COUR DU QUÉBEC CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL N° : 500-08-000017-136 DATE : 24 février 2017 SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE ÉTUDIANT_DROIT . MARIÈVE BERGERON Partie demanderesse c. ESTELLE LACROIX Partie défenderesse JUGEMENT I. [1] PRÉTENTIONS DES PARTIES La demanderesse Mariève Bergeron poursuit la défenderesse Estelle Lacroix pour obtenir un remboursement totalisant 33,887.66$. [2] Elle allègue qu’elle aurait consenti à payer des dettes dues à des fournisseurs de matière première de la défenderesse en guise de prêt. Elle avance que cette aide financière dont l’accord fut conclu verbalement, devait permettre au dire de la défenderesse, de l’aider à relancer son entreprise de bijoux. [3] Estelle Lacroix qui reconnaît avoir reçu le montant réclamé, allègue plutôt que ces sommes d’argent serait des dons offerts par la demanderesse. Elle prétend que cette dernière serait un mécène qui fait régulièrement des dons semblables pour encourager les artistes et artisans joaillers. [4] Pour établir le prêt, la demanderesse voudrait avoir recours à la preuve par témoignage mais la défenderesse Estelle Lacroix s’y objecte en vertu du premier alinéa de l’article 2862 C.c.Q qui impose une restriction sur le moyen de preuve en fonction de la valeur du litige. II. DISCUSSION ET ANALYSE [5] L’article 2862 C.c.Q. édicte la règle applicable au niveau de la recevabilité de la preuve testimoniale en fonction de la valeur du litige. Ainsi l’article stipule : « La preuve d’un acte juridique ne peut, entre les parties, se faire par témoignage lorsque la valeur du litige excède 1 500 $. Néanmoins, en l’absence d’une preuve écrite et quelle que soit la valeur du litige, on peut prouver par témoignage tout acte juridique dès lors qu’il y a commencement de preuve; on peut aussi prouver par témoignage, contre une personne, tout acte juridique passé par elle dans le cours des activités d’une entreprise »1. [6] En l’espèce, le montant réclamé de 33,887. 66$ excédant le plafond fixé de 1 500$ de la règle générale, la valeur du litige porterait obstacle à l’admissibilité de la preuve par témoin. Cependant l’alinéa 2 de l’article 2862 C.c.Q permet des exceptions à l’interdiction du témoignage citée à l’alinéa 1 de l’article. Ainsi peu importe la valeur du litige, le témoignage sera admissible en l’absence d’une preuve écrite, s’il y a commencement de preuve ou il pourra être utilisé contre une personne pour tout acte juridique passé par elle dans le cours des activités d’une entreprise. [7] Dans le cas présent, pour se prononcer sur l’objection formulée par la défenderesse, il faudra tout d’abord se prononcer sur l’existence d’un acte juridique et par la suite, déterminer si la preuve présentée au dossier nous permet de conclure soit à la présence d’un commencement de preuve d’un acte juridique ou que ce dernier aurait été passé dans le cours des activités d’une entreprise. 1 Art 2862 CcQ [8] Un acte juridique est défini comme « une manifestation de la volonté visant à produire des effets de droit. »2 Il peut être de nature unilatérale lorsqu’il implique seulement la volonté d’une personne ou bilatéral, lorsqu’il résulte de la volonté de plus d’une personne comme par exemple un contrat. [9] Que nous soyons en présence d’un contrat à titre onéreux comme le prêt qu’allègue la demanderesse ou bien en présence d’un contrat à titre gratuit comme la donation qu’affirme la défenderesse, les deux scénarios emportent la présence d’une entente verbale qui ouvre la porte à la reconnaissance d’un acte juridique pour l’application de l’alinéa 2 de l’article 2862 C.c.Q. [10] La demanderesse prétend qu’elle aurait consenti à prêter ces sommes d’argent sous forme de paiement de dette à des fournisseurs de la défenderesse, dans le cadre de la relance de sa petite entreprise de bijoux. [11] L’exception de l’alinéa 2 de l’article 2862 C.c.Q. permet en effet de pouvoir recourir à un témoignage pour prouver contre une personne, tout acte juridique passé par elle dans le cours des activités d’une entreprise. Trois conditions doivent être respecter pour permettre l’utilisation de cette exception : (1) il faut que nous soyons en présence de l’exploitation d’une entreprise, (2) que l’acte ait eu lieu dans le cours des activités d’une entreprise et finalement (3) que la preuve soit contre l’exploitant de l’entreprise3. [12] La définition de l’exploitation d’une entreprise est énoncée à l’alinéa 3 de l’article 1525 C.c.Q., qui stipule que : « Constitue l’exploitation d’une entreprise l’exercice, par une ou plusieurs personnes, d’une activité économique organisée, qu’elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services »4. [13] En l’espèce, pour la première condition, nous concluons que la défenderesse exerce une activité économique car elle produit ou réalise des biens, la notion-clé que nous devons tirer de cette expression5. De plus, l’activité économique se qualifie comme organisée car elle transige avec des fournisseurs de matière première ce qui démontre un certain niveau de planification. 2 JurisClasseur Preuve Civile, « preuve d’un acte juridique », fasc 14, par Charles-Maxime Panaccio [JurisClasseur] Jean-Claude Royer, La preuve civile / Jean-Claude Royer, 5e éd, par Catherine Piché, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2016, au para 914 [Royer]. 4 Art 1525, al 3 CcQ 5 JurisClasseur, supra note 2, au para 56. 3 [14] Au terme de la troisième condition, la preuve que veut introduire la partie demanderesse est bien contre la défenderesse, soit l’exploitante de l’entreprise. Une autre condition qu’elle rencontre. [15] La dernière condition mais non la moindre, est que l’acte ait eu lieu dans le cours des activités d’une entreprise. C’est cette condition qui a suscité beaucoup de discussion dans la communauté juridique. L’Honorable Pierre Labbée dans le jugement Lessard c. Simdar inc.6, fait une analyse détaillée sur plusieurs jurisprudences qui se sont penchées sur l’interprétation à donner à l’expression « dans le cours des activités ». Il en ressort, comme bon nombre d’auteurs de doctrine l’ont souligné qu’une interprétation restrictive devait être retenue pour respecter la volonté du législateur. Ainsi, comme le souligne Me Vincent Karim, la porté de l’expression devrait se limiter aux actes concluent dans le cours normal de l’activité d’une entreprise7. [16] Ainsi comme le souligne le professeur Royer, l’achat de matière première pour l’exploitation de son entreprise, représente une activité accessoire qui ne donne pas ouverture à l’utilisation de la preuve testimoniale car elle n’est pas incluse comme une activité dans le cours normal de l’activité d’une entreprise8. [17] Conséquemment, ne respectant pas la troisième condition permettant l’utilisation de l’exception, nous concluons qu’en l’espèce la preuve testimoniale ne peut être admissible sous l’angle de l’exploitation d’entreprise. Il faut donc évaluer si la demanderesse pourrait se prévaloir de l’autre exception prévue à l’alinéa 2 de l’article 2862 C.c.Q., soit le commencement de preuve. [18] Cette notion est décrite à l’article 2865 C.c.Q. qui énonce : « Le commencement de preuve peut résulter d'un aveu ou d'un écrit émanant de la partie adverse, de son témoignage ou de la présentation d'un élément matériel, lorsqu'un tel moyen rend vraisemblable le fait allégué »9. [19] Selon Jean-Claude Royer, trois éléments essentiels caractérisent un commencement de preuve soit son existence, sa provenance et la vraisemblance d’un écrit10. Comme expliqué dans le libellé de l’article 2865 C.c.Q., son existence peut résulter d’un aveu ou d’un écrit émanant de la partie adverse, de son témoignage ou de la présentation d’un élément matériel. 6 Lessard c. Simdar inc., 2009 QCCQ 7146, Vincent Karim, Les obligations [vol. 2], 4e éd, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015 au para 599. 8 Royer, supra note 3, au para 921. 9 Art 2365 CcQ 10 Royer, supra note 3, au para 884. 7 [20] L’article 2850 C.c.Q. indique que « [l]’aveu est la reconnaissance d’un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre son auteur »11. On le qualifie de judiciaire lorsqu’il a lieu dans le cadre de l’instance où notamment, on pourrait le retrouver dans un acte de procédure12. De plus, il est un aveu qualifié lorsqu’il consiste à une admission par son auteur du fait défavorable tout en ajoutant une modification ou qualification qui lui est favorable. Comme le souligne l’Honorable Pierre Lortie dans la décision Tremblay c. Trdina13, l’aveu qualifié divisible permet la preuve testimoniale d’un acte juridique s’il le rend vraisemblable, le troisième élément essentiel au commencement de preuve selon Royer. [21] Dans l’objection que nous devons trancher, selon les trois conditions de formation du commencement de preuve, on constate que : (1) la défenderesse reconnaît l’existence de l’acte juridique car dans ces allégations que nous assimilons à un aveu, elle confirme avoir reçu les sommes réclamées. Ensuite, (2) l’aveu qui serait à la source du commencement de preuve, émane de la défenderesse à qui la demanderesse l’oppose, ce qui représente la deuxième condition en terme de question de droit soulevé par ce concept juridique. Pour finir, (3) l’admission de la défenderesse de la réception des sommes d’argent sous forme de paiement de dette à des fournisseurs, rend vraisemblable le fait allégué. [22] Cela nous permet de conclure qu’au niveau de l’exception accordée en présence d’un commencement de preuve à l’alinéa 2 de l’article 2862 C.c.Q., la demanderesse a réussi à prouver son admissibilité à l’exception qui donne ouverture à la preuve testimoniale. POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : [23] REJETTE l’objection de la défenderesse AVEC FRAIS DE JUSTICE. __________________________________ (Étudiant_droit) 11 Art 2850 CcQ JurisClasseur, supra note 2, au para 29. 13 Tremblay c Trdina (2003), AZ-50211955 (SOQUIJ), J.E. 2004-235 au para 31 (C CQ) 12