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Analyse des comportements politiques

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Analyse des comportements politiques
Cours de M. Marc Millet marc.milet@u-paris2.fr
Introduction
L’analyse des comportements politiques s’inscrit dans la sociologie politique, soit dans une démarche
scientifique : • la sociologie politique emprunte des enjeux propres aux sciences sociales, la démarche de la
matière s’inscrit dans la neutralité axiologique, il s’agit de comprendre le phénomène politique tel qu’il est
vraiment. L’inscription dans des régularités de faits est importante, les comportements humains ne sont ni
autonomes, ni hasardeux, mais résultent de déterminations : il y a de grandes lois tendancielles (processus de
régularité en sociologie électorale, les femmes tendent à moins participer en France que les hommes).
Concernant la question des révoltes, ce ne sont pas les plus pauvres qui se révoltent, la précarité ne crée pas la
mobilisation. Pour Pompidou, les révolutions sont le fait de minorités privilégiées mais insatisfaites.
•
L’ambition scientifique de la matière dépasse le simple enregistrement des faits, il faut rechercher des
inférences, des relations de causalité, l’influence de variables sur ces comportements. Dans cette
logique il faut mettre en place des théories générales.
•
La théorie des mobilisations tourne autour des ressources de mobilisation collective : les mobilisations
dépendent des ressources détenues par les acteurs. La théorie de la vitre brisée vise à expliquer la
montée des violences dans les quartiers défavorisés.
•
L’analyse des comportements politiques est une démarche sociologique, c'est à dire que l’on considère
que tous les phénomènes politiques s’inscrivent dans les phénomènes sociaux, ils ne peuvent être
expliqués uniquement par eux-mêmes. Concernant la participation politique, l’appartenance à un
groupe social et la compétence politique sont importantes pour expliquer les mouvements sociaux.
La délimitation de l’objet « comportements politiques » : ils sont un versant de la sociologie politique, qui
s’intéresse aux rapports entre gouvernants et gouvernés. Selon Milbrath (Political Participation, 1977) les
comportements politiques sont ceux qui visent à produire des effets sur le pouvoir en place.
L’analyse se divise en plusieurs étapes :
1. cette approche est liée au courant behavioraliste qui intervient à la fin de l’entre-deux guerres et dans
les années 1950 qui vient en opposition au formalisme de la science politique, considérée alors comme
trop institutionnelle. La policy analysis (W.Wilson, Goodnow) va s’intéresser au fonctionnement des
institutions politiques pour donner les clés de lecture de la décision politique. Le behavioralisme se
construit en opposition à ce mouvement de description et cette approche se retrouve dans plusieurs
sciences sociales en ce qu’elle vise à s’intéresser à la pratique des comportements politiques. Il s’agit
alors de partir des individus, de leurs activités, de leurs comportements. L’usage de la statistique pour
mesurer ces comportements (sondages d’enquêtes de politistes, logique des panels). Néanmoins, le
behavioralisme n’est pas sans limites : la science politique américaine s’est dirigée vers un empirisme
brut (compilation de mesures de comportement), le courant se voyait neutre politiquement, or c’est
une science engagée.
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Analyse des comportements politiques
2. L’analyse des comportements politiques va au-delà des « actes manifestes », la science politique
dépasse l’étude empirique des comportements politiques. Il s’agit de dissocier les attitudes, les
opinions et les comportements politiques. Les attitudes se définissent comme un ensemble de
comportements virtuels, c’est un système de croyances stables (de valeurs, de normes, de perception
du monde) socialement construites. Chaque individu a un ensemble d’attitudes, mais elles ont la
particularités de ne pas s’exprimer, les opinions sont ponctuelles et peu stabilisées quand les attitudes
sont intériorisées. Les opinions peuvent être des attitudes ou des positions exprimées ponctuellement,
ce sont des actes manifestes. Pour mesurer les attitudes, il faut recourir aux questionnaires, pour les
rendre manifestes.
L’enquête collective d’Adorno sur la personnalité autoritaire est un exemple de grande enquête des
années 1950, il s’interroge au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale sur la pensée autoritaire
contre la démocratie, et mesure les comportements autoritaires des citoyens américains. Il cherche à
identifier les individus potentiellement fascistes. Il construit quatre échelles d’attitude, aux proportions
variées : l’échelle de l’antisémitisme, l’échelle d’ethnocentriste (de refus de l’altérité), l’échelle
conservatrice (socio-économique), l’échelle F (le fascisme: logique autoritaire, antidémocratique,
conceptions sur les minorités sexuelles, agressivité). L’enquête porte sur 3000 personnes et cet
échantillon est avant tout porté sur les classes moyennes blanches non juives. Cette première enquête
sur les comportements politiques a été fortement critiquée tant sur les questions posées que sur les
échantillons choisis. Les échelles sont corrélées, montrant la définition de la personnalité autoritaire
au sein de la société américaine. Il ne faut pas confondre les croyances stables et le passage à l’acte,
l’attitude serait faiblement corrélée à l’activité politique.
Exemples: en France, comparaison entre les attitudes d’intolérance et le recours à la violence. A
travers les travaux de la commission nationale de consultation des droits de l’Homme qui mesure le
degré d’intolérance et rend tous les ans un rapport sur les actes de racisme en France, on remarque
un tournant en 2015 marqué par une augmentation forte de ces actes : plus de 2000 sont recensés (à
partir d’enquêtes par sondages) soit une augmentation de 20% par rapport à l’année précédente avec
une multiplication par 3 des actes anti-musulmans. S’il y a une hausse des violences, ce comportement
n’est pas corrélé aux échelles d’attitudes, au contraire, il y a une plus grande tolérance diffuse au
sein de la société française. A été mis en place un indice longitudinal de tolérance qui pose une batterie
de questions à un échantillon représentatif et construit un indice de 0 à 100 (de l’intolérance à la
tolérance). Sur la durée, il y a une tendance à la progression de la tolérance des citoyens. Il n’y a pas
de lien entre le passage à l’acte et la diffusion de valeurs et d’attitudes intolérantes en France. C’est
une minorité qui peut aboutir à faire augmenter ces comportements, d’autant plus que les deux ne
sont pas liés : il peut y avoir une hausse des actes intolérants avec une montée des attitudes tolérantes.
L’échelle d’attitude des femmes et le vote pour l’extrême droite en France. En matière de
comportement électoral il y a un gender gap, c'est à dire qu’il y a une différence de comportements
électoral entre les hommes et les femmes en France. Dans les années 1980, il y avait une tendance à
un moindre vote féminin pour le FN. Au cours des élections de 2002, 22% des hommes contre 15%
des femmes ont voté pour Le Pen. Si seules les femmes avaient voté il y aurait eu un second tour entre
Jospin et Chirac. La situation est similaire pour les présidentielles suivantes. Or, les femmes ne sont
pas moins réceptives aux idées du FN, au contraire, au niveau des attitudes leur conception est plus
proche du FN que les hommes. Cela se remarque au niveau de la défiance envers le système politique,
elles sont plus nombreuses à penser qu’il y a trop d’immigrés en France et ont une tendance
eurosceptique plus forte que les hommes. Toutefois, les femmes « modernes » sont plus opposées à
voter FN ; les femmes pratiquantes tendent elles aussi à moins voter FN ; et cette tendance résulte du
comportement machiste de Le Pen, et l’aspect patriarcal du parti. A partir de la féminisation des
figures du parti, le changement de la propension des femmes à voter FN n’est pas claire. En 2012, le
gender gap continue. Mais l’écart se comble à partir de 2017, marquant un temps d’adaptation, avec
la disparition de l’effet de genre sur le comportement électoral. Mais en 2019, il y a eu une baisse du
vote FN féminin.
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Analyse des comportements politiques
Les attitudes libéralistes et le comportement électoral sont différenciés : le libéralisme est culturel
(valeurs, mœurs) et consiste en la tolérance de tous types de comportements (religion, mœurs
sexuelles, légalisation de stupéfiants). Le libéralisme économique, deuxième type d’attitude libérale,
est basé sur la logique de régulation du marché par lui-même, avec une faible intervention de l’État.
Ces deux échelles d’attitudes aboutissent à deux types de comportements politiques strictement
distincts. Il est erroné de fonder une stratégie électorale sur le libéralisme, du fait de la différenciation
entre deux types de libéralismes.
3. Les trois objets centraux des comportements politiques :
◦ La sociologie électorale (Lazarsfeld, Neumann, Adorno): question de l’orientation des choix
électoraux, question des effets des campagnes électorales, les déterminations sociales du vote, la
filiation partisane.
◦ La participation (Almond, Verba), the civic culture : enquêtes par sondages, notamment une grande
enquête dans plusieurs pays pour tenter d’établir une culture de la participation politique. Il y
aurait une culture de participation dominante qui favoriserait la participation politique. Ils donnent
une définition de la culture politique : « ensemble des attitudes, des croyances et sentiments
dominants à l’égard de la politique à un moment donné et dans une société donnée ». Cette analyse
porte sur 5 pays : Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Mexique, États-Unis. Ils posent trois types de
cultures de participation : la culture paroissiale qui définit un rapport au politique centré sur le
niveau local, ce qui tend à définir des sub-cultures (sous-cultures). La culture de sujétion
correspond à la distanciation vis-à-vis de la politique, dans laquelle les citoyens sont vus comme
passifs et s’intéressant à la vie politique nationale sans participer. La culture de participation :
des citoyens sont très actifs politiquement, au niveau associatif, et pratiquent le vote régulièrement.
Selon les pays, ces cultures sont différentes, ils considèrent que le Mexique correspond à une
culture paroissiale ; ils montrent que la démocratie américaine est une culture de participation
importante, qui associe culture de participation et culture paroissiale.
◦ L’action collective (collective behavior) a été longtemps délaissée par la science politique car
l’analyse du politique fait en France d’abord partie de l’étude du droit, le renouveau n’intervenant
que dans les années 1990. Aux États-Unis, la vision de la mobilisation collective est négative, elle
serait une forme de déviance par rapport au modèle de participation du citoyen actif et c’est donc
du point de vue de la sociologie que ces études se sont développées aux ÉtatsUnis. Se développe
alors l’école de sociologie de Chicago qui invente le terme de collective behavior (Robert Parks,
Ernst Burgess).
Les axes du cours portent sur la transformation de la participation à l’âge de la post-démocratie. Des auteurs
ont développé le modèle de post-démocratie autour de deux lectures possibles, dont chacune apporte des
analyses sur l’évolution de la participation :
1. Colin Crouch (La post-démocratie) postule que les élections, les partis et le politique ne sont plus
qu’une façade, les décisions sont prises ailleurs. Les agences de notation, les FMN et les cabinets des
technocraties (des ministères étatiques) participent à la prise de décision politique. Il y aurait eu un
tournant néo-libéral influant sur la décision politique avec des effets sur la mobilisation politique.
Depuis 2008, les actions collectives nées de la crise des subprimes se divisent en deux types de
mobilisations :
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Analyse des comportements politiques
•
mobilisations anti-austérité (Grèce, Espagne, Portugal)
•
mouvement de mobilisation des places, soit l’utilisation de la rue (mouvement du 15 mai à
Madrid, Occupy Wall Street, Grève des étudiants au Canada).
Ces mobilisations se font en dehors du cadre européen. Les transformations interviennent ensuite sur
les pratiques du lobbying. Cette théorie pose le fait que les multinationales tendraient à vouloir
imposer un encadrement juridique du politique, cela s’inscrivant dans le courant de l’ordolibéralisme,
conception dans laquelle la régulation des règles du Marché n’est pas conférée à l’État mais à une
instance autonome indépendante. Cela modifie l’action collective de certains groupes d’intérêts.
L’établissement de la loi sur les hydrocarbures a été marquée par le poids important des lobbies ; dans
le texte de loi final de nombreuses dérogations ont été accordées aux entreprises. Des avocats
internationaux ont prôné le risque juridique issu de la possibilité d’établir une procédure d’arbitrage
international (qui existe dans le cadre des investissements internationaux). L’avis du Conseil d’État
dans sa décision s’appuie sur les arguments des multinationales. Désormais, de nouveaux dispositifs
institutionnels maintiennent les rapports de force existants. Ce point de vue est posé par Loïc
Blondiaux qui s’intéresse au nouvel esprit de la démocratie. Sa thèse est que ces nouveaux dispositifs
maintiennent les dispositifs de décisions des élites. La violence politique peut être interprétée à partir
de l’évolution de la post-démocratie. Du côté du terrorisme, le mouvement altermondialiste s’est
construit en critique de l’insuffisance de la démocratie occidentale. Ce courant considère que le
terrorisme s’est développé en réponse à cette modernisation démocratique. Michel Wieviorka parle
d’anti-mouvement mondial. L’évolution de la post-démocratie joue sur les violences. Les émeutes
urbaines correspondent aux émeutes dans les quartiers défavorisés. L’analyse de la post-démocratie
pose une transformation de la démocratie, pour Crouch nous serions passés d’un capitalisme
managérial à un capitalisme financier, fondé avant tout sur une action de courtterme. Les émeutes
urbaines seraient une réaction à ce capitalisme globalisé, avec une forme de destitution du politique.
2. Une deuxième lecture de la science politique voit cette post-démocratie comme le dépassement du
modèle de la démocratie représentative. Ce dépassement se mesure dans les enquêtes d’opinion. Le
Cevipof en 2017 avait mesuré lors les élections de 2017 une critique très forte de la démocratie et de
son fonctionnement. De plus en plus se développe la figure du citoyen distant, critique envers le
modèle institutionnel classique. Les mobilisations collectives ne sont plus centrées sur des logiques
de protestation des politiques publiques (mouvement des Indignés en Espagne), mais font valoir une
demande en faveur de l’établissement d’une démocratie plus directe.
La logique de la démocratie intermittente montre que les comportements politiques ne s’appuient plus sur des
organes institutionnels stabilisés. Le modèle du parti de masse ne correspond plus à la réalité partisane, d’où
la nécessité de créer un lien militant entre les différents participants.
La démocratie d’interpellation (ou démocratie par le bas) se traduit par la multiplication des actes de
citoyenneté. La conception classique de la citoyenneté définit un statut d’appartenance qui consacre des droits
et libertés avec une logique donnant-donnant avec l’État (droits-devoirs réciproques).
La participation décisionnelle est marquée par de nouvelles formes de délégation de pouvoir résultant du
concept de citoyenneté, avec notamment le retour du tirage au sort. Le cas islandais est l’expérience la plus
aboutie à ce jour et a été mis en place en 2010 ; d’un point de vue constitutionnel et institutionnel le pays a été
ébranlé par la crise des subprimes ; est née de cette conjoncture la volonté de répondre constitutionnellement
à la crise. Mais, le projet d’élaboration de cette Constitution a été donné aux citoyens. Une assemblée citoyenne
de 1000 personnes a été tirée au sort, et dans un second temps un conseil citoyen a été sélectionné pour rédiger
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Analyse des comportements politiques
la réforme en tant que telle ; enfin, la Constitution a été mise en débat sur Internet, permettant ainsi aux citoyens
par les réseaux sociaux de commenter et d’amender le projet. Ce modèle a été porté au niveau européen par
différents acteurs : collège citoyen qui compléterait les délibération du Parlement Européen. Dans le cas
français, des associations écologistes ont établi un projet d’assemblée citoyenne du futur (Dominique Bourg,
Bastien François), il s’agirait d’une chambre au pouvoir de veto suspensif des projets de lois relatifs aux
objectifs futurs.
Bibliographie générale
•
Nonna Mayer, Sociologie des Comportements politiques, Paris, Armand Colin
•
Xavier Crettiez
• Hans-Dieter Klingemann, Russel J. Dalton, The Oxford handbook of political behavior, Oxford
University Press, 2007
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Analyse des comportements politiques
Chapitre 1 Violence et action collective
L’approche de la violence par la théorie des mouvements sociaux dans un cadre sociologique et politique. Ces
phénomènes de violence s’inscrivent dans des configurations complexes : les acteurs sont multiples et rivaux
(concurrences dans les mouvements sociaux) et leur objectif est de mobiliser l’attention de l’opinion publique.
La violence est un élargissement des formes classiques de l’action collective, elle n’est pas différente des autres
formes d’actions collectives (Clausewitz, participation politique par d’autres moyens). Cette perspective est
limitée de par le dépassement en 2010 des modèles analytiques :
1. Cette approche marque une rupture avec la théorie politique, en ce qu’elle s’intéresse au statut de la
violence politique dans la doctrine (George Sorel, Réflexions sur la violence), la violence serait
vertueuse et aurait quelque apport politique dans la stratégie du recours à la violence (grèves
insurrectionnelles). Cette idée de vertu de la violence se retrouve dans les doctrines des mouvements
autoritaires. Du point de vue philosophique cette approche pose la question de la moralité de la
violence (Annah Harendt).
2. La seconde rupture se fait par rapport aux études de sécurité, elle va plus loin, en ce qu’elle inclut
l’étude des conflits intra-étatiques. Les études de sécurité ont été portées par des experts avec une
dimension psycho-sociologique (terrorists studies) selon la tradition nord-américaine. Les études de
sécurité considèrent que la violence terroriste s’explique par un nombre restreint de variables,
notamment la genèse mono-causale du terrorisme.
3. La dernière rupture se fait avec la sociologie critique, l’étude des comportements politiques ne prend
pas en compte le facteur de la violence symbolique. Pierre Bourdieu, dans sa théorie des champs,
définit plusieurs espaces sociaux dans la société. La notion de champ se rapproche du champ en
physique et peut être considéré comme un espace social déterminé par un rapport de force entre ses
composantes. Selon Bourdieu un champ est un espace différencié de positions, structuré par les
relations objectives entre ces mêmes positions. Ces espaces différenciés sont régis par des logiques
propres. La compétition entre les individus permet de les placer au sein de tel ou tel champ. Le cœur
de l’analyse de Bourdieu tourne autour de rapports de domination. L’habitus (la position sociale) est
intériorisé par les individus avec une logique de non-remise en cause de l’ordre social par les dominés.
Cette domination sociale est fondée sur des actes manifestes, dont celui du langage, et est imposée par
des agents (média, États, l’école). Ces logiques de domination s’appuient sur des processus cachés qui
font que les dominés ne se révoltent pas, et n’ont pas connaissance de leur statut, cela marquant la
reproduction des inégalités sociales. Cette reproduction est basée sur la reproduction sociale. La
sociologie des comportements politiques s’éloigne de la thèse de la violence symbolique, critiquée en
ce qu’elle n’est pas parfaitement perceptible, la violence symbolique est diffuse dans la société, elle
induit une conception de la violence trop élargie, elle n’est pas du même ressort que la violence définie
plus bas. Néanmoins, la violence symbolique est intéressante quand elle est reliée à la violence
physique, car elle peut produire de la violence politique (le statut de colonisé a produit des effets sur
la décolonisation, impact de l’occupation par l’armée américaine en Arabie-Saoudite lors de la
guerre du Golfe de 1991), mais elle peut aussi accompagner la violence politique (brûler des
drapeaux).
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Analyse des comportements politiques
Les formes violentes de l’action collective se définissent comme des comportements qui induisent une
contrainte physique sur les biens, les personnes et les institutions. Ted Gurr pose cette définition au début des
années 1960.
Que retenir comme objet, quel phénomène de violence politique ? La première tradition considère comme
violence politique toute violence orientée avec des objectifs politiques. Dans cette définition, la violence d’État
est un élément manifeste de la violence politique. La seconde définition, de Niebourg (1969) : l’objectif
politique compte, mais surtout la signification politique. « Des actes de désorganisation, destruction, blessures
dont l’objet, le choix des cibles ou des victimes, les circonstances, l’exécution, et/ou les effets acquièrent une
signification, c'est à dire tendent à modifier le comportement d’autrui dans une situation de marchandage qui
a des conséquences sur le système social. » Il y a des violences politiques de type social et celles proprement
politiques. Mais selon Niebourg il y a des violences qui n’ont rien de politique, comme c’est le cas du
hooliganisme : violence collective faiblement politisée qui est liée à des événements sportifs, mais qui acquiert
une logique politique quand elle est prise en charge par les autorités. En automne 1933, au bord des stades se
produisent des violences, le politique s’en mêlera donc. Autour des années 2000, une quarantaine de questions
parlementaires se rapportent au hooliganisme. Une violence sociale peut potentiellement devenir une violence
politique. La crise des GJ marque la prégnance de ces enjeux.
Donatella Della Porta définit une typologie de 4 types de violences politiques basée autour de deux critères:
•
l’intensité de la violence,
•
le degré d’organisation
4 formes de violences :
1. violence inorganisée de bas niveau (manifestations violentes)
2. violence organisée de bas niveau (protestation des groupes d’intérêt)
3. violence inorganisée de haut niveau (émeutes, GJ)
4. violence organisée de haut niveau (groupes armés, lutte armée, terrorisme)
Il ne faut pas surélever le phénomène de violence politique. Pour ce qui est de la violence organisée de haut
niveau, il n’y a pas d’accroissement de la violence et des actes (ce qui peut être contraire au message renvoyé
par les médias). Si l’on regarde le nombre de morts lors des attaques terroriste, il y a une baisse tendancielle
au cours des 30 dernières années. Europol publie un rapport tous les ans, celui de 2020 montre un déclin du
nombre d’attaques. La France et le Royaume-Uni sont les pays d’Europe occidentale qui comptent le plus
d’attaques terroristes. Le séparatisme violent est le phénomène qui explique la majorité de ces attaques (IRA
au Royaume-Uni, Corses en France).
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Analyse des comportements politiques
Leçon 1 Les manifestations de la violence politique
Section 1: La dimension émotionnelle de la violence
§1: Premières approches : les théories de la contagion / violences par contagion
Il s’agit des théories de la contagion, ou de la violence par contagion. Cette violence passionnelle est au cœur
de l’analyse de l’école des comportements politiques. Il s’agit de comprendre les causes de la contagion, avec
aussi l’enjeu normatif de lutte contre ces mouvements sociaux. Il s’agit d’étudier les foules et la contagion de
la violence en leur sein. Cette théorie oppose l’école de Tarde et celle de Durkheim. Pour Tarde la contagion
passe par la théorie de l’imitation. Durkheim s’inscrit dans le courant holiste qui explique les comportements
individuels par le monde social. Tarde fait de l’imitation entre les hommes le fait social élémentaire, quand
pour Durkheim c’est la contrainte extérieure (valeurs, normes qui s’imposent). Pour Durkheim, les lois de
l’imitation sont datées, quand Tarde les voit comme mettant en avant les lois sociales contemporaines.
Pour Durkheim la société est fondée sur une organisation sociale de division des tâches sociales (division du
travail social) fondée sur des logiques de solidarités. Il y a une évolution: la solidarité organique s’est
substituée à la solidarité par similitude (celle des société traditionnelles primitives) où il y a peu de division et
peu de spécialisation des activités. La société contemporaine définit des principes d’efficacité et de compétence
dans l’organisation sociale. La différenciation a remplacé le mimétisme dans la définition des rapports sociaux.
Pour Tarde, la complexification de la société passe par l’imitation qui guide l’action des sociétés. Il s’oppose
à Darwin, mais surtout à Durkheim. Il pose une théorie générale de l’imitation (1882): le développement des
sociétés passe par l’innovation qui elle-même passe par l’imitation. Tarde dit que l’imitation est volontaire. Il
s’intéresse aux mouvements de foule, aux logiques passionnelles, à la radicalisation des comportements. Dans
un contexte d’interrogation au sujet de la psychologie des foules, on s’intéresse aux regroupements. Cette
réflexion est aussi liée à la médecine qui porte sur les théories de l’hypnose, sur l’inconscient des foules. En
1890, Tarde écrit que la théorie de l’imitation est la clé qui explique les mouvements de foule (L’opinion et la
foule, 1901). Il essaie de qualifier le phénomène des foules par plusieurs critères:
1. ressemblances minimales (statut social, type national) critère non suffisant, car la foule est plus⇒
large.
2. atmosphère morale « du moment » (climat particulier propice à l’apparition de violences, période
pré-révolutionnaire)
3. étincelle (moment qui pousse à la radicalisation)
4. importance des meneurs ⇒la foule n’est pas totalement libre, il y a une pensée dirigeante qui la guide
« toute foule comme toute famille a un chef et lui obéit ponctuellement ». Tarde s’intéresse aux
logiques d’imitation à distance : le phénomène des foules relève de meneurs primaires, et de meneurs
secondaires (quand une flambée de violence se produit à un endroit du territoire et se propage sur
d’autres). Il établit cette distinction dans l’Opinion et la Foule.
La thèse de Tarde a été reprise par Gustave Lebon dans Psychologie des foules (1895). Lebon n’est pas
universitaire, il est médecin érudit (« plumes publicistes »), mais son ouvrage est un grand succès. Son apport
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Analyse des comportements politiques
est qu’il synthétise tous les questionnements : la foule pour Lebon est un produit de contagion. Lebon vulgarise
Tarde, mais il montre qu’il y a un instinct bestial de la foule, émotive, passionnelle. Il reprend l’idée de la
manipulation de la foule par son guide (« la foule est un troupeau qui ne saurait se passer de maître »). Mais
son principal apport réside en sa loi de l’unité mentale des foules : il personnifie la foule, elle est dotée d’une
âme, elle devient un collectif (subsumée), elle est une entité qui a sa propre volonté. Sa pensée est politique,
sa lecture est contingente, il a une vision réactionnaire en ce qu’il s’oppose à l’évolution de la société et au
risque que cela représente : il critique les grèves, les mouvements ouvriers. L’oeuvre de Lebon est une forme
de philosophie de l’Histoire en ce qu’il pense une crise de la société. Tarde revient sur les travaux de Lebon
dans l’Opinion et la foule, il s’oppose à la personnification de la foule allant à l’encontre du mouvement holiste.
Il critique la notion de « conscience collective » portée par Durkheim. Il oppose la psychologie sociale à la
psycho-sociologique sociale. Pour Tarde les émeutes sont liées à des rapports inter-personnels. Cette
opposition à Lebon passe aussi par le fait que Tarde n’a pas cette vision critique de la foule, il établit une
distinction entre le public et la foule.
Ces « pères fondateurs » sont des précurseurs, malgré un problème de méthode, lié à des visions fantasmées
(notamment chez Lebon) d’où l’abandon du terme de foule. Le premier legs significatif est que ce sont les
premiers à prendre en compte les affects dans l’étude de l’action collective. Le second legs est qu’ils montrent
que l’action violente n’est pas que pure stratégie, un courant récent de la sociologie s’intéresse à la violence
comme processus émotif.
§2: Passage à l’analyse de la violence comme processus émotif
Les caractéristiques de la violence colérique:
1. violence éruptive ⇒mobilisations collectives dont la logique est impulsive
2. aspect ludique du recours à la violence ⇒ressors psychologique du recours à la violence. L. Coser,
Les fonctions du conflit social, la violence participe d’une réalisation de soi, Maffessoli parle de
violence orgiaque, le plaisir de tout casser.
3. rupture de rationalité absence d’intentionnalité. Logique tardienne de foule involontaire. ⇒
Agulhon (révolution de 1848) montre que des violences se font dans l’action, sans être
préparées à l’avance.
4. la « victime émissaire » ⇒ identification d’un responsable cible de la décharge d’agressivité. La
violence éruptive est vue comme un échec des modes de régulation politiques d’un conflit. Parfois
cela aboutit à des chasses aveugles contre les victimes, qui évoluent contre des groupes sociaux
(émeutes de Constantine, été 1934 ⇒ populations musulmanes paupérisées s’en prennent aux
populations juives ; émeutes de la faim en Asie et en Amérique latine de 2001, 2008 s’en prennent⇒
à des commerçants et certains groupes ethniques). « La victime n’est pas coupable mais elle est
sacrifiable » (René Girard)
Quelles formes prennent les émeutes éruptives ? Selon une approche socio-historique, il s’agit de revenir à
l’étymologie de ce qu’est une émeute. L’« esmote » est un trouble de l’âme, une émotion collective, elle
correspond à un mouvement de soulèvement populaire. Le terme anglais « reot » fait référence à la riotte en
ancien français signifiant la querelle.
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Analyse des comportements politiques
Les temporalités des émeutes sont définies par Charles Tilly :
1. « reactionary collective violences » ⇒émeutes agraires et hiérarchiques (période de l’action violente
réactionnaire)
2. émeutes industrielles et démocratiques
Les premières émeutes du haut Moyen-Âge sont localisées, les plus anciennes sont les jacqueries soit des
émeutes paysannes (XIVème-XVIIème siècles), ce sont des émeutes liées à des problèmes de subsistances contre
les notables locaux, elles sont le plus souvent anti-fiscalistes en ce qu’elles naissent de la création d’un nouvel
impôt (révolte des croquants de Compiègne, jacquerie des Pitauds, jacquerie de Norfolk). C’est un phénomène
d’Europe occidentale que l’on retrouve dans les pays voisins. D’autres émeutes apparaissent dans l’époque
moderne : émeutes de revendication de maintien du droit et des us et coutumes qui s’inscrit dans le respect des
droits octroyés (usage du patrimoine seigneurial). Au XVIème siècle, le conflit religieux devient un élément
important des émeutes occidentales (jacqueries des Gautiers, protestants). Aux XVIIIème et XIXème siècles sont
apparues les émeutes dites frumentaires, ces « émeutes de la faim » ont été étudiées par Louise Tilly (en
France elles apparues à la fin du XVIIème jusque 1854). Il s’agit cette fois ci d’émeutes liés à la difficulté de
l’accès aux denrées, mais aussi aux transformations du régime économique. Pour Louise Tilly les révoltes
frumentaires sont liées aux transformations du régime économique des denrées alimentaires. La succession de
ces émeutes de la faim intervient de par l’intervention de trois acteurs : les producteurs locaux, la
réglementation de l’État et les consommateurs. L’ouverture des marchés, la libéralisation en faveur de
l’exportation (bouleversant l’économie locale) et la création d’un marché national seraient les causes majeures
de ces émeutes. Le besoin de fiscalité de la logique guerrière est à l’origine d’une plus forte fiscalité qui
s’ajoute aux contestations. Edward Thomson estime que ces émeutes participent d’une économie morale, les
revendications sont économiques, mais défendent une certaine conception de la liberté. A ce moment-là trois
types d’émeutes se distinguent :
1. les émeutes de marchés se produisent en ville contre les représentants et les producteurs⇒
2. l’entrave ⇒les populations émeutières cherchent à empêcher l’acheminement des biens vers l’extérieur
(attaque de bateaux de commerce)
3. la taxation populaire les populations émeutières s’accaparent des biens pour les répartir.⇒
Les émeutes frumentaires sont liées à un acte politique, elles ne sont pas seulement socio-économiques (édit
de Turgot établit la libéralisation du marché du blé). Il y a deux types d’actions et deux types de crises
politiques :
•
crise de subsistance ⇒émeute de marché
•
crise de la transformation du régime économique ⇒entrave, taxation populaire, appel à l’État pour «
re » réglementer.
Ces émeutes ne sont pas que rurales, il peut y avoir des émeutes de villes (ou de bourgs) ; donc elles peuvent
aussi être le fait de consommateurs et pas seulement de paysans.
Au XIXème siècle apparaissent les violences politiques modernes qui conduisent à de nouveaux types d’émeutes
:
10
Analyse des comportements politiques
•
émeutes ouvrières enjeux de conditions de travail, de subsistance.⇒exemples: les canuts de Lyon
(ouvriers de l’industrie du textile) se sont révoltés du fait de la baisse des salaires. Ces émeutes sont
dites ouvrières, mais en réalité se sont de petits artisans au service de grandes fabriques et qui
emploient des ouvriers qui vont se révolter.
La révolution de 1848 est une mobilisation de classe à l’état pur pour Agulhon.
•
Émeutes urbaines survenues récemment, populations des quartier défavorisés dans les périphéries⇒
des grandes villes. Ces phénomènes se sont développés surtout dans la deuxième moitié du XX ème
siècle dans le monde occidental. La France et le Royaume-Uni sont très touchés, mais dans les années
2010 l’Europe du Nord a été elle aussi touchée.
•
Une typologie substantielle: nature des émeutes
Deux indicateurs différencient ces processus politiques:
1. la nature des revendications il faut dissocier les revendications tournées vers la subsistance, liées⇒à
la survie ; et les revendications politiques.
2. le type de conflit ⇒conflits verticaux (tiennent à la place de émeutiers dans la hiérarchie sociale) ;
conflits horizontaux (agrègent des catégories de population aux propriétés sociales hétérogènes).
(Verticale) logique de
conflit catégoriel
(corporatif, de classe)
(Horizontale) / logique
de conflit trans-social
(groupale)
communautaire
Subsistance
Jacqueries – émeutes
paysannes, émeutes
frumentaires
(XVIIXIX)
Émeutes agrariennes
Émeutes
antiesclavagistes
Protestation
Émeutes ouvrières,
anti-fiscalistes
(poujadisme, UDCA,
nicoudisme CIDUNATI), émeutes
alimentaires, émeutes
urbaines
GJ (2018-2019)
Émeutes du midi
Émeutes raciales /
viticole (1907/8)
inter-communautaires
⇒police tire sur la
foule, le mouvement
s’étend, allie des
salariés agricoles, des
petits producteurs, des
élus locaux
agglomération de⇒
territoires contre l’État.
Bonnets rouges (2013)
Comment qualifier les émeutes ? Il est possible de se tromper sur la qualification des émeutes urbaines,
certaines ont pu être considérées comme raciales, ou interethniques quand il s’agissait de protestations de
groupes sociaux. Cela s’illustre dans l’opposition de la communauté afro-américaine.
11
Analyse des comportements politiques
Exemples: les émeutes de Chicago en 1919 étaient des émeutes de protestation liées à l’accès aux emplois
dans un contexte de transformation économique du marché agro-alimentaire (la ville comprend les plus gros
abattoirs du pays).
Miami dans les années 1980: lutte entre populations paupérisées et latino-américains, l’arrivée massive de
cubains crée une compétition dans l’accès à l’emploi, à l’éducation et à l’aide sociale.
Un autre enjeu majeur de l’époque contemporaine est celui des émeutes anti-fiscales. En France cet enjeu est
important depuis les années 1950 (poujadisme, nicoudisme 1969). Où placer les GJ et l’écotaxe ? L’écotaxe
(taxe Borlo) est un projet de taxation kilométrique sur les poids lourds fondé sur le Grenelle de l’environnement
de 2007. La mise en œuvre du processus doit se produire en 2013 sous le mandat de Hollande. L’écotaxe est
une mobilisation anti-fiscaliste trans-sociale : la mobilisation est partie de Bretagne (les bonnets rouges), c’est
aussi une mobilisation territoriale, en ce que des syndicats de salariés et patronaux se sont mobilisés (FDSEA).
C’est un conflit vertical avec une logique territoriale par la création d’un comité interprofessionnel breton. Les
GJ ont souvent été comparés à une jacquerie, en réalité cela est anachronique, ce sont bien des manifestation
de protestations et non de subsistance. Les jacqueries s’inscrivaient dans un contexte social et historique
important, ce qui ne correspond aucunement aux GJ.
Il y a eu dans la période récente un retour des émeutes frumentaires, marquant le retour des protestations de la
faim. Liées à un problème d’accès à la nourriture, elles ont été importantes en Argentine et en Afrique en 2008.
Cette forme de mobilisation réapparaît de manière cyclique.
§3: La question de la rationalité de la violence passionnelle
•
« Les émeutes instrumentales » selon l’expression de Gary Marx
Il est possible d’avoir une manipulation et l’intervention d’acteurs rationnels dans le développement de ces
émeutes : ce sont les « entrepreneurs de violence ». Certains utilisent les émeutes pour un objectif précis. Dans
la période pré-révolutionnaire, en Aquitaine des émeutes paysannes étaient organisées par le clergé féodal, qui
souvent prenait la tête des manifestations.
•
La rationalité de la conduite émeutière
N. Smelser (Théorie du comportement collectif) montre qu’au cours de l’action les émeutiers ont une
conception précise de leur action : Quelle est la menace ? Qui blâmer ? Que faire ? Cette école du
comportement collectif réintroduit la doctrine dans le processus émeutier.
•
L’émeute comme élément séquentiel d’une mobilisation
La mobilisation violente vient après d’autres types de mobilisations. Ce fut le cas par exemple dans le processus
d’escalade des violences paysannes. Intervient ensuite la menace, puis l’émeute.
12
Analyse des comportements politiques
Section 2: La dimension stratégique de la violence politique
§1: Le modèle du choix rationnel et de la mobilisation des ressources
Cette approche emprunte à deux traditions de pensée :
•
la logique micro-économique ⇒les individus procèdent à un bilan coût-avantage et si cela leur porte
profit ils recourent à la violence.
•
la mobilisation des ressources ⇒la violence comme moyen au service d’un objectif.
L’individu a une capacité d’évaluation de la situation pour choisir son mode d’action. Ce processus rationnel
part du postulat que les individus ont accès à l’ensemble des informations disponibles. Ces caractéristiques se
retrouvent autour des violences de négociation et du terrorisme (basse et haute intensité). Les travaux
d’Antony Oberschall (Social movements) donnent plusieurs hypothèses du recours à la violence :
1. les protestataires recourent à la violence après avoir épuisé tous les autres instruments non violents
possibles. Il y a un processus de radicalisation de cet instrument qui serait substitutif.
Exemple: mobilisations de la loi Travail de 2016 les manifestations sont d’abord non violentes, et⇒
la violences intervient au fil des semaines de mobilisation.
2. le recours à la violence serait plutôt mis en œuvre du fait de l’échec des réformes publiques. Les
protestataires attendent de pouvoir évaluer les résultats des réformes.
3. les groupes protestataires initient une violence en sanction d’un comportement politique (rupture de
promesses). Obserschall se fonde sur des mouvements plus anciens comme les canuts, le ludisme
britannique (ouvriers en 1811 qui cassent des machines), la révolution de 1848. Exemple: mise en
place des ZAD contre des projets d’infrastructures.
Les statistiques permettent de mesurer le recours aux actions violentes. Dans les années 1990, les manifestation
violentes représentent en France 5% de l’ensemble des manifestations, s’inscrivant dans la tendance
européenne. Les cycles de violences socio-professionnelles marquent trois périodes :
1. fin du XIXème siècle avec les mouvements ouvriers
2. loi travail Fillon (2005-2010)
3. crise des subprimes 40% des mobilisations violentes ont eu lieu sur la période récente. ⇒
Le statut du groupe social dans son environnement est primordial. La potentialité de violence est plus forte
quand les objectifs politiques sont inacceptables, ce qui peut créer une radicalisation. L’importance de la
tradition radicale d’usage de la violence crée une propension plus forte à en faire usage. Les grandes
manifestations présentent un risque plus élevé d’avoir recours à la violence, très difficile à contrôler. La
violence de négociation aboutit à des acteurs clés qui utilisent la violence instrumentale : il y a les agriculteurs,
les commerçants et les artisans. Des couches anciennes du salariat ou des indépendants ont recours à l’État.
13
Analyse des comportements politiques
Les entreprises en difficulté font partie des acteurs des mobilisations violentes, de même que les étudiants, de
fait d’une importante tradition historique et une propension à se mobiliser avec une difficile organisation de la
violence. Il y a eu une période de radicalisation suite à la crise de 2008 et ce au niveau européen, avec le retour
de certaines pratiques, dont la séquestration (manifestations meurtrières en Grèce à cause des dettes
souveraines en 2011-2012).
•
Le terrorisme
Il relève bien de la violence instrumentale rationnelle, mais il fut par le passé classé comme une violence
passionnelle irrationnelle. C’est ce que l’on qualifie de violence non-transactionnelle où l’on détruit l’autre.
L’usage des attentats suicide a notamment été étudié par Robert Pape (Dying to win) qui estime qu’ils sont le
fait de fanatiques irrationnels. Il étudie 11 campagnes terroristes sur 20 ans (PKK, Ezbollah, ect). Il constate
que les attentats suicides s’inscrivent dans une logique rationnelle : il y a une réelle importance du timing (les
attentats ne sont pas des faits isolés) avec une sélection des cibles (réponses à des politiques extérieures) ; il
montre aussi que la plupart de ces attentas suicides répondent à des enjeux de souveraineté. Les attentats de
l’État Islamique en France sont considérés comme visant le mode de vie occidental. Les actions menées au
Bataclan et autres s’inscrivent dans une logique de représailles quant aux opérations extérieures de la France,
qui participe depuis 2014 à la lutte internationale contre l’EI (5% des frappes de la France au moment des
attentats). C’est aussi une réponse à la politique intérieure de la France, soit la spécificité de la loi de 2004
relative au port du voile et celle de 2011 sur la dissimulation du visage dans l’espace public.
•
Les motivations communes: la « mise sur agenda » et l’orientation des politiques publiques par la
violence politique.
Cette mise à l’agenda est un processus en deux temps :
1. un fait social doit être défini comme un problème public problème qui appelle à une controverse⇒
publique et à l’intervention des autorités publiques. L’action violente est utilisée pour faire de ces faits
sociaux de réels enjeux publics.
2. obliger le pouvoir politique à traiter de la question ⇒passage du problème public à l’agenda politique.
Il s’agit d’étiqueter le problème public comme relevant du traitement politique (tentatives diverses de
résolution du problème). La violence politique revêt un aspect de violence d’interpellation (mise à
l’agenda d’une question ou d’un problème).
Philippe Garaud définit les 5 logiques de la mise sur agenda :
1. mobilisation action externe, logique contestataire de groupes privés⇒
2. médiatisation
3. offre politique programmes des partis, ce qui vient du système politique⇒
4. anticipation ⇒services administratifs décident qu’un problème relève de l’action publique
5. action corporatiste silencieuse lobbies ⇒
14
Analyse des comportements politiques
Deux processus correspondent à l’usage de la violence :
1. médiatisation ⇒« Focusing event » , les médias mettent en avant des éléments, faisan t que le politique
doit se saisir de cette question (catastrophes, attentats).
2. logique de mobilisation ⇒ mobilisation par pression (violences de négociations des groupes
d’intérêts). Il s’agit d’utiliser la violence pour orienter l’opinion publique et influencer les décisions
publiques.
Exemple: dans le cas Corse, la violence est utilisée par les indépendantistes pour la mise à l’agenda
de la question de l’indépendance de l’île. 2600 éléments violents répertoriés depuis 1975. La création
du FLNC résulte de la problématique indépendantiste. L’arrivée des rapatriés d’Algérie sur l’île créé
des tensions, la perception d’un délaissement de la Corse par l’État sont des éléments pouvant
expliquer ces violences. L’affaire des « bouts rouges » illustre ce sentiment. La séquestration dans
une cave d’une personne accusée de frauder est une action pour tenter de mettre un terme aux enjeux
de marchés. En 1976 la question corse est mise à l’agenda politique suite à la « nuit bleue ».
Le mouvement des anti-spécistes (269 libération animale) s’inscrit dans un mouvement des années
1970 (ALF). Leur objectif est de libérer des animaux. Désormais, dans une enquête de l’Ifop de 2017,
80% des personnes interrogées considèrent que la cause animale est quelque chose d’important.
Les mobilisations des commerçants et artisans suivent cette logique. Le nicoudisme: mobilisation de
Gérard Nicoud qui forme de CID-UNATI en 1969. Ils posent des bombes, plastiquent des locaux
administratifs, organisent des manifestations émeutières, dans l’objectif d’obtenir la modification du
régime d’assurance maladie imposé aux artisans. Cette pression aboutit à une modification de la
situation: réforme du régime d’assurance sociale, création du ministère du commerce et de
l’artisanat.
§2: L’apport de l’analyse fonctionnaliste: les fonctions latentes de l’action violente
L’analyse fonctionnaliste met au jour les fonctions latentes du recours à la violence politique. Les travaux de
la sociologie fonctionnaliste sont aujourd’hui dépassés. Selon Robert Merton (Eléments de théorie et de
méthode sociologique, 1965) il faut différencier les fonctions manifestes des fonctions latentes. La fonction
manifeste est voulue et volontaire ; mais certaines fonctions ne sont « ni comprises ni voulues ». Merton définit
des fonctions latentes que l’on ne voit pas : partis politiques qui servent à la mobilité sociale, fonction
d’assistante sociale des individus en tant que pôle de socialisation, permettent le contact entre différents acteurs
privés. Cette approche est applicable aux comportements violents. 4 séries d’objectifs latents de la violence
politique :
1. s’insérer dans le jeu ou la compétition politique ⇒Charles Tilly le dit concernant le développement
de la violence moderne, au moment où de nouveaux groupes sociaux apparaissent. Xavier Crettiez
fait sa thèse sur le séparatisme corse (la question corse) et selon lui la violence corse ne porte pas sur
l’objectif de l’indépendance, elle est un moyen pour intervenir et modifier les règles du système
politique corse. Il montre le système de lutte entre élites corses, le système claniste (pouvoirs locaux
détenus par des familles sur plusieurs siècles, mairies, ect). Les agriculteurs s’opposent à ces grandes
familles avec les étudiants corses qui étudient en métropole. L’élite locale est fortement liée à
l’administration déconcentrée ; l’affirmation de l’identité corse est un moyen de s’opposer à cette élite,
la violence étant le seul moyen de ressource à disposition des opposants. La violence correspond à la
mise à l’agenda des questions de la décentralisation. Quand les indépendantistes arrivent au pouvoir,
les violences cessent : logique récente de pacification.
15
Analyse des comportements politiques
2. contestation du système de représentation ⇒cette logique se retrouve dans le secteur agricole (CRAV
années 1990-2000). Le CRAV est composé de militants armés qui mènent des actions violentes
(attentats, émeutes, ect) tant et si bien que le Times parle de « France’s Wine terrorists ». Le principal
enjeu est la transformation du régime économique du vin en faveur de l’exportation. L’arbitrage de la
commission européenne organise des négociations avec des négociants et les grands producteurs de
vin.
3. processus de « rationalité limitée » ⇒ l’action violente modifie les objectifs initiaux, la fonction
première de la violence politique est abandonnée. Cette question s’inscrit en sociologie de la décision
(travaux de March et Simon, Administration et processus de décision). Simon considère que la
rationalité absolue (homo economicus tranche en faveur de la valeur d’usage) n’existe pas dans le
processus décisionnel ; il remet cette dynamique en cause. Selon lui, il y a deux dynamiques dans un
processus de décision :
•
la satisfaction possible (et non pas optimale, choix satisfaisants).
•
les moyens et les objectifs sont distincts, les moyens étant des buts secondaires dont la succession
aboutit à la réalisation de la solution. Le plus souvent, les buts secondaires deviennent les objectifs
finaux: les moyens deviennent les objectifs. Cette logique s’applique aux comportements violents
: les mobilisations s’apparentent aux processus limités d’actions violentes.
Exemple : dans le cadre de la violence séparatiste corse la volonté d’indépendance se manifeste par
un usage de violences diversifiées : pressions sur plusieurs décisions de champs divers libération⇒
de prisonniers, abaissement des taxes, changement du mode de scrutin, obtention de subventions
publiques → crise de la vache corse du fait de la baisse des subventions européennes, il y a une série
d’attentats aboutissant à une réponse de la France.
Au pays basque des campagnes d’assassinat dans les années 1970 ont été menées contre l’installation
des centrales électriques nucléaires.
Dans les années 1970 en France, plasticage des infrastructures contre le rapport Hutson sur
l’aménagement touristique de l’île.
4. logique de motivations économiques ⇒ les motivations économiques sont importantes, les
mobilisations politiques peuvent servir à obtenir des avantages économiques (usage crapuleux de la
violence). La lutte politique sert à la mise en place d’une rente de mobilisation : logique de guerre
centrée sur l’enrichissement. La logique économique participe à la radicalisation de la violence.
Exemple: en Corse, les indépendantistes servent une politique de racket, notamment au travers du
mouvement du MPA (années 1990) qui organise des extorsions (accès à des denrées gratuites dans
les supermarchés, accès aux pompes à essences gratuits). Requalifié en tant que « mouvement des
pizzaiolo assistés » car l’argent était détourné pour fonder des commerces.
L’homo economicus a été utilisé par Luiz Martinez (la guerre civile en Algérie), la guerre civile est
liée à l’annulation des élections locales et oppose le pouvoir central au mouvement fondamentaliste
(fondation du FIS) ; conflit jusqu’aux années 2000. Le conflit est présenté comme étant une violence
politique, avec une opposition de l’appareil d’État et une velléité de ces groupes. Les objectifs de ces
groupes armés sont économiques avec une opposition de trois groupes sociaux : les émirs, les notables
locaux et les entrepreneurs militaires (anciens du FLN). Les attaques mutuelles visent à réguler le
marché des industries et du commerce. La route entre Constantine et Alger est dénommée « Charia
Express ». Il y a une destruction d’infrastructures publiques pour créer des activités locales. Des
conflits éthico-idéologiques sont fondés sur la logique sociale d’enrichissement personnel. Des actions
violentes servent au financement de la lutte politique.
16
Analyse des comportements politiques
Donatella Della Porta a étudié des mobilisations d’extrême gauche des années 1970. Elle montre
l’importance des processus de violence et démontre une radicalisation à partir de la quête de ressources
sous la forme d’une « spirale d’enfermement dans la violence ». Le passage à la clandestinité de
mouvements crée la nécessité de trouver des moyens de subsistance d’où la nécessité stratégique de
recourir à la violence crapuleuse. La FAR (faction armée rouge) en Allemagne mène au départ des
actions de faible intensité (incendies de magasins), mais qui du fait de leur clandestinité doivent
trouver des financements, d’où leur recours à des braquages de banques. L’étape suivante est la pose
de bombes.
§3: L’évaluation du recours à la violence politique: la stratégie est-elle payante ?
« Does violence pay ? » (Gamson)
1: La violence de haute intensité? Un constat validé: échec des politiques de
soulèvement de masse par le terrorisme
L’échec de la violence révolutionnaire, des courants séparatistes. Les enquêtes quantitatives menées par
Abrahms portent sur cette logique, il s’intéresse à plus de 120 campagnes terroristes. Le constat est qu’il y a
une différenciation à faire entre les guérillas et les campagnes terroristes. Les guérillas sont marquées par un
succès partiel, quand les attentats terroristes sont une impasse. Quand les cibles sont militaires les violences
politiques aboutissent à plus de résultats ; quand les attentats à l’aveugle ne parviennent pas à soulever les
masses. Seul 1/3 des campagnes étudiées aboutissent à des réussites.
Les travaux de Pape nuancent ce constat, son intérêt porte sur 11 campagnes d’occupation dont 6 aboutissent
(attentats au Liban des années 1990 retrait de l’armée américaine du sol libanais⇒
).
La menace fait-elle l’élection ? En Europe occidentale les attentats se sont produits dans un contexte électoral
(élections régionales de décembre 2015, élections générales au Royaume-Uni en 2017, attentats de Madrid
de 2004). En mars 2004, trois bombes explosent dans des gares à Madrid et dans sa banlieue (plus de 190
victimes, 2000 blessés). L’ampleur des attentats et l’enjeu de l’effet direct sur le résultat des élection : décalage
entre les sondages d’intention de vote et le résultat électoral. 4 jours avant les élections, les attentats
surviennent. La majorité parlementaire est bousculée, le PP (droite classique) obtient bien moins de votes que
le PSOE (gauche). La campagne électorale est bouleversée par les attentats : la mobilisation collective de
masse autour du slogan « qui a fait ça ? » ; il y a eu une tentative de manipulation de l’information par le
gouvernement Aznar qui donne une réponse et déclare que les séparatistes basques ont commis l’attentat, alors
qu’il s’avérait d’un attentat djihadiste. L’attentat produit-il des effets sur l’électeur ? La modification entre
intention de vote et vote final a t-elle eu des effets sur les résultats électoraux ? Pourquoi les attentats ont-ils
des effets sur le vote ? Deux thèses:
1. le succès de la gauche résulte d’une remobilisation des électeurs ⇒des électeurs qui n’allaient plus
voter (qui participaient plus par mobilisations) se sont mobilisés. La chercheuse française estime
que cette volatilité électorale concerne plus les jeunes.
2. mesurer la mobilisation électorale et la transmutation du vote ⇒la participation permet de soutenir
les socialistes. Ceux qui ont changé leur vote l’ont fait plus dans un sens de la droite vers la gauche
(700 000 voix auraient basculé) et sont plus des électeurs centristes, indécis.
17
Analyse des comportements politiques
Ce cas illustre le fait que la violence ne paie pas toujours. Le vote de sanction est davantage lié à la
manipulation et au mensonge politique du gouvernement. C’est un vote punitif et de sanction politique
(engagement du gouvernement en Libye). Ces études montrent que les attentas ont eu un impact décisif sur
l’élection, mais a en réalité touché un nombre d’électeurs assez faible, ce qui a tout de même fait basculer
l’élection.
2: La violence de négociation
Wiliam Gamson (Stratégy of social protest, 1975) étudie 55 mouvements protestataires de 1800 à 1975. Il
mesure l’effet des actions protestataires et montre que les groupes aux objectifs précis et ciblés obtiennent le
plus de résultats et ceux qui on la plus forte incitation à la mobilisation sont ceux qui réussissent le plus. Les
périodes de crises sont favorables au succès de ces mouvements de protestation, ceux qui utilisent la violence
ont des chances de succès importantes : la violence est payante. Dans la période récente en France, la violence
de négociation est source de résultats (nicoudisme, bonnets rouges,GJ contre les mesures fiscales et d’urgence
économiques et sociale, assemblée sur le climat). Mais il y a un certain nombres de limites quant à la recherche
de Gamson : l’échantillon est réduit, une vingtaine de groupes sont protestataires non violents, seuls 6 font
usage de la violence. Il montre que la plupart du temps les groupes n’utilisent pas la violence en premier
ressort.
Section 3 : La dimension identitaire
L’identité peut être définie comme ce qui qualifie la personne, c’est un ensemble « de référents matériels,
sociaux et subjectifs choisis qui permettent une définition appropriée d’un acteur social ». L’identité peut être
un facteur de violences, mais aussi à l’inverse, elle peut être un facteur de pacification des relations.
§1: L’identité comme facteur de violence : le cas de la violence ethno-nationaliste
Dans les derniers rapports Europol de la violence, l’identité est le premier facteur de violence. Ce phénomène
apparu dans les année 1960 est durable, il perdure d’ailleurs aujourd’hui. Le séparatisme violent fait référence
à deux approches de la construction des Nations :
1. approche primordialiste ⇒violence comme force en sommeil réveillée par une élite. La notion de
Nation est fondée sur une logique fermée qui s’appuie sur la croyance en des caractéristiques
communes substantielles de l’identité (mythes et cultures communs). C’est une approche nationaliste
de lutte contre les élites.
2. approche moderniste ⇒ fondée sur la volonté de vivre ensemble sur un contrat (« nationalisme
contractualiste »). Il y a cette idée de pacte social, l’appareil public joue un rôle important dans la
construction de ce contrat. Cette approche amène à la conception de communautés imaginées. L’État-
18
Analyse des comportements politiques
nation s’inscrit dans cette logique de développement des communications et du développement
économique qui doit servir à la construction de ces entités. Les mobilisations nationalistes affrontent
l’État au nom de la construction d’une nation.
Il y a deux types de séparatismes:
1. logique irredentiste ⇒idée de détachement du territoire d’un État en se rapprochant d’un autre (cas
corse dans sa volonté de séparatisme de l’Italie par un rapprochement avec la France).
2. logique nationaliste ⇒volonté de se séparer d’un État pour fonder une Nation autonome. Cette logique
est attachée à l’usage de la violence, la question nationale conduit à un fort recours potentiel à la
violence.
Le séparatisme violent s’inscrit davantage dans la logique primordialiste en ce qu’il cherche la création d’un
petit État (communauté ethniques, religieuses). Du point de vue sociologique la violence est un instrument
important de l’objectif politique, la nationalisme devenant une ressource de légitimation. Cette logique est
définie par Walker Connor qui pose la notion d’Ethno-nationalisme (logique primordialiste de séparatisme
fondé sur une identité particulière). Le cœur du processus réside dans le passage d’une communauté ethnique
à une communauté nationale. Le mouvement « Euskarien » basque marque un retour de l’identité basque
depuis la fin du XIXème siècle (Chao) autour d’un discours racialiste virulent qui vise à définir une identité
particulière autour d’une communauté partagée avec une langue et un culture basque (le peuple élu avant les
juifs). La langue basque a des origines autonomes. Dans la logique ethno-nationaliste il y a un rejet de l’autre,
avec une radicalisation et un usage de la violence.
Les similitudes des deux principaux séparatismes en Europe dégagent les caractéristiques du séparatisme
violent (Pays Basque et Irlande du Nord) :
•
le moment séparatiste développement de ces mouvements autour des années 1968-69. Le premier⇒
attentat politique en Espagne a lieu en 1968 à la fin du régime de Franco. Le conflit Nord-Irlandais
(Bloody Sunday) flambe lorsque l’armée tire sur la foule, ce qui radicalise et marque un retour de
l’IRA (PIRA en est la branche violente).
•
genèse identique ⇒ce sont des renaissances de mouvements politiques plus anciens, avec l’émergence
de la logique marxiste (pour mobiliser davantage en ajoutant la lutte contre le capitalisme) marquant
l’apparition d’une « nouvelle ligne gauchisée ».
•
capacité de création de générations militantes ⇒renouveau des organisations (changement des objets
de luttes, ect) pour perdurer.
•
scissions internes ⇒la violence existe au sein des groupes (années où le plus grand nombre de morts
est au sein même de la famille séparatiste).
•
escalade de la violente intervient pour les deux mouvements dans les années 1980⇒
•
silence des armes désescalade de la violence avec 1998 comme année charnière, la violence est de⇒
moins en moins utilisée par ces mouvements, avec le développement des accords politiques
(engagement dans un processus de pacification).
19
Analyse des comportements politiques
Il y a une assignation identitaire par la violence, c'est à dire qu’elle peut créer une identité. La violence politique
et les comportements violents servent à créer l’unité du groupe : la violence soude le groupe. Crettiez montre
qu’il y a le « ingroup » et le « outgroup », ceux qui sont capables d’utiliser la violence et les autres. Il y a une
forte visibilité de la violence de par son action symbolique (attentats de jour, ect). Il y a au sein de ces groupes
une forte homogénéité doctrinale et identitaire. La thèse de Nathalie Duclos (Les violences paysannes sous la
Vème République) montre l’importance de la violence dans les soulèvements agricoles, avec la création d’un
bloc communautaire basé sur l’opposition avec le monde urbain. La violence permet de distinguer les courants
politiques, elle crée une identité politique collective : elle oppose les modérés aux extrémistes. Le parti
autonome basque (PNV) se développe en partenariat avec l’Espagne, la violence permettant de se distinguer
des autres séparatismes. La violence distingue les courants idéologiques (cas irlandais→courant de gauche
qui se différencie des socio-démocrates). Les groupements révolutionnaires recourent fortement à la violence.
Les Blacks-Blocks sont nés en Allemagne de l’Est dans les années 1980, ils se sont opposés aux FMN et à
l’économie de marché (anarchistes) ; leur première action visait le FMI. Leur violence n’est pas seulement
rationnelle, elle est aussi identitaire.
§2: La violence comme facteur de construction de l’identité des individus
La violence peut aussi contribuer à la construction de la personnalité des individus. Cela se retrouve dans le
cadre des mobilisations de groupes d’intérêts (nicoudisme) et l’embrigadement des terroristes. Nicoud est
incarcéré pour faits de violence, les commerçants et artisans enlèvent des agents de renseignement, cela fait
que l’identité du meneur est fondée sur un capital violence, désormais, Nicoud se sert de la stratégie violente
comme outil de définition de son identité (celui arrêté par la police, qui sert la cause), il utilisera par la suite
des cartes de visites dans lesquelles il présente le cumulé de ses mois de prison.
⇒La violence devient une ressource de mobilisation et de qualification identitaire.
Leçon 2 Les déterminants de la violence politique
Processus et facteurs du recours à la violence politique. Il est difficile de déterminer les fondements de la
violence et l’aboutissement d’une mobilisation (exemple: Boston Tea Party qui aboutit à la guerre
d’indépendance). Il est complexe de définir des lois tendancielles. Toutefois, certains travaux dans la
littérature ont dégagent plusieurs constats :
1. fin des explication mono-causales ⇒acceptation du modèle pluridimensionnel, avec trois principaux
niveaux :
20
Analyse des comportements politiques
•
macro ⇒variables structurelles lourdes
•
méso le contexte, c’est le processus qui compte⇒
•
micro ⇒passage à l’acte individuel
Donatella Della Porta montre les effets des différentes variables et leurs explications conjoncturelles
(Social movements, politicla violence and the state). « Les variables produisent des effets contrastés
selon les contextes » (Sommier).
2. modèles explicatifs complémentaires ⇒ils ne sont plus exclusifs, il y a une configuration de la violence
politique, un enchevêtrement de toutes les interactions. Il y a les déterminants structurels (Section 1)
et des conditionnements contextuels (Section 2).
Section 1: Les déterminants structurels de la violence
§1: les variables socio-économiques
Ce sont des variables « lourdes ». Il existe des déterminants socio-économiques, considérés souvent comme le
facteur crucial de l’usage de la violence politique. Franz Fanon (Les Damnés de la Terre, 1961) explique la
décolonisation par la domination politique et la paupérisation des populations locales.
•
La critique de la corrélation entre pauvreté et violence politique
Il n’y a pas de relations mécaniques directes entre le niveau de violences politiques et le degré de violence
politique. Les émeutes de la faim et de subsistance ne sont pas exclusivement liées à la situation économique.
Aux XVIIIème et XIXème siècle il y a une amélioration des situations économiques pourtant cette période marque
le plus haut degré des émeutes de la faim (les grandes famines en Europe occidentale se déroulant au siècle
précédent). La question du lien entre économie et terrorisme se pose notamment depuis les attaques du 11/09
et les poussées de violence qui ont suivi. Le modèle a été développé par les administrations américaines : sous
Bush est établi en 2003 un rapport de stratégie nationale pour combattre le terrorisme ; est aussi organisée une
conférence internationale relative au développement du terrorisme, dont l’enjeu porte sur la lutte contre la
pauvreté « Nous luttons contre la misère, car l’espoir est une réponse au terrorisme » (G. Bush). Mais, il
apparaît que cette lecture est erronée.
Alan B. Krueger, What makes a terrorist ? (2007) est un économiste qui s’interroge sur les conditions
poussant une personne à devenir terroriste. Il s’intéresse aux profils sociologiques et à la situation économique
du pays. Dans son étude il s’appuie sur diverses sources: sondages d’opinion sur la perception du terrorisme
dans les pays, répertoire des profils et propriétés sociales des acteurs de divers groupes terroristes, publications
de mouvements terroristes (Hezbollah, Al-Qaïda, ect). Il constate que les martyrs ne sont pas pauvres, ils ont
un bon niveau d’éducation (50% du Hezbollah a un niveau d’éducation élevé), ils sont souvent plus éduquées
que la moyenne de leurs pays respectifs. Les plus pauvres représentent 1/3 de ces groupes terroristes. Il
différencie les profils des guérillas (plus pauvres) et les profils terroristes, et définit les différents cercles de
personnes engagées :
21
Analyse des comportements politiques
•
les mercenaires sont moins éduqués et plus pauvres,
•
quand le second cercle, celui des donneurs d’ordre est plus éduqué.
Krueger s’aperçoit aussi que les populations parmi les plus éduqués soutiennent les actes terroristes. En
regardant le niveau de PIB des pays il constate que dans ceux connaissant une décroissance il n’y a pas de
hausse du terrorisme. Le critère du PIB n’est - statistiquement - pas corrélé avec les activités terroristes.
Krueger conclut que les griefs sont avant tout géopolitiques, en rapport avec la politique des États (exemple :
politique interventionniste américaine).
Les violences de négociation (en France cas larquant des agriculteur) ne sont pas corrélées avec le niveau
de développement économique. C’est au niveau de la modernisation du matériel agricole que la lutte des
agriculteurs s’intensifie sous la Vème République (années 1960). Le facteur économique ne joue pas, deux
hypothèses explicatives:
1. les déterminants socio-économiques n’ont que des effets limités sur le recours à la violence
2. la détermination des enjeux socio-économiques ne produit pas un effet direct, mécanique ⇒l’effet de
la variable économique doit être précisé et complété avec d’autres variables.
• Apparition du modèle de la frustration relative et le modèle psycho-sociologique (« breakdowm
theory »)
Le modèle de la frustration relative (relative depravation) est posé par Ted Gurr (Why men Rebel ?, 1970).
Les données sont subjectives, le facteur économique dépend de la perception de chacun de sa condition. La
violence serait fondée sur le décalage entre la perception des aspirations de la population (value expectation)
et celle de la capacité d’accès à des biens et valeurs (value capability). Il compare des attentes et une situation
accessible. La subjectivité résulte de la nature de la représentation qui n’est qu’une perception. Le décalage
entre attentes et possibilités produit une frustration, source du passage à la violence sociale (émeutes,
mobilisations). Plus le différentiel est important, plus il y a un risque de recours à la violence. Plusieurs
logiques:
1. La frustration du déclin ⇒les espérances sont stables, mais déclin des accès. C’est une frustration dite
de crise, où les aspirations sociales restent stables, mais la capacité d’élévation dans la société baisse.
Exemple: émeutes frumentaires en Afrique ⇒ ré-politisation de la question alimentaire, les
organisations internationales posent le terme de souveraineté alimentaire avec une difficulté dans
l’accès aux biens. La question alimentaire est instrumentalisée par les gouvernements et les
organisations internationales (« instrumentalisation alimentaire »), lors des émeutes, ce ne sont pas
les plus pauvres qui se mobilisent (dans tous les cas ils n’accèdent pas aux biens). Les jeunes des
classes moyennes basses et les ménagères sont les catégories qui se sont le plus mobilisés.
2. La frustration des attentes ⇒les aspirations augmentent (élévation condition socio-économique) mais
la perception de l’accès aux valeurs et aux biens reste stable. Cette situation intervient en période de
croissance induisant une hausse de la demande (« avoir les fruits de la croissance »).
Exemples: cas des violences paysannes dans les années 1960 (Nathalie Duclos) avec un pic de
violence en 1973. Le processus de modernisation paradoxalement donne une conscience aiguë du
retard de la population agricole par rapport au reste de la population française. Les exploitations
agricoles participent de la croissance économique, hors par l’exode rural les paysans prennent
22
Analyse des comportements politiques
conscience du retard de leur développement économique et social par rapport aux populations
urbaines. Duclos parle de « frustration virile », marquant le manque de femmes dans les zones rurales.
A partir des années 1970 il y a une détérioration de la situation et une acceptation de ce retard.
Les émeutes urbaines américaines de 1975 (Watts) qui ont lieu en Californie dans les quartiers les
plus pauvres de LA. Les lois ségrégatives sont en principe dans le sud des États-Unis, mais les plus
fortes manifestations de violences se produisent dans des États où la ségrégation est moindre. L’enjeu
s’inscrit dans une logique d’amélioration des conditions de vie des populations afroaméricaines : lois
sur les droits civiques (War on poverty, juin 1965), programme de discrimination positive. Il y a une
attente forte de ces populations car la ségrégation juridique est moins forte, la frustration naît de
l’attente liée à ce programme.
Le conflit Nord-Irlandais lié au séparatisme violent retour en 1969 à l’objectif indépendantiste. Il⇒y
a une marginalisation économique des populations catholiques, créant une aspiration à l’égalité. Les
catholiques se sentent comme « des nègres roux ». Ce conflit est avant tout socio-économique et
identitaire.
3. La frustration de rupture (ou progressive) élévation concomitante des attentes et de la perception⇒
de l’accès aux biens et aux valeurs, qui s’accompagne d’une rupture brusque de la perception de
l’accès aux biens et aux valeurs (chute brutale de la perception individuelle de la satisfaction
possible). Ce modèle est celui qui peut créer la plus forte violence, du fait de la plus puissante de
frustration. La courbe en J de Davis sur les révolution illustre cette logique, avec une situation brusque
de rupture de la croissance économique.
Le modèle de Gurr a été complété, nuancé. La question se pose sur les limites de ce modèle, aboutissant à
l’apparition d’un nouveau modèle explicatif. Ce modèle n’est pas seulement psycho-sociologique, il mêle des
conditions objectives de l’usage de la violence politique : pour qu’il y ait des violences sociales, il doit y avoir
des cibles précisément définies, ainsi qu’un investissement collectif important à la frustration durable. Ces
conditions marquent la potentialité du recours à la violence. Des indicateurs mesurent la frustration :
•
économiques degré de revenu et d’accès au logement⇒
•
juridiques ⇒degré de frustration juridique
•
niveau d’éducation des groupes sociaux
X. Crettiez insiste sur la reconnaissance du statut social d’un groupe, dont l’absence peut déboucher sur
l’usage de la violence politique. Il parle de violence statutaire et base son analyse sur les séparatismes violents.
Il étudie l’explosion de violence lors de la démocratisation de l’Espagne. Il y a une multiplication des
assassinats (300 sur 10 ans après 1978). L’ouverture du système politique aboutit à une décentralisation,
faisant que l’ETA (groupe basque violent) se sent délaissé alors qu’il avait participé à cette démocratisation.
Cette frustration statutaire peut se mesurer à partir de multiples facteurs :
1. condamnation morale vis-à-vis d’ETA dans les années 1980. La répression du nouveau régime
politique se perpétue contre les mouvements séparatistes, via une dévalorisation statutaire des
participants.
2. recours aux armes
23
Analyse des comportements politiques
Mais de modèle n’est pas exempt de limites. Premièrement, il est difficile de mesurer et de comprendre le
passage d’une frustration individuelle à une frustration collective (enjeu entre l’individuel et le collectif). La
principale critique est que le modèle est tautologique, ou de raisonnement circulaire. La frustration est
découverte du fait de l’action violente, en même temps elle s’explique par la frustration. Dès lors que se produit
un phénomène politique, il est aisé de trouver des éléments de frustration. Aussi, en fonction de la situation les
indicateurs varient, rendant complexe toute analyse globale et stabilisée.
•
La structure sociale : le rôle de la structuration de la conflictualité
Smelser parle du modèle de la plus-value. Oberschall (Social conflict and social movements, 1973) essaie de
comprendre les raisons et les facteurs de la mobilisation. Il met en avant les facteurs discriminants qui justifient
l’usage de la violence. Il s’intéresse à deux critères fondamentaux:
1. le degré de structuration de la société ⇒degré d’organisation de la société
2. le degré de segmentation de la société logique verticale, Oberschall insiste sur l’importance de la⇒
ségrégation sociale, la possibilité d’améliorer la situation pour les populations.
Oberschal structure ces variables en un tableau: Collectivities Classified Along Vertical an Horinzontal
Dimensions of Integration. Les situations d’actions collectives sont variées et selon la mobilisation l’usage de
la violence change :
•
« E » est la situation la plus violente : la société ségrégative crée des tensions sociales sans
organisations capables de canaliser l’action collective (pour empêcher les manifestations violentes et
les émeutes).
•
la situation « C » est la moins propice à la violence où l’organisation de la société intégrée est peu
propice à la propagation de la violence. Dans certaines situations, le facteur organisationnel peut être
la première cause du recours à la violence (groupes violents).
Oberschall prend l’exemple des manifestations afro-américaines (années 1960) et il différencie les
mobilisations:
◦ des États du Sud (ségrégation forte) où des associations confessionnelles ont pris en charge la
mobilisation (NAACP, Martin Luther King) et structurent la mobilisation collective
◦ du midwest Chicago, travailleurs afro-américains qui ne sont pas encadrés⇒
•
« D » est associée par Oberschall à la décolonisation
•
les GJ correspondent à la situation « B » du modèle explicatif d’Oberschall.
§2: Les déterminants cognitifs (légitimation de la violence)
La légitimation est un processus qui rend un moyen d’action préférable, plus acceptable qu’un autre. Il y a à
la fois un contexte culturel et discursif.
•
1er point : le récit légitimant de la violence le cadrage⇒
24
Analyse des comportements politiques
La justification de l’usage de la violence est importante, elle permet de comprendre comment l’on passe d’une
violence sociale à une violence politique. Selon Gurr il y a deux processus de justification de la violence :
1. la justification normative ⇒ portée par les entrepreneurs de violence qui justifient l’usage de la
violence. Doctrine politique, idéologie. Récemment cette logique a été reprise autour de « la
grammaire de violence » employée par les mouvements religieux (terrorisme islamiste).
Cette justification porte sur une conception religieuse : conception islamiste millénaire fondée sur la
vision apocalyptique du jugement dernier. La définition du djihad : entre le grand (quête spirituelle
personnelle qui demande un effort individuel, inscription forte dans les préceptes), le petit (se tourner
vers Dieu dans une logique défensive, il est plus personnel et d’ampleur moindre). Le terrorisme
militarise le djihad : le djihad guerrier contre les infidèles. Le renouvellement du discours de
justification explique la durée des mobilisations violentes.
ETA se légitime en se montrant comme l’opposant du Franquisme. Ensuite il se présente comme
mouvement de lutte contre le colonialisme. Enfin l’ETA s’inscrit dans la logique marxiste du combat
révolutionnaire (développement du discours anti-capitalisme). L’incapacité à trouver un discours
normatif explique en partie la pacification du mouvement.
Nathalie Duclos montre la légitimation des actions des agriculteurs (années 1970) par l’action de
leurs syndicats. Dans les années 1980-90 il n’y a plus de spécialisation agricole dans la presse,
l’alliance avec les médias n’existant plus, se forme une alliance politique avec les citoyens. Il y a un
nouveau type de communication avec un type nouveau de violence politique (dimanches terres de
France de 1991 organisation de fauchages sur les Champs-Elysées⇒ ).
2. La justification utilitaire la violence est justifiée en tant que moyen pour obtenir gain de cause. A⇒
justification de la violence passe souvent par la comparaison entre les moyens et les gains obtenus.
Exemples: les commerçants et artisans, le poujadisme justifie la violence par le fait que la stratégie
de la tensions paie.
Le nicoudisme (1969-74) justifie la violence au travers du précédent que constitue mai 68.
La construction du récit narratif est essentielle (notamment dans les courants révolutionnaires), il faut
créer une histoire. Les courants d’extrême gauche se basent sur un discours de domination d’État,
justifiant les assassinats contres les élites économiques et sociales (Schleyer assassiné en 1977 par la
FAR). La légitimation de l’action violente tend à dire que les élites sont fascistes et nazies (justifiant
l’assassinat de Schleyer ancien dignitaire nazi) expliquant pourquoi cela est plus difficile à établir en
France.
•
2ème point: La dimension culturelle
La culture est un système de significations communément partagé par une communauté sociale. Il y a une
réticence à faire de la culture la cause des mouvements sociaux. Le « culturalisme » est une analyse qui associe
un type de culture à un type de mouvement social. Il s’agit comprendre le système de significations pour
comprendre la société, toutefois il n’y a pas de déterminisme du fait du facteur culturel. La culture romanochrétienne ne peut être considérée comme un déterminant de la construction de l’État moderne, même si la
culture éclaire le sens de l’État pour les différents acteurs conjoncturels. Risque du biais culturaliste (toute
violence paysanne associée à une jacquerie, vendetta corse comme tradition). Il faut réintroduire la variable
culturelle en insistant d’abord sur le lien entre ordre social et la violence politique. Il n’existe pas de culture
nationale, mais des types de cultures permettant le développement de la violence politique : des éléments
culturels favorisent des dynamiques et les logiques de violence. La culture d’obéissance (sociologie des
25
Analyse des comportements politiques
massacres) empêche une opposition à une violence massive (logique de passivité lors de massacres, culture
Kmer, cas du Rwanda, Jünker, état militaire japonais, ect) et peut même être un facteur d’aggravation de la
violence.
La question du fait culturel dans les émeutes urbaines, liées aux violences dans les quartiers défavorisés.
Hugues Lagrange met en avant l’importance de la culture urbaine dans la survenance de ces émeutes (Le déni
des cultures, 2010). Il s’oppose à la sociologie négationniste du facteur culturel. Lagrange s’intéresse aux
émeutes de 2005 qui seraient liées à une culture autoritaire, les émeutiers sont principalement des jeunes
originaires du Saël, membres d’une grande fratrie. Ces jeunes sont face à un excès d’autorité, ces familles du
Saël sont soumises à la sur-autorité paternelle, quand les relations avec l’école sont organisées par les mères
qui n’ont pas l’autorité. Ce contraste conduit au désœuvrement des jeunes qui recourent à la violence. Cette
thèse a conduit à diverses discussions. La critique principale porte sur la généralisation de cas ciblés
géographiquement.
La violence est un mode ordinaire pour faire prévaloir ses revendications, il existe en réalité des traditions
d’action. Le recours à la violence prévaut pour certains groupes. C’est un type de sous-culture (cas des
agriculteurs) dans laquelle la forme violente est une action ordinaire, transmise entre membre du groupes:
•
mémoire de lutte de l’usage de la violence ⇒la mobilisation des actions violentes paysannes apparaît
dès les années 30 (les chemises vertes).
•
absence de tradition de négociation institutionnelle certains groupes sociaux n’ont pas l’habitude⇒
de négocier avec les autorités publiques, ce qui accentue la probabilité de l’usage de la violence.
L’usage de la violence est cyclique chez les agriculteurs: dans les années 1980 la répartition des
manifestations montre qu’elles sont plus nombreuses dans les territoires où il y a habituellement un
usage de la violence, il y a une tradition d’usage. En réalité, la répartition de la violence correspond à
la répartition des actions collectives, mais il y a bien une territorialisation des mobilisations.
§3: Le système politique et la violence
Déterminations politiques: les caractéristiques du système politique peuvent-elles agir sur le recours à la
violence (opportunité politique) ?
•
Le degré de violence politique conditionné par la nature du régime politique
La thèse dominante : les régimes démocratiques facilitent la pacification du fait de canaux institutionnels qui
rendent possible la participation (démocratie participative, possibilité d’expression publique non violente).
Cette thèse est contestée premièrement par l’usage ordinaire de la violence de négociation en démocratie. La
pacification n’est pas linéaire en démocratie, il y a des moments historiques violents (régime de Vichy, mai
1968, GJ, ect). Selon Braud, la démocratie, régime de liberté facilité la voie aux débordements (degré élevé
de tolérance de la violence). Le régime démocratique crée une tension sur les demandes sociales. Le principe
majoritaire, selon Tocqueville, peut aboutir à une « dictature de la majorité sur la minorité », certaines
populations peuvent se trouver durablement en situation de minorité. Duclos dit que les intérêts des groupes
minoritaires ne sont jamais défendus, d’où le recours à la violence pour se faire entendre.
26
Analyse des comportements politiques
Autre thèse: faiblesse du recours à la violence en régime autoritaire du fait de la répression politique. Une
étude statistique porte sur l’usage de la violence selon les régimes politiques (statistiques d’une centaine de
pays de 1966 à 1982). La répression fait chuter la potentialité de l’action collective. Dans les régimes les plus
autoritaires, la propension de l’action collective diminue. Mais les données sont plus générales et cette
constatation ne saurait être définitive.
•
La corrélation entre les formes de réponses étatiques et le degré de violence politique
Le degré de répression ⇒question relative à la gestion du maintient de l’ordre, elle peut être civile, ou
défensive militarisée. La violence politique découle le plus souvent de la violence d’État et des mesures
répressives. Dans les contextes révolutionnaires, l’absence d’épuration des forces de l’ordre (Italie) conduit à
une hausse de la violence d’État.
Exemples: En Italie, de 1948 à 1970 il y a une forte hausse de la violence d’État avec 60 à 100 morts du fait
des forces de l’ordre. La radicalisation entraîne une escalade de la violence. La radicalisation des dispositifs
conduit à une escalade de la violence.
En Espagne, des groupes violents naissent en opposition aux groupes terroristes (GAL) et se chargent
d’assassiner des membres de ETA. Ces assassinats d’État ont conduit à un important scandale. Des attentats
ayant eu lieu en France, le GAL a essayé d’y associer l’État.
L’importance des réponses aux demandes sociales la radicalisation est issue de logiques de fermeture aux⇒
revendications. Plus une mobilisation dure, plus la revendication est sans effet, et plus la propension à la
radicalisation est importante avec de plus fortes probabilité de recours à la violence. C’est au moment de
l’essoufflement des mouvements que peuvent survenir les éléments violents.
L’importance du contexte institutionnel la fermeture des outputs a des conséquences fortes. ⇒
Exemple: la loi travail de 2016 en France voit ses mobilisations se radicaliser au moment de l’utilisation de
l’article 49-3. La tension liée à la situation d’État d’urgence (mesures préventives pour éviter les actes
terroristes) avec un encadrement strict des manifestations (sur les quais de Bastille uniquement).
•
L’effet de la structure du système politique et partisan. Quelles alliances ?
Deux aspects:
1. degré les alliés potentiels ⇒quand le groupe de violence est soutenu dans le système politique, son
action est soutenue est suivie. Si l’appareil d’État soutient certaines violences, alors leur action pourra
se prolonger.
Exemple: dans le cas basque, l’existence d’un parti politique (PNV) légal qui ne condamne pas les
violences crée un type de soutien.
2. La stabilité des alliances politiques et des alignements partisans ⇒les alliances entre partis politiques
peuvent influencer l’action violente. La violence est d’autant plus difficile à contôler que les groupes
sociaux sont représentés par les partis politiques, avec une prise en charge de la violence (violence
révolutionnaire en Italie, pacification des rapports en France dans les années 1970). Exemples: En
France, l’alliance à gauche permet la prise en charge des revendications populaires (le PCF
représente plus de 30% des suffrages).
En Italie, il y a au contraire une politique d’opposition entre les communistes et la démocratie
chrétienne, la voie violente devient la seule voie d’expression possible d’une partie de la population
du fait de la fermeture des canaux partisans.
27
Analyse des comportements politiques
3. La faiblesse de la coalition gouvernementale ⇒ tensions dans les alliances de gouvernement,
dissidents dans la coalition (frondeurs sous Hollande, recrudescence des Black Block et de la violence
dans les ZAD, motion de censure de membres de la majorité). Le facteur politique est fondamental
dans l’usage de la violence.
Section 2: Les conditionnements contextuels – l’effet de l’environnement direct
La vague anarchiste
La vague anti coloniale
La nouvelle gauche
La vague religieuse (8% des attaques mais 30% des victimes)
-
Secte AUM SHINRIKO (mars 1995 : premier attentat biologique au gaz sarin, métro de Tokyo /
opposé à la société, à la civilisation)
Hezbollah (1982) / Amar el Sadate (1981, début du Jihad, premier pays touché est l’Egypte) // islamonationalisme
Première matrice : professeur Sayid QUTB (1906-1966 ; professeur qui adhère aux Frères
musulmans et contribuera à la radicalisation du mouvement, à cette luette armée du Jihad).
Deuxième matrice : afghane, la « base », Abdallah AZAM.
Premier attentat en Occident : WTC en 1993 (voiture piégée dans un parking) ; puis
attentats des ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie ; Yémen bâtiment militaire ;
11/09/01.
Les premiers modèles analytiques étaient mono-causals.
M. WIEVIORKA, Sociétés et terrorisme : modèle explicatif par l’inversion ou la distanciation du terrorisme.
Le terrorisme sert avant tout à signifier une perte de sens. Autrement dit, le terrorisme n’est pas une
radicalisation de la lutte mais une rupture avec la lutte de référence, similaire à une déviance. Détachement
d’avec le mouvement social d’origine. Guerre civile en Algérie ; GIA dénoncé par des groupes islamistes
internationaux.
Années 2000 :
G. KEPEL, Jihad. Expansion et déclin de l’islamisme ; O. ROY, « Révolution post-islamiste »
Constat de l’échec d’un État islamique. L’Iran n’a essaimé. Plus tard, le terrorisme serait donc le résultat de
cet échec.
28
Analyse des comportements politiques
Plusieurs limites de ces analyses. Plusieurs spécialistes des mouvements sociaux avant un ancrage social et
remettent en cause ces modèles mono-causals.
§2 : Les nouveaux questionnements après le 11 septembre
A. Le statut ambivalent de l’ « idéologie » : attitude, opinions, radicalité. L’extrémisme et
l’endoctrinement constituent le sous-bassement du comportement violent et le favorisent.
- L’enquête « radicalité politique » : « une mise en perspective »
D. GALLAND et A. MUXEL, La tentation radicale, 2018
6 000 lycéens de banlieues.
o
o
o
-
La nature de la religion exerce un effet massif sur l’orientation fondamentaliste (absolutiste) :
les jeunes musulmans ont une plus forte propension au fondamentalisme (1/3 d’entre eux).
Les facteurs socio-économiques ne jouent pas ; les autres religions pas autant ; ni la structure
familiale.
L’acceptation de la violence au service de la religion est la plus forte chez les jeunes
musulmans : 1/5 ou 13% ??.
Surreprésentation de fondamentalistes qui acceptent l’usage de la violence chez les
musulmans.
DATENREPORT en Allemagne (2016) tend à corroborer cette étude.
Néanmoins, limites de l’enquête française :
-
Questions orientées, très ciblées.
Protocole par sondage (bien qu’en présence) : les réponses correspondent à des opinions et non à des
attitudes. Bravache : se rebeller contre une enquête menée par un ministère.
Dissociation nécessaire entre extrémisme et violence politique
Extrémisme : acceptation de normes déviantes en opposition avec les normes communes de la société.
Pas politique pour autant ni nécessairement violents (ex. : Hikkimori, personnes vivants reclus au Japon).
Radicalité : idée qui suppose la justification ou l’usage de la violence.
La radicalisation en valeur : justifie l’usage de la violence / La radicalité de rupture : use de la violence.
Il n’y a pas de liens directs entre extrémisme, radicalisme en valeur et usage de la violence.
Des travaux récents en France montrent que des territoires où la religion est importante ne présentent pas
particulièrement de terrorisme. Structure familiale rigide empêche le passage à la violence. Autrement dit,
fondamentalisme prévient le terrorisme.
Par exemple, fermer des mosquées orthodoxes prônant uniquement la radicalité en valeur, le
fondamentalisme en lui-même, serait inutile.
B. Le modèle des formes d’action d’un « nouveau terrorisme »
29
Analyse des comportements politiques
L’on peut relativiser la dimension hiérarchique du modèle Basque (terrorisme ancien) ; l’on y trouve déjà
une organisation en réseau. Dans les années 2000, l’on se rend compte qu’Al-Qaïda est une organisation
très structurée qui s’accompagne d’une décentralisation très forte dans ses modes d’action. D’un point de
vue organisationnel, le nouveau terrorisme n’est pas nouveau.
La dimension solitaire du nouveau terrorisme. Cette notion vient des milieux d’extrême-droite anticommunistes dans les années 1960 aux États-Unis. La notion de loup solitaire fait référence à l’incapacité
des groupes terroristes à obtenir un soutien de masse. De manière stratégique, il faut donc mettre en place
une cellule. La tactique du loup solitaire est fondée sur la capacité des pouvoirs publics à infiltrer les
groupes terroristes. Par exemple, Oklahoma city 1995 et Anders Breivik juillet 2011, Mohamed Merah en
2012.
Louis BEAM, La résistance sans chef : avance l’auto-radicalisation. Or, les études s’accordent ensuite à
dire que le terrorisme et la radicalisation sont collectifs. La lecture du loup solitaire met excessivement
l’accent sur la rupture, comme si le passage à la violence était soudain et immédiat. Rapport de la Fondation
Jean-Jaurès (attentats projetés et réussis en France de 2014 à 2018) : 2/3 des acteurs impliqués l’ont été
dans une logique collective.
L’usage d’Internet des réseaux sociaux ne conduisent pas, seuls, à l’auto-radicalisation. Si ce n’est pas un
facteur, isolé, déterminant, il doit être pris en compte. Rapport de la Fondation Jean-Jaurès montre que le
site Internet a joué un rôle significatif : 4 000 inscrits sur le site Ansar Alhaqq. Internet permet d’établir
des contacts et a joué, comme l’indique le rapport, dans 37 % des cas (premier). C’est toutefois de manière
subsidiaire qu’il intervient : il existe toujours des contacts directs avec un milieu physique (famille, prison),
qui sont davantage prédictifs du passage à la radicalisation. Rapport Rand Corporation Europe 2013 : 15
cas au Royaume-Uni et aucune auto-radicalisation pure via Internet.
C. Le statut du religieux
La violence actuelle des jeunes radicalisés est, selon certains auteurs, avant tout fondé sur un rapport à leur
vécu. Ils s’inscriraient dans une logique d’échappatoire, un processus d’ « escapisme ». O. Roy parle
« d’islamisation de la radicalité ». Il s’agirait avant tout d’un mouvement anti-impérialiste, anti-occidental.
L’idéal trouvé dans les années 70 est l’extrême gauche et aujourd’hui par l’islamisation.
Le terrorisme islamiste s’apparente à un « fait social total » (F. Khosrokhavar). Ce « fait social total »
correspond à l’inscription du phénomène dans un contexte social, économique, anthropologique.
30
Analyse des comportements politiques
CHAPITRE 2. Les transformations de la participation citoyenne
Propos introductif : qu’est-ce que la participation politique ?
Plusieurs biais :

Biais normatif : l’on met en exergue un degré d’investissement dans la vie de la cité. L’on pointerait
du doigt ceux qui participent le moins.
L. MILBRATH, Political Participation, 1965
7 degrés : citoyens apathiques (7) et citoyens passifs, qui se bornent à voter (6).
Le citoyen actif comme bon citoyen. Thucydide citant Périclès.

Biais essentialiste : participer signifie « prendre part ». Il existe différents seuils : recevoir des
informations politiques, converser, s’engager, etc. L’on peut distinguer la pratique politique de
La pratique politique
« L’ensemble des activités qui mettent en contact les gouvernés et les gouvernants ».
La participation politique
« L’ensemble des activités par lesquelles les individus, seuls ou collectivement, visent à influer sur le
système politique ».

Biais évaluatif :
Echelle de participation autour de trois dispositifs : s’informer via les médias ; être inscrits sur les
listes ; voter régulièrement. Il s’agirait-là du citoyen actif selon de nombreuses enquête jusqu’aux
années 2000. Un citoyen sur deux correspond à ce modèle. L’on se démobilise plus que l’on ne
participe.
Or, mutation de ces enjeux dans le cadre de la démocratie collaborative.
La conception traditionnelle de la participation politique s’est modifiée. Elle n’est plus orientée par les élites.
Leçon 4 : Les conditions d’une nouvelle citoyenneté.
Section 1. La nouvelle norme d’abstention intermittente
§1. Données générales : l’enracinement de l’abstention intermittent
Taux de participation : nombre de votants par rapport au nombre d’inscrits sur les listes. Ce taux néglige donc
l’électoral potentiel, à savoir ceux qui ne se sont pas inscrits sur les listes. Il faut donc tenir compte à la fois
des abstentionnistes et des non-inscrits.
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Analyse des comportements politiques
Durant longtemps, la science politique s’est peu intéressée à ces non-inscrits. Dans certaines ZUS (zones
urbaines sensibles) il y a 25 % de non-inscrits. D’ailleurs, aux E.-U. les non-inscrits font partie du taux
d’abstention.
Ce phénomène d’abstention est de 23 % de 1958 à 1988. Après 1988 jusqu’à aujourd’hui, c’est 35 %. Le record
d’abstention est de 59 % lors des élections européennes de 2009. Lors de l’élection présidentielle de 2017 :
25 % d’abstention. Dans 6 élections sur 10, le taux d’abstention a baissé au second tour : remobilisation dans
le cadre d’un vote décisionnel.
Il n’y a pas de crise généralisée du rapport à vote. En 2017, sur les quatre tours, 90 % se sont déplacés à au
moins un tour. La norme devient l’abstentionnisme intermittent. D’abord les électeurs votent moins à
l’ensemble des tours que par le passé : déclin du votant constant (moins d’1 votant/2). Autre phénomène
important : la dépréciation de l’élection législative.
Chut du votant constant quelles que soient les tranches d’âge et la diplomation des individus.
§2 Enjeu : la norme de l’abstentionnisme intermittent remet-elle en cause les facteurs discriminants (âge,
diplôme, socio-éco) de la participation électorale ?
L’abstention étant généralisée, l’on assiste à une transversalisation de l’abstention.
La diffusion de l’abstentionnisme intermittent conduit à une accentuation des inégalités entre les populations
vis-à-vis du vote.
§3 L’analyse contextualisé du vote
Certains facteurs favorisent le vote tandis que d’autre non.
1. L’importance des mécanismes administratifs : l’inscription
a. Modèle universel : peu ou pas de contraintes : inscription d’office/
b. Modèle volontaire souple : voter quelques jours avant voire le jour-même (diffusé aux E.-U.
depuis 2004)
c. Modèle volontaire contraignant : démarche produit une barrière au vote. La mal-inscription. Des
populations sont amenées à moins voter, car il faut se déplacer (ex. : Grenoble : 20 % de malinscrits / Saint-Denis 25 %).
En 2012 : 6 millions de personnes (d’abord : étudiants, qui étudient dans une commune différent ;
salariés comme routiers ou représentants de commerces ; catégories populaires qui habitent
toujours dans la même commune qui se sont déplacés et n’ont pas changé de bureau de vote ; les
jeunes.
Enjeu important : les bien-inscrits sont les votants constants. La mal-inscription conduit donc à
une abstention structurelle et non pas intermittente.
Réforme de 1997. Trois lois de 2016 : répertoire électoral unique. Avant il fallait être inscrit au 31
décembre avant l’année du vote.
2. Effet d’entourage du vote
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Analyse des comportements politiques
a. Logique familiale : les gens votent en couple (depuis 1945 en France). L’on se rend à deux au
bureau de vote et le fait de vivre à deux incitent à se rendre aux urnes. Le statut marital importe
peu ; c’est le fait d’être en couple qui compte. Différence nette avec les célibataires.
Effet d’entraînement en cas d’enfants majeurs. Le célibat a tendance à être une barrière au vote.
b. Environnement de résidence : les citoyens des villes se mobilisent moins que les citoyens des
campagnes. Jusqu’en 2017, l’on disait que les élections municipales mobilisent le plus, après
l’élection présidentielle. En réalité, cette mobilisation lors des élections municipales est marquée
par des disparités. Plus de 70 % d’abstention à Nice et St-Etienne. Dans les petites communes, il
existe une forme de pression sociale qui conduit les citoyens à se déplacer (listes d’émargements,
l’on se connaît les uns les autres).
c. Le degré d’intégration sociale : plus on est intégré à la société (d’un point de vue familial, social,
professionnel), plus l’on se rend aux urnes. Les chômeurs, les jeunes (transition d’un statut à un
autre, insertion politique et professionnelle progressives) et les femmes votent moins.
d. Effet de genre : les femmes votent moins que les hommes : écart d’environ 10 points jusqu’au
années 70. Cela dit, l’on observe une normalisation de la pratique de vote : l’effet de genre ne joue
plus dans la période récente. EP de 2012 et 2017 : taux de participation et abstention similaires
H/F au premier tour. Ce n’est bien entendu pas la dimension biologique mais l’intégration sociale
des femmes qui est en cause. L’insertion des femmes dans la vie active a modifié les choses. Dans
la période récente, 2/3 des femmes ont ou sont à la recherche d’un emploi. L’accession des femmes
aux diplômes : depuis 30 ans, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à l’université.
Pour la première fois, lors des élections municipales de 2020, l’on retrouve un écart net
d’abstention entre H/F (50 %/60 %) : écart de 10 points comme dans les années 1950-60. Dans les
enquêtes, la raison invoquée est à 55 % la Covid-19.
La désaffection à l’égard du vote est donc avant tout un enjeu social et non politique. Concernant
les élections législatives, elles deviennent subsidiaires car couplées à l’élection présidentielle
(« élection à quatre tours »). L’élection présidentielle mobilise en raison de sa dimension
personnelle et de l’intensité des campagnes électorales.
§4. Abstentionnisme intermittent face à la pratique du vote blanc
Le vote blanc est avant tout perçu comme une expression politique ou publique. Il relève de pratiques
différentiées.
Juridiquement, le vote blanc c’est le fait de placer un papier blanc ou vierge mais aussi de ne pas placer de
bulletin dans l’urne. L’on distingue cette partie de l’usage des votes dits nuls, considérés comme erronés.
Historiquement, les votes blancs et nuls ont été traités ensemble, ce qui reflète une volonté de déligitimisation
du vote blanc. Depuis 2014, les votes blancs sont comptés à part entière. Les résultats électoraux n’en tiennent
pas compte. Lors des deux dernières élections présidentielles, les PdR ont en réalité élus à la majorité relative :
bulletins blancs et nuls. L’absence de reconnaissance totale du vote blanc conduirait à relativiser la légitimité
du PdR. Enfin, de nombreux électeurs souhaitent voter blanc mais font en fait un vote nul.
Hirschmann : Exit, Voice, Loyalty. Vise à expliquer l’insatisfaction dans une organisation.
Norme civique (allégeance) ; norme sociologique (défection) ; norme participative (voice expression)
Concernant le processus électoral, le vote blanc correspondrait à la loyauté. Par loyauté, l’on se déplace et vote
(« norme civique »), mais l’on s’abstient de choisir. Dans les campagnes, il s’agira d’un devoir civique, qualifié
en science politique d’ « abstention cachée » (cf. supra). Le vote blanc est toujours supérieur au second tour.
Les consignes de vote jouent aussi sur ce genre d’action. Un cas significatif, à savoir le référendum sur la
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Analyse des comportements politiques
réforme du Sénat en 2000 : Chasse, pêche, nature et tradition, très implanté dans le Nord et dans le Sud-Ouest
a émis une consigne de vote favorable au vote blanc, qui a était suivie.
Les électeurs indécis et insatisfaits de l’offre électorale votent blanc au premier tour comme au second tour.
Ils n’ont pas vraiment de considération du politique. Effet de distanciation.
Section 2. L’avènement de la démocratie participative comme nouveau mode d’encadrement de la
participation citoyenne
Le point de départ est la distanciation vis-à-vis du politique et des politiques. Transparency International, en
2014, a établi une enquête sur la perception de la corruption.
§1. Le développement de la « démocratie discursive »
Défiance vis-à-vis des représentants. L’on essaie de récuser cette option entre le profane et le professionnel.
Dominique Memmi « participation discursive ».
Il existe des régimes de partage (ex. : RTL « Vous avez la parole »). L’importance du témoignage et du vécu
dans l’expression publique. Les régimes d’opinion, quant à eux, sont individuels et prolongés par Twitter.
De 1958 à 1995
Dans les années 1960, des citoyens lambda interrogent des ministres (des gouvernants). Dans les années 1970,
un échantillon de personnes interroge les responsables politiques dans le cadre de débats. Ces échantillons ne
visent pas la représentation mais la polémique. À partir des années 1980, des questionnements formulés par
des non-journalistes émergent. L’émission Face à France présente un panel, censés être représentatif, de
citoyens qui interrogent les personnalités politiques et ce à intervalles réguliers. L’émission est arrêtée, car elle
coûte chère et les citoyens ordinaires deviennent des célébrités. Dans les années 2000 : les gouvernants
choisissent d’être interrogés par des citoyens plutôt que par des gouvernants, notamment Jacques Chirac à
l’occasion du Traité établissant une constitution pour l’Europe devant des étudiants. Ségolène Royal tient la
main d’une femme handicapée. Démocratie discursive et expressive.
Il y a un encadrement significatif de ces dispositifs. Les citoyens sont minutieusement sélectionnés ainsi que
les thématiques. La parole n’est ni libre ni spontanée. La démocratie discursive serait donc une démocratie
instrumentale.
§2. La promotion du modèle de « démocratie procédurale »
Logique de patience civique. L’on attend la prochaine élection pour contester le pouvoir en place. La légitimité
d’une décision ne repose plus sur le fait qu’elle a été décidée par des représentants élus. Une décision est
légitime si des citoyens ont pu y participer.
Les traités européens prévoient des procédés de démocratie participative. Consultations en ligne. La
démocratie participative est reconnue au plus haut de la hiérarchie des normes.
Trajectoire historiques
Notion émerge aux E.-U. dans les années 1960. Students for a democratic society (SDS). Carole Pateman,
Participation and Democratic Theory. Vision prônée notamment dans l’entreprise et dans la famille. Ces
auteurs ne la concevait pas un substitut mais comme un complément. S’ajoute aussi la démocratie locale plus
tard.
Le cas français : les phases d’inscription et de consécration juridique des dispositifs.
- Les prémices : loi Bouchardeau relative à l’enquête publique et à l’environnement de 1983. Ce
dispositif d’enquête publique bascule de l’Etat de droit à la démocratie participative. Elle est utilisée
pour organiser la relation entre l’Etat et ses administrés. L’on dépasse l’information du citoyen pour
recueillir ses doléances.
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Analyse des comportements politiques
-
Années 1990 1er cycle législatif : instauration des grands principes. Lois consacrant la participation et
ancrées dans la démocratie locale : Loi d’orientation de la ville, Loi relative à l’administration
territoriale de la République, Loi Barnier de 1995 instaurant le principe de participation.
-
Années 2000 : des mesures plus contraignantes. Loi relative à la démocratie de proximité de février
2002. Loi relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’art. 7 de la Charte
de l’environnement (décembre 2012).
-
Milieu des années 2010 ; introduction de la démocratie participative au parlement.
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Volet : des contributions à la fabrique de la loi
 1ère consultation citoyenne du parlement (PPL loi de fin de vie, enjeux éthiques et
importants)
 Instauration d’une procédure de codécision (P Loi pour une République numérique
en 2016)
 Consultation évaluative (2016)
Second volet : contribution aux divers travaux du parlement (dépôt de « contributions »)
Dernier volet : le « parlement hors les murs ». Réunions organisés par les députés dans leur
circonscription.
La nature des dispositifs : un modèle ambivalent
Rôle exact des citoyens : codécision ou consultation ? Majoritairement consultation. Budgets participatifs dans
les communes.
Clivage politique ? La démocratie participative a-t-elle une couleur politique ? Vient de la gauche mais a été
aussi soutenue par les transformations de la gestion publique : New public management. L’OCDE et la Banque
mondiale la promeuvent. Elle sert au bon développement économique.
L’on assiste à une dépolitisation de la démocratie participative, qui est acceptée à droite.
Dimension instrumentale : utilisée par les gouvernements dans les années 1980-90 pour limiter les
contestations sociales. Il s’agirait d’une « concession procédurale ».
La démocratie participative conduit à une concurrence entre différents acteurs et donc à des tensions. D’abord,
concurrence issue de la légitimité des acteurs : simples citoyens et groupes représentatifs, citoyen et syndicat
national majoritaire, notamment dans le cas des consultations (même remplissage en ligne pour formuler ses
doléances). Le Grenelle de l’environnement regroupait : ONG, syndicats, etc. mais pas de parlementaires ! La
fabrique de la loi ne serait donc plus qu’une ratification d’une décision déjà prise. Il existe aussi des risques
d’entrisme : groupes d’intérêt visent à instrumentaliser les discussions. Concernant les projets éthiques, des
associations religieuses ou ayant des positions tranchées s’immiscent dans ces discussions comme citoyens
ordinaires. Les entreprises aussi cherchent à y participer, comme l’industrie du tabac au niveau du tabac, qui
a essayé de lancer via les ICE des réformes relatives à la législation européenne.
La démocratie délibérative :
La discussion a été légitimée, s’il y a eu un débat, une argumentation. Elle va au-delà de la participation
individuelle. Il faut qu’il y ait un échange d’arguments qui ajoute une plus-value à la discussion. Habermas
considère que la démocratie représentative doit se diluer dans la démocratie délibérative.
Le « jury de citoyen », inventé en 1974 par Ned Crosby aux E.-U.
Les « conférences de consensus » sont européennes (Danemark) et sont assez similaires aux jurys de citoyens.
Il a été utilisé en France dans les années 2000, notamment sur les OGM et le changement climatique, souvent
avant l’adoption d’une loi. L’on retrouve un comité de pilotage, des profanes formés et confrontés à des experts
avant une grande délibération.
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Analyse des comportements politiques
Les sondages délibératifs, inventés par James Fishkin, visent à créer un échantillon représentatif à sonder sur
des grandes thématiques après qu’il a été formé par des experts à la suite de plusieurs séances de travail. Il est
prescriptif. D’abord utilisé au Royaume-Uni dans les années 1990, notamment sur les questions de violence.
Ont-elles changé d’opinion après avoir discuté ? Oui, ils modifient leurs opinions : amoindrit les positions qui
ne sont pas extrêmes. Craintes d’instrumentalisation.
§3. La diffusion du modèle de la « démocratie de surveillance »
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