HOGERE ZEEVAARTSCHOOL ANTWERPEN FACULTE DES SCIENCES NAUTIQUES L’effet de Bernouilli influant la manoeuvre d’une pilotine contre un grand navire Quentin Doutreloux Devoir de Manoeuvres dans le cadre du Master en Sciences Nautiques Professeur : Rudy Dequick Année Académique: 2018 - 2019 Introduction Dans le cadre du cours de manœuvres de Master en sciences nautique, nous allons nous intéresser à l’effet de succion singulier qu’un petit navire, généralement étant une pilotine, va subir lorsqu’il manœuvre en étant flanc contre flanc ou proche d’un grand navire faisant route, lorsqu’un pilote change de bord. Cet effet est en lien direct avec une loi bien connue d’hydromécanique, que l’on doit au célèbre Dr. Daniel Bernouilli, où a cause de la vitesse d’un fluide, un manque d’eau et donc une dépression se crée autour de la coque. Nous allons donc tenter de décrire de manière concise cet effet par une illustration mathématique et physique, en éliminant autant que possible les perturbations externes, afin d’avoir une vue claire des interactions entre les deux navires. Puis nous confronterons cet exposé théorique avec la réalité, où nous tenterons de connaître les limites de cet effet, les conditions dans lesquelles il se manifeste, et finalement les mesures à prendre afin de l’éviter. Illustration 1: Pilotine contre un grand navire - Flessingue Formulation Mathématique et Physique Commençons par énoncer la fameuse loi de Bernouilli : Illustration 2: Equation du Théorème de Bernouilli Comprenons dans cette formule les valeurs qui entrent en jeu en un point considéré : - v : vitesse du fluide [m/s] - g : accélération de la pesanteur [m/s²] - h : hauteur du point considéré [m] - p : pression du point considéré [Pa] - ρ : masse volumique du point considéré [kg/m³] En étudiant les unités, on trouve que pour que le résultat de l’équation reste constante, la pression va diminuer lorsque la vitesse augmente. C’est une première approche du problème, ici nous partons du postulat que l’écoulement étudié est incompressible et valable pour un fluide parfait. Dans le cas de l’eau de mer, son écoulement peut être considéré comme incompressible, . Par contre, ce liquide n’est pas considéré comme un fluide parfait, on verra alors une influence de la viscosité de l’eau de mer dans l’expression mathématique de l’effet de Bernouilli, conséquence des frottements entre l’eau et les coques de nos navires. Ecoulement du fluide et notion de viscosité Dans un fluide parfait, la contrainte qui s’exerce sur une particule de fluide est toujours perpendiculaire aux parois de celle-ci. Dans un fluide réel en écoulement, la contrainte possède une δv composante tangentielle dite contrainte visqueuse : σ = η Cette contrainte est parallèle à δn l’écoulement, et comme le montre la formule, est proportionnelle à la vitesse découlement du fluide. Le facteur η lui, est propre à chaque fluide et matérialise la viscosité dynamique. L’unité de la viscosité s’exprime en pascal.seconde, on en revient à notre affaire de pression où la viscosité est homogène à la vitesse multipliée par le temps. Ainsi, en incorporant cette notion de viscosité au bilan des forces intervenant dans notre écoulement, on arrive à la forme de l’équation de Navier – Stockes, étant une application de la seconde loi de Newton, sur une particule de fluide : Illustration 3: équation de Navier-Stockes Il est à savoir que pour cette formule, 3 conditions doivent être vérifiées : • continuité de la vitesse à la traversée d'une interface • continuité de la contrainte normale et donc de la pression • continuité de la contrainte tangentielle Phénomènes autour du grand navire Lorsque notre grand navire se déplace, par son inertie et son déplacement initial, l’eau s’écoule autour de la coque. Ainsi, se crée un phénomène de hautes pressions et de basse pression à proximité du navire et illustre une nouvelle fois la loi de Bernouilli sur l’écoulement des fluides. Prenons ce cas en 3 parties, comme nous l’avons vu en cours. D’abord sur l’avant, le navire ‘’pousse’’ l’eau, ce qui augmente sa pression statique, et forme une crête à l’avant, puis sur les côtés, elle diminue, conséquence de l’augmentation de la vitesse des particules d’eau, afin que cette crête d’eau de l’avant puisse être évacuée, comme l’on peut l’observer sur la figure suivante : Illustration 4: vue de côté Illustration 5: vue de haut La couche d’eau de surface sur les flancs du navire a donc une vitesse plus importante, cela aura pour effet d’accroître d’autant plus l’attirance subit par la pilotine lors de sa manœuvre d’approche à proximité d’un grand navire Aussi, cet effet sera d’autant plus important que si l’eau est peu profonde. On connaît bien cet effet de « squat » qui se caractérise par une augmentation du tirant d’eau lorsque l’on a une vitesse trop importante là où il y a peu de fond, ce qui est souvent le cas lors des échanges de pilotes près des côtes, comme à Flessingue et sur l’Escault. Phénomène lors de l’approche du petit navire Nous avons vus dans la partie précédente l’influence sur un plan vertical de l’écoulement de l’eau sur la coque du navire. Nous allons à présent nous intéresser aux influences aux composantes verticales des forces agissant dans l’interaction grand/petit navire. Illustration 6: flux de l'eau lors de l'approche du petit navire Sur ce schéma, on trouve une représentation idéalisée du mouvement de l’eau lorsque la pilotine est contre le grand navire. Cette section vue de dessus est comparable à une section en 3 parties d’un tuyau où l’effet de Bernouilli peut être quantifié, avec la formule énoncée quelques lignes plus haut. Outre la vitesse de l’eau, c’est certainement le ratio du déplacement entre le grand et le petit navire ainsi que leurs tirants d’au qui ont une influence majeur. Nous pouvons alors quantifier les forces d’attraction que subit le bateau, comme l’illustrent les résultats présentés dans une thèse de Master sur les interactions que subit un remorqueur aux abords d’un grand navire : Illustration 7: mesures des forces d'interactions Cependant, de nombreux paramètres font que l’on ne peut se servir directement de l’équation en tant que tel. Voici une liste non exhaustive de ces facteurs : • les couches d’eau ne sont pas systématiquement homogènes • la vitesse des couches d’eau peut varier en fonction de la profondeur (la pression n’est pas la même à la surface qu’à 2m sous l’eau) • la section transversale de la pilotine n’est pas comparable à celle d’un tuyau, à cause de la forme de la carène • le fait que la pilotine utilise sa machine influe sur la vitesse et la turbidité de l’eau sur la troisième section (derrière le petit navire). L’écoulement n’est plus homogène • La houle, le vent et le courant influent sur les mouvements du grand et du petit navire. D’un instant à l’autre, la position latérale et verticale des deux navires peut varier et perturber l’écoulement. Il est aussi à considérer que lorsque la pilotine est proche du grand navire, un bow-out moment est à considérer. Comme dans un bank cushion effet, l’avant va être repoussé vers l’extérieur. Etude pratique Avec l’aide de notre professeur de règlements Mr. Delveaux, pilote du port d’Anvers de profession, j’ai eu la chance d’avoir quelques renseignements sur les expériences pratiques que l’on a de l’effet de Bernouilli lors des manœuvres de pilotines du port d’Anvers. D’abord, nous allons présenter la manœuvre d’abordage classique d’une pilotine, puis ensuite y intégrer notre effet. C’est à Flessingue, à l’embouchure de l’Escault que va se porter notre intérêt. A cet endroit, quatre scénarios d’approche pour le transfert se distinguent : Entrée vers Anvers Départ d’Anvers Temps calme • • Vitesse de 6-7’ pas de réduction de vitesse ni de changement de cap • • Vitesse de 6-7’ pas de réduction de vitesse ni de changement de cap Mauvais temps • • Vitesse de 6-7’ pas de réduction de vitesse ni de changement de cap le navire ‘court’ devant la houle • • Vitesse réduite de 2-3’ cap perpendiculaire à la houle, pour créer une zone calme (lee) effet de succion négligeable navire tenu à l’écart du trafic entrant • • • De cela, voici les observations réalisées par Mr. Delveaux durant ses activités de pilotage durant le mois de Décembre : Navire abordé BG Rotterdam Saargas Al Jmeliyah Msc Iris Seaspan Ganges déplacement [t] 15,000 6,000 150,000 20,000 140,000 vitesse [kts] 7 6 2,5 6,0 8,0 tirant d’eau [m] 7,1 5,5 14,0 7,0 13,5 Navire abordeur Pilotine Honte Pilotine Enterprise Pilotine Honte Pilotine Pioneer Pilotine Raan déplacement [t] 20 20 20 20 20 vitesse [kts] 7 6 2,5 6 7,5 tirant d’eau [m] 1,4 1,5 1,4 1,4 1,4 Navire abordé BG Rotterdam Saargas Al Jmeliyah Msc Iris Seaspan Ganges Force d’attraction nulle X faible modérée forte X X X X très forte L’approche : Lors de sa manœuvre, le patron du bateau pilote va entamer son approche par l’arrière, puis se positionner sur une route parallèle par rapport au grand navire, en restant assez éloigné. Puis, il entame sa manœuvre d’approche avec un angle rentrant d’environ 10° entre la muraille du grand navire et son cap. Une fois à une distance d’environ 5m, l’effet d’attirance intervient. C’est alors le rôle du parton que de doser machine et gouverne afin d’avoir une collision contrôlée. Voici quelques points clés venant de l’étude pratique de notre effet : - Au plus le déplacement et la vitesse sont élevés, au plus l’effet de succion se fait sentir. - Une part importante des manœuvres sur la rade de Flessingue est fortement dépendante de la météo et de la densité du trafic (souvent plusieurs navires à desservir par la même pilotine et donc vitesse à adapter afin de respecter une distance par rapport aux navires devant et derrière). Le décollage : Pour quitter le navire de mer, la pilotine réduit en général sa vitesse avec la barre toute d'un bord pour se laisser tomber par le travers. Puis rapidement, elle remet barre et vitesse pour reprendre sa propre route. Il est impératif durant cette dernière phase que le navire de mer conserve son capt et sa vitesse, au risque que la pilotine ne puisse décoller. De nouveau, voilà les points clés concernant le décollage : - Le décollage semble souvent plus laborieux que l’approche. - Impératif pour le navire de ne pas augmenter la vitesse trop tôt. - Conserver le cap du grand navire, et surtout ne pas donner de la barre vers la pilotine. En somme, cet effet d’attirance est bien une réalité lorsqu’une vitesse suffisante et le ratio entre grand et petit navires le permettent. Cependant, il n’est pas aussi systématique qu’il en a l’air. Les facteurs externes comme la houle, le vent, et l’homogénéité de l’eau font qu’il est souvent atténué. Aussi, comme l’a fait remarquer Mr. Delveaux, les pilotines du port d’Anvers et de la baie de Flessingue sont équipées de machines puissantes, qui permettent de contrer cet effet aisément. Aussi, chaque patron de pilotine a sa technique personnelle pour contrer cet effet, basé sur sa propre expérience. Enfin, il est à savoir que l’effet de Bernouilli, sous ce nom, est peu connu dans le milieu professionnel des patrons de pilotines, mais fait partie de la pratique quotidienne. Conclusion Il est difficile d’arrive à une ‘rule of thumbs’ pour quantifier l’attraction que subit la pilotine. Cependant la formule de Bernouilli nous montre bien que le carré de la vitesse est propotionnel à la pression qui s’applique durant l’interaction (deux facteurs principaux aux numérateurs de la formule). C’est un premier élément qui nous permet de quantifier la succion que subit la pilotine. Ensuite il reste à considérer que de nombreux paramètres externes vont influencer l’attraction et que leurs influences peuvent amplifier ou atténuer cet effet. Enfin, l’aperçu de cette étude et l’avis d’une professeur d’hydromécanique de l’école confirment la complexité du phénomène étudié, de part la multitude des facteurs qui rentrent en jeu. Le mieux reste donc de se baser sur l’expérience des plus aguerris, tout en gardant à l’esprit quelques notions simples de mathématiques. Sources • Travail en partenariat avec Mr. Delveaux • Master thesis report on Ship-Tug interaction in confined waters – Stefan Geerts • Mathematical modelling of forces acting on ships during lightering operations – E. Lataire • https://femto-physique.fr/mecanique_des_fluides/fluides-visqueux.php • http://www.joel-houzet.fr/cours/Mecaniquedesfluides.pdf • http://www.traitedemanoeuvre.fr/couverture-tdm/ • Entrevues avec différent professeurs de l’école (D. Aerts, R. Willemen, E. Lataire, A. Delveaux)