Cette procédure est pour beaucoup inutilement complexe. En effet, elle fait intervenir au moins deux juges, si ce n’est trois (suivant si le litige se situe au niveau des Cours Suprêmes ou s’il se situe près des juges du fond). Elle fait donc conséquemment intervenir trois délais et trois examens de la norme incriminée. Le juge du fond est très encadré, au travers des trois critères. Il se contente d’appliquer successivement trois conditions à la norme litigieuse. De même, l'inconstitutionnalité d’une disposition législative n’est malheureusement pas un moyen d’ordre public. Il y a donc ici volonté de limiter au maximum le pouvoir du juge du fond. Il est seulement le réceptacle de la prétention constitutionnelle du requérant, et joue le rôle de relais. Le contrôle de constitutionnalité, qualifiable de minimal ou de restreint, exercé par les Cours Suprêmes sera tout de même plus prégnant que celui des juges de premier et second ressort. En effet, elles jouent le rôle de filtre décisif avant la saisine du Conseil constitutionnel. Alors que le pouvoir constituant a clairement fait le choix d'un contrôle de constitutionnalité a posteriori concentré dans les mains du Conseil constitutionnel, la procédure de la QPC transforme pourtant les juridictions administratives et judiciaires en juges constitutionnels de droit commun. Bien que Conseil d'État et Cour de cassation ne puissent déclarer la loi contraire aux droits et libertés constitutionnellement garantis, elles peuvent interpréter les normes constitutionnelles, interpréter la loi conformément à la Constitution et déclarer la loi conforme aux droits et libertés constitutionnellement garantis. En premier lieu, le Conseil d'État et la Cour de cassation s'appuient parfois sur une « théorie de la Constitution claire »(35) au terme de laquelle la question n'est pas jugée sérieuse parce qu'elle peut être réglée sans difficulté par la cour suprême qui, considérant que la Constitution est dépourvue de toute d'ambiguïté, tranchera dans le sens de la conformité de la loi aux droits et libertés constitutionnellement garantis. En deuxième lieu, opérant un contrôle au fond de la constitutionnalité de la disposition législative par rapport à la norme constitutionnelle invoquée, les deux cours suprêmes apprécient en réalité si la question soulève une difficulté sérieuse.En écartant une QPC comme non sérieuse au motif soit que la disposition législative ne porte pas une atteinte excessive aux droits et libertés constitutionnellement garantis, soit qu'elle est suffisamment justifiée au regard de l'objectif d'intérêt général, les juridictions suprêmes opèrent un contrôle de constitutionnalité poussé et substituent leur appréciation à celle que pourrait faire le Conseil constitutionnel. La notion de « question nouvelle » impliquant le renvoi de la QPC a été explicitée dans la décision du 3 décembre 2009 relative à la loi organique mettant en œuvre l'article 61-1 de la Constitution : le critère de la nouveauté de la question impose que « le Conseil constitutionnel soit saisi de l'interprétation de toute disposition constitutionnelle dont il n'a pas encore eu l'occasion de faire application » et permet, par ailleurs, au Conseil d'État et à la Cour de cassation « d'apprécier l'intérêt de saisir . En d'autres termes, si le caractère sérieux de la question de constitutionnalité conduit à une appréciation de la pertinence de la question, le caractère nouveau invite à considérer son opportunité, de sorte que le Conseil constitutionnel se mue en une juridiction constitutionnelle d'exception. Or n'est ni pertinente, ni opportune la question de constitutionalité qui peut être résolue par le Conseil d'État ou la Cour de cassation grâce à une interprétation conforme de la loi.