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Memoire ULB, Coline Cornelis - Une personnalité juridique pour la Nature

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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES
Faculté de droit - Centre de droit international
Une personnalité juridique pour la Nature :
la garantie d’un meilleur accès à la justice en
matière d’environnement ?
Présenté par Coline Cornélis
Sous la supervision des professeurs Anne Lagerwall et Olivier Corten
En préparation au Master de spécialisation en droit international
2016-2017
Table des matières
Table des matières…………………………………………………………
Résumé………………………………………………….………………….
Partie 1 : Qu’est ce que la personnalité juridique pour la Nature ?
1.1. Introduction……………………………………………….………….. p.1.
1.2. Naissance de la notion…………………………………..….………… p.2.
1.3. Une contradiction originelle………………………………………….. p. 3.
1.4. Un moyen de protection de l’environnement ?………………………. p. 4.
1.5. Définition classique de la personnalité juridique……………..….…… p. 5.
1.6. Notre hypothèse………………………………………..……..……… p. 6.
Partie 2 : Fondements juridiques et influences
2.1. En droit international…………………………………………………. p. 7.
a) La Charte mondiale pour la Nature…………………………………… p. 8.
b) Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement…………… p. 8.
c) La Convention de Rio………………………………………………… p. 9.
2.2. En droit européen………………………………………….…………. p. 9.
a) La Convention européenne des droits de l’homme………..………… p. 9.
b) La Convention d’Aarhus…………………………………………….. p. 10.
2.3. Les fondements nationaux, pays par pays…………………………… p. 12.
a) L’Equateur : l’exemples le plus avancé………………………………. p. 13.
b) La Colombie : une personnalité juridique dans les faits….………….. p. 15.
c) L’Inde : une décision qui précède la loi……………………………… p. 18.
Partie 3 : La « plus-value » de la personnalité juridique pour la Nature.…p.21.
3.1. L’octroi d'une personnalité juridique à la Nature implique-t-elle une
définition plus large de ceux et celles qui peuvent en exiger la protection ?
………………………………………………………………………….… p. 22.
a) En Equateur………………………………..…………………………. p. 22.
b) En Colombie………………………………………………………….. p. 22.
c) En Inde…………………………………………………………….….. p. 23.
d) En Belgique…………………………………………………….……. p. 24.
3.2. L’octroi d'une personnalité juridique à la nature implique-t-elle la
compétence de juridictions plus nombreuses susceptibles d'en assurer la
protection ?……………………………………………………………….. p. 25.
a) En Inde, un « National Green Tribunal »…………………………….. p. 26.
b) Ailleurs………………………………………………………………..p. 28.
3.3. L’octroi d'une personnalité juridique à la Nature implique-t-elle qu'on
puisse requérir auprès des juges des mesures plus diversifiées pour en assurer la
protection ?………………………………………..……..………………. p. 29.
a) En Equateur………………………………………………………….. p. 29.
b) En Colombie………………………………………………………… p. 30.
c) En Inde………………………………………………………………. p. 30.
3.4. Conclusion……………………………………………………………p. 31.
Bibliographie……………………………………………………………..
Résumé
Les décisions de justice qui confèrent une personnalité juridique à la Nature se multiplient à travers
le monde. Cette notion, inspirée de philosophies éco-centriques, consiste à octroyer de véritables
droits à des éléments de la Nature, qui deviennent ainsi des personnes juridiques à part entière, à
l’égal de n’importe quelle personne physique ou morale. Cette proposition nouvelle est sujette à
diverses interprétations, traduites d’autant de façons dans les droits nationaux. La question centrale
qui est posée dans ce travail est la suivante : « Quelle plus-value cette notion apporte-t-elle en terme
d’accès au droit de l’environnement ? ».
La deuxième partie entend dresser le tableau, esquisser le cadre juridique dans lequel cette question
évolue. Elle répertorie les fondements juridiques qui peuvent être mobilisés lors d’une action en
justice en matière d’environnement. En droit international dans un premier temps, puis dans les
droits nationaux des trois pays sur lesquels nous avons choisi de nous attarder : l’Equateur, la
Colombie et l’Inde. L’Equateur est le pays qui a le plus intimement intégré la notion de personnalité
juridique pour la Nature puisqu’elle figure au sein même de sa Constitution. La Colombie consacre
quant à elle la notion à demi-mots dans ses textes de lois, et à voix haute lors de décisions
judiciaires. Alors qu’en Inde, c’est la décision qui précède la loi.
La troisième partie se concentre en détail sur les éléments qui différencient les pays qui adoptent
l’idée de personnalité juridique pour la Nature et ceux qui ne le font pas. Trois sous-questions sont
posées quant à l’octroi d’une personnalité juridique à la Nature. La première est de savoir si elle
implique une définition plus large de ceux et celles qui peuvent en exiger la protection dans le chef
des pays qui adoptent la notion. On remarque que l’intérêt à agir est considéré plus largement, entre
autre parce que l’intérêt collectif est pris en compte et que tous les citoyens sont a priori concernés.
En Equateur, il est possible de se présenter au nom de la Nature. En Colombie, de nombreux
mécanismes ainsi que le droit à un environnement sain garantissent une grande implication des
citoyens. En Inde, il existe un statut spécial de représentant et de citoyen ainsi qu’une interprétation
large du droit à la vie. La deuxième sous-question concerne les juridictions susceptibles d'en assurer
la protection. En Inde, un « tribunal vert » a été créé. Ailleurs, les juridictions demeurent plutôt
classiques, mais s’emparent de ce concept nouveau. La dernière sous-question traite de l’existence
de mesures originales. En Equateur, il est possible de demander l’inversion de la charge de preuve,
des mesures de protection ne serait-ce qu’en cas de « doute », ainsi que des mesures au nom de la
Nature elle-même. En Colombie et en Inde, la mesure réellement nouvelle est la mise sur pied d’un
système de gardiennage ou de tutorat pour la Nature.
Partie 1 : Qu’est ce que la personnalité juridique pour la Nature ?
1.1. Introduction
L’attribution d’une personnalité juridique à la Nature est ce que l’on peut appeler un « trending topic ». Tout a commencé en Equateur en 2008, date d’adoption de la première Constitution au monde
à placer la Nature au rang de personne, et à lui conférer de véritables droits tels que le droit au respect intégral de son existence propre, le droit au maintien et à la régénération de ses cycles de vie, le
droit des gens à profiter de la Nature dans un esprit d’harmonie1.
L’idée s’est ensuite propagée à travers le monde : la Ley de derechos de la Madre Tierra2 de 2010
en Bolivie, les Te Urewera Act3 et Te Awa Tupua Bill4 en Nouvelle-Zélande, le récent Ganga River
Rights Act5 en Inde, ainsi que des décisions municipales dans certaines villes des Etats-Unis,
comme Pittsburg6… Les exemples ne manquent pas et cette notion connait en effet un succès grandissant. Ce n’est pas pour autant que l’on sait réellement ce qu’elle renferme. Au contraire, sa définition demeure vague, et il semble exister autant de façon de concevoir la personnalité juridique de
la Nature que de juridictions l’ayant fait valoir. Nous allons voir que cette « technique » de protection de l’environnement est sujette à débat, et qu’il existe diverses façons de la concevoir.
Si ces diverses définitions trahissent des différences sur le plan philosophique, elles ont également
un impact concret sur l’organisation de l’accès à la justice environnementale selon les Etats.
Dans ce travail, nous tenterons de découvrir ce que l’attribution d’une personnalité juridique à la
Nature dans le cadre d’une affaire judiciaire a comme avantage, ou comme inconvénient. Pour ce
faire, trois pays nous serviront d’exemples : l’Equateur, la Colombie et l’Inde. Ils représentent trois
« niveaux » d’intégration de la notion, du plus profondément intégré - la Nature est une personne
dans la Constitution équatorienne - au plus « superficiel » avec l’Inde, où aucun texte n’entérine
l’idée mais où des juges s’en sont néanmoins servi pour donner une personnalité juridique au
1
REPUBLIC OF ECUADOR, « Constitution of 2008 », Official Register, 20 octobre 2008.
2 ASAMBLEA LEGISLATIVA PLURINACIONAL,
bien », 1 décembre 2010.
« Ley Marco de la Madre Tierra y desarrollo integral para vivir
3
PARLIAMENT OF NEW ZEALAND, « Te Urewera Act 2014 », n°51, 27 juillet 2014.
4
PARLIAMENT OF NEW ZEALAND, « Te Awa Tupua (Whanganui River Claims Settlement) Bill », n°129-1, 2016.
5
HIGH COURT OF UTTARAKHAND, « Mohd. Salim Versus State of Uttarakhand & others », March 20, 2017, http://
www.livelaw.in/first-india-uttarakhand-hc-declares-ganga-yamuna-rivers-living-legal-entities/
6
NOBEL Noel, « How a Small Town Is Standing Up to Fracking », Rolling Stone, 22 mai 2017, http://www.rollingstone.com/politics/news/how-a-small-town-is-standing-up-to-fracking-w482577, consulté le 28 mai 2017.
!1
Gange. La Belgique jouera quant à elle le rôle de « mètre-étalon », en sa qualité de pays n’évoquant, à aucun moment, des droits propres pour la Nature. Nous évaluerons la potentielle « plusvalue » de l’octroi d’une personnalité juridique à un élément de l’environnement à l’aune de trois
questions. La première est le « Qui ? » : la notion autorise-t-elle une définition plus large de ceux et
celles qui peuvent introduire une action ? La deuxième est le « Devant qui ? » : la notion impliquet-elle la compétence de juridictions plus nombreuses susceptibles d'en assurer la protection ? La
troisième est le « Pour demander quoi ? » : la notion permet-elle de requérir auprès des juges des
mesures plus diversifiées ou originales ?
Dans l’immédiat, nous allons tout d’abord nous demander ce que cette notion est.
1.2. Naissance de la notion
Les premières traces de la notion proviennent de trois racines distinctes : des décisions nationales à
propos des droits des animaux, du statut particulier de la Zone, tel que défini dans l’article 136 de la
Convention de Montego Bay, ainsi que de la notion de « common heritage of mankind », qui s’est
petit à petit étendu à d’autres domaines que celui du droit de la mer, comme l’espace, l’Antarctique,
les droits de l’homme, les génomes humains ou encore les ressources génétiques7. Ce concept selon
lequel certains biens communs doivent être vus comme bénéfiques à l’ensemble de l’humanité et ne
devrait pas être individuellement exploité par un seul Etat ou ses ressortissants est une base importante pour comprendre l’esprit des partisans de droits pour la Nature.
L’origine plus précise de l’idée de personnalité juridique pour la Nature remonte à la publication de
Should trees have standing8, l’article-clé de Christopher Stone qui a affecté l’entièreté du paradigme
légal dominant depuis 1972. Il fut le premier à décrire ce que pourrait représenter, de façon tangible, la personnalité juridique de la Nature. De là est né le courant juridique appelé Earth Jurisprudence, qui, d’années en années, gagne en notoriété. On le décrit généralement comme une philosophie du droit et de la gouvernance humaine basée sur l’idée que les humains sont partie d’un en-
7
NOYES, John E., « The Common Heritage of Mankind: Past, Present, and Future, California Western School of
Law », 2012, p. 4.
8
STONE, Christopher D. « Should Trees Have Standing?–Towards Legal Rights for Natural Objects », Southern California Law Review 45 (1972): 450-501.
!2
semble plus large, d’une communauté d’être vivants. Le bien-être de chaque membre de cette communauté dépend du bien-être de la Terre comme un tout9.
A côté de cette philosophie du droit existe également ce que l’on appelle la Earth Law. Le Earth
Law Center la définit comme « un corpus croissant de lois reconnaissant que la terre a des droits
inhérents, et que humains et Nature sont membres d’une communauté plus large »10. Quelques
exemples attestent en effet de la multiplication des textes qui partagent ce point de vue. A l’échelle
globale, nous avons par exemple la World Charter for Nature, la Convention on Biodiverity, ou encore les résolutions du programme de l’ONU appelé Harmony with Nature. La société civile n’est
pas en reste avec la Earth Charter, l’Universal Declaration of the Rights of Mother Earth de Cochabamba, mais aussi la proposition de Crime of Ecocide.
Nous verrons qu’à côté des enceintes internationales et de la société civile, les Etats légifèrent également, et sont même des acteurs très actifs dans la propagation de la Earth jurisprudence.
1.3. Une contradiction originelle dans la notion de personnalité juridique pour la Nature : un
anthropomorphisme mal venu ?
Les pionniers de l’idée de personnalité juridique pour la Nature se sont inspirés de la Pachamama.
Pachamama est une déesse vénérée par les peuples indigènes des Andes. Elle est également connue
comme la mère du temps et de la terre11. Sa traduction (Mother Earth ou Terre Mère) est devenue
une expression métaphorique commune pour désigner la Terre et sa biosphère comme « porteuses »
de vie. Mais si la Pachamama a été à l’origine de la notion de droit pour la Nature, cela ne veut pas
forcément dire qu’il est logique ou adéquat de confondre droit et Pachamama. En effet, si nous
pouvons croire que les cultures indigènes sont favorables à ce type de vision, celle-ci n’est pas toujours en phase avec leurs intérêts ou leur philosophie. Corman Cullinan, auteur de Wild Law: Protecting Biological and Cultural Diversity, affirme que la majorité des cultures indigènes disposent
de moyens pour assurer le respect de relations fondamentales qui, dans les cultures occidentales,
9
EMMENEGGER Susan & TSCHENTSCHER Axel, « Taking Nature’s Rights seriously : the long way to biocentrism
in Environmental Law », Georgetown International Environmental Law Review, Volume VI, Issue 3, 1994, P 545-742,
p. 14.
10
11
EARTH LAW CENTER, « What is Earth Law ? », https://www.earthlawcenter.org/, consulté le 20 mai 2017.
ESPINOSA, Cristina, « The Advocacy of the Previously Inconceivable: A Discourse Analysis of the Universal Declaration of the Rights of Mother Earth at Rio+20 », Journal of Environment & Development 2014, Vol. 23(4), 2017, p.
415.
!3
sont appelées « droits »12. Il n’en va pas de même avec ces cultures qui ne pensent, elles, pas en
terme de droit. Elles conçoivent leur relation avec chaque aspect de la Terre ; non seulement entre
humains, relation à laquelle la vision occidentale a tendance à se limiter, mais aussi avec l’air, la
nourriture, les plantes, les animaux13…
Gerrard Albert, le leader des négociateurs dans l’affaire de la rivière Whanganui en Nouvelle-Zélande, déclare à ce sujet que les peuples indigènes se sont battus pour traduire, en termes légaux,
leur vision de l’environnement afin que d’autres puissent la comprendre et ainsi traiter la rivière
comme une entité vivante, comme un tout indivisible, et se détacher du modèle dominant des cent
dernières années, centré sur le management et la propriété14. Parfois, cet exercice d’adaptation, de
« traduction » ne fonctionne pas, et il arrive même que des cultures se dressent contre le concept de
droits pour la Nature. En Bolivie, la Confédération des Peuples Indigènes de Bolivie a combattu
l’introduction de droits pour la Nature, décriant le fait qu’ils ont été écartés du processus d’élaboration par des groupes environnementaux. Ils pointent notamment du doigt la suppression de la clause
autorisant les groupes indigène à accepter ou refuser l’établissement de méga-projets sur leurs
terres15.
A la fin de ce troisième point, on dénote donc une première critique de la définition de personnalité
juridique pour la Nature. Il existe une sorte d’anthropomorphisme à vouloir appliquer à la Nature
des droits « taillés sur mesure » pour les humains.
1.4. Un moyen de protection de l’environnement ? Des visions s’affrontent
La proposition d’une personnalité juridique pour la Nature est un nouveau moyen potentiel pour
protéger l’environnement. Les droits pour la Nature ont jusqu’ici été formulés de diverses façons :
des droits légalement contraignants, des droits comme impératifs moraux, une responsabilité humaine à l’égard de la nature16… Pour certains, la réalisation de l’idée s’est déjà opérée par l’établ12
OSTRANDER Madeline, « The Legal Rights of Nature, Interview with Cormac Cullinan », YES! Magazine, 1er février 2011, http://www.yesmagazine.org/planet/interview-with-cormac-cullinan, consulté le 23 mai 2017.
13
Ibid.
14
DAS Monalisa, « Ganga and Yamuna are now legal entities: What does this mean and is it a good move? », The
News Minute, 21 mars 2017, http://www.thenewsminute/article/ganga-and-yamuna-are-now-legal-entities-what-doesmean-and-it-good-move-58999), consulté le 20 ami 2017.
15
SHELTON Dinah, « Nature as a legal person », VertigO, Revue électronique en sciences de l'environnement, Horssérie 22, Septembre 2015, http://vertigo.revues.org/16188, consulté le 8 mai 2017, p. 13.
16
Ibid, p. 2.
!4
issement d’une pratique récente, notamment par la notion de préjudice écologique. Pour d’autres,
l’attribution de droits similaires aux droits humains à la Nature n’est qu’un « nouvel anthropomorphisme » qui agit à son détriment. Enfin, d’autres encore conçoivent cela comme une option
concrète, un moyen très pragmatique de résoudre des différends.
Parmi les « enthousiastes », nous distinguons deux grandes catégories : ceux qui conçoivent les
droits de la Nature parallèlement aux droits de l’homme, et ceux qui attribuent à la Nature une identité propre, indépendamment des êtres humains.
Les partisans de la conception des droits de la Nature comme partie des droits de l’homme partent
du principe que chaque personne, au sens classique, possède certains droits inaliénables. Or la dégradation de l’environnement est susceptible de leur porter préjudice et violer certains de ces
droits17. On peut toutefois se demander si la Nature doit faire partie des droits humains, ou au
contraire, si elle doit elle-même bénéficier de droits - à certains égards comparables à ceux dont
jouit l’humain. Si les humains ont des droits, les « non-humains » en ont-ils également18 ? Sans aucun doute dans la mesure où cela a déjà été fait pour les entreprises, organisations, institutions…
Mais le concept de Nature a cela de particulier qu’une définition précise n’est pas aussi évidente à
formuler, que les « victimes environnementales » sont « invisibles » et que cela dépasse les systèmes de justice criminelle traditionnels19.
1.5. Une définition classique de la personnalité juridique
Il n’existe pas de définition légale de la personnalité juridique. Toutefois, il semblerait que la définition qui se dégage du droit dans son ensemble est « l’aptitude à participer à la vie juridique »20.
Cette absence de définition officielle s’explique par le fait que l’émergence de la cette notion
17
POPOVIC Neil, « Pursuing Environmental Justice with International Human Rights and State Constitutions », n°338,
1996, p. 245.
18
SHELTON Dinah, « Nature as a legal person », VertigO, Revue électronique en sciences de l'environnement, Horssérie 22, Septembre 2015, http://vertigo.revues.org/16188, consulté le 8 mai 2017, p. 13.
19
HALL Matthew, « Environmental harm : the missing victims ? », Criminal Justice Matters, Volume 90, Taylor &
Francis Online, 2012, p. 12.
20 AUBERT
J.-L., « Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil », Paris, Armand Colin, 7ème édition,
1998, p. 189.
!5
comme concept juridique a été le fruit d’une évolution progressive21. Le législateur a constaté ce
qu’elle est a posteriori, une fois que la pratique et l’évolution du droit l’avaient produite.
Mais il semble que l’aptitude à être titulaire de droit ne fait pas du sujet un simple réceptacle de
droits : le sujet de droit est apte à en jouir. C’est ainsi que M. Carbonnier le définit : « Les personnes, au sens juridique du terme, sont les êtres capables de jouir de droits ; ce sont, d’une expression équivalente, les sujets de droit »22. Selon Marty et Raynaud, il résulte de la définition même de
la personnalité juridique, « aptitude à acquérir et à exercer un droit ou à subir une obligation », que
« la personne possède des droits et exerce une activité juridique »23.
Si l’on se cantonne à ces définitions, il est permis de douter que la Nature puisse réellement exercer
ce type personnalité juridique. Pourtant, certaines juridictions ont mis en place des dispositifs
concrets pour justifier la statut de la Nature comme véritable sujet de droit.
1.6. Notre hypothèse
Des pays ont adopté une conception particulière de la protection de l’environnement qui consiste en
l’attribution d’une personnalité juridique à la Nature. Nous remarquons que ce sont des pays où la
Nature revêt un caractère symbolique fort. Nous nous penchons sur trois d’entre eux : l’Equateur, la
Colombie et l’Inde. Chacun d’eux a consacré la notion de Nature comme personne légale à des degrés divers. Elle figure mot pour mot dans la Constitution de l’Equateur, et représente un droit que
les citoyens peuvent invoquer. La Colombie consacre également la notion dans sa Constitution,
mais plus timidement. Par contre, des décisions judiciaires sont rendues en la mobilisant. L’Inde,
elle, s’en est servie comme d’un moyen juridique pratique pour résoudre une affaire, mais n’a fait
figurer cette idée dans aucun texte de droit. A titre de comparaison, dans des pays comme la Belgique, il n’y a aucune trace de possibilité de droits pour la Nature.
Pourtant, donner des droits à la Nature pour elle-même est une option qui peut favoriser la protection de l’environnement. Nous postulons que la « technique juridique » qui consiste en l’octroi d’une
personnalité juridique à la Nature est un moyen intéressant de défense de l’environnement et présente une certaine « plus-value » quant à l’accès à la justice environnementale. Elle a surtout l’ava-
21
BERTRAND-MIRKOVIC Aude, « La notion de personne », Chapitre II. La personnalité juridique, une création du
droit, Presses universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence, 2003, p. 261-313.
22
CARBONNIER, J., « Droit civil », 1. Les personnes, P. U. F., Paris, 21ème éd., 2000, p. 11.
23
MARTY et RAYNAUD, « Introduction générale à l’étude du droit et des institutions judiciaires, les personnes »,
Sirey, 1961, p. 479.
!6
ntage de poser une question qui devrait agiter les débats de la sphère juridique en ce début de troisième millénaire : comment mieux protéger la Nature ?
Partie 2 : Fondements juridiques et influences
Dans cette deuxième partie, nous allons comparer les situations juridiques, d’une part et dans une
moindre mesure en Belgique, pays ne consacrant pas la personnalité juridique de la Nature, d’autre
part en Inde, en Equateur et en Colombie, pays ayant tous validé ce concept dans les faits. Nous aurions également pu parler de la Constitution en Bolivie24, de la décision concernant le fleuve
Whanganui en Nouvelle-Zélande25, de la Nouvelle-Calédonie26 ou des municipalités aux Etats-Unis
où après la Pennsylvanie en 2006 des dizaines de communautés ont instauré des Rights of Nature
laws27… Mais nous avons sélectionné ces trois Etats car ils nous paraissaient les plus emblématiques, qu’ils servaient le mieux la comparaison. Pour chacun, nous noterons l’influence du droit international, nous ciblerons les fondements légaux mobilisables dans des affaires liées à l’environnement, et nous nous référerons systématiquement à trois affaires particulièrement
représentatives : Vilcabamba, el Atrato et Ganga and Yamuna. A titre de remarque, il s’agit en
l’occurence de trois rivières ou fleuves mais il serait parfaitement possible d’envisager de donner un
personnalité juridique à d’autres éléments de la Nature.
2.1. En droit international
En matière d’environnement, le droit international semble déterminé à donner une définition large
de l’accès à la justice ; il n’est pas seulement question de procédures judiciaires et administratives,
mais aussi d’accès à l’information et à la participation dans le processus décisionnel. Ces « droits
24
VIDAL John, « Bolivia enshrines natural world’s equal status for Mother Earth », The Guardian, 10 April 2011,
https://www.theguardian.com/environment/2011/apr/10/bolivia-enshrines-natural-worlds-rights, consulté le 04.06.2017.
25 AINGE
ROY Eleanor, « New Zealand river granted same legal rights as human being », The Guardian, 16 March
2017, https://www.theguardian.com/world/2017/mar/16/new-zealand-river-granted-same-legal-rights-as-human-being,
consulté le 03.06.2017.
26 AFP,
« En Nouvelle-Calédonie, la nature pourrait avoir un statut de personnalité juridique », France Info, 21.10.2016,
http://la1ere.francetvinfo.fr/nouvelle-caledonie-nature-pourrait-avoir-statut-personnalite-juridique-408581.html, consulté le 04.06.2017.
27
MARGIL Mari, « Press Release : Colombia Constitutional Court Finds Atrato River Possess Rights », Community
Environmental Legal Defense Fund (CELDF), 4 May 2017, https://celdf.org/2017/05/press-release-colombia-constitutional-court-finds-atrato-river-possesses-rights/, consulté le 13.07.2017.
!7
d’accès » émanent d’obligations internationales qui visent à faire de la justice environnementale une
justice durable et « verte »28.
a) La Charte mondiale pour la Nature
La Charte mondiale pour la Nature est un document-clé pour comprendre la façon dont la communauté internationale conçoit le droit de l’environnement. Cette résolution a été votée en 1982, soit
dix ans après la Conférence de Stockholm et dix ans avant la Conférence de Rio. C’est le premier
texte qui consacre le caractère essentiel de la protection de la Nature et des écosystèmes. Il lie cet
enjeu à la survie-même de l’humanité. Il préfigure également la notion, désormais omniprésente, de
« développement soutenable » et évoque pour la première fois la notion de « générations futures »
de façon explicite29. La Charte promeut également des principes de conservation et de restauration,
visant là les activités humaines néfastes pour la Nature30. Enfin, concernant l’accès à la justice environnementale, elle énonce : « all persons, in accordance with their national legislation, shall have
the opportunity to participate, individually or with others, in the formulation of decisions of direct
concern to their environment, and shall have access to means of redress when their environment has
suffered damage or degradation »31.
b) Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement
Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, l’UNEP, a joué un rôle essentiel dans la
mise en lumière du rôle du pouvoir judiciaire et dans la promotion de lois pour l’environnement à
des niveaux nationaux. L’initiative est basée sur l’idée que le rôle du pouvoir judiciaire est fondamental dans la promotion de l’adhésion aux principes du droit international de l’environnement. Ce
programme entend promouvoir le « réseautage » judiciaire, le partage d’information, et l’harmonisation de l’implémentation d’instruments internationaux et régionaux. Les tribunaux de nombreux
pays ont démontré un engagement dans ce sens travers leurs jugements et arrêts, par exemple en
28
PRING G. and PRING C., « Greening Justice: Creating and Improving Environmental Courts and Tribunals », Access Initiative, Washington DC, 2009, p. 6.
29
WOOD Harold, « The United Nations World Charter for Nature : The Developing Nations’ Initiative to Establish
Protections for the Environment », Ecology Law Quarterly, Volume 12, Issue 2, Berkeley, September 1985, p. 4.
30
GENERAL ASSEMBLY OF THE UNITED NATIONS, World Charter for Nature, A/RES/37/7, New-York, 28, October 1982, Article 11.
31
GENERAL ASSEMBLY OF THE UNITED NATIONS, World Charter for Nature, A/RES/37/7, New-York, 28, October 1982, Article 23.
!8
appliquant concrètement des principes de droit international de l’environnement tels que le « pollueur-payeur », le principe de précaution et l’égard pour les générations futures32.
c) La Déclaration de Rio
La Déclaration de Rio de 1992, signée par 178 gouvernements va également dans ce sens puisque
son dixième principe est que les décisions environnementales requièrent la participation de tous les
acteurs pertinents. Cette participation doit se faire par l’accès à l’information, et être soutenue par
un accès effectif à des actions judiciaires, notamment des réparations et des recours33. Ce « Principle 10 » est le fondement des trois piliers d’une bonne gouvernance environnementale : transparence, inclusivité et responsabilité. Ces piliers basiques se sont transformés en « droits d’accès »
ancrés dans les lois nationales, les traités internationaux ou régionaux, les décisions juridiques.
2.2. En droit européen
a) La Convention européenne des droits de l’homme
En droit européen, deux textes semblent particulièrement fondamentaux en matière d’accès à la justice environnementale. Le premier est la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 (CEDH). Elle consacre deux droits de l’homme de nature procédurale en
lien avec l’accès à la justice, à savoir le droit à un procès équitable34 et le droit au recours effectif35.
L’article 13 garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant à l’autorité nationale compétente de connaître du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention. Il est pensé de
façon à ce que les justiciables puissent obtenir, au niveau national, le redressement des violations de
leurs droits garantis par la Convention avant d’avoir à mettre en œuvre le mécanisme international
de plainte devant la Cour. Cette disposition ne s’applique, cependant, qu’à certaines conditions. La
contestation doit concerner un droit de nature civile, ce qui suppose de pouvoir démontrer l’existe-
32
UNEP, « Law Division Programme », http://staging.unep.org/delc/judgesprogramme/tabid/78617/default.aspx,
consulté le 23.07.2017
33
CONFERENCE DES NATIONS UNIES, « Déclaration de Rio sur l’Environnement et le Développement », Sommet
Planète Terre, Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992, Principe 10.
34
CONSEIL DE L’EUROPE, Convention européenne des droits de l’homme, Rome, 4.XI.1950, Article 6.1.
35
CONSEIL DE L’EUROPE, Convention européenne des droits de l’homme, Rome, 4.XI.1950, Article 13.
!9
nce d’un préjudice concret « actuel, identifiable et individualisé ».36 Nous voyons ainsi que la
Convention européenne fournit certains leviers pour favoriser l’accès à la justice en matière d’environnement. En revanche, nous constatons qu’elle ne reconnaît nullement un droit à un environnement sain et qu’elle ne prévoit pas d’intérêt à agir en faveur de l’environnement, ni dans le chef des
citoyens, ni dans le chef des associations37. Voilà une différence fondamentale avec les pays consacrant la personnalité juridique pour la Nature.
La jurisprudence de la Cour illustre d’ailleurs les limites de cet accès. Dans l’affaire de L’Erablière,
la Cour a jugé que le droit d’accès à un tribunal « n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de
par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge
d’appréciation »38.
b) La Convention d’Aarhus
Le deuxième texte est la Convention d’Aarhus, qui, plus encore que la CEDH, pose les bases des
règles en matière de justice environnementale. Actuellement, quarante-cinq États ainsi que l’Union
européenne sont Parties à la Convention. Rappelons que la Convention est en principe ouverte à la
signature de tout État membre des Nations Unies avec l’accord de la Réunion des Parties39.
La Convention d’Aarhus et les deux directives qui lui sont accolées imposent aux Etats qui en sont
Partie d’organiser, à l’échelle nationale, un accès étendu à la justice en matière d’environnement40.
Elle exige qu’existe une possibilité, pour le citoyen, de rechercher et d’obtenir des recours à travers
des institutions de justice formelles ou informelles, en conformité avec les standards de droits de
36
VAN DROOGHENBROEK Sébastien, « Le droit à un recours effectif en matière environne- mentale au sens de la
Convention », In : Christine LARSSEN et Marc PALLEMAERTS (dir.), « L’accès à la justice en matière d’environnement », Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 263.
37
BORN, Charles-Hubert, « L’accès à la justice en matière d'environnement en Belgique : la révolution d'Aarhus enfin
en marche », In: André Braën (éd.), « Droits fondamentaux et environnement, Actes du colloque «Regards croisés sur
les rapports entre les droits fondamentaux et l'environnement: Perspectives de la Belgique, du Canada et de la France»,
tenu à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa, le 25 janvier 2013, Wilson & Lafleur, Montréal, 2013, p.
275-336, p. 302.
38
CEDH, L’Érablière asbl c. Belgique, no 49230/07, 2009, § 35.
39
Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel
et l’accès à la justice en matière d’environnement, R.T.N.U. no 37770, Article 19.3.
40
Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel
et l’accès à la justice en matière d’environnement, R.T.N.U. no 37770, Article 15.
!10
l’homme41. Plus précisément, c’est l’article 9 de la Convention qui détaille les modalités de l’accès
à la justice. Les directives 2003/4/CE et 2003/35/CE se chargent quant à elles de les traduire en régulations que les pays peuvent plus ou moins facilement appliquer à l’échelle nationale.
Les provisions contenues dans l’article détaillent les procédures pour des mécanismes judiciaires
effectifs et pour la protection d’intérêts légitimes. Cela inclut une procédure d’examen rapide, gratuite ou peu chère, l’exigence que les ONG soient d’office considérées comme ayant un « intérêt
suffisant » étant donné leur nature, la contestation des actes de personnes privées et de l’autorité
publique, des réparations adéquates et effectives incluant des mesures injonctives, des décisions raisonnées disponibles publiquement et une aide appropriée pour réduire les embuches, notamment
financières, à l’accès à la justice.
Malgré cette relative précision, la Convention d’Aarhus reste sujette à interprétation, ce qui se traduit par des problèmes au moment de l’implémentation effective de la Convention en pratique42.
Bien souvent, ils se présentent sous deux formes. La première est la forme d’un échec des législations ou régulations spécifiques nationales à rencontrer les exigences des provisions de la Convention, souvent dû à une inadéquation entre objectifs de la Convention et cadre légal national. Le plus
souvent, ce cadre est trop vague et laisse trop de discrétion aux autorités nationales43.
Le second type de problème se loge dans les Directives. Perçues par les Etats-membres comme le
point de référence dans l’élaboration de leurs propres législations, ces Directives ne sont pourtant
pas la Convention elle-même, elles sont parfois en léger décalage avec les provisions de la Convention. Par exemple, toutes les directives n’intègrent pas la participation publique prévue dans l’article
7 de la Convention44.
Nous voyons que passer de la théorie internationale à la pratique nationale n’est pas choses aisée en
terme de législation. Néanmoins, l’influence du droit international sur les codes de droit environnemental des pays que nous évoquons est indéniable. Il est aussi important de souligner que ces
41
JAYASUNDERE R., « Access to Justice Assessments In The Asia Pacific: A Review of Experiences and Tools From
The Region », UNDP, Bangkok, 2012, p. 11.
42
JENDROSKA Jerzy, « Public Participation in Environmental Decision-Maling », In : PALLEMAERTS Marc (Ed.),
« The Aarhus Convention at Ten, interactions and tensions between conventional international law and EU Environmental Law », Chapter 5, The Avosetta Series 9, Europa Law Publishing, Groningen 2011, p. 145.
43
Ibid, p. 146.
44
Ibid.
!11
textes, bien qu’ils soutiennent le protection de l’environnement, ne prévoient aucunement la possibilité d’introduire une action au nom de l’intérêt collectif ou de celui de la nature elle-même. Les
Etats gardent donc une marche de manoeuvre « personnelle » puisque nous allons vous que certains
pays proclamant la personnalité juridique pour la Nature prévoient bel et bien de telles dispositions.
2.3. Les fondements nationaux, pays par pays
Depuis 1992, plus de 80 gouvernements ont voté des lois assurant un meilleur accès à l’information
en matière d’environnement45, ainsi que le préconise la Convention d’Aarhus. Les notions de droit
international de l’environnement ont également une influence certaine dans les codes de droits de
nos trois pays-exemples : la Colombie s’est inspirée de la Conférence de Rio en établissant son Ministère du Développement durable46, l’Inde de l’UNEP dans l’établissement de son National Green
Tribunal47, l’Equateur évoque les « générations futures » qui sont un concept porté par les Nations
Unies depuis la Charte mondiale pour la Nature48…
D’autres influences ont bien sûr façonné le droit environnemental interne de ces Etats. En Amérique
Latine, la notion de New Latin American Constitutionalism49, dont l’existence s’est affirmée lors
que la Conference on New Trends in Latin American Constitutionalism tenue à Notre Dame Law
School en 2013, met en exergue un phénomène qui a profondément modifié le cadre légal dans cette
partie du monde. Elle se réfère à une « vague constitutionnelle » qui a pris place en Amérique Latine entre la fin du 20ème siècle et le début du 21ème siècle50. Cette déferlante a frappé la Colombie, le Venezuela, l’Equateur et la Bolivie. Le New Latin American Constitutionalism se distingue
par quatre caractéristiques : des procédures très participatives, la mise en lumière de populations
historiquement marginalisées - des indigènes, la refonte des relations économiques - nouvelle forme
45
PRING G. and PRING C., « Greening Justice: Creating and Improving Environmental Courts and Tribunals », Access Initiative, Washington DC, 2009, p. 6.
46
MARCIAS-GOMEZ Luis Fernando, « Colombia : Environment & Climate Change Law 2017 », International Comparative Legal Guides, 10 April 2017, https://iclg.com/practice-areas/environment-and-climate-change-law/environment-and-climate-change-law-2017/colombia, consulté le 14.08.2017.
47
PRING G. and PRING C., « Greening Justice: Creating and Improving Environmental Courts and Tribunals », Access Initiative, Washington DC, 2009, p. 28.
48
BASSI Michelle, « La Naturaleza 0 Pacha mama de Ecuador: What Doctrine Should GrantTrees Standing? », Oregon
Review of International Law, Vol 11, 46, 2009, p. 468.
49
RAMIREZ-NARDIZ Alfredo, « New Latin American Constitutionalism and Participatory Democracy : Progress or
Democratic Regression », Universitas Bogotá, numero 65.132, 2016, p. 45.
50
COLON-RIOS Joel, « The Rights of Nature and the New Latin American Constitutionalism », New Thinking On
Sustainability Conference, Wellington, February 2014, p. 109.
!12
de propriété, interdiction de privatisation, et enfin, une liste de droits très longue, incluant des droits
collectifs et des mécanismes de protection de ces droits51. Nous dénotons également une cinquième
et dernière caractéristique : de fortes déclarations en faveur de la Nature et de la diversité écologique, ainsi qu’une philosophie éco-centrique.
La Constitution bolivienne entend à ce sujet que la possibilité même d’une action publique, d’une
action politique démocratique dépend de la relation de la communauté avec l’environnement52.
Dans son préambule, la Constitution affirme que le peuple de Bolivie s’est rassemblé pour produire
un nouvel ordre constitutionnel grâce à la force puisée dans la Pachamama53.
Pour les pays du New Latin American Constitutionalism, la conception participative d’un changement constitutionnel et la protection de la Nature sont liées par une connexion explicite. L’apogée
de cette idée est survenue en 2008, avec la reconnaissance, dans la Constitution équatorienne, de la
Nature comme une catégorie légale à part entière et comme bénéficiaire de plusieurs droits.
a) En Equateur : l’exemple le plus avancé
C’est en Equateur que l’idée de droit pour la Nature est la plus profondément ancrée dans le système légal, puisqu’il fut le premier pays au monde à lui octroyer de véritables droits, et à imposer
des devoirs citoyens et étatiques à son égard. Ces droits sont consacrés dans l’instrument légal le
plus essentiel du pays ; sa Constitution.
L’article 10 de cette Constitution est la manifestation la plus claire de la conception équatorienne de
la Nature comme sujet de droits. Il dit en effet que « les personnes possèdent des droits fondamentaux garantis par cette Constitution et par les instruments internationaux en matière de droits de
l’homme. La Nature est sujet à aux droits donnés par cette Constitution »54.
Ensuite, le chapitre 7 se consacre entièrement aux droits de la Nature. L’article 71 définit la Nature,
ou la Pachamama, comme le lieu où « la vie se produit et est reproduite », et lui attribue des
« droits au respect intégral de son existence, de son maintien et de la régénération de ses cycles de
51
COLON-RIOS Joel, « The Rights of Nature and the New Latin American Constitutionalism », New Thinking On
Sustainability Conference, Wellington, February 2014, p. 109.
52
PLURINATIONAL STATE OF BOLIVIA, « Constitution of 2009 », Chapter V: Social and Economic Rights, Section
I: Environmental Rights, Article 33.
53
PLURINATIONAL STATE OF BOLIVIA, « Constitution of 2009 », Preamble.
54
PLURINATIONAL STATE OF BOLIVIA, « Constitution of 2009 », Article 10.
!13
vie, structures, fonctions et processus d’évolution »55. Elle énonce également que « toutes personnes, communautés, et nations peuvent en appeler aux autorités publiques pour utiliser ces droits
de la Nature »56.
Les articles 73 et 74 évoquent, respectivement, un principe de précaution pesant sur l’Etat concernant des activités qui pourraient avoir un impact sur l’environnement, et un droit pour les personnes, les peuples et les communautés de bénéficier, sans appropriation, de l’environnement et de
la « richesse de la Nature » pour leur bien-être57.
Si ces dispositions semblent abstraites, elles sont également accompagnées d’un cadre légal tangible
constitué, notamment, des articles 72, 83 et 396 de la Constitution. L’article 72 prévoit pour la Nature un « droit d’être remise en état », spécifiant que « cette remise en état devrait être indépendante
de l’obligation de l’Etat et des personnes ou entités légales à compenser des individus ou des communautés qui dépendent du système naturel affecté ». En d’autres termes, la compensation ne
concerne absolument pas les humains indirectement touchés, mais bien la Nature elle-même, indépendamment de l’activité humaine qui l’entoure58.
L’article 83 renforce l’article 71 en établissant un devoir incombant à tous les citoyens équatoriens
de « respecter les droits de la Nature, préserver un environnement sain et utiliser les ressources naturelles de façon raisonnée, durable, et soutenable »59.
L’article 396 ajoute quant à lui qu’« en cas de doute sur l’impact environnemental causé par un
acte ou une omission, et quand bien même il n’existerait pas de preuve scientifique du dommage,
l’Etat doit adopter des mesures de protections effectives dans les plus brefs délais »60.
Sur le plan pratique, l’article 88 prévoit une action de proteccion, soit une action « destinée à assurer le maintien direct et efficient des droits consacrés par la Constitution ». C’est une action de remédiation : son objectif est de remédier à une violation de droits qui a déjà eu lieu61.
55
PLURINATIONAL STATE OF BOLIVIA, « Constitution of 2009 », Chapter VII, Article 71.
56
Ibid.
57
PLURINATIONAL STATE OF BOLIVIA, « Constitution of 2009 », Articles 73 & 74.
58
PLURINATIONAL STATE OF BOLIVIA, « Constitution of 2009 », Article 72.
59
PLURINATIONAL STATE OF BOLIVIA, « Constitution of 2009 », Article 83.
60
PLURINATIONAL STATE OF BOLIVIA, « Constitution of 2009 », Article 396.
61
PLURINATIONAL STATE OF BOLIVIA, « Constitution of 2009 », Article 88.
!14
L’Equateur est le modèle le plus avancé de la consécration, en droits, d’une personnalité juridique
pour la Nature. Cela se vérifie dans la jurisprudence, et en particulier dans l’affaire Vilacabamba, où
le tribunal provincial de Loja a défendu, dans son jugement final, la vision d’une « democracy of
the Earth »62. Celle-ci dépendrait de cinq prémices : les droits de l’homme doivent être en relation
d’harmonie avec la Nature et les autres communautés de la Terre, les écosystèmes ont le droit
d’exister, la diversité de la vie, telle qu’exprimée dans la Nature, a de la valeur par elle-même, les
écosystèmes ont une valeur indépendant de leur utilité pour les êtres humains, un cadre légal dans
lequel les écosystèmes et les communautés naturelles disposent d’un droit inaliénable à la vie et à
s’épanouir63. Ce qui rend ce jugement remarquable, c’est le fait que le tribunal soutienne pleinement la vision éco-centrique adoptée par la Constitution, et prend par là très au sérieux la protection
de l’environnement.
Si dans cette affaire les défenseurs des droits de la Nature l’ont emporté, cela ne veut pas dire que
de telles victoires sont systématiques. Il arrive que les intérêts, en particulier les intérêts financiers,
gagnent le bras de fer. Nous avons relevé deux formes de faiblesses : concernant l’étendue géographique, et concernant la logique de « deux poids deux mesures » appliquée entre un citoyen requérant et l’Etat requérant. Dans le premier cas, des citoyens ont tenté d’intenter un procès à la compagne pétrolière BP, à cause de son exploitation dans le Golfe du Mexique, avançant qu’il n’y avait
pas de problème logique à ce qu’un tribunal équatorien s’en occupe puisqu’il n’y a qu’une seule
Nature, et qu’elle appartient à tous64. Le deuxième cas se rapporte aux affaires relatives au minage :
lorsque, pour mettre fin à des activités illégales, l’Etat a invoqué les droits de la Nature - et a même
invoqué la force armée pour mettre les jugements en pratique, il a toujours gagné. En revanche,
lorsque des citoyens ont tenté de mettre fin à des exploitations autorisées ou d’autres activités menées par le gouvernement; ils se sont la plupart du temps heurtés à un refus65. Dans certains cas le
tribunal a considéré que les droits de la Nature n’étaient pas violés puisque les région concernée
n’était pas une « région protégée », or la Constitution entend protéger toute la Nature, pas uniquement les zones protégées. Il a aussi estimé que l’intérêt « privé » du demandeur était secondaire par
62
COLON-RIOS Joel, « The Rights of Nature and the New Latin American Constitutionalism », New Thinking On
Sustainability Conference, Wellington, February 2014, p. 111.
63
Ibid.
64
WALLOP Harry, « BP Gulf of Mexico trial: a timeline », 20 April 2010, http://www.telegraph.co.uk/finance/newsbysector/epic/bpdot/9105606/BP-Gulf-of-Mexico-trial-a-timeline.html, consulté le 15.08.2017.
65
NEWELL Peter, « Trade and Environmental Justice in Latin America », New Political Economy, Volume 12, Numero
2, Routeledge, 2007, p.238.
!15
rapport à l’intérêt public de développement, et donc de l’activité de minage. Des défauts et des ambivalences, que nous attribuons aux lourdes pressions qui pèsent sur les juges dans le pays, ne sont
pas à exclure d’un système qui accorde une personnalité juridique à la Nature.
b) La Colombie : une personnalité juridique dans les faits plus que dans les textes
Tout comme en Equateur, le législateur colombien s’est emparé de la philosophie éco-centrique de
la Pachamama. Dans sa décision de novembre 2016 concernant la rivière El Atrato, la Cour constitutionnelle colombienne s’est expliquée sur le besoin de se distancier d’un système dominé par
l’homme: « It is the human populations that are interdependent of the natural world – and not the
opposite – and that they must assume the consequences of their actions and omissions with the nature »66. En revanche, contrairement à l’Equateur, la Colombie ne dispose pas d’une Constitution
référant directement à une personnalité juridique pour la Nature. Elle souligne plutôt, dans son article 79, l’importance de la protection de l’environnement et le droit à un environnement sain. Néanmoins, si ces droits ne figurent pas sous cette forme dans la Constitution, cela ne veut pas dire que
le système légal colombien omet de mettre en place des moyens de protection. Au contraire, les lois
et les mécanismes sont pour ce faire nombreux et forts67.
En 1974, le gouvernement colombien a entériné un décret, le décret 2811, plus connu sous le nom
de « Natural Renewable Resources and Protection of the Environment Code »68. Ce code dessine
les contours du cadre légal colombien en matière de protection de l’environnement et de ses ressources naturelles, imposant une série d’obligations à la fois à l’Etat et au peuple colombien.
Inspiré de principes internationaux et de directives inclus dans la Déclaration de Rio de 1992, le
Congrès National Colombien a conçu la Ley 99 de 1993, autre base du cadre institutionnel du pays
en matière d’environnement. Le National Environmental System, prévu par cette loi, est une structure hiérarchique d’agences en charge de la mise en place des dispositions légales concernant
l’environnement69. Le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable est l’agence la
66
REPÚBLICA DE COLOMBIA, Corte Constitutional,, T-5.016.242, Bogotá, 10 November 2016.
67
REPUBLIC OF COLOMBIA, « Constitution of 1991 with Amendments through 2005 », Bogota, 2005.
68
REPUBLICA DE COLOMBIA, Ministerio de Agricultura, Decreto 2811, 18 December 1974.
69
MARCIAS-GOMEZ Luis Fernando, « Colombia : Environment & Climate Change Law 2017 », International Comparative Legal Guides, 10 April 2017, https://iclg.com/practice-areas/environment-and-climate-change-law/environment-and-climate-change-law-2017/colombia, consulté le 14.08.2017.
!16
plus haute chargée de créer les politiques environnementales au niveau national70. Cette Ley 99 a
été amendée en 2009 pour prévoir un régime de sanctions. A travers lui, des sanctions ou des mesures préventives peuvent être imposées par les autorités environnementales compétentes.
De façon plus concrète, la Colombie dispose de trois procédures légales destinées à faire valoir le
droit à un environnement sain : l’action de « tutela », l’action « popular », et l’action de groupe71.
L’action de tutelle a été crée au moment de la Constitution de 1992 dans le but de proposer une protection immédiate des droits fondamentaux tels que le droit à la vie. A cet égard, la déclaration de la
Cour Constitutionnelle colombienne dans l’affaire T-1527 en 2000, une action de tutelle, illustre
parfaitement l’état d’esprit du législateur colombien : « While the right to a healthy environment is
not considered a fundamental right in our constitution, it is a collective right that can be protected
by popular actions.»72
On déduit donc que l’Etat colombien n’entend pas forcément donner lui-même de droit direct à la
Nature, mais désire mettre en place des moyens pratiques pour les citoyens et les associations de
faire valoir leur droit à un environnement sain. L’action de tutelle est réputée pour être plus simple
et plus rapide que l’autres procédures légales, ce qui représente un grand avantage pour l’accès à la
justice du citoyen73.
La deuxième action, l’action populaire, est prévue par l’article 88 de la Constitution colombienne et
a la particularité d’être à la fois préventive, restauration et compensatoire74. Elle fournit une protection des droits et intérêts collectifs associés à la santé publique et à l’environnement. Ces droits incluent notamment de jouir d’un environnement sain, l’existence d’un équilibre écologique et d’un
accès aux services publics75. Le but de cette action populaire est d’éliminer les dangers, menaces
70
MARCIAS-GOMEZ Luis Fernando, « Colombia : Environment & Climate Change Law 2017 », International Comparative Legal Guides, 10 April 2017, https://iclg.com/practice-areas/environment-and-climate-change-law/environment-and-climate-change-law-2017/colombia, consulté le 14.08.2017.
71
HERRERA Hector, « Legal ways to protect the environment in Colombia », AIDA, 24 March 2014, http://www.aidaamericas.org/blog/legal-ways-protect-environment-colombia, consulté le 11.08.2017.
72
CORTE CONSTITUTIONAL DE COLOMBIA, « Sentencia T-1527 MP Alfredo Beltrán Sierra », noviembre 2000.
73
SIEGEL Karen, « Environment, Politics and Governance in Latin America », European Review of Latin American
and Caribbean Studies, Revista Europea de Estudios Latinoamericanos y del Caribe, No. 102, October 2016, pp.
109-117, p. 112.
74
HERRERA Hector, « Legal ways to protect the environment in Colombia », AIDA, 24 March 2014, http://www.aidaamericas.org/blog/legal-ways-protect-environment-colombia, consulté le 11.08.2017.
75
Ibid.
!17
ou violations de droits collectifs et de restaurer le cas échéant. Cette action a déjà été employée de
nombreuses fois en faveur de l’environnement, à l’image du cas emblématique Coralina76 qui a
donné raison aux demandeurs évoquant son droit à un environnement sain, et qui fait désormais jurisprudence.
La dernière action est l’action de groupe, elle aussi décrite dans l’article 88 de la Constitution.
Contrairement à l’action populaire qui vise à prévenir une violation de droit public, l’action de
groupe a pour but d’obtenir une compensation financière pour des dommages causés à un groupe de
personnes aux caractéristiques homogènes77. L’une des affaires qui illustre le mieux l’intérêt de
cette action est celle qui a opposé des paysans et des pêcheurs affectés par une marée noire qui a
touché le pipeline Trans-Andean pipeline, contrôlé par l’entreprise d’état Ecopetrol78.
L’affaire el Atrato était une action de tutelle. Dans son jugement, la Cour constitutionnelle de Colombie a déclaré la rivière comme « sujeto de derechos », c’est à dire un sujet de droits qui jouit de
droits, comme une protection constitutionnelle79. Le problème résultait de lourdes activités dans les
domaines de l’or et du platine qui ont rejeté des déchets dans la rivière. Les conséquences ont été
terribles ; des riverains mourraient à cause de la haute toxicité de l’eau. L’Etat a été condamné à
préserver et restaurer la rivière.
Cette décision est spéciale car la Cour a raisonné sans faire mention d’un quelconque lien spirituel
ou métaphysique avec la rivière. C’est une décision qu’un juge occidental aurait parfaitement pu
prendre. La Cour parle en effet de violation de droits de l’homme, mais elle les a explicitement liés
à la Nature elle-même et au besoin de la protéger et la sauver pour elle-même, pour sa valeur propre
plus encore que pour les raisons liées aux humains. Nous pouvons dire à ce point de vue que cette
philosophie se rapporte à la constitution équatorienne.
76
TRIBUNAL ADMINISTRATIVO DE SAN ANDRÉS, Provencia y Santa Catalina, San Andrés, Isla, No. 88-001-2331-003-2011-00011-00, Colombia, 04 junio 2012.
77
REPUBLIC OF COLOMBIA, « Constitution of 1991 with Amendments through 2005 », Bogota, 2005.
78
TRIBUNAL SUPERIOR DEL DISTRITO JUDICIAL DE BOGOTA, Sentencia, Bogotá, 29 septiembre 2014.
79
CORTE CONSTITUCIONAL DE COLOMBIA, « Sentencia T-622 de 2016 », Bogotá, D.C., 10 noviembre 2016
!18
c) L’Inde : une décision qui précède la loi
Après la catastrophe de Bhopal en 1984, qui a vu des milliers d’Indiens périr à cause de l’explosion
de l’usine d’une firme américaine de pesticide80, les décideurs indiens ont veillé à rendre les lois et
régulations plus complètes et contraignantes. Des nouvelles techniques de régulation telles que des
« environment impact assessments » et des audiences publiques ont vu le jour81. Leur mise en place
s’est malheureusement révélée insatisfaisante. Des facteurs tels que le manque de performance dans
l’implémentation des politiques par les autorités, la corruption à divers niveaux, et la cupidité personnelle de dirigeants sont les racines de cet échec82.
Le droit substantif à un environnement sain n’existe pas en Inde, contrairement à la Colombie. L’Etat a tout de même des devoirs envers l’environnement, et ceux-ci sont contenus dans la partie IV de
la Constitution, intitulée « Directive principles of state police »83. La section 48A indique que l’Etat
doit faire en sorte de protéger et d’améliorer l’environnement de façon à sauvegarder les forêts et la
faune dans le pays. Les citoyens sont tenus par les mêmes devoirs, comme indiqué sous la section
51A84.
De plus, l’article 21 de la Constitution d’Inde sur le droit à la vie indique que : « No person shall be
deprived of his life or personal liberty except according to the procedure established by law »85. Or,
il est capital de noter que la Cour Suprême et les tribunaux indiens ont interprété cette disposition
de façon large, affirmant que la « vie » ne correspond pas simplement à l’existence physique, mais
s’étend également à la qualité de vie. C’est un peu comme si ces juridictions avaient voulu compenser l’absence de droit à un environnement sain en étendant au maximum le droit à la vie. En effet,
dans la première affaire liée à l’environnement traité par la Cour Suprême, Rural Litigation and En-
80
BROUGHTON Edward, The Bhopal disaster and its aftermath : a review, Environmental Health : Aa Global Access
Sciences Source, Broughton, 2005, p.2.
81
GILL G.N., « Access to Environment Justice in India with Special Reference to National Green Tribunal : A Step in
the Right Direction », School of Law, Northumbria University, Newcastle Upon Tyne, UK, p. 27.
82
Ibid.
83
REPUBLIC OF INDIA, « The Constitution of India », 26 January 1950, IV.
84 AKO
Rhuks, « Environmental Justice in Developing Countries, Perspectives from Africa and Asia-Pacific » Earthscan from Routledge, Routledge, New York, 2013, p. 61.
85
REPUBLIC OF INDIA, « The Constitution of India », 26 January 1950.
!19
titlement Kendra v. State of Uttar Pradesh, la Cour a inclu le droit à l’environnement dans le droit à
la vie, et a décidé d’ordonner l’interruption des opérations minières en dépit du temps et de l’argent
investis par l’entreprise dans ces travaux86. Cette jurisprudence s’est confirmée et approfondie par
après. Dans Olga Tellis v. Bombay Municipal Corporation, le droit à la vie a été assimilé par la
Cour Suprême à la qualité de vie87. Dans Mathur v. Union of India88, le droit à la vie et le droit à un
air pur et à une eau saine ont été liés. Dans M.C. Mehta v. Union of India89, la Cour affirme que le
protection et l’amélioration de l’état de l’environnement est un devoir fondamental à la fois du citoyen et de l’Etat. Ces décisions ont, à chaque fois, été l’occasion pour les tribunaux indiens de
promouvoir à la fois la protection de l’environnement et le droit humain à un environnement sain,
bien qu’ils ne soient pas explicitement présents dans la Constitution.
A delà de la Constitution, le pouvoir judiciaire a créé un processus de réparation accessible aux citoyens appelé « public interest litigation » ou « social action litigation » (PIL) 90. La PIL est un outil
judiciaire qui est censé assurer l’effectivité des droits de l’homme en Inde91. L’usage de la PIL
s’interprète principalement à travers les trois articles constitutionnels que nous évoquions ci-dessus,
à savoir l’article 48A, qui donne pour mandat à l’Etat et aux tribunaux de protéger et d’améliorer
l’environnement et de protéger les forêts et la vie animale dans le pays, l’article 51A qui impose un
devoir pour chaque citoyen de protéger et améliorer l’environnement et même d’éprouver de la
« compassion pour les créatures vivantes »92, et enfin l’article 51A(g) qui a étendu le champ du
terme « citoyen » pour permettre aux institutions intéressées aux ONG de remplir des PIL pour la
protection environnementale93.
86
SUPREME COURT OF INDIA, « Rural Litigation and Entitlement Kendra v. State of Uttar Pradesh », 12 March
1985.
87
SUPREME COURT OF INDIA, « Olga Tellis v. Bombay Municipal Corporation », 10 July 1985.
88
SUPREME COURT OF INDIA, « Mathur v. Union of India », 8 November 1995.
89
SUPREME COURT OF INDIA, « M.C. Mehta v. Union of India and ors », 30 December 1996.
90
GILL G.N., « Environmental Justice in India », Routledge, New York, 2017, p. 39.
91
Ibid.
92
REPUBLIC OF INDIA, « The Constitution of India », 26 January 1950, IV.
93
GILL G.N., « Access to Environment Justice in India with Special Reference to National Green Tribunal : A Step in
the Right Direction », School of Law, Northumbria University, Newcastle Upon Tyne, UK, p.28.
!20
Après la Nouvelle-Zélande et son fleuve Whanganui, l’Inde a été le deuxième Etat à reconnaître à
un fleuve - et pas des moindres, le Gange - le statut d’entité vivante ayant ses propres droits et a lui
conférer le statut légal de personne juridique94. La pollution et la toxicité des eaux est un véritable
fléau pour les Indiens. Les juges ont observé que pour protéger le fleuve et la société toute entière,
le mieux était de le déclarer personne légale95. Pour ce faire, les juges n’ont pas attendu qu’une telle
idée figure dans une loi96. La décision d’une personnalité juridique pour le fleuve a donc été considérée comme une solution pratique à un problème environnemental, sans qu’une fondement légal
direct n’ait été nécessaire.
Partie 3 : La « plus-value » de la personnalité juridique de la Nature
Nous avons vu dans la partie précédente que le droit international avait influencé les droits environnementaux nationaux de nos trois pays en question. Nous avons appris que l’Equateur était le pays
qui a le plus ancré l’idée de personnalité juridique pour la Nature puisqu’elle figure dans sa Constitution. Vient ensuite la Colombie, où cette idée est présente entre les lignes notamment via le droit à
un environnement sain, et où les mécanismes de protection citoyenne de l’environnement sont
nombreux. Si dans les textes l’on ne perçoit d’elle qu’une influence, la personnalité juridique pour
la Nature a par contre été affirmée dans la jurisprudence. Enfin, en Inde, la décision de justice qui a
fait du Gange un sujet de droits a clairement précédé les textes. L’Inde ne dispose pas de droit à un
environnement sain, mais trois éléments compensent cette absence : il existe un tribunal spécialement dédié aux affaires relevant de l’environnement, les tribunaux indiens interprètent le droit à la
vie de façon très large et la loi propose au citoyen un mécanisme de PIL.
Maintenant que nous avons une idée du cadre et des possibilités juridiques de chaque pays, nous
allons pouvoir interpréter la « plus-value » de l’octroi d’une personnalité juridique à la Nature.
94
TRIVEDI Anupam & KAMAL Jagati, « Uttarakhand HC  declares Ganga, Yamuna living entities, gives them legal
rights », Hindustan Times, 22 March 2017, http://www.hindustantimes.com/india-news/uttarakhand-hc-says-ganga-isindia-s-first-living-entity-grants-it-rights-equal-to-humans/story-VoI6DOG71fyMDihg5BuGCL.html, consulté le
23.07.2017.
95
LIVELAW NETWORK, « A First In India: Uttarakhand HC Declares Ganga, Yamuna Rivers As Living Legal Entities », 20 March 2017, http://www.livelaw.in/first-india-uttarakhand-hc-declares-ganga-yamuna-rivers-living-legal-entities/, consulté le 04.08.2017.
96
SAFI Michael, « Ganges and Yamuna rivers granted same legal rights as human beings », 21 March 2017, https://
www.theguardian.com/world/2017/mar/21/ganges-and-yamuna-rivers-granted-same-legal-rights-as-human-beings,
consulté le 04.08.2017.
!21
3.1. L’octroi d'une personnalité juridique à la Nature implique-t-elle une définition plus large de
ceux et celles qui peuvent en exiger la protection ?
Lorsque l’on en vient à évoquer les personnes susceptibles de lancer une action en justice, l’une des
notions les plus essentielles est l’intérêt à agir. Nous remarquons dans notre échantillon que la définition de cet intérêt est plus souple dans les pays utilisant la notion de personnalité juridique pour la
Nature que dans les pays où le droit environnemental demeure plus traditionnel.
a) En Equateur
En Equateur, la Constitution elle-même indique qu’il n’est pas besoin de prouver de dommage personnel ou d’intérêt particulier pour avoir le droit d’aller en justice lorsqu’il s’agit des droits de la
Nature97. C’est ainsi que dans l’affaire Vilcabamba, deux simples citoyens américains résidant dans
la région, Richard Frederick Wheeler et Eleanor Geer Huddle, qui ont porté l’affaire devant les juges98. Ils ont décidé de remplir l’accion de proteccion, considérée par les juges comme l’action la
plus utile lorsque l’affaire relève de dommages environnementaux, puisqu’elle assure la sauvegarde
efficiente et directe des droits constitutionnels. Ils se sont présentés en faveur de la rivière, en son
nom, et ont fait appel à des droits qui lui sont réservés par la Constitution. Leur intérêt personnel
dans n’a en réalité aucune importance, puisqu’ici c’est l’intérêt de la rivière qui était en jeu. Les requérants sont le biais par lequel les droits propres de la Nature sont exercés.
b) En Colombie
Il y a quelques années, la Colombie a entrepris de grandes réformes légales, qui ont permis de réduire drastiquement le temps des procédures, qui est passé d’une moyenne de deux ans à quelques
mois, et qui ont donné accès à 350 000 utilisateurs potentiels99, ce qui représente un grand progrès
en matière d’accès à la justice. Cela dit, le pays n’a pas attendu cela pour proposer des procédures
aux conditions larges, ouvrant la définition de l’intérêt à agir. La Constitution ne garantit pas uni-
97
REPUBLIC OF ECUADOR, « Constitution of 2008 », Official Register, 20 octobre 2008.
98
GREENE Natalia, « The first successful case of the Rights of Nature implementation in Ecuador », The Rights of
Nature, 30 mars 2011, http://therightsofnature.org/first-ron-case-ecuador/, consulté le 06.06.2017.
99
SILVA MENDEZ Jorge Luis, « How Colombia is improving access to justice service », World Bank, 14.10.2015,
http://blogs.worldbank.org/governance/how-colombia-improving-access-justice-services, consulté le 18.07.2017.
!22
quement le droit à un environnement sain, elle établit également des mécanismes pour garantir que
les citoyens puissent matérialiser ce droit. Le législateur est tenu de garantir leur accès à ces mécanismes qui leur permettent de participer à des processus décisionnels qui peuvent avoir un impact
sur leurs droits, y compris celui à jouir d’un environnement sain. Ces mécanismes se participation
sont les suivants : audiences publiques, interventions de tiers, et consultation préalable des communautés ethniques.
Les citoyens colombiens ont le droit, établi par la Ley 99 de 1993 d’intervenir dans les actions administratives destinées à délivrer, modifier ou annuler des permis ou licences environnementales
qui pourraient affecter l’environnement, et cela sans besoin de manifester un quelconque intérêt particulier. Cela vaut aussi pour les procédures qui visent à sanctionner une violation du droit environnemental100.
Dans l’affaire El Atrato, la partie demandeuse était constituée par l’ONG colombienne Tierra Digna, des associations afro-colombiennes et une plateforme rassemblant des représentant d’organisations indigènes et a fait valoir son droit à un environnement sain101.
c) En Inde
En Inde, la PIL s’adresse à toutes les affaire civiles liées à une question substantielle concernant
l’environnement, ce qui représente un spectre large102. L’accès à la justice a été significativement
amélioré à travers la PIL : elle vient en aide à ceux qui recherchent la justice environnementale et
qui, autrement, seraient incapables d’accéder au tribunal. Dans l’affaire Mumbai Kamgar Sabha v
Abulbhai Faizullabhai, le tribunal a observé que « les procédures sont les servantes et non les maitresses de la justice »103. Il faut comprendre par là que les procédures telles que la PIL doivent être
au service de la justice et du citoyen.
L’intérêt à agir, ou locus standi, a été modifié de deux façons, principalement à travers l’instauration
des statuts de représentant et de citoyen. Le statut de représentant autorise toute personne agissant
100
NEWELL Peter, « Trade and Environmental Justice in Latin America », New Political Economy, Volume 12, Numero 2, Routeledge, 2007, p.240.
101
EL HERALDO, « Por primera vez se le da un lugar a los derechos de la naturaleza », 02 de mayo 2017, https://
www.elheraldo.co/colombia/por-primera-vez-se-le-da-un-lugar-los-derechos-de-la-naturaleza-355779, consulté le
14.08.2017.
102
GILL G.N., « Access to Environment Justice in India with Special Reference to National Green Tribunal : A Step in
the Right Direction », School of Law, Northumbria University, Newcastle Upon Tyne, UK, p. 26.
103
Ibid, p. 29.
!23
de bonne foi à avancer des revendications contre la violation de droits de l’homme en raison de la
pauvreté, du handicap, ou du désavantage social ou économique d’une personne qui, sans cela, ne
pourrait pas avoir accès au tribunal. Les associations et les activistes environnementaux travaillant
au nom des plus pauvres et des peuples tribaux ont utilisé cette procédure pour porter des affaires
devant les juges. Le statut de citoyen offre quant à lui une plateforme pour demander le redressement de tords publics. Cette façon de concevoir le statut de citoyen permet de concevoir la société
comme un tout, qui n’a rien à voir avec des intérêts purement individuels104.
Dans l’affaire du Gange, le demandeur, Mohd. Salim, a rempli une procédure PIL, pour dénoncer le
comportement de l’Etat d’Uttarakhand quant à la protection de Gange, souillé, toxique. Les juges
Rajiv Sharma et Alok Singh ont observé que pour le bien de la société, le Gange et le fleuve Yamuna devaient être déclarés personnes juridiques105.
d) En Belgique
A titre de comparaison, dans un pays qui, comme la Belgique, n’emploie pas la personnalité juridique pour la Nature, l’interprétation de l’intérêt à agir est plutôt restrictive. Les articles 17 et 18 du
Code judiciaire indiquent qu’une action n’est recevable que si le demandeur présente un « intérêt né
et actuel », lequel doit être, selon la Cour de cassation, un intérêt « personnel et direct », c’est-àdire un « intérêt propre »106. Il faut que la personne physique ou morale soit directement lésée par
un acte dommageable pour l’environnement pour voir sa demande reçue. Par contre, la recevabilité
est plus qu’incertaine pour des actions en intérêt collectif introduites par un individu, un groupement ou une association dans le but de défendre l’environnement pour lui-même107. La tradition de
la jurisprudence belge, illustrée par l’affaire Eikendael, semble considérer que l’intérêt général ne
104
GILL G.N., « Access to Environment Justice in India with Special Reference to National Green Tribunal : A Step in
the Right Direction », School of Law, Northumbria University, Newcastle Upon Tyne, UK, p. 29.
105
LIVELAW NETWORK, « A First In India: Uttarakhand HC Declares Ganga, Yamuna Rivers As Living Legal Entities », 20 March 2017, http://www.livelaw.in/first-india-uttarakhand-hc-declares-ganga-yamuna-rivers-living-legal-entities/, consulté le 04.08.2017.
106
ROYAUME DE BELGIQUE, Code judiciaire, Première partie : Principes généraux (art. 1 à 57), 1957, Articles 17 et
18.
107
BORN, Charles-Hubert, « L’accès à la justice en matière d'environnement en Belgique : la révolution d'Aarhus enfin
en marche », In: André Braën (éd.), « Droits fondamentaux et environnement, Actes du colloque «Regards croisés sur
les rapports entre les droits fondamentaux et l'environnement: Perspectives de la Belgique, du Canada et de la France»,
tenu à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa, le 25 janvier 2013, Wilson & Lafleur, Montréal, 2013, p.
275-336, p. 302.
!24
constitue pas un intérêt propre108. De plus, concernant les associations, une jurisprudence majoritaire du Conseil d’État considère aujourd’hui qu’une association ne démontre son intérêt à agir que
lorsque son objet social est suffisamment restraint et ne correspond donc pas à l’intérêt général109. Il
faut tout de même ajouter que, ces dernières années, la Belgique opère un revirement en la matière,
poussée à se conformer à la Convention d’Aarhus. Une décision de la Cour de Cassation de juin
2013110, fondée directement sur les dispositions 2.4, 3.4 et 9.3 de la Convention, défend que la Belgique est tenue de veiller à l’accès à la justice des associations de protection de l’environnement qui
entendent engager des procédures administratives ou judiciaires.
Au delà de l’intérêt à agir qui semble uniquement destiné aux personnes lésées ou aux associations
spécialisées, notons en guise de remarque qu’un autre obstacle pour le demandeur est tout simplement la longueur et le coût des procédures.
On le voit, cette idée d’action collective, voire d’action au nom de la Nature, présente dans notre
trio de pays étudiés, est loin de faire partie de l’armada juridique d’autres Etats. Toutefois, des pays
ne validant pas l’idée de personnalité juridique pour la Nature se montrent tout de même moins frileux que la Belgique, en entendant des personnes issues de la société civile qui estiment simplement
que leurs droits environnementaux ont été violés, sans que leur intérêt soit personnels. Aux PaysBas, le collectif Urgenda a porté plainte contre le gouvernement pour « carence fautive » en matière
de politique de changement climatique. La plainte été déclarée recevable, et le gouvernement des
Pays-Bas a été condamné à revoir ses engagements sur les émissions de gaz à effet de serre. C’était
une première mondiale111.
Une affaire similaire a eu lieu au Pakistan, où c’est un simple citoyen qui a saisi la Haute Cour de
justice de Lahore au motif de la passivité Ministère du Changement climatique, qui ne tenait pas ses
108
ROYAUME DE BELGIQUE, Loi concernant un droit d'action en matière de protection de l'environnement (M.B.
19.02.1993), 12 janvier 1993.
109
BORN, Charles-Hubert, « L’accès à la justice en matière d'environnement en Belgique : la révolution d'Aarhus enfin
en marche », In: André Braën (éd.), « Droits fondamentaux et environnement, Actes du colloque «Regards croisés sur
les rapports entre les droits fondamentaux et l'environnement: Perspectives de la Belgique, du Canada et de la France»,
tenu à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa, le 25 janvier 2013, Wilson & Lafleur, Montréal, 2013, p.
275-336, p. 308.
110
COUR DE CASSATION, PP and PSLV v. Gewestelijke Stedenbouwkundig Inspecteur and M vzw, P.12.1389.N,
Belgique, 11 juin 2013.
111
COX Roger, « A Climate Change Litigation Precedent : Urenda Foundation v The State of the Netherlands », CIGI,
Canada, 2015, p. 2.
!25
engagement. L’agriculteur a affirmé que cela portait atteinte à « ses droits fondamentaux ». La Cour
lui a donné raison, et le gouvernement a été condamné112.
D’aucuns voient dans ces décisions le début d’une mutation. Un autre signe de cette tendance est le
« verdissement » des cours régionales des droits de l’homme (CEDH, Cour interaméricaine des
droits de l’homme, Cour africaine des droits de l’homme et des peuples). Ces cours statuent de plus
en plus souvent dans des affaires ayant trait à l’environnement, mais se voient souvent limitées dans
leurs décisions car elles ne peuvent statuer qu’en cas de « dommage direct, certain et avéré »113.
Devrait-on dès lors envisager des tribunaux expressément crées pour l’occasion ?
3.2. L'octroi d'une personnalité juridique à la nature implique-t-elle la compétence de juridictions plus nombreuses susceptibles d'en assurer la protection ?
a) En Inde, un « National Green Tribunal »
Dans une optique réformiste, à la recherche d’un forum judiciaire innovant en matière de jurisprudence verte, le Parlement indien a créé le National Green Tribunal Act en 2010114. Ce tribunal a
pour but de se prononcer sur la protection environnementale et sur la conservation des forêts de façon effective et rapide, en faisant valoir tout droit légal lié à l’environnement, et en prévoyant des
mesures de dommages. Le tribunal principal est situé à New Delhi tandis que quatre autres tribunaux régionaux couvrent les coins plus reculés du pays. Jusqu’ici, le National Green Tribunal
semble bien s’en sortir en terme de nombre et de type de cas qui lui sont soumis. Malgré sa juridiction large, qui correspond à tous les cas civils en lien avec l’environnement, il gagne une réputation
de tribunal « rapide »115. Une autre caractéristique remarquable du tribunal est qu’il fait appel à des
112
WENTZ Jessica, « Lahore High Court Orders Pakistan to Act on Climate Change », Climate Law Blog, Colombia
Law School, New York, 26 September 2015, http://blogs.law.columbia.edu/climatechange/2015/09/26/lahore-highcourt-orders-pakistan-to-act-on-climate-change/, consulté le 10.08.2017.
113
CAILLOCE Laure, « Le droit peut-il sauver la nature ? », CNRS Le Journal, 17.05.2017, https://lejournal.cnrs.fr/
articles/le-droit-peut-il-sauver-la-nature, consulté le 10.08.2017.
114
MINISTRY OF LAW AND JUSTICE, The National Green Tribunal Act, New Delhi, No. 19 of 2010.
115
GILL G.N., « Environmental Justice in India », Routledge, New York, 2017, p.1.
!26
comités d’experts indépendants qui fournissent une expertise scientifique, afin d’aider les juges à
délivrer leurs décisions en toute connaissance de cause116.
L’Inde rejoint ainsi une poignée de pays possédant un « tribunal vert » actif, comme l’Australie, le
Chili ou la Nouvelle-Zélande. Ce type de tribunaux existe aussi dans des pays en développement
comme au Bangladesh, au Kenya et au Malawi117. Durant les trente dernières années, plus de 350
Cours et tribunaux spécialisés ont été établis dans 41 pays118. Plus de la moitié de ces nouveaux tribunaux ont été crées depuis 2004. Cette croissance exponentielle du nombre de « tribunaux verts »
est fonction d’une autre croissance ; celle de la conscience du public des problèmes environnementaux, celle de la complexités lois environnementales. Elle est aussi fonction de la pression grandissante qui pèse sur les gouvernements à fournir un accès à l’information, à la participation publique,
et, bien sûr, un accès à la justice pour l’environnement119.
Certains juristes placent la barre encore plus haut et plaident pour l’établissement d’un Tribunal pénal international destiné à juger les crimes d’« écocide ». Il serait le pendant « environnemental » de
la Cour pénale internationale de La Haye qui juge les crimes contre l’humanité. A l’heure actuelle,
cette idée relève encore de l’utopie puisqu’il n’existe pas même de définition de l’« écocide ». La
littérature, qui commence à foisonner en la matière, la perçoit tout de même généralement comme
une « infraction volontaire, un acte intentionnel perpétré dans le cadre d’une action généralisée et
systématique qui cause des dommages graves et irréversibles à la sûreté de la planète »120.
Le « Tribunal Monsanto », un procès citoyen, serait dès lors l’un des premier « précédent ». En effet, s’il n’a aucune valeur contraignante, l’avis consultatif rendu par le tribunal Monsanto peut malgré tout constituer une base dans d’autres affaires à venir. Le 18 avril 2017, ce tribunal ah hoc a affirmé que les pratiques de la firme américaine violaient plusieurs règles du droit international,
comme « le droit à un environnement sain, le droit à la santé, le droit à l’alimentation, la liberté
116
GILL G.N., « Access to Environment Justice in India with Special Reference to National Green Tribunal : A Step in
the Right Direction », School of Law, Northumbria University, Newcastle Upon Tyne, UK, p. 32.
117
PRING G. and PRING C., « Greening Justice: Creating and Improving Environmental Courts and Tribunals », Access Initiative, Washington DC, 2009, p. 6.
118
Ibid.
119
Ibid.
120
FRONZA Emanuela, « Vers une définition du crime international d’écocide », Chapitre 7 In. NEYRET Laurent,
« Des écocrimes à l’écocide, le droit pénal au secours de l’environnement », Bruylant, 2015, p. 128-140.
!27
d’expression et de recherche scientifique », et que ces pratiques pouvaient s’apparenter à un crime
d’écocide121.
b) Ailleurs
La Colombie et l’Equateur ne disposent pas, quant à eux, d’un tribunal spécialisé. Ce sont les tribunaux de droit commun ou la Cour constitutionnelle qui se chargent des affaires liées à l’environnement122. Le fait de valider la personnalité juridique pour la Nature ne semble pas avoir d’impact sur
la spécialisation et le nombre de juridictions disponibles. Sans crier gare, pour l’affaire Vilcabamaba, la Cour provinciale de Loja en Equateur est devenue le premier tribunal au monde à interpréter
et reconnaître les droits de la Nature, tandis qu’en Colombie c’est le Cour constitutionnelle qui a
rendu son jugement el Atrato. Des juridictions « classiques » s’emparent donc du principe de personnalité juridique pour la Nature comme d’un moyen pratique pour dénouer une affaire.
En Belgique, le contentieux en la matière se déroule devant les juridictions de droit commun. En
effet, hormis l’exception flamande du Conseil pour les contestations d’autorisations, il n’existe pas
de Cour ou de tribunal spécialisée en droit de l’environnement123. Une autre possibilité est de
s’adresser au Conseil d’Etat, compétent pour évaluer la légalité des administratif. Or, l’intérêt à agir
est si strictement défini en Belgique que les personnes qui voudraient se plaindre de projets affectant l’environnement de façon globale seraient plus que certainement éconduits par le Conseil
d’Etat. Etant donné que la situation de ces personnes ne peut être distinguée de celle d’autres citoyens moins « vindicatifs », leur intérêt est considéré comme insuffisant, puisqu’il n’est pas personnel
et spécifique124. Une dernière option serait, dans certains cas, de s’adresser à la Cour constitutionnelle, qui a pour mandat d’« annuler, suspendre ou invalider les actes législatifs qui ne respectent
121
BARROUX Rémi, « Tribunal Monsanto : le firme américaine reconnue coupable d’attente aux droits humains », Le
Monde, 18.04.2017, http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/04/18/tribunal-monsanto-la-firme-americaine-reconnue-coupable-d-atteinte-aux-droits-humains_5113185_3244.html, consulté le 01.08.2017.
122 AKO
Rhuks, « Environmental Justice in Developing Countries, Perspectives from Africa and Asia-Pacific » Earthscan from Routledge, Routledge, New York, 2013, p. 123 et 142.
123
BORN, Charles-Hubert, « L’accès à la justice en matière d'environnement en Belgique : la révolution d'Aarhus enfin
en marche », In: André Braën (éd.), « Droits fondamentaux et environnement, Actes du colloque «Regards croisés sur
les rapports entre les droits fondamentaux et l'environnement: Perspectives de la Belgique, du Canada et de la France»,
tenu à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa, le 25 janvier 2013, Wilson & Lafleur, Montréal, 2013, p.
275-336, p. 279.
124
Ibid, p. 230.
!28
pas soit les règles répartitrices de compétences, soit les droits fondamentaux et le principe d’égalité »125.
3.3. L’octroi d'une personnalité juridique à la Nature implique-t-elle qu'on puisse requérir auprès
des juges des mesures plus diversifiées pour en assurer la protection ?
a) En Equateur
En Equateur, nous avons relevé trois mesures qui marquent une conception particulière du droit de
l’environnement. Au delà des classiques mesures restauratives de réparation ou de réhabilitation
prévues à l’article 71 de la Constitution, trois mesures semblent plus originales.
La première est l’inversion de la charge de la preuve. Dans l’affaire Vilcabamba, les plaignants ont
bénéficié de l’inversion de la charge de la de preuve détaillée dans l’article 397 de la
Constitution, qui précise « qu’en l’absence de danger potentiel ou réel, la charge de la preuve dois
peser sur l’opérateur de l’activité, ou le défendant »126. Le tribunal a affirmé que dans cette affaire,
personne n’avait remis en question le simple fait que la route était élargie par le gouvernement provincial, et que c’est à cause de ces travaux que de déchets étaient déversés dans la rivière. Le tribunal a affirmé que pour qu’une action en faveur des droits de la Nature soit réussie, il n’est pas nécessaire que ce soit aux plaignants de prouver que le dommage environnemental résulte d’actions
du défendant. Au contraire, c’est au défendant, dans ce cas le gouvernement provincial, que revient
la tâche de prouver que cette activité d’élargissement de la route n’a pas résulté dans les dommages
en question127. Cette mesure est une façon d’encourager, « d’alléger » la démarche des plaignants. Il
est aussi intéressant de noter que même si dans ce cas il n’était nullement question d’un conflit de
droits, le tribunal a clairement statué que les droits de la Nature prévalaient sur d’autres droits constitutionnels.
125
BORN, Charles-Hubert, « L’accès à la justice en matière d'environnement en Belgique : la révolution d'Aarhus enfin
en marche », In: André Braën (éd.), « Droits fondamentaux et environnement, Actes du colloque «Regards croisés sur
les rapports entre les droits fondamentaux et l'environnement: Perspectives de la Belgique, du Canada et de la France»,
tenu à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa, le 25 janvier 2013, Wilson & Lafleur, Montréal, 2013, p.
275-336, p. 279..
126
REPUBLIC OF ECUADOR, « Constitution of 2008 », Article 397.
127
COLON-RIOS Joel, « The Rights of Nature and the New Latin American Constitutionalism », New Thinking On
Sustainability Conference, Wellington, February 2014, p.112.
!29
La deuxième mesure est présentée par l’article 396 et veut qu’« en cas de doute sur l’impact environnemental causé par un acte ou une omission, et quand bien même il n’existerait pas de preuve
scientifique du dommage, l’Etat doit adopter des mesures de protections effectives dans les plus
brefs délais »128. Il suffit donc d’un doute, et non pas d’un acte, ni même d’une menace, pour que la
protection de l’environnement soit assurée.
La troisième se rapporte à l’article 10 de la Constitution, qui fait de la Nature un sujet de droit. Cela
signifie que des actions peuvent être lancées en son nom, pour sa protection, comme l’ont fait
Huddle et Wheeler pour la rivière Vilcabamba. Il est ainsi inutile de démontrer un intérêt personnel
puisque l’intérêt à défendre ici est celui de la Nature, qui est lié à l’intérêt collectif.
b) En Colombie
En Colombie, les mesures restauratives ne manquent pas non plus. C’est plutôt la décision du tribunal dans l’affaire el Atrato qui amène une possibilité nouvelle en terme de moyens disponibles. Le
tribunal a en effet décidé de l’établissement d’un système de gardiennage commun pour le bassin de
la rivière el Atrato. Les deux gardiens seront un représentant du gouvernement national et un représentant du peuple indigène vivant dans le bassin. De plus, le tribunal a requis l’établissement d’un
plan de restauration du bassin qui sera supervisé par ces gardiens. Il a également commandé une
étude et des plans pour l’implémentation de ces mesures protectives129. Ce qui est marquant ici est
le côté très procédural et concret des règles du droit administratif mises en place. Cette notion de
gardiennage est inhérente à l’idée de personnalité juridique pour la Nature, dans la mesure où celleci ne peut pas se représenter et se protéger elle-même.
c) En Inde
Cette idée de gardiennage est aussi présente en Inde, interprétée quelque peu différemment, de façon plus « infantilisante ». Dans l’affaire du Gange et du Yamuna, le tribunal a déclaré que de directeur de Namami Gange, le secrétaire général de l’Etat d’Uttarakhand et l’avocat général de l’Etat
d’Uttarakhand seraient les personnes in loco parentis des deux fleuves. Cela signifie qu’ils agiront
comme leurs tuteurs, et représenteront ainsi « le visage humain » des fleuves afin de les
128
129
REPUBLIC OF ECUADOR, « Constitution of 2008 », Article 396.
MARGIL Mari, « Press Release : Colombia Constitutional Court Finds Atrato River Possess Rights », Community
Environmental Legal Defense Fund (CELDF), 4 May 2017, https://celdf.org/2017/05/press-release-colombia-constitutional-court-finds-atrato-river-possesses-rights/, consulté le 13.07.2017.
!30
préserver130. Le tribunal a ajouté que ces trois représentants étaient tenus de défendre le statut des
deux fleuves, mais aussi de promouvoir leur « santé » et leur « bien-être ». Aussi l’avocat général de
l’Etat devra-t-il représenter les fleuves dans toutes les procédures légales à venir.
d) En Belgique
Si d’aventure le problème de l’intérêt suffisant est surmonté, un tiers sera en mesure de porter plainte ou pénal ou de demander réparation au civil, pour faute ou pour trouble anormal de voisinage131.
Dans les cas ou aucun intérêt personnel et direct ne peut être démontré, le législateur a prévu diverses initiatives d’action, plus ou moins efficaces. Nous en comptons quatre.
La première est action populaire et n’a pratiquement jamais été appliquée à ce jour. La deuxième est
action au nom d’une commune, dans laquelle l’habitant doit démontrer que la commune reste en
défaut d’agir et justifier de l’intérêt qu’aurait la commune à agir. La troisième est l’action en cessation en matière d’environnement. Pour cela le président doit constater une « violation manifeste »
ou une « menace grave de violation » des « lois, décrets, ordonnances, règlements ou arrêtés relatifs
à la protection de l’environnement »132. Sans parler des nombreuses conditions imposées aux associations demandeuses, qui sont tenues de respecter l’ensemble des dispositions de cette législation.
Cela a pour conséquence de pousser les défendeurs à invoquer systématiquement le non-respect de
la moindre formalité dans le chef des associations133. La dernière est la demande d’action en réparation d’un dommage environnemental, soit une sorte de pétition administrative dont l’objet est de
forcer l’administration à réagir en cas de survenance d’un dommage134.
130
LIVELAW NETWORK, « A First In India: Uttarakhand HC Declares Ganga, Yamuna Rivers As Living Legal Entities », 20 March 2017, http://www.livelaw.in/first-india-uttarakhand-hc-declares-ganga-yamuna-rivers-living-legal-entities/, consulté le 04.08.2017.
131
ROYAUME DE BELGIQUE, Code civil, 21 mars 1804, Livre III, Articles 544 et 1382?
132
ROYAUME DE BELGIQUE, Loi concernant un droit d'action en matière de protection de l'environnement (M.B.
19.02.1993), 12 janvier 1993, Article 1.
133
BORN, Charles-Hubert, « L’accès à la justice en matière d'environnement en Belgique : la révolution d'Aarhus enfin
en marche », In: André Braën (éd.), « Droits fondamentaux et environnement, Actes du colloque «Regards croisés sur
les rapports entre les droits fondamentaux et l'environnement: Perspectives de la Belgique, du Canada et de la France»,
tenu à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa, le 25 janvier 2013, Wilson & Lafleur, Montréal, 2013, p.
275-336, p. 325.
134
ROYAUME DE BELGIQUE, Décret modifiant le Livre Ier du Code de l'Environnement en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, 22 novembre 2007.
!31
3.4. Conclusion
Le fait de déclarer des droits à un fleuve après des milliers d’années d’histoire dans laquelle la Nature n’a été traitée qu’en tant que « propriété » se présente comme un hallucinant changement de
paradigme. Ce nouveau paradigme soutient une nouvelle façon de concevoir la relation entre humain et environnement naturel et créé des devoirs à l’égard des entités non-humaines135.
Tout comme les femmes, les peuples indigènes ou les esclaves, la Nature, jusqu’ici privée de droits,
pourrait voir son statut évoluer à un moment où plus que jamais, l’homme se doit de réguler son
usage des ressources naturelles, veiller au maintien de la biodiversité, contrecarrer les conséquences
du changement climatique136.
Le droit international a un rôle à jouer dans ces évolutions. A travers des textes tels que la Déclaration de Rio ou la Convention d’Aarhus, il a déjà diffusé de nombreux concepts de protection de
l’environnement désormais admis à travers le monde. Le récent programme de Nations Unies Harmony with Nature va même dans le sens d’une philosophie plus éco-centrée, et donne une tribune à
la Earth Jurisprudence.
Mais les possibilités d’action relèvent avant tout des Etats, et l’on voit que plusieurs d’entre eux
opèrent des changements significatifs. Certains, comme l’Equateur, la Bolivie ou la Colombie considèrent déjà la Nature comme une personne dans leurs textes légaux fondateurs. D’autres, comme
l’Inde ou la Nouvelle-Zélande, ont une relation spirituelle forte avec la Nature, qui ne figure cependant dans aucune loi. Ces pays se sont néanmoins servi du concept comme d’un outil pour rendre
des décisions de justice.
Dans un prochain travail, nous aimerions savoir s’il existe un lien entre cette conception particulière
de la relation entre homme et Nature et protection de l’environnement. En somme, les pays ayant
une tradition spirituelle ou philosophique fortement liée à la Nature offrent-ils une meilleure protection de l’environnement ?
Le présent mémoire nous a en tout cas servi à souligner certains éléments qui différencient les pays
qui utilisent la notion de personnalité juridique pour la Nature et ceux qui ne l’envisagent pas. Il
135
COLON-RIOS Joel, « The Rights of Nature and the New Latin American Constitutionalism », New Thinking On
Sustainability Conference, Wellington, February 2014, p.112.
136
WARREN Lynda, « Wild Law : Is there any evidence of Earth Jurisprudence in existing law and practice? », UKELA and Gaia Foundation, London, March 2009.
!32
semblerait que l’intérêt à agir soit considéré plus largement en Equateur, en Colombie et en Inde
qu’en Belgique. Les mécanismes citoyens sont plus nombreux et aboutissent davantage. L’intérêt
collectif et l’intérêt propre de la Nature sont deux motifs supplémentaires pour introduire une action. Il est d’ailleurs possible de se présenter au nom de la Nature, pour son bien propre : en invoquant l’article 10 de la Constitution en Equateur, en invoquant le droit à un environnement sain en
Colombie, en adoptant le statut de représentant et en faisant valoir une interprétation large du droit à
la vie en Inde.
En Belgique, les conditions d’introduction d’une action sont plus rigides, l’intérêt collectif ne
représente pas un intérêt suffisant, et l’intérêt de la Nature en tant que telle n’est même pas une possibilité. Nous pensons pourtant que l’intérêt majeur de la notion se trouve là ; dans l’opportunité
d’agir pour la Nature elle-même.
En ce qui concerne les juridictions, on voit que la personnalité juridique pour la Nature est l’occasion de se poser la question des « tribunaux verts », comme le « National Green Tribunal » indien.
On voit également que des juridictions plus classiques, comme les tribunaux de droit commun ou
les Cour constitutionnelle, peuvent également être habilitées à rendre ce type de jugement, comme
en Equateur ou en Colombie.
Enfin, l’octroi d’une personnalité juridique à la Nature peut résulter en l’apparition des mesures
nouvelles : des mesures de protection plus efficaces, mobilisables préventivement en cas de
« doute », l’inversion de la charge de la preuve, un système de gardiennage ou de tutorat pour la
Nature.
Le fait que ces mesures existent ne suffit certes pas à prouver leur efficacité. Par exemple, quatre
ans après que la sentence Vilcabamba ait été rendue, le gouvernement provincial avait certes partiellement « nettoyé » le bassin, mais n’avait pas encore fait le plus gros du travail, c’est-à-dire dégager le matériel d’excavation qui avait été jeté dedans et rouillait dans le lit de la rivière137.
Cette implémentation incomplète du jugement est par ailleurs un problème général pour toute affaire traitant de n’importe quel droit dans n’importe quel pays du monde, et ne doit dès lors pas
nous faire conclure à l’inutilité du procédé qui consiste en la reconnaissance de droits pour la Nature.
137
WHEELER Eleanor « Acceso a la jurisdiccion ambiental: el rol de ]a sociedad civil », Presentation to Universidad
Andina Simon, Bolivar, Centro Ecuatoriano de Derecho Ambiental, 19 February 2013.
!33
Si elle n’est pas la panacée à la difficulté de protéger l’environnement, la notion de personnalité juridique pour la Nature a le mérite d’ouvrir le débat, de proposer un mode de résolution judiciaire
pratique qui, bien qu’imparfait, présente de nombreux bénéfices. Plus essentiellement, la notion
suggère un mode de pensée différent, qui positionne la Nature à la place qu’elle mérite : à égal de
l’homme et au centre de nos préoccupations.
!34
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