être vérifiée et convaincante. Cela repose sur des propriétés à la fois physiques (le design) et psychologiques (la conviction). 2.2 Typologie des fonctions Pour l’ingénieur et la conception, on considérera ici qu’aucun élément fonctionnel n’est réellement accessoire ou mineur, car chacun pourra devenir, à un moment donné et l’espace d’un instant, l’équipement le plus utile. Autrement dit, il faut accorder autant d’attention et de soin à chacun des détails, même à ceux qui semblent insignifiants au départ. Exemple : posons la question à une ménagère. Qu’est-ce qui lui semble plus utile : l’ouvre-boîtes électrique ou l’aspirateur ? S’il fallait choisir, elle renoncerait probablement à l’ouvre-boîtes au bénéfice de l’aspirateur. Posons une question équivalente à l’automobiliste. Dans une voiture, qu’est-ce qui est plus utile : le plafonnier ou le volant ? Il choisirait probablement le volant, à moins qu’il ne flaire un piège. Il aurait raison, car il y a une ambiguïté : tout dépend de la situation. S’il faut ouvrir une boîte de conserve, alors rien ne vaut un bon ouvre-boîtes et pour celui qui, de nuit, cherche son itinéraire sur une carte, provisoirement et l’espace d’un instant, le plafonnier est plus utile que les autres équipements de la voiture. Ainsi la typologie ci-dessous cherche à rendre compte du fait que toutes les fonctionnalités ne sont pas à mettre sur le même plan. Toutefois, il ne s’agit pas d’une typologie au sens classique qui repose sur une hiérarchisation, ici elle s’apparente plutôt à une sorte de portrait chinois des différentes catégories fonctionnelles suivant la perception des utilisateurs. 2.2.1 Service minimum Beaucoup d’appareils se proposent d’apporter un petit plus : gain de temps, meilleure efficacité, moindre fatigue, etc. Le service minimum correspond à une fonctionnalité de valeur modeste, parfois à la limite de ce qui peut convaincre. Or si les qualités intrinsèques Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle T 4 000 − 3 CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES ________________________________________________________________________________ (objectives) sont à la limite de la pertinence, seule l’opinion personnelle de l’utilisateur motive la décision d’accepter l’appareil en le déclarant utile ou de le rejeter comme inutile. Exemple : le petit électroménager offre de nombreux exemples. Citons les appareils monofonctionnels tels que le couteau électrique, l’ouvre-boîtes électrique ou la saucière. Tous ces appareils offrent un service minimum, mais tributaire de l’appréciation personnelle. Aussi rencontre-t-on autant d’utilisateurs enthousiastes que de détracteurs. Au moment de la conception, il est impossible de prévoir précisément l’accueil du public. La seule solution consiste à tester le produit en confiant des prototypes à un échantillon de futurs utilisateurs. 2.2.2 Service indispensable À l’autre extrémité de l’échelle, certains appareils sont ressentis comme indispensables. Les utilisateurs parlent de besoin. Citons l’aspirateur, l’automobile, le lave-linge. L’importance subjective de ces objets est accentuée par l’absence d’alternative perçue comme valable. Comment nettoyer la moquette sans aspirateur ? Comment se déplacer sans voiture ? Psychologiquement ce caractère de nécessité implique que l’utilisateur redoute particulièrement d’être privé du service rendu. En conséquence, il consent à des concessions. ■ Panne partielle Lorsqu’une sous-fonction particulière tombe en panne et que la réparation impliquerait une indisponibilité de l’appareil, l’utilisateur diffère la réparation et parfois y renonce. L’automobiliste attend la prochaine révision. La ménagère bricole un colmatage de fortune sur le tuyau de son aspirateur. Le service est minoré. Mais « c’est toujours mieux que rien ». ■ Mariage malheureux L’absence d’alternative permet d’assimiler le rapport hommemachine à une sorte d’union. Or, malgré un coup de foudre, puis une lune de miel, le bonheur durable n’est pas toujours au rendez-vous. Que fera la ménagère dont le robot est peu commode à utiliser ? Que fera l’automobiliste dont la voiture accumule des déboires ? Ils prendront leur mal en patience. ■ Coût d’utilisation Certains appareils imposent un tel effort que leur utilisation est ressentie comme pénible. Mais comme il n’y a pas de vraie alternative, l’utilisateur doit se résigner à cet effort. Exemple : l’aspirateur est indispensable mais le poids à traîner et la contrainte du branchement font hésiter. Certaines mères de famille expliquent alors ce scénario : lorsqu’un enfant répand des miettes sur le tapis, elles diffèrent le nettoyage jusqu’au lendemain matin, plutôt que d’aller chercher l’aspirateur tout de suite. Dans toutes ces concessions, l’utilisateur souffre. Il subit ces techniques. Même si le bilan fonctionnel reste positif, l’évaluation de la situation est négative : il y a trop d’inconvénients. Faute d’alternative valable, l’individu se résigne à les accepter. Il n’y a pas de satisfaction. 2.2.3 Service sans faille Dans certaines conditions défavorables, l’offre d’une innovation peut se retourner contre les promoteurs de la technique. C’est du reste très logique : pour que l’offre puisse être ressentie comme valable, il faut qu’elle fonctionne sans défaillance. Ce principe n’est T 4 000 − 4 pas toujours vérifié. Les errements périodiquement observés chez les plus grands (lancement de la série S chez Mercedes ; système Socrate à la SNCF) attestent la nécessité de rappeler ce principe de bons sens. Exemple : à la fin des années 70, les distributeurs automatiques de billets (DAB) ont connu un grand succès. Ils ont également suscité beaucoup de réclamations. En effet, ces appareils pourvus d’une faible contenance et dotés de multiples sécurités étaient souvent indisponibles, en particulier les dimanches soir. Les organismes de consommateurs n’ont pas manqué de reprocher aux banques d’avoir créé un besoin nouveau qu’elles n’arrivaient pas à satisfaire. Le petit détail technique est tantôt un élément qui facilite la vie et augmente la satisfaction de l’utilisateur (dans l’automobile citons la condamnation centralisée et à distance des portes), tantôt il est cet élément qui complique la vie parce qu’il a été mal conçu. Exemple d’un détail malheureux L’ouverture du réservoir à essence de certains modèles de voitures a malencontreusement été placée à gauche du véhicule – cette implantation oblige le conducteur à des acrobaties avec un tuyau souvent trop court à moins qu’il ne choisisse de placer le véhicule de l’autre côté de la pompe et alors, sur certaines, il ne voit plus les informations affichées (prix, nombre de litres). 2.2.4 Service multifonctionnel Les utilisateurs apprécient les appareils dotés de nombreuses fonctions et capables de réaliser différents travaux. Ces appareils compliqués sont souvent des combinés qui regroupent, autour d’un élément de base (bloc-moteur), des fonctions autrement disséminées sur plusieurs objets. Cette association se rencontre dans le domaine du bricolage et de la cuisine (robots). L’avantage est un gain de place, une meilleure rationalité de l’action, sans oublier le plaisir de posséder un appareil évolué. L’examen attentif de l’utilisation suggère que la multifonctionnalité possède plus de vertus potentielles que réelles. Le risque est d’avoir fait une mauvaise affaire, lorsque l’habitude confine ces techniques compliquées dans des usages mineurs. Exemple : certaines ménagères ont déclaré utiliser leur « mixeur chauffant » seulement pour confectionner des soupes de bébé, d’autres exclusivement pour faire de la mayonnaise ou moudre du café. 2.2.5 Service automatique Les utilisateurs valorisent les appareils qui marchent tout seuls, c’est-à-dire qui les laissent libres de leurs actions. — La première fonction de l’automatisme est de libérer les mains, leur permettant de se consacrer à une autre tâche. — Une autre fonction est de libérer l’esprit, notamment en contrôlant le temps et en surveillant l’action. À l’échelle domestique, les automatismes restent très rudimentaires. Même la programmation (par exemple d’un magnétoscope, d’un four...), pourtant ressentie dans le public comme une activité très complexe, se limite à quelques paramètres : heure de début, durée, choix d’un réglage (allure, programme...). Rien de comparable avec l’automatisme industriel. On est loin d’un appareil intelligent. ■ Distinguer service et servitude Aujourd’hui la domotique est le promoteur de l’automatisme. À ce propos, l’analyse psychologique montre la nécessité de distinguer entre : — l’intelligence cachée : les processeurs contenus dans les machines qui prennent en charge des régulations (lave-linge, chauffage central, allumage dans l’automobile, etc.) et déchargent l’utilisateur de la nécessité de contrôler l’action ; — l’intelligence imposée sous la forme d’un appareil programmable. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle _______________________________________________________________________________ Dans ce dernier cas, le service est obéré par une difficulté. Alors que programmable devrait signifier pouvant être programmé , l’expérience avec les appareils dits intelligents montre que ce terme signifie la plupart du temps devant être programmé. C’est une erreur de marketing, car il ne s’agit plus alors d’un service rendu mais d’une servitude supplémentaire. Les enquêtes révèlent chez les possesseurs une tendance générale et préoccupante à renoncer, si bien que le service rendu par cette classe d’appareil est évalué, a posteriori, comme inférieur aux modèles traditionnels. 2.3 Reconnaissance du service 2.3.1 C’est pratique La reconnaissance du service rendu s’exprime dans une expression typique : c’est pratique. Dans une enquête d’évaluation, cette phrase doit être considérée comme la clé qui atteste sans ambiguïté que l’utilisateur est satisfait. Réciproquement, l’évaluation c’est pas très pratique est à considérer comme indicateur d’une difficulté alertant le concepteur (ou son service marketing) sur la nécessité de perfectionner le système. 2.3.2 Préférence technique Un appareil reconnu comme pratique ne saurait rester inutilisé. Au contraire, l’utilisateur développe des scénarios d’utilisation qui constituent rapidement des routines. Celles-ci se répercutent sous la forme d’un principe de préférence technique. Exemple : l’étude des automates bancaires au début des années 80 a montré que l’offre de service a rencontré l’assentiment du public dès que les banques eurent adopté une politique de diffusion à grande échelle. Voici les jugements des utilisateurs : C’est pratique ............................................................................ 77 % Disponibilité permanente........................................................... 77 % Pas d’attente ............................................................................. 35 % C’est facile ................................................................................. 35 % On n’a pas besoin d’avoir beaucoup d’argent sur soi.............. 24 % La répercussion sous la forme d’une préférence technique est vérifiée dans plusieurs travaux proposant à l’utilisateur, pour une même opération, le choix entre un employé au guichet de la banque ou un automate. Automate Employé Si l’automate est un distributeur Retrait d’espèces ............................................ 100 % 0% Si l’automate est un guichet automatique Retrait d’espèces ............................................. 67 % 33 % Dépôt de chèques............................................ 33 % 67 % Ce résultat confirme que les automates bancaires n’ont aucune fonction de dépannage (lorsque les guichets sont fermés). Ils constituent une alternative qui, dans une large majorité, est préférée à la rencontre d’un employé. Bien plus, leur évaluation favorable a conduit à la routine : retirer de l’argent ⇒ automate. Ces résultats suggèrent également que la fonction de dépôt de chèques était dès le départ inutile. Les statistiques d’utilisations confirment qu’il aurait mieux valu limiter l’offre technique aux fonctions de retrait d’espèces et de consultation de soldes. CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES 2.3.3 Impact sur le mode de vie Par le principe de préférence technique, l’innovation imprime une marque parfois profonde sur le mode de vie, non pas sur les buts à atteindre, mais sur les moyens mis en œuvre. Tôt ou tard la technique infléchit la structure du mode de vie. Exemple L’impact des cartes bancaires : — une nouvelle manière de gérer l’argent : avec la suppression des obstacles administratifs, l’argent est devenu plus disponible ; beaucoup d’utilisateurs se plaignent de difficultés de gestion ; — de nouveaux rapports banque-clients : depuis que la majorité des clients préfèrent les automates, la banque a réussi à automatiser une masse de tâches répétitives qui monopolisaient les guichets. Désormais elle se consacre au conseil. À ce propos, elle découvre que ses clients ont déserté les agences et elle doit mettre en œuvre de nouvelles et coûteuses stratégies pour les rencontrer ; — une nouvelle image de la banque : avec l’avènement de l’argent électronique, la banque a perdu son identité. Dans les banques, il n’y a plus autant d’argent matériel, elles ne sont plus des coffres-forts, mais plutôt des administrations qui traitent des informations. 2.4 Limites de la fonctionnalité 2.4.1 Mirage fonctionnaliste Si cette composante était seule à peser sur l’utilisation, elle susciterait une démarche d’accroissement indéfini : plus il y a de fonctions, mieux c’est. Il est facile de comprendre que ce raisonnement est une erreur. La conception d’un objet ne se limite pas à associer des fonctions et des éléments, mais consiste à réaliser un ensemble qui doit être équilibré selon les différents points de vue : technique, esthétique, facilité d’utilisation. 2.4.2 Fonctions utiles Dans cette optique la chasse aux fonctions inutiles est une démarche salutaire. On verra ci-après pourquoi. Dans cet effort pour aller vers l’essentiel, on distinguera encore les fonctions utiles mais rares (le cric d’une voiture) des fonctions futiles (négligées par l’utilisateur) et qui relèvent d’un kitsch technologique. 3. Complexité des objets et des produits : un facteur d’échec 3.1 Comment poser le problème ? Les humanistes, les premiers, ont constaté l’opacité des techniques et s’en sont alarmés. Pour eux, les machines appréhendées comme autant de boîtes noires dépossèdent les utilisateurs de la maîtrise de leur environnement. Fondamentalement, la technique est alors une aliénation. De telles analyses doivent être réfutées. Pour l’utilisateur il n’y a là aucun inconvénient et aucun regret. Il est très loin de vouloir comprendre les machines qu’il utilise. Son attitude n’est pas d’ouvrir, de démonter, de vouloir comprendre. Au contraire, il se satisfait d’observer que les parties les plus compliquées des objets lui échappent, car elles restent soustraites au regard, occultées par des boîtiers. C’est un grand avantage, car autrement la technique ne serait pas utilisable. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle T 4 000 − 5 CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES ________________________________________________________________________________ Ce mécanisme définit alors deux niveaux et deux types de compétences : — le niveau du technicien, qui maîtrise l’intérieur et dispose du savoir permettant d’y intervenir pour créer l’objet, l’entretenir et le réparer ; — le niveau de l’utilisateur, qui reste à l’extérieur de la boîte noire et se contente de profiter du service. Sa compétence consiste à utiliser correctement l’objet. Dans le domaine de l’automobile, on distinguera la mécanique de la conduite automobile. Le problème de la complexité n’est pas pour autant supprimé, même si le boîtier permet à chacun de profiter des techniques sans imposer la nécessité de s’initier au savoir qui les ont produites (la mécanique, l’électronique...). Une certaine complexité subsiste à l’occasion et rend alors l’utilisation difficile. Au centre de notre préoccupation se place ainsi la complexité de l’interface utilisateur. 3.2 Mur de la complexité La théorie du mur de la complexité repose sur plusieurs données. ■ La complexité impose à l’utilisateur un effort mental pour comprendre, le coût cognitif. Celui-ci entre dans la balance service rendu /coût et suscite l’hésitation fondamentale : cela en vaut-il la peine ? Par définition, la complexité est une grandeur préjudiciable à l’utilisation effective. ■ À ce principe général s’ajoute une dramatisation. Tout se passe comme si le coût cognitif subissait une pondération si forte qu’elle entraîne un refus. Autrement dit, il existe une intolérance au coût cognitif. ■ Ce mécanisme se manifeste à partir d’un seuil extrêmement faible que les concepteurs ont tendance à sous-estimer, avec l’hypothèse que les utilisateurs feront un petit effort. Au total, la complexité est un filtre qui conditionne l’utilisation d’une façon imprévue mais constante. Exemple : les automates de la SNCF Sur une génération déjà ancienne d’automates, la demande d’une réduction déclenchait un signal d’alerte « Pouvez-vous justifier cette réduction ? » sous la forme d’un message lumineux orange clignotant. Certains usagers s’enfuyaient alors, épouvantés. Il s’agissait pourtant d’une manière d’attirer leur attention sur un risque de malentendu et de sanction. Nous supposons qu’ils comprenaient devoir justifier cette réduction maintenant. Ne voyant pas comment, ils abandonnaient. Les automates ultérieurs comportaient une nouvelle difficulté suscitant également des abandons. Ils posaient deux questions à la fois. Certes, il ne s’agissait que de deux questions binaires, dont la combinaison définissait quatre possibilités matérialisées par quatre boutons implantés aux quatre coins de l’écran. Là encore des utilisateurs arrivés à ce stade de l’interaction abandonnaient et se rendaient au guichet. La communication homme-machine est un art difficile qui achoppe sur d’innombrables sources d’erreur et de malentendus. Il s’agit, pour le concepteur, d’une réalité avec laquelle il faut composer. L’utilisateur ressent la complexité comme le mettant en échec, ce qui, en retour, fait naître un risque d’échec commercial. Là encore des tests sont utiles. 3.3 Complexité comme champ d’errance D’un point de vue subjectif, l’utilisateur appréhende la complexité de deux manières complémentaires. T 4 000 − 6 ■ La complexité comme mur Cette idée rend compte de la position de l’individu devant une machine qu’il veut /doit faire fonctionner. La complexité bloque l’utilisation. Elle est un obstacle majeur dans l’atteinte du but. L’utilisateur ne sait plus quoi faire. ■ La complexité comme labyrinthe Les techniciens savent que l’utilisation s’apparente à un cheminement dans l’arbre des possibles. Pour l’utilisateur, c’est également le cas, à ceci près qu’il ne dispose pas d’information sur la structure logique de la situation. C’est pourquoi l’arbre devient un labyrinthe où il se perd. Il tourne en rond, essaie plusieurs fois les mêmes hypothèses qui, invariablement, le ramènent au départ. Pire, il lui arrive de détraquer le dispositif. Le réglage du tuner du magnétoscope est un exercice de ce type. En réalité, le labyrinthe est une combinaison de portes et de murs. On peut donc s’y perdre et y rester bloqué. 3.4 L’utilisateur s’adapte à la complexité 3.4.1 L’utilisateur en situation d’infériorité Face à la technique complexe, l’utilisateur doit s’adapter. L’effet de dramatisation provient du fait qu’il se perçoit comme ayant pénétré dans un domaine étranger où, faute d’un bagage suffisant, il est en état d’infériorité. Notre étude sur le mode d’emploi montre que, dans cet état de détresse psychologique, un document technique n’est pas la solution. Exemple : les notices de magnétoscopes, souvent conçues dans un langage technique, ne sont pas comprises d’une manière familière par l’utilisateur, mais plutôt comme une langue étrangère. 3.4.2 L’attitude de retrait Dans ce contexte, certains préfèrent éviter la confrontation avec la technique. C’est particulièrement le cas des femmes lorsque l’appareil a été acquis par leur mari. Elles observent ses difficultés et restent prudemment à distance. Elles se confortent dans l’opinion qu’elles sont incapables de comprendre et qu’elles n’y toucheront jamais par peur de commettre des bêtises. 3.4.3 Abandon Lorsque la technique est réellement complexe, il n’est pas certain que l’utilisateur réussira à passer le cap de l’apprentissage. Exemple : Ramirez a montré comment une forte proportion de femmes ayant acheté une machine à tricoter, souvent d’un prix élevé comparativement à leur revenu, étaient victimes d’une illusion technologique mise en scène par l’image publicitaire du « pull qui se tricote tout seul ». Dans cette étude, les bonnes tricoteuses affirmaient qu’il leur avait fallu une année entière avant de pouvoir réaliser de beaux ouvrages. Quant aux autres, après déceptions, crises de nerfs, etc., elles abandonnaient leur machine. 3.4.4 Sous-utilisation La complexité provient la plupart du temps de la multiplication des fonctions implantées sur l’appareil. Cette sophistication correspond à l’idéal de flexibilité qui impose à l’utilisateur de paramétrer le type de service souhaité. Elle découle encore de la tendance au polyéquipement qui rajoute des organes permettant des services Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle _______________________________________________________________________________ annexes. Selon la terminologie de A. Moles, il en résulte à la fois une complexité structurelle (plus d’éléments morphologiques) et une complexité fonctionnelle (plus d’actes nécessaires pour faire fonctionner). La rançon de cette sophistication est dans tous les cas une sousutilisation. On vérifie ce point pour tous les appareils complexes de la vie quotidienne, ainsi que dans le domaine de la bureautique (quelle secrétaire exploite totalement les multiples possibilités de son traitement de texte ?), la domotique et même l’automobile. Cette notion implique une mauvaise affaire. D’une part, l’utilisateur a payé tout ce qu’il n’utilise pas (coût financier d’achat) et, d’autre part, il subit une complexité accrue, donc un coût cognitif majoré. En fait, la sophistication lui impose d’apprendre à sélectionner les quelques fonctions dont il se sert. N’aurait-il pas mieux valu lui proposer un système plus économique ? 3.4.5 Détour économique La sous-utilisation a encore pour conséquence que l’utilisateur ne met pas en œuvre la procédure la plus élégante. Parfois, il l’ignore. En fait, l’élégance technique lui apparaît comme moins désirable que la sécurité. Il tient à arriver à destination de façon sûre et sans se casser la tête. Exemple : expérience avec des calculettes Des étudiants devaient utiliser une calculette pour calculer la moyenne et l’écart-type d’une série de nombres avec cette consigne : ne saisir ces nombres qu’une seule fois. Les expérimentateurs ont été déçus, très peu de sujets ont réussi l’exercice. Pourtant il leur aurait suffit d’utiliser le registre mémoire et les fonctions « SUM » et « carré ». Dans une autre expérience où les étudiants étaient libres de leur méthode, tous avaient calculé séparément la moyenne et l’écart-type sans s’interroger sur l’éventualité d’une méthode plus rapide, plus élégante et exploitant mieux les ressources de la calculette. Ils avaient donc bêtement saisi les mêmes nombres deux fois. 3.4.6 Image opérative L’ergonome russe Ochanine a élaboré la théorie de l’image opérative pour rendre compte de la manière dont les opérateurs des systèmes industriels complexes construisent mentalement une représentation de la situation. En particulier il a souligné la pauvreté de cette image et l’existence de déformations. Tout se passe comme s’il s’agissait moins de réaliser un idéal de connaissance, que de guider l’action selon un principe d’économie, par une représentation juste suffisante. Selon notre analyse, la théorie d’Ochanine consiste à admettre que l’opérateur projette une représentation simplifiée sur la situation complexe. Cette image sert alors de carte permettant de se repérer dans le labyrinthe. En fait, cette image supprime mentalement des éléments de façon à réduire la charge mentale, donc le coût cognitif. Ce mécanisme est transposable aux appareils de la vie quotidienne. Les images sont souvent extrêmement laconiques, témoignant d’un savoir très rudimentaire. Exemple : des étudiants devant dessiner de mémoire leur calculette ont omis de faire figurer des fonctions comme les mémoires et les parenthèses. Il n’est donc pas étonnant qu’ils ne pensent pas à s’en servir, comme dans l’expérience de Friemel. Ce résultat est une critique de la sophistication : ce qui n’est pas perçu, n’existe pas psychologiquement ; il s’agit donc de fonctions inutiles. CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES 3.4.7 Mouvements oculaires Les travaux en laboratoire sur l’exploration visuelle des objets conduisent également à mettre en cause la sophistication. Les utilisateurs novices appréhendent tous les éléments structurels de la même manière, sans pouvoir encore distinguer ce qui est utile de ce qui ne l’est pas. Exemple : une étude de l’exploration visuelle des automates de paiement pour transport urbain a montré que les usagers s’attardaient également sur des éléments comme la serrure, le macaron du constructeur..., donc des éléments fonctionnellement non pertinents. Dans tous ces cas, l’utilisateur novice subit une surcharge informationnelle. Apprendre implique la capacité de faire le tri, donc de projeter sur la réalité complexe une image simplifiée. Inversement, les utilisateurs avertis explorent l’environnement de façon économique, en concentrant leur regard sur ce qui est pertinent et en délaissant le reste. 4. Système des objets et des produits On peut considérer qu’un objet ou qu’un produit n’existe pas seul sans liaison avec l’ensemble des autres objets et des lieux d’utilisation. ■ Lorsqu’un appareil est acquis, il trouve une place dans le système objets/lieux (le foyer, le bureau, l’atelier). L’idée d’un système des objets consiste d’abord à observer comment les objets se répartissent dans l’espace. ■ Le polyéquipement du foyer implique un mécanisme de sélection et de préférence, suivant lequel l’utilisateur n’emploie toujours qu’un appareil à la fois. C’est pourquoi on examine la concurrence entre les objets, comme différents moyens pour atteindre un même but. ■ Différentes personnes vivent sur le même territoire. Aucune n’utilise tous les objets. L’idée de l’analyse consiste également à préciser les mécanismes définissant la correspondance entre la panoplie des objets et la population considérée. Interviennent des mécanismes de coopération, de spécialisation et de concurrence. Tous ces niveaux interagissent et se répercutent les uns sur les autres. Pourtant il est clair que dans l’espace du foyer, l’habitant est celui qui règne sur les objets. Il définit les emplacements, arbitre la concurrence et négocie des relations avec ses pairs. Dans son principe, le système est dominé par des mécanismes psychosociologiques. Toutefois, les choix techniques ne sont pas sans incidence. C’est ce que nous montrons ci-après en limitant l’analyse aux deux premiers facteurs : le rangement et ses répercussions sur l’utilisation et la concurrence entre les objets et l’arbitrage par l’utilisateur. 4.1 Partage de l’espace 4.1.1 Règles sociales du rangement Le rangement est à la fois une nécessité pratique et une prescription sociale. Examinons rapidement les principales règles. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle T 4 000 − 7 CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES ________________________________________________________________________________ ■ Règle d’univocité La préférence est d’aménager des locaux spécialisés établissant une correspondance stricte entre un espace, une activité, les appareils nécessaires. Chacun de ces locaux devient alors le territoire de la personne concernée par l’activité. Citons : la lingerie, l’atelier de bricolage, le bureau... Cet aménagement est ressenti comme idéal, mais extrêmement coûteux en espace. Le rangement n’obéit pas seulement à des règles psychosociales. Les choix réalisés au cours de la création du produit peuvent eux aussi conditionner le rangement : si le robot était moins lourd, il pourrait plus facilement être rangé dans l’armoire. C’est seulement à cause de sa faible maniabilité que l’utilisateur lui affecte cette place d’appareil sorti en permanence sur la table de travail. De façon générale, des améliorations techniques peuvent faciliter un meilleur rangement. ■ Règle d’homogénéité On met ensemble ce qui va ensemble. Le rangement fonctionnel rejoint l’ordre social en prescrivant le regroupement par catégories d’activité. Certains objets sont réunis en grappes, par exemple les appareils audiovisuels au salon. 4.1.3 Branchement électrique ■ Le visible/le caché Certains objets sont montrés, alors que d’autres sont dissimulés dans les armoires. On opposera le rangé-dedans au rangé-dehors. ■ La propreté Le rangement répondant à une préoccupation quasi morale, la prescription de propreté est permanente. Or certains appareils de cuisine sont très difficiles à nettoyer et altèrent alors l’image sociale du lieu (exemples : friteuses, mini-fours). ■ La fonctionnalité L’aménagement d’un poste de travail fixe facilite considérablement l’utilisation, en revanche le rangement dans les armoires pénalise l’utilisation par l’accroissement du cycle d’utilisation. 4.1.2 Les différents rangements Le rangement correspond toujours à un arbitrage entre les différents critères. Prenons l’exemple de la cuisine. Les photos publicitaires présentent toujours des cuisines nettes, débarrassées de tous les appareils ; c’est l’idéal esthétique. En revanche, l’idéal fonctionnel serait de laisser beaucoup d’appareils installés en permanence prêts à l’emploi. Mais l’on se rend compte qu’il faudrait une énorme surface disponible et surtout que l’aménagement créerait une impression de désordre. Ce rangement fonctionnel optimal sera réservé à une sélection de quelques appareils dont l’utilisation est favorisée. Citons la cafetière électrique et le robot. Pourtant cela aussi n’est pas sans inconvénient. Ces appareils se couvrent facilement de poussières graisseuses qui portent atteinte à l’idéal de propreté. Certaines ménagères ont été tentées de recouvrir leur robot d’une housse, puis se sont ravisées, confirmant que ce compromis n’est pas la méthode idéale. La capacité d’être rangé varie suivant les appareils. Le rangement du four à raclette apparaît comme l’exemple de tolérance maximal. Tous les endroits sont possibles, sans inconvénients majeurs, y compris la salle de bains, la chambre à coucher. Cet appareil d’usage rare n’est pas pénalisé par les quelques pas nécessaires pour aller le chercher s’il n’est pas à portée de main. À l’autre extrémité, la machine à coudre est l’objet le plus difficile à ranger. Aucune place satisfaisante ne peut lui être attribuée, sauf dans une lingerie où elle sera toujours prête à l’emploi. Si la femme s’installe dans le salon, et surtout si l’activité dure plusieurs jours ce qui est banal pour la couture, cet appareil ainsi que les tissus qui l’accompagnent portent atteinte à l’intégrité du lieu. Le salon perd alors sa qualité de pièce destinée à la sociabilité. (Où recevoir un éventuel visiteur ?). Personne ne sera satisfait de cette place, ni la femme, ni son entourage. T 4 000 − 8 La répartition des objets est également tributaire des ressources disponibles dans l’espace. Dans de nombreux cas, le rangement et l’utilisation subissent la contrainte électrique. Or l’habitant constate qu’il n’a jamais assez de prises de courant et qu’elles sont rarement aux bons endroits. C’est pourquoi il doit s’encombrer d’une multitude de rallonges et multiprises. La contrainte de l’alimentation électrique est une servitude. La difficulté ne provient pas que des ressources du cadre de vie. Certaines configurations techniques s’avèrent défavorables : — les constructeurs sont trop économes en longueur de câbles ; — les appareils sont rarement équipés d’enrouleurs ou autres systèmes de gestion de cette longueur ; — comme les ordinateurs, les amplificateurs hi-fi sont dépourvus de prises permettant d’alimenter les éléments périphériques (tuner, lecteur de cassettes, lecteurs CD...). Il en résulte que les prises de courant sont souvent encombrées par de multiples branchements et deviennent instables, malcommodes et éventuellement dangereuses. Des solutions alternatives ont été recherchées ; pourtant aucune n’a abouti à une configuration réellement satisfaisante. Chacune déplace l’équilibre service/coût sans l’améliorer franchement. — Les piles libèrent de la contrainte du branchement, mais introduisent des servitudes en termes de réserves. La variabilité des types impose de constituer des réserves importantes pour ne pas risquer une panne. — Les accumulateurs semblent offrir une meilleure alternative ; aussi bien pour les caméscopes, les ordinateurs portables que pour un ensemble de petits appareils de bricolage. L’analyse du coût généralisé (tel que nous le développerons au paragraphe 6.2 permet de repérer deux limites : — l’appareil sans fil offre un « plus ». L’ordinateur-voyageur présente un réel intérêt, mais au prix de quelles servitudes ? Il faut replacer l’action dans son contexte comportemental (le cycle) et écologique. Le problème réside dans la faiblesse de l’autonomie des accumulateurs. De la même manière, filmer de longues séquences en vacances ou dans une cérémonie familiale (mariage) est intéressant, mais oblige à s’encombrer de plusieurs batteries de rechange. Au total le matériel devient très lourd à porter. C’est une limite ; — cette solution ne libère pas totalement de la contrainte du branchement, car chacun des appareils sans fil (perceuse, aspirateur...) aura besoin d’un emplacement spécifique pour s’alimenter et rester réellement disponible en permanence. Mais comme il est difficile dans un appartement de multiplier les branchements dormants, l’accumulateur est une faveur qui ne peut être réservée qu’à un très petit nombre d’appareils. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle _______________________________________________________________________________ 4.2 Concurrence entre les services proposés et les objets 4.2.1 Principe de l’action graduée L’hésitation fondamentale « cela en vaut-il la peine ? » définit une hiérarchie non plus entre les appareils, mais entre les quantités de service appropriées à certaines situations. Il ne suffit pas que le rapport coût/service soit habituellement positif, encore faut-il que, par rapport à la tâche considérée, cette balance soit convaincante. Exemple : dans les échanges d’informations à titre professionnel, les textes manuscrits avaient disparu en raison d’une règle de présentation selon laquelle une note d’information ou une lettre devait être tapée à la machine. C’est la fonction traditionnelle du secrétariat. Pourtant, avec l’avènement de l’ordinateur, paradoxalement, les billets manuscrits sont devenus plus nombreux, en particulier dans les messages transmis par télécopie. La mise en œuvre d’un logiciel pour écrire un petit mot apparaît facilement comme excessive et, pire encore, le détour par le secrétariat. Taper quelques lignes en réponse à une question est une opération ressentie comme lourde. Résultat : le cadre envoie un mot écrit à la main. Et cela d’autant plus facilement que la télécopie s’est traduite par une tolérance à ce sujet. Il s’agit d’une communication directe et spontanée. 4.2.2 Créneau d’utilisation Le principe de graduation est un mécanisme régulateur du choix. La préférence pour tel ou tel appareil n’est donc jamais stable, mais dépend à la fois du système de valeur personnel, de la tâche à accomplir et des possibilités alternatives. Exemple : les urbanistes et les architectes décrivent la courbe de refus des différents moyens de déplacement en observant les choix des utilisateurs. Par exemple, ils montrent que, pour se déplacer d’un étage, selon le cas, entre 60 et 100 % des usagers choisissent l’escalier en négligeant l’ascenseur. À partir de deux étages, la préférence s’inverse au profit de l’ascenseur. La balance entre avantage et inconvénient explique facilement ces préférences. Le résultat est que l’usager ne réfléchit jamais à ce qu’il va faire ; les choix sont figés par des routines suivant une différenciation simple : — pour monter d’un étage je prends l’escalier ; — pour monter de trois étages, j’attends l’ascenseur. Ce même raisonnement vaut pour l’ensemble des alternatives. Les urbanistes montrent l’existence d’un rayon moyen de marche à pied qui définit de façon comportementale le quartier comme une zone de spontanéité autour du logement. De la même manière, les utilisateurs dans leur ensemble établissent des routines qui régulent les mécanismes de concurrence entre les objets en attribuant à chacun un créneau d’utilisation spécifique (éventuellement même un créneau vide). Exemple : c’est pourquoi la mère de famille qui renonce à nettoyer les miettes répandues par le goûter des enfants appréciera à l’usage le petit aspirateur reçu en cadeau. Elle spécifiera deux créneaux bien distincts : — pour faire le grand ménage, j’utilise mon (grand) aspirateur ; — pour ramasser quelques miettes, j’emploie le petit. L’adjonction d’un nouvel appareil introduit d’abord une compétition en plaçant l’être devant un choix. Ensuite, la réduction sous forme de deux créneaux a la particularité non pas de segmenter le scénario antérieur, mais d’accroître le niveau de recours à la technique et d’améliorer l’efficacité donc la satisfaction. L’étude comparative des râpes de la cuisine (râpe à main, robot, etc.) se ramène toujours à cette variable « cela dépend des quantités ». Très directement le créneau affecte à chaque moyen une quantité à râper (carottes, gruyère) pour laquelle il offre le meilleur rapport service/coût. Dans les limites du créneau, l’utilisation de l’outil considéré vaut la peine. CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES 5. Comportement de l’utilisateur 5.1 Prise en compte de l’utilisateur dans la conception Ainsi, pour qu’un produit soit compétitif et accepté par le public, il ne suffit pas qu’il marche bien et soit fiable au sens technique du terme. Il est nécessaire que l’efficience technique soit réalisée le mieux possible (mécanique, électronique, choix dans les matériaux), mais il arrive que malgré ces performances les produits soient mal acceptés ou rejetés par les utilisateurs. Il convient alors de rechercher les causes de ces rejets en considérant le comportement des consommateurs comme une source d’informations et d’observations afin d’améliorer la qualité des services à rendre. L’erreur consisterait à simplement évoquer les problèmes de comportement des utilisateurs comme une fatalité. Exemple : lorsque, au début des années 80, les banques ont installé les premiers guichets automatiques, certaines ont été soucieuses de garantir la sécurité. C’est pourquoi elles ont implanté ces appareils dans des sas. Pour éviter que ces locaux soient récupérés comme abris par les clochards elles les ont équipés d’un dispositif technique d’accès. L’utilisateur devait passer sa carte dans une glissière qui débloquerait l’ouverture. L’apprentissage de ce nouveau geste posa beaucoup de problèmes, au point que certaines banques eurent des craintes quant à la réussite de cette innovation coûteuse. Le fait était manifeste : les clients n’arrivaient pas à produire le geste permettant de débloquer la porte ; dans de trop nombreux essais la porte restait close et le client devait renoncer. Aujourd’hui, le geste est (presque) passé dans les mœurs. Pourtant certaines agences de province continuent à laisser les sas ouverts en journée, n’imposant ce mécanisme à leur clientèle que le soir ou le week-end. Cet exemple, comme beaucoup d’autres, montre la vulnérabilité de l’innovation. Imposer un nouveau geste comporte toujours un risque. C’est pourquoi il vaudrait mieux commencer par observer les comportements naturels des futurs utilisateurs. En l’occurrence, le geste traditionnel à propos de la carte bancaire est de l’introduire dans une fente qui l’avale. Conserver ce geste aurait permis d’éviter bien des difficultés. Or la réussite d’un projet technique ne dépend pas seulement du respect des lois relevant des disciplines traditionnelles de l’ingénieur, elle implique également la prise en compte de conditions psychologiques et sociales. 5.1.1 Prise en compte du niveau de culture technique des utilisateurs L’attitude naturelle consiste, de la part des concepteurs, à croire que l’utilisateur futur du produit possède le même niveau de culture et de connaissance qu’eux. Or, dans les faits, les références techniques et culturelles des uns et des autres ne sont pas identiques et leurs habitudes souvent éloignées. La réussite d’un projet dépend de la prise en compte de la réaction des utilisateurs face aux appareils nouveaux. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle T 4 000 − 9 CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES ________________________________________________________________________________ Il semble difficile pour le concepteur de se mettre à la place de l’usager. 5.1.2 Conséquences organisationnelles Exemple : lorsque l’ingénieur définit l’emplacement de l’interrupteur sur une imprimante d’ordinateur, il le positionne la plupart du temps à proximité de l’alimentation électrique. De son point de vue c’est logique, sauf que, par ce choix, il impose à l’utilisateur un geste de recherche à tâtons sur une face peu accessible de la machine. Une démarche plus ouverte au confort aurait consisté à regrouper cette pièce avec les autres boutons et voyants constitutifs de l’interface utilisateur, donc sur l’avant de l’appareil : dans la sphère du regard et sous la main. Cette analyse conduit à formuler deux conclusions sous la forme de principes organisationnels. Envisager cette différence est un type de raisonnement qui est contraire aux habitudes de penser non seulement des ingénieurs, mais également des différents acteurs des entreprises. Une vision d’ensemble du problème intégrant tous les facteurs est nécessaire pour parvenir à une innovation en adéquation avec les utilisateurs. ■ Toutes ces contraintes ne sont pas toujours compatibles entre elles. Des arbitrages sont nécessaires. C’est la fonction que nous définirons au designer manager. Cependant, il ne pourra l’assumer que s’il a les moyens (autorité, compétence) d’une si grande responsabilité. Exemple : lorsque la SNCF installa, autour de 1980, une nouvelle génération d’automates de paiement dans les gares, Quiniou effectua un comptage surprenant à partir de l’observation de plus de trois cents utilisateurs : seule la moitié réussissait à obtenir leur billet au premier essai. Certes le nombre d’essais est libre à la SNCF, mais dès le premier échec une majorité renonçait et allait allonger la queue au guichet ! Or il faut se rappeler que l’objectif des automates est d’accroître la productivité en déchargeant les guichets. Visiblement, la réussite d’un tel projet implique que la quasi-totalité de ceux qui essaient de l’utiliser réussiront leur tentative et s’en trouveront satisfaits. Bref l’appareil doit être simple à utiliser et doit convaincre de son intérêt. Interrogés sur les raisons de cet échec, les agents préposés aux automates ne purent formuler qu’une hypothèse : « les gens sont idiots ». Cette observation peut être généralisée à toutes les techniques qu’un prestataire de service impose à un public qui n’a rien demandé. Les usagers rencontrent alors la technique comme un passage obligé dans l’accès au service qu’ils désirent. Contrairement aux idées humanistes qui déplorent l’automatisation de la vie quotidienne, l’observation montre une certaine bonne volonté. Les gens acceptent de bon cœur d’essayer les nouveaux appareils, toutefois ils ne sont jamais disposés à fournir de grands efforts, ni pour comprendre, ni pour s’adapter. Autrement dit, la conception doit prendre en charge l’effort et réaliser des appareils adaptés au public qui en sera le destinataire. Les problèmes de comportement sont l’expression d’un décalage entre la technique réalisée et le public utilisateur. Les usagers ressentent les appareils comme un obstacle (et non plus comme un moyen d’atteindre le but). Au lieu de leur faciliter la vie, la technique les met en échec. En conséquence ils sont insatisfaits et l’échec se retourne vers le prestataire de service et le concepteur. Exemple : sur une autoroute, le péage imposait le versement de 7 F. Des petites affiches indiquaient que l’automate ne rendait pas la monnaie. Lorsqu’un automobiliste y glissait une pièce de 10 F, le feu passait au vert et libérait le passage. Mais beaucoup d’automobilistes n’acceptaient pas cette solution et attendaient d’improbables pièces en retour. Puis, à bout de patience, ils réclamaient agressivement en klaxonnant. Là encore les exploitants dérangés en permanence par ces comportements n’avaient qu’une explication : ce sont des idiots. En l’occurrence, il aurait fallu prendre acte, d’une part, que les utilisateurs ne lisent jamais les affichettes qu’on leur adresse et, d’autre part, que chacun s’attend à ce qu’un automate moderne rende la monnaie. Ces notions sont si fortes que leur omission crée des problèmes sans fin. Mieux vaut donc concevoir des appareils en conséquence. Une fois de plus, il aurait été souhaitable de connaître les attentes et la psychologie des utilisateurs destinataires du projet avant de décider des spécificités techniques du dispositif. T 4 000 − 10 ■ Pour éviter la découverte tardive de difficultés d’utilisation susceptibles de compromettre la satisfaction des utilisateurs et par là de mettre en échec le projet technique lui-même, le processus de conception devrait impérativement prendre en compte toutes les contraintes, y compris sociales, psychologiques, ergonomiques, etc. Cela plaide en faveur d’une démarche pluridisciplinaire engagée, le plus précocement possible, dès la conception du cahier des charges. 5.2 Conclusions intermédiaires La difficulté provient de l’existence de nombreux mécanismes psychologiques conduisant parfois à des contradictions. En effet, les lois qui régissent le comportement et le jugement des utilisateurs ne sont pas immuables. Elles changent suivant les situations. Tout se passe comme s’il existait chez l’homme différents registres (et sous-registres) mobilisables pour comprendre, ressentir la situation dans laquelle il est inséré et élaborer sa réaction. L’observateur a l’impression d’une irrationalité de l’être, versatile et contradictoire. A. Moles avait défini la psychologie comme l’étude rationnelle de l’irrationalité apparente de l’homme. C’est une bonne manière d’affirmer que tout s’explique, à condition de trouver le bon niveau d’approche. 5.2.1 Registres et sous-registres Ces registres sont l’une des clés majeures pour comprendre que l’individu est à la fois stable et changeant. Mais il ne fonctionne toujours que suivant l’un des registres à la fois. Reprenons l’exemple de l’automobiliste et définissons quelques solutions typiques. ■ L’être devant la voiture C’est le registre du fantasme, de l’imaginaire, du rêve. L’analyse de ces éléments constitue une psychanalyse de l’automobile mais dont le terrain de pertinence est limité à la contemplation : l’affiche publicitaire, l’exposition, la rencontre d’une belle voiture en ville... ■ L’être dans la voiture Il renvoie non plus à l’imaginaire mais au comportement réel. Les psychologues de l’INRETS (Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité), particulièrement attentifs aux conduites à risques, ont établi une typologie des conducteurs. De telles études définissent une psychanalyse des automobilistes, mais dont le terrain est limité à des types de personnalités et des conditions spécifiques d’environnement qui en permettent l’expression : absence de radars, faiblesse du trafic... À y regarder de près, aucun de ces registres n’est prépondérant. En réalité, l’utilisateur adopte le plus souvent une relation utilitaire à la voiture. Quand Monsieur Dupont se rend au travail, Madame Durand conduit les enfants à l’école, Monsieur Dupuis est pris dans un embouteillage, Madame Dumoulin rejoint un client... Que pensent tous ces gens de leur voiture ? Rien. Dans cet instant, ils pensent à autre chose. L’automobiliste a quitté son piédestal et s’est fondu dans la grisaille du quotidien (le registre de l’insignifiant, dirait Lefèbvre). Cet objet, si enclin à exciter l’imaginaire, est entré dans le registre de ce à quoi on ne prête pas attention. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle _______________________________________________________________________________ Mettre l’accent sur la question du sens est justifié, mais seulement tant que l’on se cantonne dans le registre de la parole. Cependant, dans la vie quotidienne, l’objet n’est pas support de parole, il est support d’action. Dès lors, l’approche sémiologique doit passer le relais à une autre analyse qui montre à quelles conditions peut s’établir une coexistence harmonieuse entre l’utilisateur et les objets qui peuplent l’environnement. Autrement dit, il s’agit d’établir un modèle, le plus précis possible, permettant de cerner le mécanisme de la satisfaction des utilisateurs. 5.2.2 Signification et comportement Enfin, les styles de comportement sont eux aussi symptomatiques d’une personnalité et s’interprètent comme des modes d’expression. Citons la différence entre la conduite sportive ou de père de famille, ou encore la démarche de personnaliser sa voiture par l’adjonction d’accessoires. Toutes ces significations sont arbitraires. Elles relèvent d’un code social qui permet qu’elles soient perceptibles d’abord par l’individu lui-même, mais également par la communauté sociale dans son ensemble. Les significations sont à considérer comme socialement définies. Baudrillard démontre l’arbitraire du système symbolique en posant cette question : « Pourquoi le bois serait-il plus authentique que le béton ? ». Question pertinente qui met en lumière qu’objectivement rien n’est authentique. Seul le consensus social permet que certaines propriétés subjectives (luxe, chaleur, authenticité) soient associées à certains matériaux. Ce code n’est pas insensible à la mode. Les fabricants, par le truchement de la communication publicitaire, peuvent, dans certaines limites, peser sur le code et le redéfinir périodiquement. Il y a quelques années, les chaînes hi-fi étaient brillantes et chromées, puis elles sont devenues noires et mates. Par ricochet, les chaînes brillantes ont immédiatement été démodées. 5.2.3 Objet et identité Les objets retentissent avec l’image que chacun a élaborée de soi. Cela se vérifie souvent dans la situation du cadeau. Alors que certains objets correspondent au style de la personne et lui procurent du plaisir, d’autres ne suscitent qu’une réaction de politesse. Il arrive que le sujet lui-même sous-estime cette dimension de concordance avec son identité et s’achète des appareils qu’il n’utilisera jamais. Exemple : un dispositif de musculation intéressera un non-sportif dans le souci louable de s’occuper de sa santé, mais dès le premier essai, lorsqu’il se découvrira dans le miroir, il se ressentira comme ridicule dans cette position et abandonnera ses bonnes résolutions. En revanche, un autre se ressentira dans une situation totalement pertinente et aura du plaisir à se contempler. Enfin, on observe quelquefois un retentissement avec l’identité profonde. Ainsi lorsque l’on interroge certains automobilistes sur le choix de la marque, ils produisent des réponses surprenantes. Par exemple : « Nous, on est Peugeot ». Littéralement cela ne veut rien dire, mais subjectivement cela renvoie à une tradition familiale si forte qu’elle a conduit à un processus d’identité. Cette personne expliquera que déjà ses parents n’ont acheté que des voitures de cette marque, lui-même a toujours manifesté la même préférence et éventuellement ses frères et sœurs ont réalisé un choix concordant. Chaque fête de famille se traduit par un alignement de voitures de cette même marque. Alors même si, dans les enquêtes de marché, de telles personnes expriment l’opinion qu’elles pourraient changer de marque, le psychologue émet des réserves tant la probabilité est faible. Ici le choix n’a rien à voir ni avec le modèle, ni même avec l’image sociale de la marque. C’est l’identité individuelle qui s’exprime. Ce phénomène n’est pas majoritaire, mais il existe suffisamment pour être remarqué. CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES 6. Coût d’utilisation 6.1 Définition 6.1.1 Principe général La mise en œuvre de tout instrument implique un effort. Aussi toute utilisation comporte-t-elle une face négative, un coût. 6.1.2 La loi de l’homme économique Les théories du comportement (béhaviorisme) ont montré l’existence d’une loi générale, la loi de l’effet communément appelée loi du moindre effort, qui domine le comportement animal et humain. Une variante, la loi de l’homme économique formulée par le psychologue américain Homans, stipule que l’être cherche toujours à maximiser son bénéfice et à minimiser l’effort pour l’obtenir. Cette loi peut être adaptée à l’utilisation en considérant qu’elle repose toujours sur une balance entre le service rendu et le coût pour l’obtenir. D’un certain point de vue, on rejoindrait ici le raisonnement des analystes de la valeur. La différence est ici que le coût est un coût autant financier que d’usage. Ce calcul est d’autant plus crucial qu’une alternative est offerte. La plupart du temps, l’utilisateur dispose d’une alternative non technique : prendre sa voiture ou marcher à pied, écrire une lettre à la main ou avec son ordinateur ; ouvrir une boîte avec un ustensile manuel ou avec un ouvre-boîtes électrique. Ensuite, l’équipement du foyer suit une tendance croissante au polyéquipement. Certains appareils sont dédoublés ou triplés (chaîne hi-fi, radioréveil, transistor, walkman... autant de récepteurs radiophoniques). Enfin, la multifonctionnalité des appareils comporte des redondances (mêmes fonctions sur différents appareils). De tout cela résulte que l’utilisateur a le choix. Exemple : test des batteurs Que choisir (1982) a testé l’efficacité des batteurs-mixeurs électriques comparativement aux ustensiles qu’ils sont censés remplacer : « Pour monter » un blanc d’œuf en neige il a fallu : • 2 min 15 s avec un batteur mécanique ; • 2 min 5 s avec deux fourchettes de cuisine ; • 1 min 40 s avec un fouet à main ; • 1 min 40 s avec un batteur électrique. Pour faire une mayonnaise le fouet à main s’est même révélé plus rapide que le batteur électrique... ». Le principe d’économie implique que l’utilisateur ne choisit pas au hasard. Il recherche son avantage et, dans sa panoplie, il privilégie les appareils qui offrent le meilleur rapport service /coût. Progressivement ces préférences se figent en routines qui privilégient alors de façon permanente un appareil ou une fonction au détriment des autres. Pour ces derniers, l’abandon signifie l’échec : par rapport à la tâche considérée, ces appareils n’ont pas fait leur preuve, ils ne sont pas pertinents. Toutes sortes d’appareils subissent cet échec, par exemple lorsque l’utilisateur se dira : je l’ai fait plus vite à la main. Le principe d’économie comporte encore une autre conséquence. Toute balance entre le service et le coût suscite une hésitation, laquelle est un mécanisme préjudiciable à l’utilisation. Chaque forme de coût, même la plus mineure, pénalise la facilité et la spontanéité de l’utilisation, et par là fait naître une motivation à renoncer. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle T 4 000 − 11 CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES ________________________________________________________________________________ 6.2 Raisonnement du coût généralisé A. Moles, le premier, a formalisé cette analyse par une méthode rigoureuse qu’il a appelée coût généralisé. Cette procédure repose sur l’identification des formes usuelles de coût et l’analyse structurale des comportements. 6.2.1 Formes élémentaires de coût A. Moles distingue six formes principales : 1. le coût financier ou prix à payer ; 2. le coût énergétique ou effort physique à fournir ; 3. le coût temporel ou durée (d’action, d’attente) ; 4. le coût spatial ou place nécessaire ; 5. le coût de risque ou anxiété (crainte d’échec, danger perçu...) ; 6. le coût cognitif ou effort mental à mettre en œuvre. Tous ces coûts interviennent de façon inégale. On peut également insister sur la notion de coût spatial. Par exemple, lorsque le bricoleur installe ses outils près de l’établi, il constate en permanence combien son équipement prend de la place et l’encombre en même temps qu’il lui sert. Il s’agit donc d’un coût. Selon le modèle de A. Moles le coût généralisé s’obtient par une addition pondérée : Coût généralisé = α Coût financier + β Coût énergétique + γ Coût temporel + δ Coût spatial + ε Coût de risque + η Coût cognitif La difficulté consiste à apprécier la valeur des coefficients de pondération qui, du reste, ne sont pas stables mais fluctuent suivant l’interprétation que le sujet donne à la situation. Par exemple, faire un effort physique (monter l’escalier) est valorisé positivement lorsque cette action résulte d’un choix libre ; en revanche, le même comportement est ressenti négativement s’il s’agit d’une contrainte (absence d’ascenseur). 6.2.2 Analyse structurale du comportement Le raisonnement consiste à aborder le comportement, par exemple l’utilisation d’un appareil pour atteindre un but, comme une séquence d’actes. Concrètement, il s’agit de lister les unités comportementales (actomes ou praxèmes) non pas en considérant celles qui sont nécessaires suivant l’optique classique de l’ingénieur (le mode d’emploi), mais en observant les enchaînements effectivement produits par les utilisateurs, donc en incluant les gestes techniquement inutiles (ou erronés). Car la charge de l’utilisation ne provient pas de ce qui est nécessaire, mais de ce qui est réalisé. 6.2.3 Matrices de coût Fort de ces données, A. Moles construit un tableau à double entrée et calcule le coût généralisé par la somme des coûts évalués pour chaque acte de la séquence : Coût généralisé = α Σ Coût financier + β Σ Coût énergétique + γ Σ Coût temporel + δ Σ Coût spatial + ε Σ Coût de risque + η Σ Coût cognitif 6.2.4 Raisonnement du coût généralisé Deux options s’ouvrent pour appliquer la méthode. La première, que nous considérons comme scolaire, consiste à évaluer scrupuleusement chaque forme de coût pour chacune des actions et d’en calculer les totaux. Il peut s’agir d’un bon exercice pour se familiariser avec la méthode. La seconde utilise la matrice comme une grille d’analyse permettant de localiser les paramètres décisifs. Nous préconisons cette seconde manière, qui évite une collecte fastidieuse de données. T 4 000 − 12 Pour l’ingénieur cette fonction de diagnostic est importante. Elle lui permet de repérer les principales servitudes attachées à l’utilisation d’un objet et de comprendre pourquoi l’utilisateur préfère choisir d’autres alternatives. En conséquence, il peut identifier la composante sur laquelle doit porter son effort d’amélioration. Exemple : comme signalé, l’aspirateur est lourd et encombrant. Ici les coûts financier, de risque, cognitif... peuvent être négligés. Une réelle amélioration ne consiste pas à ajouter des fonctions supplémentaires, mais à diminuer le coût énergétique du déplacement et de l’action, éventuellement à rendre l’appareil plus maniable et plus facile à ranger (avec ses accessoires). 6.3 Coût du cycle d’utilisation 6.3.1 Principe du camelot Sur le stand de la foire, les robots ménagers sont toujours très convaincants. Efficaces, simples à utiliser..., ils confectionnent salades, carottes râpées ou jus de fruit en un tournemain. Cependant, celui qui se laisse séduire découvre dès la première utilisation qu’il a été victime d’une illusion. En effet, la démonstration du camelot consiste à truquer le rapport service/coût grâce à une mise en scène qui accentue le service et escamote les servitudes. Lorsqu’il débute sa démonstration, l’appareil est installé, les carottes sont pelées, ... la salade est prête en quelques secondes, le temps d’introduire les légumes dans le mixeur. Puis cette opération terminée, il démonte la râpe et passe l’accessoire à son assistante. Et déjà il confectionne le prochain jus de fruit. Pourquoi ces déceptions chez les consommateurs ? Le modèle de A. Moles propose une analyse réaliste en considérant l’ensemble des actes du cycle d’utilisation. La seule énumération de la liste de ces actes (voir ci-dessous) permet de comprendre qu’il s’agit d’autre chose que d’introduire des légumes préparés dans le mixeur. Séquence d’action : préparer une salade de carottes : — sortir l’appareil de l’armoire ; — le transporter sur le plan de travail ; — brancher la prise ; — installer le porte-râpe et la râpe ; — râper les carottes ; — démonter le porte-râpe et la râpe ; — laver les accessoires ; — sécher ; — nettoyer le mixeur ; — transporter le matériel jusqu’à l’armoire ; — le ranger. Le coût généralisé de cette séquence est lié de façon évidente au temps nécessaire à l’ensemble du cycle de la succession des efforts physiques pour transporter et soulever ce bloc-moteur pesant plusieurs kilos. Le camelot avait travesti la réalité par son impasse sur les phases d’installation, de nettoyage et de rangement. Remarquons aussi que la salade de carottes est un cas favorable : râper du gruyère ou pire malaxer une pâte impose un nettoyage bien plus astreignant. Des actions extrêmement coûteuses. C’est à partir de cette équation sommaire (temps + énergie physique) que s’établissent les routines. Implicitement elles reposent sur la perpétuelle question : tout cela vaut-il vraiment la peine ? Chaque ménagère possède dans sa cuisine une râpe à main. Si bien que s’établit une spécialisation : pour les petites quantités, elle préfère la râpe à main, elle réserve le mixeur aux volumes importants. Une fois de plus la sophistication technique du service rendu n’est pas le seul facteur en cause. La décision d’utilisation s’établit par une balance entre le service et le coût, où l’appareil techniquement le plus évolué n’est pas toujours gagnant. Cela est transposable à de nombreuses situations de conception et d’innovation. En raison de leur orientation, le concepteur, l’ingénieur ont tendance à privilégier les fonctions techniques et à négliger Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle _______________________________________________________________________________ les coûts liés au service et à l’utilisateur. De plus, très peu d’analyses d’usage (cf. article Essais d’usage des produits grand public [T 3 200] dans ce traité) sont réellement effectuées en situation d’usage, la conception de produits nouveaux étant trop souvent conduite en laboratoires ou en bureaux d’études. 6.3.2 Mieux cerner la psychologie des consommateurs Toutes ces analyses montrent que l’utilisateur réagit suivant un tout autre point de vue que celui du concepteur, de l’ingénieur ou du prestataire de service. Ce décalage est source de malentendus : le client comprend mal les motivations du technicien et celui-ci est fréquemment agacé par les mouvements d’impatience et les exigences qu’il juge inconsidérées du consommateur. Ce décalage est une réalité psychologique dont il faut prendre acte. Le succès commercial dépend de la capacité d’être à l’écoute de la demande, de comprendre les conditions permettant de satisfaire la clientèle et de s’y ajuster. Exemple Une situation extrême : la panne de voiture Considérons un automobiliste qui tombe en panne, et admettons un cas favorable : l’incident survient en ville, alors que sa voiture est sous garantie. Le professionnel sait que tout incident est fâcheux, mais il minimise l’importance de cette circonstance en considérant la garantie. C’est pourquoi l’automobiliste lui donne l’impression de dramatiser. Pourtant l’analyse du cycle d’action montre que, malgré la mise en œuvre de la garantie, il subit incontestablement un fort coût généralisé. Repérons d’abord la liste des actions nécessaires à partir du moment où la voiture est immobilisée : — examiner la voiture et constater l’impossibilité de remédier à la défaillance ; — chercher le numéro de téléphone du garage ; — se déplacer vers un téléphone ; — téléphoner ; — retourner à la voiture ; — attendre le dépanneur ; — accompagner le véhicule au garage ; — rentrer chez soi ; — (se déplacer sans voiture pendant un certain temps) ; — téléphoner pour vérifier que la réparation est terminée ; — retourner au garage. Le scénario esquissé est totalement favorable, car de nombreuses complications peuvent intervenir. Chacune de ces actions peut dégénérer et devenir un problème : garagiste injoignable, absence de téléphone à proximité, absence de monnaie ou de carte téléphonique, manque de pièces de rechange au garage ce qui prolonge l’immobilisation... Dans tous les cas de figure, même les plus heureux, la panne représente une contrariété et un grand dérangement. Ce coût généralisé n’est qu’à peine atténué par les conditions usuelles de la garantie légale. Le dérangement ne se limite pas à une question financière. Il est surtout généré par la nécessité de consacrer du temps à l’affaire et d’organiser ses déplacements. Aujourd’hui beaucoup de grands concessionnaires proposent toutes sortes de services, dont la finalité est d’atténuer le coût généralisé total des opérations d’entretien et de réparation (prêt d’un véhicule de remplacement, prise en charge à domicile, petites réparations sur place...). C’est une évolution positive. Elle prend en compte l’impact de l’indisponibilité de la voiture et s’efforce d’y apporter une réponse organisationnelle (une prestation de service adaptée). CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES 6.4 Optimum du coût zéro 6.4.1 Poste de travail fixe Certains appareils se signalent par un coût généralisé si faible qu’il est négligeable. Dans ce cas, l’utilisation est totalement spontanée, elle n’est obérée par aucun facteur négatif. Ici il n’y a plus d’hésitation. L’utilisation est optimale. Le prototype de cette classe d’appareil est le téléviseur. Il est toujours prêt à l’emploi. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour obtenir le service attendu et, en fin de cycle, une autre action sur le commutateur permet de l’éteindre. Cet exemple suggère que certains appareils, à la fois par leur design et leur rangement, libèrent l’utilisateur des opérations constitutives du cycle d’utilisation. Le coût généralisé s’en trouve diminué d’autant. C’est surtout appréciable lorsque cette diminution concerne le temps et l’effort physique. L’idée du poste de travail fixe revient à créer localement une configuration optimale grâce à laquelle toutes les opérations d’installation et de rangement sont supprimées. 6.4.2 Ordinateur domestique Au début des années 80 apparut l’ordinateur familial. Ces petits appareils (de salon) étaient conçus pour être reliés au téléviseur familial. Les enquêtes ont montré d’une part une faible pénétration du marché, et d’autre part une sous-utilisation. Les raisons en étaient multiples. Une première concernait la polyvalence du téléviseur. Dans les familles les pères et surtout les adolescents se plaignaient d’être obligés d’attendre la fin des programmes télévisés avant de pouvoir installer leur appareil. Une autre raison était liée au coût généralisé d’action. Une revue spécialisée publia un lexique humoristique dans lequel elle introduisit le mot-clé « genoux » pour rendre compte de la position peu commode de l’utilisateur assis devant le téléviseur, l’ordinateur sur ses genoux, le nez collé sur l’écran. Or on sait qu’il vaux mieux disposer d’une table, car l’informatique requiert l’usage de livres, papier et crayon. Dans nos enquêtes, nous avons rencontré des utilisateurs mieux organisés, mais qui pour s’installer devant leur appareil se livraient à une sorte de déménagement très astreignant, dont voici une séquence d’acte schématique : — débrancher le téléviseur ; — l’extraire du living ; — le porter sur la table ; — chercher rallonges et multiprise ; — brancher le téléviseur ; — chercher l’ordinateur ; — le déballer du carton, du polystyrène ; — le brancher sur le téléviseur ; — le brancher sur le secteur ; — chercher le magnétophone et les cassettes – brancher ; — démarrer la session de travail ; — ... ; — débrancher les appareils ; — porter le téléviseur et le placer dans le meuble ; — brancher le téléviseur ; — emballer l’ordinateur dans le polystyrène et le carton ; — le ranger ; — ranger le magnétophone et les cassettes ; — ranger rallonges et multiprise. Encore faut-il ajouter à ce remue-ménage qu’ils attendaient que l’heure du journal télévisé soit passée et que, parfois, le chargement très lent du programme était infructueux, si bien qu’il fallait recommencer. Tous ces utilisateurs hésitaient en permanence : cela vaut-il vraiment la peine ? Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle T 4 000 − 13 CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES ________________________________________________________________________________ Résultat. Le choix d’un branchement sur le téléviseur limitait le prix, mais visiblement ce choix technique (et commercial) n’a pas profité à la diffusion. Au contraire il pénalisa l’utilisation. Seuls ceux qui avaient installé un poste de travail permanent dédiant un téléviseur d’appoint à l’usage exclusif de l’ordinateur devenaient des utilisateurs réguliers. Les autres subissaient un coût généralisé si élevé qu’il conduisait lentement à l’extinction de la motivation. Enfin, mais tardivement, un fabricant (Amstrad) comprit ce mécanisme et proposa le premier un système complet réunissant l’écran, l’unité centrale et un système d’enregistrement plus rapide que le magnétophone. Par ce choix et une politique commerciale agressive, il domina rapidement le marché. 6.4.3 Intolérance aux petits coûts résiduels Le principe du moindre effort a pour conséquence que chaque petit geste, lorsqu’il s’agit d’une contrainte, est ressenti de façon négative et constitue un obstacle dans l’utilisation. Cette valorisation excède parfois le coût objectif, comme si intervenait un effet de dramatisation rendant insupportable un désagrément mineur. Ce phénomène est un créneau que la technique peut exploiter, à condition de ne pas oublier une juste hiérarchisation. En effet, un petit plus ne pourra jamais compenser un inconvénient majeur. Toutefois, lorsque le système aura été débarrassé des coûts les plus élevés, l’ingénieur pourra encore améliorer les détails. Exemple : aujourd’hui, les ordinateurs sont tous prêts à l’emploi et bénéficient d’un poste de travail fixe. Le cycle d’utilisation s’est totalement simplifié. Pourtant des petits coûts résiduels subsistent : — les interrupteurs des unités centrales et des imprimantes sont implantés sur des faces peu accessibles ; — certains équipements imposent d’allumer individuellement chaque appareil : l’écran, l’unité centrale, l’imprimante. Du point de vue de l’ingénieur qui les a conçu, il s’agit de trois appareils distincts. Toutefois l’utilisateur n’a jamais besoin d’un seul appareil, il appréhende ces trois machines comme un système unique. Il trouverait logique qu’une action unique déclenche le fonctionnement de l’ensemble, y compris l’imprimante ; — enfin, on peut se demander pourquoi il faut éteindre et allumer de tels appareils, surtout dans la sphère professionnelle. Les ordinateurs portables sont équipés d’un dispositif de mise en veille comme les photocopieurs ou téléviseurs. Ces quelques exemples illustrent le principe. L’automobile est actuellement un domaine en pointe dans la mise au point de petites fonctionnalités qui facilitent le confort du client. Il ne s’agit aucunement de gadgets, car l’illustration, par exemple, de la condamnation centrale et à distance des portes crée une attente si forte que l’habitué ressentira comme insupportable toute voiture non équipée. Preuve qu’il a trouvé son compte et majoré son niveau d’exigence en conséquence. 7. Pour une didactique de la technique 7.1 Développer un souci pédagogique La complexité des appareils de la vie quotidienne est devenue un thème majeur de préoccupation. De plus en plus les utilisateurs se plaignent d’être dépassés par les techniques qu’on leur propose. L’attitude de refus n’est plus l’exception, elle repose sur l’argument que le progrès doit simplifier la vie et non pas la compliquer. T 4 000 − 14 Jusqu’ici la sophistication technique s’est volontiers traduite par l’accroissement de la complexité. Cet inconvénient n’est pas une fatalité, à condition de soigneusement réfléchir au design de l’interface. La philosophie du progrès devra dorénavant consister à faire prendre en charge par la technique (par exemple l’automatisme) des processus de façon à décharger l’utilisateur de ces contraintes. Autrement dit, la technique, aidée du design industriel, de l’ergonomie cognitive et de la psychologie, doit se soucier d’une pédagogie de l’utilisateur. Exemple : la programmation par le magnétoscope pourrait s’inspirer du principe du formulaire, non pas de façon abrégée sur un écran minuscule, mais en affichant « pleine page » sur l’écran du téléviseur l’ensemble des rubriques à remplir et permettant ainsi une maîtrise d’ensemble et en langage naturel des données saisies. Les exemples ci-dessous montrent deux implications pratiques du mécanisme d’apprentissage par paliers et de la sous-utilisation. 7.2 Principe de la trappe Le principe de simplicité préconise de soustraire du champ du regard tout ce qui ne concerne pas directement l’utilisation courante. Faut-il réellement tout éliminer ? Ce principe entre en conflit avec le mécanisme d’apprentissage par paliers qui accroît les exigences. Les besoins d’un utilisateur averti sont différents de ceux d’un utilisateur novice. La configuration de la trappe permet d’arbitrer ce conflit, notamment dans les cas où un degré simplifié d’utilisation est dominant. Dans ce cas, la dissimulation sous une trappe des organes utiles à un usage plus élaboré a l’avantage de décharger une majorité d’une complexité dont elle ne profite pas. Exemple : les trappes existent déjà sur les photocopieurs, les magnétoscopes et même les télécommandes. Ce principe pourra être généralisé à l’automobile et même aux logiciels informatiques, toujours dans le but de décharger les novices des éléments qui ne les concernent pas. Ce faisant, on réduit le labyrinthe apparent. 7.3 Apprentissage par paliers La sous-utilisation correspond au point de vue synchronique : le rapport homme-machine à un moment donné. Ce rapport n’est pas stable, mais progresse périodiquement. Dans une optique diachronique intervient un phénomène d’autoapprentissage, particulièrement net dans certains domaines comme la bureautique. Étant donné que l’apprentissage demande un effort mental important et donc se répercute par un coût cognitif élevé, l’utilisateur recherche un compromis en se satisfaisant de quelques notions de base. Puis il arrête son apprentissage et se lance dans une première utilisation de niveau rudimentaire. Il rentabilise son effort. Au bout d’un certain temps, insatisfait par son niveau de maîtrise, il reprend l’apprentissage et enrichit son utilisation jusqu’à arriver à un autre compromis représentant un nouveau palier. Le mécanisme sera récurrent jusqu’à atteindre un point d’équilibre stable. La même démarche s’effectue avec des appareils plus simples. Il s’agit toujours d’une progression hiérarchisée (sur le magnétoscope) : 1) lecture d’une cassette enregistrée, 2) enregistrement simple, 3) enregistrement programmé, 4) programmation à l’aide de la télécommande. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle _______________________________________________________________________________ 7.4 Formations pédagogiques plutôt que techniques Le même principe devrait être étendu à la formation. Apprendre tout Word ou Excel en 3 jours n’a pas de sens. Car cette démarche ne respecte pas la psychologie de l’utilisateur. Là encore le principe de l’apprentissage par paliers est un fil d’Ariane qui permet de formuler les conditions d’une meilleure pédagogie. Celle-ci implique les étapes suivantes : — étudier les utilisateurs dans des conditions naturelles d’autoapprentissage, de façon à identifier les paliers ; — les sessions de formation viseront d’abord à permettre aux stagiaires de se hisser au palier (1er ou 2e) offrant, pour eux, le meilleur compromis entre le coût cognitif de l’apprentissage et la qualité du service : • il ne s’agit donc pas de tout apprendre mais seulement les notions de base, • à ce stade l’apprentissage actif (information + exercices) est primordial, • le rythme d’apprentissage doit être suffisamment lent pour permettre l’assimilation des connaissances ; — la formation comprendra ensuite une phase d’exploration du labyrinthe, sans préoccupation d’apprentissage : • permettre à l’utilisateur de connaître des éléments de services utilisables, • effectuer une reconnaissance sommaire du labyrinthe de façon à en comprendre l’éventuelle structure, • au total faciliter l’autoapprentissage ultérieur permettant d’enrichir l’utilisation et de progresser vers un autre palier ; — enfin, consolider ces progressions par des perfectionnements à la carte des fonctions dites avancées, souvent d’un niveau nettement plus complexe et plus difficile à maîtriser par l’autoformation. Toutes ces notions entrent dans la conception d’une technologie douce, caractérisée par une relation harmonieuse et positive entre l’homme et la technique. 8. Vers une psychologie de l’utilisateur 8.1 Collaboration entre psychologues et ingénieurs La psychologie de l’utilisateur reste une discipline qui, provisoirement, a suscité peu de travaux. Les psychologues, comme les sociologues, ont une préférence pour les analyses brillantes donc plutôt littéraires, par exemple la recherche des significations. Pourtant les résultats évoqués dans le cadre de cet article montrent qu’il s’agit d’une thématique utile et féconde, qui pourrait fonder une collaboration interdisciplinaire entre les chercheurs des sciences sociales, les ingénieurs et les différents acteurs du monde de l’entreprise. Cette collaboration devrait intervenir notamment dans deux moments décisifs : — l’élaboration du cahier des charges ; — l’évaluation de l’objet réalisé, si possible avant la fabrication. 8.2 L’utilisateur n’est pas un technicien L’intérêt de cette collaboration nous paraît d’autant plus souhaitable que tous les travaux attestent des différences considérables entre la manière dont les ingénieurs et les utilisateurs appréhendent CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES les mêmes réalités. Il s’agit de deux manières opposées d’aborder la technique. Résumons donc les grands principes de la psychologie de l’utilisateur : — l’utilisateur ne veut pas s’occuper de la technique, il veut seulement en profiter ; — l’utilisateur n’est pas intéressé par la technicité de la machine, seulement par le service qu’elle lui rend ; — l’utilisateur n’est pas prêt à faire un effort, car il attend de la technique qu’elle lui facilite la vie (et donc diminue les efforts à faire pour atteindre ses buts) ; — pour l’utilisateur, le principal est la fonction dont il se sert présentement, le reste n’est pas pris en compte. Il n’y a donc ni principal, ni accessoire ; — enfin, il considère que l’objet a (implicitement) promis de satisfaire à toutes ses attentes, lesquelles constituent une sorte de contrat d’utilisation. 8.3 Limites de la fonctionnalité Enfin l’utilisateur n’est pas un être logique et stable, mais une personne apparemment irrationnelle et versatile. La théorie des registres permet de repérer des contradictions dans les attentes et l’incompatibilité des critères de jugement qui interviennent à différents moments. En particulier interviennent deux moments conduisant quasiment à préconiser deux cahiers des charges. ■ Le moment de l’acquisition Lorsqu’une personne veut acheter un appareil, elle est dans le registre de l’imaginaire. Elle est donc attirée par la mode, l’apparence et surtout la sophistication technique. Quoi qu’elle dise, elle n’est jamais indifférente à la signification sociale, au prestige technique... bref, aux apparences. ■ Le moment de l’utilisation Lorsque cette même personne se retrouve chez elle, devant l’appareil qu’elle vient de choisir, elle abandonne sa psychologie d’acheteur pour une psychologie d’utilisateur. À ce moment-là, elle se sert d’autres critères de jugement et, par exemple, déplore la sophistication qui est source de complexité. Il y a là une interrogation pour le designer et le concepteur. Faut-il alors privilégier la psychologie de l’acheteur, donc faire vendre, quitte à fruster les utilisateurs, ou au contraire risquer de moins séduire l’acheteur pour mieux satisfaire l’utilisateur ? 9. Conclusion ■ De l’activité à l’objet : une nécessaire traduction des attentes L’homme approche la situation technique non pas en termes de machine mais en terme d’activité. C’est ici que réside la différence fondamentale entre l’utilisateur et le technicien. Alors que le premier réfléchit à son projet, cherche à atteindre un but et pour ce faire utilise les ressources de son environnement, le second conçoit une machine qui sera mise sur le marché. Alors que la ménagère rencontre un problème de lessive, l’ingénieur ne peut que fabriquer des lavelinges. Répond-il à la question posée ? L’adéquation entre les deux n’est pas certaine et le décalage, toujours possible, est à craindre. La plupart du temps utilisateurs et techniciens ne parlent pas le même langage et raisonnent suivant des points de vue différents. C’est pourquoi obtenir l’adéquation entre le produit créé et l’attente de l’homme qui en sera l’utilisateur implique une opération de traduction, qui est une démarche multidisciplinaire. En effet l’industriel aidé de ses ingénieurs ne peut concevoir, fabriquer et vendre que Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle T 4 000 − 15 CONCEPTION DE PRODUITS : ASPECTS PSYCHOSOCIOLOGIQUES ________________________________________________________________________________ des machines (et des services associés). Il faut donc que les attentes de l’utilisateur exprimées en paramètres d’activité subissent un mécanisme de traduction pour devenir un cahier des charges technique. C’est ici qu’intervient le psychologue à côté d’autres partenaires. La traduction de l’activité en vue de définir le cahier des charges suppose des compétences doubles, car elle se situe au centre d’une chaîne dont l’une des extrémités relève des sciences humaines et l’autre des sciences de l’ingénieur : Domaine des sciences humaines Projet – Activité – Utilisation – Interface (extérieure de la boîte noire) – Technique (intérieure de la boîte noire) Domaines des sciences de l’ingénieur Pour une clarification définissons les maillons de la chaîne. ● Projet Par vocation l’individu poursuit son but. ● Activité Pour atteindre un but donné, il est nécessaire d’entreprendre une action. L’individu opère ainsi de façon spontanée une traduction de son projet en activités lui permettant de l’atteindre. T 4 000 − 16 Utilisation Pour réaliser ses activités, chacun exploite les ressources disponibles au sein de son environnement selon ses préférences, donc en fonction de son mode de vie. Le choix d’employer un appareil intervient ici. Ce faisant l’utilisateur traduit son activité générale en activité particulière, notamment en intégrant dans son comportement les contraintes de la technique. ● Interface L’utilisateur appréhende la machine comme une boîte noire. C’est la partie qui lui est offerte et qu’il rencontre dans son action. L’évaluation permet de savoir dans quelle mesure elle facilite, limite, complique ou même handicape l’action. ● Technique En fait, nombre d’éléments de l’interface sont la conséquence (traduction) de choix techniques opérés à l’intérieur, par exemple la puissance du moteur. À tous les niveaux s’observent des mécanismes de traduction implicites. L’idée d’une collaboration interdisciplinaire est de rendre ces mécanismes apparents et de leur donner un cadre raisonné. L’adéquation optimale avec les attentes de l’utilisateur sera obtenue lorsqu’il n’aura plus besoin de traduire son activité en utilisation, lorsque la technique n’exercera plus de contrainte sur l’homme qui l’exploite. ● Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle P O U R Conception de produits : aspects psychosociologiques E N par Victor SCHWACH Docteur en psychologie, Docteur d’État en sociologie Références bibliographiques [1] [2] [3] BAUDRILLARD (J.). – Le système des objets. Éd. Denoël/Gonthier, 245 p., coll. Médiations (1968). BOURDIEU (P.). – La distinction Critique sociale du jugement. Éd. du Seuil (1979). MOLES (A.) et ROHMER (E.). – Micropsychologie et vie quotidienne. Éd. Denoël/Gonthier, 113 p., coll. Médiations (1976). [4] [5] [6] NORMAN (D.). – The Psychology of Everyday Things. Basic Books, 284 p. (1988). SCHWACH (V.). – Micropsychologie de l’automobile comme machine in Design Recherche, A JOUR éd., no 1, 31-40 (1992). SCHWACH (V.). – Micropsychologie du mode d’emploi in Design Recherche. A JOUR éd., no 5, 63-80 (1994). [7] SCHWACH (V.). – Micropsychologie du rapport homme-machine dans la vie quotidienne. Thèse pour le Doctorat d’État ès Lettres et Sciences humaines (sociologie), Université des Sciences humaines de Strasbourg, 645 p. (1995). Organismes de recherche Association internationale de micropsychologie, Département Recherche et Consultant. Université technologique de Compiègne, Division Design. Institut supérieur de design à Valenciennes. Doc. T 4 000 1 - 1998 Exemples de sujets d’études : automates bancaires, machine à tricoter, électroménager, écologie des appareils domestiques, l’ordinateur individuel, modes d’emploi, courrier administratif, l’automobile, audit de communication interne, etc. Les centres de formation de designers se sont intéressés aux contraintes qu’exercent les utilisateurs sur la conception des produits et sont susceptibles de réaliser des études de produits intégrant la préoccupation de l’utilisateur. Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite. − © Techniques de l’Ingénieur, traité L’entreprise industrielle Doc. T 4 000 − 1 S A V O I R P L U S