dossier Comorbidités et plaies Âge et cicatrisation Hester COLBOC* Dermatologue Sylvie MEAUME Dermatologue Service plaies et cicatrisation. Hôpital Rothschild, AP-HP, 5, rue Santerre, 75012 Paris, France Avec une population vieillissante, les praticiens sont de plus en plus souvent confrontés aux problèmes de cicatrisation chez le patient âgé comportant des spécificités. L’objectif de cet article est d’aborder dans un premier temps, le vieillissement cutané et ses conséquences sur la cicatrisation, puis les troubles de la cicatrisation consécutive au vieillissement cutané et enfin les comorbidités fréquentes dans cette population pouvant entrainer des troubles de la cicatrisation. Du fait de ces spécificités, la cicatrisation chez le sujet âgé est souvent complexe, et doit être pluridisciplinaire pour permettre une prise en charge optimum. © 2018 Publié par Elsevier Masson SAS Mots clés – cicatrisation ; comorbidité ; dénutrition ; dermatoporose ; vieillissement cutané Age and healing. Proportion of elderly individuals in the population has steadily increased worldwide: practitioners are now often confronted to wound healing and its specificities in elderly patients. The objective of this article is to address skin aging and its consequences on skin healing, disorders of skin healing due to dermatoporosis and specific comorbidities of the elderly that can cause wound healing perturbation. Because of these specificities, management of the skin healing in the elderly is often complicated and should therefore be based on collaboration between the dermatologists, the dermatologists and the nurses. © 2018 Published by Elsevier Masson SAS Keywords – comorbiditie; dermatoporosis; malnutrition; skin aging; skin healing L a cicatrisation chez le sujet âgé comporte des spécificités qu’il faut savoir prendre en compte. Avec une population vieillissante, les praticiens sont de plus en plus souvent confrontés aux problèmes de cicatrisation chez le patient âgé et il semble nécessaire de rappeler ses spécificités. Celles-ci sont la conséquence directe du vieillissement cutané, des anomalies liées à l’âge, du processus physiologique de cicatrisation et des facteurs généraux liés en particulier aux comorbidités nombreuses et fréquentes observés chez le sujet âgé. Cliniquement, le vieillissement cutané se manifeste par une xérose, liée à la diminution d’hydratation de la couche cornée, avec une peau de consistance rêche et parfois même rugueuse au toucher (figure 1). Sa fréquence est estimée entre 55 et 75 % chez les sujets de plus de 65 ans [2,3]. Cette xérose est responsable de prurit qu’il convient de prendre en charge, car celui-ci peut limiter la compliance aux pansements et bandes de contention. À cette xérose s’­associe le déclin de la fonction de barrière cutanée, des perceptions sensorielles, des sécrétions sudorales et sébacées et des fonctions immunologiques et de thermorégulation. À l’échelle microscopique, le vieillissement cutané se manifeste par un amincissement de la jonction dermoépidermique et un allongement du temps de renouvellement kératinocytaire. Dans le derme, il est observé *Auteur correspondant. Adresse e-mail : hester.colboc@aphp.fr (H.Colboc) 30 Le vieillissement cutané se traduit par l’apparition au fil des années d’altérations du revêtement cutané, qui perd par conséquent une partie de son rôle physiologique de barrière. Il est la conséquence de facteurs intrinsèques (génétiquement programmés) et extrinsèques. Ces facteurs extrinsèques sont nombreux, et comportent en particulier des facteurs médicamenteux, aggravant la xérose physiologique (les hypolipémiants oraux, l’allopurinol, l’hydroxyurée et la cimétidine) [1], des déficits en acides gras essentiels, vitaminiques (vitamines du groupe B, E, PP, C, A), en zinc, en magnésium ainsi que les états de malnutrition protéino-énergétiques fréquents chez la personne âgée malade et des facteurs environnementaux tels que le tabagisme et l’exposition aux ultraviolets (UV). © 2018 Publié par Elsevier Masson SAS http://dx.doi.org/10.1016/j.refrac.2018.03.007 © S. Meaume Vieillissement cutané et dermatoporose Figure 1. Xérose cutanée : peau rêche, rugueuse au toucher. Revue Francophone de Cicatrisation • n° 2 • avril-juin 2018 • dossier Comorbidités et plaies © S. Meaume Conséquences de l’âge sur les phénomènes de cicatrisation © S. Meaume Figure 2. Perte de l’élasticité de la peau. Figure 3. Fragilité cutanée, déchirure cutanée, et purpura de Bateman. une diminution du nombre de fibroblastes et donc de la densité des fibres collagène, des fibres élastiques et des glycosaminoglycanes, avec amincissement de l’épaisseur dermique. À cette baisse quantitative, s’associe une baisse qualitative des fibres résiduelles avec perte de la trophicité et de l’élasticité de la peau (figure 2). Au cours du vieillissement, on observe ainsi une diminution du caractère hydrophile des glycosaminoglycanes. Ceux-ci étant responsables de l’hydratation du derme, cette modification chimique peut expliquer l’amincissement dermique et la xérose du sujet âgé. Ces changements touchent également la micro-vascularisation dermique, avec amincissement de la paroi vasculaire, pouvant expliquer la tendance aux ecchymoses et purpura (purpura de Batman) (figure 3), typiquement observés chez le sujet âgé. L’ensemble de ces altérations ont bien entendu des conséquences directes sur la cicatrisation, rendant celle-ci plus lente et de moins bonne qualité que chez le sujet jeune. Le vieillissement cutané conduit à l’extrême au phénomène de dermatoporose. Le terme de dermatoporose, par analogie à l’ostéoporose, a été proposé par le professeur Saurat pour définir l’ensemble des manifestations liées au vieillissement cutané entraînant une fragilité et une insuffisance cutanée (figure 3) [4]. Les patients atteints de dermatoporose, présentent, indépendamment d’un retard de cicatrisation, un risque accru de plaies lié à l’atrophie cutanée (déchirures cutanées) (figure 3) et au risque d’hématome disséquant [5]. Revue Francophone de Cicatrisation • n° 2 • avril-juin 2018 • La cicatrisation physiologique comporte trois temps principaux, directement impactés par le vieillissement : le premier temps est celui d’hémostase et d’inflammation, le deuxième correspond à la prolifération cellulaire et le troisième au remodelage tissulaire. Avec l’âge, l’adhérence plaquettaire à l’endothélium endommagé est augmentée, ralentissant la cicatrisation. La réponse inflammatoire locale à la blessure est quant à elle diminuée, suite à une diminution de l’expression des molécules d’adhésion. L’étape de prolifération est également altérée par le ralentissement du renouvellement kératinocytaire évoqué ci-dessus, et également une diminution de la réponse aux facteurs de croissance. Enfin, le remodelage tissulaire, étape finale de la cicatrisation est également altéré chez le sujet âgé du fait d’un déséquilibre entre les métalloprotéinases et leurs inhibiteurs physiologiques, en faveur des métalloprotéinases et donc de la destruction du collagène [6]. Les différentes phases de cicatrisation se trouvent donc altérées par ces phénomènes chez le sujet âgé : diminution de la contraction des berges, de la prolifération cellulaire, de la néovascularisation, retardement de la phase inflammatoire et épithélialisation plus lente [7]. En dehors de ces aspects délétères, la cicatrisation chez le sujet âgé présente certains avantages. Du fait d’une réaction inflammatoire moins importante, on observe rarement des phénomènes de cicatrisation pathologique telle que les cicatrices hypertrophiques et/ou chéloïdes. Par ailleurs, en cas d’exérèse cutanée, notamment pour carcinome, avec perte de substance parfois conséquente, la laxité cutanée du sujet âgé permet en général une suture facile, sans tension, avec résultat esthétique satisfaisant. Cependant, la suture peut être difficile du fait d’un risque de déchirure accrue par la dermatoporose. Cormobidités fréquentes chez le sujet âgé altérant la cicatrisation De nombreuses comorbidités affectant plus particulièrement les sujets âgés altèrent la cicatrisation. FF La dénutrition est un facteur majeur de retard de cicatrisation. Celle-ci est fréquente chez le patient gériatrique, et, associée à l’immobilisation prolongée, entraîne un risque majeur de constitution d’escarre. FF L’insuffisance artérielle, fréquente chez le sujet âgé, en particulier diabétique, retarde la cicatrisation des escarres talonnières et de toutes plaies distales des membres inférieurs. La réalisation d’un Index de pression systolique (IPS) est essentielle devant toute plaie des membres inférieurs, afin d’évaluer l’état vasculaire artériel. En cas d’IPS diminué (inférieur à 0,9), il 31 dossier Références [1] Greist MC, Epinette WW. Cimetidine-induced xerosis and asteatotic dermatitis. Arch Dermatol 1982;118:253–4. [2] Mazereeuw J, Bonafé JL. La xérose. Ann Dermatol Vénéréol 2002;129:137–42. [3] Paul C, Maumus-Robert S, Mazereeuw-Hautier J, Guyen CN, Saudez X, Schmitt AM. Prevalence and risk factors for xerosis in the elderly: a cross-sectional epidemiological study in primary care. Dermatology 2011;223:260–5. [4] Kaya G, Saurat JH. Dermatoporosis: a chronic cutaneous insufficiency/ fragility syndrome. Clinicopathological features, mechanisms, prevention and potential treatments. Dermatology 2007;215:284–94. [5] Kaya G. Dermatoporose : un syndrome émergent. Revue Médicale Suisse 2008;4:1078–82. [6] Quan T, Fisher G. Role of Age-Associated Alterations of the Dermal Extracellular Matrix Microenvironment in Human Skin Aging. Gerontology 2015;61(5):427–34. [7] Sgonc R, Gruber J. Agerelated aspects of cutaneous wound healing: a mini-review. Gerontology 2013;59:159–64. conviendra de réaliser des explorations vasculaires complémentaires, la cicatrisation ne pouvant se faire correctement en cas d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs. FF L’insuffisance veineuse complique souvent la cicatrisation d’une plaie de jambe ou d’une angiodermite. Le clinicien doit systématiquement se poser la question de l’indication de la contention veineuse en cas de plaie des membres inférieurs. FF L’insuffisance cardiaque, responsable d’œdème des zones déclives, mais également rénale et hépatique, limite également souvent la cicatrisation des plaies des membres inférieurs. Les plaies sont alors souvent suintantes, avec une forte tendance à la macération, en particulier de la peau périlésionnelle par saturation des pansements. La prise en charge de la pathologie de fond est alors indispensable, avec déplétion hydro-sodée si besoin, associée à la mise en place de pansement à fort pouvoir absorbant. FF La mise en décharge des plaies du talon ou de l’avant-pied et l’immobilisation par attelle des plaies mettant à nu un tendon est souvent indispensable pour permettre une bonne cicatrisation. Cependant, le bénéfice de la décharge ou de l’immobilisation chez le sujet âgé doit être pondéré par le risque que celles-ci comportent : perte d’autonomie, désadaptation à l’effort, amyotrophie, syndrome de glissement. Par ailleurs, les chaussures de décharge, type Barouk™, entraînent un déséquilibre à la marche et majorent un risque de chute souvent pré-existant chez le sujet âgé. FF Les troubles cognitifs limitent également la prise en charge des plaies chez le sujet âgé. Ils représentent un vrai challenge pour le médecin et le soignant, rendant souvent difficile la réalisation des pansements, une détersion adaptée, et bien sûr le maintien des pansements, le patient dément ayant souvent tendance à les manipuler. FF Les patients âgés sont plus exposés à des traitements pouvant retarder la cicatrisation, en particulier la corticothérapie systémique et les chimiothérapies. Les corticoïdes ralentissent la cicatrisation par leur action anti-inflammatoire et la diminution de la synthèse des fibroblastes. Les chimiothérapies ont un rôle délétère direct sur la cicatrisation en diminuant la migration et la prolifération cellulaire, ainsi que l’angiogenèse. L’hydroxyurée (Hydréa®), utilisée dans les hémopathies chroniques, peut être à l’origine de la constitution d’ulcère mais ralentit également leur cicatrisation (figure 4). © S. Meaume Comorbidités et plaies Figure 4. Ulcère à l’Hydréa® chez une personne âgée traitée pour une thrombocytémie essentielle. FF Du fait du risque hémorragique, les anticoagulants peuvent également retarder la cicatrisation, en rendant plus compliqué notamment la détersion mécanique. FF Enfin, le vieillissement est associé à des troubles hormonaux, en particulier la diminution des taux d’œstrogène et de son précurseur, la déhydroépiandrostérone (DHEA). Or, ces hormones ont un rôle important dans la cicatrisation en favorisant la synthèse de la matrice extra-cellulaire. Conclusion La cicatrisation chez le sujet âgé est influencée par de multiples facteurs. Les troubles de cicatrisation dans cette population ne sont pas vus chez les patients âgés en bonne santé, mais demeurent fréquents et directement liés aux comorbidités habituelles dans cette population, tout particulièrement la dénutrition, l’insuffisance veineuse, l’insuffisance artérielle et la polymédication. Il convient, devant une plaie chez le sujet âgé, d’évaluer particulièrement les facteurs pouvant limiter la cicatrisation et de les prendre en charge. w Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. 32 Revue Francophone de Cicatrisation • n° 2 • avril-juin 2018 •