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Madama Butterfly-Essai de Benoit Groulx-p0217380

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MADAME BUTTERFLY - OPÉRA EN TROIS ACTES
DES SOURCES LITTÉRAIRE AU LIVRET
BENOIT GROULX – PLU61241-A-A19
© C.d Weldon
L’opéra est en soi un art complet en ce qu’il se compare à une croisée des chemins où se rencontrent
plusieurs moyens d’expression artistiques; l’art vocal bien entendu mais aussi l’art visuel et
scénographique en général avec tout ce que celle-ci englobe, des jeux d’ombre et de lumière
jusqu’aux costumes, accessoires et mobiliers qui meublent la scène. Il y a aussi l’art théâtral et
dramatique à travers le jeu des acteurs et actrices dont les rôles sont ici campés par les chanteurs et
chanteuses. Bien sûr il y a la musique, comme un fil d’Ariane sur lequel tout s’attache et se tisse en
contrepoint sonore. Mais il y a aussi l’art littéraire d’où origine le propos, l’histoire à raconter. Le
compositeur travaillera à partir du livret d’opéra. Ce petit livre est le fruit du travail du librettiste,
qui, dans son travail d’écriture, aura recours à diverses sources qu’il adaptera selon les besoins du
drame opératique. Dans cet essai, je me suis intéressé à l’opéra Madama Butterfly, tout
particulièrement au deuxième acte. En comparant le livret avec les sources littéraires sur lesquelles
il est construit, je veux mettre en lumière comment les librettistes ont parfois réorganisé l’ordre du
temps et des évènements pour cadencer le déroulement de l’opéra sur des rythmes autres
qu’exclusivement du domaine des mots qui s’enchaînent mais aussi subordonnés à des impératifs
musicaux, scéniques et métaphoriques. Je veux aussi souligner comment de légères modifications
quant au choix des mots peuvent être sans conséquences dans un médium tel que le roman mais
peuvent donner à cette croisée des chemins qu’est l’opéra une tangente riche de développements.
Trois textes servent mon propos : Le drame de David Belasco, Madame Butterfly - A tragedy of
Japan monté sur scène en 1900, le livret Madama Butterfly écrit par Luigi Illica et Gioseppe
Giacosa et le roman de Pierre Loti Madame Chrysanthème. Bien que la pièce de Belasco soit
inspirée du roman de John Luther Long, Miss Cherry Blossom of Tokyo écrite en 1895, je ne ferai
pas mention de ce dernier si ce n’est que pour souligner que Belasco n’a préserver de l’histoire de
Luther Long que la seconde partie. En revanche, il a gardé, dans la manière que Butterfly et Suzuki
s’expriment, un niveau d’anglais pidgin. De plus, à l’inverse de Long chez qui il est tenue de croire
à une fin heureuse pour Butterfly, la Butterfly de Belasco deviendra la première d’une longue série
2
d’héroïnes à succomber à une mort tragique1. De plus, je soulignerai pour exprimer des idées
d’ordre musicale quelques extraits de la partition d’orchestre.
L’opéra, comme médium d’expression d’une trame dramatique se jouant dans l’espace-temps,
permet une organisation malléable du temps où l’avant, l’après et le pendant peuvent se juxtaposer
en dehors des conventions temporelles usuelles. Le livret, source directe de cette forme musicale,
est lui-même une adaptation quantique, pourrait-on dire, d’origines autres; soit un roman, soit une
pièce de théâtre, soit tout autre fait politico-historique ayant une possible vie littéraire. L’auteur du
livret, le librettiste, en collaboration ou non avec le compositeur, pourra ré organiser l’ordre du
temps proposé dans l’histoire source. Il pourra aussi fabriquer de toute pièce des évènements
complémentaires au textes d’origine. Il le fera pour plusieurs raisons; Peut-être est-ce pour créer une
croissance de tension psychologique, peut-être est-ce pour informer l’auditeur d’une situation
nécessitant explication ou bien s’agit-il seulement d’un prétexte au divertissement et à l’exécution
virtuose d’un ténor ou d’une soprano colorature.
L’histoire qui nous occupe ici, est celle d’une jeune femme japonaise, Cho-Cho-San (Madame
Butterfly), de son mari américain, le lieutenant Pinkerton et d’une fin tragique, nous sommes à
l’opéra! Les librettistes, Luigi Illica et Giuseppe Giacosa ont basé l’écriture du livret sur la pièce de
théâtre de David Belasco, Madame Butterfly - A tragedy of Japan. Cette pièce en un acte est ellemême inspiré d’un roman de John Luther Long, Miss Cherry-Blossom of Tôkyô. Une autre source
littéraire a nourri la création du livret, il s’agit du roman de Pierre Loti, Madame Chrysantème.
Mise en musique par Giacomo Puccini, l’Opéra Madama Butterfly fût créé le 17 février 1904 à la
Scala de Milan.
1
Boyd, Melinda., A Vision of the Orient : Texts, Intertexts, and Context of Madame Butterfly. Canada : University of
Toronto Press, 2006. 304p.
3
Le drame en un acte tel qu’écrit par Belasco commence avec la scène de la vigile de Butterfly qui
attend patiemment le retour de Pinkerton après trois ans d’absence. Cette scène correspond dans
l’opéra de Puccini à la scène I du deuxième acte. D’entrée de jeu, le continuum du temps est
réorganisé dans l’opéra, ce dernier débutant par la mise en scène du mariage de nos deux
protagonistes, scène qui par ailleurs est absente de l’œuvre de Belasco mais dont les traces se
trouvent dans le roman de Pierre Loti.
Au milieu du grimoire officiel, on m’a fait écrire en français mes nom, prénoms et qualités. Et puis on m’a
remis un papier de riz très extraordinaire, qui était la permission à moi accordée par les autorités civiles de
l’île de Kiu-Siu, d’habiter dans une maison située au faubourg de Diou-djen-dji, avec une personne appelée
Chrysanthème ; permission valable, sous la protection de la police, pendant toute la durée de mon séjour au
Japon. Le soir, par exemple, dans notre quartier là-haut, c’est redevenu très gentil, notre petit mariage : un
cortège aux lanternes, un thé de gala, un peu de musique... Il était nécessaire, en vérité 2.
Revenons pour l’instant à cette levée de rideaux du deuxième acte. La musique fait entendre des
entrées imitatives entre les différents groupes instrumentaux ainsi que des fragments mélodiques
énonçant la gamme par tons, typique des cultures asiatiques. Trois sons de clochettes se feront
entendre. Ajoutée à la mise en scène, cet univers sonore nous situe dans un espace singulier et
donne à la scène le caractère exigé par ce moment de recueillement à la japonaise. (Annexe ex. 1)
Suzuki, la servante de Butterfly prie. Les deux vont argumenter sur le retour de Pinkerton au Japon.
Suzuki le croit improbable, ce qui met en colère Butterfly qui cite Pinkerton pour justifier son acte
de foi :
DRAME (Belasco)3
OPÉRA (2ième acte)4
Butterfly.“ I goin back to my country and here’s O Butterfly, piccina mogliettina, tornerò colla
moaney - an’ don’ worry ‘bout me – I come back rose ala stagion serena quando fa la nidiata il
w’en ‘Robins nes’ again!’”
pettirosso.
2
3
4
Loti, Pierre., Madame Chrysanthème. Frances : Bibebook, 1887. 196p.
Belasco, David., Madame Butterfly, A tragedy of Japan. USA : Little, Brown, and Company, 1928. 21p.
Giacosa, Giuseppe., Illica, Luigi., Madama Butterfly, CAN : Les Presses de l’Université de Montréal, 1978. 177p.
4
Cet élément est important car il marque d’une part le temps psychologique à travers l’ennuie de
Butterfly et d’autre part le temps factuel dont la mesure est exprimée de façon métaphorique avec la
saison de nidification des rouges gorges. Ce thème ornithologique sera aussi exploité au premier
acte quand Pinkerton demande à l’entremetteur Goro :
«Il nido nuzïal dov’è5»?
La distance physique entre le japon et l’Amérique et par fait même celle psychologique entre
Butterfly et Pinkerton est aussi mise en scène, exacerbée pourrait-on dire, lorsque, au deuxième
acte, Butterfly demande au consul Sharpless:
DRAME (Belasco)
OPÉRA (2ième acte)
I goin’ as’ you a liddle question.
Sharpless. Well?
Butterfly. You know ‘bout birds in those your
country?...
Now, what you know ‘bout jus’ robins?
Sharpless. What?
Butterfly. ‘bout when do they nes’ again?
Me, I thing it mus’ be mor’ early in America,
accoun’ they nestin’ here now.
Potrei farvi una domanda?
Certo
Quando fanno il lor nido in America
I pettirossi
Sì…prima o dopo di qui?
…Qui l’ha rifatte per tre volte,
ma può darsi che di là usi
ridiar men spesso…
Si l’exemple précédent illustre le pouvoir métaphorique qu’ont les mots, il en est de même de la
musique lorsqu’elle illustre directement ces mots choisis pour faire image, ce que fait Puccini avec
l’orchestration de ce passage; Par d’habiles batteries de secondes et de tierces aux cordes et aux
deux flûtes, ajoutées aux pizzicati des premiers violons à l’aigu, il fait à l’instar de ses
contemporains français une musique d’accompagnement impressionniste et théâtrale. (Annexe ex. 2)
Entre ces deux moments du deuxième acte, organisés autour des habitudes de nidification des
rouges gorges, s’insère Un bel dìvedremo. Absent du drame de Belasco, ce texte permet au
compositeur d’écrire un air essentiel au spectacle opératique mais aussi, il permet à l’auditeur
5
Giacosa, Giuseppe., Illica, Luigi., Madama Butterfly, CAN : Les Presses de l’Université de Montréal, 1978. 177p
5
d’expérimenter l’absence de l’officier de marine Pinkerton, absence qui est au cœur de l’univers
psychologique de Butterfly. Le thème marin de cet air nous ancre dans le contexte sous-jacent au
drame et nous rend empathique à la souffrance de Butterfly. Nous voyons à travers ses yeux la mer
annonciatrice et nous entendons dans sa voix le navire qui s’approche.
« Un bel dì,vedremo
Levarsi un fil di fumo
sull’estremo confin del mare
E poi la nave appare…6»
Certains éléments musicaux dont un en particulier m’apparaît intéressant à souligner parce qu’il
renforce l’idée métaphorique du lointain, tant physique que psychologique. Je parle de la manière
avec laquelle Puccini orchestre un passage de cet aria. Il réussit à créer cette sensation de lointain
en utilisant comme doublure de la mélodie de Butterfly; la clarinette basse, la clarintette en si♭ et
la flûte dans son registre pâle. Le timbre composite qui en découle possède cette sonorité un peu
brumeuse, comme le serait un navire qui s’annonce. (Annexe ex. 3)
Revenons au drame de Belasco et ce qui est à l’opéra la continuation de l’acte 2. Nous sommes
toujours chez Butterfly, en présence de Sharpless et Nakodo, (Goro dans l’opéra de Puccini). En bon
entremetteur, ce dernier souhaite arranger un mariage entre Butterfly et le fortuné Yamadori. Au
courant de cet échange, nous apprenons que suite à son mariage avec Pinkerton, Butterfly a été
bannie par sa famille.
DRAME
Sharpless. Madame Butterfy; may I ask – erWhere are your people?
Nakodo: They have outcasted her!
6
OPÉRA
…
Bonzo. Venite tutti. Andiamo!
Ci hai rinnegato e noi…
Yakuside - Bonzo (coro). Ti rinneghiamo!
Giacosa, Giuseppe., Illica, Luigi., Madama Butterfly, CAN : Les Presses de l’Université de Montréal, 1978. 177p.
6
C’est au premier acte de l’opéra que nous serons témoin de cela, lors de la cérémonie de mariage.
Scène absente dans le drame de Belasco, Puccini en fera un moment de tensions croissantes en
intensité. Au chiffre de répétition 100 de la partition d’orchestre on entend le chœur qui clame: «Da
me!» Trois mesures plus tard, se font entendre deux coups de Tam-Tam, comme s’ils sonnaient
avant son heure le glas de Butterfly. À cela s’ajoute le chant de Bonzo, lui aussi sans appel : «CioCio-san!, Cio-Cio-san!, abbominazione!7» J’aimerais faire un lien formel entre ces coups de Tam-Tam,
les sons de clochettes de prière précédemment citées lors de la vigil de Butterfly et de ce qui viendra
à la fin de l’acte 2, la semonce de canon du port annonçant l’arrivée du navire de guerre. Je pense
que ces éléments sonores en plus de baliser le temps, marquent le destin de Butterfly, comme si, à
chaque fois, un verdict était prononcé.
Puisque nous sommes au premier acte, j’aimerais soulever un autre élément absent du drame de
Belasco mais qui a été développé par les librettistes Luigi Illica et Giuseppe Giacosa et exploité au
tout début de l’opéra. Je parle de la visite de la maison de Butterfly que fait Pinkerton lors des
préparatifs du mariage. Je cite ici un passage du roman de Pierre Loti qui a trouvé écho dans le
livret d’opéra.
La maison est bien telle que je l’avais entrevue dans mes projets de Japon, avant l’arrivée, durant les nuits de
quart: haut perchée, dans un faubourg paisible, au milieu des jardins verts; — elle est toute en panneaux de
papier, et se démonte, quand on veut, comme un jouet d’enfant8.
Nous sommes au chiffre de répétition 5 de la partition d’orchestre, Goro fait visiter à Pinkerton la
maison de Butterfly dont les espaces sont malléables au besoin:
Pinkerton «E soffitto…e pareti…»
Goro. «Vanno e vengono a prova
a norma che vi giova
nello stesso locale alternar
nuovi aspetti ai consueti9.»
7
8
9
Puccini, Giacomo., Milano : Casa Ricordi, éd.1999. 483p.
Loti, Pierre., Madame Chrysanthème. Frances : Bibebook, 1887. 196p.
Giacosa, Giuseppe., Illica, Luigi., Madama Butterfly, CAN : Les Presses de l’Université de Montréal, 1978. 177p.
7
La description de celle-ci, à la manière d’une liste, est pour Puccini un terrain fertile de matériau
musical. Il intercale entre les interventions de Pinkerton et Goro des motifs de sa fugue d’ouverture,
à la manière de strettes. Les librettistes font souvent usage de ce truc d’écriture qui consiste à
énumérer, à la manière d’une liste, des choses, des lieux ou tout autre chose. Cette manière de faire
pourrait être lourde et redondante dans un texte littéraire mais elle s’avère précieuse pour le
développement d’idées musicales à l’opéra. Nous en verrons un autre exemple plus loin, lorsque
Butterfly et Suzuki chantent le Duo des fleurs.
J’aimerais revenir au drame de Belasco et soulever un autre élément ayant trouvé dans le livret et
l’opéra un positionnement différent dans le déroulement chronologique. Nous sommes chez
Butterfly en compagnie de ses invités : le prince Yamadori, Nikodo (Goro) et Sharpless. La
discussion sur les oiseaux a eu lieu. Maintenant, la conversations a trait aux intentions avouées et
insistantes de Yamadori a marier Butterfly : «a japanese marriage!10» Dans cet échange sont
comparées certaines règles relatives au mariage et au divorce qu’il s’agisse soit d’un contrat à
l’américaine, soit d’un mariage à la japonaise. Puis, dans une intervention tout à fait hors propos,
Butterfly dit:
DRAME (Belasco)
Butterfly. Tha’s ver’ nize, too, that ‘Merican God.
Sharpless. I beg you pardon?
Butterfly. Once time, Lef-ten-ant B.F. Pinkerton
Yamadori (to Sharpless). Pinkerton again!
Butterfly. He’s in great troubles, an’s he said
“ God he’p me’’ ; an’ sunshine came right out-and God he did!
Tha’s ver’ quick-Japenese gods take more time. Aevery-thing quick
in America.
Cette allusion aux divinités est recadrée au début du deuxième acte à l’opéra, lorsque Suzuki et
Butterfly sont seules dans la pièce, avant l’entrée en scène de Sharpless et des autres. Suzuki prie les
Dieux japonais.
10
Belasco, David., Madame Butterfly, A tragedy of Japan. USA : Little, Brown, and Company, 1928. 21p.
8
Opéra
Zuzuki. Ten Sjoodaj fate che
Butterfly non pianga più,
mai più,…mai più!...
Butterfly. Pigri ed obesi son gli Dei Giapponesi.
L’americano Iddio, son persuasa…ben più.
Presto risponde a chi l’implori.
En repositionnant ce commentaire philosophique sur les Dieux japonais et américains, les
librettistes et le compositeur mettent à profit l’ambiance de prière déjà installée et soulignée
précédemment. Dans le drame tel qu’écrit par Belasco, la juxtaposition d’une part de la différence
entre les Dieux japonais et américains et d’autre part de celle entre le mariage/divorce à la
japonaise ou à l’américaine met en relief, voir même en opposition le sacré et le profane,
l’engagement et l’abandon. C’est à mon avis la signification profonde de cet opéra.
Revenons pour l’instant à ce moment où Yamadori prend congé de son hôte. Il le fait de façon
ironique dans le texte de Belasco : «I leave you to-day. To-morrow the gods may prompt you to listen to
me!11» Bien que les librettistes n’aient pas inclus l’élément religieux dans la discussion entre
Butterfly, Yamadori, Goro et Sharpless, ils ont conservé, avec une légère modification, la sortie de
scène de Yamadori, créant ainsi un lien thématique et une certaine conclusion à la scène de prière en
levée de rideau :
Opéra
Yamadori. «Addio. Vi lascio
il cor pien di cordoglio
ma spero ancor…12»
La scène qui suit le départ de Yamadori nous fait découvrir le contenu de la lettre de Pinkerton
adressée à Butterfly. Il y a plusieurs petites différences entre le texte de Belasco et celui du livret
d’opéra mais je veux souligner le changement d’un mot en particulier. Lorsque Sharpless demande
à Suzuki ce qu’elle ferait si Pinkerton ne revenait pas, elle répond :
11
12
Belasco, David., Madame Butterfly, A tragedy of Japan. USA : Little, Brown, and Company, 1928. 21p.
Giacosa, Giuseppe., Illica, Luigi., Madama Butterfly, CAN : Les Presses de l’Université de Montréal, 1978. 177p.
9
DRAME
OPÉRA
Sharpless. Madame Butterfy, suppose this waiting
should never end; what would become of you?
Madame Butterfly. Me?, I could dance, mebby,
Ebbene che fareste Madama Butterfly
s’ei non dovesse ritornar più mai!
Due cose potrei far: tornar…a divertir la gente
col cantar…oppur…meglio, morire.
or- die?
Chez Belasco, Butterfly a pour réponse : danser ou mourir. Dans l’opéra de Puccini, elle répond :
chanter ou mourir. Pour les besoins structurels inhérents à l’opéra, il ne pouvait en être autrement
car ce changement permettra à Puccini d’écrire l’air : Che tua madre.
Cet air fait grand usage des gammes par tons entiers et des gammes pentatoniques, toutes deux
typiquement asiatique et représentative de ce que Butterfly serait condamnée à chanter ne fût-ce
qu’elle choisisse cette option. Nous apprenons aussi dans le texte de Belasco et cela est conservé
par Luigi Illica et Gioseppe Giacosa, qu’un enfant est né de l’union entre Pinkerton et Butterfly.
Puccini opposera à la sonorité asiatique ci-haut mentionnée l’hymne national Américain, comme il
le fait à différents endroits de l’opéra. Ici, la musique anticipe la réponse qui sera donnée à
Sharpless lorsqu’il demandera à Butterfly : «Egli è suo?13» mais elle reviens aussi sur l’implication
morale de la paternité, qu’elle soit vécue aux États-Unis ou dans une société orientale. Si la musique
nous guide sur le lien filial du petit enfant, Butterfly répond directement à Sharpless différemment
selon que nous sommes dans le drame de Belasco ou dans l’opéra de Puccini.
DRAME
OPÉRA
Sharpless. A child…Pinkerton’s?...
Madame Butterfly. (Showing a picture of
Pinkerton’s). Look! Look! (Holding it up beside the
chil’s face.)
Tha’s jus’ his face, same hair, same blue eyes.
Egli è suo?
Chi vide mai a bimbo del Giappon occhi azzurrini?
E il labbro? E i ricciolini
d’oro pur?
À l’opéra, les traits américains de l’enfant, poétiquement énoncés seront l’occasion d’un duo entre
Butterfly et Sharpless. Ces traits caractéristiques et singulier trouvent ainsi un parallèle dans la
musique, elle-même teintée d’orientalisme ou d’américanisme.
13
Giacosa, Giuseppe., Illica, Luigi., Madama Butterfly, CAN : Les Presses de l’Université de Montréal, 1978. 177p
10
Puis vient le moment où Sharpless demande à l’enfant comment il s’appelle. Ici aussi il y a une
légère différence entre les deux textes
DRAME
OPÉRA
Sharpless. (Shaking hands with the child.) Hm…hm
what’s your name?
Come ti chiamano?
Le «comment t’appellent-ils?» à l’opéra permet à Butterfly de prendre le relais pour répondre :
«Oggi il moi nome è Dolore. Però dite al babbo, scrivendogli che il giorno del suo ritorno Gioia, Gioia mi
chiamerò14.» pour nous donner une fois encore un moment musical et vocal fort en émotions.
S’ensuivra une escarmouche avec Goro, puis retentira le canon du port : « Une nave da guerra!»
Le nom de ce navire est différent, qu’il s’agisse du drame de Belasco ou de l’opéra de Puccini. Chez
le premier, le navire battant pavillon Américain se nomme Connecticut, chez le deuxième il se
nomme Abraham Lincoln. Pourquoi cette différence? Je pense, sans toutefois pouvoir seconder mon
opinion par une autre source, que pour le publique italien à qui était destinée l’opéra, Abraham
Lincoln fait plus écho à la société Américaine alors que pour l’auditoire Américain à qui s’adressait
la pièce de Belasco, Connecticut est du domaine connu.
La scène suivante illustre magnifiquement l’emploie par les librettistes du stratagème consistant à
lister des choses pour donner au compositeur un matériau compositionnel. Ici, les fleurs sont à
l’honneur! Dans le drame de Belasco, Butterfly tout excitée dira :
«Hoarry, Suzuki, his room…We mus’ hoarry-(picking flowers from the pots and decorating the room15.)
Puccini composera pour ce moment quasi anecdotique chez Belasco un superbe duo pour Butterfly
et Suzuki, Le duo des fleurs. Plusieurs seront nommées, comme autant de parfums et de souhaits
exaucés : «Tutto, tutto sia pien di fior, come la notte è di faville…Tutti i fior… tutti. Pesco, viola,
gelsomin…quanto di cespo…» La musique du Duo des Fleurs fera cent quarante-quatre mesures, des
chiffres de répétition 71 à 81, deuxième acte, de la partition d’orchestre16.
14
Giacosa, Giuseppe., Illica, Luigi., Madama Butterfly, CAN : Les Presses de l’Université de Montréal, 1978. 177p
Belasco, David., Madame Butterfly, A tragedy of Japan. USA : Little, Brown, and Company, 1928. 21p.
16
Puccini, Giacomo., Milano : Casa Ricordi, éd.1999. 483p.
15
11
Le passage du deuxième acte au troisième acte se fera au son du sublime chœur chantant à bouche
fermée. Sur scène, Butterfly s’est faite belle, comme au jour de son mariage, et puis commence une
autre vigil…
Si, en introduction, j’ai parlé de l’opéra comme étant la rencontre de plusieurs formes d’arts, l’une
d’entre elle étant littéraire, je soulignais l’apport de cette dernière comme matériau à l’échafaudage
de l’œuvre opératique en tant que tout. J’aurais pu, et c’est ce que je veux faire en conclusion,
insister sur un autre aspect du mot art, c’est-à-dire non pas comme un champ d’expression
particulier mais plutôt comme une qualité du savoir- faire. L’écriture du livret requiert cette qualité
de savoir-faire pour insuffler aux mots une incarnation musicale, un souffle de vie porteur de
mélodies et de rythmes propres à cet édifice qu’est l’opéra. Les librettistes, Luigi Illica et Giuseppe
Giacosa ont su manier les mots et exploiter leur potentiel métaphorique. Dans Madama Butterfly,
deux sociétés se rencontrent et avec elles, les destins entremêlés d’êtres appartenant à des mondes
différents, à des espaces étrangers mais pour qui, l’espace-temps est temporairement libérée de ses
contraintes habituelles, ce que permet l’art opératique.
12
Annexe
Extraits de la partition d’orchestre
Exemple 1
13
Exemple 2
14
Exemple 3
15
Bibliographie
Boyd, Melinda., A Vision of the Orient : Texts, Intertexts, and Context of Madame Butterfly.
Canada : University of Toronto Press, 2006. 304p.
Loti, Pierre., Madame Chrysanthème. Frances : Bibebook, 1887. 196p.
Belasco, David., Madame Butterfly, A tragedy of Japan. USA : Little, Brown, and Company, 1928.
21p.
Giacosa, Giuseppe., Illica, Luigi., Madama Butterfly, CAN : Les Presses de l’Université de
Montréal, 1978. 177p.
Puccini, Giacomo., Milano : Casa Ricordi, éd.1999. 483p.
16
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