9:34 Page 1 SAINT-GOBAIN ET LA LAINE DE VERRE HISTOIRE D’UNE RÉUSSITE INTERNATIONALE Des pionniers d’avant-guerre au leader mondial d’aujourd’hui, ce livre retrace l’épopée de la laine de verre chez Saint-Gobain. Une aventure industrielle faite de succès technologiques, de conquête de marchés internationaux mais aussi de périodes de doutes et d’erreurs corrigées. Une histoire d'hommes et de femmes passionnés : ingénieurs, commerciaux, industriels, logisticiens… Ce livre montre aussi combien toute chronique industrielle rencontre nécessairement l’Histoire « tout court », comme le prouve ici l’irruption des guerres mondiales, des crises au Proche et Moyen-Orient ou la chute du Rideau de fer. Aujourd’hui encore, c’est le contexte global du réchauffement climatique qui fixe de nouveaux enjeux prioritaires à l’isolation des bâtiments. HISTOIRE D’UNE RÉUSSITE INTERNATIONALE 2/09/08 SAINT-GOBAIN ET LA LAINE DE VERRE DOCOUV-fr-def:Docouv2 SAINT-GOBAIN ET LA LAINE DE VERRE HISTOIRE D’UNE RÉUSSITE INTERNATIONALE 001-013-STG-11-04 2/09/08 10:05 Page 4 SAINT-GOBAIN ET LA LAINE DE VERRE HISTOIRE D’UNE RÉUSSITE INTERNATIONALE 001-013-STG-11-04 2/09/08 10:05 Page 6 SAINT-GOBAIN ET LA LAINE DE VERRE HISTOIRE D’UNE RÉUSSITE INTERNATIONALE Saint-Gobain Insulation 18 avenue d’Alsace Les Miroirs 92096 La Défense Rédaction et rewriting Suivi éditorial Pascale Alix 48 rue Vivienne 75002 Paris www.editionstextuel.com Conception et réalisation Éditions Textuel Graphisme Caroline Pauchant Rédaction et rewriting Patrick Philipon 001-013-STG-11-04 2/09/08 10:05 Page 8 PRÉFACE 11 CHAPITRE 1 L’ÈRE DES PIONNIERS 15 Les inventeurs 20 Saint-Gobain observe La naissance du Pool Création d’un outil industriel Le tournant de la guerre L’après guerre : espoirs et déconvenues 36 41 43 47 50 CHAPITRE 2 L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS Une épopée technologique Le « TEL » à la conquête du monde Le nouveau jeu des licences « Tout va bien » CHAPITRE 3 LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION Loin des besoins du marché La réaction La rentabilité retrouvée La limite du modèle Une autre épreuve CHAPITRE 4 LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS Un monde s’ouvre Poursuite de la politique clients Naissance d’une marque mondiale Le TEL repousse encore ses limites Nouvelles frontières Répondre à un problème planétaire CONCLUSION 55 58 78 86 93 99 102 111 120 129 133 139 142 148 158 160 166 170 185 001-013-STG-11-04 2/09/08 10:05 Page 10 PRÉFACE Ce livre retrace l’histoire d’une aventure d’hommes et de femmes passionnés. Saint-Gobain s’est engagé dans la production de laine de verre pour l’isolation dans les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale, mais cette aventure a toutefois pris son véritable essor il y a cinquante ans, lorsque le Groupe a lancé un procédé de fibrage révolutionnaire : le TEL. Cette innovation, élément structurant d’une réussite industrielle exemplaire, n’est pas née soudainement du cerveau d’un génie isolé. L’intuition a eu sa part, certes, mais ce procédé, fruit du labeur d’équipes d’ingénieurs et de techniciens, s’est développé graduellement en utilisant une véritable approche expérimentale. À l’aventure des pionniers d’avant guerre a donc succédé l’âge d’or des ingénieurs enthousiastes qui ont développé le TEL. Euxmêmes ont trouvé le relais d’industriels prêts à prendre le risque d’exploiter le procédé, transformant ainsi une innovation technologique en réussite industrielle. Par l’attribution de licences, ils ont fédéré un ensemble de sociétés indépendantes réparties dans les principaux pays industriels du globe. Progressivement, cet ensemble s’est consolidé et unifié pour former aujourd’hui le leader mondial de l’isolation. Cette épopée technologique puis industrielle est tout d’abord une aventure humaine. C’est parce que des pionniers ont mis leur enthousiasme et leur vision au service du développement technologique que le procédé a pu naître. C’est parce que des industriels ont patiemment assemblé des compétences multiples que son déploiement a été un succès. C’est parce que les techniciens se sont associés aux commerciaux à l’écoute des clients que certaines erreurs ont pu être gommées. C’est parce que les « ambassadeurs » de la Sodefive et leurs interlocuteurs étrangers ont créé un véritable « club des licenciés » que le TEL a pu conquérir le monde. 11 001-013-STG-11-04 2/09/08 10:05 Page 12 L’histoire est loin d’être achevée. L’isolation est devenue la meilleure réponse à la crise environnementale actuelle. Les équipes qui prennent aujourd’hui le relais ont à faire face à de nouveaux défis, dont celui de répondre à une très forte demande mondiale de matériaux isolants. Puisse ce livre les inspirer pour la suite de l’aventure et les convaincre, si besoin en était, qu’une entreprise, quelle qu’elle soit, est d’abord une communauté d’hommes et de femmes rassemblés autour d’un projet. Claude Imauven, Directeur général adjoint de la Compagnie de Saint-Gobain, Directeur du pôle Produits pour la Construction. 12 014-053-STG-11-04 2/09/08 10:06 Page 14 CHAPITRE 1 Les inventeurs Saint-Gobain observe La naissance du Pool Création d’un outil industriel Le tournant de la guerre Après guerre : espoirs et déconvenues L’ÈRE DES PIONNIERS Depuis le début du xx e siècle, l’industrie du verre vit une révolution technique et industrielle. L’heure est aux omniums verriers, groupes maîtrisant toutes les branches de cette industrie. Rapportant idées et technologies nouvelles des États-Unis, Eugène Gentil lance Saint-Gobain dans une politique de diversification. L’aventure du Groupe dans la fibre de verre commence ainsi dans les années 1930 et atteint rapidement une échelle importante. La guerre arrête ce premier élan, ce qui incite Saint-Gobain à développer son propre procédé. Fabrication de laine de verre à l’usine de Lucens, en Suisse, vers 1945. 15 014-053-STG-11-04 2/09/08 10:06 Page 16 1936-1938 1926 Création de la Société d’études verrières appliquées, ou SEVA, à Chalon-sur-Saône. Chargée de concevoir et d’entretenir les machines de la toute nouvelle usine de fabrication de bouteilles de Saint-Gobain, la SEVA devient rapidement le « mécanicien » de l’ensemble du Groupe. Elle fournit également les assiettes de fibrage. En deux ans, le Groupe construit un outil industriel de production de laine de verre. Il achète coup sur coup la Glasswatte en Allemagne et la Soie de Verre à Soissons, en France. À cette occasion, Isover est créée. Cette nouvelle société achète ensuite une usine à Rantigny pour y produire de la fibre « textile ». 1930 1937 L’accord entre Saint-Gobain et Owens-Corning est définitivement scellé à New York. Les signataires accèdent aux procédés Gossler, Owens et Hager pour l’isolation ainsi qu’Owens et Corning pour le textile. Les améliorations techniques sont immédiatement diffusées. Le « Pool » est né. La Maatschappij Tot Beheer en Exploitatie van Octrooien, société néerlandaise codétenue par Saint-Gobain et la famille Bicheroux, acquiert les droits du procédé Hager et dépose le brevet en Allemagne. C’est le premier pas du Groupe dans l’industrie de la fibre de verre. 1932 Le verrier américain Owens-Illinois invente un procédé industriel de fibrage du verre par soufflage sur un tambour. Cette méthode nouvelle surpasse ce qui existe en Europe tant en termes de qualité de la fibre que de productivité. Saint-Gobain en acquiert bientôt les droits pour se lancer dans l’isolation. 16 1948-1950 Création de la Société d’études pour le développement de la fibre de verre, ou Sodefive. Cette entité doit apporter un soutien technique et commercial à l’ensemble des licenciés Hager. Elle remplit bientôt ce rôle pour les licenciés du TEL, animant un véritable « club » jusqu’à sa dissolution en 1997. 17 014-053-STG-11-04 2/09/08 10:06 Page 18 Vue d’atelier. Fabrication de la laine de verre à Lucens, en Suisse. Pose d’un bourrelet en laine de verre. 2/09/08 10:06 Page 20 LES INVENTEURS LE LAITIER, PREMIER ISOLANT FIBREUX INDUSTRIEL À la fin du XIX e siècle, la généralisation des navires à vapeur et l’arrivée de l’électricité multiplient les besoins en matériaux isolants souples et légers. Les premiers procédés véritablement industriels de production de laine de verre naissent bientôt en Autriche et en Allemagne de l’imagination d’inventeurs féconds. En ce début de XX e siècle, l’industrie du verre vit une révolution. Les nouveaux procédés de fabrication se multiplient, tant pour les vitres que pour le verre creux (bouteilles et flacons). Les unités de production s’automatisent. On connaît de mieux en mieux la physique et la chimie du verre. Une nouvelle fonction apparaît d’ailleurs dans l’organisation des sociétés verrières : la recherche. L’avenir appartient aux omniums verriers, des groupes de taille suffisante pour être présents dans toutes les branches de l’industrie et en maîtriser tous les aspects. Saint-Gobain en est conscient et se lance dans une vaste politique de diversification. L’ancien glacier devient ainsi un fabricant de verre à vitres, de verre creux et de verres spéciaux, dont le fameux Securit des pare-brise d’automobiles apparu en 1929.Au début des années 1930, le Groupe se lancera dans une nouvelle aventure : la fibre de verre. Ce matériau étrange a en effet depuis quelques années le vent en poupe. Avec les révolutions industrielles du XIXe siècle, les machines à vapeur se multiplient. Pour éviter le refroidissement du précieux fluide dans les conduits, il faut isoler thermiquement ces derniers. Un besoin vient de naître. La première réponse proviendra de l’industrie sidérurgique, à peu près simultanément des deux côtés de l’Atlantique. La fonte s’obtient par chauffage d’un mélange de minerai de fer et de coke, plus divers additifs, dans un haut-fourneau. Le métal en fusion, très lourd, s’écoule vers le bas. Au-dessus surnage un mélange liquide de résidus non ferreux : le laitier. Ce dernier est évacué en permanence et stocké dans des cuves. Il arrive cependant qu’il s’échappe et il doit être immédiatement refroidi à l’eau. C’est sans doute à l’occasion d’un tel incident que l’on s’est aperçu qu’il forme alors des fibres. Divers procédés de fibrage sont donc nés au pied des hauts-fourneaux, tous fondés sur le même principe : l’éclatement d’un filet de laitier par un jet de vapeur. Sans doute parce que laitier et vapeur étaient tous deux disponibles sur place… La première production intentionnelle est signalée dès 1840 au pays de Galles en Angleterre, et les premiers brevets sont déposés simultanément en Allemagne et aux États-Unis vers 1870. Dense, ininflammable, très résistante à la chaleur, la fibre de laitier convient à l’isolation d’installations à haute température comme, précisément, les conduits de vapeur. Elle est cependant trop courte pour être tissée et supporte mal les vibrations. Ces limitations feront le bonheur de la laine de verre. cet article de la Revue des sciences et de leurs applications, paru en 1908. Si l’on excepte des utilisations décoratives quelque peu anecdotiques, la fibre de verre doit avant tout son succès à ses qualités d’isolant thermique. La révolution industrielle du milieu du XIX e siècle, avec ses machines à vapeur, avait besoin de matériaux isolants. La laine de roche, fabriquée au pied des hauts-fourneaux, s’est d’abord imposée (voir « Le laitier, premier isolant fibreux industriel », p. 21). À la fin du siècle, avec le développement des marines marchandes et militaires, le besoin s’est cependant fait sentir d’un matériau plus souple, plus léger et résistant aux vibrations des machines des navires. Dans le même temps, des industries naissantes comme l’électricité (isolation des fils) et le cinéma (écrans) recherchaient des « textiles » isolants et ininflammables. Restait à passer de la production plus ou moins artisanale qui prévalait à l’époque à des procédés véritablement industriels. « La laine de verre (coton, ouate de verre), qui a l’apparence de la soie, conduit si mal la chaleur, à cause surtout de l’air interposé, qu’elle produit une sensation de chaleur au simple toucher. On en a fait des tissus pour goutteux et rhumatisants. Avec les déchets, on fait des enveloppes calorifuges pour les conduites de vapeur. Avec les brins longs, on tresse en Allemagne des mèches de lampe… Ces mêmes tresses servent aussi quelquefois d’isolants pour les installations électriques, ou de carton pour joints de vapeur… » Tout est dit dans 20 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 Coulée de fonte. 21 2/09/08 10:06 Page 22 Isolation par matelas démontables d’une chaudière marine. CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 1 1. Le paquebot Liberté, isolé avec 35 tonnes de laine de verre. 2 2. Isolation des cales frigorifiques. 23 2/09/08 10:06 Page 24 Cette histoire commence en Allemagne, avec deux acteurs principaux : Gossler et Hager. Oscar Gossler, petit industriel de Hambourg, fonde sa société au début du XXe siècle. Il aménage des cabines de paquebot dans les chantiers navals et constate assez vite le besoin d’isolants de bonne tenue mécanique, résistant aux vibrations. Dès 1916, Gossler décide donc de se lancer dans la fibre de verre. Il contacte alors Gédéon von Pazsiczky, un inventeur hongrois qui a déjà déposé des brevets dans ce domaine. Celui-ci s’inspire du premier procédé mécanique de fibrage du verre inventé par le Dr Pollack à Stockerau, près de Vienne en Autriche. Le principe de cette machine dérive lui-même en droite ligne de l’usage du rouet dans la Venise du XVI e siècle (voir « Le verre filé : une histoire ancienne », p. 27) ! Il s’agit encore et toujours d’étirer sur un tambour des filets de verre en fusion. Von Pazsiczky dispose le tambour horizontalement et l’alimente en verre fondu par une filière. Le brevet est déposé en 1919 et la production industrielle de « soie de verre » démarre en 1922 à Hambourg. Gossler vend la fibre – il en produit près de mille tonnes en 1930 – et cède des licences d’utilisation de son procédé à divers manufacturiers européens. On voit ainsi apparaître des unités de production Gossler en Suisse, en Belgique, en Autriche, en Italie, en Suède, en Tchécoslovaquie ou en Angleterre. Pour la France, la société la Soie de Verre, de Soissons, acquiert la licence en 1929. Après avoir recruté directement le Dr Pollack en Autriche, Gossler améliore encore sa machine en lui adjoignant une filière électrique. En 1930, il vend le procédé amélioré à un certain Boussois, qui le met en exploitation en France… en face de l’usine de la Soie de Verre ! L’Europe se couvre d’usines Gossler, de taille en CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 LE PROCÉDÉ GOSSLER Répartition des fils de verre sur de grandes tables, en nappes très minces. Celles-ci sont superposées de telle sorte que les fils d’une nappe soient croisés avec ceux des nappes voisines. Cette opération manuelle est appelée dépilage. On obtenait ainsi des feutres de densité moyenne de 160 kg/m3 pouvant aller jusqu’à 100 millimètres d’épaisseur. général modeste. La plupart produisent une centaine de tonnes de fibres par an, voire moins. Schéma du procédé Gossler, brevet déposé le 22 août 1922. Un verre de composition spéciale est fondu dans un four approprié, dont la partie inférieure est composée d’une filière. Le verre liquide coulant par les trous de cette filière forme des fils qui viennent s’enrouler sur le tambour tournant, ce qui assure un filage continu. 24 25 014-053-STG-11-04 2/09/08 10:06 Page 26 1 Les premières traces d’une activité de filage du verre remontent à trois mille cinq cents ans, sur les bords du Nil ! Les Égyptiens chauffaient le verre dans un bol en argile, plongeaient une tige métallique dans la pâte et, d’un grand mouvement du bras, étiraient en un fil grossier le verre qui avait adhéré à la tige. Ces fils étaient alors enroulés en spirales jointives autour de formes en argile, et le tout était ensuite chauffé au four. Le verre fondait et les spires collaient les unes aux autres. Il ne restait plus qu’à casser la forme en argile pour obtenir un objet creux en verre. Un millénaire plus tard, les Phéniciens inventent le verre soufflé. Ils obtiennent des fils plus réguliers, plus fins, de multiples couleurs, qu’ils utilisent essentiellement pour la décoration. Les Romains perfectionneront la technique à leur tour. 2 Puis le verre filé tombe dans un certain oubli jusqu’à sa renaissance, au XVI e siècle, sur une petite île de la lagune de Venise : Murano. Les objets décorés de fils de verre fins qui s’y fabriquent deviennent rapidement célèbres. Au début, le procédé de fabrication des fils est plutôt éreintant. Il réclame deux ouvriers, chacun muni d’une baguette métallique appelée « ferret ». L’un d’eux plonge son ferret dans du verre en fusion, en retire une boule que l’autre touche aussitôt de son propre ferret. Dès que le verre a adhéré au métal, les deux comparses s’éloignent l’un de l’autre en courant. Ils étirent ainsi un fil dont la finesse dépend 1. Vase en verre filé. 2. Atelier français de fabrication de perles et de fils de verre au XVIIIe siècle. 3. Sur les épaules de l’actrice Georgia Cayvan, cette robe en verre filé a défrayé la chronique durant l’Exposition universelle de 1893 à Chicago. C’était en fait une publicité pour la société verrière Libbey Glass Co., dont les produits n’avaient pourtant pas grand-chose à voir avec la fibre. Edward Libbey avait fait appel à un jeune souffleur de verre inventif, Michael J. Owens, qui obtenait de longues fibres en chauffant l’extrémité de baguettes de verre puis en les étirant sur un tambour actionné au pied. 26 essentiellement de la force de leurs jambes ! Un artisan ingénieux, et peut-être paresseux, imagine bientôt de coller à la cire l’extrémité du fil sur la jante d’une grande roue de bois. Désormais, un ouvrier tient le bout du fil sur son ferret et l’autre actionne la roue avec une manivelle. Tous deux restent assis. La technique se répand très vite en Bohême, en Thuringe et en France. Des verriers vénitiens s’installent à Nevers vers 1560 et y fabriquent de petits objets décoratifs en verre filé, comme des « cheveux d’ange » pour les crèches de Noël. En 1665, le physicien et naturaliste anglais Robert Hooke décrit l’étirage du verre en fils fins et prédit qu’il pourra être filé. Mais c’est René Antoine Ferchault de Réaumur, le célèbre physicien et naturaliste français, qui rédigera le premier essai encyclopédique complet sur le verre filé. Il présente ce travail à l’Académie royale des sciences en 1713. Outre une description précise du procédé de fabrication, le mémoire précise les propriétés du produit (finesse, souplesse, résistance à la traction) et surtout en prévoit des applications, en particulier le tissage. Puis Réaumur passe aux travaux pratiques et réalise lui-même des fils de quelques microns de diamètre. Les essais de tissage seront décevants. CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS LE VERRE FILÉ : UNE HISTOIRE ANCIENNE fameuses des fils de verre : abeilles du manteau de l’impératrice Joséphine lors de son sacre (1804), robe pour la reine Victoria en 1844, habit épiscopal offert en 1853 à l’archevêque de Strasbourg qui refusera de le porter, etc. Anecdotes célèbres mais sans grande signification industrielle… Le XIX e siècle voit en revanche deux avancées décisives. Louis Schwabe, un Allemand installé à Manchester, invente la première filière. C’est un récipient dont le fond est percé de multiples orifices, dans lequel on fond du verre qui forme des fils en s’écoulant par ces trous. Schwabe présente son invention au congrès British Association en 1842, sans grand succès. De son côté, le chimiste français Jules de Brunfaut, qui étudie l’art du verre à Venise, en modifie la composition pour obtenir des fils plus souples. Il s’installe bientôt à Stockerau, près de Vienne, et y fonde en 1866 la première filature « industrielle » de verre. Utilisant toujours les roues chères aux Vénitiens, il obtient des fils de trois mètres de long et six microns de diamètre. Son catalogue présente des articles aussi divers que des abat-jour, des tissus d’ameublement, des cravates, des perruques, des chapeaux, et même des robes de mariée. En 1822, les frères Gordon déposent en Angleterre un brevet portant sur des mèches de lampe en fils de verre tissés, incombustibles et donnant donc une flamme sans fumée. On connaît aussi quelques utilisations 3 27 2/09/08 10:06 Page 28 Quant au procédé Hager, considéré comme le précurseur du TEL, il serait né dans une fête foraine ! La légende veut en effet que Friedrich Rosengarth, se promenant sur une foire en 1928, ait été attiré par la petite machine d’un marchand de barbe-à-papa (voir « Friedrich Rosengarth, le bricoleur inspiré », p. 31).Tout le monde en connaît le principe, révélé aux badauds par les marchands de confiserie de l’Exposition universelle de Paris en 1900 : du sucre est fondu à plus de 120 degrés dans un petit récipient rotatif muni de trous par lesquels s’échappent des filets qui se solidifient immédiatement à la température extérieure. Le marchand récupère les filaments « au vol » avec un bâton. Rosengarth se demande si un tel procédé d’étirage peut s’appliquer à d’autres matériaux fusibles, en particulier le verre. Désargenté, il se tourne vers Fritz et Julius Hager, deux industriels qui possèdent une usine de transformateurs à Bergisch Gladbach, dans la banlieue de Cologne, en Allemagne. Ces derniers acceptent de financer les essais à condition de pouvoir apposer leur nom au procédé et de cosigner les documents techniques. Fidèle à son intuition, Rosengarth développe rapidement un procédé de fibrage centrifuge. Le verre fondu tombe sur un disque rainuré en matériau réfractaire qui tourne à plusieurs milliers de tours par minute. Le 19 novembre 1931, les frères Hager, associés à Rosengarth, créent la Glaswatte GmbH, qui se lance dans l’exploitation. Le Hager est un procédé simple, rustique, donnant une fibre CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 LE PROCÉDÉ HAGER 2 de qualité moyenne mais bien adaptée aux besoins de son époque. Tout comme son concurrent le Gossler, il se répand très vite en Europe. Des verriers acquièrent des licences en Suède, en Italie, en Norvège, au Danemark, en Tchécoslovaquie, en Belgique, en Espagne, en Roumanie. En France aussi, mais il ne s’agit pas encore de Saint-Gobain… 1. Le procédé Hager au Danemark en 1935. L’évacuation des fibres s’effectue manuellement à l’aide d’un crochet. 2. Le procédé Hager en Norvège en 1935. La fibre était vendue soit en vrac sous forme de bourre, soit feutrée manuellement pour donner des matelas isolants d’environ 100 kg/m3. 1 28 3 3. Disque rainuré réfractaire sur lequel tombe le verre fondu. 29 2/09/08 10:06 Page 30 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 FRIEDRICH ROSENGARTH, LE BRICOLEUR INSPIRÉ Parcours étonnant que celui de cet ouvrier verrier devenu ingénieur puis inventeur. Né en 1885, Friedrich Rosengarth travaille dans les années 1920 à la glacerie de Schalke, en Allemagne. Là, il améliore sa formation grâce aux cours du soir. Peu après, il s’installe comme conseil, construit des usines verrières en Suisse, puis en Russie et dans d’autres pays de l’Est européen. C’est aussi un bricoleur inlassable qui a toujours dans son garage une nouvelle invention en cours d’essai. Il aurait par exemple créé l’ancêtre des systèmes de lavage d’automobiles par brosses tournantes, que l’on voit désormais dans les stationsservice. La machine en question servait à… brosser automatiquement son fox-terrier ! La pauvre bête était attirée dans le dispositif par une saucisse. La légende veut que Rosengarth ait eu l’intuition de son procédé de fibrage centrifuge du verre devant une machine à barbe-à-papa. Quoi qu’il en soit, il réalise rapidement un premier prototype dans son fameux garage. Un disque de bois, un moteur d’aspirateur, et le tour est joué : il fabrique des fibres de Cellophane. Il tient là la preuve de la validité de son principe. Pour passer au verre, il lui faudra des moyens importants. Il s’adresse donc à des industriels locaux, les frères Hager. La suite est connue. Perfectionniste, Rosengarth continuera inlassablement à améliorer son procédé à Bergisch, en Allemagne, rejoignant parfois intuitivement les avancées du TEL alors en cours de développement. Ainsi, il imagine de fixer une bande perforée sur le disque, qui ressemble dès lors fortement à une assiette TEL. En a-t-il eu l’idée en visitant le laboratoire de La Villette en 1954 ou cela dérive-t-il d’un premier essai qu’il a fait dès le lendemain de la guerre ? Toujours est-il que le nouveau procédé est installé, et baptisé Bergla à la demande des ouvriers. Tous ces essais coûtent cher, cependant, et l’usine perd de l’argent. Rosengarth est poliment prié de prendre sa retraite, tout en demeurant conseiller technique informel. Saint-Gobain lui versera un traitement jusqu’à sa mort, survenue en 1977. 31 2/09/08 10:06 Page 32 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 Ligne de production des matelas cousus, à Lucens en Suisse. 32 33 2/09/08 10:06 Page 34 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 Photo de groupe à l'usine Gullfiber en Suède, vers 1937. 2/09/08 10:06 Page 36 SAINT-GOBAIN OBSERVE Dès 1930, Saint-Gobain acquiert les droits du procédé Hager. Au cours des années suivantes, elle laisse cependant passer deux occasions de se lancer elle-même dans la production de fibres de verre. Et pourtant cette industrie, déjà bien implantée aux États-Unis, se développe alors en Europe. En 1930, la première fibre de verre sort du prototype Hager. Hélas, après avoir fibré seulement vingt kilos de verre, le disque d’argile explose ! N’étant pas verrier, Fritz Hager hésite à poursuivre seul l’aventure. Il se tourne alors vers un professionnel, en l’occurrence Pierre Schrader, le délégué de Saint-Gobain pour l’Allemagne, qui en réfère à Eugène Gentil (voir « Eugène Gentil, l’artisan de la diversification », p. 40). Celui-ci tend une oreille intéressée. Depuis 1919, ce « chef du service des missions spéciales » de Saint-Gobain se rend en effet régulièrement aux États-Unis où le marché du verre explose, entraîné par le développement de l’urbanisme et par l’essor de l’industrie automobile. Eugène Gentil y observe les mutations de l’industrie verrière et rapporte de En 1931, Gossler, en difficultés financières, approche SaintGobain pour se faire racheter. Le Groupe, dont la direction n’est pas encore persuadée du potentiel de la fibre de verre, ne donne pas suite. En 1933, Saint-Gobain laisse passer une seconde occasion de se lancer dans la fibre de verre. La Maatschappij lui propose en effet la licence sur le procédé Hager pour la France. Le Groupe refuse, déclarant « ne pas être désireux de s’occuper d’une activité nouvelle ». C’est donc la société des Glaces de Boussois qui devient en 1933, et pour quinze ans, le licencié Hager pour la France. Saint-Gobain se trouve donc dans la position assez paradoxale de contrôler, fût-ce indirectement, le meilleur procédé européen de production de fibres de verre, mais ne s’est doté d’aucun moyen de production, et nouveaux procédés de fabrication. Il a ainsi pu remarquer, depuis quelques années, que la fibre de verre se vend en gran- s’est même interdit en France l’accès à ce procédé ! des quantités pour l’isolation des maisons et bâtiments. Convaincu de son potentiel de développement en Europe, il estime que Saint-Gobain doit s’y intéresser. Il propose donc Et pourtant, grâce aux innombrables licenciés de Gossler et de Hager, l’industrie de la fibre de verre se développe en Europe. Il faut à cet égard mentionner trois noms impor- à la Maatschappij Tot Beheer en Exploitatie van Octrooien d’acheter les droits de l’invention. Cette société de droit tants. D’abord, la Veteria Italiana Balzaretti Modigliani, grande verrerie italienne fondée en 1850. Dès le début des néerlandais, créée en 1930 et sise à Schveningen, est détenue à parts égales par Saint-Gobain et la famille Bicheroux, un industriel verrier belge. Son objet : exploiter les brevets et années 1930, Piero Modigliani se rend aux États-Unis et y étudie les nouvelles techniques de filage du verre. En 1931, il démarre à Livourne une production avec le procédé Gossler gérer les licences des deux partenaires dans les domaines de la glace, et désormais de la fibre de verre. C’est donc la et met au point des produits comme le Thermolux. En 1933, il achète une des premières licences du procédé Hager, puis Maatschappij qui dépose en Allemagne le brevet Hager, en 1930. Elle en assurera le maintien et en distribuera les licences. acquiert le nouveau procédé américain Owens en 1937. Dès l’avant-guerre, Piero Modigliani exploite donc les trois grands 36 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 OCF : LE CONCURRENT PARTENAIRE Owens-Corning Fiberglas (OCF), le grand fabricant américain de fibre de verre, a toujours entretenu des relations ambivalentes avec Saint-Gobain. Depuis la naissance du Pool en 1935, et jusqu’en 1949, les deux firmes sont à la fois partenaires et concurrentes ! L’histoire de ce concurrent partenaire remonte au XIX e siècle. En 1868, Corning Glass Works naît du transfert des usines de la Brooklyn Funt Glass à Corning, une petite ville de l’État de New York. Spécialisée dans les verres « nobles », la firme invente en particulier le Pyrex au début des années 1920. À la fin de cette décennie, elle souffre de la Grande Dépression qui frappe le pays. Corning tente alors sans grand succès de se diversifier vers la fibre de verre et, en 1935, elle fait appel à son homologue Owens-Illinois Glass Co. qui vient de faire une entrée fracassante dans ce domaine. Ce dernier a vu le jour en 1903, lorsque Michael Joseph Owens a quitté son employeur, la New England Glass Co., pour fonder sa propre compagnie, la Owens Bottle Co. Cet inventeur fécond (déjà connu pour son procédé de fibrage du verre) venait en effet de mettre au point une machine automatique à fabriquer des bouteilles. En 1929, Owens fusionne avec l’Illinois Glass Co. pour former l’Owens-Illinois Glass Co. La Dépression survient quelques mois plus tard… Or la firme souffre depuis déjà une dizaine d’années de la prohibition – interdiction de l’alcool sur tout le territoire des États-Unis –, qui a sévèrement affecté le marché des bouteilles. Il est temps de trouver de nouveaux débouchés. Ce seront d’abord les pavés de verre pour la construction, puis la fibre. En 1933, après deux années de recherches, Owens-Illinois brevette en effet un nouveau procédé de fibrage du verre qui surpasse de loin tout ce qui existe alors. En 1935, Corning fait donc appel à Owens et les deux verriers mettent en commun leur activité de fibrage. Le 1 er novembre 1938, la jointventure devient une société indépendante : la Owens-Corning Fiberglas Co. est née. La Seconde Guerre mondiale fera sa fortune. La fibre de verre est partout : dans l’isolation des navires de guerre puis des bombardiers, dans les gilets de sauvetage des équipages, dans la toile de certains parachutes… Après guerre, OCF, tout en développant son activité dans l’isolation des bâtiments, se lance dans une nouvelle spécialité : la fibre de verre tissée pour le renforcement des matières plastiques. La carrosserie de la célèbre Chevrolet Corvette est ainsi constituée de ce matériau composite. À la fin des années 1950, au moment de l’introduction du TEL chez Saint-Gobain, OCF détient 80 % du marché mondial de la fibre de verre, toutes applications confondues ! Saint-Gobain va développer son activité isolation au point de pouvoir attaquer OCF sur le marché américain en 1967. Ce dernier poursuit néanmoins son développement international. Toujours présent dans la fibre de renforcement en Europe, OCF a cependant cédé l’ensemble de son activité isolation en Europe au début des années 2000. Saint-Gobain est désormais le leader incontesté du marché mondial. 37 2/09/08 10:06 Page 38 procédés modernes. Schuller, pour sa part, est une très ancienne dynastie verrière allemande. En 1931,Werner Schuller lance une production de fibre avec le procédé Pollack amélioré. Il fonde la KG Wo Schuller en 1937 et construit quatre importantes usines, dont une à Mulhouse que Saint-Gobain reprendra après la guerre avant de l’arrêter rapidement. Enfin, le groupe Heye, très important verrier germano-hollandais et grand concurrent de Saint-Gobain, achète en 1933 une licence pour le procédé Owens et démarre la production en 1934 à Gerresheim. L’année suivante, il rachète Gossler. De l’autre côté de l’Atlantique, Corning et Owens-Illinois se préparent à dominer le marché (voir « OCF : le concurrent partenaire », p. 37). En 1931, le président d’Owens contacte l’inventeur James Slayter, qui vient de déposer un brevet sur la fabrication de la laine de roche. Celui-ci prend la tête d’une équipe de recherches. Le travail ne traîne pas. En 1933, OwensIllinois Glass Co. brevette un procédé de fibrage du verre par « soufflage », où des filets de verre en fusion sont étirés sous l’action d’un jet de vapeur d’eau. Le procédé surpasse de loin la méthode Hager, tant par la qualité du produit que par le rendement. En 1935, Owens et Corning s’allient pour l’exploiter. CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 LE PROCÉDÉ 0WENS 1 3 2 1. Schéma du procédé Owens. 2. Ligne de fabrication Owens. 3. 4. Fabrication de laine de verre sur machine Owens, à Rantigny en 1943. 38 4 2/09/08 10:06 Page 40 LA NAISSANCE DU POOL EUGÈNE GENTIL, L’ARTISAN DE LA DIVERSIFICATION « Chef du service des missions spéciales ». Lorsqu’il accède, en 1919, à cette fonction inédite au sein de la direction de Saint-Gobain, Eugène Gentil a déjà une longue expérience de l’industrie verrière. Diplômé de l’École Centrale en 1903, il entre l’année suivante aux Verreries Legras (flaconnage) et sera recruté par Saint-Gobain en 1912 pour diriger la toute nouvelle usine d’étirage de verre à vitres de Chalonsur-Saône. Dès 1913, il se rend une première fois aux États-Unis pour étudier le procédé American Window Glass, initialement développé pour Chalon. Après la guerre, en 1919, estimant que ce procédé est périmé, il y retourne et entame alors des négociations avec Libbey-Owens. C’est le début des « missions spéciales » où il donnera toute sa mesure. Se rendant presque chaque année aux États-Unis entre 1920 et 1937, il y observe les nouvelles techniques, négocie des licences et se crée un solide réseau amical et relationnel. En 1927, il passe même avec Corning un gentlemen’s agreement selon lequel chacun s’engage à « tout dire » à l’autre. Licence du procédé Hager pour Owens contre licence du procédé Owens pour Saint-Gobain : ce principe de mise en commun des droits sur les procédés de fibrage est à l’origine du « Pool », né à New York en 1935. Les partenaires s’engagent à faire progresser la fibre de verre. Son véritable rôle est de détecter et de ramener les meilleurs procédés dans toutes les branches de l’activité, ceux qui assureront la politique de diversification du Groupe. À son « tableau de chasse », on peut ainsi relever : le Pyrex (1922), les feeder et l’arche Hartford, puis la machine Lynch pour le verre creux (1923), les réfractaires électrofondus pour les fours verriers (1925), le procédé Pittsburgh de verre à vitres… et bien sûr le procédé Owens de fibrage du verre. Nommé directeur général adjoint puis directeur général des Glaceries de Saint-Gobain en 1934, il a dès lors les coudées franches pour lancer le Groupe dans la fibre. La veille de son départ à la retraite, en 1949, il inaugurera le centre de recherches de la Villette, où naîtra le TEL. Par la suite, il rendra régulièrement visite à l’usine de Rantigny pour suivre les développements du procédé. Il s’éteindra en 1961 à l’âge de 81 ans. Sortie du port de New York, 1954. Usine de Kansas City d’Owens-Corning Fiberglas Co. 40 Owens-Illinois annonce en 1933 la mise au point de son nouveau procédé de fibrage du verre, plus performant que la méthode Hager. Son premier licencié n’est autre que le grand concurrent allemand, Heye. Eugène Gentil en est bien sûr informé. Directeur général des Glaceries de Saint-Gobain depuis 1934 et décidé à lancer le Groupe dans la fibre de verre, il est persuadé qu’il lui faut pour cela détenir les droits des procédés les plus performants. Il demande donc à la Maatschappij d’entamer des négociations avec Owens. Il part une nouvelle fois aux États-Unis en 1934 pour un voyage qui déterminera toute la politique ultérieure de Saint-Gobain en matière d’isolation. À son retour, il détient une licence exclusive sur le procédé Owens pour tous les pays d’Europe, leurs colonies et dominions – sauf la Hollande, l’Allemagne et 1 er novembre 1937, l’accord définitif, ou main agreement, est signé à New York. Désormais, la Maatschappij gère les brevets Owens dans le monde entier, sauf en Amérique du Nord (États-Unis, Canada et Mexique), « territoire » d’Owens. Ce dernier reçoit une licence gratuite sur les procédés de la Maatschappij pour l’Amérique du Nord. Les redevances résultant de la cession de licences à des tiers seront partagées en parts égales entre les deux partenaires. Il est interdit d’exporter de la fibre de verre dans les pays où existent déjà des licenciés du Pool. La Maatschappij gère les problèmes d’exportation pour le reste du monde. En 1939, les droits sur le procédé Gossler, hors Allemagne, seront intégrés au Pool. En outre, chaque licencié du Pool fera bénéficier son donneur, sans frais, de tous les perfectionnements qu’il apportera au l’Italie pour lesquelles Heye détient déjà la licence. En échange, Owens a obtenu les droits du procédé Hager pour l’Amérique du Nord. procédé. Ledit donneur répercutera ensuite ces améliorations sur les autres licenciés. Ce principe, dit du flow back, assurera le constant progrès technique du fibrage du verre. Le 22 mai 1935, un premier memorandum agreement consti- Longtemps après la fin du Pool, Saint-Gobain le conservera avec les licenciés de ses propres procédés. tue l’acte de naissance officiel de ce qui deviendra le Pool. Les signataires s’engagent à combiner leurs capacités d’innovation et leurs brevets pour partager leur expérience et déve- Le 29 décembre 1938, la Maatschappij cède l’intégralité de ses droits et activités dans le domaine de la fibre à une nou- lopper le plus possible la fibre de verre dans le monde. À cette velle société non industrielle, l’Algemeene Kunstvezel fin, les droits sur l’ensemble de leurs procédés sont exploités dans un « Pool » censé durer jusqu’en 1960. Les négociations avec les Américains dureront près de trois ans. Finalement, le Maatschappij (AKM), dont Saint-Gobain détient 85 % des parts. Disposant d’un bureau à Paris et d’un à La Haye,AKM gère donc les portefeuilles des brevets Hager, Owens et Gossler, tant pour 41 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 2/09/08 10:06 Page 42 CRÉATION D’UN OUTIL INDUSTRIEL la fibre « isolation » que pour la fibre « textile », négocie les accords de licence et coordonne les licenciés. La même année, Owens fusionne avec Corning pour former Owens-Corning Fiberglas Co. (OCF). Ces deux changements d’acteurs ne modifient en rien les termes de l’accord. Dès l’accord initial de 1935, cependant, Eugène Gentil était en mesure de lancer Saint-Gobain dans la grande politique de la fibre de verre. Restait à construire un outil de production. En 1936, pressé par la concurrence, Saint-Gobain achète la Glaswatte en Allemagne, puis c’est le tour de la Soie de Verre, à Soissons en France, et enfin d’une usine en propre à Rantigny. La société Isover est née. Elle commence à produire avec le procédé Owens. Très vite, elle devient l’un des principaux acteurs européens. En 1935, la société Glaswatte, qui utilise le procédé Hager, a besoin d’argent pour se développer. Pierre Schrader, délégué de Saint-Gobain en Allemagne, envoie alors deux observateurs pour évaluer l’usine de Bergisch Gladbach. Guère impressionnés par ce qu’ils voient, ils envoient un rapport mitigé. Le procédé leur semble techniquement assez fruste, mais le principe de la centrifugation est intéressant et pourrait être mieux développé. C’est un élément extérieur qui emporte finalement la décision. En effet, le groupe Heye, redoutable concurrent, qui exploite déjà le procédé Owens, a fait des offres à Hager. La réaction ne se fait pas attendre : SaintGobain prend le contrôle de la Glaswatte le 17 septembre 1936. Jean Gaulis, un ingénieur recruté quelque temps auparavant pour coordonner les activités fibres du Groupe, entre dans le conseil de la Glaswatte. Saint-Gobain vient de devenir producteur de fibre de verre. La même année, le Groupe achète la Soie de Verre à Soissons, en France. La société, qui utilise le procédé Gossler, produit des matelas de fibres isolants pour le calorifugeage d’installations de vapeur, en particulier dans la marine. Détenant depuis 1932 un contrat d’exclusivité avec la Marine nationale, elle travaille aussi pour la prestigieuse Compagnie transatlantique. C’est Publicité dans le bulletin de liaison L’Équipe au début des années 1950. 42 elle qui a isolé les chaudières des paquebots Normandie, Champlain ou Île-de-France. Elle produit également un feutre de fibres plus longues, utilisé comme séparateur entre les 43 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 014-053-STG-11-04 2/09/08 10:06 Page 44 plaques positives et négatives des batteries électriques. Sans grands moyens pour investir, la société peine face à son concurrent, Boussois, qui s’apprête à lancer le procédé Hager, plus performant. Roger Lacharme, directeur général de la Soie de Verre, reçoit donc la proposition de Saint-Gobain comme un véritable don du ciel. « Un jour de 1936, un visiteur nommé Gaulis se fait annoncer. À peine est-il entré qu’il dévoile ses intentions : il est envoyé par le directeur général de Saint-Gobain, monsieur Gentil, pour négocier l’achat de la Soie de Verre. Cet événement m’apparut comme un signe du ciel… La raison en était simple, monsieur Gentil […] venait d’acheter aux États-Unis le procédé Owens […] et se demandait comment le mettre en application de la façon la plus pratique. Il avait feuilleté l’annuaire, et en découvrant l’existence Le mouvement se poursuit avec la constitution d’Isoverbel (Belgique) en association avec Saint-Roch ou le rachat de Modigliani (Italie) en 1938. Piero Modigliani, obligé de s’expatrier aux États-Unis pour des raisons politiques, cède en effet sa participation à Saint-Gobain. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le Groupe dispose donc d’une société, Isover, de l’accès à tous les procédés de fibrage connus, de deux sites de production en France plus ceux des sociétés contrôlées en Allemagne, en Italie et en Belgique, de services commerciaux et d’un catalogue de produits. Saint-Gobain produit alors environ un tiers des 15 000 à 20 000 tonnes de fibres de verre fabriquées chaque année en Europe. Les États-Unis en produisent pour leur part 20 000 à 25 000 tonnes. En quelques années, après ses hésitations ini- de la Soie de Verre, avait décidé de prendre contact avec cette société », dira-t-il plus tard. La réalité est sans doute un peu moins miraculeuse. En fait, Henri Crochet, administrateur de la Soie de Verre, occupait également une fonction importante dans la branche verrière de Saint-Gobain. Le Groupe tiales, Saint-Gobain est devenu un acteur de premier plan dans le domaine de la fibre de verre. connaissait donc déjà la société. L’achat est conclu au début de 1937 et une nouvelle société est immédiatement constituée : Isover vient de voir le jour, avec un capital d’un million et demi de francs. Jean Gaulis en sera l’administrateur délégué, Roger Lacharme le directeur commercial et Lucien Deschamps le directeur technique. Fin 1937, le premier four Owens entre en production à côté des douze fours Gossler existants. Il produit à lui seul 700 tonnes de fibres par an, contre 350 pour tous les autres réunis. « Vous verrez, Lacharme, un jour la fibre de verre fera un chiffre d’affaires supérieur au verre plat ! » lance alors Eugène Gentil. Prophétie qui se réalisera… dans les années 1970. Producteur de fibre pour l’isolation, Isover LE PROCÉDÉ SILIONNE se veut aussi présente sur le marché de la fibre « textile », pourtant techniquement différent. Or l’aventure de diversification de Saint-Gobain dans les fibres textiles chimiques est en train de tourner court. La Société des textiles nouveaux (STN), dans laquelle la branche Chimie détient une participation, éprouve en effet des difficultés. En 1937, cette société cesse son activité et le site de Rantigny est alors affecté à l’activité fibre de verre textile. Trois ingénieurs d’Owens-Illinois arrivent en septembre pour y installer des filières Silionne et Veranne, deux procédés de fabrication de fibres de verre longues. Usine de Rantigny : retordage, bobinage, assemblage. Usine de Rantigny : tissage du textile. 44 2/09/08 10:06 Page 46 LE TOURNANT DE LA GUERRE L’activité se poursuit pendant la guerre, mais, privée de contacts avec ses bailleurs de licences, Isover doit se débrouiller seule pour faire évoluer ses procédés. Dans le même temps, l’administration américaine entame des poursuites contre OCF. L’avenir du Pool est menacé. LE PREMIER CONGRÈS SUR L’ISOLATION Si l’on excepte une brève interruption durant l’exode, la guerre n’a pas mis fin à l’activité de fibrage de Saint-Gobain. Elle en a même constitué un tournant majeur. À la fin du mois de mai 1940, l’avancée des troupes allemandes contraint Isover à évacuer l’usine de Rantigny. Le personnel se replie sur Cognac, mais revient dans l’Oise dès le mois d’août et lance la production de fibres longues. La même année, des bombes destinées à la gare, toute proche, détruisent en partie l’usine de Soissons. Heureusement, la ligne Owens ainsi que quelques lignes Gossler sont épargnées. Elles sont rapatriées à Rantigny, qui regroupe désormais toutes les activités de fibrage de Saint-Gobain. Bien que réorganisé et quelque peu diminué, l’outil de production est toujours fonctionnel. En mai 1939 se tient à Paris le tout premier Congrès mondial de l’isolation. Eugène Gentil, directeur général des Glaceries de Saint-Gobain, estimait en effet nécessaire de créer une communauté internationale de l’isolation, renforçant ainsi les relations entre les signataires des accords du Pool et les licenciés. Il a donc imaginé d’organiser un congrès annuel. Pour cette première édition d’une longue série, les congressistes se réunissent dans un restaurant des Champs-Élysées à Paris. Au menu : problèmes techniques, aspects commerciaux, juridiques et sanitaires de la fibre de verre. Sont présents des représentants allemands, américains, belges, britanniques, danois, espagnols, français, italiens, hollandais, norvégiens et suédois. activité de recherche propre sur le fibrage. En quelques années de guerre, et sans grand dommage apparent, le paysage si prometteur de la fin des années 1930 a donc été totalement bouleversé. C’est à un autre niveau qu’il faut chercher l’impact réel de la guerre : les relations avec le partenaire américain OCF changent du tout au tout. De crainte de s’attirer les foudres de l’administration, OCF rompt les restrictions à l’exportation mentionnées dans l’accord du Pool. Plus important encore : du simple fait de la guerre, les relations entre les ingénieurs d’OCF et les utilisateurs européens des procédés Owens, Silionne et Veranne sont interrompues. Eugène Gentil luimême est retenu à New York. Saint-Gobain ne peut donc pas bénéficier des derniers développements techniques. Ce blo- Congrès international de la fibre de verre, à Wiesbaden en Allemagne, 1954. Environ vingt-cinq pays y participent. 46 cage aura toutefois une retombée positive. En mai 1941, Tony Perrin et André Ayçoberry, qui assument l’intérim à la direction de la Compagnie, décident en effet de lancer une L’usine de Rantigny. 47 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 2/09/08 10:06 Page 48 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 Maquette réalisée par les Glaces de Boussois pour une publicité sur la laine de verre. Trois dessins extraits de la brochure « Tel qu’en un écrin ». 48 49 2/09/08 10:06 Page 50 L’APRÈS GUERRE : ESPOIRS ET DÉCONVENUES Sous la pression de l’administration américaine, le Pool est dissous en 1949. Sur le terrain, cependant, tout va bien dans une France en pleine reconstruction… jusqu’à l’arrivée d’un redoutable concurrent. Seule solution pour Isover : créer un procédé de fibrage supérieur à tout ce qui existe. Après la Libération, les relations avec OCF ne reprendront pas sur les bases antérieures. Dopé par les énormes commandes de l’armée, le verrier américain a en effet changé d’échelle et son attitude envers son partenaire s’en ressent. Qui plus est, le ministère de la Justice, qui pourchasse les abus de position dominante, a lancé une enquête concernant OCF. En juin 1949, OCF, Owens-Illinois et Corning mettent fin à la procédure en passant un accord avec les autorités. Selon ce consent decree, les brevets antérieurs à 1938 sont désormais accessibles à tous gratuitement. OCF s’engage de plus à céder à qui le demande, et à prix raisonnable, des licences sur les brevets postérieurs, à mettre fin à tous ses accords avec des sociétés étrangères et à conclure avec elles de nouveaux accords non restrictifs. Par ailleurs, OCF devient totalement indépendante de ses Isolation des automobiles qui ont transporté la famille royale britannique au cours de sa visite en Australie dans les années 1950. 50 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 pement général de la fibre de verre. Ce sera aussi une bonne manière de fidéliser ces industriels. AKM n’en ayant pas les moyens, Saint-Gobain décide le 8 avril 1948 de créer la Sodefive, Société d’études pour le développement de la fibre de verre. Son objet social, tel qu’il est défini dans les statuts, est « l’étude et la mise en œuvre de l’aide technique et commerciale pouvant être apportée aux fabricants et utilisateurs de fibres de verre dans le but de leur permettre de perfectionner et développer leur industrie et généralement toutes études et opérations se rapportant directement ou indirectement à l’objet ci-dessus ». Sur le terrain, l’ambiance est plutôt à l’optimisme. En pleine reconstruction, la France se modernise. Il y a là des opportunités à saisir pour l’isolation des bâtiments. Et justement, un nouveau produit apparaît : un feutre de fibres de verre imprégnées de liant, beaucoup plus facile à manipuler que les anciens matelas de fibres pures. Le premier du genre est destiné à l’isolation des réfrigérateurs. Il donne bientôt naissance à l’Imprégné au Brai à Rantigny, le fameux IBR qui révolutionne l’isolation du bâtiment. Convaincue de la qualité de son produit, Isover en demande en 1948 une expertise au laboratoire d’essais du Conservatoire national des arts et métiers. En avril 1949, le CNAM rend sa sentence : « Il a été constaté que deux « parents », Owens-Illinois et Corning. Bref, les accords de 1937 sont caducs. Il faut tout renégocier. Ce sera chose faite le 6 février 1951, date de la signature des nouveaux accords le matelas de laine de verre désigné Feutre Isover IBR, ayant été soumis à trente-sept heures de régime vibratoire, ne présente aucun tassement, les fibres de verre ne sont pas brisées et aucune poussière n’est détectée au bas de la cloison. » Bref, c’est une indéniable réussite technique. À l’époque, cependant, il a fallu la faire accepter à la clientèle. Or, Roger Lacharme s’est rendu aux États-Unis en 1947 et y a découvert de nouvelles méthodes commerciales. « Avant d’entreprendre ce de New York, qui marqueront la fin officielle du Pool. voyage, j’étais commerçant par intuition. De l’autre côté de Pressentant cette issue et voyant se rapprocher la date à laquelle ses brevets vont tomber dans le domaine public, la direction de Saint-Gobain réfléchit pour sa part à la mission l’Atlantique, j’ai découvert des méthodes rationnelles pour organiser une campagne publicitaire, une action promotionnelle, la conquête d’un marché », déclarera-t-il. Il développe donc un réseau commercial moderne et lance le journal interne d’AKM. Comment justifier les redevances lorsque les brevets L’Équipe, qui symbolise la renaissance de l’activité. Les archi- seront caducs, et comment se différencier d’OCF ? La seule solution est d’apporter aux licenciés une aide technique et commerciale, donc de contribuer plus activement au dévelop- tectes tendent enfin l’oreille, les contrats commencent à arriver. Le Corbusier fait appel à Isover pour isoler la célèbre Cité Radieuse de Marseille, qui sera inaugurée en 1952. Couvertures de L’Équipe, bulletin de liaison du service commercial en France. 51 2/09/08 10:06 Page 52 Un redoutable concurrent se profile cependant. En 1948, une filiale conjointe de Pont-à-Mousson et de l’Américain Johns Manville installe une usine de laine de roche à Saint-Étiennedu-Rouvray en Normandie. Au début des années 1950, ce nouveau produit d’isolation apparaît sur le marché français sous le nom de Roclaine. Ses producteurs n’en font pas mystère, ils veulent « asphyxier » la fibre de verre. Ils consentent pour cela d’importants rabais, et la laine de roche se vend 25 % moins cher que la laine de verre. De plus, supportant des températures plus élevées, elle est mieux adaptée à certains usages industriels. Enfin, ses vendeurs ne manquent jamais de signaler que leur produit « ne pique pas les doigts », ce qui n’est pas le cas de la fibre de verre issue du procédé Owens. « Nous avons senti le vent du boulet. Les efforts commerciaux entrepris depuis des années risquaient d’être anéantis et ces rivaux faisait courir le bruit que l’usine de Rantigny serait contrainte de fermer ses portes en l’espace de deux ans », se souviendra Roger Lacharme. Saint-Gobain n’a plus le choix. Il faut absolument mettre au point un nouveau procédé de fibrage du verre qui donne de meilleurs résultats que l’Owens. Roger Lacharme fait littéralement le siège du centre de recherches, désormais installé à Paris, boulevard de la Villette, et obtient que la recherche sur le fibrage entamée pendant la guerre change de rythme et d’échelle. L’ère des ingénieurs commence. 52 CHAPITRE 1 - - L’ÈRE DES PIONNIERS 014-053-STG-11-04 LA SODEFIVE, AU SERVICE DES LICENCIÉS Créée pour offrir un service aux licenciés, la Société d’études pour le développement de la fibre de verre (Sodefive) deviendra graduellement un outil de développement international pour Saint-Gobain. L’histoire commence en 1948. La toute nouvelle filiale reçoit la mission explicite de fournir aux licenciés une assistance technique et commerciale. Par là même, elle est chargée de contribuer au développement de l’industrie de la fibre dans le monde… pour le plus grand bénéfice du Groupe, ne serait-ce qu’en terme de redevances. À l’origine, la société n’assure pas l’assistance technique elle-même, elle en assure la coordination. Les ingénieurs du CRIR s’en chargent sur le terrain. La Sodefive assume en fait un rôle d’interface, d’organisation… et d’animation. « C’est à la fin des années 1950 que se développe l’esprit “club” dans les relations avec les licenciés. Ce sont des personnalités telles que Marc Tolédano, Claude Caron, Claude Jumentier qui ont su créer un style de relations avec les licenciés reposant sur la confiance et des liens d’amitié. Les licenciés savaient qu’ils pouvaient compter sur Sodefive », explique Dominique Élineau, dernière directrice de la Sodefive. Le mot est lancé : par son mode de fonctionnement, la société fait naître un véritable « club des licenciés ». Un état d’esprit concrétisé par des réunions de responsables techniques ou commerciaux, des congrès internationaux rassemblant « des gens qui se connaissaient et s’appréciaient » et même, au début des années 1980, un journal. Plus tard, la Sodefive enrichira son service aux licenciés d’une assistance commerciale et marketing. « Nous avions compris que posséder un procédé techniquement supérieur à la concurrence ne suffisait pas », souligne Dominique Élineau. Une petite cellule est donc créée pour étudier les évolutions des besoins des marchés, faire circuler l’information sur les nouveaux produits, assister les licenciés dans la définition de leurs gammes à l’occasion d’investissements industriels, les aider à comparer les caractéristiques des produits concurrents des leurs… La chute du mur de Berlin, enfin, ouvre une nouvelle ère. La direction de la branche Isolation confie alors à la Sodefive une nouvelle mission au-delà de sa vocation originelle. Capitalisant sur ses compétences ainsi que sur ses connaissances des marchés et des acteurs, elle va participer à l’implantation de la branche Isolation dans les pays d’Europe de l’Est, puis en Chine. En 1997, il ne reste que cinq licenciés et aucune perspective importante immédiate de nouvelles licences. Une structure dédiée ne se justifie plus. Après un demi-siècle d’existence, la Sodefive est dissoute et son activité réintégrée dans la branche Isolation du Groupe. 53 054-097-STG-11-04 2/09/08 10:09 Page 54 CHAPITRE 2 Une épopée technologique Le « TEL » à la conquête du monde Le nouveau jeu des licences « Tout va bien » L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS Après guerre, les cartes sont redistribuées. Coupé de ses pourvoyeurs de technologie durant le conflit, le groupe Saint-Gobain a dû développer seul son outil de production. Le laboratoire de recherches se met au travail et bientôt va naître le TEL, nouveau procédé fondé sur un principe de fibrage original. C’est un succès technique et commercial : des licences seront concédées dans le monde entier. Une période faste s’ouvre pour Isover. 55 054-097-STG-11-04 2/09/08 10:09 Page 56 1945-1946 1960 Pierre Heymes, jeune ingénieur d'essais, dépose coup sur coup deux brevets majeurs portant sur les procédés de fibrage. Le second, en particulier, décrit l'association de la force centrifuge et de l'action d'un jet de gaz chaud pour étirer le verre. C'est le premier énoncé du fameux principe de fibrage de Saint-Gobain. 1950 Début de la construction du Centre de recherches industrielles de Rantigny, plus connu sous l'acronyme de CRIR. Véritable centre de recherche et de développement, il associe trois laboratoires fondamentaux (chimie, physique et applications) à des lignes pilotes d'échelle industrielle. La recherche a enfin trouvé sa place. 1967 Saint-Gobain et CertainTeed, un producteur américain de matériaux de construction, créent CSG, une joint-venture destinée à fabriquer et à vendre de la laine de verre aux États-Unis. Les premières lignes, installées dans les usines de Pennsylvanie, du Kansas et du New Jersey, démarrent un an plus tard. Le TEL vient concurrencer Owens Corning sur son propre territoire ! Après les essais décevants de la machine LET, trop compliquée, décision est prise de la « retourner ». Heymes avait d'ailleurs déjà émis cette idée quelques années auparavant. La toute première machine TEL, avec l'assiette de fibrage en bas, apparaît donc au centre de Billancourt avant d'entamer une campagne d'essais à Rantigny. 1957 Ça y est ! Après sept ans de mise au point, le TEL - en fait le Supertel, comme l'appellent les chercheurs - entame sa carrière industrielle à Rantigny, où il supplante le procédé Owens. Gabriel Aufaure, directeur de l'usine, assume le risque. Un pari rapidement gagné, puisque le TEL, supérieur à tous les autres procédés, va bientôt conquérir le monde. 56 1973-1979 La guerre du Kippour (1973) puis la révolution iranienne (1979) provoquent deux chocs pétroliers qui marquent la fin des Trente Glorieuses. C’est la crise. L’énergie étant devenue chère, l’isolation a soudain le vent en poupe. Dans un contexte économique pourtant difficle, Isover vit une décennie de prospérité. 57 2/09/08 10:09 Page 58 UNE ÉPOPÉE TECHNOLOGIQUE LE PROCÉDÉ TEL CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 Pour les chercheurs, la centrifugation de type Hager est la manière la plus logique de fibrer du verre. Ils y ajouteront cependant un surétirage par des gaz chauds, créant ainsi un principe de fibrage original. Le TEL, qui applique ce principe, naîtra dans la douleur après plusieurs changements… et un retournement. Les prémices Après l’intermède de l’exode, l’activité de fibrage du verre a repris à Rantigny. Cependant, au début de 1941, il devient clair que la coupure des relations avec les ingénieurs d’OCF handicape Saint-Gobain. La Compagnie ne bénéficie plus des dernières avancées technologiques. Il en va de même avec Gossler. SaintGobain décide donc de développer elle-même ses procédés. Tony Perrin, qui assume la direction générale des Glaceries en l’absence d’Eugène Gentil retenu à New York, et son adjoint André Ayçoberry, se tournent alors vers le laboratoire d’études thermiques, ou LET. Cette unité de recherche et développement sise à Billancourt se consacre essentiellement aux procédés de verre à vitres. Son directeur, Ivan Peyches, revient justement de captivité. Dès son retour,André Ayçoberry lui demande d’étudier En quelques mois, Ivan Peyches s’est fait son opinion : le procédé centrifuge Hager est le plus logique des trois d’un point de vue physique. De plus, ce procédé simple et acceptant le verre de tous les procédés existants pour dégager d’éventuelles possibilités d’amélioration. Sont en piste le Gossler, procédé quelque peu dépassé de filage sur roue, le Hager, qui repose sur la centri- récupération correspond bien à cette période de pénurie. Il présente cependant un inconvénient majeur : c’est Boussois qui en détient la licence ! Il faut donc trouver une alternative. Dès lors fugation, et la méthode Owens de soufflage par la vapeur, héritée de la fibre de laitier. commence le travail sur ce qui deviendra la machine LET, qui reprend les initiales du laboratoire. Il durera jusqu’en 1951. Ivan Peyches. 58 59 2/09/08 10:09 Page 60 La machine LET se développe avec diverses améliorations par rapport au procédé Hager. Les plus importantes portent sur le disque rainuré, rapidement remplacé par une « assiette » au rebord percé de trous. Ce que les chercheurs appellent entre eux la « tournette » ressemble d’ailleurs plus à une soucoupe volante qu’à une assiette. Et ses qualités de vol à travers l’atelier, lors de certains incidents de mise au point, renforceront la comparaison… Les premiers essais de la machine, construite par la SEVA (voir « La SEVA, un mécanicien qui fait des assiettes », p. 64), se déroulent au service des essais industriels de Saint-Romainle-Puy, dès 1942. C’est un échec. Il faudra attendre 1944 pour obtenir des fibres d’un diamètre de 16 microns. L’assiette évolue, recevant deux puis trois rangées de trous. De nouveaux essais sont mis sur pied à Rantigny, avec un autre mode d’alimentation. L’assiette reçoit des billes en verre doux injectées du dessous par de l’air comprimé. Une fois encore, les essais seront décevants. M. Habert, alors directeur de Rantigny, n’est pas tendre. « Cela ne marchera jamais », affirme-t-il. Au nombre des griefs : un prix de revient trop élevé, une machine fragile, des assiettes éphémères et des produits de qualité douteuse à cause du verre doux. Sans compter les problèmes de récupération de la fibre dus à la disposition étonnante de la machine, héritée du procédé Hager, avec l’assiette en haut. C’est la fin de la machine LET. CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 PRÉCISION DE VOCABULAIRE : QU’APPELLE-T-ON LE TEL ? « Je ne trouve pas, dans le contexte technique du TEL, un élément unique qui distinguerait le procédé de ses concurrents. L'ensemble du procédé est la juxtaposition d'une myriade de détails. Pris un par un, ils peuvent sembler anodins, mais par leur synthèse en un tout homogène, ils en font une technologie parfaitement compétitive dans l'industrie de la fibre de verre pour l'isolation. » Ainsi s’exprime René Goutte, un ingénieur qui a supervisé l’implantation de l’activité isolation de Saint-Gobain aux États-Unis. Mais qu’appelle-t-il au juste le « TEL » ? Une précision de vocabulaire s’impose.Au début était la machine LET, ébauchée durant la guerre et reprenant les initiales du laboratoire d’études thermiques. L’idée de retourner l’assiette de fibrage a permis le développement d’une nouvelle machine de centrifugation : la machine LET a donc été transformée en TEL par un retournement physique autant qu’acronymique.Après de nouveaux développements, le TEL est devenu Supertel, avant d’être industrialisé en 1957. Ce que René Goutte, et tout le monde avec lui, appelle le « TEL » est donc en fait le Supertel, puis ses développements successifs. C‘est devenu le nom générique du principe de fibrage de Saint-Gobain. 1 1. Assiette LET. 2. Prototype de la machine LET. 60 2 61 2/09/08 10:09 Page 62 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 Assiettes de fibrage de différents diamètres. 054-097-STG-11-04 2/09/08 10:09 Page 64 Chez Saint-Gobain, la fibre de verre est élaborée dans des assiettes. À l’origine appelées « tournettes », les assiettes de fibrage doivent supporter des vitesses de rotation de plusieurs milliers de tours par minute sans se déformer, et recevoir du verre en fusion à plus de mille degrés Celsius. Ces pièces délicates sont devenues la spécialité de la Société d’études verrières appliquées (SEVA). Elle a été créée en 1926 sous le nom de Société d'Études et d'Exploitations Verrières (SEEV) par Saint-Gobain pour assurer la conception et la maintenance mécanique des machines de la toute nouvelle usine de fabrication de bouteilles de Chalon-sur-Saône. En fait, la société a rapidement été sollicitée par l’ensemble du Groupe pour toutes les pièces ou ensembles mécaniques de ses installations de production. C’est donc elle qui réalise les prototypes et assure la fabrication des différentes machines de fibrage. Les assiettes représentent un cas particulier, car non seulement la SEVA les fabrique, mais elle les fait évoluer – et adapte en même temps son outil de production. Ces pièces sont à ce point déterminantes pour la qualité de la fibre que la SEVA est depuis toujours le seul fournisseur de toutes les usines et filiales du Groupe. Les premières assiettes sont fabriquées en 1956-1957 pour le démarrage du TEL et du Supertel. D’un diamètre de 200 millimètres, elles sont réalisées en tôle de Nicral emboutie sur une presse hydraulique. Les trous sont percés « à la main » avec des forets de moins d’un millimètre de diamètre. Une vingtaine de perceurs travaillent alors dans un atelier isolé pour pouvoir entendre « chanter la mèche », autrement dit déterminer à l’oreille l’état du foret. Mais la technique utilisée évoluera très vite : diamètre et matériau des assiettes, mais aussi mode de production et de perçage des trous. La tôle emboutie, peu résistante, sera rapidement remplacée par des pièces moulées. Le laboratoire de la Villette choisit un alliage d’origine américaine (fer, chrome, nickel et tungstène) qui sera utilisé jusqu’en 1978. Il est fondu dans un four électrique sans contact avec l’air et coulé dans des moules en sable durci. Les pièces sont ensuite finies au tour. Au milieu des années 1990, la SEVA passe à des moules en céramique. On réalise d’abord en polystyrène une réplique de l’assiette, puis on recouvre ce modèle de couches successives de céramique qui seront ensuite solidifiées au four. La plupart des assiettes sont désormais réalisées selon ce procédé. Le perçage à la main laissera la place à une méthode d’électroérosion, où le métal est attaqué par des arcs électriques intenses et répétés. CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS LA SEVA, UN MÉCANICIEN QUI FAIT DES ASSIETTES d’électroérosion en 1997. Le système étant cependant arrivé à ses limites, la SEVA passe alors au perçage par faisceau d’électrons. En fait, elle étudie ce procédé depuis plus de vingt-cinq ans, mais le seul fabricant de ce type de machines, à l’époque réservées au perçage des chambres de combustion des réacteurs d’avion, peine à mettre au point un système adapté aux assiettes de fibrage. Une seule machine de ce type remplacerapourtant tous les postes d’électroérosion à partir de 1998 ! Entre-temps, le diamètre des assiettes est passé successivement à 300 millimètres (1967) puis à 400 (1978), à 600 (1980) et même à 800 millimètres à partir de 1992. L’alliage évolue lui aussi, et fait l’objet de collaborations avec le CNAM et l’université de Nancy. En 1985, la SEVA et le CRIR (Centre de Recherches industrielles de Rantigny) resserrent encore leurs liens et instituent des échanges techniques réguliers, formalisant ainsi une collaboration initiée trois décennies plus tôt. Atelier de perçage à la SEVA dans les années 1960. Après avoir en vain essayé une machine du commerce, la SEVA conçoit et réalise ses propres outils, avant de les mettre en service en 1964. Il y aura jusqu’à quatre-vingts postes Atelier d’usinage à la SEVA en 1970. 64 65 2/09/08 10:09 Page 66 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 1 1. Piles d’assiettes de fibrage dans les ateliers d’usinage de la SEVA. 2. Montage d’une assiette TEL. 2 3 3. Stock d’assiettes de fibrage à différents stades de fabrication. 67 2/09/08 10:09 Page 68 PIERRE HEYMES, LE PÈRE DU PRINCIPE DE FIBRAGE DE SAINT-GOBAIN Naissance d’un procédé « Le meilleur de nos ingénieurs d’essais. » C’est ainsi que l’on décrit Pierre Heymes à Saint-Gobain. Sorti des Arts et Métiers en 1942, le jeune diplômé reçoit immédiatement une bourse du CNRS pour travailler au laboratoire d’études thermiques de Saint-Gobain, alors dirigé par Ivan Peyches. Ce dernier, qui élabore à l’époque une théorie complète du fibrage, a besoin d’une étude de dynamique des fluides. Il demande alors à Heymes de se lancer dans une thèse supervisée par le professeur Ribaud, président du comité de recherche de Saint-Gobain. À cette occasion, Heymes comprend que la force d’étirage qu’un fluide peut exercer sur un fil fin – en l’occurrence un filet de verre fondu – dépend à la fois de sa vitesse et de sa température. Embauché par Peyches dès 1943, il commence à élaborer ce qui deviendra le principe de fibrage de Saint-Gobain. En 1944, il visite derrière la cathédrale Notre-Dame à Paris une exposition de V2 allemands récupérés et comprend comment éjecter à très grande vitesse les gaz chauds indispensables. Dès lors, tout va très vite. Un premier brevet est déposé en 1945. Le second, qui associe Schéma du principe du moteur V2. 68 l’étirage par des gaz de combustion à l’action de la force centrifuge, suit en 1946. Le principe de fibrage de Saint-Gobain est posé ; il faudra attendre encore quelques années pour disposer de brûleurs adéquats. Dès le début de 1946, Heymes prend la direction des essais de fibrage et partage son temps entre le laboratoire de la place de la Nation et Rantigny. À Paris, il développe le procédé Superfine, dont les brûleurs sont les ancêtres de ceux du Supertel. À Rantigny, il se consacre à la machine LET. Notons que, toujours visionnaire, il a dès cette époque proposé de la renverser, donc qu’il a conçu le TEL sans le savoir… Pierre Heymes supervisera le développement du procédé jusqu’en 1951. À cette époque, Saint-Gobain doit résoudre un problème ardu : le polissage simultané des deux faces d’une lame de verre. La direction de Saint-Gobain accorde une importance extrême à cette question et Ivan Peyches n’hésite pas une seconde. Le seul à pouvoir répondre est Pierre Heymes, qui délaisse donc le procédé de fibrage dont il a posé toutes les fondations. La machine LET ne fonctionne pas ? Retournons-la ! « Nous désignons sous le vocable TEL une nouvelle conception de la machine de centrifugation LET dans laquelle l’ensemble des organes est renversé, l’assiette se trouvant sur la partie inférieure », écrit Ivan Peyches, dans son introduction au rapport sur les essais décevants de Rantigny. Rendant à César ce qui lui est dû, il signale d’ailleurs qu’une telle disposition avait été proposée dès 1942 par le responsable de l’usine où s’effectuaient les premiers essais de la machine, avant d’être reformulée en 1946 par Pierre Heymes qui prenait à l’époque la direction des essais de fibrage. La toute première machine renversée date de 1950. Le verre arrive du haut par la lumière de l’axe de l’ensemble. Les fibres, soufflées vers le bas par un courant d’air, tombent sur un tapis La Sodefive aussi plaide pour une accélération des essais. C’est d’ailleurs son directeur, M. Deschamps, qui a l’idée de faire évaluer le TEL par un regard neuf. Il propose M. Corvillain, un ingénieur des Mines alors responsable de la glacerie de Chantereine. Celui-ci prend la direction des essais en septembre. Grâce à de nombreuses modifications mineures, qui s’apparentent à des réglages, les essais donnent enfin satisfaction. « L’avenir de la machine TEL peut être envisagé avec optimisme. Il est absolument indispensable qu’une marche industrielle de plusieurs mois, sur un four ad hoc, vienne incessamment confirmer les résultats obtenus », écrit Corvillain. Bref, le TEL est viable, il faut poursuivre les essais en taille réelle. Les essais industriels du TEL démarrent sous la direction de Marcel Lévecque, qui vient du laboratoire de recherches fondamentales du centre de la Villette. Ils auront lieu à l’usine de Lucens, en Suisse. L’un de ses trois fours est affecté aux essais TEL, qui se dérouleront de 1953 à 1955. Le travail porte sur la machine, encore un peu fragile, sur le perçage des assiettes, l’affinage des fibres et l’augmentation du débit. Lévecque multiplie, jusqu’à trente-cinq, les rangées de trous de l’assiette. La dernière campagne d’essais, menée à Rantigny de 1954 à 1956, porte sur le brûleur et détermine enfin une composition de verre adaptée au de réception. Un seul axe, pas de vibrations : la machine est à la fois plus simple et mieux conçue que son ancêtre. Les premiers essais sont encourageants. La machine tient, les fibres s’évacuent facilement. En revanche, il faut améliorer le brûleur. En 1951 débute à Rantigny une campagne d’essais et de modifications. procédé. La machine possède maintenant une assiette de 2 700 trous, elle produit trois tonnes par jour de fibres de dix microns de diamètre. Elle est enfin prête pour l’industrialisation. On travaille sur la composition du verre, sur le brûleur externe, mais surtout sur l’assiette. Forme, matériau, nombre de trous, tout évolue. Reste cependant un problème : si la température de mier produit sera vendu à Frigidaire, filiale de General Motors. Et pourtant, le 17 juillet 1956, les machines sont arrêtées. C’est la fin du TEL ! Entre-temps, le Supertel a en effet démontré sa fusion est insuffisante, le verre dévitrifie ; si elle est trop forte, supériorité au cours d’un essai comparatif. En juin 1956, deux machines TEL démarrent à Rantigny. Le pre- l’assiette en souffre. Bref, les essais traînent en longueur et ne donnent aucun résultat convaincant, malgré les évidentes qualités de la nouvelle machine. À l’automne 1952, Roger Lacharme, talonné par la concurrence de Roclaine, presse en effet la direction de lancer le nouveau procédé de fibrage. La fibre de type Owens, trop lourde et surtout trop piquante, peine à concurrencer la laine de roche. 69 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 2/09/08 10:09 Page 70 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 LE LABORATOIRE DE PHYSIQUE : UN OUTIL SCIENTIFIQUE « Je voudrais […] insister encore sur la nécessité que nous avons, sur le plan des recherches, de faire des travaux de base qui, trop souvent, sont décriés et considérés comme relevant du savant Cosinus. » Marcel Lévecque, chef du service Recherches techniques et développement, s’exprime ainsi à l’occasion du dixième anniversaire du laboratoire de physique, en 1971. Les niveaux sonores recueillis par les microphones sont transcrits directement en décibels sur l’enregistreur. « Branche théorique » du CRIR, le laboratoire a démarré ses activités en 1961 sous l’égide de Daniel Fournier, aidé de l’ancien responsable du laboratoire de contrôle de l’usine de Rantigny, Claude Jumentier. L’ensemble comprend trois sections – thermique, mécanique et acoustique – correspondant aux trois propriétés de base attendues des matériaux isolants. Sa mission est triple, elle aussi. D’abord faire « le tour de la question », c’est-à-dire recenser et décrire les performances de tous les matériaux à usage acoustique et thermique. À ce jour, le laboratoire maintient encore un fichier de caractéristiques ayant peu d’équivalent au monde. Ensuite, il est chargé de mener des recherches de base sur les propriétés des matériaux. C’est le « gros » du travail. Il s’agit de décrire et de modéliser les phénomènes se déroulant dans les milieux fibreux, et de comprendre en quoi la structure de ces matériaux influence leurs performances. Enfin, rien de tout cela ne serait possible sans le troisième axe de recherche : la mise au point de méthodes de mesure précises et fiables de ces propriétés et phénomènes. Ce que l’on appelle « métrologie » est indispensable non seulement pour connaître, mais aussi pour comparer de manière indiscutable les performances de différents matériaux. Un atout lorsqu’il faudra négocier avec les autorités L’opérateur mesure avec un sonomètre les caractéristiques d’un haut-parleur. 70 réglementaires du monde entier et faire évoluer des textes qui désavantagent souvent la laine de verre par simple ignorance de ses propriétés. Courbes d’isoperméabilité, appareils de mesure de conductivité thermique, étude de la convection et de la thermomigration dans les isolants fibreux légers, effet du bore : si le profane peine à se représenter exactement de quoi il retourne, il n’est pas difficile de deviner que le laboratoire travaille à un très haut niveau, d’ailleurs souvent en collaboration avec des institutions de recherche publique et des universités. Du 23 au 25 novembre 1971, des journées d’étude sont organisées à Ermenonville. C’est l’occasion de dresser le bilan de dix ans d’activité. Claude Jumentier, ancien « commercial » passé à la recherche, explique alors en quoi un laboratoire fondamental, qui peut sembler bien éloigné des réalités du terrain, peut aider très concrètement ceux qui vendent de la fibre. « Je me souviens que mes maux provenaient de trois côtés à la fois : les clients, la concurrence et la réglementation d’emploi des matériaux isolants. En ce qui concerne les clients, le problème provenait du manque de renseignements dignes de foi et adéquats. À l’égard de la concurrence, le problème était de trouver une argumentation convenable et irréfutable. Enfin, par “réglementation”, je veux dire toutes les règles ou spécifications édictées par les instituts ou les autorités de la profession amenant des restrictions dans l’emploi des matériaux isolants. » Le laboratoire a répondu à toutes ces attentes. On mesure le chemin parcouru depuis les années 1950, époque où l’on évaluait la qualité d’une fibre… au toucher ! 71 2/09/08 10:09 Page 72 MARCEL LÉVECQUE, LE « PATRON » Et le TEL devint Super Le nom de Supertel date très précisément du 13 octobre 1952, à la Villette, lors d’une réunion sur les conclusions du rapport Corvillain. Outre le lancement des essais industriels du TEL, il est alors décidé de consacrer des efforts de recherche à un nouveau procédé. L’idée est simple : appliquer à la machine TEL le principe de fibrage défini en 1945-1946 par Pierre Heymes. Ce programme, qui s’appellera Supertel, sera réalisé à la Villette et à Rantigny sous la supervision de Marcel Lévecque. Le premier pas consiste à étirer les filets de verre sous l’action de gaz de combustion à très haute vitesse.Très vite, Ivan Peyches imagine de l’associer au fibrage centrifuge qu’il voit à l’œuvre au cours des essais TEL dont il a pris la responsabilité. Un brevet de 1946 décrit ce qui est devenu le principe de fibrage Saint-Gobain : l’association de la force centrifuge et d’un surétirage par des gaz chauds issus d’un brûleur à combustion interne. La mise au point du Supertel démarre en avril 1953 par la construction d’un outil de fibrage complet à la Villette et l’installation de lignes d’essais à Rantigny.Elle durera quatre ans.Quatre années au cours desquelles il faudra définir pour l’assiette un alliage métallique qui supporte la chaleur, créer un brûleur à combustion interne capable de délivrer des flammes « dures » – c’est-à-dire suffisamment rapides et cohérentes pour entraîner les fibres –, arrêter la composition du verre et créer un système de chauffage du verre par induction. Le 19 octobre 1953, soit un an exactement après la réunion initiale, la première fibre Supertel est produite à la Villette. Elle mesure deux microns de diamètre, mais comporte encore trop d’impuretés. Le brûleur est amélioré jusqu’en avril 1954, puis les essais sur les autres constituants du procédé démarrent à Rantigny. En 1956, le Supertel a fait définitivement la preuve de sa supériorité sur le TEL, qui est arrêté. En octobre 1950, un jeune homme de 28 ans entre au laboratoire de recherches fondamentales de la Villette. Diplômé du Conservatoire national des arts et métiers, il vient de passer trois ans à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onéra), où il a travaillé sur les céramiques, les alliages métalliques et la combustion. Comme il a également étudié la thermodynamique et la chimie du verre, il maîtrise déjà, au moins en théorie, tous les aspects du fibrage. C’est sans doute pour cela que, le 13 octobre 1952, Ivan Peyches lui confie la direction de l’équipe TEL, faisant de lui le successeur de Pierre Heymes. « Il y avait au labo de recherches fondamentales un excellent thermodynamicien, Marcel Lévecque… Je décidai de lui confier le procédé TEL. En quelques années, Lévecque allait lui faire franchir toutes les étapes du développement et en faire un procédé vraiment industriel », se rappellera plus tard Ivan Peyches. Et en effet, celui que ses collaborateurs appellent unanimement « le patron » s’intéresse à tous les aspects de la machine, CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 brasse les idées à la pelle, accable ses collaborateurs de travail. Épuisant, parfois, mais le résultat sera au rendez-vous. Le brillant théoricien qu’il aurait pu rester donne aussi toute sa mesure d’expérimentateur pragmatique et ingénieux. C’est peut-être cet aspect qui lui attire le respect puis l’amitié indéfectible de Gabriel Aufaure, le directeur de l’usine de Rantigny. Les deux compères seront à l‘origine de la création du CRIR en 1960. Lévecque prend alors la direction du service Recherches techniques et développement (RTD) de la division Glaces, avant de devenir directeur technique de la branche Fibres de verre puis d’assumer la responsabilité de CertainTeed aux États-Unis. Le nouveau centre de recherches de CertainTeed, inauguré le 26 juin 1979, sera baptisé Lévecque Technical Center. 1 2 1. Schémas du Supertel. 2. Chauffage des assiettes par induction. 72 73 054-097-STG-11-04 2/09/08 10:09 Page 74 Le verre fondu tombe dans l’assiette de fibrage qui tourne sur un axe vertical. L’enveloppe de cette assiette en acier réfractaire est percée de nombreux trous. Le verre est poussé par centrifugation à travers ces trous et est divisé en de multiples fils. Un puissant jet de gaz chauds réalise alors l’étirage final des fibres. 74 75 2/09/08 10:09 Page 76 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 UNE PLACE POUR LA RECHERCHE L’heure n’est plus à l’empirisme ou au bricolage. Les responsables successifs de la recherche au sein de la branche Isolation introduisent la démarche scientifique et lancent des programmes d’études fondamentales. Pour cela, il faudra des laboratoires et un véritable centre d’essais. En 1960, c’est fait : le CRIR naît à Rantigny. Depuis le début du XXe siècle, l’industrie verrière a pris conscience de l‘importance de la recherche, et Saint-Gobain ne fait pas exception. Il faudra cependant attendre les années de guerre pour qu’Ivan Peyches dépasse l’empirisme jusqu’alors de mise et affirme l’importance de la méthode scientifique, combinant recherche de connaissances théoriques et expérimentation contrôlée. Une nouvelle époque vient de commencer. Des questions aussi apparemment triviales que « Qu’est-ce qui détermine la reprise d’épaisseur d’un feutre de fibres comprimé pendant le transport ? » mèneront à des travaux théoriques de haut niveau impliquant des modélisations mathématiques, et feront l’objet de thèses et d’études conjointes avec la recherche universitaire ou d’autres institutions académiques. En mai 1956, Marcel Lévecque adressera même à la Sodefive, au service des brevets – ainsi qu’ à Peyches – une note quelque peu visionnaire : « L’étude des produits, trop négligée en Europe, doit être plus systématique. Peut-être verra-t-on, d’ici quelques années, des théoriciens se pencher sur les architectures de fibre de verre, des “topologistes” des fibres appliquer leurs mathématiques ardues pour nous faire découvrir les vraies possibilités de nos produits. » Il est évident qu’améliorer les propriétés d’un isolant ou discuter avec les autorités réglementaires demande de solides connaissances théoriques. Dans l’immédiat après-guerre, personne ne sait grand-chose des propriétés de la fibre de verre ni de son comportement dans le temps. Pour engager un vrai programme scientifique, il faut des hommes, des moyens et des installations. C’est au laboratoire d’études thermiques de Billancourt que commencent les premiers travaux sur la machine LET, en 1941. Or, dans la nuit du 3 mars 1942, une bombe visant les usines Renault situées à proximité détruit le laboratoire. Celui-ci est transféré rue Fabre-d’Églantine à Paris, près de la place de la Nation, où les essais de fibre ultrafine, qui demandent très peu de verre, démarrent dès l’été. Le matériel d’essais sera ensuite transféré au boulevard de la Villette, où sera construit en 1949 le premier centre de recherches sur la fibre. Reste à résoudre le problème de l’accès au verre fondu, indispensable pour mener les essais. Ceux-ci se déroulent dans diverses usines du Groupe, au gré des filets de verre disponibles. Or, en avril 1953 démarrent les essais du Supertel ; il est donc décidé de construire une unité de fibrage complète. Elle disposera de sa propre cellule de fusion, de son tapis de réception et de son dispositif d’encollage. Ce n’est pas encore suffisant. En janvier 1960, Marcel Lévecque et Gabriel Aufaure réfléchissent. Bien que lancé avec succès, le Supertel nécessite encore des améliorations. Qui plus est, les besoins en isolation se développent à grande vitesse. Exode rural, urbanisation et croissance économique se conjuguent pour faire exploser la construction de logements. Les licenciés ont besoin d’assistance et de formation pour suivre les évolutions d’un marché aussi prometteur. Quant aux chercheurs, l’expérience de 1953 leur a démontré que, pour tester un procédé à l’échelle industrielle, ils doivent disposer de leur propre ligne pilote. S’ajoutent à ces préoccupations un problème anecdotique mais non négligeable : les essais de brûleurs engendrent des sifflements si intenses que les voisins du boulevard de la Villette commencent à se lasser… Bref, il faut songer à construire un véritable centre d’essais à grande échelle. Ce sera le CRIR, le Centre de recherches industrielles de Rantigny. « Il nous fallait travailler en prise directe et non pas dans l’“abstrait” d’un laboratoire. Alors je demandai que l’on me construise un centre de recherches situé à côté de l’usine. Comme cela, tout le monde serait content et pourrait travailler chacun chez soi », se souviendra Lévecque. Les travaux commencent rapidement par la construction de l’atelier pilote auquel sont adjoints trois laboratoires fondamentaux, dédiés respectivement à la chimie, à la physique et aux applications. L’organisation de la recherche au sein de la division Glaces est remaniée en conséquence : le service Recherches techniques et développement (RTD) est créé en 1960 et placé sous la responsabilité de Marcel Lévecque. La recherche a enfin trouvé sa place. Rollisol, un des premiers grands succès commerciaux d'Isover dans les années 1950. 76 77 054-097-STG-11-04 2/09/08 10:09 Page 78 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS LE « TEL » À LA CONQUÊTE DU MONDE Mai 1957 : l’exploitation industrielle du Supertel démarre à Rantigny. Le procédé, qui produit une fibre d’une finesse et d’une légèreté inégalées, écrase la concurrence. C’est le début d’un succès international. En quelques années, des dizaines de licences d’exploitation seront vendues dans le monde entier. Techniquement, le Supertel surpasse sans conteste les procédés concurrents. Faut-il pour autant en généraliser l’industrialisation ? La réponse, si évidente maintenant, ne va pas de soi en 1957. Les licenciés s’interrogent. Il demeure encore des incertitudes sur la viabilité du procédé dans le temps, notamment quant à la tenue des assiettes de fibrage soumises à de hautes températures. De plus, il faudra investir pour adapter des lignes de production optimisées depuis de longues années pour le procédé Owens. Il n’empêche : la Sodefive presse le pas, voyant OCF faire des promesses directes aux licenciés. Dans le même temps, le groupe Heye adopte de nouvelles compositions de verre pour le procédé Owens et le fait amplement savoir. En 1956, la Sodefive ne peut que « gagner du temps » en espérant que le procédé sera vite au point. Elle organise ainsi d’innombrables visites de représentants de sociétés étrangères à Rantigny, pour leur montrer le nouveau procédé en cours d’essais. Finalement, Gabriel Aufaure, directeur de l’usine de Rantigny, prend la décision en mai 1957 : le procédé Owens est arrêté et remplacé par le Supertel, que tout le monde, hormis les chercheurs de Saint-Gobain, appelle d’ailleurs le TEL. La production industrielle démarre avec six « têtes » Supertel fonctionnant selon la « règle des six » : six tonnes de fibres par jour (par tête), Visiteurs japonais de la société Asahi Glass, accompagnés de Marc Toledano de la Sodefive. 78 six mille trous par assiette, six microns de diamètre. « Il y a un risque, mais on le prend », aurait répondu Aufaure à la question d’un collaborateur quelque peu soucieux. Pari rapidement Publicité espagnole, « Ni froid, ni chaud, ni bruit ». 79 054-097-STG-11-04 2/09/08 10:09 Page 80 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 1 gagné : le produit remplit ses promesses. Non seulement il est doux au toucher, mais, à performances d’isolation égales, il pèse jusqu’à deux fois moins que la laine de roche. Il faudra d’ailleurs convaincre les clients d’abord surpris par cette légèreté, ce qui ira vite. Isover réoriente et affine son marketing en offrant à ses clients non plus un produit de base, mais un produit efficace avec de vraies caractéristiques. C’est sur le critère des performances qu’il faut désormais juger. Même si de nouveaux développements verront le jour à la Villette jusqu’en 1959, le « TEL » est officiellement lancé. Il va dominer le monde de l’isolation pour les décennies à venir. 1 Les industrialisations suivantes auront lieu hors de France. Le Congrès mondial de l’isolation, qui se tient en 1958 à Cannes, constituera l’occasion de faire un premier point. Marcel Lévecque présente alors le Supertel aux représentants du monde entier. De 1958 à 1963 se déroule « l’âge d’or des ventes de licences TEL », selon les propres mots de Claude Jumentier, directeur technique de la Sodefive. La plupart des licenciés Hager d’avant guerre deviennent des licenciés TEL, et de nouveaux arrivent. La Sodefive donne alors toute sa mesure. Une équipe « mobile » est constituée pour aider chaque nouveau licencié à concevoir, à construire puis à faire démarrer ses installations. Couronnement de l’édifice, ou en tout cas avancée la plus significative : en 1968, Saint-Gobain installe le TEL aux États-Unis (voir « CertainTeed : l’aventure américaine », p. 83). Et le mouvement se poursuit vers l’Orient. 2 2 1. Construction d'une ligne TEL au Brésil, en 1963. 2. Allumage du four de l'usine d'Etten-Leur aux Pays-Bas, en 1962. 1 et 2. Démarrage de la ligne TEL à l'usine de Vamdrup au Danemark, en 1965. 80 3. Ligne TEL en production à l'usine d'Etten-Leur aux Pays-Bas. 3 81 2/09/08 10:09 Page 82 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 CERTAINTEED : L’AVENTURE AMÉRICAINE En 1966, CertainTeed, un producteur américain de matériaux de construction, absorbe le verrier Gustin Bacon et veut se lancer sur le marché de l’isolation. Or il ne dispose que d’un procédé de fibrage jamais abouti, acheté en 1964 à la société Pall en même temps qu’une usine à Mountaintop (Pennsylvanie). Le PDG Malcom Meyer contacte donc Saint-Gobain et entame des négociations. C’est finalement par la création d’une filiale commune (joint-venture), détenue à parts égales par les deux sociétés, que se conclura cette négociation. CertainTeed Saint-Gobain (CSG) naît le 1er juillet 1967 pour une durée de trente ans. Saint-Gobain met à disposition sa technologie dans le cadre d’une licence rémunérée par des obligations convertibles en actions CertainTeed, tandis que CertainTeed apporte l’accès au marché américain de la construction, où il est déjà solidement implanté grâce à ses bardeaux d’asphalte. À cette occasion, Saint-Gobain prend une première participation dans CertainTeed et finira par prendre le contrôle total de CSG en 1988. Durant l’été 1967, une équipe d’ingénieurs américains vient se familiariser avec le procédé TEL à Rantigny. Puis une équipe française dirigée par René Goutte part à l’automne superviser l’installation des usines. Les délais sont très serrés : il faut installer et faire démarrer sept lignes de production avant juillet 1968. Elles seront réparties entre les sites de Mountaintop, de Kansas City et de Berlin, dans le New Jersey. Sur le site de 82 Mountaintop, il s’avère d’abord nécessaire de « déblayer » le terrain, car les installations Pall sont restées en l’état, verre solidifié compris ! Les usines démarreront finalement à l’heure dite, malgré les accrocs, les surprises et parfois les éclats de rire dus à une culture technique radicalement différente – par exemple, l’énergie ne coûtant quasiment rien aux États-Unis, rien n’est prévu pour récupérer la chaleur des fumées. Mountaintop sera à son démarrage la plus grosse unité TEL du groupe Saint-Gobain. Sous l’effet du choc pétrolier, qui amène de nouvelles réglementations en matière d’isolation, le marché américain explose. Une nouvelle usine est ouverte à Athens (Géorgie) en 1975, avec un énorme four électrique, et une grosse ligne de production est installée à Kansas City en 1978, puis à Chowchilla (Californie) en 1979. CSG vend en particulier un produit mis au point antérieurement par CertainTeed : l’InsulSafe. C’est une fibre non encollée destinée à l’isolation des combles. Elle est fortement comprimée en sortie de chaîne pour limiter les coûts de transport, étant donné les grandes distances de livraison caractéristiques des États-Unis. Elle reprend son volume initial lors de son application par soufflage. Ce produit occupe aujourd'hui à lui seul cinq lignes de production. 83 054-097-STG-11-04 2/09/08 10:09 Page 84 1 2 LE LONG VOYAGE D’UN GLAÇON POLAIRE Mo-I-Rana, février 1959. Dans ce petit village norvégien proche du cercle polaire, des hommes se livrent à une bien étrange occupation : ils découpent un bloc de trois tonnes dans le glacier du Svartisen, l’emmaillotent soigneusement de laine de verre et le chargent sur un simple camion bâché. Le 22 au matin, sous les accents de la fanfare locale, le glaçon géant entame un voyage de 12 000 kilomètres qui le mènera à Lambaréné, au Gabon, après avoir traversé l’Europe, la Méditerranée, le désert du Sahara et la forêt équatoriale ! Norvège, Suède, Danemark, Allemagne, Belgique et France sont vite parcourus. Le 28 février, après une semaine de route sans histoires, le camion et son précieux chargement embarquent à Marseille sur le Sidi Mabrouk. Le glaçon n’a alors perdu que trois 1. Le départ pour Oslo, le long des fjords de Norvège. 2. Alger, le camion est déchargé du Sidi Mabrouk. 84 litres d’eau. Débarqué le 1er mars à Alger, il y restera deux jours pleins, formalités obligent. Il faut dire que l’Opération Svartisen convoie également des médicaments à destination du Dr Schweitzer, une cargaison bien tentante dans une Algérie en pleine guerre. Le 3 mars au petit matin, le camion s’ébranle sous escorte militaire. Devant lui, plus de 3 000 kilomètres de désert par des températures pouvant atteindre 55 degrés à l’ombre. À Ghardaïa, la route s’arrête, seule reste la piste. L’enfer commence. D’ensablement en ensablement, d’oasis en oasis, le camion atteint enfin Zinder, proche de la frontière nigériane, le 12 mars. Le Sahara est derrière lui. En dix-neuf jours et 7 500 kilomètres de voyage, le glaçon a perdu 177 litres d’eau. Le 13 mars commence la dernière étape, équatoriale celle-ci, jusqu’au Gabon. La piste de terre rouge traverse maintenant la forêt, dans une perpétuelle chaleur moite. Nigeria et Cameroun sont avalés jusqu’au port de Douala, où le camion s’embarque le 19 mars pour une traversée d’une nuit jusqu’à Libreville. Les ponts vétustes du Gabon n’auraient en effet pas pu supporter le poids du camion, rendant impossible la dernière étape terrestre prévue. Le 20, à leur arrivée au port gabonais, les membres de l’expédition retrouvent l’amiral Le Gall, directeur de la Sodefive qui a organisé toute l'aventure avec l'équipe du licencié norvégien Glava. La capitale gabonaise fête alors le premier anniversaire de l’indépendance du pays et le camion poursuit sa route jusqu’à l’hôpital du Dr Schweitzer, à Lambaréné. Les caisses de médicaments sont remises le 22 mars au fameux médecin.Vient enfin le moment que tous attendaient : les bâches sont retirées, puis la laine de verre. Le glaçon apparaît. Ses coins sont légèrement arrondis, mais rien de plus. Il n’a perdu que 336 kilos, soit un dixième de son poids, depuis le départ ! La laine de verre vient de prouver de manière éclatante son efficacité d’isolant thermique. Après 12 000 kilomètres, le bloc de glace a perdu seulement un dizième de son poids grâce à son armure de laine de verre. Schéma de la coupe du camion transportant le bloc de glace. Le Dr Schweitzer, prix Nobel de la paix en 1952, assiste au déchargement des médicaments offerts par plusieurs organismes européens de la Croix-Rouge. 85 2/09/08 10:09 Page 86 LE NOUVEAU JEU DES LICENCES Le groupe Saint-Gobain est devenu une force de proposition technologique. Pour sa part, la Sodefive lance une politique d’aide globale à ses licenciés, bâtissant peu à peu le « club des licenciés Sodefive ». Durant la négociation des accords de 1951, censés remplacer ceux du Pool, OCF réalise que quelque chose a changé : les efforts de recherche et développement de Saint-Gobain portent leurs fruits et les visites des chercheurs d’OCF à Rantigny ainsi qu’ à Lucens en Suisse, durant l’été 1954, le confirmeront. On est alors en pleine négociation d’une nouvelle série d’accords, portant cette fois expressément sur les procédés centrifuges. Le 22 octobre 1954 est signée une « base d’accords » pour exploiter et licencier, par l’un ou par l’autre, les procédés TEL et Supertel. OCF reçoit licence de ces procédés, ainsi que le droit d’accorder des sous-licences moyennant la même redevance pour Saint-Gobain. Il en va de même en sens inverse pour les procédés par centrifugation qu’OCF met au point. de la solidité d’un portefeuille de brevets pour mener une bonne politique de licences. Pourtant, pendant que les techniciens échangent leurs savoirs et que les accords se signent, les services Brevets se livrent une âpre bataille juridique. Le brevet déposé par Pierre Heymes en mée dès le début de l’année et qui n’exclut pas, bien sûr, les interventions ponctuelles à la demande. Maintien de l’outil de production, intervention en cas d’incident, mais aussi études 1946 et qui décrit le principe de fibrage Saint-Gobain, donc celui du Supertel, est ainsi attaqué sans relâche de 1948 à jan- préalables à de nouvelles implantations ou améliorations des techniques : la palette des missions de la Sodefive ne cesse de vier 1958, date à laquelle l’Office des brevets américain accorde enfin la paternité du principe à Heymes. À chaque opposition, il faut reformuler les revendications. Après une dernière passe s’élargir. Au point qu’en 1959 est créée une cellule d’assistance technico-commerciale. Son credo : « Il faut aider le licencié à accroître ses ventes. » Elle maintient une veille technologique sur d’armes concernant la date de dépôt, l’affaire est définitivement close en 1961… pour un brevet qui tombera dans le domaine les produits, anime le réseau des licenciés, organise les congrès de l’isolation, étudie les marchés locaux (caractéristiques clima- public en 1965 ! À quelque chose malheur est bon : la direction du Groupe prendra conscience à cette occasion de l’importance tiques, économiques et architecturales)… Peu à peu se constitue ainsi ce que l’on appellera le « club des licenciés Sodefive ». 86 Quoi qu’il en soit, la politique des licences devient un outil de développement international pour le Groupe. Les redevances financent les efforts de recherche, le principe du flow back, maintenu et même renforcé par la Sodefive, contribue au progrès technologique, mais, surtout, l’aide apportée aux licenciés donne à Saint-Gobain une connaissance des marchés étrangers qu’il ne pourrait acquérir autrement. Ce système d’assistance est d’ailleurs institutionnalisé lorsque Marcel Lévecque impose, au rythme d’une visite par an, l’assistance technique systématique pour chaque licencié. Une visite program- CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 RANTIGNY : LE BERCEAU DE LA FIBRE Le site de Rantigny, berceau de la fibre de verre chez Saint-Gobain, est aujourd’hui un Centre de recherches industrielles (CRIR) et uneplate-forme logistique. L’histoire industrielle de ce village picard, situé à 70 kilomètres de Paris, remonte au XVIIe siècle. La Brèche, un court affluent de l’Oise, entraîne à cette époque une cinquantaine de moulins dont certains seront transformés en manufactures au XIXe siècle. Le plus gros d’entre eux, la Roue de Rantigny, un moment propriété du duc de La Rochefoucauld, devient « bien national » pendant la Révolution, avant de passer entre différentes mains. En 1826, il est agrandi et modernisé. Il deviendra en 1876 un laminoir de cuivre et d’or, lequel évoluera en manufacture d’orfèvrerie vers 1900. En 1927, la Société des textiles nouveaux (STN) achète le site pour y installer une production de fibres artificielles. Devenue filiale de SaintGobain lorsque le Groupe se lance dans la fibre cellulosique, la STN cesse son activité en 1937. Le site est alors affecté à la fibre de verre textile. Isover, nouvellement créée, y installe des lignes Verranne et Silionne. Puis, en 1941, arrivent les filières Owens et Gossler, rapatriées de l’usine de Soissons bombardée. Rantigny produit alors de la fibre « textile » et « isolation ». Au cours de son histoire, le site abritera d’ailleurs à un moment ou à un autre tous les procédés de fibrage que Saint-Gobain a exploités. usine de production de poudre d’aluminium, établie en 1919 à côté du moulin, était acquis. Dès lors, le site ne cessera de s’étendre et de se couvrir de nouveaux bâtiments, les travaux allant même jusqu’à un détournement de la Brèche en 1958-1959. En 1960 commence l’installation du Centre de recherches, à côté des usines de production. Durant cette décennie, le Supertel tourne à plein rendement. De nouvelles extensions sont nécessaires. Le site produit 20 000 tonnes de fibres par an en 1960 – et atteindra près de 70 000 tonnes en 1982. Le polystyrène, avec un procédé « maison » développé par le CRIR, s’installe en 1972. En 1976, la plupart des anciens bâtiments sont détruits au profit d’un seul grand édifice moderne. D’un hectare et demi en 1937, le site atteint finalement 32 hectares dans les années 1980, au temps de sa plus grande splendeur ! Ce sera son chant du cygne. La production industrielle diminue progressivement de 1983 à 1986. L’atelier de fabrication de polystyrène est revendu à Lafarge, les machines de fibrage sont réparties entre les usines d’Orange et de Chalon-sur-Saône. Le moulin historique et ses annexes seront détruits en 1987 pour des raisons de sécurité. La dernière ligne produisant des coquilles pour l’isolation des tuyauteries s’arrêtera définitivement en 1997. L’activité, suspendue puis reprise au ralenti durant la guerre, reprend de plus belle en 1946. L’année précédente, le terrain d’une ancienne L’usine de Rantigny 87 2/09/08 10:09 Page 88 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 L’usine de Rantigny en 1953. 2/09/08 10:09 Page 90 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 1 2 1. Publicité pour la laine de verre en 1954. 2. Quelques exemples de publicités parues dans la presse en 1951. 91 054-097-STG-11-04 2/09/08 10:09 Page 92 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS « TOUT VA BIEN » Sous le coup d’une OPA hostile, Saint-Gobain s’allie en 1970 avec Pont-à-Mousson. Cette déstabilisation initiale surmontée, le Groupe repart de plus belle. Deux chocs pétroliers successifs, en 1973 et 1979, font exploser le marché de l’isolation. La branche Isolation de Saint-Gobain domine le monde et vit une décennie euphorique. Un coup de tonnerre survient en décembre 1968. BoussoisSouchon-Neuvesel (BSN), numéro deux du verre plat en France derrière Saint-Gobain, lance une offre publique d’achat hostile sur son grand concurrent ! Antoine Riboud, son jeune PDG, acquiert une soudaine célébrité en voulant ainsi « avaler » un groupe trois fois plus gros que le sien. Il s’agit en fait d’une offre publique d’échange, et non d’achat, car Antoine Riboud entend payer avec des obligations convertibles en actions BSN. David vaincra-t-il Goliath ? L’opération fait en tout cas la une des journaux, car c’est la première grande manœuvre financière de ce genre dans l’industrie française. Or Saint-Gobain souffre à l’époque. Si l’activité isolation se développe de façon prometteuse, d’autres branches, en particulier la chimie, éprouvent des difficultés et le Groupe perd de l’argent. La contre-attaque prend des formes surprenantes. Le Groupe demande, par exemple, à l’agence de communication française Publicis de lancer une vaste campagne de communication, qui verra entre autres les actionnaires visiter « leurs usines » lors de journées portes ouvertes. Un groupe de banquiers, emmené par la Compagnie financière de Suez, vient à la rescousse de Saint-Gobain. Finalement, le projet d’Antoine Riboud échoue : à la clôture de l’opération, BSN n’a récupéré que 7 % des actions de Saint-Gobain. Il n’empêche que le Groupe sort encore affaibli de l’épisode. Il Évolution du logotype Erika (épaisseur rentable d’isolation k), visage féminin associé à la marque de 1969 à 1981. est à cours de liquidités et 40 % de ses actions ont changé de mains. Or, Suez détient depuis 1964 une part importante du capital de Pont-à-Mousson. Ce groupe sidérurgique, leader Campagnes publicitaires dans la presse professionnelle et grand public. 92 93 2/09/08 10:09 Page 94 CHAPITRE 2 - - L’ÂGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 mondial des tuyaux en fonte, est certes trois fois plus petit que Saint-Gobain, mais il dispose de fortes réserves financières. L’idée d’une fusion se fait donc jour, encouragée par le président Georges Pompidou et son gouvernement. En 1970, c’est fait : Saint-Gobain-Pont-à-Mousson (SGPM) est né. Un groupe de taille mondiale vient d’émerger. Dans la corbeille de mariage, Pont-à-Mousson apporte la société Roclaine, immédiatement rattachée à Isover – et finalement absorbée dans les années 1980. Mais le fait le plus marquant sera l’arrivée, à la tête du nouveau groupe ainsi constitué, de Roger Martin, PDG de Pont-à-Mousson, qui introduit un nouveau style de management, plus moderne et mieux organisé. Le Groupe est structuré par branches produits. La visibilité donnée au métier de l’isolation dans cette nouvelle organisation témoigne de l’importance stratégique de ce nouveau métier pour le Groupe. Le site de production de Rantigny ne pouvant répondre à toute la demande, les travaux d’une nouvelle usine débutent en 1971 à Orange. En 1973 survient le premier choc pétrolier, bientôt suivi d’un second. Le marché de l’isolation explose. Les innovations techniques se poursuivent. Saint-Gobain prend une position de leader sur le marché mondial de l’isolation et s’implante même au Japon. Les années 1970 sont euphoriques. « Tout va bien », semble-t-il. Campagne promotionnelle pour l’isolation des toits en France, 1978. 94 95 2/09/08 10:09 Page 96 CHAPITRE 2 - - L’AGE D’OR DES INGÉNIEURS 054-097-STG-11-04 Invitation au salon Batimat, années 1970. 96 Publicité pour le stand Isover au salon Batimat en 1967. 97 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 98 CHAPITRE 3 Loin des besoins du marché La réaction La rentabilité retrouvée La limite du modèle Une autre épreuve LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION À la fin des années 1970, la branche Isolation de Saint-Gobain « surfe » sur la vague de son succès. Les capacités de production augmentent sans cesse. Pourquoi la décennie qui s’annonce ne serait-elle pas aussi brillante que celle qui s’achève ? Et pourtant… L’excellence technologique ne suffit pas pour vendre des produits. Pour ne pas s’en être rendu compte à temps, Isover va traverser une décennie turbulente. Une période de remise en cause qui voit émerger de nouvelles stratégies plus proches des besoins des clients. 99 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 100 1986 1957-2007 La privatisation de Saint-GobainPont-à-Mousson est un succès. Malgré la multitude de souscripteurs individuels, le « noyau dur » de l’actionnariat revient peu ou prou à ce qu’il était avant la nationalisation. Jean-Louis Beffa prend la tête du Groupe le 23 janvier. En un demi-siècle, près d’une centaine de lignes de production TEL ont été installées dans le monde. Cette technologie a gagné tous les continents. En même temps s’est constitué un véritable réseau de licenciés. 1982 Le groupe Saint-Gobain est nationalisé et, en décembre, une nouvelle équipe dirigeante arrive. Éric d’Hautefeuille prend la responsabilité de la branche Isolation et entreprend son redressement. Au menu : le développement international avec le rachat des licenciés et, surtout, l’exigence prépondérante de la prise en compte des besoins du client. 1986-2000 Amélioration du service au client : informatique, logistique, palettisation... Successeur du Compact, le premier emballage innovant et dûment breveté de Saint-Gobain, le Multipack franchit une nouvelle étape. Tous les produits isolants sont maintenant disponibles sur palette dans des colis aux dimensions standardisées. Un plus pour la logistique d’Isover… et de ses clients. 1984 Le 12 mai de cette année-là, Saint-Gobain signe un accord de licence avec le verrier coréen Hankuk Glass Industries. Le Groupe poursuit ainsi sa conquête de l’Asie. Une usine de laine de verre est créée en 1986 à Inchon. Une nouvelle usine démarre en 2004 à Dangjin. 100 101 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 102 LOIN DES BESOINS DU MARCHÉ Enivrés par leurs succès et par les nouveaux moyens mis à leur disposition, les chercheurs mettent au point des procédés encore plus performants ainsi que de nouveaux produits, parfois non adaptés à la demande. Isover extrapole également la forte croissance du marché en installant de nouvelles lignes de production. Malheureusement, le marché revient à la normale après l’euphorie et Isover se retrouve en surcapacité. De plus, le reste du Groupe souffre de la crise. Les années1980 débutent mal… Une recherche et des produits déconnectés du marché Le procédé TEL ne peut à lui seul couvrir toute la gamme des applications d’isolation. En particulier, il ne répond pas aux besoins de l’isolation industrielle, qui nécessite des isolants résistant à des températures élevées. Les ingénieurs de fibrage vont donc concevoir un nouveau procédé, plus polyvalent, le TOR (voir « Le TOR : réussite technique et échec économique », p. 104). Les recherches commencées en 1967 aboutissent dix ans plus tard. Un pilote est créé, deux lignes industrielles voient le jour en Allemagne. Ce procédé sorti de l’imagination des ingénieurs permet de fibrer pratiquement n’importe quel verre ! La qualité des produits pour l’isolation industrielle est nettement supérieure à celle de la laine de roche. Malheureusement, ce rêve d’ingénieur tourne court. Sa consommation énergétique élevée lui est fatale dès la première crise pétrolière et l’augmentation du prix du gaz qui en résulte. Isover s’essaie aussi à des produits autres que la laine de verre, son cœur de métier. Ces diversifications rencontreront l’échec. La première tentative concerne la production de mousses phénoliques de 1975 à 1983. Les recherches se concrétisent par l’installation d’un pilote industriel, mais 102 103 2/09/08 10:14 Page 104 LE PROCÉDÉ TOR LE TOR : RÉUSSITE TECHNIQUE ET ÉCHEC ÉCONOMIQUE « Depuis plusieurs années, nos services de recherche ont exploré des voies nouvelles et ont ainsi découvert un procédé de fibrage que l’on peut sans doute qualifier de révolutionnaire, qui est maintenant passé du stade laboratoire à celui de prépilote. » Ce 24 janvier 1974, Roger Martin, président de Saint-Gobain, se montre résolument optimiste face aux journalistes conviés au Théâtre de la Ville à Paris. En fait, le nouveau procédé n’est pas encore au point, mais la concurrence a entendu le message. Saint-Gobain ne s’endort pas sur ses lauriers et il sera difficile, et certainement coûteux, de contester son avance technologique. L’histoire de ce procédé « révolutionnaire » commence dès 1965, lorsque Marcel Lévecque demande au CRIR de penser au successeur du TEL, pourtant encore en plein développement. Des préoccupations nouvelles émergent en effet, telles que la pollution, le prix de revient, la volonté de concurrencer la laine de roche dans le domaine des hautes températures, ainsi que la crainte de difficultés d’approvisionnement en bore, un constituant du verre utilisé par le TEL. En décembre 1967, après deux années de recherches exploratoires peu concluantes, une réunion de brain storming est convoquée. Au menu : imaginer des procédés dans lesquels le matériau à fibrer n’aurait pas à s’écouler à travers des orifices. Les idées fusent. Les prototypes se succèdent dès lors et, le 15 septembre 1969, une première fibre apparaît sur un dispositif 104 statique original. La flamme d’un brûleur balaie la surface d’une nappe de verre en fusion, laquelle est déposée sur un plateau horizontal muni d’orifices par lesquels jaillissent de puissants jets d’air comprimé. Ces derniers traversent la nappe et entrent dans la flamme, entraînant du verre qui est alors étiré en filaments. C’est le début d’une longue mise au point, parsemée de rebondissements et de revirements techniques. En 1972, le procédé produit des fibres de la même finesse que celles du TEL ! Des études théoriques montrent que la rencontre entre la flamme et le jet secondaire engendre d’intenses tourbillons. Ce sont eux qui étirent le filet de verre. Le procédé sera donc baptisé TOR, pour « Turbulence ORganisée ». En 1975, le TOR donne des résultats suffisamment stables et reproductibles pour passer à l’échelle pilote, voire industrielle. Autre avantage, le TOR peut fibrer des matériaux différents. La décision est alors prise de construire deux lignes pilotes. La première est dédiée au fibrage du basalte, pour obtenir une laine de roche résistant aux hautes températures et donc adaptée à l’isolation d’installations industrielles. Le 27 juin 1977, après une mise au point supplémentaire au CRIR, une véritable unité de production industrielle de TOR basalte démarre à Ladenburg chez G+H, filiale allemande de Saint-Gobain. La seconde, installée au CRIR, est consacrée à la laine de verre « basse densité » pour l’isolation des bâtiments. Cette ligne démarre en août 1978, elle aussi avec des dimensions représentatives des unités industrielles. Arrive alors le temps des difficultés. À la fin des années 1970, le marché de l’isolation industrielle fléchit en Allemagne. La ligne de Ladenburg est arrêtée. Une ligne TOR utilisant un verre aussi réfractaire que le basalte est lancée en 1980 à Bergisch Gladbach pour la fabrication de coquilles. Elle sera elle aussi arrêtée. Dans le même temps, les essais menés au CRIR pour remplacer le TEL dans le domaine de l’isolation thermique classique de l’habitat ne démontrent aucun avantage. L’économie due à l’utilisation de verre sans bore, par exemple, est annulée par une consommation d’énergie supérieure et une qualité légèrement inférieure des produits. Le TEL reste insurpassable. CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION 098-137-STG-11-04 Centre de recherches industrielles de Rantigny (CRIR). Fin 1981, la direction technique de la branche Isolation dresse le bilan du TOR. C’est une incontestable réussite technique, mais il n’offre aucun avantage économique sur le TEL pour l’isolation de l’habitat. Quant à l’isolation haute température, ce n’est plus une priorité stratégique pour le Groupe. Les dépenses de R&D sur ce procédé ne sont donc pas reconduites en 1982. C’est la fin du TOR. L’aventure aura néanmoins permis de concevoir un brûleur plus économique, adapté depuis sur le TEL, et d’installer au CRIR une ligne pilote à échelle représentative, utilisée dès 1981 pour continuer la belle aventure du TEL. Elle a aussi permis de montrer aux concurrents et aux licenciés la capacité d’innovation de Saint-Gobain et son adaptabilité aux contextes économiques. 105 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 106 l’augmentation du coût des matières premières liées au pétrole ainsi que la difficulté de valoriser le bon comportement au feu du matériau condamnent cette aventure. Une autre tentative significative est menée dans la fabrication de bacs en plâtre préformés en U devant recevoir un isolant fibreux pour constituer un système d’isolation de combles. Le procédé, baptisé Gilda, sera arrêté en 1983. Là encore, les ingénieurs ont mis au point un produit remarquable, mais non adapté aux besoins du marché. Les distances entre les poutres dans les maisons n’étant pas standard, il aurait fallu avoir en stock un nombre impressionnant de références. D’autre part, la forme en U induisait des coûts de transport exorbitants du fait du faible taux de remplissage des camions. Un outil de production mal adapté À la fin des années 1970, la laine de verre se vend plus vite qu’elle ne se fabrique. À la suite des chocs pétroliers, Isover a en effet beaucoup œuvré pour la mise en place de politiques incitatives en faveur de l’isolation. Ces nouvelles réglementations aidant, les résultats de la société sont au beau fixe et elle se retrouve en situation de quasi-monopole en France. Il en résulte une politique commerciale quelque peu désinvolte… « Nous ne pouvions fournir à temps tous les clients, alors nous faisions des choix et négociions des délais avec les autres », se souviendra un cadre commercial. Bref, les clients attendent. Le « retour de bâton » ne tardera pas. De nouveaux concurrents surgissent en France, comme le Slovène Termo, le Finlandais Paroc et, surtout, le Danois Rockwool. Arrivé en 1975, Rockwool propose une laine de roche de grande qualité, capable de concurrencer la laine de verre non seulement pour les applications industrielles, mais aussi pour le bâtiment. Il finira par créer une usine à Saint-Éloy-les-Mines en 1980. Tous ces fabricants tentent de prendre des parts de marché et mènent une politique commerciale agressive. Ils vont au-devant des clients et se lancent dans une véritable guerre des prix. Dans le même temps, se basant sur l’explosion du marché, la branche Isolation a augmenté ses capacités de production. Les usines d’Orange en France et de Speyer en Allemagne montent en puissance. Hélas, les prévisions optimistes n’ont pas intégré la baisse des prix ni le reflux du marché après quelques années euphoriques. Isover se retrouve rapidement en surcapacité, avec des produits devenus plus difficiles à vendre. À cela s’ajoute la mauvaise santé des autres branches de Saint-Gobain-Pont-à-Mousson. Contrairement à l’isolation, le vitrage et les tuyaux de fonte souffrent du marasme économique dû aux chocs pétroliers. À la fin des années 1970, Isover est la seule branche bénéficiaire du Groupe. Elle soutient donc les autres, tant sur le plan financier que sur celui de l’accueil du personnel, et subit ainsi indirectement la crise pétrolière ! Tout va mal, donc. En 1982, Saint-Gobain Isover perd plus d’un million de francs par jour. Il faut réagir. La nationalisation du Groupe (voir « Nationalisation et privatisation », p. 110), suivie de l’arrivée en décembre d’une nouvelle équipe dirigeante chez Isover, emmenée par Éric d’Hautefeuille, marque un tournant. ÉRIC D’HAUTEFEUILLE, LE « GRAND ÉRIC » « Il dirigeait un groupe international, mais aurait sans doute préféré être patron d’une PME, tellement il aimait la rencontre avec les gens simples, les discussions concrètes. Il était le contraire d’un technocrate », se souvient Xavier Grenet, longtemps collaborateur d’Éric d’Hautefeuille. Ce dernier était pourtant un intellectuel de haute volée. Né en 1940, ingénieur en chef des Mines, il a commencé sa carrière dans l’administration puis s’est vite orienté vers la sidérurgie, un secteur alors en crise. En 1982, Jean-Louis Beffa l’appelle à la direction de la branche Isolation du Groupe nouvellement nationalisé. Il sera le principal artisan du redressement des comptes d’Isover puis mettra en œuvre une stratégie hardie de développement international. Il commencera par la Scandinavie et jettera les bases de la conquête vers l’Est et l’Asie. Un paradoxe pour un homme qui préférait « prendre le train pour Guéret que l’avion pour Séoul », selon une plaisanterie courante. Éric d’Hautefeuille aimait en effet par-dessus tout aller à la rencontre des « petits » clients, se confronter aux réalités du terrain. En 1992, après dix années fécondes, il est nommé directeur de la branche Vitrage, qu’il réorganise de fond en comble. Ses succès incitent Jean-Louis Beffa à le nommer en 1996 directeur général de Saint-Gobain. Il en deviendra également administrateur en 1998. Toutefois, outre sa réussite d’industriel, ce qui marque les esprits est sa dimension humaine. Des expressions comme « profond sens de l’homme », « constante bienveillance » ou « simplicité et chaleur » émaillent tous les témoignages. Il s’est attiré le respect unanime de ceux qui l’ont approché. Avant comme après sa retraite, prise en 2000, il s’occupe d’œuvres bénévoles comme celle des Apprentis d’Auteuil. Le « grand Éric », comme l’appelaient ses collaborateurs, s’éteindra prématurément en 2004. Conseil d’administration de Saint-Gobain en 1987. Éric d’Hautefeuille lors d’un congrès Sodefive. 106 107 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 108 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION ALLEMAGNE : SPEYER, LA PERFORMANCE TECHNIQUE Au début des années 1970, la vieille usine de Bergisch Gladbach est enserrée dans la ville. Malgré sa vingtaine d’assiettes sur huit lignes différentes, elle ne peut plus satisfaire la demande. La construction d’une nouvelle usine plus au sud, à Spire (Speyer), est décidée. L’usine démarre en 1973 avec des bâtiments spacieux, solides, sur un terrain suffisamment vaste pour les développements futurs. La cour d’honneur abrite un buste en bronze d’Eugène Gentil, hommage au passé dans un site tourné vers les promesses du futur. Le démarrage des deux lignes est un réel succès et les bonnes performances techniques du début se sont maintenues invariablement jusqu’à nos jours. L’usine de Speyer, bien dessinée, bien construite et bien conduite, a été pendant plus de vingt ans la vitrine de la technologie de Saint-Gobain en Europe, le passage obligé de tout visiteur important, futur licencié ou client. Pendant toute cette période, elle a constitué le banc d’essai industriel du Pilote du Centre de Recherches Industrielles de Rantigny, car on était certain que les consignes seraient respectées, les procédures suivies, les mesures effectuées et rapportées, et que la coopération serait assurée. De nombreux essais industriels de longue durée ont été mis en place : essais sur les alliages, première assiette de 600 mm de diamètre puis de 800 mm, etc. Ensuite, il suffisait de dire « Ça a marché à Speyer » pour faire taire les oppositions et promouvoir ailleurs une nouvelle technique. Malgré son âge et grâce aux réinvestissements faits années après années, l’usine de Speyer reste une unité de production remarquable. 108 109 2/09/08 10:14 Page 110 LA RÉACTION Après la nationalisation du groupe Saint-Gobain en 1982, puis sa privatisation à nouveau en 1986, Isover se réorganise et change de politique. La société va subir un plan de restructuration très dur. En quelques années, les effectifs sont réduits de moitié en France et l’outil de production est rationalisé. Le procédé TEL, un peu oublié au début de cette période, va pourtant contribuer au redressement des sociétés d’isolation. Au plan marketing, Isover va désormais au-devant des clients et développe une nouvelle gamme de produits adaptés aux besoins réels des utilisateurs. À la rencontre du client Isover entame sa révolution culturelle par la « redécouverte » du client. Il s’agit désormais d’aller au-devant de cet « inconnu ». Physiquement, tout d’abord. En effet, jusque-là Isover écoulait ses produits vers des « superstockistes », des grossistes qui se chargeaient de les répartir vers les négociants et revendeurs, sans trop se préoccuper des besoins. Autant dire que la société était assez éloignée de ses clients réels… Décision est donc prise de se passer dorénavant des superstockistes et de livrer directement à tous les négoces, petits ou gros. Ce sont les sites de production qui vont assurer la logistique : transport, ajustement des flux à la demande ainsi que garantie du service à la clientèle. Désormais, les produits vont directement chez le distributeur final. NATIONALISATION ET PRIVATISATION « Le secteur public sera élargi par la nationalisation des neuf groupes industriels prévus dans le Programme commun et le Programme socialiste, de la sidérurgie et des activités de l'armement et de l'espace financées sur fonds publics. La nationalisation du crédit et des assurances sera achevée. » Telle est la vingt et unième des cent dix propositions du candidat François Mitterrand, lors de l’élection présidentielle de mai 1981. SaintGobain-Pont-à-Mousson figure sur la liste. La loi de nationalisation est adoptée le 13 février 1982 et, le 21 avril, la nationalisation de SGPM est annoncée. Roger Fauroux reste néanmoins PDG du Groupe et nomme Jean-Louis Beffa pour le seconder. Le Groupe se recentre sur ses métiers et entame un plan de restructuration. En 1986, à la faveur des élections législatives, un gouvernement de centre droit arrive au pouvoir, dirigé par Jacques Chirac, avec Edouard Balladur aux Finances. Au programme : la privatisation de soixante-cinq entreprises publiques… dont Saint-Gobain. La loi est votée le 2 juillet 1986. Saint-Gobain, de nouveau bénéficiaire, est le premier proposé au public, entre décembre 1986 et janvier 1987. C’est un succès : un million et demi d’acheteurs acquièrent vingt millions d’actions. Cependant, si l’on tient compte des investisseurs institutionnels, la répartition du capital du Groupe demeure assez proche de ce qu’elle était avant la nationalisation. Un retour à la case départ, en quelque sorte. Entre-temps, l’équipe dirigeante a changé. Jean-Louis Beffa a en effet pris la tête du Groupe, une première fois, le 23 janvier 1986. Il a ensuite été renommé après la privatisation. Revenue au pouvoir en 1988, la gauche ne change rien. C’est l’époque du « ni-ni » : ni nationalisation, ni privatisation. Aller au-devant du client, cela signifie aussi lui proposer des produits qui répondent à ses attentes. La laine de verre est un matériau performant, et Isover en maîtrise indiscutablement la production. L’utilisateur, lui, est confronté à un problème précis : comment isoler un toit, un comble perdu, un tuyau, une cloison ou un réfrigérateur ? Proposer de la fibre ne suffit pas. « Il y a un manque à ce niveau-là », constate Éric d’Hautefeuille à son arrivée. Il faut donc développer des produits adaptés aux divers segments du marché. C’est le signal de départ d’un Publicité Isover de 1978. 110 nouvel effort de recherche et développement, selon des modalités différentes de celles des décennies précédentes. 111 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION 098-137-STG-11-04 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 112 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION UNE DÉMARCHE DE CONFIANCE L’Association pour certification des matériaux isolants (Acermi), créée en France en 1985, délivre des certificats de conformité garantissant, d’une part, que le produit a bien les caractéristiques annoncées sur l’étiquette et, d’autre part, que le fabricant dispose d’un système opérationnel efficace d’assurance qualité. Un tel document est indispensable pour obtenir les réductions d’impôts que le gouvernement accorde à ceux qui engagent des travaux d’isolation de leur habitation. L’Acermi, indépendante des producteurs, s’appuie pour ses analyses sur le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ainsi que le Laboratoire national d’essais (LNE). Elle prélève deux fois par an des produits chez les fabricants, et inspecte leur système qualité. Saint-Gobain est à l’initiative de la création de ce système. Le but de l’opération, outre l’évident bénéfice pour les utilisateurs, était de « moraliser » le marché. La concurrence s’exerce désormais sur des bases incontestables. Des systèmes analogues de certification ont été développés dans de nombreux pays (Komo aux Pays-Bas, Aenor en Espagne, Tüv en Allemagne...). 112 113 2/09/08 10:14 Page 114 La recherche continue, recentrée sur le procédé TEL Malgré l’aventure décevante du TOR, le CRIR ne baisse pas les bras. Recentré sur le TEL, l’effort de recherche ne fléchit pas.Ainsi, même pendant la période de crise, la société maintient son effort de R&D. Une assiette de 600 millimètres de diamètre voit le jour en 1980 et le fibrage dénommé Arlanda produit des fibres plus fines ayant de meilleures propriétés mécaniques.Avec un brûleur plus efficace et une vitesse périphérique de l’assiette très élevée, le fibrage Arlanda augmente la productivité du procédé. C’est un grand succès technique, économique et commercial par la baisse de densité qu’il permet et les investissements qu’il évite.Ainsi, le fibrage Arlanda a dispensé CertainTeed de construire une nouvelle ligne en augmentant ses capacités à une époque où la société connaissait des problèmes de trésorerie. Son président Art Winner résume sa satisfaction par cette phrase : « One square foot saved, one million dollars in CertainTeed bank » (« Un mètre carré sauvé, un million de dollars dans les caisses de CertainTeed »). Les débits de verre par assiette atteignent 20 tonnes par jour. Cette productivité améliorée ainsi que l’augmentation du taux de compression, qui réduit considérablement les coûts de transport, vont aider Isover à traverser la crise. La palettisation représente sans doute le plus bel exemple d’utilisation des nouvelles propriétés mécaniques de la fibre TEL pour répondre à une vraie demande du marché (voir « La palettisation. Une “charge ” gagnante », p. 125). Mis au point par le centre de développement d’Orange et industrialisé en 1987, ce procédé d’emballage est généralisé dans toutes les sociétés. L’Allemagne, avec Isover G+H, l’adopte la première en 1990, suivie par la Finlande, l’Italie, les Pays-bas, la Pologne, l’Autriche, le Danemark, la Suisse, la Grande-Bretagne, la Russie, l’Irlande… L’internationalisation des nouveaux produits – et des bonnes idées – est désormais une des bases de la politique d’Isover. Parmi ces produits, on peut citer le Calibel, qui associe une plaque de plâtre à un panneau de laine minérale. Les qualités du fibrage TEL traversent également l’Atlantique et permettent la naissance d’un nouveau produit : l’InsulSafe (voir « InsulSafe traverse l’Atlantique », p. 116). Des décisions douloureuses Fin 1984, les principales lignes de production de Rantigny sont définitivement arrêtées. Certes, l’usine d’Orange l’a supplantée depuis longtemps, mais la fermeture du site historique, décidée en 1983, symbolise la politique de redressement entamée en décembre 1982. Les pertes du Groupe ne laissent guère le choix : il faut trancher, réduire les effectifs et les capacités de production. Des décisions toujours douloureuses à prendre. Saint-Gobain-Pont-à-Mousson lance plusieurs plans successifs de licenciements et de départs à la retraite. Résultat, les effectifs du Groupe diminuent de 20 % entre 1982 et 1986. La société Saint-Gobain Isover ellemême perd, en France, la moitié de ses 2 600 employés entre 1982 et 1984. Quant aux capacités de production, elles sont maintenant concentrées à l’usine d’Orange, pour l’essentiel de la gamme et les grosses quantités, et à l’usine de Chalon-sur-Saône pour des produits plus spécifiques. À cela s’ajoute l’usine de laine de roche de Saint-Étienne-du-Rouvray, Roclaine, qui fait intégralement partie d’Isover depuis mai 1982. La branche Isolation se recentre sur son métier de base, la laine de verre : les mousses sont cédées, la fabrication de voile de verre est arrêtée en France et une cellule ayant pour vocation de développer les matériaux fibreux en dehors de l’isolation voit le jour (culture hors sol, fibres pour les routes, fibres fines pour séparateurs de batterie…). À l’international aussi, il s’agit de « resserrer les boulons ». La politique de conquête du marché asiatique subit en effet un revers. Si tout se passe bien en Corée, au Japon, Nihon Glass Wool, la joint-venture créée en 1974 entre Isover et le cimentier japonais Nihon Cement, va mal (voir « Le Japon », p. 118). La construction d’une usine aux normes antisismiques ainsi que des problèmes d’adaptation du produit au marché local coûtent beaucoup d’argent. Qui plus est, les concurrents entament une guerre des prix. Les pertes s’accumulent et, en 1982, Isover doit se retirer de cette aventure. Brochure « Problèmes, solutions, services », éditée en 1981. 114 115 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION 098-137-STG-11-04 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 116 En 2005, le cheval de bataille de CertainTeed Insulation Group aux États-Unis pose enfin le pied en Europe. Cette laine de verre, baptisée InsulSafe, est vendue « en vrac » sous forme de flocons dépourvus de liant. Fortement comprimée pour le transport, elle s’applique par soufflage. Bon marché, vite installé, ininflammable et bon isolant acoustique, InsulSafe rencontre le succès dès son lancement en 1982. Une belle réussite pour l’ingénieur Les Infante qui s’est obstiné pendant des années à tenter de fabriquer de la laine soufflée avec le procédé TEL. De nombreux essais de mise au point de la ligne de fabrication de l’InsulSafe ont lieu à partir de 1972 à l’usine de Berlin dans le New Jersey. La ténacité paie : aujourd’hui, cinq lignes de fabrication au Kansas, en Californie et en Géorgie tournent à plein rendement pour fournir un produit représentant à lui seul un tiers du marché américain ! Depuis 1982, le centre technique de Blue Bell en Pennsylvanie a fait évoluer le produit sans répit. À l’origine destinée aux combles perdus et aux greniers non aménagés, cette laine de verre sans liant est vite devenue utilisable pour les murs d’habitation. Les autres producteurs américains peinent à suivre les progrès d’InsulSafe, qui fait toujours la course en tête. Depuis 1997, cependant, l’éternel concurrent Owens-Corning suit d’assez près avec sa propre laine soufflée. CertainTeed a donc lancé en 2006 InsulSafe Super Premium. Cette cinquième génération permet de couvrir 20 % de surface supplémentaire pour le même volume. De quoi reprendre une avance indéniable sur la concurrence. Au même moment, InsulSafe CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION INSULSAFE TRAVERSE L’ATLANTIQUE devient le premier produit véritablement mondial de l’activité isolation de Saint-Gobain. En effet, l’usine d’Isover AB à Billesholm (Suède) produit sa propre version depuis 2005. Plus dense que le produit américain afin de répondre aux exigences climatiques de l’Europe du Nord, celui-ci est destiné aux marchés suédois et finlandais. Il arrive dans des pays connaissant déjà la laine soufflée, mais compte sur ses performances supérieures pour s’imposer face à la concurrence. Et depuis 2006, c’est l’Europe tempérée qui s’y intéresse. Le CRIR a en effet mis au point une version « intermédiaire » entre les produits américain et suédois,à destination des marchés français et britannique. D’abord produit sur place, à Rantigny, InsulSafe sortira dès 2007 de l’usine d’Orange. Application de laine soufflée InsulSafe dans des combles. 116 117 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 118 Frais émoulu de Polytechnique, le jeune René Goutte se voit offrir par Saint-Gobain une bourse pour passer un an au Massachusetts Institute of Technology de Boston. « Une offre qui ne se refuse pas ! ». En 1961, de retour en France, il intègre l’usine de Rantigny, lieu de ses premiers contacts avec le TEL alors en développement. Durant l’été 1967, c’est le début du grand voyage. La direction lui propose de s’occuper de l’installation des usines de la nouvelle joint-venture qu’elle vient de créer avec l’Américain CertainTeed. L’ensemble de la mission est un succès (voir « CertainTeed : l’aventure américaine », p. 83). Mais, en février 1974, un autre défi se profile : le Japon, où Saint-Gobain vient de signer une joint-venture avec Nihon Cement, le deuxième producteur de ciment nippon. René Goutte part avec sa famille s'installer à Tokyo. Fort de son expérience de Rantigny et de Pennsylvanie, il tient à une usine dotée d’un sous-sol abritant les moteurs, les convoyeurs d’évacuation des déchets, les filtres de lavage des eaux, les ventilateurs, bref, tous les systèmes annexes du procédé de fabrication lui-même. Akeno sera donc la première usine d’isolation sur deux niveaux, une solution devenue standard depuis. Les premiers produits sortent des chaînes en 1976. Le séjour tire à sa fin. Après l’épisode japonais, René Goutte revient aux États-Unis où il finit sa carrière. L’aventure japonaise ne fut cependant pas de tout repos : l’adaptation des produits aux standards du marché japonais a été délicate, la gestion des différents dialectes régionaux du Japon également, sans compter les surcoûts de la construction d’une usine aux normes antisismiques… Au point qu’Isover décide de se retirer en 1982 d’une joint-venture qui perd de l’argent, pour redevenir un simple bailleur de licence. Un aspect a toujours fonctionné cependant : la technologie TEL ainsi que ses différents développements. Et les résultats en terme de production ne se sont pas fait attendre. Lorsque l’usine d’Akeno fut prête, en août 1976, le Japon produisait 75 000 tonnes de laine de verre par an. À elle seule, la production de Nihon Glass Wool a atteint 40 % de ce volume. Les fabricants japonais, tels Asahi Fiber Glass, Nitto Boseki et Nippon Sheet Glass, furent très mécontents d’être attaqués. La guerre des prix qui a suivi n’a été profitable à aucune société. Nihon Cement et Nippon Sheet Glass ont d’ailleurs fusionné pour mettre fin à cette guerre. C’est ainsi qu’est né Nihon Micro-G Wool, rebaptisé MAG en 1994. Licenciée TEL pour le Japon, MAG réalise aujourd’hui 41 % des parts du marché national. CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION LE JAPON 1 2 1. Usine de Tsuchiura au Japon. 2. Usine d'Akeno au Japon. 3. Le logo Erika décliné en version japonaise. 118 3 119 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 120 LA RENTABILITÉ RETROUVÉE Au milieu des années 1980, la branche Isolation retrouve la rentabilité. Avec un procédé qui apporte un avantage significatif vis-à-vis de la concurrence ainsi qu’un nouveau système de distribution, la marque Isover affiche désormais sa puissance. La branche Isolation se lance dans une vaste politique de prise de contrôle de ses licenciés. Une distribution améliorée À partir de 1987, le système de distribution évolue en France avec la création des dépôts-service. Six grands dépôts, tous reliés au réseau de la SNCF, couvrent la France. Ils accueillent tous les produits disponibles sur palette, soit la majeure partie de la gamme, qui sont immédiatement réexpédiés par camion au client final. On voit alors apparaître les fameux trains jaunes d’Isover, les trains les plus longs d’Europe selon la SNCF. Chacun comporte cinquante-deux wagons découverts portant seize ou dix-huit palettes Isover, des emballages répondant aux contrôles de qualité très rigoureux de la SNCF. Pas question en effet qu’une charge bouge, même lors du croisement d’un TGV dans un tunnel ! Chaque semaine, quatre ou cinq de ces géants de près de huit cents mètres sortent de l’usine d’Orange, ainsi que deux cents camions de produits spécifiques. 1 2 1. 2. Les trains jaunes Isover en formation à l’usine d’Orange. 120 121 2/09/08 10:14 Page 122 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPËTES ET DE L’ADAPTATION 098-137-STG-11-04 Du conditionnement jusqu’à l’expédition. 123 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 124 « Il faut impérativement trouver des solutions qui apportent des réponses à la fois aux clients, aux chantiers et aux usines. » Jacques Chevenard, directeur de la branche Isolation de 1978 à 1981, ne mâche pas ses mots. À l’époque, les produits sortent en vrac de la chaîne de fabrication, sous forme de rouleaux ou de piles de panneaux rangés à la main sur des palettes. Difficiles à manipuler, mal protégés et encombrants, ils représentent un cauchemar pour les transporteurs comme pour les utilisateurs. Les négociants demandent des colis manipulables par des chariots élévateurs, empilables, protégés de l’humidité… mais conservant l’emballage unitaire nécessaire aux utilisateurs et comportant des indications d’utilisation claires. La réponse vient du site d’Orange. Elle émerge en deux temps. Il s’agit en effet de prendre en compte toutes les contraintes techniques, commerciales et humaines de l’opération. Refuge des Cosmiques Détruit en 1983 par un incendie, le refuge des Cosmiques, situé à 3 613 mètres dans le massif du Mont-Blanc, a été reconstruit l’année suivante. L’isolation, particulièrement importante dans cet environnement, a été réalisée avec des produits Isover. Les palettes de Bicompact Vertical ont été particulièrement appréciées pour leur aptitude au transport par hélicoptère et leur faible encombrement, essentiel sur ce piton exigu… 124 En 1979 apparaît un nouveau type de colis constitué de neuf rouleaux horizontaux, peu comprimés, couchés sur une palette en carton préformée. Le Compact est né. Lancé officiellement en octobre 1980, il est protégé par deux brevets en 1981 et 1983. La première ligne équipée de machines de palettisation démarre à Orange en mai 1981. Les négociants apprécient… Le Compact est protégé des intempéries, peut s’empiler sur deux voire trois hauteurs et se manipule aisément au chariot élévateur. Un cariste peut ainsi charger un camion de 288 rouleaux en une demiheure, alors qu’il fallait auparavant deux heures à deux opérateurs pour entasser 240 rouleaux non comprimés dans le même camion. Le Bicompact, constitué de deux Compact liés, apparaît bientôt, mais la formule est encore perfectible. Le tout nouveau centre de développement d’Orange s’y consacre dès 1983. Première idée : poser les rouleaux verticalement – il « suffisait » d’y penser –, puis empiler deux charges sur une palette en bois et recouvrir le tout d’une housse de polyéthylène rétractable. Ce sera le Bicompact Vertical, plus rigide que son prédécesseur. Entretemps, les concurrents Johns Manville et Rockwool s’inspirent du Compact et lancent leurs propres charges palettisées. Mais la réflexion se poursuit à Orange. CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION LA PALETTISATION, UNE « CHARGE » GAGNANTE en « bout de ligne », sans ralentir l’ensemble. Finalement, la première ligne de palettisation démarre à Orange en janvier 1986. Bientôt, tous les produits Isover sont livrés sur palette. Le succès s’étend aux autres usines du Groupe, en commençant par l’Allemagne. Les progrès continuent : avec des taux de compression sans cesse croissants, on passe de 18 rouleaux par palette en 1986 à 36 en 1994, et à 41 rouleaux par palette en 2002 ! Et ce n’est sans doute pas fini. Isover, à l’origine de la palettisation sous compression des produits isolants fibreux, fait toujours la course en tête avec un taux de compression sur ses palettes supérieur de 30 % par rapport à son concurrent le plus proche. Finalement, en 1986 apparaît le Multipack. La solution séduit par sa souplesse et sa simplicité : panneaux ou rouleaux unitaires sont une première fois comprimés à la sortie de la chaîne de production, puis regroupés sous une ceinture de polyéthylène qui les comprime à nouveau. On obtient alors un « module » de trois rouleaux (par exemple). Trois modules empilés constituent une « charge », elle-même encore comprimée et calibrée. Enfin, deux charges sont empilées sur une palette en bois. L’ensemble, haut de 2,5 mètres, est banderolé en film polyéthylène étirable ou houssé en film rétractable pour le maintien et l’étanchéité. Le Multipack est dûment protégé par des brevets. Mais il ne suffit pas d’imaginer un emballage. Encore faut-il disposer des machines capables de le réaliser 125 2/09/08 10:14 Page 126 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION 098-137-STG-11-04 Chaîne de palettisation Multipack, brevetée par Isover. 126 2/09/08 10:14 Page 128 Prise de contrôle des licenciés LA LIMITE DU MODÈLE Le Groupe a retrouvé une santé financière et, dans le même temps, un certain nombre de licenciés sont proposés à la vente. Autant d’opportunités à saisir… La branche Isolation recueille les fruits de sa politique de soutien aux licenciés depuis les années 1950. Ainsi commence une valse de rachats qui durera deux décennies. Cela commence par l’acquisition totale, en 1985, du Suédois Gullfiber, dont SaintGobain détenait déjà des parts. L’offensive scandinave se poursuit avec l’achat d’Ecophon, spécialiste des plafonds acoustiques, en 1987. L’année suivante, c’est au tour de Glasuld, licencié danois « historique » puisque lié à SaintGobain depuis l’époque du procédé Hager, puis suivent Ahlström en Finlande et Vasa en Argentine. Au tout début des années 1990, le « club des licenciés Sodefive » n’a plus que six membres, tous les autres sont devenus des filiales de Saint-Gobain. Une politique qui se poursuit encore aujourd’hui, comme en témoigne la prise de contrôle de l’activité isolation de Hankuk Glass en Corée en 2004 (voir « L’aventure coréenne », p. 130) ainsi que le rachat du licencié turc Izocam en 2006. La branche Isolation de Saint-Gobain est présente sur presque tous les marchés ouverts de la planète. Seules possibilités de développement : les « dragons » asiatiques. Sur ces petits marchés de niche, Isover subit cependant une concurrence d’un type nouveau. Une maison danoise isolée avec de la laine de verre Glasuld, 1979. 128 À la fin des années 1980, Isover est plus rentable que jamais. Que ce soit par ses filiales ou par ses licenciés, la branche Isolation produit et vend des produits isolants dans la totalité du monde développé. L’Australie vient de rejoindre la famille des licenciés, avec la licence accordée en 1987 à Bradford, d’accueillir de nouvelles usines ou d’acheter des produits isolants. Isover a déjà un licencié en Corée. Restent la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et Taïwan. Autant de pays chauds où la demande d’isolation pour la construction résidentielle reste limitée. La Sodefive se lance donc dans l’étude des marchés industriels et tertiaires : plafonds, coquilles, panneaux pour l’industrie, etc. Tous ces produits réclamant une fibre plus grosse, un procédé moins sophistiqué que le TEL suffira amplement. D’autre part, les unités Isover sont conçues pour produire de grandes quantités de fibres, bien supérieures aux besoins locaux. Il faut donc proposer de petites usines dotées de procédés souples et basiques. Or, à cette époque, les brevets portant sur les principes du TEL tombent les uns après les autres dans le domaine public. dont l’usine toute nouvelle d’Ingleburn démarre en 1989. Isover est devenue le leader mondial de l’isolation, devant OCF. Que reste-t-il dès lors à explorer ? Où trouver de nouveaux De nouveaux concurrents apparaissent alors : des sociétés d’ingénierie qui proposent des unités simples, fondées sur les procédés centrifuges de première génération, donc libres de marchés ? Les pays de l’Est sont retranchés derrière le Rideau de fer et la Chine, bien que montrant quelques signes droits. Dès lors, les candidats n’hésitent pas. Pourquoi en effet se lier à Saint-Gobain avec un procédé trop d’intérêt, tarde à s’ouvrir. Par ailleurs, la demande de matériaux isolants dépend bien évidemment des conditions climatiques, mais aussi du niveau de développement d’un sophistiqué pour les besoins de marchés essentiellement industriels ? Le service Ingénierie de la branche étudie alors un outil de production de petite capacité, basé sur des pays. Exit donc l’Afrique et la partie pauvre de l’Asie. À cette technologies simples et adapté aux besoins de ces pays : ce aune, seuls les pays émergents du Sud-Est asiatique, ceux que l’on appelle alors les « dragons », sont susceptibles sera l’unité Mini TEL. Elle sera proposée en Égypte ou en Tunisie, mais ces projets ne se réaliseront pas. 129 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 130 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION 098-137-STG-11-04 1 2 L’AVENTURE CORÉENNE Contrairement aux idées reçues, la Corée est un pays plutôt froid. Elle connaît par ailleurs un fort développement économique. Deux bonnes raisons pour qu’un marché de l’isolation s’y développe. Deux bonnes raisons aussi pour qu’Isover s’y intéresse. D’autant qu’un licencié coréen permettrait, après l’implantation au Japon, une veille sur l’ensemble du marché asiatique. En 1979, un premier accord de licence est signé en ce sens avec la société Kolon Nylon, spécialiste des textiles artificiels, accords qui ne sera jamais mis en application. C’est pourquoi, en 1982, Saint-Gobain entame des négociations avec l’unique verrier 130 coréen : Hankuk Glass Industries. L’accord de licence est signé le 12 mai 1984. Deux ans plus tard, l’usine de la société créée pour l’occasion, Hankuk Haniso, démarre à Inchon avec le procédé TEL. Isover fournit toute l’assistance technique nécessaire lors de ses extensions successives, jusqu’à l’installation d’un deuxième four électrique en 1994. En janvier 2003, après avoir décidé de fermer l'usine d'Inchon, Haniso lance, toujours avec le soutien d’Isover, un projet de construction d’usine à Dangjin. Cette unité, qui porte la capacité de production de la société à 25 000 tonnes par an, sort ses premiers produits en mars 2004. Elle fabrique en particulier des panneaux sandwich pour l’isolation des bâtiments industriels. Au début des années 2000, Saint-Gobain prend le contrôle du groupe verrier Hanglas, et donc de sa filiale Haniso. Une opération intéressante sur un marché coréen en plein « boom ». En effet, les mousses, qui représentaient jusqu’à 70 % des ventes de produits isolants en Corée, sont pénalisées par des normes plus sévères depuis 2001 à la suite d’une série d’incendies meurtriers. Produit ininflammable, la laine de verre gagne depuis lors régulièrement des parts de marché. Haniso espère réaliser bientôt un tiers des ventes du pays. Quant à l’idée de « tête de pont » asiatique, elle a également connu un début de concrétisation en 2004 avec la création d’un groupe commun d’achat entre Haniso, Isover China et MAG, le licencié japonais. 1. Cérémonie d'ouverture de la nouvelle usine, le 2 juin 2004. 2. Ligne de production de l'usine de Dangjin en Corée. 3 3. Usine de Dangjin. 131 2/09/08 10:14 Page 132 UNE AUTRE ÉPREUVE À partir de 1987, Isover doit se battre sur un nouveau front. Des articles de presse alarmistes répandent en effet la thèse selon laquelle les fibres de verre et de roche seraient des produits cancérogènes. Isover et les autres producteurs devront consacrer beaucoup d’efforts de recherche, et donc d’argent, pour prouver que l’usage de leurs produits est sûr. La laine de verre est un produit fiable et sûr. Dès le milieu des années 1970, des études sur les effets de la fibre de verre sur la santé voient le jour. L’Association européenne des industries de l’isolation (Eurima, pour European Insulation Manufacturer Association) crée un organisme de recherche sur le sujet, le Joint European Medical Research Board, en faisant appel à des experts reconnus. Au programme, des études épidémiologiques confiées au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), situé à Lyon en France, des expérimentations animales, des études d’hygiène industrielle. L’association des producteurs américains lance un programme similaire. d’une réévaluation positive en quarante ans. Les produits Isover sont d’ailleurs certifiés par l’EUCEB (European Certification Board for Mineral Wool), car ils répondent aux critères définis par la Commission européenne et repris dans toutes les réglementations nationales, ce qui les exclut ainsi de tout classement cancérogène. Secouée, en pleine crise de croissance, la société sera bientôt aidée par un événement extérieur inattendu : la chute du mur de Berlin. La laine de verre est utilisée depuis plus de cinquante ans dans le monde entier. Elle fait partie des matériaux les plus soigneusement élaborés et les plus rigoureusement étudiés. Les études épidémiologiques, menées en milieu professionnel sur environ 45 000 personnes par des organismes indépendants reconnus, confirment que la laine de verre ne présente pas de risques particuliers pour la santé. Pour cette raison, et sur la base de plus de mille publications scientifiques, le Centre international de recherche contre le cancer a fait évoluer favorablement le classement des laines de verre et de roche vers le groupe qui comprend des produits aussi couramment utilisés que le thé ou la caféine. Cette décision est exceptionnelle : seulement cinq produits ont fait l’objet 133 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION 098-137-STG-11-04 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 134 Des essais à l’échelle industrielle ont eu lieu en Suisse (Lucens, 1953-1955), en Afrique du Sud (Springs Fibreglass South Africa, 1956-1957), en France (Rantigny, 1956) et au Danemark (Kastrup, 1956). La première ligne industrielle opérationnelle a démarré en 1956 à Kastrup chez Dansk Superfos. Date de Usines - Pays démarrage Sociétés 1956 1957 Kastrup - Danemark Dansk Superfos Fermée France - Rantigny Saint-Gobain Isover Fermée Springs - Afrique du Sud Fibreglass South Africa Isover Soraker Suède Gullfiber Fermée Stockerau - Autriche Linzer Glasspinnerei Isover Austria Lucens - Suisse Fibriver (SG) Isover CH Bergisch Gladbach - Allemagne Grunzweig+Hartmann (SG) Isover G+H Karhulä - Finlande Ahlström Fermée Saint Helens - Grande-Bretagne Pilkington Insulation Ltd. Knauf Askim - Norvège A/S Glassvatt Vidalengo - Italie Balzaretti Modigliani (SG) Billeshölm - Suède Gullfiber Etten-Leur - Pays-Bas Glaceries de Saint-Roch (SG) Isover Benelux Azuqueca - Espagne Fibras Minerales SA (SG) Isover España Llavallol - Argentine Vasa Isover Argentina Santo Amaro – Brésil Santa Marina Isover Brasil Stjordal - Norvège A/S Glassvatt Thane - Inde Fiberglass Pilkington (FGP) Fermée Ruukki - Finlande Ahlström Fermée Inophyta - Grèce Monyal Fermée Téhéran - Iran Iran Glass Wool Fermée Gebze - Turquie Izocam Roche (REX) Mountaintop – États-Unis CertainTeed Saint-Gobain Berlin - États-Unis CertainTeed Saint-Gobain 1959 1960 1961 1962 1964 1965 1966 1967 1968 134 Statut actuel Date de Usines - Pays démarrage Sociétés Statut actuel 1971 1972 1973 1975 Forssa - Finlande Ahlström Isover Oy Orange - France Isover Speyer - Allemagne Grunzweig+Hartmann Isover G+H Athens - États-Unis CertainTeed Saint-Gobain Pont-y-Felin - Royaume-Uni Pilkington Insulation Ltd Knauf Akeno - Japon Nihon Glass Wool MAG Kansas City - États-Unis CertainTeed Saint-Gobain Shiraz - Iran Iran Glass Wool Chowchilla - États-Unis CertainTeed Saint-Gobain Shuaiba - Koweït KIMMCO Hyvinkää - Finlande Ahlström Isover Oy Vamdrup - Danemark Glasuld Superfos Isover A/S Chalon-sur-Saône - France Isover Inchon - Corée Hankuk Isover Italia Tarsus - Turquie Izocam Isover AB Candiac - Canada Fiberglass Canada Tsuchiura - Japon MAG Ingleburn - Australie Bradford Fermée 1976 1978 1979 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1996 1998 1999 2003 2004 2007 Zhuhai - Chine CSR Guangdong Runcorn - Grande-Bretagne British Gypsum Isover Sunagawa - Japon MAG Ardfinnan - Irlande Moy Isover Gliwice - Pologne Gullfiber Polska (SG) Lübz - Allemagne Isover G+H Yegorievsk - Russie Isover Oy Dangjing - Corée Hankuk Haniso Ambernath - Inde UP Twiga Ploiesti - Roumanie Isover Romania CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPÊTES ET DE L’ADAPTATION DÉPLOIEMENT DU PROCÉDÉ TEL À L’INTERNATIONAL Fermée Fermée Isover UK Isover Polska 135 098-137-STG-11-04 2/09/08 10:14 Page 136 136 CHAPITRE 3 - - LE TEMPS DES TEMPETES ET DE L’ADAPTATION LES IMPLANTATIONS MONDIALES DE L’ACTIVITÉ ISOLATION (AVRIL 2007) 137 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 138 CHAPITRE 4 Un monde s’ouvre Poursuite de la politique clients Naissance d’une marque mondiale Le TEL repousse encore ses limites Nouvelles frontières Répondre à un problème planétaire LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS La dernière décennie du XX e siècle s’ouvre sur d’importants défis : les frontières s’ouvrent à l’Est et la protection de l’environnement devient une préoccupation de premier plan. Les engagements du protocole de Kyoto et la nouvelle crise pétrolière changent la donne : l’isolation devient l’une des principales mesures contribuant à réduire la consommation d’énergies non renouvelables et donc les émissions de gaz à effet de serre. C’est la croisade d’Isover pour le XXI e siècle… 139 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 140 1993 2004 Le Rideau de fer est tombé. Un monde s’est ouvert et la branche Isolation de SaintGobain entame son implantation dans les pays de l’Est, où les besoins en matière d’isolation sont immenses. Premiers marchés concernés : la Pologne (création de Gullfiber Polska) et les pays baltes (ouverture des représentations en Lettonie, en Lituanie et en Estonie). Depuis 1986, la recherche de Saint-Gobain tente de « fibrer » de la roche, ou du verre résistant aux hautes températures, avec le procédé TEL. Une avancée indispensable pour les applications navales et industrielles. En 2004, la nouvelle génération de laine de verre ULTIMATE est lancée. Depuis, elle accumule les succès et les médailles. 1998 2005 Signature le 16 mars du protocole de Kyoto (Japon). Le monde prend conscience du changement climatique et de l’ampleur de ses conséquences prévisibles si rien n’est fait pour diminuer l’émission de gaz à effet de serre. L’isolation des bâtiments, qui permettrait d’épargner chaque année des millions de barils de pétrole, devient un enjeu planétaire. 2000 La mondialisation est une réalité, Isover en prend note. Toutes les filiales de l’isolation portent désormais le même nom et partagent le même logo jaune, avec son « O » caractéristique, dévoilé fin 1999 au salon Batimat de Paris. Isover devient une marque mondiale. 140 Saint-Gobain acquiert le groupe British Plaster Board, leader mondial des plaques de plâtre et du plâtre. Les deux activités (Isolation et Gypse) se complètent parfaitement, tant du point de vue des produits que des implantations géographiques. Le plus grand groupe mondial de l’aménagement intérieur vient de naître. 2006 Isover lance la « Maison Multi-Confort ». Combinant isolation thermique optimale, fenêtres isolantes, récupération de chaleur et sources d’énergies renouvelables, cette maison fraîche en été, chaude en hiver et protégée du bruit toute l’année ne consomme pas plus d'énergie qu'elle n'en produit. 141 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 142 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS UN MONDE S’OUVRE Lorsque le mur de Berlin s’effondre en 1989, un immense marché s’ouvre pour Isover. Tout est à créer à l’Est : une culture de l’isolation, des moyens de distribution et de production. Pologne, République tchèque, pays baltes, Hongrie et Russie entrent tour à tour dans le champ d’action de la branche Isolation. Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, les Berlinois font tomber le « mur de la honte » qui coupait leur ville en deux depuis 1961. C’est le point d’orgue du démantèlement du Rideau de fer qui sépare les deux blocs depuis la guerre. Les Hongrois avaient entamé cette destruction le 2 mai 1989, en s’attaquant à la frontière fortifiée qui les séparait de l’Autriche. Prélude à la Révolution de velours de novembre-décembre… Le processus ainsi engagé s’achèvera en décembre 1991 par la démission de Mikhaïl Gorbatchev, dernier président de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Le Pacte de Varsovie est caduc. L’URSS n’est plus, place à la Communauté des États indépendants (CEI). Pour Isover, la chute du Mur représente un événement fondateur : un monde jusque-là inaccessible s’ouvre. Un monde de pays froids et développés, mais dont le parc immobilier est vétuste. Les besoins en isolation sont immenses.Tout est à faire, et d’abord créer une culture du confort, des économies d’énergie, donc de l’isolation, chez des populations habituées à des logements vétustes et une énergie quasi gratuite. Il existe certes des fabricants de produits isolants dans certains de ces pays, mais ils exploitent en général des technologies obsolètes. Certains sont d’ailleurs d’anciens licenciés Hager en Europe centrale, séparés d’Isover par la guerre et isolés depuis derrière le Rideau de fer. La Sodefive étudie ces marchés potentiels, et cette structure devient ipso facto un véritable outil de développement international. 142 Transports Isover. 143 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 144 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS Elle s’en acquittera - tout en poursuivant sa mission de soutien des licenciés - jusqu’à sa dissolution à la fin de 1997. La Sodefive décide de miser sur les liens historiques des pays de l’Est avec les grandes nations voisines d’Europe de l’Ouest, même si ces liens ont été mis en sommeil plusieurs décennies durant. C’est ainsi qu’un groupe de travail formé de la Sodefive, de représentants de la société allemande Isover G+H et d’Isover Suède (ex-Gullfiber) prend en charge l’étude de ces pays. Gullfiber Polska naît en 1993 et, trois ans plus tard, rachète une usine de laine de roche située à Gliwice, près de Katowice. Avec l’ajout d’une nouvelle ligne TEL et la modernisation de la ligne roche, elle devient le leader du marché polonais, et exporte ses produits vers l’Ukraine, la Russie, la Lituanie, la Biélorussie ainsi que les Républiques tchèque et slovaque. La partition de la Tchécoslovaquie a en effet eu lieu le 31 décembre 1992. En février 1996, G+H (Allemagne) rachète Orsil, une société tchèque de laine de roche. Après une sérieuse modernisation de son outil de production, cette société est maintenant devenue exportatrice. Pour la Russie, c’est Isover Oy, l’ancien licencié finlandais devenu filiale en 1994, qui servira de base à la conquête de cet immense marché. Avant qu’une usine y soit implantée… mais ce sera pour plus tard. En 1991, lors de la dissolution de l’URSS, les pays baltes décident de rejoindre l’Union européenne. Deux ans plus tard, Isover Oy ouvre ses représentations lettone, lituanienne et estonienne. Là encore, le premier travail consiste à faire connaître les bienfaits de l’isolation au plus large public dans ces pays 1 3 2 très froids. Pendant cinq ans, les représentants d’Isover parcourent les salons professionnels, rencontrent les autorités, multiplient les campagnes de publicité. Un travail qui portera ses fruits, puisque, aujourd’hui, l’activité isolation de Saint-Gobain a des positions incontournables sur ces trois marchés. 1. Publicité polonaise, 2005. 2. Usine de Gliwice en Pologne. 3 et 4. Usine de Saint-Gobain Orsil en République tchèque. 144 4 145 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 146 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 2 3 1 1. Maison de la Danse, connue sous le nom de « Fred & Ginger », Prague, République tchèque. Architectes : Vlado Milunic et Franck Gehry. 2. Siège social du Groupe Agora, Varsovie, Pologne. 3. Stade Allianz Arena, Munich, Allemagne. Architectes : Jacques Herzog et Pierre de Meuron. 4. Salle de conférence, Moscou, Russie. Architecte : Konovalov Yurij N. 5. Tour Turning Torso, Malmö, Suède. Architecte : Santiago Calatrava Valls. 146 4 5 147 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 148 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS POURSUITE DE LA POLITIQUE CLIENTS En 1990, Isover lance, en France, la « carte des services ». Elle garantit des livraisons toujours plus rapides, plus souples, plus réactives. La société ne vend plus de la laine de verre, mais propose désormais des « solutions » complètes, de l’aide initiale à la décision au système isolant avec ses accessoires. Le sens du service En 1990, Saint-Gobain Isover s’engage dans le domaine de la logistique et du service clients en lançant la « Carte des services ». Pour les négociants, c’est la garantie d’un service codifié, fiable, avec des délais garantis. Le gage d’une plus grande souplesse, aussi, puisqu’ils peuvent choisir sans frais supplémentaires le type de service qui leur convient. De manière générale, Isover s’appuie sur la palettisation et sur ses nouvelles structures de distribution pour garantir la livraison en quarante-huit heures, puis sous vingt-quatre heures à partir de 1998. Les engagements se renforceront en effet avec le temps. Au gré de la carte, on trouve par exemple le « service chantier », qui consiste à livrer directement à l’utilisateur final plutôt qu’au distributeur Le temps est loin, aussi, où Isover vendait des produits isolants en laissant aux clients le soin de déterminer comment ils les utiliseraient. Dès les années 1970, Isover a développé la connaissance sur les problèmes d’économies d’énergie par l’idée, notamment, d’épaisseur rentable d’isolation ou le lancement de la certification R. Depuis les années 1990, Isover propose désormais des « solutions ». Le premier acte de la vente consiste d’aileurs à aider le client à formuler sa demande. Qu’il soit négociant, utilisateur, architecte ou chef de chantier, il trouvera un interlocuteur qualifié pour cela. En Allemagne, par exemple, il existe une assistance technique téléphonique, Isover Dialog, qui est essentiellement consultée par les architectes et les concepteurs. lequel a pourtant acheté le produit à Isover. Le négociant est donc dispensé de livrer à son propre client… Le fin du fin en matière de délais de livraison est le « rendez-vous chantier », mis en place en 1998. Les palettes se déchargent en effet avec des grues ou des chariots élévateurs, des engins que les responsables de chantier louent à l’heure. Autant dire que la ponctualité de la livraison est ici un gage d’économies pour le client. Ce service est poussé à l’extrême en Finlande, où les chauffeurs de camion sont reliés par téléphone aux chantiers destinataires. Aléas de la circulation ou changement de Publicité lancée au Royaume-Uni en 2006 : « Depuis 1665, le client a toujours été roi. » 148 direction de dernière minute : tout peut s’arranger. Cartes des services Isover en 1990 et 2005. 149 2/09/08 10:18 Page 150 Le développement des systèmes de France. Comment éviter que les spectateurs d’une bande muette de Buster Keaton subissent la bande-son du film catastrophe de la salle voisine ? La solution proposée par Isover donne naissance, en 1997, à Technostar, un ensemble mêlant une ossature métallique, différentes laines de verre et des parements en plaques de plâtre. Performante, démontable et rapide à mettre en œuvre, la cloison Technostar a été installée dans des dizaines de salles multiplex. Elle poursuit une carrière internationale au Danemark, puis en Belgique, aux Pays-Bas, au Brésil, au Maroc, en Bulgarie et, plus récemment, en Chine. Enfin, les produits eux-mêmes évoluent. Après la restructuration des années 1980, qui s’est faite par un recentrage sur les métiers de la laine de verre, la stratégie commerciale évolue dans les années 1990-2000. Isover propose désormais une large gamme de produits isolants : laines minérales, mousses, chanvre… et développe de plus en plus de « systèmes ». Les matériaux isolants sont ainsi intégrés dans des structures plus ou moins complexes, avec leurs accessoires de fixation (systèmes Optima, Climaver, Vario…). En témoigne par exemple la cloison Technostar. En 1991, Pathé construisait l’un des premiers ensembles de cinéma multiplex 1 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 138-185-STG-11-04 2 1. La membrane climatique Vario associée à un isolant permet d'optimiser la performance thermique des parois. 2. Réalisation d'un système de climatisation avec les conduits autoporteurs en laine de verre Climaver. 3. Le système Optima associe isolation en laine de verre, ossature métallique, accessoires et plaques de plâtre. 150 3 151 2/09/08 10:18 Page 152 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 138-185-STG-11-04 Montage d’une cloison Technostar. Plafonds Écophon pour le traitement acoustique des bureaux. 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 154 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 1 1. Schémas d’isolation acoustique. 2. Publicité estonienne, 2003. 2 154 3. Salle de concert, Association musicale de Vienne, Autriche. Architecte : Wilhelm Holzbauer. 3 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 156 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS CONTACT CONFORT ! Désireux de suivre les demandes du marché et soucieux de l’amélioration du confort de l’utilisateur lors de la pose de laine de verre, le centre de développement d’Orange a mis au point, en un an et demi, le produit Contact. Il se présente comme un matelas « classique » de laine de verre en rouleau, si ce n’est qu’il est revêtu d’un film de polypropylène extrêmement souple et doux. Le matériau du film provient en droite ligne des couches pour bébé. L’utilisateur n’a désormais plus de contact avec la laine de verre en usage courant. Un succès immédiat chez les artisans, qui peuvent désormais poser la laine de verre sans gants. Contact est adapté dans de nombreux pays (par exemple, Comfort en Finlande et Integra Comfort en Allemagne). 156 157 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 158 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS NAISSANCE D’UNE MARQUE MONDIALE Un même nom pour toutes les filiales dans le monde, une seule marque pour tous les produits, un nouveau logo. En 1999-2000, Isover change de visage et devient véritablement un groupe mondial intégré. Et la recherche suit le mouvement. Synergies commerciales À la fin des années 1990, les équipes marketing des sociétés de la branche Isolation à travers le monde prennent acte de la mondialisation, de ses conséquences et de ses opportunités. Travaillant avec des marques différentes, historiques, elles décident d’afficher désormais une même marque mondiale. Après études et discussions, ce sera… Isover, avec un nouveau logo adapté à l’époque.Ainsi, au-delà du visuel, les équipes Isover exploitent le potentiel de synergies internationales et multiplient les échanges de bonnes pratiques. Le client, en première place, bénéficie tout de suite des expériences réussies à l’autre bout du monde ainsi que de la taille du Groupe. La première apparition du logo a lieu à Batimat Paris, salon européen de la construction, en novembre 1999. Lors d’une grande soirée, les équipes et principaux clients venus du monde entier ressentent l’esprit de famille mondiale. Désormais, toutes les filiales d’Isover porteront le même nom et arboreront les mêmes couleurs, en l’occurrence le jaune. Le nouveau logo est dévoilé à l’occasion, avec un « O » caractéristique. Certaines nuances locales sont toutefois maintenues ; ainsi, Eurocoustic en France, Orsil en République tchèque ou Haniso en Corée conservent leur nom, mais utilisent le jaune et le « O » qui les rattachent à la famille. Aujourd’hui, la marque mondiale Isover est un atout qu’il faut préserver et surtout faire connaître aux nouvelles 158 générations de clients. D’importants investissements en communication ont encouragé le lancement de la marque mondiale ; ils sont toujours d’actualité dans de nombreux pays. Synergies R&D À son échelle, la recherche d’Isover suit le même chemin. Les trois centres de Rantigny (France), Ladenburg (Allemagne) et Blue Bell (Pennsylvanie, États-Unis), ainsi que tous les centres de développement produits situés dans les usines, travaillent avec plus de cohérence depuis janvier 1999, date de lancement du projet « 2i », pour « Isover International ». Le but est de définir une méthode de travail qui permette de trouver un équilibre entre une coordination centrale efficace et la créativité locale. Une organisation « matricielle » est donc mise sur pied. Plus concrètement, la recherche se fait désormais sur projets, et des outils de communication sont mis en place de façon à ne former qu’un seul centre virtuel. Voit ainsi le jour un « intranet technique », support des espaces projets de R&D, des bases de données et modèles nécessaires à la gestion des usines.Véritable outil structurant la branche Isolation, cet « Isoline » sera étendu peu à peu à toutes les fonctions de l’entreprise. Des méthodes de validation communes sont également définies, afin de ne pas se lancer dans des projets sans débouché commercial ou industriel. Le logo fédérateur d’Isover. 159 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 160 LE TEL REPOUSSE ENCORE SES LIMITES Les ingénieurs n'ont toujours pas renoncé à fibrer des matériaux résistant aux hautes températures. Après dix années de recherche, la nouvelle génération de laine de verre ULTIMATE, lancée en 2004 , est une réussite. Peut-être parce qu'il s'agit du TEL encore une fois amélioré. Avec les brûleurs et la couronne de soufflage, l’assiette est l’organe le plus important du procédé TEL. C’est elle qui détermine pour une large part la capacité du procédé et la qualité de la fibre. C’est donc l’assiette de fibrage qui profite de la majeure partie de l’effort de développement.Ainsi, l’augmentation des débits se concrétise en 1983 par l’apparition d’une assiette de 800 millimètres permettant une tirée de plus de 30 tonnes par jour et par assiette. Le TEL est donc « imbattable » pour fabriquer de la laine de verre destinée à l’isolation des bâtiments. Un marché important échappe cependant à ses produits : l’isolation d’installations sous haute température, domaine de la laine de roche. En 1986, la direction technique de la branche Isolation demande au CRIR s’il est possible de fibrer de la roche avec le TEL. Il s’agit essentiellement de trouver un superalliage suffisamment résistant à la chaleur pour confectionner l’assiette. C’est le début du projet THT, pour TEL Haute Température. Définition des assiettes, choix et brevet de la composition verrière réfractaire adaptée, amélioration des brûleurs, tout y passe. Résultat : on peut obtenir des produits plus résistants à la chaleur que la laine de verre, aussi résistants mécaniquement, voire plus, que la laine de roche, mais aussi légers que la laine de verre. L’intérêt pour l’isolation d’installations industrielles ou la protection contre le feu est évident. 160 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 162 Le projet ULTIMATE est lancé. Il aboutira en 2004. La laine de verre ULTIMATE présente en effet d’excellentes performances dans les hautes températures, ce qui la prédispose à toutes les applications de résistance au feu. Elle permet d’offrir des solutions d’isolation au feu pour 30, 60, 120 minutes et plus, ou de passer des « tests 1000 °C ». Elle est également bien adaptée aux applications pour lesquelles une température de service entre 500 et 700 °C est requise. C’est un excellent isolant thermique et acoustique, élastique et compressible, et surtout… deux fois plus léger que la laine de roche. Un « détail » important pour l’un de ses marchés de choix : l’isolation des navires, où chaque tonne gagnée se traduit par des économies de carburant. Outre l’isolation technique des navires et installations industrielles, ULTIMATE est également adapté à la protection des bâtiments contre le feu. La production industrielle démarre en 2003 à l’usine allemande de Lübz et ULTIMATE se fait rapidement remarquer. Le produit reçoit le prix ISO 2004 de l’innovation lors de l’exposition de Wiesbaden en Allemagne, en mars 2004. En 2006, c’est la première grande consécration commerciale : la plupart des protections antifeu du stade de Munich, qui accueille la Coupe du monde de football, sont fabriquées en ULTIMATE par Saint-Gobain Isover G+H. Les références dans la marine commencent à voir le jour en Allemagne, tel le Norwegian Jewel au chantier naval Meyer Werft, puis dans d’autres pays en Europe. Par ailleurs, une production pilote de coquilles ULTIMATE démarre en janvier 2006 dans l’usine de Bergisch Gladbach. C’est à nouveau un succès sur le marché, immédiatement récompensé par le prix du meilleur produit ISO 2006 à Wiesbaden. Un investissement industriel à Bergisch au début de 2007 est décidé pour une production de coquilles fabriquées exclusivement en ULTIMATE. En 2007, une ligne ULTIMATE démarrera à Tarui, au Japon. Plafond incliné avec ossature bois, isolé avec ULTIMATE. 162 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 164 2 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 1. 2. Portes coupe-feu et conduits de ventilation isolés avec ULTIMATE. 3. Isolation de bâtiments industriels nécessitant une résistance au feu. 1 3 Ligne de production ULTIMATE à l'usine de Lübz, en Allemagne. 164 2/09/08 10:18 Page 166 NOUVELLES FRONTIÈRES Isover conquiert toujours de nouveaux territoires. En Russie, où elle construit une usine, aux États-Unis, où le marché est en pleine expansion. Mais surtout, des pays-continents s’ouvrent enfin en Asie : la Chine et l’Inde, avec chacune plus d’un milliard d’habitants et des besoins incommensurables. Peter Dachowski, directeur de la branche Isolation entre 1996 et 2004, le réaffirme en 1999 : la priorité d’Isover est le développement aux États-Unis et en Europe de l’Est. Dix ans après la chute du Mur, l’Est reste donc un territoire de conquête. Il s’agit en particulier de poursuivre la pénétration du marché russe. Dans les années 1990, Isover y vendait des produits fabriqués ailleurs, en Pologne, en Finlande et même en Chine. Mais un projet se fait jour, qui se concrétise en 2002 : installer une usine de production près de Moscou. Isover Russie rachète donc une ancienne usine de béton préfabriqué dans la ville de Yegorievsk et la reconstruit de fond en comble. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) participe au projet, consciente de son importance économique pour toute la région. L’usine de Yegorievsk, qui a démarré à l’été 2003, est De l’autre côté du monde, en Extrême-Orient, un pays-continent s’est enfin ouvert : la Chine. Plus d’un milliard d’habitants, un climat rigoureux dans une grande partie du pays, des besoins en isolation incommensurables. Mais existe-t-il un marché chinois ? Les logements y sont attribués par l’État qui, en outre, fournit gratuitement le chauffage et l’électricité. Dans ces conditions, la demande d’isolation dans l’habitat est inexistante. Le pays évolue cependant à très grande vitesse, et il importe d’y prendre pied. Isover crée donc en 1996 une jointventure avec un partenaire local, Beijing Fiberglass Reinforced Plastics Factory. Saint-Gobain Isover Beijing vise avant tout le marché des grands bâtiments officiels ou techniques, ainsi que celui des chemins de fer : chaque année, plus de deux mille wagons sont construits et isolés avec de la laine de verre fabriquée dans l’usine de Pékin. Mais cette usine est condamnée par la politique d’aménagement de la Ville de Pékin dans l’optique des Jeux olympiques de 2008. Isover revend donc cette unité à son ancien partenaire et rachète au début de 2004 une autre société à Guan, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Pékin. Une deuxième usine, située à Yixing près de Shanghai, sera acquise peu après.Avec un troisième site près de Hong Kong opéré en partenariat avec Bradford Insulation, son licencié australien, Isover a mis en place un dispositif modeste en capacité, mais qui pourra être rapidement développé le jour où la Chine s’éveillera à l’isolation. Avec une population comparable à celle de la Chine, une économie elle aussi en plein développement, l’Inde est l’autre géant asiatique. Pour l’aborder, Isover revient à sa « traditionnelle » politique de licences. Les premiers accords sont signés avec UP Twiga, un fabricant de laine et de voile de verre, puis avec Rockwool India, un fabricant de laine de roche, en juillet 2005. Quant aux derniers espaces libres sur la carte du monde, qui correspondent à quelques pays émergents où Isover n’est pas encore présent, ils s’effacent peu à peu, à l’instar de l’Afrique du Sud, où Isover s’implante en 2007 en prenant une participation dans son ancien licencié, qui avait été racheté en 1996 par OCF. aujourd’hui la deuxième plus grosse unité de production de laine de verre d’Europe. Autre terre d’expansion à l’ouest : les États-Unis. La croissance économique soutenue du pays dope la demande de logements neufs, et de nouvelles lois sur l’isolation contribuent au développement du marché. Pour son trentième anniversaire, en 1998, CertainTeed Insulation Group lance un plan de développement ambitieux. La plus grande ligne de production de laine de verre au monde est alors lancée à Kansas City, avec une capacité annuelle de 90 000 tonnes ! Il s’agit à l’époque du plus grand investissement industriel réalisé par le groupe Saint-Gobain. 166 Aéroport international de Pékin, Chine. 167 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 168 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 138-185-STG-11-04 1 2 3 1. Usine de Yegorievsk en Russie, vue du ciel. 2. 3. Lignes de production. 168 169 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 170 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS RÉPONDRE À UN PROBLÈME PLANÉTAIRE Réchauffement climatique, nouveau choc pétrolier : en ce début de XXI e siècle, il devient urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre et la consommation planétaire d’énergies non renouvelables. L’isolation des bâtiments apporte une contribution majeure. Isover s’engage dans une bataille à la fois commerciale et environnementale. Le 16 mars 1998, le protocole de Kyoto (Japon) était ouvert à la ratification. La plupart des pays développés s’engageaient à ramener d’ici à 2010 leurs émissions de gaz à effet de serre en deçà de leur niveau de 1990. Après ratification par la plupart des signataires, à l’exception notable des États-Unis et de l’Australie, l’accord est en vigueur depuis 2005. Tous les spécialistes du climat s’accordent à le dire : il y a urgence. À cela s’ajoute, depuis le printemps 2003, une nouvelle flambée des prix du pétrole. Or, pour prendre l’exemple de l’Europe, le parc immobilier représente à lui seul 40 % de la consommation totale d’énergie et un quart des rejets de gaz carbonique ! Autant dire que l’efficacité énergétique a le vent en poupe. De préoccupation individuelle, elle est devenue depuis quelques années un véritable enjeu planétaire. Les chiffres sont en effet impressionnants. Les déperditions d’énergie des bâtiments neufs ont été divisées par quatre en trente ans grâce aux réglementations et normes successives d’isolation. Cela ne concerne cependant que les constructions récentes : la majeure partie du parc existant a été construite sans isolation, ou selon des normes dépassées. Eurima, l’association européenne des fabricants de produits isolants, a édité en 2006 une étude selon laquelle la mise aux normes actuelles de l’ensemble du parc immobilier de l’Union Campagne du collectif Isolons la Terre contre le CO2 : « Bâtiments mal isolés, planète en danger.» 170 Européenne ferait économiser 3,3 millions de barils de pétrole chaque jour. Campagne publicitaire en Scandinavie. 171 2/09/08 10:18 Page 172 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 138-185-STG-11-04 ISOLONS LA TERRE Pour limiter l’ampleur du réchauffement climatique inéluctable et respecter les engagements de Kyoto, l’Europe devra diviser par quatre l’émission de gaz carbonique par habitant d’ici à 2050. En 2003, en France, huit industriels concernés, dont quatre sociétés du Groupe – Isover, Ecophon, Eurocoustic et Saint-Gobain Vitrage – lançaient le collectif « Isolons la Terre contre le CO2 », à partir d’un constat tout simple : les réglementations actuelles ou en préparation ne suffiront pas à atteindre cet objectif. Le collectif propose de lancer un plan national sur quarante-cinq ans prévoyant de réduire de 15 % tous les cinq ans la consommation des bâtiments neufs. Il faudra aussi rénover et mettre aux normes quatre cent mille logements tous les ans, en imposant l’usage de matériaux aussi performants que ceux qui sont employés dans le neuf. Autre idée : afficher la consommation énergétique des bâtiments. Tout cela supposera évidemment des incitations financières et fiscales. La France n’étant pas la seule concernée, le collectif a déjà fait des émules en Belgique (Isoterra) et aux Pays-Bas (Spaar het Klimaat). lancer l’association Effinergie. Inspirée de démarches similaires en Suisse (Minergie) et en Autriche-Allemagne (Passivhaus), l’association veut élaborer un label national du bâtiment et promouvoir les constructions à basse consommation d’énergie. Le but final est d’arriver à un bâtiment à « zéro énergie », qui produit autant d’énergie qu’il en consomme, voire à énergie positive. Sur un plan plus technique, Isolons la Terre s’est associé à des collectivités locales, à des centres techniques et à des banques pour Campagne publicitaire du collectif Isolons la Terre contre le CO2 sur la nécessaire réduction des gaz à effet de serre émis par les bâtiments. 172 173 2/09/08 10:18 Page 174 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 138-185-STG-11-04 En comprimant la laine de verre, Isover limite l’espace de stockage, réduit les mouvements de transport et l’impact sur l’environnement. Ainsi, sur une période de cinquante ans, l’énergie économisée grâce à la laine de verre peut représenter plus de cent fois celle qui a été nécessaire à sa production. 175 2/09/08 10:18 Page 176 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 138-185-STG-11-04 La laine de verre est recyclable à 100 %. Fabriquée à partir de sable et de verre recyclé (jusqu’à 80 % de calcin), elle présente un bilan environnemental très positif. Elle préserve l’environnement du début à la fin de son cycle de vie, et offre plus de confort et d’économies aux occupants des bâtiments qu’elle isole. 177 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 178 L’isolation peut diminuer la consommation d’énergie et l’émission concomitante de gaz à effet de serre… tout en améliorant le confort à l’intérieur des bâtiments. Il s’agit là d’une situation rare où tout le monde peut gagner. Un collectif d’industriels européens concernés a donc lancé diverses actions pour faire évoluer une réglementation encore trop timide (voir encadré « Isolons la Terre », p. 173). Ainsi, la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (2202/91/CE), édictée en décembre 2002 et entrée en vigueur en janvier 2006, pour prendre en compte les engagements de Kyoto, ne concerne que les immeubles neufs ou la rénovation de bâtiments de plus de mille mètres carrés. Autant dire que la quasi-totalité des maisons individuelles et des petits locaux industriels et commerciaux « passent à travers » ; or ils représentent 90 % des économies possibles. Ce n’est pas un hasard non plus si l’édition 2005 de Batimat a choisi pour thème le développement durable. Saint-Gobain a construit pour l’occasion un pavillon appelé « Aujourd’hui pour demain », basé sur l’usage rationnel de l’énergie et des ressources rares ainsi que sur le souci du confort pour tous à l’intérieur des bâtiments. L’environnement sous tous ses aspects apporte de nouveaux thèmes de travail aux centres de recherche du Groupe. Car, si l’application des produits actuels peut largement dépasser les exigences réglementaires, il y a encore du chemin à faire. Par exemple, trouver des solutions pour la mise à niveau de l’habitat ancien. Il est 2 nécessaire de développer des isolants présentant la même efficacité avec une épaisseur moindre que les produits actuels, car la place manque. Le respect de l’environnement suppose aussi une vision globale de la vie d’un produit, de la production des matières premières à son recyclage en fin de vie. Au niveau mondial, la question de l’isolation des bâtiments deviendra d’autant plus cruciale que des pays comme la Chine et l’Inde vont, fort légitimement, vouloir rattraper le niveau d’activité et de confort des pays développés. Cela impliquera, inévitablement, une forte croissance de leur consommation d’énergie et de leurs rejets de gaz à effet de serre. Une fois encore, comme durant la crise pétrolière des années 1970, Isover se trouve en phase avec une préoccupation planétaire et a la chance de vendre un produit qui contribue vraiment à une solution. Pour les équipes Isover, aider à combattre le réchauffement climatique est devenu une véritable mission. 1. Chez Isover, la sécurité est une priorité absolue, vécue et appliquée par les équipes dans tous les domaines de l'entreprise. 1 178 2. Publicité suédoise : « Ça vaut de l'or ! » 179 138-185-STG-11-04 2/09/08 10:18 Page 180 Les mesures montrent que l’eau chaude, l’électroménager et l’éclairage ne représentent que 25 % de la consommation moyenne des bâtiments en Europe. Le chauffage pèse, à lui seul, 75 %. Cette répartition très déséquilibrée a une cause : l’isolation défaillante. La chaleur s’échappe à l’extérieur en hiver, et la fraîcheur ne reste pas en été. Résultat, la demande d’énergie est toujours plus élevée. En améliorant l’enveloppe isolante, il est possible de limiter les pertes d’énergie et donc de réduire la consommation. Mais nous pouvons faire mieux et aller jusqu’à une réduction de 75 à 90 %. Comment ? En changeant radicalement notre approche dans les modes de construction et en utilisant les énergies renouvelables. C’est le concept de la « Maison Multi-Confort » lancé par Isover. Il ne s’agit pas d’évoquer des constructions futures, mais bel et bien des habitations existantes, « en service » en ce moment même, ici et là en Europe. Grâce à un choix de composants « passifs » très performants – fenêtres superisolantes, systèmes de récupération de chaleur, isolation thermique optimale – la Maison Multi-Confort de SaintGobain peut quasiment se passer de tout mode actif de chauffage. Ses principales sources de chaleur sont le soleil, les habitants, les appareils ménagers ainsi que la chaleur récupérée dans l’air vicié : des énergies renouvelables et inépuisables d’origine naturelle. Résultat, sa consommation énergétique est particulièrement faible : la Maison Multi-Confort ne consomme que 1,5 litre de combustible par mètre carré et par an ! En comparaison, une construction ancienne nécessite environ 20 litres de combustible, tandis qu’une maison neuve, bâtie selon le mode traditionnel, en nécessite de 6 à 10 litres. Ainsi, une Maison Multi-Confort permet non seulement de réduire spectaculairement la facture énergétique des ménages, mais, de plus, elle leur assure un confort supérieur. L’enveloppe hermétique qui entoure la maison protège les habitants contre le froid, la chaleur et le bruit, en garantissant un climat intérieur agréable en toute saison. Un système de ventilation contrôlée assure un apport constant d’air frais. Le degré d’humidité demeure stable, ce qui résout les éternels problèmes d’humidité. La température est homogène dans toutes les pièces. La Maison Multi-Confort de Saint-Gobain, qui peut prendre toutes les formes architecturales imaginables, est une solution aux deux grands défis du XXIe siècle : préserver la planète en limitant la dégradation des ressources et de l’atmosphère, tout en améliorant les conditions de vie des habitants. Un climat intérieur optimal grâce à un système d'air renouvelé. 180 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS ISOVER MAISON MULTI-CONFORT : AU SERVICE DE L'EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE WeberHaus, Rheinau-Linx, Allemagne. 181 2/09/08 10:18 Page 182 CHAPITRE 4 - - LE REBOND ET LES NOUVEAUX DÉFIS 138-185-STG-11-04 2 1 1. Maison passive Proyer, à Steyr, en Autriche. 2. Maison passive à Salzkammergut, en Autriche. Bureau d'architectes : DI Hermann Haufmann. 3. Gymnase Albstadt à Tübingen, en Allemagne. Architecte : Prof. Schempp. 182 3 183 2/09/08 10:18 Page 184 CONCLUSION « Si l’on veut définir un métier qui corresponde parfaitement à la stratégie du Groupe, on obtient la description de l’isolation. » Lorsque Saint-Gobain s’est lancé dans la laine de verre, l’isolation ? Comment expliquer une telle ascension ? peu avant la Seconde Guerre mondiale, l’isolation était Tous les acteurs s’accordent à le dire : le TEL a été au « À mon arrivée dans le Groupe, le TEL m’est tout de suite apparu comme un point fort pour Saint-Gobain. Notre stratégie s’est concentrée sur ce procédé exclusif, et je crois qu’elle a été payante. » Jean-Louis Beffa Président-Directeur Général du Groupe Saint-Gobain de 1986 à 2007 184 une aventure prometteuse. Durant l’immédiat aprèsguerre, elle représentait encore une activité marginale au sein du Groupe, au point que les verriers des branches plus traditionnelles, considérées comme plus nobles, la raillaient gentiment. Or, à la fin des Trente Glorieuses, elle était devenue le métier le plus rentable de Saint-Gobain ! Aujourd’hui, l’isolation est sans conteste au cœur de la stratégie de SaintGobain et constitue l’un des moteurs de la croissance du pôle Produits pour la Construction. L’activité isolation réunit en effet tous les critères souhaités : avance technologique, adéquation avec les préoccupations de notre temps et avec les nouvelles réglementations de la construction, ainsi que le caractère régional de ses marchés. On n’isole pas de la même manière, ni les mêmes constructions, en Norvège, aux États-Unis ou en Corée du Sud. Climat, traditions architecturales, modes constructifs, niveau de développement économique et même culture au sens large déterminent dans chaque pays des besoins particuliers auxquels doivent répondre des produits spécifiques. C’est à quoi s’attachent les multiples implantations de l’activité isolation. En centre de ce développement. Depuis son lancement, il y a un demi-siècle, ce procédé domine tous les autres.Très bien conçu à l’origine, il a su évoluer constamment, comme en témoigne son dernier développement, ULTIMATE. De la mise au point du procédé à la conception et à la distribution de nouveaux produits, en passant par l’assistance technicocommerciale aux licenciés, l’histoire du TEL est aussi celle des centaines d’hommes et de femmes d’Isover qui, partout dans le monde, ont su accompagner et parfois précéder le développement du marché de l’isolation. Ce livre leur rend hommage, en montrant comment ils ont su évoluer au fil des décennies pour mieux « coller » au marché, tout en gardant intact leur fibre créative et leur goût du défi technologique. Avec une indéniable avance technologique, un flot continuel de produits innovants, des implantations dans le monde entier, une stratégie bien définie, Isover ne manque pas d’atouts. Or, des circonstances extérieures au Groupe viennent aujourd’hui élargir les perspectives de développement pour l’activité isolation. Le réchauffement climatique, le ren- décembre 2005, l’acquisition de British Plaster Board (BPB), le plus grand fabricant mondial de plaques de plâtre et de plâtre, a renforcé la prééminence du Groupe sur le marché de l’aménagement intérieur. Pourquoi Saint-Gobain, pourtant entré en lice après ses principaux concurrents, est-il devenu en quelques décennies le leader mondial de chérissement prévisible des énergies fossiles se combinent en effet pour inciter les autorités à édicter des réglementations de plus en plus exigeantes quant aux performances des bâtiments neufs ou existants. L’époque est aux économies d’énergie et à la préservation de la planète. Les plus belles heures de l’isolation sont sans doute devant elle. 185 CONCLUSION 138-185-STG-11-04 PAGESFIN-186-192 2/09/08 10:19 Page 186 Nous souhaitons remercier ici toutes les personnes qui ont permis la création de cet ouvrage participatif et collectif. En premier lieu, Jean Battigelli pour son minutieux travail de recherche et de recueil de la mémoire ainsi que ses nombreux écrits sur le TEL et l’activité isolation. Mais aussi : Saint-Gobain Archives (Catherine Bigot, Didier Bondue, Nathalie Duarte, Hervé Mahoudeau, Jacky Robinet), Pascale Alix, Jean-Yves Aubé, Georges Bancon, Lucien Berthon, Bernard Bichot, Stéphane Cousin, Yves Darche, Francis Da Silva, Jacques Delrieux, Dominique Elineau, Jean-Paul Fauchez, Dr Hans Furtak, René Goutte, Virginie Gourc, Maurice Hamon, Tsutomu Kadowaki, Sorin Klarsfeld, Catherine Langlais, Jean-Pierre Leroy, Michel Monserand, Sigurd Natvig, Jean Noziere, Marc Olagne, Dominique Plantard, Jean-Claude Rias, Mark Sadoff, Daniel Sainte-Foy, Marc Sauvage, Raymond Villain... pour leur aide, leur témoignage et leur éclairage sur l’aventure du TEL. Et bien sûr, tous les collaborateurs, anciens ou nouveaux, les retraités, les licenciés, les clients et les partenaires, qui font chaque jour l'histoire de l’activité isolation. 186 PAGESFIN-186-192 2/09/08 10:19 Page 188 Crédit Photographique : Tous les documents de cet ouvrage sont issus du fond iconographique et photographique de Saint-Gobain, à l'exception de J.Piffaut (p.66-67). ACHEVÉ D’IMPRIMER EN MAI 2007 SUR LES PRESSES DE L’IMPRIMERIE KAPP À ÉVREUX (27) PHOTOGRAVURE : LA STATION GRAPHIQUE N° D’ÉDITION : 566 IMPRIMÉ EN FRANCE PAGESFIN-186-192 2/09/08 10:19 Page 190