Analyse du discours SAFA ZOUAIDI NIVEAU : MASTER DE RECHERCHE LINGUISTIQUE Quand on dit qu’un énoncé fait sens, il fait d’abord texte. Culioli, 2003 : 147-148 L’analyse du discours - Discipline récente parce qu‘elle est née au cours du XXème siècle. - Cependant, elle a des racines suffisamment ancrées dans la tradition rhétorique et aussi dans la grammaire textuelle. L’analyse du discours L’analyse du discours constitue en elle-même une prise de position contre les a priori selon lesquels la langue doit être étudiée en elle-même et pour ellemême sans tenir compte de sa réalisation dans le discours et sans autres considérations contextuelles (sociales et économiques). Analyse du discours - L’analyse du discours a profité des données fondamentales de la rhétorique ancienne = les personnes (les interlocuteurs), le temps et l’espace et même l’objectif. - Dans la tradition rhétorique, on démontre trois genres oratoires : 1. Le judiciaire, 2. L’épidictique, 3. Le délibératif. Genres oratoires Le genre judiciaire - Ce genre rassemble tous les discours qu’on prononce dans le tribunal et qui s’adressent à un auditoire assez particulier (le juge). - Le locuteur est déterminé par son statut social. L’avocat tient le discours de la défense (le plaidoyer) (par opposition au discours de la réquisitoire) Cependant, ces deux types de discours portent sur des évènements passés, c’est-à-dire sur le moment des faits. L’objectif de chacun de ces deux discours : L’orateur défend ou attaque quelqu’un à cause d’un acte commis dans le passé, pour convaincre et persuader de l’innocence ou de la culpabilité. Genres oratoires Le genre délibératif Ce genre rassemble les types du discours généralement politiques prononcés dans l’Assemblée. L’orateur, étant un élu du peuple doit convaincre ses semblables (les élus du peuple) de la justesse de son point de vue. Son discours porte sur l’avenir de la Cité et son objectif est de persuader l’Assemblée de prendre une décision qui concerne l’avenir. Il y a deux types du discours : Le discours de l’affirmation, et le discours de la négation (réfutation) qui pose l’inutilité de tel ou tel sujet. Remarque : le vote va récompenser ou sanctionner les effets des orateurs. Genres oratoires Le genre épidictique Ce genre rassemble tous les discours qui se déroulent sur la place publique. L’orateur, étant un homme du peuple mais de bonne naissance et ayant un statut élevé dans la hiérarchie sociale, s’adresse directement à ses concitoyens pour faire l’éloge de tel chef politique, de tel évènement, de telle situation. Généralement, nous avons des raisons funèbres pour lesquelles on vante les mérites d’un mort, d’un chef militaire, ou on critique les défauts d’une personne ou d’une institution = les évènement de ce discours présenté au présent (temps d’actualisation pour mieux animer l’esprit et le cœur de la foule) Analyse du discours : raison d’être… Les genres et les types du discours sont très variés. Dans ce sens, s’explique l’investissement de l’analyse du discours dans l’étude des marques formelles de différents types du discours. C’est d’ailleurs ce qui justifie l’intérêt qu’elle porte à la grammaire textuelle. La grammaire textuelle L’idée fondamentale de la grammaire textuelle consiste à considérer le texte comme une phrase et essayer de le décrire à la lumière des principes et des règles de la grammaire. Cette méthode a permis aux linguistes de faire l’étalage formel de différents types et genres du discours, mais elle n’a pas permis à la recherche d’aller en avant car il n’y a plus à dire au-delà des remarques formelles. C’est cette lacune qui donne à l’analyse du discours sa raison d’être : en établissant des liens entre le discours avec ses caractéristiques formelles et les différentes instances de l’énonciation, l’analyse du discours se crée un champ d’investigation assez varié et assez étendu. Le discours ? La définition du discours pose un problème épistémologique à plusieurs dimensions : - Qu’est-ce que fait le discours ? - Quelles sont les limites du discours ? - Quelles est la différence entre un discours et un texte, entre le discours et l’énoncé ? Le discours ? C’est une unité de parole (non pas de langue) qui couvre à la fois l’écrit et l’oral, et qui est conçue et appréhendée en fonction de deux types de logiques : 1. logique interne : qui porte sur la cohésion entre les différents constituants du discours ainsi que sur la cohérence de l’ensemble. 2. Logique externe : elle concerne les liens entre le discours et les deux interlocuteurs, et aussi les liens entre le discours et la situation d’énonciation. Il s’agit de savoir les conditions appropriées du discours, c’est-à-dire la pertinence du discours. Comment décrire le discours ? La description du discours se fait avec l’ensemble des moyens linguistiques mis à la disposition des linguistes : les moyens syntaxiques qui concernent la place de la phrase au sein de la suite phrastique, les moyens sémantiques sui s’intéressent aux différentes relations sémantiques entre les mots du discours. 1. Orientation prospective : celle de la réception (la lecture) 2. Orientation rétrospective : celle de l’interprétation Les limites du discours L’une des questions les plus délicates concernant la délimitation du discours : Où commence-t-il ? Où s’oriente-t-il ? C’est la raison pour laquelle certains linguistes ont recouru au principe de la cohérence : ce principe a été appréhendé de plusieurs manières. Seulement pour le simplifier en répondant à la question de la délimitation du discours, nous disons qu’un discours a une entrée et une sortie et que la sortie doit satisfaire les horizons d’attente des récepteurs = elle doit mettre un thème aux différentes hésitations quand aux hypothèses émises par les possibilités sémiques des mots. Les différences entre discours et texte ? Le discours est une unité de communication qui emprunte tous les canons possibles et qui peut être à l’écrit comme à l’oral une organisation logique de l’ensemble de paramètres thématiques, sémantiques (logiques), formels et pragmatiques. En revanche, un texte est un support uniquement écrit du discours. Texte et discours Remarques (1) L’analyse du discours s’intéresse à n’importe quel type du discours (écrit ou oral) ou même physique (même ceux qui sont exprimés par le regard ou le geste) Il est vrai que l’analyse du discours est né avec les écrits de Michel Foucault (L’Archéologie du savoir, 1969). Il est vrai également qu’en continuant avec Michel Pécheux, l’analyse du discours s’est intéressée beaucoup plus à la réalisation de l’idéologie dans le langage. C’est dans ce sens qu’on a commencé à accorder de l’importance non seulement au discours politique mais aussi au statut de celui qui l’a prononcé, à ses gestes, à ses regards et à ses mimiques. Remarques (2) L’analyse du discours s’intéresse à la linguistique et l’extralinguistique, à l’énoncé et à l’énonciation : L’intention du locuteur (idéologie) L’intention du locuteur cache l’idéologie Récepteur Mensonge ≠sincérité contradiction Voilé/dévoilé Emetteur Il y a un décalage entre le dit et le pensé Discours et énoncé Il n’y a pas réellement d’opposition entre discours et énoncé car un discours est ensemble d’énoncés : la réalisation entre la partie et le tout. En revanche, il y a une opposition entre énoncé et phrase. La phrase est une unité formelle propre à la syntaxe et de manière générale à la grammaire. Enoncé et phrase (1) Pour la grammaire textuelle, le texte est comparable à une grande phrase (c’est un ensemble de phrases). Le linguiste doit s’occuper des éléments formels (syntaxiques) en essayant de prendre en considération le contexte linguistique (contexte). Il n’en va pas de même pour le discours qui cherche à être appréhendée en fonction de tous ses éléments internes et également de leur réalisation dans une situation d’énonciation. Il se compose donc d’un ensemble d’énoncés = des unités pragmatiques, des réalisations particulières et instanciées de la phrase, qui justifient le recours à la situation d’énonciation. Enoncé et phrase (2) Un ensemble de phrase TEXTE Grammaire textuelle Un ensemble d’énoncés DISCOURS Analyse du discours Principes fondamentaux de la cohérence La cohérence : l’apport le plus intéressant de l’analyse du discours. Le postulat théorique selon lequel un discours est gouverné par le principe de cohérence constitue un champ d’investigation des analyses modernes où se rencontrent linguistes, logiciens, sociologues, psychologues. Niveau théorique conforme au principe fondamental de la logique. Un texte est cohérent lorsqu’il ne présente aucune contradiction. Un discours est cohérent lorsqu’il s’articule autour d’un seul thème qui constitue ainsi l’axe central. Les connecteurs (Re)partir de Saussure et de Benveniste (1) 1.1 La « langue discursive » de Ferdinand de Saussure (1) - Bien qu’il mette la langue au centre de son programme, Saussure s’est aussi interrogé sur « ce qui sépare » la langue proprement dite du « discursif ». - Il parle de « langage discursif » (2002 :95) aussi bien que de « parole » et établit une séparation en apparence très ferme entre les signes-mots et la phrase : « La phrase n’existe que dans la parole, dans la langue discursive, tandis que le mot est une unité vivant en dehors de tout discours dans le trésor mental » (2002 : 117) La « langue discursive » de Ferdinand de Saussure (2) « La langue n’est créée qu’en vue du discours, mais qu’est-ce qui sépare le discours de la langue, ou qu’est-ce qui, à un certain moment, permet de dire que la langue entre en action comme discours ? » Saussure, 2002 : 277 - Avant Saussure, cette idée a été radicalisée par la théorie du langage de Wilhelm von Humblodt : « La langue consiste seulement dans le discours lié, la grammaire et le dictionnaire sont juste comparables à son squelette mort » (Traduction Meschonnic, 1985 :142) La « langue discursive » de Ferdinand de Saussure (3) Humboldt définit la langue comme une activité discursive, comme « l’acte de on émission réelle » (ibid. : 143), et il souligne que ce n’est que dans « les enchaînements du discours » que peuvent être perçus les éléments les plus significatifs de la langue: « Le plus précieux et le plus fin […] ne peut donc être perçu ou senti que dans le discours lié. C’est le discours qu’il faut penser comme le vrai et le primaire dans toutes les investigations qui tentent de pénétrer dans l’essence vivante du langage » (Humboldt, 1803-1836, vol. 7 : 46) La « langue discursive » de Ferdinand de Saussure (4) Saussure définit, lui, son objet et son programme comme un retour du discursif vers la langue comme « trésor mental », vers ce qui n’était pour Humboldt que « la projection totalisante de [la] parole en acte » (1974 : 183). La « langue discursive » de Ferdinand de Saussure (5) Dans le Cours de linguistique générale, Saussure définit la phrase comme l’unité maximale de la syntagmation et il se demande jusqu’à quel point, soumise aux variations individuelles, elle appartient à la langue (1967 : 148) Il applique la notion de syntagme à des unités de n’importe quelle grandeur qui relèvent de la langue : des mots simples comme désir-eux, des mots composés comme im-pardonn-able, in-fatig-able, des phrases ou groupes de mots établis sur des patrons réguliers comme La terre tourne, des locutions toutes faites comme prendre la mouche, rompre la lance, etc. « Ce n’est que dans la syntaxe en somme que se présentera un certain flottement entre ce qui est donné, fixé dans la langue et ce qui est laissé à l’initiative individuelle. La délimitation est difficile à faire. […] Nous avouerons que c’est sur cette frontière seulement qu’on pourra trouver à redire à une séparation entre la langue et la parole ». (Saussure, in Bouquet 1997 : 336-337). La « langue discursive » de Ferdinand de Saussure (6) « Toute phrase sera un syntagme. Or, la phrase appartient à la parole et non à la langue. Alors objectons : […] ne mélangeons-nous pas les deux sphères langues-parole pour distinguer les deux sphères syntagme-association ? C’est en effet ici qu’il y a quelque chose de délicat dans la frontière des deux domaines. Question difficile à trancher. » (Saussure, in Bouquet, 1997 : 334-335) « D’abord, qu’entendons-nous ici par Discours ? Non pas un ouvrage entier, si court d’ailleurs qu’on le suppose; non pas même une suite, un enchaînement de phrases ou de périodes sur un même sujet; mais une phrase ou une période exprimant une pensée à peu près entière et complète en elle-même, quoique tenant peut-être à d’autres pensées qui précèdent ou qui suivent. » (Fontanier, 1997 : 279) La « langue discursive » de Ferdinand de Saussure (7) La préoccupation principale de Saussure est l’opération qui permet d’abstraire le système de la langue à partir de la langue à partir des faits de discours. Emile Benveniste va très précisément reprendre la question à l’envers en privilégiant, lui, la mise en discours, ce qu’il va progressivement désigner comme l’énonciation. (Re)partir de Saussure et de Benveniste 1.2 La « translinguistique » d’Emile Benveniste (1) Benveniste (re)part de l’approche saussurienne de la phrase : « Saussure n’a pas ignoré la phrase, mais visiblement elle lui créait une grave difficulté et il l’a envoyée à la « parole », ce qui ne résout rien » (1974 :65). Benveniste reste très proche de la note sur le discours de Saussure quand il affirme : « C’est dans le discours, actualisé en phrases, que la langue se forme et se configure. Là commence le langage » (1966 :131). Mais il se sépare de Saussure en instaurant dans la langue « une division fondamentale, toute différente de celle que Saussure a tentée entre langue et parole » (1974 : 224) Il distingue les domaines du « sémiotique » (langue comme système) et du « sémantique » (linguistique de l’énonciation) La « translinguistique » d’Emile Benveniste (2) Benveniste fait de la phrase l’unité de la communication humaine : « Nous communiquons par phrases, même tronquées, embryonnaires, incomplètes, mais toujours par des phrases » (Benveniste, 1974 : 224). La phrase ne se définit ainsi que par ses constituants. Place de la linguistique textuelle dans l’analyse de discours Depuis leur émergence, dans les années 1950, l’analyse du discours et la linguistique textuelle se sont développées de façon autonome. Elles ne sont guère croisés que dans les travaux de Denis Slakta, dans les année 1970 : « Entre grammaire de texte et analyse du discours quels rapports articuler ? » (1970 :8) - Texte : objet de la linguistique textuelle - Situations d’interaction dans des lieux sociaux, des langues et des genres qu’imposent les énoncés : objet de l’analyse du discours Place de la linguistique textuelle dans l’analyse de discours 2.1 Genres de discours, langue(s) et formations sociodiscursives La notion floue de « formation discursive » que Michel Foucault avance au chapitre II de l’Archéologie du savoir (1969) a été redéfinie par Michel Pêcheux (1990 : 148)qui en a fait un concept important de l’école française d’analyse du discours. « Il ne suffit pas de dire une phrase, il ne suffit même pas de la dire dans un rapport déterminé à un champ d’objets ou dans un rapport déterminé à un sujet pour qu’il y ait énoncé – pour qu’il s’agisse d’un énoncé : il faut la mettre en rapport avec tout un champ adjacent. […] On ne peut dire une chose, on ne peut la faire accéder à une existence d’énoncé sans que se trouve mis en œuvre un espace collatéral. Un énoncé a toujours des marges peuplées d’autres énoncés. » Foucault 1969 :128) Genres de discours, langue(s) et formations sociodiscursives Exemple : de poème « Les petits justes » de Paul Eluard : Pourquoi suis-je si belle ? Parce que mon maître me lave Les sens religieux (intertexualité évangélique), profane et poétique (espace co-textuel du receuil se mêlent ici). Eluard ira jusqu’à calligraphier un jour ces vers sur une assiette (cela fait bouger le sens : l’énigme-devinette tracée sur l’assiette place le texte dans une situation d’énonciation plus facilement interprétable : la question est attribuée à l’objet lui-même, beau parce que décoré, et l’on peut parler d’une prosopopée de l’assiette qui fixe une identité du « je ». Quant à l’acte de laver l’assiette, il devient un geste des plus ordinaires accompli par son « maître », qui la nettoie et en prend soin. Place de la linguistique textuelle dans l’analyse de discours 2.2 (Re)penser les rapports entre contexte, co-texte et texte(s) La formule contexte et conditions de production du discours a son origine dans l’analyse de discours française des années 1960-1980. Il faut l’écarter car elle laisse entre une opposition et une complémentarité des concepts de texte et de discours alors qu’il s’agitssait de dire que ces deux concepts se chevauchent et se recoupent en fonction de la perspective d’analyse choisie. 2.2 (Re)penser les rapports entre contexte, co-texte et texte(s) (2) Il est nécessaire de repartir du fait que l’on confond trop souvent le contexte comme « éléments qui complètent ou qui assurent l’interprétation globale d’un énoncé » et « les sites d’où proviennent, soit directement, soit indirectement, c’est-à-dire par inférence, ces éléments » (Kleiber, 1994a :14). Se mêlent alors les données de la situation extralinguistique. Exemple : La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas. Nadja d’André Breton On doit d’abord chercher dans le co-texte à gauche (puisqu’il n’y a plus rien à droite et que le livre est fini. CONVULSIVE, graphié en majuscule actualise le début de l’Amour fou : « Il ne peut, selon moi, y avoir beauté – beauté convulsive […] ». La contextualisation opère à partir à partir de la mémoire du texte qu’on vient de lire et, à défaut, de la mémoire des textes qu’on a lus.